Célian Ramis

Elles qui disent la campagne et une époque

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Elles ont grandi en Ille-et-Vilaine et avaient environ 20 ans dans les années 50. Leur quotidien, leurs parcours et leur condition, elles les racontent dans l’ouvrage Elles qui disent.
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Elles ont grandi en Ille-et-Vilaine, dans le pays de Montfort, et avaient environ 20 ans dans les années 50. Leur quotidien, leurs parcours et leur condition, elles les ont raconté à Anne Lecourt - Le Breton dans l’ouvrage Elles qui disent, publié en mars 2016. Une ode aux femmes, à la campagne et à une époque.

Elles sont huit. Yvonne, Monique, Clémentine, Marie, Madeleine, Yvette, Marcelle et Elisa. Elles ont grandi, vécu ou vivent encore du côté, entre autre, de Bédée, Bréteil, Talensac ou encore Montfort-sur-Meu et Iffendic. Souvent issues d’une famille nombreuse et paysanne, elles participent aux tâches ménagères, à la traite des animaux, vont à l’école, quittée pour la plupart après le Certificat d’études, quand elles l’ont obtenu.

Ces femmes sont devenues patronnes de bistro, marchande de cochons, agricultrices, ouvrière, commerçante… Parfois par obligation ou par convenance, parfois par choix. Dès le plus jeune âge, elles ont appris à devenir des femmes. C’est-à-dire des épouses et des mères principalement. Elles s’en sont accommodées, contentées, satisfaites. Mais au fil des années, elles ont conservé leur soif d’apprendre, leur volonté de réfléchir et de s’investir dans leurs boulots ou leurs passions.

Aujourd’hui, ce sont des femmes âgées qui revisitent les souvenirs de leurs vies vécues et ainsi livrent un subtil portrait d’une époque et d’un territoire. Mais pas seulement. C’est aussi un voyage à travers la condition des femmes d’hier, en évolution certes, mais peut-être pas entièrement révolue.

UNE LONGUE INITIATIVE

Rennaise d’origine, installée à Pleumeleuc depuis environ 10 ans, Anne Lecourt – Le Breton est traductrice depuis 25 ans. Dans le domaine scientifique principalement. Un métier « chahuté, à la concurrence très importante, (…) humainement parlant un peu frustrant. » Autant de raisons qui la motivent à penser à une reconversion et à se lancer dans l’écriture qui semble être son moteur.

« J’avais un projet d’accompagnement dans l’écriture auprès d’un public en difficulté et je suis allée voir Montfort Communauté. C’était déjà fait mais on m’a alors parlé d’un projet qui avait capoté, un état des lieux autour des campagnes de Montfort. », explique Anne Lecourt – Le Breton.

Deux ans plus tard, l’idée d’un ouvrage autour de la condition des femmes du pays de Montfort germe dans son esprit. Elle affine le propos autour de celles qui ont vécu leur jeunesse dans les années 50, part à la recherche de femmes alors âgées entre 80 et 95 ans et active tous les réseaux dans lesquels elle peut puiser des personnes ressources, à savoir des voisin-e-s, des professeur-e-s du coin, des grandes familles, des formateurs-trices en milieu rural, etc.

Des femmes à contacter, elle n’en a pas manqué. Mais des refus, elle en a essuyé. « Il fallait que je sois crédible, convaincante et en même temps que je ne parte pas trop dans l’intellect. Sinon elles me filaient entre les doigts. », précise l’auteure. Certaines déclineront la proposition, d’autres lâcheront en cours de route. Et dans les huit restantes, il lui faudra parfois « renoncer à des choses et changer des noms, des dates ou des lieux. »

Toutefois, elle s’enthousiasme du propos qu’elle a à cœur de partager et les rencontres qu’elle va multiplier auprès des protagonistes concernées qui envisagent leurs vies comme simplement ordinaires :

« Je ne suis pas sociologue, ni journaliste, ni historienne. Je souhaitais juste les cerner au plus près de la réalité, raconter une histoire vraie qui parle aux gens. Car ce sont des histoires de famille, de géographie, de modes de vie de l’époque. Et elles ont eu plaisir à parler, elles sont fières du travail qu’elles ont fait, c’est ça l’important. »

PORTRAIT D'UNE CONDITION

Le livre, auto-édité par l’auteure, aidée pour la mise en page par Montfort Communauté, a été publié en mars 2016. Anne Lecourt – Le Breton a couché les portraits sur le papier mais ne se lasse pas de nous les décrire telles qu’elle se les remémore. Des femmes qui ont renoncé à toute vie personnelle pour s’établir au service de leur famille ou de leur terre.

« Elles ont quitté l’école très vite et pourtant toutes étaient brillantes. Mais à l’époque, les femmes n’avaient pas de vie propre, elles devaient obéissance au père, aux frères ou au mari. C’était une société complètement patriarcale. »
développe-t-elle.

C’est aussi une société pudique, en pleine mutation. La citoyenneté, à travers le droit de vote, vient tout juste d’être accordée aux femmes, les lois balbutiantes sur les conditions de travail n’en sont qu’aux prémices d’un long combat pour un changement des mentalités, la condition féminine est toujours réduite à la maternité, l’éducation et l’entretien du foyer. Mais si les femmes sont encore soumises aux désirs des autres, la pratique d’un métier et le début d’instruction qu’elles ont reçu les emmènent à progresser plus rapidement que leur époque. Et à rêver d’une autre vie pour leurs filles.

« Ce sont des femmes de devoir. Elles se marient. On s’aime par devoir. On a le souci du regard extérieur, du bourg, de la famille. Il y a aussi les mariages économiques, les communes sont étroites et on tient à ce que les terres restent dans la famille. Généralement, l’amour est inexistant ou douloureux, il y a le devoir conjugal mais ça ce sont des secrets de femmes. Elles font des enfants et là il y a de l’amour. On ne le montre pas dans les mots, on le montre dans des gestes du quotidien. », commente celle qui s’émeut de ces héroïnes non reconnues du quotidien.

Et ce qu’elle en retient, c’est comment sans s’opposer à la tradition, sans créer de rupture franche, en louvoyant en permanence, elles ont toutes avancé d’un pas et se sont distinguées de leurs mères à elles « en passant le permis de conduire, en conduisant un camion, portant des pantalons, faisant du vélo, s’impliquant dans les Jeunesses Agricoles Catholiques, entamant des démarches pour obtenir la majorité par anticipation, en plantant tout pour partir au Maroc, en côtoyant des intellos… »

UN PONT ENTRE LES GÉNÉRATIONS

On la sent exaltée par cette expérience enrichissante. Une expérience qui pose la question non seulement de l’évolution de la condition féminine dans les campagnes mais aussi du travail de mémoire permettant ainsi d’établir un pont entre les générations d’hier et d’aujourd’hui. Et de s’interroger sur nos rapports à nos racines autant que sur la transmission entreprise entre femmes du présent et jeunes filles de demain.

Un sujet qui a inspiré Anne Lecourt – Le Breton qui a le sentiment d’être passée à côté de sa grand-mère brétillienne : « Quand on est ado, on est auto-centré-e-s. Alors les vieux, le passé, on y consacre pas tellement de temps. » Elle se lance alors sur les traces d’un héritage quelque peu oublié. Ou trop souvent considéré comme désuet. Et à la restitution des textes, elle est frappée par les réactions des enfants qui tiennent à relire, modifier, supprimer même des passages.

« Beaucoup de choses n’ont pas pu être livrées dans le bouquin. C’était trop intime. Je me suis confrontée aux enfants, ça a été difficile de tenir le choc, j’ai été mal jugée et certain-e-s me traitaient de moins que rien. Ils-elles n’ont vu que des vies de mères et n’ont pas considéré que les mères pouvaient avoir eu des vies de femmes. », déclare l’auteure, visiblement attristée par ce manque. Les tabous sont encore nombreux, les clichés également.

Archaïques et profondément ancrés dans les mentalités, ils sont un fléau dont il est difficile de se détacher :

« On reproduit beaucoup de choses héritées de loin. Par exemple, avec mon fils de 15 ans, je suis obligée de lui faire tout un discours en lui apprenant à faire la lessive, le repassage, etc. Ce discours, je m’en passe auprès de ma fille. Comme si de femme à femme, les choses allaient de soi, étaient évidentes. »

À 49 ans, Anne Lecourt – Le Breton réalise un ouvrage constructif et pédagogique, dont elle est fière, « fière de prendre la parole pour valoriser leurs parcours à elles », tout en mêlant sa propre plume et une partie de son histoire personnelle qu’elle partage en héritage d’une époque et d’un territoire.

Dès septembre, elle partira à la rencontre de lycéen-ne-s, d’étudiant-e-s en BTS, de résident-e-s en EHPAD ou encore du Planning Familial 35 et devrait poursuivre sur sa lancée, bien décidée à mettre sa plume au service des paroles marginalisées.

Célian Ramis

Agriculture : Les femmes en milieu rural

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Ille-et-Vilaine
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Les mentalités ont-elles évolué dans le secteur de l'agriculture ? Quelle place pour les jeunes agricultrices en Ille-et-Vilaine ? Reportage.
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Bretagne, terre d’agriculteurs, devient aujourd’hui de plus en plus terre d’agricultrices. Si les chiffres restent faibles avec 27% de femmes cheffes d’exploitations (30% en Ille-et-Vilaine), il n’en demeure pas moins que ces dernières investissent pleinement les filières de l’agriculture. Et en Ille-et-Vilaine, elles ne font pas exception.

Le département, largement fourni en productions agricoles, comptabilise 33% de femmes actives sur les exploitations (au niveau régional, elles représentent 31%). Aujourd’hui, le secteur souffre pourtant d’un léger recul en terme d’installation ou de reprise d’établissements agricoles. Les jeunes agricultrices (- de 35 ans) témoignent dans ce Focus d’une véritable évolution des mentalités face à leur métier et leur condition.

Qu’elles perpétuent la tradition familiale ou non, elles prouvent toutes que seule la passion compte. Au delà de tous stéréotypes de genre, elles nous reçoivent dans leur environnement pour nous présenter leur quotidien et leur réalité.

6h, à 40 km au nord de Rennes, la nuit noire borde les champs de la campagne brétillienne. À côté de Rimou, petite commune de quelques centaines d’habitants, le lieu dit La Gérardais abrite l’exploitation de 110 hectares sur laquelle vit et travaille Elodie Texier, co-gérante du GAEC (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun) qu’elle dirige avec son conjoint. Ensemble, ils procèdent à la traite des 90 vaches qu’ils possèdent.

Si la froideur de l’aube saisit les os et la peau, l’odeur du lait tout juste sorti des mamelles nous enrobe d’une délicieuse chaleur, rappelant l’enfance. Dix par dix, les Prim’Holstein stationnent à la file indienne dans une petite salle destinée à cet effet. Jusqu’à 7h, la jeune agricultrice de 26 ans, toujours suivie de sa chienne Blanca, s’attèle au nettoyage des trayons (les pis), à la pose des machines et à l’entretien régulier de la pièce après que les bêtes en aient foulé le sol.

Avant d’aller réveiller son petit garçon, âgé de 3 ans, et de le préparer pour l’école, elle se dirige avec une brouette vers le hangar des veaux et génisses à qui elle apporte des seaux de lait : « Ce qui me plait, c’est l’élevage, le contact avec les animaux et la gestion de l’entreprise. Sans oublier le contact avec la terre, et avec l’extérieur. C’est vraiment un mode de vie. »

Un mode de vie qu’elle a toujours connu puisque 6 ou 7 générations d’agriculteurs se sont transmis le flambeau avant elle :

« Chez nous, c’est un peu de mère en fille. Sauf que là, ce n’est pas ma mère qui m’a donné le goût de ce métier. Elle aurait plutôt été pour que je fasse autre chose… »

Après la 3e, elle se dirige vers un BEP puis effectue un Bac Pro, spécialisation en lait.

De retour auprès du troupeau aux alentours de 7h45, elle finit la traite et procède au nettoyage complet de la salle, avant de fermer le portail de l’étable dans laquelle les bêtes ont retrouvé leur paillage. « On va les amener dans le champ, où elles passent la journée avant la seconde traite, vers 16h30. Et jusque là, on effectue les travaux des champs, l’entretien des machines, les « bouennes » (bricoles) quoi ! », rigole-t-elle.

Ce mardi matin de novembre, la jeune femme doit se rendre à Rennes, pour une réunion entre membres du syndicat des Jeunes Agriculteurs 35 (- de 35 ans). Elle y est active depuis début 2014, en tant que 2e vice- présidente, et depuis 3 ans en tant que secrétaire du bureau au niveau local.

« Il s’agit de défendre notre passion, notre métier, nos idées, notre revenu. On est soumis au prix du lait… Avec tout cela, nous défendons aussi nos maisons, nos familles et nos modes de vie »,
explique-t-elle.

La promotion de son secteur d’activité l’anime particulièrement. Avec les départs en retraite de la génération du baby boom, un actif agricole sur trois ne serait plus remplacé à l’heure actuelle.

UN SECTEUR DYNAMIQUE ET OUVERT

Elle souhaite alors véhiculer une image positive et rafraichissante de ce métier, presque aussi vieux que le monde. « Notre image évolue, je trouve, précise Elodie. Je n’ai jamais eu de commentaires négatifs sur mon statut ou ma condition de femme agricultrice. C’est aussi pour ça que l’on a décidé entre filles de réaliser un calendrier avec les JA 35 ».

Si elles sont peu nombreuses au sein du syndicat, elles ont, au fil de leurs réseaux, embarqués 24 volontaires pour poser et figurer sur les pages du calendrier, dont une partie des revenus est reversée à la Ligue contre le cancer :

« Notre volonté était de montrer que nous sommes dans un secteur dynamique et ouvert. Aussi pour dire que les femmes dans l’agriculture sont aussi belles et entreprenantes que tout le monde. Et nous avons choisi la Ligue car nous sommes toutes concernées par le cancer du sein, en tant que femmes.»

Satisfaite du résultat, elle se moque des quelques commentaires sarcastiques circulant sur les réseaux sociaux insinuant que les femmes photographiées sont de « fausses agricultrices… C’est d’un niveau... ! »

Dans les pages du calendrier figure Mélodie Horvais, posant auprès de sa vache de concours. « Je suis passionnée par les vaches laitières et je suis dans une association, FAN, pour les passionnés de vaches normandes », explique-t-elle, en nous guidant à l’intérieur de la porcherie Crespel, située à Montauban de Bretagne, une des productions porcines les plus importantes du territoire, comptabilisant près de 900 porcs. Si la jeune femme vacille pour les bêtes aux robes blanches tachetées de marron, elle souhaitait apprendre les rudiments du métier auprès des éleveurs porcins.

« Mes parents ont une exploitation de vaches laitières à Combourg, mes grands-parents étaient aussi agriculteurs, je connais donc bien le milieu »,
précise la jeune femme.

À 24 ans, elle projette, plus tard, d’ouvrir sa propre exploitation, « avec des cochons et des vaches. Ça se fait bien aussi d’avoir les deux ». Après avoir obtenu son Bac Conduite et gestion d’exploitation agricole, et effectué plusieurs stages, elle passe rapidement par la case chômage avant de trouver cet emploi chez Crespel. Embauchée depuis 3 ans en tant que salariée agricole, Mélodie est séduite par le travail qu’elle effectue au rythme de 42h par semaine et d’un week-end sur 4.

UN MILIEU ÉGALITAIRE ?...

« Il me reste une insémination à faire avant d’aller voir les petits qui sont nés aujourd’hui », dit-elle en chaussant ses bottes. À l’intérieur, l’odeur est très forte, saisissante même, la chaleur étouffante. Quelques secondes suffisent à injecter la semence des mâles dans l’appareil génital de la cochette. La maternité se trouve dans le même couloir, à quelques mètres. Les cris sont moins stridents.

Dans des petits enclos, les truies sont allongées, leurs petits se pressant pour venir téter. Une portée est isolée au fond de la pièce. Mélodie saisit les porcelets d’une main, et coupe le cordon de l’autre. « J’aime ce boulot. Pour tout ce qui concerne l’animal, les mises bas, les soins, tout ! Il y a une relation qui se crée avec l’animal et j’aime m’en occuper. Sans oublier l’ambiance qui est très bonne ici. Je suis la seule femme et ça se passe très bien », exprime-t-elle, animée par la passion. Aucune difficulté pour elle à s’intégrer dans une équipe masculine.

Baignée dans le monde agricole depuis sa naissance – ses frères et sœurs se forment également à la profession – et habituée à se retrouver entourée par la gente masculine à l’école (« 3 ou 4 filles sur une promo de 40… »), elle ne ressent pas de différence entre les sexes. Exécutant tous les mêmes tâches et répondant aux mêmes exigences imposées par les travaux parfois physiques du métier, Mélodie Horvais n’a pas à rougir de son statut.

« Les femmes agricultrices n’ont plus du tout le même rapport avec les hommes aujourd’hui. Ça a beaucoup changé depuis 20 ans, ça évolue très très vite »,
commente Anne Philippe, directrice depuis un an de La Lande de la Rencontre (établissement composé d’un Centre de Formation pour Apprentis, d’un lycée agricole et d’une exploitation agricole) à Saint-Aubin du Cormier.

À 57 ans, elle se rappelle de sa formation viticole à Montpellier : 10% de filles pour 90% de garçons. « Elles sont maintenant 60%. Et à mon époque, nous n’étions pas les premières à ouvrir les portes, il y en avait eu d’autres à le faire avant nous », souligne-t-elle. Pourtant, elle se souvient des moqueries, des remarques désobligeantes :

« On était là pour trouver des maris, selon certains. Rien d’autre. Ou on nous disait qu’on ne serait jamais embauchées. »

Si aujourd’hui encore il lui arrive d’être surprise par certains dires (« en réunion l’autre jour, j’ai entendu dire que dans le secteur de l’élevage de porcs, les femmes étaient très recherchées. Je crains d’avoir compris que c’était pour le côté maternage. Ça m’a fait peur… »), elle a néanmoins le sentiment que l’égalité est quasiment acquise. Les filles investissent les diverses filières de l’agriculture, hormis l’agroéquipement qui reste encore essentiellement masculin.

Pourtant, dans les formations du lycée agricole, la gente féminine ne représente qu’un quart des effectifs en moyenne. La directrice souhaite tout de même mettre en avant la féminisation des métiers et afficher qu’il y a des filles, « et elles réussissent de la même manière ».

Julie Collin illustre parfaitement le sentiment décrit par cette viticultrice reconvertie. À 27 ans, la jeune femme est gérante depuis janvier 2012 du GAEC de Guimbert, avec 2 associés, installés sur cette exploitation de Bains-sur-Oust depuis de nombreuses années. « J’ai un profil un peu atypique car je ne suis pas du tout issue du secteur de l’agriculture », lance-t-elle lorsque nous la rencontrons.

Son père était couvreur, sa mère, femme au foyer. Elle grandit dans une commune normande, dans les environs de Caen, entourée d’exploitations agricoles. La jeune fille est séduite et se passionne pour les vaches laitières. Sans hésitation aucune, elle intègre le lycée agricole et enchaine sur un BTS en production animale. À sa sortie de formation, elle est embauchée au Contrôle Laitier d’Ille-et-Vilaine, une structure spécialisée dans le conseil. Ainsi, pendant 4 ans, elle va de ferme en ferme à la rencontre des agriculteurs-trices afin de réfléchir ensemble à l’amélioration des productions.

« J’ai fait ça jusqu’à ma première grossesse. J’adorais mon métier mais je savais que c’était incompatible avec ma vie de mère »,
explique-t-elle.

Elle se rappelle : « Cette année-là, j’ai eu 3 propositions de travail. Mais je voulais vraiment faire un essai ici. Voir si nos 3 profils allaient s’accorder. Et en effet, il n’y a aucun souci ! » Aucun problème pour collaborer avec les deux hommes. Au contraire. Ces derniers la prennent sous leurs ailes et lui enseignent toutes les tâches effectives afin qu’elle puisse maitriser chaque élément de l’exploitation : « Il faut tout connaître car 1 week-end sur 3 nous sommes seuls sur le terrain.»

Tous deux mariés et pères de famille, ils ont bien conscience selon elle des obligations de conciliation vie professionnelle et vie privée. Sa deuxième grossesse n’est donc pas une contrainte et la jeune femme est naturellement remplacée durant son congé maternité. « Il existe des services de remplacement, c’est très simple de prendre des vacances ou des congés », explique Mélodie Horvais, dont le compagnon est salarié dans un de ces services.

NATURES FÉMININES

Alimentation, soins, traite, insémination, vêlage, paillage… Durant la journée, Julie Collin travaille essentiellement auprès des animaux ; ses associés s’occupant de leur côté des champs et des engins agricoles. Sans oublier la gestion de l’entreprise et la comptabilité. Dans le champ, la terre gadoueuse s’enfonce sous ses pas, sa voix porte à quelques mètres et les bêtes se dirigent en direction du bâtiment le plus proche. Il est environ 16h et c’est l’heure de la seconde traite de la journée.

Casquette vissée sur la tête, la jeune agricultrice enfile son tablier. Sa passion et son investissement transparaissent sans artifices dans son regard et son discours. Ce qu’elle aime, c’est la vie d’agricultrice. La terre, la nature, les animaux. « Je suis tombée amoureuse de cette façon de penser ! », déclare-t-elle. Authenticité et simplicité. Tout comme il lui apparaît simple de conserver sa féminité au boulot :

« On veut être propres sur nous. Tous les midis, je vais chercher mes enfants, je fais une petite toilette avant de partir, je me change. Une fois de retour, je renfile mes bottes et la combinaison ! On peut tout à fait rester féminines, tout en étant agricultrices. »

De même pour Mélodie Horvais et Elodie Texier. Toutes les 3 prennent soin de se maquiller et de se coiffer avant de venir travailler, « comme n’importe quelle femme qui se maquille pour sortir ». Et affirment leur féminité à l’extérieur. « Parfois, quand je dis que je suis agricultrice, les gens ne me croient pas. Par curiosité, ils passent me voir sur l’exploitation quand je suis d’astreinte », rigole Julie Collin.

Mélodie partage également des anecdotes communes à ce sujet, « surtout quand on dit qu’on travaille dans une porcherie ». Mais toutes arborent avec fierté leur condition de femmes agricultrices. Peu importe les clichés.

DU CÔTÉ DU DÉPARTEMENT

En 2014, le Conseil Général d’Ille-et-Vilaine a alloué un budget de près de 2 millions d’euros à l’agriculture, soit 10 euros par habitant par an. 65 617 euros ont été attribués au soutien à l’installation des jeunes agriculteurs. Cette année fut celle de l’élaboration du Pacte d’Avenir pour la Bretagne dans lequel l’aide à l’établissement des jeunes est l’une des actions majeures. « Compte tenu de la configuration de la pyramide des âges, l’enjeu de la prochaine décennie pourrait être la transmission d’exploitations et le renouvellement des générations. (…) En 2013, le département reste en tête (de la région) avec 130 installations aidées contre 116 en 2012 ».

Très fluctuant, le taux d’installations de jeunes agricultrices en Ille-et-Vilaine chaque année est d’environ un tiers : 26 % en 2012 et 22 % en 2013 selon la Chambre d’Agriculture.

 

 

 

Infographie : Clara Hébert

Ses herbes et ses légumes bios sont les stars des pianos des meilleurs chefs du pays (Bras, Roellinger, Couillon, Guérin, Barbot, Etcheverry…). À Rennes, les gourmets éclairés se pressent autour de son petit étal le samedi aux Lices. Annie Bertin est une icône du bien cultiver et du bon manger. À son insu. Cette discrète, aux pieds bien enracinés dans sa terre de la Ferme de Blot, à Vendel, est une puriste. Depuis 34 ans, elle cultive la terre familiale avec abnégation :

« Je suis une passionnée, je suis mariée avec la nature, je travaille avec la couleur du ciel, à l’instinct, je ne programme rien. Pour faire du bon travail, il faut être en osmose avec la nature, ne pas calculer ses heures. Alors, pour concilier le travail, les clients, la vie privée, la vie sociale, c’est très dur ».

Cette pionnière a un regard un brin chagrin sur la nouvelle génération : « La plupart des néo-rurales, notamment les maraîchères, semblent moins attachées au travail traditionnel. Elles programment tout, à la minute près, elles ne font rien avec intuition, elles privilégient leur vie privée », juge-t-elle.

Si elle reconnaît la dureté physique du métier, elle rétorque qu’il faut travailler avec sa tête et ne pas hésiter à demander des coups de mains aux voisins, à ses salariés, « mais certaines ont plus d’endurance que des hommes ! », sourit la jardinière. Quant aux réflexions sexistes, Annie Bertin en entend depuis ses débuts, mais n’y prête pas attention, « ça me passe par dessus la tête, il ne faut pas s’arrêter aux remarques, mais faire ce qui plait ! ».

« On constate que de plus en plus d’agricultrices suivent la formation au machinisme. Une avancée ! », note Emmanuelle Tadier, chargée de la communication à la Chambre d’Agriculture d’Ille-et-Vilaine. Un constat confirmé par la lecture d’un récent édito de René Halopeau, membre du Bureau Exécutif du SEDIMA (Syndicat National des Entreprises de Services et Distribution du Machinisme Agricole).

Il y interpelle son lectorat sur la nécessité de promouvoir la mixité et de faire évoluer les mentalités : « Dans nos métiers, il y a des travaux tout à fait possibles pour une fille où la force physique n’est pas toujours nécessaire, et dans le cas où c’est nécessaire elle fait différemment, mais elle fait. (…) À défaut de rêver à l’égalité parfaite, nous devons nous mettre en condition d’accueillir des femmes si elles souhaitent librement venir vers nos métiers ».

Selon Pascale Gélin, les blocages masculins reposent sur un problème de représentation, comme ce fut le cas dans l’élevage. Les derniers a priori sont en passe de disparaître. Une bonne nouvelle.

Infographie : Clara Hébert

Nommée le 3 novembre dernier, cette Costarmoricaine, fille de paysans, attachée à sa terre natale et au monde rural, a débuté sa carrière à Paris et dans le Maine-et-Loire. Elle se rapproche aujourd’hui de ses racines et prend un poste aux projets ambitieux.

YEGG : Pouvez-vous dresser votre portrait ?

Pascale Gélin : J’ai 50 ans, je suis mariée et j’ai 3 filles de 22, 20 et 18 ans. J’ai été formée à l’Institut des Hautes Etudes de Droit Rural et d’Économie Agricole à Paris, puis je suis passée par le Centre National des Jeunes Agriculteurs. J’ai travaillé à l’Association pour l’Aménagement des Structures des Exploitants Agricoles, j’ai ensuite pris la tête de la Fdsea du Maine-et-Loire et de la société d’édition de son journal, l’Anjou Agricole. Je suis l’exemple de la grande réussite de l’agriculture bretonne, fille d’agriculteurs, j’ai fait des études.

Votre nomination est-elle la reconnaissance de ce parcours sans faute ?

Tous mes anciens collègues vous diront que j’ai toujours eu la tête en Bretagne ! Et donc l’envie d’y revenir. Depuis deux, trois ans l’idée d’être à un tournant de ma carrière me trottait dans la tête. Je suis une femme, j’ai 50 ans, mes enfants sont autonomes et mon mari me soutient activement, il est content pour moi.

J’ai porté un projet pendant 12 ans, j’avais envie de quelque chose de nouveau et de choisir le moment, d’être actrice, et non spectatrice, de ma mobilité. Je mets mon confort personnel en danger puisque ma famille est restée en Maine-et-Loire. C’est un effort plus important à 50 ans, mais à cet âge on a encore au moins 15 ans de travail devant soi ! J’ai donc fait savoir que j’étais la bonne personne pour le poste !

Comment avez-vous vu évoluer le métier ? Quelle place y ont pris les femmes ?

J’ai assisté à la reconnaissance des femmes dans leur métier. Je ne suis pas sûre qu’on puisse affirmer qu’il se féminise, même s’il y a plus de cheffes d’exploitations. Je les ai accompagnées en tant que collaboratrice de Christiane Lambert (première femme Vice Présidente de la FNSEA, elle fut la première présidente du CNJA), que j’ai beaucoup suivie dans son engagement. La place a toujours été laissée aux femmes, surtout en Bretagne, mais pas forcément acceptée à part entière.

Petite fille, j’ai été heurtée de voir ma mère écrire sur ma fiche d’école, à la rubrique « profession de la mère », ménagère. Participer à l’évolution de la condition des agricultrices doit m’aider à me réparer un peu ! Ma mère est de cette génération qui a travaillé dur sans jamais se plaindre, faisant passer la maison et les enfants après les champs ou les bêtes. Je les appelle « les besogneuses silencieuses », peut-être un peu sacrifiées. Je n’ai aucune nostalgie de cette vie agricole, j’ai envie d’écrire une nouvelle histoire. Ma mère avait à cœur que mes sœurs et moi puissions faire des études et je suis un pur produit de l’ascenseur social !

Avez-vous dû prouver plus pour vous imposer et parer certaines attitudes sexistes ?

Oui, j’ai travaillé plus, mais il s’agit là d’une logique personnelle, que l’on s’impose en tant que femme, je crois, un conditionnement inconscient. Je me sens toujours obligée d’en faire beaucoup pour être légitime. Sinon, je n’ai jamais souffert de sexisme. Au contraire, le monde agricole a été précurseur en terme de parité puisque dès 1975 il y a eu un mouvement syndical, via le CNJA, important pour les femmes.

Il a alors été obligatoire de nommer une femme vice-présidente dans les instances décisionnelles. C’est un univers double, réac et moderne à la fois. Un milieu solidaire, humain, où il y a une vraie réalité du collectif, de l’associatif. C’est un métier lié au vivant, scientifique par beaucoup d’aspects où l’aléa est intégré (mort d’une bête, intempéries…) ce qui rend ses gens très souples.

Et la parité, où en est-elle en Ille-et-Vilaine ?

Au sein des organisations de conseils et d’aides des agriculteurs, il y a beaucoup de femmes. Contrairement à une idée reçue, le métier offre plus de disponibilités et de proximité pour les enfants. L’indépendance et l’autonomie d’organisation de sa vie professionnelle et de sa vie privée sont appréciées.

Quels sont vos objectifs en la matière ?

Le monde est aujourd’hui beaucoup plus volatile et moins structuré, surtout celui du travail. Il faut trouver les moyens d’y vivre sereinement, et que les femmes y soient plus à l’aise. Dans la conduite de projets, si elles osent, elles seront plus moteur.

Je rejoins ici l’analyse d’Isaac Getz lorsqu’il évoque des « entreprises libérées, des salariés libres, la fin nécessaire de la hiérarchie pour une meilleure rentabilité » et qu’il dit que les femmes peuvent y apporter « plus d’amour et moins d’égo », c’est-à-dire des idées, de l’envie, beaucoup d’émotions exprimées, ce qui n’est pas une faiblesse, au contraire, cela permet de dire les choses.

Quelles ambitions avez-vous pour votre mandat ?

J’aimerais casser quelques codes afin que les gens osent. Notre institution a un système de validation auquel les salariés ne dérogent pas. Je voudrais qu’ils expérimentent, qu’ils innovent à la marge. Il ne s’agit pas d’être subversif et de mettre en danger cette entreprise consulaire, juste d’oser en trouvant le juste équilibre entre l’initiative, la prise de risques et le respect du cadre.

Plus largement, l’agriculture bretonne a pris en compte la préservation de la nature, il faut continuer dans ce sens et j’ai envie d’y participer. J’ai envie de réussir, à mon petit niveau, à expliquer l’agriculture d’aujourd’hui avec ses enjeux scientifiques, c’est complexe, ça prend du temps et demande de sortir des postures, il y a là un vrai enjeu de pédagogie.

 

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Vie de jeunes agricultrices
Déterminées à cultiver leur passion
Agriculture au féminin et Conseil Général
Le regard d'une pionnière, la terre à coeur
Machinisme, le dernier bastion tombe
Vétérinaires rurales, une profession qui se féminise aussi
Pascale Gélin, une femme à la direction de la Chambre de l'Agriculture