Célian Ramis

Corps en souffrance : Les forces de la liberté

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Les manières de se réapproprier son corps sont aussi nombreuses que les souffrances que l’on peut endurer en tant que femmes. Comment la reconstruction trouve-t-elle soutien et force dans l'énergie d'un collectif non mixte ?
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Du 5 au 29 mars, la Ville de Rennes met l’accent sur les luttes passées, actuelles et à venir en matière de droits des femmes, en vue de l’égalité entre les femmes et les hommes. La thématique de cette année : « Des esprits libres, des corps libres, construisons ensemble l’égalité ».

De par les violences sexistes et sexuelles, de par la pression d’une société basée sur l’apparence, de par la construction sociale et culturelle, de par des maladies impactant les zones intimes de la féminité, le corps est mis régulièrement à l’épreuve.

De quelles manières peut-on se réapproprier son corps lorsque celui-ci a été mis en souffrance ? Quel est l’apport de cette démarche individuelle lorsque celle-ci est intégrée à un collectif, quasi exclusivement composé de femmes concernées de près ou de loin par les mêmes problématiques ?

Le corps des femmes constitue un enjeu politique très fort dans les rapports de domination. Preuve en est avec le viol comme arme de guerre mais aussi comme base de conception d’une culture qu’on répand dans les médias, les œuvres cinématographiques et artistiques, dans l’éducation genrée et sexiste, dans les publicités, etc. La culture du viol contraint à penser que les hommes sont sujets et dominent les femmes qui elles sont objets. De cette société aux valeurs patriarcales intégrées et transmisses de génération en génération découle donc l’idée que le corps des femmes ne leur appartient pas entièrement, pas réellement. Elles n’en disposent pas librement. Grand nombre de souffrances viennent chatouiller, ou plutôt poignarder, nos bourrelets, seins, vergetures, utérus, culs, jambes et amas de cellulite. Et pourtant, ces corps combattent, main dans la main avec l’esprit, contre les injonctions, les épreuves, les difficultés. Pour la réappropriation des corps, plus libres, plus réels, plus vivants. 

Les petites filles sont éduquées dans l’idée qu’elles sont fragiles, discrètes, sensibles. Mais aussi dans l’idée qu’elles vont devoir souffrir. Souffrir pour être belle, enfanter dans la douleur, se tordre à l’arrivée des règles… Le paradoxe de l’injonction à être femme. Douillettes, elles doivent serrer les dents et les fesses. Une vie de souffrance, d’injustices et de discriminations les attend, mieux vaut les préparer dès la petite enfance, à endurer les épreuves de la féminité et à payer les dérives de la masculinité toxique. Pourquoi ?

DE DÉESSES À IMPURES

Au moment des premières règles – appelées les ménarches – les filles intègrent le poids de la honte et de la peur, transmis de manière plus ou moins inconsciente dans l’imaginaire collectif. Dans l’essai Le mythe de la virilité, la philosophe Olivia Gazalé démontre que pendant un temps les femmes, de par le pouvoir de donner la vie, étaient érigées en déesses.

Elles étaient alors vénérées jusqu’à la découverte que « la procréation n’est plus le privilège exclusif et magique de la femme, cette prérogative sacrée au nom de laquelle il avait fallu, durant des millénaires, l’adorer, la prier et lui faire des offrandes, mais une affaire de semence mâle et de labour viril du sillon matriciel. »

Dès lors, la femme ne devient rien d’autre « que le réceptacle destiné à recueillir le précieux liquide séminal. Tandis que son ventre est discrédité, le sperme devient un objet de culte, au même titre que la fascinante machine dévolue à son intromission dans le ventre féminin : le phallus. »

Depuis, les femmes enceintes sont sacralisées, les femmes menstruées dénigrées. Le moment des règles représentant l’impureté, les non fécondées sont mises de côté, écartées, exilées, exclues (l’exil menstruel existe encore dans certains endroits, comme le Népal où le rituel est pourtant interdit par le gouvernement depuis 2005).

À cela, la philosophe ajoute : « Au commencement de l’histoire, les règles auraient donc été considérées, dans certaines cultures, comme sacrées, avant que les religions patriarcales ne les stigmatisent et assimilent la femme à l’animalité dans ce qu’elle peut avoir de plus répugnant, l’obligeant à s’éloigner périodiquement de la communauté humaine à la première goutte de sang et à se décontaminer avant d’y être réintégrée. »

LA DÉPOSSESSION DU CORPS

Ainsi, le tabou perdure, les jeunes filles intégrant cet héritage inconscient et patriarcal qui participe à leur invisibilisation dans la société. Elles grandissent avec la peur de la tâche de sang sur le pantalon, la peur des mauvaises odeurs, la honte d’évoquer et de nommer précisément les menstruations.

« Cette peur d’être trahie par son corps en permanence, c’est la base de la dépossession de nos corps. », expliquait justement la réalisatrice militante Nina Faure, auteure du documentaire Paye (pas) ton gynéco, lors de sa venue à Rennes le 27 novembre dernier.

Et en s’emparant de nos corps, les hommes pensent détenir le pouvoir suprême. Et vont plus loin, comme le souligne Olivia Gazalé dans son chapitre « La légitimation de l’exclusion par l’infériorité féminine » : « Il se pourrait en outre que le sang menstruel ait joué un rôle encore plus important dans l’histoire de la construction des sexes que la simple exclusion temporaire des femmes du lit conjugal ou de la maison. Il est possible qu’il soit aussi la cause (ou plutôt le prétexte) de leur exclusion permanente de certaines professions, et cela dès l’époque des chasseurs-cueilleurs, donc bien avant l’apparition des grandes religions. Une division des tâches qui est aussi un partage du monde en deux, entre une sphère masculine, très vaste, mais hermétiquement close, et une sphère féminine, beaucoup plus limitée, faite d’empêchements, d’entraves et d’interdits. »

CONTRÔLER LE SEXE FÉMININ

Le corps des femmes n’a donc pas toujours été l’apanage des hommes mais l’est devenu depuis très longtemps et divise l’humanité en deux catégories dont l’une est soumise à l’autre, dans une violence inouïe. Dans Le mythe de la virilité toujours, l’autrice démontre de nombreuses symboliques à ce propos.

Si le vagin est un antre obscur puisque caverneux et a priori dangereux, les hommes n’ont pas d’autre choix que de l’accepter pour engendrer des fils. Mais le clitoris lui a bien trop de puissance sur la jouissance et d’inutilité scientifique sur la reproduction : « L’idée est simple : sans clitoris, pas de jouissance, donc moins de risque d’adultère. » 

L’excision est donc une protection supplémentaire contre l’infidélité de la femme, dont la figure dominante est celle de la femme à l’insatiable sexualité. « Cette opération dangereuse, qu’elle prenne la forme d’une ablation du clitoris ou d’une infibulation, s’est pratiquée et se pratique encore à une très large échelle à travers le monde. Elle n’a toujours pas disparu en France, où elle est exécutée clandestinement, dans des conditions d’hygiène désastreuses, par des communautés venues du Mali, du Sénégal, de Mauritanie, de Gambie ou de Guinée. »

Elle analyse également le viol comme arme politique, « arme de destruction massive », comme l’écrit Annick Cojean dans Le Monde en 2014, pour parler de la situation en Syrie mais ces termes sont applicables également au Viêtnam, au Rwanda, en Bosnie, en Centrafrique et au Soudan du Sud, rappelle Olivia Gazalé :

« Engrosser la femme de l’ennemi est la meilleure façon d’étendre son empire et d’anéantir la lignée d’en face. C’est donc un meurtre contre la filiation, le meurtre symbolique de la communauté, l’extension du domaine de la folie génocidaire. Quand tout commence et tout finit dans le ventre des femmes… »

Un ventre bien contrôlé qui dans les années 70 prendra également la forme d’un crime peu connu et reconnu que la politologue féministe Françoise Vergès met en avant dans Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme : les stérilisations et avortements forcés à la Réunion pratiqués par des médecins blancs, sur ordre du gouvernement français. 

LES RAPPORTS DE DOMINATION PERSISTENT

Si aujourd’hui on aime à penser une évolution certaine grâce aux luttes féministes des années 60 et 70 pour l’accès à la contraception et à l’avortement ainsi que la libération sexuelle, on se fourvoie. Les combats ont permis d’obtenir des droits, c’est une réalité, heureusement.

Mais ces droits conquis sont sans cesse menacés, principalement par les montées des extrêmes au pouvoir un peu partout dans le monde mais aussi par la perpétuation des traditions archaïques et misogynes. Fin janvier 2019, une jeune népalaise de 21 ans décède durant son exil menstruel (rappelons encore une fois que le rituel chhaupadi est interdit depuis 14 ans maintenant).

Fin février 2019, une jeune argentine de 11 ans accouche par césarienne à la suite d’un viol commis par le compagnon de sa grand-mère (en Argentine, l’avortement est illégal mais autorisé en cas de viol, sauf quand la Justice laisse trainer les dossiers de demande d’avortement afin de dépasser le délai pour le pratiquer…).

Début mars 2019, en France, 30 femmes ont été tuées depuis le 1er janvier par leur compagnon ou ex compagnon. Le corps des femmes reste un enjeu terriblement actuel dans les rapports de domination. La souffrance corporelle et psychologique comme héritage maternel n’est ni entendable ni tolérable.

Les voix des femmes sont nombreuses à s’élever contre ces diktats essentialistes, visant à faire croire à la population que cela serait « naturel » chez les femmes de subir leurs cycles ou d’accoucher dans la douleur, et autres sornettes du genre. Les violences gynécologiques et plus largement médicales sont sévèrement dénoncées ces derniers mois mais peu prises au sérieux, dans le sens où la parole des femmes reste remise en cause et que les formations ne sont toujours pas composées de modules continus concernant l’accueil et l’écoute des patientes.

Car il est nécessaire aujourd’hui de déconstruire le rapport de domination qui place le sachant sur un piédestal et le patient – particulièrement lorsque celui-ci est une personne de sexe féminin, une personne transgenre, une personne racisée, une personne intersexe, une personne non binaire, une personne homosexuelle, bisexuelle, pansexuelle, etc. – dans une position d’infériorisation.

« On a toujours été conditionnées pour souffrir. C’est une construction sociale et culturelle et on voit la force de cette création qui se transmet de génération en génération. Ça a une incidence sur notre manière de concevoir nos cycles… J’ai été libérée le jour où j’ai compris que non, on n’a pas à souffrir ! »
explique Lucie Cavey, 39 ans, professeure de yoga (HappyKorpo) qui anime des cours notamment au sein de la structure O’nidou.

Elle constate, pour sa génération, un manque d’éducation et de transmission quant au corps féminin et son fonctionnement. Un sujet tabou, souvent tu dans les familles, ou peu évoqué, rarement enseigné au cours de la scolarité, que l’on soit dans le public ou dans le privé.

« Je pense que c’est important d’être éduquées à ces questions-là dès l’enfance. Je suis d’une génération où avec mes parents je n’ai pas eu l’impression d’avoir une transmission sur les cycles, les règles, la sexualité, etc. Et ça m’a manqué. En tant que mère, j’en parle à mes filles. Je n’ai aucun tabou par rapport à ça, je veux pouvoir répondre à toutes les questions pour qu’elles ne soient pas surprises ensuite. », poursuit-elle. 

FIN DU SILENCE ?

La surprise, on en parle de plus en plus. La surprise de ne recevoir aucune information en consultation gynécologique autour de tous les moyens de contraception. La surprise de n’être que trop rarement consultées quant à notre consentement face à un examen médical, en particulier quand celui-ci nécessite une pénétration dans le corps. La surprise d’être traitées uniquement comme un corps dont on ne s’occuperait pas bien si le médecin n’était pas là pour nous rappeler les bases, un corps qui ne renfermerait rien d’autre que des organes, des tissus, des vaisseaux sanguins, etc.

La surprise d’être violentées verbalement – et sexuellement dans certains cas – à travers des réflexions sexistes, LGBTIphobes, racistes, grossophobes, handiphobes… Le silence a duré parce que les femmes avaient – encore aujourd’hui – intégré l’infériorisation et la dépossession de leur corps.

« Aujourd’hui par exemple l’accouchement est devenu un acte médical et la grossesse une maladie. J’ai des ami-e-s qui vivent des démarches de PMA (Procréation Médicalement Assistée) et qui me racontent, je suis horrifiée. C’est un moment qui est dur physiquement et psychologiquement, durant lequel leur corps est fragilisé par le problème de fertilité et les traitements et elles passent de médecin en médecin, pénétrées d’examen en examen… C’est très difficile. », précise Lucie qui pointe alors la déshumanisation ressentie par de nombreuses femmes – et hommes – face au corps médical.

Pour elle, il faut « qu’en tant que femmes on s’affirme, on demande des informations face aux professionnel-le-s, qu’on apprenne et qu’on ose dire non, que l’on refuse leur façon de faire quand ça nous va pas, qu’on les oblige à nous respecter. Certaines personnes concernées le font déjà et ce sont elles qui font bouger les choses. Il est important de mieux connaître notre corps pour être plus sereines et vivre tout ça de manière moins passive, comme par exemple je pense à l’accouchement, où on ne nous dit pas qu’on peut bouger même une fois qu’on a eu la péridurale mais c’est possible ! Il faut retrouver ou gagner en confiance pour oser dire les choses et affirmer nos choix. Si on ne dit rien, le protocole médical sera suivi, point. Quand le corps médical voit arriver une femme bien décidée, il laisse faire et vient en soutien. » 

DÉPOSSÉDÉES PAR LA MALADIE

Annie, 58 ans, et Chantal, 63 ans, sont toutes les deux membres de l’équipage des Roz’Eskell, pratiquant le dragon boat  - le bateau dragon est un type de pirogue – activité proposée par l’association CAP Ouest (Cancer Activité Physique) pour les femmes ayant été atteintes du cancer du sein. Pour Chantal, pas question de se laisser manipuler sans comprendre le pourquoi du comment :

« Je veux tout savoir pour comprendre et choisir. C’était une étape pour moi pour accepter la maladie. À ce moment-là, on est actrices de la survie immédiate. Mais quand les soins sont terminés, il y a un grand vide. Parce qu’après ça, tu fais l’inventaire des dégâts et il y en a sur le plan social, physique, professionnel, financier… Et puis on rentre avec des drains à la maison, on ne sait pas quoi en faire… Surtout que maintenant ils essayent de tout faire en ambulatoire… Moi j’avais envie de rester à l’hôpital, qu’on s’occupe de moi. Je me sentais pas reconnue et vulnérable. »

Pour Annie, le temps s’est accéléré au moment de la nouvelle. Tout s’est enchainé rapidement : « Après les examens qu’on m’a fait passer, je m’attendais à ce qu’on me dise que j’ai un cancer du sein mais ça m’est tombé dessus du jour au lendemain et surtout je ne m’attendais pas à la mammectomie. En une semaine, hop, tu passes au bloc. Tu y rentres avec deux seins, tu ressors avec un seul. Et tu vois que c’est plat, même s’il y a des pansements. À ce moment-là, on est complètement dirigées par les médecins. On est dépossédées de ce qu’on peut faire de notre corps à cause de la maladie. »

FEMMES AU-DELÀ DES ÉPREUVES

Face au cancer du sein, qui touche un peu plus de 50 000 femmes par an, les réactions sont diverses, en fonction des individus. « Avec le cancer, on a un corps meurtri, un corps fatigué. Lors de mon premier cancer, j’ai pas entendu. Le deuxième, j’étais vraiment très fatiguée. La question de la réappropriation, ça va être ‘Comment je me réapproprie un corps fatigué ?’. La mammectomie par contre, ça met un coup sur le plan de la féminité, de la sexualité. Et ça, on n’en parle pas en consultation. Moi je me suis dit ‘Bon tu étais une femme avant et bien tu restes une femme !’ », déclare Chantal qui arrive désormais à affirmer qu’elle se sent mieux, qu’elle se sent bien.

Pour Annie, le travail mental a été différent. « Le regard du conjoint est important et mon regard à moi aussi bien sûr. Le fait de mettre la prothèse le matin, l’enlever le soir… À ce moment-là, j’avais l’impression que tout le monde le voyait, que c’était marqué sur ma figure. Moi, je matais les seins de toutes les femmes, je pouvais pas m’en empêcher. Alors, avec une prothèse, tu ne t’habilles plus pareil, tu fais attention aux habits par rapport à ta poitrine. T’es obligée d’aller dans des boutiques spécialisées pour la lingerie pour avoir des trucs moches comme tout. Tu te dis que plus jamais tu pourras mettre des jolis petits soutifs… Ça prend du temps, la réappropriation se fait en plusieurs temps, petit à petit. Moi, j’ai opté pour la reconstruction mammaire, j’ai fini récemment. Maintenant je ne regarde plus les seins des autres et j’arrive à dire que j’ai deux seins ! », affirme-t-elle, sourire aux lèvres.

Si elles s’accordent à dire que la féminité n’est pas définie que ou par la poitrine, elles parlent toutes les deux d’une nouvelle et d’un passage traumatisants et bouleversants lorsque les médecins annoncent et réalisent la mammectomie. Sans oublier les complications qui peuvent survenir post opération.

« J’ai eu une nécrose à la suite de ça, ça a été deux mois de pansement à domicile. C’est un peu traumatisant. », confie Chantal. Un point libérateur pour elle est survenu lorsque son chirurgien a employé le terme de « mutilation » :

« Ça m’a fait énormément de bien de l’entendre dire ça. Parce que oui, c’est une mutilation. Et ça m’a fait du bien de l’entendre au moment j’allais faire la reconstruction. » 

SE CONNECTER À SON CORPS, À SON CYCLE

Le travail d’acceptation et de réappropriation peut être long, fastidieux et intense face à la maladie, même en cours de rémission ou en rémission. On parle pour les femmes principalement de cancer du sein, mais il existe aussi l’endométriose qui peut entrainer le corps et l’esprit dans de grandes souffrances. Ici, liées au cycle menstruel.

Lucie Cavey anime régulièrement chez O’nidou des séances Happy Moon durant lesquelles le cycle est spécifiquement le sujet (la prochaine aura lieu le 5 avril, de 19h30 à 21h30), et tous les jeudis midis, un cours de yoga doux à destination des femmes :

« L’idée est de pouvoir se réapproprier son corps. On n’est pas obligées d’être victimes de nos cycles. On peut s’appuyer sur chaque période du cycle pour mieux les vivre et essayer de travailler des postures qui soutiennent l’énergie. On a tous de l’énergie masculine et de l’énergie féminine mais comme on vit dans une société très masculine, on ne sait plus trop ce qu’est l’énergie féminine. Dans les cours de yoga doux, je leur demande comment elles vont, comment elles se sentent et où elles en sont en gros dans les cycles et à partir de là, j’adapte la séance. Car il y a des postures qui peuvent faire du bien plus à une période qu’à une autre. »

La professionnelle pratique également le yoga régénérateur (dont la prochaine séance aura lieu le 24 avril de 19h30 à 21h30), une pratique spécifique à réaliser allongée, en étant soutenue par des coussins, des couvertures, etc. dans un but de relâchement total pour mettre le corps au repos.

Ce qui permet non seulement de recharger les batteries mais également d’amener de la respiration dans le bas ventre et l’utérus. Pour elle, corps en activité et corps au repos doivent aller de pair dans la journée, non de manière simultanée mais différenciée, toujours dans l’écoute de son corps :

« On peut prendre appui sur nos cycles et pour ça on doit s’autoriser à écouter son propre rythme. Et on doit être libre d’en parler, ça c’est encore problématique. Dans les cours de yoga, on va pouvoir par exemple travailler des postures qui peuvent soulager l’endométriose ou les règles douloureuses. Il y a un poids social très fort autour des règles. Même les douleurs au moment de l’ovulation, on en parle très peu. Je travaille actuellement là-dessus au niveau personnel, il est important de mieux se connaître, de dédramatiser et d’oser affirmer qu’à certains moments du cycle, on a besoin de repos. Il est important que les femmes reprennent le rôle de leur vie. Personne ne peut savoir à notre place. Et c’est pareil avec le corps des femmes enceintes. C’est notre corps et personne ne peut décider ou savoir à notre place. »

Dans les groupes, elle a des femmes de différents âges, avec (ou sans) des problématiques diverses, de l’endométriose à la ménopause en passant par la démarche de PMA et les cycles irréguliers, qui en sont à des étapes différentes de leur vie de femme à part entière.

Ce qui l’intéresse, c’est de les mener vers l’écoute de leurs besoins et de leurs possibilités. En cherchant à reconnecter le corps et l’esprit quand ceux-ci se sont décalés :

« L’automassage par exemple est un bon moyen d’être en connexion : le fait de palper, toucher. On ne le fait quasiment jamais parce que c’est un tabou. Mais c’est important de toucher le bassin, le ventre, les seins, le pubis et ça permet d’enlever les tabous par rapport à ça. En observant son corps et les énergies qui y circulent tout comme les tensions, on apprend beaucoup de choses. »

PORTÉES PAR L’ÉNERGIE COLLECTIVE

À partir de démarches individuelles dans un objectif individuel, de reconstruction personnelle et de réappropriation d’un corps en souffrance ou ayant été en souffrance, elles vont trouver de la liberté et du soutien dans le collectif. Au moment ou à la période où survient la mise en difficulté du corps, la personne vit seule l’épreuve.

« Même quand tu es entourée, que tes proches sont présents, tu es seule dans la maladie, le cancer isole, tu es seule au bloc. », souligne Chantal qui a rejoint les Roz’Eskell peu de temps après la création de l’activité par l’association CAP Ouest, tandis qu’au départ, elle ne souhaitait pas intégrer une groupe de femmes :

« Je n’ai jamais été qu’avec des femmes donc ce n’était pas évident pour moi. Rapidement, j’ai été convaincue par l’énergie collective. Quand on est fatiguée, on peut s’arrêter de pagayer pour souffler et le bateau avance quand même. Et puis en dragon boat, on pagaie vers l’avant. Ça donne de l’espoir de toutes faire avancer le bateau ensemble. C’est une activité qui est bonne pour le drainage lymphatique, une activité physique adaptée pendant ou après le traitement. Et c’est un tremplin pour revenir ensuite vers une activité physique ordinaire. On vit des choses tellement exceptionnelles qu’on y reste. »

Annie est devenue une dragon lady fin 2014, en venant avec une amie à elle également atteinte d’un cancer du sein : « Déjà, ça nous permet de faire autre chose et de ne pas être définies que par les rendez-vous médicaux. Et puis, on est allées à la vogalonga de Venise. Avoir un but comme ça, c’est un défi à relever. Fin 2014, j’étais encore en chimio. En mai 2015, j’étais à Venise avec l’équipe. Et comme dit Chantal, quand on est sur l’eau, on le dit à chaque fois aux nouvelles, on arrête dès qu’on est fatiguées, on se repose et un jour, elles aussi pagaieront pour celles qui auront besoin de se reposer. C’est sportif comme activité. Il faut faire à son rythme. On doit adapter à celles qui sont fatiguées, qui arrivent, qui sont encore en traitement, etc. même si on aurait envie de progresser davantage, de faire en plus une équipe mixte, pas uniquement réservé aux personnes malades, etc.» 

LA SORORITÉ, POUR SOUFFLER ET AVANCER

Finalement, elles expriment là une appropriation complète de l’activité en elle-même qui leur a permis non seulement de reprendre le sport mais aussi de trouver un groupe porteur d’énergie dans lequel elles ont évolué et gagné en confiance. L’appréhension de Chantal s’est évaporée rapidement :

« En fait, j’ai vraiment envie de parler de sororité. On a développé une certaine sororité entre nous, même si on s’entend mieux avec certaines personnes que d’autres, ça c’est normal. Avant ça, j’avais un rapport à la féminité, que j’ai encore aujourd’hui, où je pense que chacun est comme il est mais moi je ne me maquillais jamais, je ne portais jamais de tenues extravagantes. Là, d’être avec des femmes qui mettent des boucles d’oreille, du rouge à lèvre, etc. ça donne envie. Par exemple, je pense en ce moment à me faire un vrai tatouage car l’encre du tatouage fait lors de la reconstruction est éphémère. Je n’aurais pas envisagé ça avant. Mais y a pas d’âge pour un tatouage ! Peut-être en fait tout simplement que le fait de partager cette activité entre femmes me permet de m’autoriser à plus de choses. »

Pendant son cancer et son traitement, Annie était très vigilante à l’image qu’elle renvoyait quant à son physique. Ne pas porter la perruque n’a pas été une option envisageable : « Je ne serais pas sortie sans ! Aujourd’hui, les femmes assument plus et viennent aux entrainements sans leur perruque. Aujourd’hui, je me dis que je pourrais le faire. Parce que j’ai parcouru tout ce chemin ! C’est une sacrée école d’aller sur le bateau. Je ne vais pas rester là toute ma vie mais pour l’instant, j’ai envie de cocooner les nouvelles, de prendre soin des unes des autres, d’être bienveillante. Et quand on est bien avec soi, on est bien généralement avec les autres. On ne parle pas forcément beaucoup de la maladie ou autre mais ça arrive que l’une d’entre nous évoque des douleurs, ou parle d’un rendez-vous (Chantal intervient : « Si elle n’a personne pour l’accompagner on peut lui proposer de venir avec elle si elle le souhaite. »), des médicaments. Quand certaines ont su que j’avais fait de la reconstruction mammaire, elles sont venues me poser des questions. On échange. »

ESPACE DE LIBERTÉ ET D’ÉCHANGES

De la même manière, Lucie Cavey évoque la sororité dans les cours de yoga doux, un espace dans lequel les unes et les autres peuvent partager des vécus et expériences communs et/ou différents mais aussi des lectures ou autres.

« Les femmes pour la plupart ne sont plus en lien avec leurs cycles. On ne leur apprend pas à écouter, observer, prendre le temps de se reposer quand c’est nécessaire et ça l’est. Ici, on est entre nous, c’est un chouette espace d’échanges où on peut dire librement qu’on est à la masse, comment on vit sa PMA, etc. On peut libérer la parole et apprendre des unes et des autres. Il y a des femmes qui ont des enfants, d’autres qui essayent d’en avoir, d’autres qui n’en veulent pas, des femmes qui travaillent, d’autres non, par choix ou pas…», commente Lucie qui rejoint également le discours d’Annie et Chantal concernant le vecteur boostant et stimulant du collectif sécurisant et bienveillant.

Elles expriment toutes un gain ou regain de confiance en elles, ayant eu alors la preuve de leurs capacités et de leur ancrage en tant que femme malgré l’épreuve subie. « Il n’y a pas une seule manière de vivre ses cycles ou les difficultés de manière générale. Le groupe fait ressortir la multiplicité d’une base commune. », conclut la professeure de yoga.

Un propos global qui se retrouve également du côté de l’association rennaise ACZA qui lutte contre l’excision à travers des actions de sensibilisation et de partage dans les témoignages et les événements, comme tel est le cas avec l’élection de Miss Afrika ou encore avec la marche contre l’excision  - qui a eu lieu le 1erdécembre – à l’occasion de laquelle des membres de la structure, victimes d’excision dans leur enfance, avait exprimé cette sororité.

Une sororité essentielle à la libération de la parole qui s’accompagne en parallèle – pas toujours – d’une reconstruction chirurgicale du clitoris. Une sororité qui agit donc en soutien à une démarche personnelle de réparation dans certains cas et de réappropriation du corps et qui peut participer à l’acceptation, au mieux-être et au bien-être. 

NE PLUS ACCEPTER D’ÊTRE DÉPOSSÉDÉES

Travailler sur la confiance en soi permet donc de lutter contre le processus de dépossession du corps dont parle Nina Faure puisque cela va permettre de au moins diminuer la peur d’être lâchées ou trahies par notre propre corps à n’importe quel instant. Et de cette réflexion, on peut tirer la ficelle jusqu’à la représentation de nos corps dans l’espace public.

Le « clac clac » des talons va prévenir qu’une femme traverse la rue, la jupe va attirer l’attention sur les formes, les jambes et les fesses. Peut-être va-t-elle remonter et sa porteuse, être insultée, harcelée, agressée. Parce qu’elle est seule en pleine nuit. Depuis petites, les filles sont éduquées à la peur de l’inconnu, la peur de l’espace public – nocturne particulièrement – et la peur du prédateur.

Elles intègrent des injonctions et des assignations, imposant alors des stratégies d’évitement – ne pas rentrer seule, mettre des baskets pour rentrer, emprunter des trajets que l’on sait plus fréquentés et mieux éclairés, ne pas perdre le contrôle – que les garçons en majorité n’apprennent pas de leur côté…

La femme serait fragile et l’homme un prédateur en proie à ses pulsions sexuelles. Deux idées reçues toxiques mais largement diffusées et médiatisées dans ce qu’on appelle la culture du viol. De l’image de la femme-objet que l’homme peut posséder dans la sphère publique comme dans la sphère privée découlent le harcèlement de rue, les violences sexistes et sexuelles, incluant également les violences conjugales.

RENFORCER SA CONFIANCE 

« Depuis 5 ans, on a un cours spécifique pour les femmes et on a de plus en plus de femmes présentes. L’augmentation a été fulgurante. Il y avait environ une dizaine de personnes au départ maintenant on a 48 inscrites le mercredi et 45 le jeudi. Il y a parmi elles des femmes qui viennent pour des problèmes de violences par leur compagnon ou ex compagnon. Les violences sexuelles, faut bien le rappeler, c’est pas l’image du prédateur qui les attend dans la rue, c’est à 80% commis par des personnes de l’entourage ou des connaissances. De plus en plus de jeunes femmes qui viennent à cause du harcèlement de rue. », explique Frédéric Faudemer, coach en self défense et krav maga chez Défenses Tactiques, qui anime le cours Amazon training.

Il souhaite à l’avenir que le cours soit dirigé par des femmes, actuellement en formation pour devenir coachs : « Moi, je suis un gars, c’est compliqué, je ne vis pas ce qu’elles, elles vivent au quotidien. Et puis dans ce cours, spécifique aux femmes, les filles se gèrent entre elles. Elles se viennent en aide. Quand il y a des cas lourds, elles m’en réfèrent, je peux faire le lien avec mes collègues de la gendarmerie qui n’est pas toujours formée à ces problématiques mais qui en prend conscience pour améliorer l’accueil et l’écoute. Pour l’instant, c’est une collègue femme qui intervient, spécialisée dans ce domaine. »

L’objectif du cours : proposer une discipline basée sur le renforcement musculaire, l’entrainement du cardiovasculaire, la gestion du stress et l’analyse des risques. Morgane, 28 ans, secrétaire de l’association SOS Victimes 35, et Fanny, 26 ans, juriste pour la même structure souhaitant intégrer la police, suivent les séances depuis respectivement 3 ans et un an et demi (et devraient, selon Frédéric, pouvoir prendre le lead à la rentrée prochaine).

Parce qu’elles ont conscience « que contre un homme, on n’est pas à arme égale ». Ici, elles apprennent « des choses simples », pour « acquérir des réflexes », et pouvoir prendre la fuite en cas de situation dangereuse ou agression. « Il faut que ça devienne des réflexes. Pour pouvoir réagir en automatique malgré l’adrénaline sur le moment. », signale Morgane, rejointe par Fanny : « On n’aime pas prendre des coups mais le corps s’habitue ainsi à l’impact, à la douleur. »

Ainsi, le corps se renforce dans sa tonicité musculaire, dans sa capacité à encaisser et esquiver. Dans l’objectif toujours de se dégager. De fuir. Fanny et Morgane insistent sur ce point :

« On ne peut pas nier la différence physique entre les hommes et les femmes. On ne vient pas là pour apprendre à mettre des coups. Mais on apprend à être des femmes responsables, conscientes et citoyennes. C’est important aussi d’avoir conscience des limites qu’on a au niveau corporel et psychologique. Ici on apprend à avoir conscience de nos corps, de nos corpulences et surtout de nos potentiels corporels. » 

LA HARGNE DES GUERRIÈRES

Au-delà de l’apport des mécanismes, les femmes participantes peuvent aussi trouver un espace de sororité et de liberté, pour parler et pour souffler. Relâcher la pression qui pèse parfois sur leurs épaules que ce soit par rapports à des agressions subies ou le poids social d’une société aux valeurs patriarcales :

« Beaucoup de personnes viennent se reconstruire ici. On voit rapidement quand ce sont des personnes qui ont vécu des situations traumatisantes. Elles arrivent, elles sont assez renfermées, elles peuvent aussi fondre en larmes parfois sur certains exercices qui se rapprochent de ce qu’elles ont vécu. Le fait d’être une communauté de femmes fait qu’on est là pour écouter, pour échanger et puis aussi pour encourager ! »

La reconstruction passe par la réappropriation de son corps pour ne plus le ressentir comme fragile. Sans dire que l’entrainement les rend invincibles, les femmes renforcent l’assurance de leurs corps et esprit. « L’assurance, c’est très important. Ça se voit tout de suite dans la rue. Quand une femme longe les murs, on la repère. Déjà marcher avec de l’assurance diminue le risque d’agression. », souligne Fanny.

Morgane précise : « Ici, on apprend plein de petites choses pour savoir réagir n’importe quand. On apprend à se défendre avec un sac à main, un magazine, une ceinture, un portable, des talons, un parapluie, des clés… Tous les objets du quotidien qu’on pourrait avoir avec nous ou autour de nous. On n’est pas démunies, c’est ça aussi qu’on apprend. Amazon training, c’est la figure de la guerrière ! Ça a tout son sens. On est des femmes guerrières. On peut être grave fières de nous toutes. »

Si elles sont majoritairement âgées entre 20 et 30 ans, tous les âges et tous les profils se côtoient au sein des cours du mercredi et du jeudi soirs, dans le quartier Ste Thérèse. C’est là qu’aura lieu samedi 9 mars une journée de stage à la self défense réserveé aux femmes. L’occasion de découvrir dans un cadre bienveillant que chaque femme est en capacité de s’affranchir des diktats de son sexe et genre. 

Les manières de se réapproprier son corps sont aussi nombreuses que les souffrances que l’on peut endurer, particulièrement en tant que femmes. Si la reconstruction nécessite au départ une volonté personnelle, elle peut trouver du soutien et de la force dans l’énergie collective d’un groupe non mixte, ayant vécu ou vivant des difficultés similaires ou diverses. De chaque rencontre ressort la puissance symbolique, libératrice et émancipatrice des groupes de femmes bien résolues à unir corps et esprits dans un combat au féminin pluriel.

Tab title: 
Lutter contre la dépossession du corps
La sororité, comme arme de réappropriation du corps
Regards sur les luttes

Célian Ramis

Femmes "chimiotées" : la force de vivre !

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Maison des associations, Rennes
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Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet de la soirée était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.
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C’est une soirée sur le fil de l’émotion que proposait l’association Yadlavie le jeudi 14 mars à la Maison des Associations de Rennes. Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.

« C’est un film d’espoir », lance la photographe Karine Nicolleau, à qui l’on doit Les belles combattantes– à (re)découvrir sur TVR samedi 16 mars à 14h pour le documentaire et à voir à la Maison des Associations jusqu’au 12 avril pour l’exposition. 

Ainsi, durant une trentaine de minutes, l’association Yadlavie - créée en 2012 - nous permet de partager une petite partie du quotidien des Roz’Eskell (association CAP Ouest) lors de leur séjour en Chine, au pays du dragon boat, les répétitions de la comédienne Sonia Rostagni, co-auteure du spectacle 649 eurosautour du cancer du sein, et les entrainements des Riposteuses (association Solution Riposte) pratiquant l’escrime à visée rééducative. 

Dans le film, ce qui prime, ce sont les rires, les sourires, les paroles et réflexions autour des vécus des unes et des autres. Sans voyeurisme, elles livrent ici une intimité sensible de laquelle jaillit une énergie positive et une volonté inouïe de vie. Se déroule alors instantanément le fil puissant d’une oscillation entre force et fragilité qui suspend le temps pour ne laisser transparaitre que l’émotion brute et authentique.

UNE CONSCIENCE PLUS AIGUE DE LA VIE

Dans l’intitulé de la soirée, elles sont « Femmes « chimiotées » : femmes envers et contre tout ». Elles ont subi et affronté le(s) cancer(s) du sein, elles sont en rémission ou non. Les protocoles médicaux, la dépossession de leur corps, le regard des autres sur elles et leur propre regard…

Elles doivent désormais vivre avec. Elles se sont découvertes des forces insoupçonnées jusqu’ici et parlent « d’une conscience, aujourd’hui, plus aigue de la vie, du fait qu’il faut profiter davantage des choses. »

Pour Anne Patault, vice-présidente de la région Bretagne, chargée de l’égalité, de l’innovation sociale et de la vie associative, son « espèce de chance » a été de ne plus craindre la vieillesse :

« Pendant toute une époque, j’avais peur de vieillir. Maintenant, j’espère vieillir. Je me projette en vieille dame et ça me fait plaisir. »

Un point sur lequel la comédienne Sonia Rostagni la rejoint : « Chaque année supplémentaire, c’est toujours ça de pris ! »

Son spectacle, 649 euros, elle le définit comme une évidence : « Une manière de sublimer par l’art le cancer. De faire d’un truc très moche un truc esthétique. Avec une mise en scène pensée de manière à ce que je ne rejoue pas tous les soirs mon cancer à moi. Même si j’ai eu un cancer, je joue un personnage. Je suis une femme, n’importe quelle femme. Et puis la pièce permet aussi de sortir du pathos et de transmettre les choses avec humour. Ça a été un mécanisme de défense très puissant pour moi, l’humour. Je n’ai jamais autant ri que pendant la maladie. »

LES INJONCTIONS DANS LE CANCER

Si elles refusent de parler du cancer comme d’une chance, comme tel est ressenti d’une participante dans le film, elles s’accordent à aborder l’angle du changement post opération. En nuançant toutefois.

« Ça m’a donné des orientations de vie un peu différentes. J’étais un peu indolente avant, j’avais tendance à laisser filer le temps. La leçon que m’a donné la maladie c’est la notion du temps qui nous est compté. Aujourd’hui, j’ai une sorte d’impatience par rapport à des réalisations de projets par exemple. Je suis devenue plus fonceuse. Quand je suis convaincue de quelque chose, maintenant j’y vais. », souligne Anne Patault.

Même discours du côté de Sonia Rostagni :

« Des traits de caractère se sont affirmés. Je me suis découverte encore plus. »

Pour Maryse Théron, syndicaliste et membre des Roz’Eskell, pas question de se soumettre aux injonctions « de faire ça, de dire ça, de vivre le cancer de telle ou telle manière. » Elle le dit et l’affirme : 

« Je n’aime pas les injonctions ! Il n’y a pas plus de raisons de vivre ces injonctions attribuées aux femmes qui ont eu un cancer que d’autres ! On n’est pas obligées de changer parce qu’on a eu un cancer. Certaines étaient insupportables avant la maladie et le restent après. La maladie apprend l’humilité. On prend une conscience un peu plus aigue de notre mortalité. »

CHACUNE SON EXPÉRIENCE ET SON RESSENTI

Elles ne sont pas des expertes du cancer. Elles sont des femmes ayant vécu, chacune à sa manière, son ou ses cancers du sein. Ce soir-là, sans détour et sans langue de bois, les trois intervenantes témoignent de leurs expériences et ressentis individuels pouvant trouver des points de résonnance dans l’épreuve subie par le collectif.

« Ma mère commençait son Alzheimer. J’ai du lui réannoncer 100 fois que j’étais malade. J’ai fini par me dire que c’était pas plus mal qu’elle oublie. Mon entourage a été ni trop envahissant ni trop dans la compassion. C’est un équilibre difficile à trouver mais c’est important. Mais il faut savoir qu’on est toujours tout seul dans la maladie. C’est un parcours solitaire, même si j’ai toujours été accompagnée pendant les chimios ou qu’une amie venait me chercher… », précise Anne Patault qui soulève alors la question de ce que l’on peut attendre de son entourage pendant la maladie. 

Il y a ce que l’on dit aux autres, ce que l’on ressent et vit réellement. Il y a ce que l’on est capable d’endurer, ce qu’on dit aux enfants. Il y a celles et ceux qui supportent et prennent sur elles/eux, d’autres qui ne sont pas en mesure de soutenir et qui s’en vont. Il y a les médecins et les protocoles, ceux qui soignent un individu et ceux qui traitent un symptôme. Et puis la vie qui continue en parallèle. En dehors de la personne qui au même moment affronte la maladie.

Etre sujet, c’est le point sur lequel insiste Maryse Théron. Ne pas se laisser posséder par les autres, par leurs angoisses, leurs émotions, leurs conseils et savoirs.

« Être soi même son sujet. C’est moi, c’est mon cancer. C’est moi qui dit si je vais ou vais pas, qui dit ce que je fais, ce que je fais pas, etc. C’est important de se réapproprier soi-même. »
affirme-t-elle, précisant qu’il ne faut pas sous estimer le poids de la maladie. 

RETOUR À LA VIE PROFESSIONNELLE

Pas facile dans une société capitaliste avide de rentabilité et de productivité de se retirer pendant un temps de la vie professionnelle. La peur de se détacher, de se déconnecter, de ne pas retrouver sa place à son retour, la peur de ne pas être comprise en revenant par le biais d’un mi temps thérapeutique, la peur d’être jugée, la peur d’être larguée.

Si Maryse évoque le dispositif Cancer at work, prévu dans le plan Cancer pour faciliter le retour ou l’accompagnement à l’emploi, elle parle aussi d’une grande méconnaissance de la maladie.

« Les employeurs sont démunis. Il y a encore beaucoup de travail à réaliser pour informer et sensibiliser les équipes, les managers, etc. Le plan Cancer c’est bien mais il faut y mettre des moyens et pas que des discours politiques », précise-t-elle, indiquant également un manque cruel d’égalité dans l’information et l’accès à la prévention et au dépistage du cancer, notamment en direction des femmes précaires « qui n’ont pas le temps de s’occuper d’elles parce qu’elles doivent gérer les enfants, la maison, etc. »

LA HARGNE DES COMBATTANTES

Au fil de la discussion, on retrouve la même sensation que pendant le film ou l’exposition, face aux photographies de Karine Nicolleau dans la galerie de la Maison des Associations. Réunies par le cancer du sein, sur des clichés en couleur ou en noir et blanc, à bord d’un dragon boat, à croiser le sabre et l’épée, à une table ronde, elles délivrent un message fort qui encourage la force de vivre.

Elles ont le sourire des survivantes et la hargne des combattantes. Parce qu’elles ont puisé en elles des ressources auxquelles elles ne pensaient pas faire appel, elles ont découvert des forces en elles insoupçonnées.

« Il faut beaucoup d’amour de soi même pour continuer de se regarder avec douceur. »
conclut Anne Patault.

Une belle leçon de vie qu’elles partagent avec générosité lors des échanges à l’occasion de la soirée.

Mihaela Murariu

Le cancer du sein raconté aux enfants

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Atteinte en 2011 d’un cancer du sein, Rosanne Ribatto a vécu le combat contre la maladie avec sa famille. De son expérience, elle en a fait un livre illustré pour les enfants, Khâki-ann et le crabe.
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Atteinte en 2011 d’un cancer du sein, Rosanne Ribatto a vécu le combat contre la maladie avec sa famille et ses ami-e-s. De son expérience, elle en a fait un livre illustré pour les enfants, Khâki-ann et le crabe, édité en 2015 à 1000 exemplaires.

« Je l’ai annoncé tout de suite à mes enfants alors âgés de 4 et 7 ans. Je ne voulais pas leur mentir et trouver les bons mots pour ne pas les traumatiser, sans minimiser les choses. », explique Rosanne Ribatto.

Lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein, en 2011, elle a déjà conscience de ce que l’on peut vivre à cause de cette maladie, son amie Anne-Frédérique Coureau l’ayant affronté au précédent.

C’est avec elle que va naitre l’idée du livre Khâki-ann et le crabe (Kaki étant son nom d’artiste peintre et Annette, le surnom de son amie). « Elle m’avait raconté ce qu’elle disait à ses filles. Pendant que je vivais ça, j’ai noté ce que me disaient mes enfants et ce que je ressentais, c’était une sorte d’exutoire. », précise Rosanne.

Elle écrit le livre, dans un premier temps, pour sa famille et son entourage « car des bouquins existaient sur le sujet mais ne correspondaient pas à nos envies », le transmet ensuite à une amie, à Marseille, atteinte également de la maladie, qui elle aussi le diffuse au sein de son réseau. Les retours sont positifs et encourageants, hormis certains avis opposés à l’idée d’en parler aux enfants.

« Je ne dis pas avec ce livre que c’est ce qu’il faut faire. Je dis que c’est ma solution à moi, ce n’est en aucun cas la manière de vivre de tout le monde »
rationalise l’auteure.

Accompagnée de l’artiste roumaine Mihaela Murariu, Rosanne Ribatto se lance dans l’auto-édition de son ouvrage (les bénéfices seront reversé à la recherche contre le cancer), aujourd’hui diffusé dans des écoles, des collèges, des bibliothèques et peut-être, prochainement traduit dans plusieurs langues : « Il est fait pour être lu avec un ou des adulte-s. Il faut savoir que ce n’est pas un livre triste ! »

COMBAT COLLECTIF

À l’image de Boris Vian qui imaginait un nénuphar dans la poitrine de Chloé, dans L’écume des jours, Khâki-ann, elle, doit affronter le crabe logé en son sein. Jalla, son fils aux initiales des enfants de Rosanne et Anne-Frédérique, dessine un monstre en plusieurs parties, à découper après chaque séance de chimiothérapie, et s’invente une chanson autour de cette créature.

« Ce sont des choses que nous avons fait ensemble. Avec mes enfants, mon mari, ma maman, ma grand-mère. Chaque coup de ciseaux était une victoire ! On a aussi fait une soirée perruques pour dédramatiser un peu », se rappelle l’auteure, partisane de la franche rigolade en toute circonstance. La rémission est le résultat d’un combat collectif : « Mon fils dit « On a tué le cancer ». On était une armée ! »

D’où l’importance selon elle d’en parler à ses enfants. Tout comme Magali Lebellegard, membre des Roz’Eskell, qui a toujours souhaité répondre aux interrogations de son fils, 5 ans ½, et sa fille, 9 ans ½ (au moment du cancer) : « J’ai utilisé les vrais mots avec ma fille aînée qui a très vite compris la gravité de la situation : cancer, opération, chimiothérapie en expliquant les effets secondaires, radiothérapie, hormonothérapie. Elle avait besoin de réponses donc j'ai toujours répondu avec des mots simples et en restant toujours très positive. Je n'ai jamais rien anticipé mais je me suis adaptée à leurs inquiétudes. »

Les deux femmes sont unanimes : l’annoncer, oui, mais avec positivisme et espoir ! « À la question « Maman, est-ce que tu vas mourir ? », je répondais que j’allais me battre et que tout le monde allait m’aider à gagner contre le cancer, les docteurs et tous les gens qui m’aiment. », souligne Magali.

LE RISQUE DE LA GÉNÉTIQUE

Elle et Rosanne vont vivre deux cas assez similaires ; leurs filles démontrant plus de craintes vis-à-vis de la maladie que leurs fils, plus jeunes, qui vont eux y trouver des avantages.

« Pour ma fille, ce qui était difficile, c’était la perte des cheveux. De son côté, mon fils me trouvait belle et rigolote chauve. »
confie Rosanne Ribatto.

L’aînée de Magali se rapproche de sa mère, dans une relation fusionnelle, et devient son infirmière personnelle durant les traitements en lui faisant des massages ou en l’aidant à la pose quotidienne du vernis afin d’éviter la chute des ongles.

« Mon fils était content que je sois « en vacances à la maison » et que je l’accompagne tous les jours à l’école. Le fait de me voir jolie (foulard chatoyant et maquillage), rire et continuer à jouer mon rôle de maman lui suffisait. », explique-t-elle. Aujourd’hui encore, ils s’inquiètent d’une potentielle récidive et appréhendent les rendez-vous médicaux de leur mère, qui prend soin de leur en parler le moins possible, excepté lorsqu’ils sont demandeurs de réponses.

Pourtant, leurs filles pourraient être confrontées à l’avenir à un cancer du sein, qui peut être génétique. La problématique est complexe et entraine de nombreuses interrogations, dont certaines suscitent la polémique comme la mastectomie – opération qui consiste en l’enlèvement partiel ou total d’un sein, voire des deux seins - par exemple. Raison pour laquelle le choix de Rosanne Ribatto s’est orienté vers un protagoniste masculin dans son ouvrage.

Face à l’éventualité d’un cancer génétique, les deux femmes se montrent donc plus décontenancées, inquiètes d’un drame qui pourrait survenir à leurs enfants. Magali Lebellegard avoue que cela a même été la question la plus difficile pour elle à affronter : « Sans vouloir lui mentir ni l'apeurer, je lui ai répondu qu'elle serait extrêmement bien suivie (d'autant plus qu'il y a un fort risque génétique). Je ne veux pas qu'elle grandisse avec la peur d'être touchée à son tour. Mais j'y pense souvent... »

Célian Ramis

Les Roz'Eskell déploient leurs ailes à Venise

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Plaine de Baud, Rennes
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Atteintes du cancer du sein, en rémission ou ne traitement, les Roz’Eskell de Rennes rejoindront les centaines d’équipages présents lors la 41e Vogalonga de Venise, le 24 mai. Un défi préparé avec sourire et fierté.
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Dimanche 24 mai, les Roz’Eskell de Rennes rejoindront les centaines d’équipages présents dans la lagune vénitienne à l’occasion de la 41e Vogalonga de Venise. Un défi qu’elles relèvent avec sourire et fierté.

Sur le ponton de la base nautique de la plaine de Baud, deux dragon ladies s’activent à vider l’eau logée dans les bateaux en raison des diverses pluies survenues les jours précédents. Ce vendredi 15 mai, un peu avant 19h, le ciel est dégagé, la végétation verdoyante, et les rayons du soleil scintillent sur la Vilaine. Les membres de l’équipe de dragon boat, les Roz’Eskell (ailes roses en breton), arrivent au compte goutte, prêtes à effectuer l’avant dernier entrainement avant la Vogalonga de Venise, dimanche 24 mai.

À l’échauffement, mené par Sylvie, kiné bénévole pour l’association Cap Ouest, la bonne humeur est le maitre mot. Les participantes – une vingtaine ce soir-là, mais l’équipe regroupe plus de 30 dragon ladies – ont à cœur de s’investir dans leur activité. Elles ont toutes subi un cancer du sein, sont en rémission ou en cours de traitement, et le dragon boat est leur bouffée d’oxygène. « C’est une 2e famille », n’hésite pas à dire Claudine, 54 ans, présente depuis le lancement des Roz’Eskell en septembre 2013.

Chantal, elle, est arrivée il y a un an. Alors âgée de 59 ans, elle vit son 2e cancer, déclaré en 2012. « J’en avais marre de ramer toute seule, je n’en pouvais plus. Ici, on est portées par le groupe, par l’énergie collective », précise-t-elle. Elles ont de 35 à 70 ans, ont des parcours et des profils différents. « Et elles sont malheureusement de plus en plus nombreuses », regrette Papia Prigent, leur coach, qui prend tout de même plaisir à s’engager avec ce groupe survitaminé.

VERS LA RECONSTRUCTION

Toutes ne traversent pas les épreuves de manière identique et toutes ne sont pas confrontées aux mêmes difficultés. Mais elles s’accordent sur l’isolement provoqué par la maladie, la difficulté d’en parler à son entourage, et surtout aux collègues de travail, et sur l’importance de se retrouver et d’effectuer ensemble une activité sportive.

« J’avais honte de n’avoir qu'un sein. Quelle horreur ! Depuis que je suis dans les Roz’Eskell, je suis fière de dire que je suis une dragon lady ! », avoue Claudine, rejointe par Chantal : « Un cancer du sein, c’est lourd. En avoir un 2e, c’est difficile de s’en remettre. Ici, ça nous permet de nous reconstruire. Ça développe une sorte de sororité. On a des affinités particulières avec certaines bien sûr, c’est comme partout. Comme dans une micro société, il y a les grognons, les chieuses, les rigolotes, les renfermées en cas de coup de blues ! Et on s’apprécie toutes ! »

Les témoignages oscillent entre dureté de leur vécu récent, douleur d’avoir perdu une membre de l’équipe l’an dernier et joie de participer à cette expérience libératrice et entrainante. Conscientes des bienfaits psychiques et physiques (au niveau du drainage lymphatique, principalement), elles ont rapidement souhaité collectivement s’investir dans des défis sportifs de grande ampleur comme avec la descente de l’Odet, la Vogavilaine et ce week-end la Vogalonga de Venise.

Des ambitions qu’elles mènent avec force et vivacité, motivées par « l’envie de faire ensemble et de se débrouiller seules », « la volonté d’aller ailleurs ». Une expérience qu’elles qualifient de thérapeutique et humaine. Les entrainements et défis constituent pour elles des bols d’air frais, des instants sans prise de tête, qu’il pleuve, neige, vente ou autre, elles répondent présentes. « On pagaie même si c’est gelé, pas question d’annuler ! », plaisantent Chantal et Claudine, dans les vestiaires.

DYNAMISME ET SOUTIEN

Et pas question de tergiverser ou de perdre du temps, une fois les étirements terminés, elles s’emparent d’une rame chacune et grimpent dans les deux embarcations bleues et roses aux têtes de dragon. Deux par bancs et une à l’arrière pour barrer. Ensemble, elles plongent avec dynamisme les rames dans la Vilaine et quittent rapidement les berges.

Les voilà parties pour 1h30 d’activité, rythmée par les « Yop » de Papia ou les coups de tambour qu’elle marque pour l’entrain et la synchronisation des participantes. Et quand elle ne donne pas le ton, les unes et les autres entament des chansons en chœur ou en canon avec les deux bateaux.

« Allez les filles, on va pas se laisser avoir », scandent-elles pour se donner du courage. Majestueuses, elles filent à vive allure. Objectif en tête : représenter les couleurs des dragons ladies bretonnes à Venise et participer à la manifestation regroupant quelques centaines d’embarcations à rames venues parcourir les plus de 30 km prévus sur la lagune « en un temps raisonnable », confie Papia qui se rend à Venise en camion, avec les bateaux embarqués sur la remorque (financée par les dons, subventions et partenariats prévus à cet effet, les billets d’avion des Roz’Eskell étant à leur charge).

Fière, Annick nous montre ses chaussures beiges customisées pour l’occasion au stylo rose. « J’ai écrit Roz’Eskell ! Ce sont mes ailes ! », nous lance-t-elle, en affichant un sourire enfantin étendu jusqu’aux oreilles. Pour Chantal, « l’image de nos corps a été abimée par la maladie. C’est important de restaurer notre image corporelle. Nous travaillons avec les photographes de Yadlavie ! qui réalisent un livre sur les Roz’Eskell et parfois on se reconnaît pas sur les photos… On se trouve énormes, monstrueuses. Ça compte beaucoup d’être dans ce groupe et de se fixer des objectifs. »

Certaines se sentent dévalorisées, d’autres lasses. Les douleurs quotidiennes, les soins, les traitements, les conséquences de tout cela… elles en témoignent avec émotions mais refusent de passer leurs entrainements à en faire état. « On n’en parle pas, sauf parfois en 3e ou en 4e mi-temps (oui, ça commence dans les vestiaires puis se prolonge sur le parking), rigole Claudine. On n’a pas besoin de tout raconter, on se comprend, on se soutient. »

Célian Ramis

Prenez soin de vos seins

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Mois dédié à la prévention contre le cancer du sein, Octobre rose sensibilise les femmes à l’importance du dépistage. Il ne les exempte pas de s’en préoccuper en dehors de cette période.
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Mois dédié à la prévention contre le cancer du sein, Octobre rose sensibilise les femmes à l’importance du dépistage. Il ne les exempte pas de s’en préoccuper en dehors de cette période.

En Ille-et-Vilaine, 120 000 femmes sont concernées par le dépistage organisé du cancer du sein, c’est-à-dire qu’elles ont entre 50 et 74 ans et ne présentent pas de risques de cancer génétique. Elles bénéficient alors d’un examen clinique et d’une mammographie, 100% pris en charge par la Sécurité sociale, tous les 2 ans. En Bretagne, 65% des femmes participent au dépistage organisé sur 24 mois. « Le taux est important dans la région car nous avons été pilote en 1995, avant que le Plan Cancer ne soit lancé en national », explique Martine Denis, médecin coordinateur pour l’ADECI 35 – association pour le dépistage des cancers en Ille-et-Vilaine.

Les campagnes de dépistage sont parfois controversées : « Certaines anomalies détectées pourraient ne jamais évoluer mais sont traitées comme des tumeurs cancérigènes. La recherche travaille sur ce sujet, pour nous permettre de déterminer s’il est nécessaire d’opérer ou non et ainsi éviter cela à la patiente », précise Martine Denis. Toutefois, détecté à un stade précoce, le taux de survie est important. Selon les statistiques de l’Institut National du Cancer, 9 cas sur 10 sont guéris lorsque la tumeur fait moins d’un centimètre. On reconnaît aussi une baisse de la mortalité dans les 15 dernières années, bien que celle-ci ne soit pas chiffrée précisément.

Que ce soit pour le dépistage ou le diagnostic, la capitale bretonne détient un pôle important dédié à la sénologie. L’institut Rennais du Sein dispose d’une équipe médicale et chirurgicale issue du Centre Eugène Marquis, du CHU de Rennes et de la clinique La Sagesse.

Le dépistage organisé du cancer du sein concerne les femmes âgées de 50 à 74 ans, excepté celles qui présentent des facteurs à risque (antécédents familiaux, gène BRCA1).

Dans cette tranche d’âge, il est conseillé de renouveler le dépistage tous les deux ans. « C’est la périodicité la plus efficace pour diminuer la mortalité par cancer du sein, explique Brigitte De Korvin, radiologue et chef du département d’imagerie médicale – dont la sénologie – au Centre Eugène Marquis. D’autres fréquences ont été testées, en Suède par exemple sur une période de trois ans, mais révèlent trop de « cancers de l’intervalle » entre la deuxième et la troisième année. »

Proposé par le médecin traitant, l’examen – pris en charge à 100% par la Sécurité sociale – est gratuit pour les patientes. Ce dernier est composé d’une consultation clinique et d’une mammographie de dépistage durant laquelle plusieurs clichés sont réalisés au niveau des deux seins : incidence face et incidence oblique, soit la première où le sein est à plat et la deuxième où le sein est incliné à 45°, cette dernière étant la plus adaptée au dépistage.

« On adapte selon la morphologie afin de visualiser toute la glande mammaire. Mais que les femmes se rassurent, ce n’est pas douloureux en général ».
Brigitte De Korvin, radiologue et chef du département d’imagerie médicale.

Les radios – effectuées par environ 40 000 femmes par an en Ille-et-Vilaine dans le cadre du dépistage organisé – sont ensuite soumises à une deuxième lecture et peuvent être complétées immédiatement par d’autres clichés.

DIAGNOSTIC

La mammographie peut également être utilisée pour le diagnostic, « lorsqu’une anomalie (chaque anomalie n’est pas synonyme de tumeur cancérigène, ndlr) est détectée ». Les professionnels bénéficient de plusieurs examens aidant au diagnostic, dont la microbiopsie et la macrobiopsie. Toutes les deux réalisées sous anesthésie locale.

La première permet, à l’aide d’une aiguille, de prélever par « tru cut » (système employé pour des prélèvements multiples) un fragment de tissu dans le nodule repéré au préalable. Une échographie est effectuée au même moment « pour suivre précisément le trajet de l’aiguille ». L’échantillon, placé dans un produit de fixation, est envoyé au laboratoire d’analyse qui détermine si tumeur il y a ou non (qu’elle soit bénigne ou maligne).

La deuxième est souvent requise lorsque l’anomalie découverte n’est pas palpable. « Elle permet de prélever des cellules appelées les calcifications » logées dans le canal de lactation du sein. L’échantillon analysé « sert à définir s’il y a besoin d’opération ou non. En général, il s’agit de cancers intracanalaires et sont non-invasifs », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas traversé la paroi du canal de lactation et ne devraient pas développer des métastases.

La patiente est allongée sur une table et son sein, placé dans un appareil semblable à celui de la mammographie. Une aiguille, assistée par ordinateur – pour une meilleure précision de la localisation des calcifications – permet de prélever ces cellules.

Différents traitements existent aujourd’hui pour lutter contre le cancer du sein : chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, hormonothérapie, anticorps monoclonaux. Dr Cécile Bendavid-Athias, chirurgien, et Dr Claudia Lefeuvre-Plesse, cancérologue et spécialiste de la chimiothérapie, exercent au Centre Eugène Marquis et nous éclairent sur le sujet.

Associés entre eux ou appliqués seuls, ils reposent sur le retrait de la tumeur et sur la suppression de toutes les cellules cancéreuses. Tous sont adaptés aux caractéristiques de la patiente dans le but de guérir et d’éviter toute récidive. Ils sont personnalisés et font l’objet d’une décision collégiale, où une équipe pluridisciplinaire choisit des traitements appropriés pour la patiente. « La taille, les caractéristiques de la lésion (le profil tumoral), la présence d’une atteinte de ganglions et l’âge de la patiente » sont déterminants pour définir le choix et l’ordre des traitements, explique Claudia Lefeuvre-Plesse.

La chirurgie est, dans la majorité des cas, le traitement de base. Elle peut être soit conservatrice lors d’une tumorectomie, soit ablative lors d’une mastectomie totale. Dans le premier cas, seule la tumeur est enlevée et non la totalité du sein. Dans le second, l’intégralité de la glande mammaire, dont l’aréole et le mamelon, est retirée. Selon Cécile Bendavid-Athias, « la majorité des femmes concernée par cette maladie conservent leur seins ». Cela est, en partie, lié « au dépistage et à l’évolution des techniques chirurgicales ».

De la même façon, le prélèvement des ganglions de l’aisselle est limité dès que possible au premier de la chaîne (Technique du Ganglion Sentinelle). Le prélèvement des autres ganglions dépendra de l’atteinte ou non de celui dit sentinelle. Au Centre Eugène Marquis, l’analyse de ce dernier se fait pendant l’intervention grâce à une technique de biologie moléculaire (OSNA). Ainsi, si l’indication se pose, le prélèvement des autres ganglions peut être effectué durant la même intervention ce qui évite aux patientes une seconde chirurgie.

Avant ou après avoir subi ces interventions, d’autres méthodes thérapeutiques sont également proposées aux patientes.

La radiothérapie :

Traitement local avec des appareils émettant des rayons qui a pour objectif  de détruire les cellules cancéreuses éventuellement résiduelles après la chirurgie et de limiter le risque de récidive locale.

La chimiothérapie :

Traitement général, médicamenteux, qui a pour mission d’éliminer les cellules cancéreuses et d’éviter qu’elles ne se multiplient. Appelée adjuvante lorsqu’elle est prescrite après une opération chirurgicale, son but est de détruire une maladie microscopique résiduelle. Elle peut aussi être effectuée 3 à 4 mois avant une intervention pour réduire la taille de la tumeur et envisager une chirurgie conservatrice. On parle alors de chimiothérapie néo-adjuvante.

L’hormonothérapie :

Elle agit sur l’ensemble du corps et vise à empêcher les hormones féminines comme les œstrogènes d’agir sur les cellules cancéreuses. Elle est destinée aux femmes qui ont un cancer hormonosensible, c’est-à-dire dont le développement est influencé par les hormones. Traitement par médicament.

Les anticorps monoclonaux :

Ils sont proposés aux patientes qui possèdent une tumeur qui sur-exprime à la surface de leurs cellules des protéines appelées HER2 et ont pour effet de stimuler la production de cellules cancéreuses. L’anticorps, nommés Trastuzumab, empêche cette action nocive.

Ces traitements s’accompagnent systématiquement d’une prise en charge globale (suivi psychologique, ateliers de groupe, kinésithérapie…) et entraînent, dans la plupart des cas,  des effets secondaires qui varient d’une patiente à une autre.

En dépit de l’efficacité démontrée de ces différents traitements, les scientifiques poursuivent leurs recherches pour les améliorer ou sont en quête de nouvelles méthodes. Actuellement selon Cécile Bendavid-Athias, elles sont tournées vers  « la biologie ou l’analyse moléculaire des cancers, pour mieux cibler les anomalies et personnaliser le traitement ». « Des essais sont également en cours sur la possibilité de réaliser dans certains cas une radiothérapie partielle ciblant uniquement la zone opérée et non plus la totalité du sein », précise la chirurgienne.

Âgée de 30 ans lorsqu’elle détecte une tumeur au sein gauche, Isabelle Rolland a connu la chimiothérapie, le traitement par rayons mais aussi l’ablation des deux seins, il y a deux ans, lorsque la maladie s’est à nouveau déclarée. Dynamique et positive, cette mère de trois enfants revient sur les différentes étapes de son cancer.

Le premier cancer a-t-il été dépisté lors d’un examen gynécologique, puis par la mammographie ?

C’est un peu particulier. Dans mon cas, j’ai effectué ma première mammographie à 29 ans car il s’agit d’un cancer génétique. Je suis donc une personne à risque. Ma mère a eu trois cancers, dont deux du sein – le premier à 33 ans. Elle est décédée à 47 ans. J’ai toujours fait attention, je vais chez la gynécologue tous les ans, j’ai un suivi IRM chaque année et j’ai appris à palper ma poitrine.

Est-ce grâce à ce suivi que la maladie a été dépistée ?

Lors de la mammographie, rien n’a été détecté. Pourtant, j’avais le sein lourd. Quelques mois plus tard, en palpant, j’ai trouvé la tumeur. Elle faisait 5 cm de diamètre. Mais j’ai mis beaucoup de temps avant de la percevoir. D’où, selon moi, l’importance du palpé. Les femmes ne le font pas. J’avais 9 ans lorsque ma mère a eu son premier cancer, ça fait donc parti de moi et le geste est naturel. Pour la suite, je suis allée voir mon médecin généraliste qui m’a prescrit les examens, j’ai fait une échographie et une biopsie.

Est-ce en palpant que vous avez découvert la seconde tumeur ?

Oui, j’ai continué de le faire et, il y a deux ans, j’ai détecté une boule dans chaque sein. J’ai subi une ablation des deux côtés. Comme j’avais 40 ans à ce moment-là, on a aussi décidé d’enlever les ovaires.

Afin de limiter les risques de cancer des ovaires ?

Oui. En fait, lorsque la maladie est génétique, les risques sont plus importants. C’est dû au gène BRCA1. Qui peut aussi toucher les hommes puisque c’est héréditaire. Au niveau de la prostate, mais aussi du sein. Ça, on le sait moins car c’est minime.

Quelles difficultés avez-vous rencontré lors des différentes étapes de la maladie ?

J’avais déjà deux enfants et, avec mon mari, nous en voulions un troisième. À cause du premier cancer, nous avons dû « décaler » mais nous l’avons eu. La vie n’est pas finie après le cancer. L’ablation aussi, puis survient le deuil de la féminité. Je suis actuellement en reconstruction.

Vous parlez de reconstruction psychologique ?

Physique. Je subis 6 opérations – à trois mois d’intervalle à chaque fois pour permettre la vascularisation – pour une autogreffe, à la clinique de la Sagesse. On ne pose pas de prothèse mammaire, on prend de la graisse dans certaines parties du corps. Et pas forcément dans celles qu’on voudrait pour maigrir (rires) ! Cela permet d’obtenir un effet plus naturel. Mais on sait bien que ça ne ressemblera jamais à la perfection à notre vraie poitrine.

Qu’avez-vous ressenti lors de l’annonce de votre cancer ?

Je m’y attendais, je savais que ça pouvait arriver même si j’espérais que non. Après, il y a forcément la peur de la mort, ma mère en étant décédée. Il y a aussi l’angoisse de laisser ses enfants sans leur maman. Ça change une personne malgré tout. Les choses de la vie paraissent plus simples. On relativise plus. Et c’est ça que je veux transmettre aux gens – atteints ou non d’un cancer : soyez heureux, la vie est belle ! Ceux qui se plaignent sont souvent en bonne santé. Faisons confiance à la vie, c’est important. C’est une sacrée épreuve, on a peur mais quand on a la chance de s’en sortir, car c’est une chance, on pense autrement.

Et pour votre entourage ?

Dans ma famille, tout le monde savait pour ma maman. Mais c’est très compliqué. On fait le tri en tout cas. J’ai perdu 50% de mon entourage lors du premier cancer, et encore 50% lors du second. C’est difficile. Souvent, ils ont peur pour eux car cela leur renvoie leur propre angoisse de la mort. Et puis, sous chimio, on change de tête. Je suis quelqu’un de dynamique mais, sans cheveux, sans sourcils, ça faisait peur.

Puis, vous avez guéri. Est-ce un terme que vous utilisez ?

Je sais que cela fait polémique. Parler de guérison ou de rémission… Je préfère « guérir » car il permet d’aller de l’avant selon moi. Si on reste avec l’idée d’une récidive – terme terrifiant aussi – on ne vit pas.

Et pourtant, vous avez eu un second cancer…

Oui, n’ayant pas subi d’ablation la première fois, je savais que le risque était encore présent. Mais le risque 0 n’existe pas. Et même après ablation, on peut avoir un cancer du sein même si maintenant je suis passée de 50% minimum à 5%. On parle du cas Angelina Jolie. Il y a des pour et des contre. Ça dépend de l’âge auquel on le fait. On ne le vit pas de la même manière à 40 ans et à 20 ans. Mais pour ce dernier, je trouve qu’on enlève une partie de la féminité beaucoup trop tôt.

À 40 ans, aussi. Non ?

Evidemment ! C’est aussi la partie sexuelle qu’on nous enlève, et ça on n’en parle pas. Alors parlons-en ! En tant que femme, la poitrine est une zone importante dans ce domaine-là. Et puis, on a envie de remettre des décolletés, ne plus faire attention à ce qu’on porte car on ne peut pas porter de vêtements moulants. Pour parler crument, on ne peut plus avoir les tétons qui pointent quand on en n’a plus. Il y a quand même une perte au niveau de la sexualité.

Des groupes de parole existent-ils pour évoquer ces sujets-là ?

Oui, bien sûr. Je suis suivie au Centre Eugène Marquis et Anne Bridel, de la Ligue contre le cancer 35, organise des ateliers grâce à ERI, un centre d’informations et d’écoute des patientes mis en place par la Ligue. « Et après ? » nous permet de discuter entre nous de tout : douleurs, reconstruction, nourriture, relationnel avec les autres… C’est ouvert à tous mais étrangement il n’y a que des femmes ayant été atteintes de cancers du sein.

La parole au sein de ces groupes est-elle plus libre ?

Il y a une facilité dans la rencontre et dans la discussion, c’est certain. On peut se parler sans se dire que l’autre, en face, ne nous comprend pas. L’expérience commune nous permet de partager cela facilement. En chimio, comme dans les ateliers, je me suis fait des amies. Et nous continuons de nous voir en dehors. Nous avons d’ailleurs créé un comité de patients au Centre Eugène Marquis. Je me sers de ce qui m’est arrivé pour les autres. J’en ai fait une force.

En quoi consiste ce comité ?

Nous avons signé la charte jeudi 19 septembre. Notre rôle est de rassembler les idées des différentes personnes (les patients peuvent envoyer des mails à l’adresse suivante : comitepatients@orange.fr, ndlr). Selon les besoins, les points à améliorer, nous voyons ce qui est possible de faire avec la Direction. Et on les met en place lorsque cela est envisageable. C’est important pour moi de participer à la création et au développement de ce comité. Je suis quelqu’un de positif, qui veut avancer et qui sait profiter de la vie ! Mes enfants aussi me donnent la pêche.

Tout comme vous l’avez été, vos enfants sont-ils sensibilisés à ce sujet ?

Avec mon mari, nous avons expliqué à nos enfants ce qu’était le cancer, lorsque j’étais malade. Nous sommes pour la transparence (dixit son mari lors de l’interview, ndlr). Comme c’est génétique, ils sont au courant. Mais nous ne les embêtons pas avec ça. L’aînée a 17 ans mais ne pourra demander une prise de sang, pour déterminer si elle porte le gène ou non, que lorsqu’elle sera majeure. La loi sur la génétique interdit de le faire avant. Mon fils a 13 ans et la benjamine a 6 ans et demi. Ils ont le temps.

Pourquoi devoir attendre 18 ans ?

Je ne connais pas les raisons, certainement pour s’assurer que l’enfant aura entre les mains tous les tenants et aboutissants de cette décision. Mais je me dis que quand on a un gène qui peut entrainer la mort, le regard des autres changent. Cela peut entrainer de lourdes conséquences. Il faut se préserver. Et puis je suis pour vivre l’instant présent. L’essentiel est de trouver ce qui nous rend heureux. Parfois on a envie de craquer, surtout les premières fois – mammographie, chimio, ablation… – mais on trouve des ressources pour soi, pour son entourage et pour ses enfants ! C’est ça l’important !

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