Célian Ramis

Révéler l'intimité d'un corps déclassé

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Corinne Lepage, dans son spectacle À nos corps politiques
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Dans À nos corps politiques, il est question de genre, de validisme, de lutte des classes, de tabous, d’injonctions mais aussi de résilience, de beauté et de créativité. Un pas de côté pour évacuer la charge des normes et pour célébrer les identités plurielles.
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Comment devient-on une femme ? C’est quoi une femme ? Ça ressemble à quoi une femme dont le handicap est invisible ? Dans la pièce À nos corps politiques, de Corinne Lepage, il est question de genre, de validisme, de lutte des classes, de vieillesse, de tabous, d’injonctions mais aussi de résilience, de beauté et de créativité. Un pas de côté pour évacuer la charge des normes rigides et nombreuses et pour célébrer les identités plurielles.

Allongée au sol, elle lit King Kong Théorie de Virginie Despentes, avant de fredonner L’hymne des femmes. Sur la scène, figurent aussi Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet, L’arbre de Dianed’Alejandra Pizarnik, De chair et de fer – vivre et lutter dans une société validiste de Charlotte Puiseux ou encore Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. « On ne nait pas femme, on le devient. Ce n’est pas une donnée naturelle, c’est le résultat d’une histoire », scande l’autrice d’un des essais féministes les plus marquants du XXe siècle. Cet extrait, qui résonne dans la pièce, c’est le départ d’une longue interrogation pour Corinne Lepage, éducatrice populaire, autrice et comédienne, qui livre ici un spectacle autobiographique militant, sensible et percutant. 

DES CONSTRUCTIONS SOCIALES

Assignée fille à la naissance, son genre est étiqueté dans son prénom. Moquée dès l’enfance pour sa très petite taille, elle est rapidement « recalée, déclassée, rétrogradée ». En réponse, elle développe « un drôle de caractère », assorti d’une « légitimité à l’ouvrir », à encaisser les coups et à les rendre à travers l’humour. Elle a compris le pouvoir des mots mais ceux qu’on ne dit pas, ceux que l’on tait, va pourtant venir se graver et s’inscrire dans son corps. Gamine, elle attend, intriguée, de devenir femme, sans savoir ce que cela implique.

« Une dépossession qui me rendait spectatrice de moi-même », une injonction à se forger et à se construire à travers le regard des autres et en particulier, le regard des hommes ainsi que leurs fantasmes et projections. « J’ai fait de mon mieux mais en hurlant parfois de douleur et d’incompréhension », raconte-t-elle.

Son fil rouge, c’est la construction sociale du genre féminin, les injonctions, aussi paradoxales soient-elles, les tabous, les violences, etc. qui régissent la catégorie Femme dans son aspect le plus réducteur et toxique. Dans sa narration, Corinne Lepage entremêle tout ça avec d’autres oppressions et aborde le validisme et la lutte des classes. Un père ouvrier et syndicaliste et une mère institutrice et adhérente au Parti socialiste. Les discussions animées autour des émissions télévisées politiques. Le licenciement de son père et le changement des corps. Elle voit celui de son père « se courber, les vacances se raréfier et la peur s’installer ». Elle relate la destruction des corps par le capitalisme et le patriarcat. La politique et les décisions prises par les différents gouvernements n’impactent pas les classes sociales et les corps des concerné-es de la même manière. 

RÉCIT D’UN CORPS DÉPOSSÉDÉ

Ainsi, elle veut venger sa classe, ne pas la trahir et la porter en étendard, en utilisant son corps comme arme politique. Son corps à elle qui n’est pas conforme à ce que l’on attend puisqu’il est porteur d’un handicap qui l’empêche de marcher selon la norme des valides et de porter des talons selon la norme des hommes blancs cisgenres hétérosexuels.

« Je suis un corps biologique de sexe féminin à talons plats. J’avais fini par m’en foutre ! »

Le système patriarcal broie les âmes et les corps et chacun-e intègre son rôle et sa place. Corinne grandit et se construit dans l’idée que son rapport à son propre corps ne lui appartient pas. Son image ne dépend pas d’elle, son corps non plus. Alors, elle monte sur la balance, remonte sur la balance, s’obsède de cette balance et s’en rend malade, à vomir son repas, à se vomir soi-même au final : « Maitriser, maigrir, c’est euphorique ! On devient invisible, plus légère ! » Finis les seins, finies les fesses, exit les signaux corporels d’appartenance au genre féminin : « Je ne veux pas être une femme, je ne sais pas être une femme, ni une mère d’ailleurs. Le monde des femmes me fait peur. Et encore plus celui des hommes. »

IMBRICATION DES DOMINATIONS

L’écriture est à la fois percutante et enveloppante. Le récit nous happe et nous tient en haleine. Parce qu’il résonne à certains endroits de nos existences mais aussi parce qu’il délivre des chemins escarpés et des embuches qui nous sont étrangères. C’est la force de ce spectacle. D’une vie quasiment commune de femme face aux difficultés de son genre et de son quotidien réduit au silence et aux souffrances imposées par le patriarcat et le capitalisme, elle met en exergue et en puissance les mécanismes de domination qui s’entrecroisent et s’enlacent inlassablement dans une danse étourdissante et une chorégraphie millimétrée à la violence près. 

Le vertige survient. « Injonctions paradoxales, délégitimation de mon travail, invisibilisation de mon travail, manipulation, chantage à l’emploi, isolement, peur, peur, peur. Burn out. Il leur aura fallu 10 ans pour mettre le feu à mon corps, pour l’évincer, l’éjecter, l’anéantir, le rendre inutile ». C’est le récit d’un corps aliéné, d’un esprit asservi par le temps et par la société qui attend des représentations précises de ce que doit être une femme, de ce que doit être une personne handicapée, de ce à quoi doit ressembler une personne en dépression. Une femme handicapée en dépression. Cette femme « devenue floue à soi-même » qui doit s’adapter aux normes et leurs limites pour entrer dans les cases d’un monde patriarcal et néolibéral et espérer survivre. 

ŒUVRE INTIME ET COLLECTIVE

L’intime est politique et Corinne Lepage le démontre ici dans une mise à nu émancipatrice et empouvoirante. Dans son cheminement autour des dominations et de ses imbrications, l’autrice et comédienne dévoile une identité plurielle, tissée au fil de son histoire et de sa construction. Elle a 48 ans, elle est une femme blanche, cisgenre, hétéra, handicapée, mère célibataire diplômée d’une maitrise de philosophie et vivant en milieu rural et elle se raconte devant nous, consciente que selon ses composantes, elle est privilégiée ou entravée. Elle sort du silence pour rendre l’invisible visible, pour interroger et décortiquer la manière dont on performe le genre au quotidien, pour donner à voir un corps qui vieillit et se libère, malgré le tabou qui entoure la ménopause, des injonctions. 

La beauté opère. Celle des mots de Corinne Lepage, accompagnée de Clémence Aurore en regard extérieur, celle de cette mise en scène à la fois épurée et à la fois riche de tous les symboles et messages qui la composent, celle de cette minutieuse observation et de cette plongée au cœur des rouages du patriarcat et du capitalisme pour mieux s’en détacher et s’en extirper. Intime, le récit vient bousculer l’ordre établi et constitué l’expérience collective des personnes marginalisées, mises au ban d’une société à déconstruire pour un avenir inclusif et sans violences. « Quelle chance de ne pas être ce qu’on attendait d’être ! », s’exclame la protagoniste. Une ode à l’acceptation de soi.

 

  • Proposé par l’association d’éducation populaire Cridev, le spectacle À nos corps politiques était présenté à la MIR le 12 mars dernier, dans le cadre du mois de mars à Rennes.

Célian Ramis

À la recherche du corps (im)parfait !

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Fanny Chériaux revient sur ce qui a marqué et forgé son corps et son esprit, et décortique la construction sociale de la féminité et ce qui se joue dans les interstices de nos inconscients pétris de clichés et de complexes qui en découlent.
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Dans Venise, un corps à soi, Fanny Chériaux – entourée de Thomas Couppey et Sébastien Dalloni - revient sur ce qui a marqué et forgé son corps et son esprit, et décortique avec autodérision, en musique et en danse, la construction sociale de la féminité et ce qui se joue dans les interstices de nos inconscients pétris de clichés et de complexes qui en découlent. Un spectacle présenté au théâtre du Vieux St Etienne le 13 avril, dans le cadre du festival Mythos.

Alors qu’elle chante sur scène une de ses chansons, deux danseurs improvisent une chorégraphie. Elle aime le moment, elle aime l’idée d’y donner une suite, et puis soudain, elle prend conscience qu’elle aussi, elle va devoir danser. De là, nait l’introspection dans laquelle elle nous propose de plonger dans Venise, un corps à soi. Le rapport au corps, le rapport à soi quand celui-ci est mis à mal par les injonctions paradoxales et patriarcales, par les complexes que l’on intègre et développe, par les étapes de vie qui transforment nos enveloppes corporelles en ennemi public n°1. Au lieu d’en faire un allié, on le rejette, on le déteste, on le maltraite. Et pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a bien eu un avant l’obligation à se soumettre au poids de la conformité. Surtout pour une femme en devenir.

ATTENTION : INJONCTIONS !

Pas encore bridée, l’enfant qu’elle est aime sauter. Partout, tout le temps, de toutes les manières. Elle aime se bagarrer aussi. Plus le temps passe, plus elle grandit, plus les injonctions pèsent. La pression sociale, c’est dans le fait de ne pas avoir encore ses règles, c’est dans le fait de ne pas encore avoir de hanches et de lolos, c’est dans le fait de ne pas encore avoir fait l’amour. Et pourtant elle va comprendre assez rapidement que c’est une vraie liberté en tant que fille de ne pas encore avoir les attributs de ce qui nous fait basculer dans la catégorie des femmes. Le physique, le physique, le physique. Le physique avant tout. Être sexy mais pas trop, être mince mais pas trop, ne pas être trop grosse non plus, être accessible et disponible mais sans l’être. Répondre à des canons de beauté sans jamais parvenir à atteindre l’idéal requis, ne pas être celle dont tous les garçons sont amoureux, s’imprégner de la culture populaire qui objectifie les femmes… Fanny Cheriaux remonte dans son enfance, nous raconte son adolescence, les chanteurs des années 80 et 90 qui chantent sur les femmes, les films qui sexualisent les corps féminins, et nous livre ses complexes, ses questionnements et ses blessures. 

EXPLOSER LES BARRIÈRES

Accompagnée de Thomas Couppey et Sébastien Dalloni sur le plateau, qui apportent un effet comique, léger et décalé non négligeable, Fanny Chériaux utilise la chanson et le piano, ses outils d’expression depuis de nombreuses années, mais ne se cache pas derrière pour autant. Elle se dévoile, autant qu’elle module son organe vocal. Elle joue avec beaucoup d’autodérision et de sincérité et au fil de son récit renforce sa confiance en elle et en son corps. Le plaisir et la jouissance découverts sur le tard, la PMA à 44 ans qui étouffe le corps et la santé mentale à coup d’injections et de remarques désobligeantes et jugeantes, un avortement et les litres et les litres de sang qui coulent, le temps perdu à cultiver la haine de sa propre enveloppe charnelle parce que trop ceci ou pas assez cela… elle en aborde tous les aspects en décryptant au prisme de la société ce que devenir une femme signifie quand on n’a pas les codes de la bonne meuf. Et puis, elle s’en affranchit et nous émancipe au passage des regards malveillants, culpabilisants et moralisateurs. Venise, un corps à soi est un spectacle qui fait du bien, qui nous fait rigoler et nous insuffle une dose dynamisante de bonne humeur. Qui nous offre un souffle léger, une respiration, une profonde réflexion sur le sexisme et le poids du patriarcat que l’on fait peser sur nos corps et nos esprits. Les blessures infligées pourraient être évitées si on s’y autorisait. Alors osons être douces, être tendres, à l’aise et non conformes aux attendus d’une féminité unique, réductrice et contraignante. Sur l’idée de Virginia Woolf, offrons-nous un espace de bien-être et de liberté. Un espace dans lequel être soi est permis, accepté et assumé. Le grain de folie de Fanny Chériaux, Thomas Couppey et Sébastien Dalloni nous réveille et nous secoue, agissant en nous comme un catalyseur nécessaire à l’expression de nos individualités. Loin de la binarité du genre qui nous enferme et nous oppresse.

Célian Ramis

Vers la reconstruction du corps et de l'esprit

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Les Marie Rose, c'est un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, accessible à tou-te-s. Depuis, il est devenu un tiers-lieu safe d’accompagnement pluridisciplinaire post-traumatique.
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En août 2019, Marie Disserbo et Marie Charuel fondent les Marie Rose, un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, accessible à tou-te-s. Depuis, il est devenu un tiers-lieu safe d’accompagnement pluridisciplinaire post-traumatique.

« Cette journée-là, j’ai fait 3 tatouages. Les dates de naissance en braille de mes trois enfants sur le poignet, un cœur pour mon conjoint sur le talon et une phrase « nec plane eadem nec plane altera » - « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre » - pour moi sur la colonne vertébrale. » Cette journée-là, Emilie Lebrun, 38 ans, l’a passée au salon des Marie Rose, à Rennes. Parce qu’elle a combattu le cancer du sein et qu’elle a entendu parler de l’association, dont elle a immédiatement apprécié le projet : « J’avais déjà l’idée d’un tatouage avant de les contacter. Leur projet m’a plu. Le fait de pouvoir contribuer financièrement par ce biais à aider d’autres personnes m’a emballée. » Et puis, c’est pour elle une avancée, « une autre étape dans la reconstruction. » Emilie le formule : « Les tatouages m’aident à me réapproprier mon corps après l’épreuve de la maladie. » Une vraie démarche de reconstruction qui fait du bien, conclut-elle.

ENCRER, RESPIRER, PARTICIPER

Point majeur des Marie Rose, c’est bien un lieu d’accueil, d’écoute et d’accompagnement que le duo fondateur propose. Quand Marie Charuel rencontre Marie Disserbo, elles sont toutes les deux à un tournant important de leurs existences. La première est en pleine reconversion professionnelle, avec la volonté forte d’être tatoueuse, et la seconde, est récemment guérie d’un cancer du sein et réfléchit à l’idée d’un lieu non médicalisé. « Je venais de perdre ma mère, décédée de la maladie de Charcot, et j’avais lu un fabuleux article dans Causette sur le tatouage réel. Je voulais du sens ! Devenir tatoueuse pour aider les gens à se reconstruire après la maladie. », souligne Marie Charuel, alias James Blonde. Ainsi, en 2019, elles fondent leur structure d’accompagnement post traumatique, tout d’abord sous la forme d’un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, ouvert à tou-te-s. « Tout le monde peut venir. Que ce soit pour un besoin thérapeutique ou esthétique. Une partie du prix est reversé dans un pot commun, ce qui permet de financer des tatouages pour des personnes qui n’en ont pas les moyens. », ajoute-t-elle.

Au départ près de la gare, les Marie Rose ont recherché un nouveau local et ont déménagé à Cleunay, leur permettant de développer leur projet dans un espace plus grand, afin d’y accueillir un panel d’activités pluridisciplinaires, dédiées à la diffusion d’informations mais pas uniquement : « Il y a un vrai trou dans la raquette dans les parcours de soin. Quand on est guéri-e-s physiquement, ce n’est pas forcément la fin. Psychologiquement, on en est où ? Surtout que les traumatismes sont divers et variés. On souhaite créer un lieu, toujours non médicalisé, qui permette de trouver un max d’infos mais aussi une écoute et un accueil particulier. Avoir un panel de professionnel-le-s, composé d’avocat-e, diététicien-ne, psychologue, sophrologue, sexologue, et des pratiques qui peuvent apporter des réponses à des traumas spécifiques. » A travers le tatouage notamment mais aussi un centre de ressources, « peut-être aussi une friperie solidaire avec des vêtements non genrés et un lieu de vie ouvert à tout le monde encore une fois, dans lequel on pourrait organiser des événements, des conférences, etc. » Il est toujours possible de les soutenir et de les aider via une campagne de financement participatif.

DES PARCOURS MULTIPLES ET PLURIELS

Deuil, maladies, accidents, grossesses extra-utérines, fausses couches, kyste enflammé, handicap dû à un traumatisme crânien non traité dans les temps, violences verbales, transition de genre, cicatrices, volonté de participer au projet… Nombreuses sont les raisons qui amènent les personnes à pousser la porte des Marie Rose. « Le tatouage est un acte qui permet de décider d’être maitre de son corps. Reprendre l’emprise sur son corps, ça revient quasiment à chaque fois dans les discussions. Car pour beaucoup, ils et elles ont subi des drames qui sont vécus comme imposés, puisque la personne n’a pas le contrôle dessus. On parle bien de subir des violences, subir la maladie, subir un accident. », commente la tatoueuse qui dans son quotidien rencontre tous les cas de figure. Pas de parcours type. Que des histoires de vie personnelles portées et ressenties de manière singulière. Qui donnent lieu à des dessins uniques, symbolisant ou non l’expérience de la personne. « Une femme malgache, adoptée à 14 mois, cherche à retrouver ses parents biologiques. Elle est venue pour se faire tatouer l’île de Madagascar. Une femme est venue pour une grossesse extra-utérine, elle a souhaité une étoile dans le bas du dos, au même niveau que l’utérus. Chaque personne est différente et chaque dessin aussi. », signale Marie. Elle le dit : il n’y a pas de règle dans le chemin de la reconstruction qui demeure propre à chacun-e. « Une femme a fait une fausse couche et est venue ici une semaine après. Une autre qui a eu un accident de cheval est venue des années après. Encore une autre est venue deux mois après le décès de son frère. Chacun-e fait son chemin différemment. », précise-t-elle.

UNE ÉTAPE LIBÉRATRICE          

Le tatouage, tel que le pratique James Blonde, peut s’avérer comme une étape importante vers l’apaisement moral, vers la sérénité d’un corps meurtri à un moment donné. Sans oublier le pouvoir d’une écoute bienveillante et non jugeante. Ce dont témoigne Emilie Lebrun : « Le contact avec Marie a été super dès les premiers échanges. Les temps passés en sa compagnie sont un réel plaisir. On se sent libre de poser les questions, de se livrer, on est en confiance. » Avoir le choix. De parler ou pas. D’expliquer leurs motivations ou non. Chacun-e est libre de livrer son récit ou de le garder pour soi. « C’est déjà une grosse étape d’être parvenue à nous contacter. Personnellement, j’estime que c’est bénéfique de parler mais chacun-e l’entend comme il ou elle peut. Nous, on propose une oreille attentive et un espace safe. Chaque personne est libre de parler ou pas. Tout le monde n’a pas envie de cette écoute et on respecte. », confie Marie Charuel. Faire en fonction des besoins. Un terme qui revient régulièrement dans les propos et les échanges. Des besoins qui peuvent être psychologiques et/ou physiques. De reprendre la main sur son corps. De ne plus subir ce qui fait le trauma.

« C’est une forme de catharsis. De résilience. Modifier son corps pour l’enjoliver ou le faire différent de ce qu’il a été. Le corps qui vieillit, le corps qu’on vient marquer… Il s’agit vraiment de la vie du corps ! »

Que l’on vienne pour un tatouage thérapeutique ou esthétique, Marie Charuel y voit là une vraie affirmation de la personne vis-à-vis de son corps : « C’est un acte puissant, de s’encrer le corps pour se le réapproprier ! Dans cette vie qui est la notre, le corps est exposé à tout va et en même temps, il est tabou. C’est hyper politique selon moi de dire « Mon corps m’appartient ! » !!! »

Célian Ramis

Libérer les menstruations !

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En 2023, la précarité menstruelle reste un fléau que subissent toutes les personnes ayant leurs règles, et en particulier celles qui sont en situation de grande vulnérabilité économique.
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En 2023, la précarité menstruelle reste un fléau que subissent toutes les personnes ayant leurs règles, et en particulier celles qui sont en situation de grande vulnérabilité économique. Selon une étude de l’association Dons Solidaires, 1,7 millions de femmes en France n’ont pas les moyens d’acheter les protections périodiques nécessaires. Un chiffre qui ne prend pas en compte les personnes trans et les personnes non binaires menstruées.

On estime à 2 400, en moyenne, le nombre de jours durant lesquels du sang s’écoulera de l’utérus à la vulve, en passant par le vagin, de plus de la moitié de la population. Et pourtant, les personnes menstruées vont apprendre à taire ce phénomène biologique et intégrer la honte assignée à leur condition. Elles rougiront au supermarché, murmureront pour demander un tampon ou une serviette et se les refileront sous le manteau… Quand elles n’auront pas à choisir entre ça et leur alimentation. Entre ça et leur dignité.

« 30% des étudiantes disent qu’elles doivent choisir entre un paquet de pâtes et des protections périodiques. », signale Elise Thiebaut, journaliste et autrice, entre autre, de l’essai Ceci est mon sang. Le 24 mai, elle était présente à la table ronde « Femmes sans abris et règles », organisée à Askoria, à Rennes, par les associations Entourages et Bulles Solidaires.

Au total, 3 femmes sur 10 sont concernées par la précarité menstruelle, indique le dépliant distribué à l’entrée réalisé et illustré par la talentueuse facilitatrice graphique, Zèdegrafik. Elise Thiebaut poursuit,  précisant que les femmes sont également plus précaires puisque majoritairement investies dans les domaines du soin et des services à la personne, les fameux métiers rendus essentiels lors des confinements mais quotidiennement dévalorisés socialement et financièrement, et majoritairement dans des postes en CDD, à temps partiel, etc.

« Le seul fait d’avoir leurs règles est une raison de mal être. Surtout quand la situation sociale est difficile. Plus on est stigmatisées, plus la douleur est forte. , souligne-t-elle. 

FORTE INVISIBILISATION

Autour de la table, Myriam Jolivet et Elina Dumont, toutes deux anciennes SDF (les femmes représentent 40% des personnes sans abris), témoignent de leurs vécus. La première, membre du Comité de la rue, autrice et comédienne de la pièce Résis-tente, décrit dans un poème « l’errance d’un corps qui saigne » et aborde la condition de femme vivant dans la rue :

« Être une femme à la rue, c’est être une proie. On se masculinise, on s’enlaidit, on se déféminise. C’est notre première préoccupation : protéger notre enveloppe corporelle. Cette hyper vigilance, c’est déjà épuisant. »

La seconde, vice-présidente nationale du Comité de la rue, chroniqueuse radio dans l’émission « Les grandes gueules » sur RMC et autrice de Longtemps j’ai habité dehors, dénonce une réalité qu’elle a connu et qui perdure encore aujourd’hui :

« Oui, en 2022, des femmes prennent des journaux, des tissus dans les poubelles, etc. pour en faire des protections périodiques. Depuis 2020, je propose de mettre des distributeurs devant les pharmacies, via un système de jetons. Parce que quand on est à la rue, on n’a pas le même rapport au temps. Dans le système social, il y a des horaires de journée pour les douches, les bagageries, les structures d’accueil, etc. Il faut que ce soit ouvert 24h/24 et 7 j/7. »

Ensemble, elles posent la problématique du manque de formation et de sensibilisation des professionnel-le-s du social à la condition des personnes sexisées et de leurs cycles. Sarah Garcel confirme. Infirmière au sein de l’accueil de jour Le Puzzle, à Rennes, elle le dit : « C’est un sujet socialement tabou. Dans les formations dans le domaine de la santé, on ne parle pas de précarité menstruelle. C’est tabou pour tout le monde. »

D’autant plus quand les femmes cherchent à se rendre invisibles. « On reçoit très peu de femmes. 6% environ. Pour celles qui reviennent – et vraiment, elles sont très peu nombreuses – c’est un sujet qui n’est pas abordé. Souvent, elles s’en tiennent à la question de comment obtenir des protections. », explique-t-elle.

Même discours du côté de Sarah Placé, cheffe de service à l’Asfad, structure d’accueil et d’hébergement pour les femmes ayant subi des violences conjugales et intrafamiliales, à Rennes.

« Je peux témoigner, dans d’autres structures, des douches non estampillées femmes ou hommes ou qui n’ont pas de séparation femmes – hommes. Cela représente un risque pour les femmes. Ça m’est arrivé de voir 5 minutes avant la fermeture une femme qui prenait plein de sopalin pour en faire une serviette… Il faut réussir en mixité à isoler cette personne pour lui demander si elle a besoin de protection. Ce n’est pas simple ! Encore moins quand les femmes ne parlent pas français. On montre alors des images. Oser dire, oser demander, ce n’est pas simple. Il est important que les éducateurs et éducatrices soient à l’affut du moindre signe. Car il est facile de demander une brosse à dents mais pas de demander des tampons et des serviettes… », déclare-t-elle.

Au sein de l’Asfad, une semaine a été organisée autour de la précarité menstruelle. Alors même qu’il s’agit d’un espace dédié aux femmes, il est apparu des carences en la matière : « On pensait que c’était de l’ordre du non sujet car c’était une évidence. La question de l’hygiène est inclue à l’Asfad. Finalement, on s’est dit qu’on en parlait peu et pas précisément. Pendant cette semaine-là, on a parlé que de ça, on a affiché des protections périodiques partout, on a abordé le sujet des protections lavables, etc. On s’est aperçu que plein de femmes ne savaient pas comment marche le cycle menstruel… »

UN IMPENSÉ DE NOS VIES !

Le tabou perdure, profondément ancré dans les mentalités. Briser le silence autour des menstruations. Rompre avec les traditions archaïques d’isolement des personnes réglées. Pour Elise Thiebaut, la situation a évolué depuis qu’elle a publié Ceci est mon sang, en 2017. Mais la gêne et le dégoût qu’elle a perçu chez la plupart des gens, y compris de la part de certaines militantes féministes, et qui l’ont mené à explorer le sujet, se ressentent encore et toujours dans la société actuelle.

« Quand on a nos règles, on s’entend dire « Ça y est, tu es une femme ! ». C’est une arnaque ! Ce qui fait que l’on vous désigne comme femme réduit votre existence à cela et est entouré de honte ! On ne vous dit alors rien à ce sujet. Alors qu’on parle de son transit à table… »
signale la journaliste.

L’ignorance qui persiste face à ce tabou a de grandes conséquences sur la santé physique des personnes ayant un utérus (rapport à la douleur, diagnostic très long voire inexistant des endométrioses, des ovaires polykystiques, etc.) mais aussi sur leur santé mentale en raison du mépris que l’on porte aux menstruations (mauvaise estime de soi, dégoût, assimilation des sautes d’humeur et de l’état d’énervement aux règles, etc.).

« Cela mène à une situation où on a honte d’être ce qu’on est ! », s’insurge Elise Thiebaut qui poursuit : « 17 millions de femmes ont leurs règles en France. Dans les collèges, les lycées, les universités (hormis Rennes et Lyon, ndlr), les restaurants, les cafés, etc. il n’y a pas de protections périodiques ! Alors qu’il y a partout des préservatifs et qu’ils sont gratuits… Et c’est génial mais si on a ses règles, c’est plus compliqué. Dans les camps de migrant-e-s, des kits d’hygiène contiennent des rasoirs, des shampooings, etc. mais pas de protections hygiéniques ! C’est un impensé total de nos vies ! »

Elle revient sur une expérience pas du tout anecdotique lors d’un séjour dans un hôtel qui propose alors des chambres spécialement pour les femmes. Curieuse, elle teste. Résultat : « Le prix était deux fois plus élevé et il n’y avait que 2 protections périodiques. Il ne s’agissait pas pour moi d’avoir des règles hémorragiques ! » Les rires provoqués par ce commentaire sont nerveux et de courte durée. Parce qu’il révèle l’étendue de la problématique induite par une société patriarcale alliée à un système capitaliste. 

LES RAISONS D’UNE INACCESSIBILITÉ FLAGRANTE

Ainsi, la difficulté d’accès aux protections périodiques est pointée. « Trente milliards de dollars, soit 26 milliards d’euros : c’est ce que représente le marché annuel de la protection périodique, soit l’équivalent du PIB de Bahreïn, un archipel pétrolier du sud de l’Arabie saoudite qui va sans doute être ravi de l’apprendre. En France, selon le magazine professionnel de la consommation LSA, le chiffre d’affaires de l’hygiène féminine représentait, en 2014, 433 millions d’euros, dont 170 millions pour les serviettes hygiéniques, 103 millions pour les protège-slips et 49 millions pour les tampons, qui accusent cependant une baisse de 5% », peut-on lire dans Ceci est mon sang.

Et en plus de cela, il aura fallu attendre 2016 pour obtenir, grâce au combat et à la mobilisation du collectif féministe Georgette Sand, la suppression de la « taxe tampon », ramenant la TVA sur les protections périodiques à 5,5% au lieu de 20%. Malgré leur précarité, les personnes menstruées payaient plus cher leurs serviettes et tampons que n’importe quel autre produit essentiel.

D’où parfois le dilemme entre un paquet de pâtes et des protections périodiques. Des protections périodiques dont on ne connaît quasiment pas la composition. Des protections périodiques à propos desquelles l’information est faible et rare.

« Il y a un déficit d’informations et de formations. Il y a un risque de choc toxique quand on change sa protection avec des mains pas propres, quand on garde le tampon trop longtemps, etc. Quand on n’a pas la notion du temps parce qu’on est dans un présent de survie et qu’on oublie de changer son tampon, c’est très problématique ! », insiste Elise Thiebaut.

Ce présent de survie est relaté par Myriam Jolivet : « T’as déjà pas l’esprit en paix alors penser à aller ici et là pour ta dignité, être propre, faire gaffe à l’heure, etc… C’est trop fatiguant ! » Elina Dumont acquiesce et appuie : « Pour les personnes précaires, la serviette, on la retourne. Et on peut rajouter des couches (sous-entendu avec PQ ou sopalin, ndlr). Avec les tampons, non, on ne peut pas. Sachant que certaines femmes préfèrent ne pas mettre de tampons car si un mec te viole, il n’enlève pas le tampon… À la rue ou en grande précarité, faut vraiment être courageuse quand t’es une femme ! »

CASSER LE TABOU

Parler des règles permet d’approfondir de nombreux sujets, comme le signale Sarah Placé : « Cela permet de parler de ce qui se passe sous la ceinture : les douleurs liées aux règles, la précarité, les violences sexuelles, etc. Tout ce qui est hyper dur à dire ! »

Faire sauter le tabou parce qu’il « est chargé de pouvoir », selon Elise Thiebaut, et parler de nos corps, « pour revenir à ce qui est le plus important : l’humain, l’humanité, la question du vivant. » Partager, changer le regard sur l’autre, tendre la main. Et l’oreille. Pour Myriam Jolivet, « on habite tous la même planète, il faut se sentir concerné-e par l’autre. Je retiens toujours cette citation : « Sois toujours du côté de l’opprimé-e et tu ne te tromperas jamais ». Rien ne justifie d’opprimer quelqu’un ! »

L’information, la formation, l’accès aux protections périodiques doivent être des priorités des politiques publiques, qui se reposent trop souvent sur les engagements et volontés des associations et des militant-e-s qui ensemble collectent et distribuent gratuitement serviettes jetables et lavables, tampons, coupes et culottes menstruelles.

« Grâce à Bulles Solidaires, nous avons plus de stocks mais on nous demande peu des protections… », précise Sarah Garcel pointant là le cercle vicieux du tabou maintenu et garanti par un système à la fois patriarcal et capitaliste.

À l’instar de l’Ecosse qui en novembre 2020 a rendu gratuit l’accès aux protections périodiques, le gouvernement français doit se positionner concrètement contre la précarité menstruelle. Parce que non, les règles ne sont pas sales. Parce que non, les personnes qui ont leurs règles ne sont pas sales. Parce que non, notre santé physique et notre santé mentale ne sont pas négociables. 

Célian Ramis

Juste une femme, tout simplement

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Le corps, les normes et les standards oppressifs… Aurélie Budor conjugue l’intime au politique dans la pièce Juste une femme, basée sur son histoire, des textes d’Annie Ernaux et des chansons d’Anne Sylvestre.
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Le corps, les normes et les standards oppressifs… Aurélie Budor conjugue l’intime au politique dans la pièce Juste une femme, basée sur son histoire, des textes d’Annie Ernaux et des chansons d’Anne Sylvestre. Un spectacle – suivi d’une discussion avec la comédienne – le 15 mars à 16h dans les locaux de CRIDEV, à Rennes. 

Dans son dernier livre, Mémoire de fille, Annie Ernaux dévoile son rapport à l’écriture et à l’être littéraire qu’elle a accepté de devenir tout au long de sa carrière d’écrivaine. Lors de son passage à Rennes le 26 mai 2016, à la librairie Le Failler, elle expliquait : « Faire de ce qui m’arrive un objet littéraire, je pense que ça m’a aidé. » (Lire l’article « Annie Ernaux, femme au-delà de son temps - 2 juin 2016 – yeggmag.fr) 

Avec certitude, son expérience partagée dans l’intégralité de son œuvre aura aidé – et continue de le faire - bon nombre de lectrices (et sans doute de lecteurs) à se comprendre, s’extirper du sentiment de culpabilité et s’émanciper. En 2014, en pleine recherche pour sa création théâtrale, une amie conseille à Aurélie Budor la lecture des textes d’Annie Ernaux.

« Ma rencontre avec son écriture et son histoire a été extraordinaire. Je me retrouve dans son histoire et la fracture sociale qu’elle a vécue (fille de commerçants en Normandie, l’autrice est devenue, après des études infructueuses d’institutrice, une femme de lettres, évoluant ainsi dans une sphère sociale différente de celle de ses parents, ndlr). Elle n’avait alors plus le même verbe, plus la même façon de penser. C’est exactement ce que j’ai ressenti dans ma vie, c’est assez fou de se reconnaître comme ça. Elle touche énormément de femmes et n’individualise pas sa situation. », soutient la créatrice de Juste une femme

DE L’INDIVIDUEL AU COLLECTIF, ET VICE VERSA

Aurélie Budor pratique en amateure le théâtre depuis ses 8 ans et a notamment joué à l’ADEC de Rennes avec des professionnel-le-s, comme Camille Kerdellant par exemple. En revenant d’un voyage de 6 mois en Amérique du Sud, elle a co-écrit, avec une amie, et co-créé le spectacle Suerte

Et c’est en parlant avec des ami-e-s qui organisent un festival qu’elle va s’intéresser au thème de la vieillesse et peu à peu établir un lien avec les femmes. Plus précisément avec le corps des femmes. De là découle une envie qui se transforme bientôt en nécessité à aborder la question des normes et des standards qui oppriment la gent féminine.

« J’ai eu besoin de faire un retour entre mon intime et le politique. Mon histoire singulière et intime n’est pas un cas isolé. Il fait parti d’un système social et sociétal qui fait que les femmes sont opprimées. Je questionne alors les standards de beauté mais je questionne aussi le statut de mère. Les mères s’oublient en tant que femmes. Contrairement aux hommes, elles gèrent le travail professionnel, le travail domestique, l’éducation des enfants puis leur accompagnement. », constate Aurélie, désireuse de rendre hommage à sa propre mère. 

Cette agent hospitalière à St Brieuc qui, de son vivant, a vécu les études de sa fille par procuration. La jeune femme poursuit l’introspection : « Je suis issue d’un milieu prolétaire. Je ne suis plus dans ce milieu-là car j’ai eu une instruction et j’ai changé de statut social. De par mon environnement social actuel, il y a des choses que je ne veux pas reproduire, sans pour autant rejeter tout ce que ma mère m’a transmis. Je parle surtout de classe prolétaire car je me base sur mon histoire personnelle et intime. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a moins de femmes soumises dans les autres classes… » 

Parce qu’il lui est difficile au lycée de poursuivre dans une filière générale, elle obtient un bac STT et s’oriente ensuite vers un IUT information-communication – option communication – à Lannion, avant d’effectuer une licence 3 en conception de projet culturel à Metz, intéressée depuis longtemps par le secteur socio-culturel.

S’AFFRANCHIR DU SYSTÈME PATRIARCAL

Juste une femmeinterpelle alors les valeurs traditionnelles et les injonctions de toujours à « être femme ». Vouloir devenir mère, est-ce inné ? Se marier, est-ce la preuve d’un amour entre deux personnes ou une manière de contrôler l’autre ? Pour qui s’apprêtent les femmes pendant des heures dans la salle de bain ? 

Pour elle, la réponse vient des normes et des dictats aliénants imposés par une société hétéronormée. Une société qui fixe les règles d’un jeu dominant/dominée basée sur une injonction à être séduisante et désirable. Objetisée dans les médias et les publicités et insidieusement dans les mentalités et l’espace public.

« Je suis plutôt hétéro. Par conséquent, je cherche à plaire à des hommes. Et les femmes en général doivent être séduisantes pour les hommes. J’ai ressenti beaucoup de souffrance par rapport à mon corps « hors norme ». Maintenant, j’ai du recul, mais c’est ce que je vis dans mon corps en tant que femme. On vit les harcèlements, les viols, les agressions sexuelles, on n’est pas bien dans nos bask’, on met du rouge à lèvres et des décolletés pour attirer l’attention et plaire. On porte des talons ce qui ralenti notre démarche et nous rend plus vulnérables dans la rue. Tout ça, c’est le système patriarcal. », s’exclame Aurélie Budor. 

Elle lie alors son savoir et son vécu, et les transmet dans son spectacle, invoquant également les mots d’Annie Ernaux extraits des livres Une femme et Une femme gelée et ceux de la chanteuse Anne Sylvestre avec les chansons « La vaisselle », « Juste une femme » et « Maman, elle est pas si bien que ça ».

Célian Ramis

Mue, la réappropriation de son corps après un cancer du sein

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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées.
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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire de confiance. Une histoire d’esthétique. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées, à travers l’exposition Mue, présentée du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

« J’ai eu un premier projet avec un chirurgien qui réparait les femmes excisées mais ce projet a été mis en stand by. J’ai rencontré la chirurgienne plasticienne Cécile Méal (spécialisée en chirurgie mammaire, elle exerce entre autre au Centre Eugène Marquis, ndlr) et je lui en avais parlé et elle, de son côté, elle me parlait des femmes qui vivaient mal leur cancer. », explique Anne-Cécile Estève.

De cette rencontre va naitre Mue, une exposition photographique sensible dévoilant les corps des femmes ayant vécu une ablation du sein à cause du cancer. « Toutes le vivent très mal. », précise la photographe. Parce qu’elles subissent, en plus, une difficulté invisible à propos de laquelle elles ne se sentent pas entendues :

« Une fois qu’elles sont guéries médicalement, les gens ne comprennent pas qu’elles ne soient pas guéries psychologiquement. Mais la reconstruction physique est différente de la reconstruction psychique. »

UN NOUVEAU REGARD

Ainsi, 17 femmes ont participé à la proposition artistique qui cherche avant tout à valoriser l’esthétique des corps présentés en noir et blanc. « J’avais vu plusieurs choses sur la thématique et j’avais fait des essais. Je savais déjà que je ne voulais pas imposer le nu. J’ai essayé avec une femme le cadre noir et blanc et ça m’a paru évident que c’était ça qu’il fallait faire. », signale Anne-Cécile Estève. 

Elle poursuit : « Je demande toujours s’il y a quelque chose qui ne leur plait pas chez elle pour être sure de ne pas accentuer leurs complexes et au niveau éclairage, je travaille avec une ou deux lumières studios qui me permettent de jouer sur l’esthétique. Car la question de la beauté doit leur convenir à elles ! »

Elle est parfois la première personne à qui la modèle dévoile son corps depuis l’opération chirurgicale. Il est alors crucial pour la photographe d’établir une relation de confiance, basée sur l’écoute et le non jugement.

« Je leur offre un nouveau regard. Mon regard devient leur miroir. Elles m’en ont parlé de ça : certaines sont incapables de se regarder dans le miroir justement. Les photos leur font du bien. Elles leur permettent d’accepter et de se réapproprier leur corps. »
souligne Anne-Cécile Estève

PETIT À PETIT

Pour cela, Anne-Cécile Estève les contacte dans un premier temps par téléphone. Afin de leur expliquer sa démarche dans les grandes lignes et surtout bien préciser l’importance de leur consentement et de leur engagement : à tout moment, elles peuvent dire stop, à tout moment, elles peuvent quitter le projet.

Une fois le contact établi, une première rencontre est organisée pour entrer davantage dans le vif du sujet, leur donner le temps de raconter leur histoire, d’exprimer leur rapport au corps. Avec attention, la photographe récolte leurs témoignages puis les synthétisent et les soumet à validation, tout comme elle le fera avec les visuels. « C’est important qu’elles consentent pleinement à l’exposition. », précise-t-elle.

La phase de la prise d’images pourra ensuite commencer : « J’aime bien le faire en deux fois parce que ça leur permet de cheminer entre la rencontre et la séance photos, que je fais chez elles. Il y en a une par exemple qui voulait arrêter le lendemain de notre discussion. Après une semaine de réflexion, elle a choisi d’accepter de poursuivre le projet. »

La peur de l’objectif se mêle ici au sentiment de honte ressenti par rapport à l’image qu’elles ont désormais de leur corps, souvent pensé comme hors norme puisqu’invisibilisé dans une société de l’apparence unique.

« C’est bien le problème avec la publicité, les médias, etc. concernant l’image des femmes, c’est qu’il y a un seul modèle de femme et pas 2, 3 ou plus. Une des participantes m’a dit qu’un jour elle avait cherché sur la plage des corps de femmes qui avaient subi une ablation du sein. Elle n’en a pas trouvé… Souvent, elles ont honte, elles se cachent. Certaines parlent même d’une ‘maladie sale’… »

SE FAIRE DU BIEN, PAR LA PHOTOGRAPHIE

Se réconcilier avec son image, son apparence, son corps. La démarche intéresse profondément Anne-Cécile Estève qui réfléchit, avec Cécile Méal, à la création d’une association fondée autour de la photographie thérapeutique.

« Quand j’ai photographié les compagnons bâtisseurs, je me suis rendue compte du bien que ça leur faisait de se trouver bien en photo. C’est un outil un peu différent qui permet d’aider les personnes avec leur image. Pas que les personnes malades. Ça agit sur la confiance en soi et la relation avec les autres. », commente-t-elle.

Vient la réflexion autour de cette image normative, réductrice et culpabilisante des femmes. Parce qu’elle représente l’injonction patriarcale à la minceur – voire à la maigreur – et à la beauté unique (blanche) qui objetise les femmes en les figeant dans une posture de désirabilité et les enferme dans une case. Ce que l’on nomme le « male gaze », le regard masculin et dont les femmes sont également imprégnées puisqu’elles sont elles aussi éduquées dans une société sexiste, raciste, LGBTIphobe, handiphobe et grossophobe.

« Il faut être sacrément bien avec soi-même pour lutter contre ça. J’ai bien conscience qu’en retravaillant mes photos, je gomme les rondeurs, cachent les cicatrices, etc. Mais l’objectif ici n’est pas de montrer la réalité de leurs poitrines ou les marques qu’on peut avoir sur le corps. Mon but, c’est de leur faire du bien. Qu’elles se réapproprient leur corps à travers mes photos. Ensuite, elles cheminent à leur rythme. Dans leurs témoignages, elles le disent : ça les aide à se réconcilier avec leur corps. Il y a même une 18efemme qui m’a contactée parce qu’elle a vraiment envie de participer au projet. Alors, ce ne sera pas pour cette expo mais j’ai vraiment envie de poursuivre. »

Avec Mue, Anne-Cécile Estève leur offre un espace bienveillant dans lequel elles peuvent lâcher prise, oser, s’autoriser à essayer, s’exprimer, arrêter tout, recommencer, etc. Le titre de l’exposition résonne dans cette mise en mouvement opérée entre les femmes photographiées et la photographe : 

« Elles commençaient toujours la prise de photo habillées. Au fur et à mesure, elles se déshabillaient, en cachant leurs seins. Il n’y avait aucune obligation ensuite d’enlever les mains de la poitrine. Pour trouver la bonne posture et être plus à l’aise, je les dirigeais un peu. S’étirer, se cambrer, danser… Je voulais du mouvement ! Mouvement, changement, émotions… ça va avec la mue, ce changement physique et/ou psychologique. J’aime ces mots ! Je crois que j’ai un truc avec le changement ! », rigole Anne-Cécile Estève.

  • Exposition à découvrir du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

 

Célian Ramis (ouverture avec Maryse Berthelot)

Féminismes : Révolution !

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Vivons-nous actuellement une révolution féministe ? Enquête sur les enjeux des féminismes d'aujourd'hui.
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À l’occasion du 8 mars, le célèbre magazine féminin Marie Claire publie un numéro collector. Huit couvertures, réalisées par la photographe Charlotte Abramow – réalisatrice du clip « Balance ton quoi », d’Angèle – et huit femmes, choisies pour représenter « Les visages de l’espoir ».

Avec Leïla Bekhti, Juliette Binoche, Lous and the Yakuza, Grace Ly, Annie Ernaux, Elisa Rojas, Aïssa Maïga et Odile Gautreau, nous sommes loin des 8 femmes de François Ozon. Presque 20 ans plus tard, l’histoire féministe a encore évolué. Désormais, elle s’écrit au pluriel. Il était temps. Petite histoire d’une grande révolution ! 

Aujourd’hui, les femmes comptent. Elles comptent leurs mortes, assassinées par leur compagnon ou ex compagnon. Elles comptent leurs mortes, tuées ou poussées au suicide parce qu’elles sont trans. Elles comptent le nombre de personnes sexisées victimes de harcèlement de rue, harcèlement sexuel, harcèlement moral, d’agression-s sexuelle-s, viol-s, de violences conjugales.

Elles comptent les écarts de salaire. Elles comptent la répartition sexuée des métiers et des fonctions, dans les institutions, les lieux de pouvoir et de décision, dans les lieux de représentation. Elle compte le nombre de personnes noires dans la salle lors de la cérémonie des César (mais ça, en France, on n’aime pas du tout, sauf si c’est une personne blanche ou un homme racisé - et encore - qui le fait). L’heure est à la prise en compte. De tou-te-s. Malgré les résistances, on avance.

Cette révolution, elle est colossale. Parce que oui, il s’agit bien d’une révolution. Pas de suspens. Au début de cette enquête, une interrogation : vivons-nous actuellement une révolution féministe ? Autour de nous, dans les manifestations, sur les réseaux sociaux, les mots associés au féminisme se multiplient et se croisent.

Riposte, vague, révolution… Les termes claquent. Ils sont forts et puissants et ils s’embrasent ainsi alliés à la détermination des militant-e-s, toujours plus nombreux-euses dans leurs actions. Ils interpellent, également.

RIPOSTE ET VAGUES FÉMINISTES

Le 6 juillet 2020, Gérald Darmanin est nommé ministre de l’Intérieur et Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice. Le duo renforce l’affront : le gouvernement nie clairement et explicitement les droits des femmes en nommant grand manitou de la police un homme accusé de viols et garde des sots, un antiféministe notoire.

Quelques jours plus tard, des mobilisations féministes occupent l’espace public pour dénoncer l’hypocrisie du président Macron et de sa (fausse) grande cause du quinquennat. Les militantes brandissent des pancartes, prônant « la riposte féministe », expression largement reprise lors des manifestations autour du 25 novembre, journée internationale de lutte pour l’élimination des violences sexistes et sexuelles à l’encontre des personnes sexisées.

Au-delà du débat que cela génère sur la présomption d’innocence – quid de celle des victimes que l’on positionne d’office en vilaines menteuses ? – on se questionne sur le terme « riposte ». La définition nous indiquant qu’il s’agit d’une action vigoureuse de défense, une réponse instantanée faite à un interlocuteur agressif, son usage dans un tel contexte nous apparaît très à propos.

C’est un volet de l’histoire du féminisme. Une histoire que l’on décompose en « vagues ». Un terme qui provoque un malaise chez Mathilde Larrère, historienne, spécialisée dans les mouvements révolutionnaires du XIXe siècle. Ainsi, en introduction de son ouvrage Rage against the machisme, elle décortique cette notion de vague, partant du postulat que nous en sommes, dans le monde entier, à la troisième avec des mobilisations et manifestations importantes dans le monde pour le droit à l’IVG (Irlande, Argentine, Pologne…) et contre les violences sexistes et sexuelles et leur impunité, avec #NiUnaMenos, repris dans de nombreuses langues. On fait de l’hymne des Chiliennes « Un violador en tu camino » un chant contestataire international. 

« « Troisième vague », donc… La « seconde » étant celle des années 1970, et la « première », celle des Suffragettes de la fin du XIXe siècle. Mais avant ? Il n’y aurait rien ? Pas de vague ? Calme plat ? Toutes ces femmes qui ont lutté pour leurs droits avant la fin du XIXe siècle, on les oublie ? Voilà bien ce qui me gêne dans cette terminologie : l’effacement de décennies de combats et de bataillons de combattantes. », analyse-t-elle.

Elle poursuit un peu plus loin : « L’autre défaut de cette image des vagues est de tendre à associer une vague à une lutte – le droit de vote pour la première, l’IVG pour la seconde, et la bataille du corps et de l’intime pour la troisième. Une lecture qui, déjà, ne laisse pas de place aux combats féministes pour le travail, pour le droit au travail, pour les droits des travailleuses ; lesquels s’inscrivent pleinement sur la longue durée et suivant un calendrier qui leur est propre.

Donc une lecture qui évacue le prisme de la classe et de la lutte des classes, pourtant menée aussi au féminin, et parfois même contre le mouvement ouvrier. Les ouvrières ne sont pas les seules invisibilisées par cette lecture : les femmes racisées, les homosexuelles, peinent aussi à trouver place dans le roman national féministe. Qui plus est, à trop associer une vague à une lutte, on en oublierait que tout au long de l’histoire des luttes des femmes, presque toutes les revendications ont été portées ensemble. (…)

Les luttes se croisent, se répondent et tendent donc la main dans le temps. Finalement, la discontinuité des luttes féministes est plus à chercher dans l’écoute sélective des revendications des femmes, et la mémoire plus sélective encore qu’on en a, que dans le contenu de leurs revendications. »

UNE RÉVOLUTION LENTE ET PROGRESSIVE

Si on schématise rapidement, il y a des moments de fortes mobilisations donnant lieu à des avancées, toujours accompagnées de leur retour de bâton, le fameuxbacklashdont parle Susan Faludi dans son livre éponyme paru au début des années 90, et des moments de creux, durant lesquels on pense le féminisme en sommeil.

C’est alors penser que les personnes oppressées peuvent s’octroyer le loisir de stopper leurs luttes pour leurs droits et leur dignité. Néanmoins, il y a bel et bien des périodes plus fédératrices que d’autres. Ainsi, Mathilde Larrère explique :

« Les vagues ne correspondent finalement pas à des moments où des femmes prennent la parole (ce qu’elles tentent toujours de faire) mais plutôt aux rares moments où l’on daigne les écouter, les entendre – pour assez vite tenter de les faire taire et les renvoyer aux fourneaux. Les femmes profitent souvent des séquences révolutionnaires qui, généralement, permettent à d’autres voix que celles des dominants de s’exprimer. C’est vrai tout au long du XIXe siècle mais aussi après 1968. »

De là nait notre interrogation initiale : qu’est-ce qui caractérise précisément ce mouvement global de luttes ? La révolution ? Pas celle de 1789, non, même si l’historienne la place en point de départ des luttes des femmes, qu’elle différencie des luttes de femmes qui avaient déjà lieu en amont :

« Parce que la Révolution accouche de la citoyenneté, de l’espace public, des libertés publiques, parce que des femmes commencent en tant que femmes, entre femmes, un processus d’organisation, d’association dans leur lutte, et, ce faisant, deviennent un mouvement. »

Une révolution féministe de longue haleine a bel et bien lieu. Avec des hauts et des bas. Avec des victoires et des échecs. Une révolution qui comme le disait la poétesse afro-féministe Pat Parker en 1980 n’est « ni propre, ni jolie, ni rapide ». Lors d’une conférence à Oakland, elle déclarait :

« Je suis féministe révolutionnaire parce que je veux être libre. Et il est absolument crucial que, vous qui êtes ici présentes, vous vous impliquiez dans la révolution en partant du principe que c’est pour vous que vous faites la révolution. »

Cette révolution, elle est culturelle, nous précise Mathilde Larrère, dans le sens où les féminismes influent sur les changements profonds des mentalités. 

Dans nos imaginaires et dans les dictionnaires, l’association révolution et violences opère instantanément. La spécialiste nous indique que c’est là une idée reçue :

« Elle est construite par le discours anti-révolutionnaire justement. La violence n’est pas systématique. Si on prend la révolution des Œillets, ce n’est pas violent. Dans une révolution, il y a renversement d’un ordre établi. Dans les luttes féministes, il s’agit par exemple non pas de renverser l’ordre des sexes mais de l’équilibrer. La violence qui peut survenir émane de l’ordre qui se défend. Si l’ordre se laisse renverser, il n’y a pas de violence. Il faut faire attention : on pense violences et révolution comme un couple alors qu’on n’associe pas colonisation et violences… »

Parfois galvaudé, parfois remis en cause, parfois admis parce que tombé dans le langage commun, il y a des indicateurs auxquels se fier pour pouvoir qualifier un mouvement de révolutionnaire. La masse en est un, l’impression de soulèvement « parce qu’on ne fait pas une révolution à 10. » La fusion est essentielle également :

« Des groupes qui ne sont pas forcément d’accord en général s’allient pour renverser l’ordre. Ça on le retrouve dans les féminismes, le côté polyvoque, à plusieurs voix. Tout comme la nécessité d’une masse interclassiste : dans une révolution, il n’y a jamais que les bourgeois-es ou que les prolétaires… C’est le cas aussi des révolutions féministes. »

Et puis l’objectif de renverser un ordre, en l’occurrence ici l’ordre patriarcal afin d’équilibrer les rapports entre les femmes et les hommes. 

AFFRONTER L’ORDRE PATRIARCAL

C’est un ordre terriblement enraciné. Dans toutes les sphères de la société. Des siècles de domination masculine ont entravé les droits des femmes. Les combats pour rétablir l’équilibre sont nombreux. Ils sont même gigantesques et exigent une volonté et une détermination solides, minutieuses, de tous les instants. Fatiguant. Être sur tous les fronts. Impossible.

Les luttes des femmes s’inscrivent dans une (r)évolution progressive et se heurtent à la fois à l’obscurantisme religieux, à la force du capitalisme – qui aime à faire penser qu’il œuvre pour le confort et l’émancipation des femmes – ainsi qu’aux sceptiques, aux privilégié-e-s qui résistent et aux faux semblants d’un monde qui grâce à son siècle des Lumières, aux progrès scientifiques et à l’industrialisation des territoires se réclame moderne et revendique fièrement « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Voilà, Fraternité. Droits de l’Homme. Patrimoine. Vous l’entendez, là, l’invisibilisation des femmes ? Vous la sentez venir l’uniformisation du langage vers un neutre parfaitement inexistant dans la langue (binaire) française ? On connaît bien la chanson : ces termes englobent autant le masculin que le féminin mais on ajoute une nuance pas du tout anodine : le masculin l’emporte sur le féminin.

C’est ce qu’on nous a appris à l’école. Tout comme le fait que ce sont les hommes qui ont marqué l’Histoire. Des hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, bien placés dans l’échelle sociale. Ainsi, la norme est instaurée. Si vous en êtes exclu-e-s, sortez les rames, vous allez galérer à trouver votre place dans la société !

Engagée en faveur des droits civils et politiques des femmes et l’abolition de l’esclavage, Olympe de Gouges s’offusque de ce processus en 1791 et rédige la désormais célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle s’indigne que les femmes aient été écartées de la rédaction de la Constitution et appelle celles-ci à s’unir et faire corps avec la société.

Ainsi, elle pointe l’isolement de la gent féminine et cela rejoint le propos de Mathilde Larrère : à la suite de la Révolution, les femmes constatant qu’elles ne sont ni écoutées, ni entendues, ni prises en compte, vont s’organiser en non mixité. La bande dessinée Histoire(s) de femmes – 150 ans de lutte pour leur liberté et leurs droits, réalisée par Marta Breen et Jenny Jordahl, prend comme point de départ - sur un plan international - le congrès antiesclavagiste qui a lieu en Angleterre en 1840.

Dans la délégation américaine, des femmes sont présentes, embarrassant fortement les hommes qui les autorisent, grands seigneurs, à assister au rassemblement. Cachées derrière un rideau... Scandalisées par cette injustice, plusieurs femmes rédigent elles aussi une déclaration sur l’égalité des sexes sur le modèle de la déclaration d’indépendance américaine, qui fut présentée à la convention abolitionniste de Seneca Falls, état de New York, en 1848.

« Ce rassemblement est considéré comme l’acte fondateur du mouvement féministe », nous indique la BD qui enchaine la page suivante sur la lutte des femmes contre l’esclavage. 

FAIRE CORPS AVEC (UNE PARTIE DE) LA SOCIÉTÉ

Elles y ont participé, notamment avec Harriet Tubman, qui s’est libérée de sa condition d’esclave et a aidé de nombreux-euses autres à s’enfuir. À la fin de la guerre civile en 1865, les noirs obtiennent le droit de vote. Les femmes, non. Harriet Tubman prend part à la première association américaine pour le droit de vote des femmes, l’ancienne esclave Sojourner Truth prononce un discours dans lequel elle pointe les inégalités entre les droits des hommes et les femmes de couleur, et pourtant ce que l’on retient et que l’on montre de cette période historique outre-Atlantique mais aussi européenne, notamment en Angleterre avec le mouvement des Suffragettes, est entièrement blanche.

Si antiesclavagisme et antisexisme se sont côtoyés dans cette moitié du XIXe siècle, distinction est ensuite faite entre les femmes non blanches, laissées sur le bas côté, et les femmes blanches. Ces dernières accèdent à l’éducation, réduite certes et principalement destinée à les préparer aux assignations de genre et aux métiers manuels précaires, à la pénibilité incontestablement néfaste.

Elles militent pour l’obtention de droits sociaux et l’accès à la citoyenneté, et cela passe par le droit de s’exprimer et donc par le droit de voter. Faiblement écoutées, voire inconsidérées dans leur demande, elles passent à l’action, se forment pour certaines à l’auto-défense, comme le montre notamment la BD Jujitsuffragettes de Clément Xavier et Lisa Lugrin, et prennent les armes.

Explosions, incendies, manifestations, grève de la faim… les militantes finiront, non sans polémique, par se faire entendre et obtenir gain de cause. Victoire marquante. Les dates diffèrent d’un pays à l’autre : en France, c’est 1944. Pour autant, elles sont loin d’être libres puisqu’elles sont encore sous la tutelle des pères, des maris ou des frères.

Mais les travailleuses, et notamment les ouvrières, prennent petit à petit part au mouvement et œuvrent pour des revalorisations salariales et des conditions décentes de travail. En Bretagne, l’histoire régionale est marquée par les mouvements des Penn Sardin, par exemple. Elles ne seront pas les seules.

CHOISIR OU SUBIR ?

Elles ont fourni l’effort de guerre, démontré leurs capacités à gérer de front travail et gestion du foyer, maintenant elles veulent choisir. Dans la deuxième partie du XXe siècle, c’est la sexualité et la maternité qui sont visées. « Un enfant, si je veux, quand je veux ! »

Le slogan retentit dans les années 70. Les femmes veulent maitriser leur contraception. Depuis 1920, la publicité anticonceptionnelle est interdite, tout comme il est interdit aux médecins de divulguer des informations à ce sujet à l’égard de leurs patientes.

En 1942, le gouvernement de Pétain, définit l’avortement comme un crime à l’encontre de l’Etat. Il est passible de la peine de mort. Ce n’est qu’en 1967 que la loi Neuwirth sur la contraception est adoptée mais il faudra attendre encore 5 ans avant qu’elle ne soit remboursée par la Sécurité sociale, ce qui obligatoirement crée des inégalités entre les femmes.

Tout comme la loi Veil de 1975 autorisant l’IVG d’abord pour 5 ans, puis reconduite définitivement en 1979 – et depuis elle est constamment menacée. Il faudra attendre la loi Roudy de 1988 pour que l’avortement soit remboursé par la Sécurité sociale. 

Ce sont là des droits conquis, des droits arrachés. Par des longues luttes acharnées. À la sueur du front. De très nombreuses femmes sont mortes à la suite d’avortements clandestins, d’autres sont mortes condamnées parce qu’elles avaient aidé des consœurs à interrompre leur grossesse, à l’instar de Marie-Louise Giraud, faiseuse d’anges dénoncée par son mari et guillotinée en 1943, incarnée par Isabelle Huppert dans le film Une affaire de femmes, de Claude Chabrol.

Depuis les militantes ne cessent de défendre ce droit, particulièrement menacé aujourd’hui encore et terriblement inégal selon les pays qui décident des conditions dans lesquelles une femme peut y accéder (danger pour la santé ou la vie de la mère, grossesse après un viol, nombre de semaines légales d’aménorrhées…).

Sans parler de la double clause de conscience, spécifiquement inscrite dans la loi d’une part et celle accordée aux médecins d’autre part. Intrinsèque à ce droit, c’est la liberté du corps que les féministes défendent. Le droit de disposer de leur corps comme elles le souhaitent. Le droit de choisir. L’histoire des luttes des femmes ne s’arrête pas là, évidemment.

En parallèle, les combats pour l’émancipation se poursuivent. Pouvoir travailler sans autorisation du mari, posséder un chéquier sans autorisation du mari, obtenir à travail égal un salaire égal… L’autonomie est le maitre mot de cet énorme coup de pied dans la fourmilière.

Le capitalisme l’entend et se fait un plaisir de répondre aux besoins des femmes en leur concevant des appareils électroménagers sur mesure, taillés pour leur confort. Merci Moulinex ! Le leurre est de courte durée mais participe à faire accepter la double journée des femmes, désormais présentées comme des Super Femmes, capables d’entreprendre travail, courses, ménage, éducation des enfants, repas, tout ça en n’oubliant pas de répondre aux injonctions à la beauté parce qu’avec tout ça, il ne s’agirait pas de « se laisser aller »...

Parce que oui, la femme parfaite et unique, est mince, hétéro, cisgenre, blanche, mère accomplie, épouse comblée, travailleuse épanouie et amie fidèle. Ça y est, l’égalité est là, elle est acquise. Celles qui poursuivent le combat sont des hystériques, rabat joie, surement lesbiennes parce que mal baisées. Waw, pause. Interruption des programmes. La réalité proposée est un écran de fumée. Nocive. Réductrice et oppressante. 

UN RÉCIT PARTIEL

A force d’être bercé-e-s à l’ambiance Disney et aux rayons bleus pour les garçons et roses pour les filles, on se serait laissé-e-s berner ? Pas tout le monde. Pas tout le temps. Il existe des périodes durant lesquelles les causes féministes mobilisent moins, voire beaucoup moins. Le terme est carrément diabolisé, rejeté.

Cependant, il y a toujours des militantes pour rompre l’ordre patriarcal. Pour dénoncer les travers capitalistes, sexistes et racistes. Pourtant, des années 70, on ne retient qu’un récit partiel. L’avortement est illégal et on se bat pour le rendre légal. En métropole. Parce qu’au même moment, à La Réunion, des milliers d’avortements et de stérilisations sont pratiqué-e-s par des médecins blancs sans le consentement des femmes, stigmatisées en raison de leur couleur de peau comme l’analyse Françoise Vergès dans Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme.

Et puis, on a oublié les réflexions sur l’hétéronormativité. Dans les années 60-70, l’identité lesbienne devient une identité collective, portée politiquement, signale Mathilde Larrère dans Rage against the machisme :

« On leur doit alors une grande partie de la production théorique et pratique. Les lesbiennes ne s’en sont pas moins retrouvées marginalisées, à l’intérieur du mouvement LGBT, qui reproduisait la domination masculine des gays, et à l’intérieur du mouvement féministe, les obligeant à construire des espaces d’autonomie entre les deux. C’est ainsi que nait, en avril 1971, le mouvement des Gouines rouges autour, notamment, de Marie-Jo Bonnet, Christine Delphy et Monique Wittig. Ce sont elles qui ont permis de comprendre à quel point la domination masculine repose sur l’hétérosexualité obligatoire et sur les contraintes qui pèsent sur le corps et la sexualité des femmes. »

On a aussi sans doute oublié que le célèbre procès survenu dans les années 70 à l’issue duquel le viol deviendra enfin un crime, on le doit à la lutte acharnée d’Anne Tonglet et Araceli Castellano pour que les viols qu’elles ont subi près de Marseille ne soient pas correctionnalisés mais bel et bien jugés devant une cour d’assise. Le couple lesbien sera défendu par l’avocate féministe franco-tunisienne Gisèle Halimi. 

Les chemins semblent séparés, divisés. Impossibles à réconcilier ? Rien n’est moins sûr. Le renouveau déboule et accrochez-vous, ça va souffler fort. Le mouvement ne ronronne pas, il hurle ! S’il y a parfois incompréhension entre les générations, ce sont bel et bien les combats de nos ainées que l’on poursuit.

Malgré les dissensions et les tentatives pour éteindre le feu, le flambeau est passé. Le féminisme est appelé à se renouveler et à ne plus s’écrire et se retenir au singulier. Cette histoire est plurielle, tout autant que les militantes sont plurielles. Les femmes ne sont pas une masse homogène. Et ça, il va falloir en tenir compte.

Parce que des femmes aiment des femmes, parce que des femmes naissent assignées hommes, parce que des personnes ne se reconnaissent pas dans la binarité du genre, parce que des femmes sont handicapées, parce que des femmes sont non blanches, parce que des femmes sont mutilées à la naissance pour être définies comme femmes, parce que des femmes vivent des oppressions multiples, parce que des femmes sont voilées, parce que des femmes ne veulent pas d’enfant, etc.

Refuser les injonctions. Accepter les paradoxes. Écouter les personnes concernées. S’affranchir des normes. Sortir de la domination. Penser d’autres rapports sociaux. S’approprier son corps. Le revendiquer. Voilà les enjeux des féminismes actuels. Un idéal aujourd’hui accessible pour demain parce que les luttes d’hier ont eu lieu. Mais bien souvent, on les oublie, en partie. Et l’histoire des luttes féministes n’est pas enseignée à l’école. Ne ferait-elle pas partie de l’Histoire ?

S’il y a des féminismes, c’est parce que comme le dit Priscilla Zamord, « il n’y a pas un féminisme qui prend en compte toutes les formes d’oppression. » Vice-présidente en charge des Solidarités, de l’Égalité et de la Politique de la ville au sein de Rennes Métropole et conseillère municipale à la ville de Rennes, elle figurait dans le binôme tête de liste des écologistes lors de la campagne électorale en 2020.

Engagée dans l’économie sociale et solidaire, elle a notamment co-fondé l’association d’insertion par la culture La Distillerie, à Fort-de-France en Martinique, et la ressourcerie La Belle Déchette à Rennes. Priscilla Zamord se présente comme bretonne d’outre mer, militante écologiste, anticapitaliste, antiraciste et féministe.

« C’est important de pouvoir se situer. Ces engagements, nourris par mon expérience personnelle et les vécus des femmes, je les rassemble sous la grande bannière de l’écologie politique. J’ai vécu des discriminations en tant que femme métisse perçue comme noire qui se revendique queer. C’est une identité hybride et je n’ai pas envie de choisir mon identité selon le jour de la semaine, ni ma lettre LGBTI… »
explique-t-elle.

Ses propos rejoignent ceux d’Aurélia Décordé Gonzalez, fondatrice et directrice de déCONSTRUIRE, association rennaise d’éducation populaire travaillant sur l’articulation des rapports de domination raciste et sexiste. Elle ne peut pas choisir le lundi d’être noire, le mardi d’être femme, le mercredi directrice, etc.

Elle est un tout et ne peut scinder son identité en fragments. L’absence d’imbrication des luttes, et plus particulièrement l’absence de prise en compte des oppressions au croisement des questions raciales et du genre, c’est ce qu’elle a non seulement ressenti mais surtout constaté en s’investissant dans des associations féministes puis des associations antiracistes.

Ainsi, poursuit Priscilla Zamord : « Il est nécessaire de déconstruire ces oppressions qui sont liées. Tout est lié ! »

TOUT EST LIÉ

Si des mobilisations et événements militant-e-s ont lieu toute l’année, il y a tout de même deux dates qui s’inscrivent depuis longtemps dans le calendrier : le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. La première provient des luttes ouvrières et suffragistes.

Dans ce contexte, Clara Zetkin propose la création d’une journée internationale des femmes, en 1910 lors de la conférence des femmes socialistes. En 1917, la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg ancre le 8 mars comme la date traditionnelle reconnue officiellement par l’ONU en 1977 et instaurée en France en 1982. La seconde provient de l’assassinat - commandité par le dictateur Rafael Trujillo – des militantes politiques dominicaines Patria, Minerva et Maria Teresa Mirabal, le 25 novembre 1960.

Ainsi, la République Dominicaine propose en leur honneur une journée de lutte contre les violences faites aux femmes. En décembre 1999, l’assemblée générale de l’ONU reconnaît officiellement cette date comme la Journée internationale pour l’élimination des violences contre les femmes.

Elles sont emblématiques ces dates et marquent désormais les nombreuses luttes contre les violences sexistes et sexuelles à l’égard des personnes sexisées. Une évolution qui prône l’inclusion des personnes trans, intersexes et non binaires dans le combat global. En quelques décennies, les manifestations organisées par les associations et structures militantes ont vu les rangs se grossir. Drastiquement même ces dernières années.

C’est l’ère des mouvements #MeToo avec en France, la naissance du collectif Nous Toutes et l’appel à la politisation et l’inclusion - lors de la marche du 24 novembre 2018 - de plusieurs autres regroupés sous l’intitulé Nous Aussi, soulignant le caractère collectif de l’oppression patriarcale.

L’IMPACT DE METOO

#MeToo, c’est une explosion. Une déferlante. Les réseaux sociaux éclatent magistralement les murs invisibles qui empêchent les femmes du monde entier de démontrer que certains de leurs vécus sont communs. Là où avant, on pouvait se réfugier derrière une parole isolée et la stigmatiser, on est désormais obligé-e-s de reconnaître l’existence d’une problématique globale. 2017 marque un tournant vertigineux dans la grande histoire des féminismes.

A moins qu’on ait encore négligé une partie de cette histoire… ? Il suffit de taper « mouvement metoo » sur un moteur de recherche pour découvrir qu’il a été lancé 10 ans auparavant. Par Tarana Burke. Travailleuse sociale afro-américaine, elle se définit comme survivante d’une agression sexuelle et crée en 2007 le « Me Too Movement » en soutien aux victimes d’agressions sexuelles dans les quartiers défavorisés.

L’actrice Alyssa Milano, le 15 octobre 2017, soit quelques jours après les révélations édifiantes visant le producteur Harvey Weinstein – condamné en mars 2020 à 23 ans de réclusion pour viols et agressions sexuelles – écrit sur Twitter : « Si vous avez été harcelé-e-s ou agressé-e-s sexuellement, écrivez « me too » en réponse à ce tweet. » Un cataclysme planétaire s’en suit, inondant les réseaux sociaux et l’actualité médiatique.

Des millions de messages, en moins de 24h, témoignent du caractère systémique et genré des violences sexuelles. Le lendemain, Alyssa Milano tweete à nouveau : elle vient de découvrir un précédent mouvement #MeToo et partage alors le combat de Tarana Burke. Pourtant, on retiendra que c’est l’actrice qui en est à l’initiative. Nouvelle invisibilisation des femmes racisées.

Le mouvement poursuit sa route et essuie de nombreuses polémiques. En France, le lancement du #BalanceTonPorc par la journaliste Sandra Muller crée un débat virulent et touche un enjeu central : on tolère que les femmes témoignent des faits subis mais on s’insurge si elles dénoncent publiquement et nommément leurs agresseurs.

Rage et panique se lisent dans les discours de celleux qui argumentent « que cela nuirait à la vie de ceux qui sont visés » par des accusations systématiquement prônées comme mensongères. Servant simplement à assouvir une vengeance personnelle. Un discours que l’on retrouve du côté des forces de l’ordre quand une personne sexisée tente de porter plainte.

Si le hashtag MeToo est davantage usité, car beaucoup plus politiquement correct et sans lien avec les animaux et donc une quelconque volonté spéciste (oui, critique est faite aussi sur cet aspect), les militantes font front. Elles ne lâcheront pas, elles ne lâcheront rien.

On brandit la présomption d’innocence à chaque fois qu’un homme – de pouvoir – est visé ? Elles brandissent la présomption de sincérité des victimes. Elles hurlent leurs colères et combattent d’une main le mythe de la virilité et de l’autre le mythe du prédateur. La masculinité toxique et hégémonique doit être déconstruite en parallèle des réflexions sur la féminité unique, instituées par le patriarcat et le capitalisme.

Rien de vraiment nouveau dans les rangs militants. C’est du côté de l’opinion publique que les choses commencent à bouger. Doucement. Très doucement. Et pourtant, il s’agit là de la grande cause du quinquennat ! Emmanuel Macron s’engage pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

De la réduction du ministère des Droits des Femmes, transformé en secrétariat d’État, à la nomination de Gérald Darmanin comme ministre de l’Intérieur, alors qu’il est accusé et visé par une enquête judiciaire pour viols et harcèlement sexuel, en passant par la volonté de mettre en concurrence le 3919, service dédié à l’aide et l’écoute des victimes de violences sexistes, il ne cesse de prouver ses engagements en la matière…

DÉCONSTRUCTION DES MYTHES ET DU LANGAGE

Heureusement, des actions concrètes sont mises en place et elles sont nombreuses sur le territoire. Fruits d’une course de fond entamée avant le coup d’accélérateur MeToo. Harcèlement de rue, extension de la PMA pour tou-te-s, taxe rose, question de la parité (et du sexisme) en politique, lutte contre les violences…

À chaque fois, les militantes procèdent à un travail de pédagogie, souvent fixé à tort par la population comme une injonction, tentant d’expliquer les causes profondes de ces conséquences. Soit une société patriarcale dans laquelle on grandit tou-te-s en s’imprégnant des stéréotypes et assignations de genre, produits de constructions sociales qui perdurent au fil des générations. On essentialise le féminin et le masculin.

Le premier se rapportant à tout ce qui attrait aux soins, à la douceur et la maternité. Le second à tout ce qui est en lien avec la force, le courage, la réflexion, la stratégie… Bref tout le reste, en somme, excepté le domaine du sensible. En parallèle, travail est fait sur le langage comme vecteur des inégalités : il y a certes la question de la neutralité, et par là même de l’invisibilisation de toutes les personnes qui se genrent au féminin, mais aussi des images véhiculées quand la presse parle de « drames passionnels » ou de « femmes battues ».

Ces images, on les intègre. On réduit les assassinats de centaines de femmes par an en France à une dispute qui aurait mal tourné. On réduit les milliers de femmes par an qui subissent coups et blessures certes mais aussi insultes, crachats, pressions économiques, affectives, intimidations, menaces, agressions sexuelles et/ou viols de la part de leur partenaire.

On répand l’idée que l’espace public, principalement de nuit, est dangereux pour les femmes qui ne devraient pas rentrer seules chez elles car là, tapis dans l’ombre d’une ruelle mal éclairée ou d’un parking délabré, attend un prédateur. Alors que dans plus de 80% d’agressions sexuelles et viols, les victimes connaissent leur agresseur. On exclut les personnes trans du sujet du cycle utérin lorsqu’on le relie uniquement aux femmes et non aux personnes sexisées.  

Les militantes œuvrent donc pour l’emploi de termes précis : menstruations ou règles, protections périodiques plutôt qu’hygiéniques, vulve, vagin, clitoris, féminicides, violences conjugales, harcèlement sexuel, agressions sexuelles, viols plutôt que rapports non désirés, consentement.

Dans les manifestations féministes, on remplace petit à petit certains passages de « L’hymne des femmes » des années 70 - « Nous sommes le continent noir » et « Levons-nous femmes esclaves » - jusqu’à ne plus le chanter du tout. À la place, on préférera entonner en chœur « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! » et danser sur « Un violador en tu camino » du collectif féministe chilien Las Tesis.

On nomme les actes et on nomme les agresseurs présumés ou reconnus coupables. Gérald Darmanin, Luc Besson, Roman Polanski, Gérard Depardieu, Patrick Poivre d’Arvor, Alain Duhamel, Georges Tron, Richard Berry, François Asselineau, Denis Baupin, Dominique Strauss-Kahn, Dominique Boutonnat, Christophe Ruggia, David Hamilton, Gabriel Matzneff et bien d’autres sont visés par des accusations de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles, de viols, d’abus de pouvoir et d’autorité, sur des enfants et/ou sur des adultes.

Ils ont en commun d’être des hommes blancs, de pouvoir, bénéficiant majoritairement d’une impunité totale. On est là bien loin de l’image stéréotypée du prédateur qui dans le mythe décrit l’agresseur type comme étant racisé, pauvre, migrant, peu éduqué, à la dérive, livré à ses pulsions bestiales…

Au gratin, en revanche, on trouvera des excuses et on retournera la culpabilité directement sur la victime. On pourra toujours prétendre à la vénalité de la femme vengeresse ou inventer des formules toutes faites, comme (au hasard) : « Séparer l’homme de l’artiste ». Une bien belle phrase qui nous fait perdre du temps de cerveau pendant que ces Messieurs profitent de leur liberté…

Petit à petit, le mur s’effrite et on déconstruit progressivement les profils type des agresseurs mais aussi des victimes. La mauvaise victime, celle qui avait peut-être bu ou pris de la drogue, celle qui était en mini jupe, celle qui a dragué le mec, a accepté d’aller chez lui puis a dit non, celle qui ne se souvient plus précisément des faits, celle qui poursuit sa vie sans traumatisme apparent, celle qui ne s’est pas débattue face à l’agresseur, celle qui vient porter plainte dix ans plus tard, celle qui ne pleure pas durant sa déposition.

La bonne victime, celle qui a subi un viol dans le parking ou la ruelle sombres, a identifié son agresseur, établi malgré les pleurs en continu une plainte aux forces de l’ordre qui n’ont qu’à cueillir le pauvre mec qui avec un peu de chance est déjà fiché, celle qui ensuite n’arrivera plus à trouver goût à la vie.

Celle qui est blanche, celle qui est cisgenre, celle qui est hétérosexuelle. Celle qui est valide. Alors que selon Mémoire Traumatique et Victimologie, les enfants en situation de handicap ont près de 3 fois plus de risques d’être victimes de violences sexuelles que les enfants dans leur ensemble et que selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 35% des femmes handicapées subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19% des femmes dites valides.

LES HANDIFÉMINISTES DÉBOULONNENT LE VALIDISME

Pourtant, lors de la première marche organisée par Nous Toutes, Céline Extenso scrute les images de la manifestation : la question du handicap et du genre échappe aux revendications. Nous sommes en 2019, l’actrice Adèle Haenel brise le tabou des violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma.

Elle témoigne de son vécu dans Médiapart et accuse le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel. Elle était alors âgée de 12 à 15 ans. Elle fait état de la honte qu’elle a ressenti, puis de la colère qui s’est installée, jusqu’à ce qu’elle rompe le silence comme un acte viscéral.

Si #MeToo peinait au démarrage en France, Adèle Haenel vient de l’ancrer dans l’hexagone et d’ouvrir la voie, grâce à sa voix, à de nombreuses autres femmes qui vont à leur tour dénoncer les violences subies et les agresseurs l’année suivante, à l’instar de la patineuse Sarah Abitol qui un an plus tard sort du silence quant aux violences commises par son entraineur Gilles Beyer, accusé également par Hélène Godard, ou encore de l’actrice Nadège Beausson-Diagne, violée à plusieurs reprises à l’âge de 9 ans par un ami de la famille.

À l’époque, en 2019, les propos d’Adèle Haenel secouent les mentalités et quelques semaines plus tard, le 23 novembre, elles sont des dizaines de milliers à envahir et occuper l’espace public dans une manifestation historique. Toutefois, Céline Extenso constate la sous représentation des femmes handicapées dans la rue, sur les pancartes ou dans les slogans, comme dans la presse.

« C’est un énorme problème puisqu’au contraire, les femmes handicapées sont beaucoup plus victimes de violences que les valides, mais notre absence connaît sans doute plusieurs raisons. Il y a d’abord les freins concrets à la présence des personnes handicapées dans les milieux militants (ce manque d’inclusivité n’est évidemment pas spécifique au féminisme). Le manque d’accessibilité physique des rassemblements, les entraves communicationnelles, la fatigue chronique et le manque de disponibilité générale consécutifs à nos handicaps compliquent énormément notre activité militante. », analyse-t-elle. 

Elle poursuit : « En France, le discours sur le handicap a historiquement été capté par les grosses associations gestionnaires. Elles sont principalement portées par des personnes valides et véhiculent donc de lourds relents validistes, empreints de médicalisation et d’institutionnalisation dans des établissements spécialisés. Après un mouvement handi radical mais trop éphémère dans les années 70 (le Comité de Lutte des Handicapés, auteur entre autres du journal Les handicapés méchants) une voix militante a peiné à se faire entendre. Timidement d’abord dans les années 2000, mais principalement depuis environ 5 ans. Il est évident que l’avènement des réseaux sociaux a été un formidable outil facilitateur pour nous rassembler malgré nos handicaps et leurs contraintes ! »

Et c’est justement sur Twitter qu’elle lance un appel pour rassembler les motivées et ensemble déboulonner le validisme. Un an plus tard, né le collectif handiféministe Les Dévalideuses, reconnu depuis mars 2021 association officielle. Le but : donner de la visibilité aux femmes handicapées dans le féminisme.

« Je suis tétraplégique, myopathe, mais nous tenons à la diversité de notre collectif. Les Dévalideuses vivent tous types de handicap, physiques, sensoriels, cognitifs, psys, maladies chroniques, visibles ou invisibles, de naissance ou acquis sur le tard… Chacun implique une expérience différente, parfois très différente, mais nous faisons front contre un ennemi commun : le validisme. »
explique Céline Extenso.

Le validisme, comme elle nous l’explique précisément, c’est l’oppression que subissent spécifiquement les personnes handicapées et qui repose sur l’idée que leur vie vaut moins que celle des personnes valides, parce que l’on se figure qu’elles possèdent moins de capacités. 

« Le validisme peut pendre la forme d’un rejet franc, mais peut aussi se cacher sous la forme d’un « validisme gentil », entre pitié, héroïsation et infantilisation, qui fait malheureusement tout autant de dégâts. La psychophobie ou la grossophobie sont des formes de validisme. », précise-t-elle.

Dans un communiqué récent, les Dévalideuses soulignent que leur objectif est triple : informer le grand public autour du validisme pour lui faire comprendre de quoi il s’agit mais aussi quels sont les vécus des femmes handicapées, bousculer les institutions pour créer un impact politique concret et durable sur la société et aussi visibiliser les femmes handicapées, valoriser l’histoire de la communauté handie et revendiquer la fierté de cette identité.

Entre féminisme et anti-validisme, les points communs sont clairs et nombreux : « décrédibilisation, infantilisation (le validsplaining vaut bien le mansplaining), contrôle de nos corps, de nos sexualités, injonction ou au contraire pour nous interdiction de procréer, difficulté d’accéder à une indépendance financière, violences sexistes et sexuelles exacerbées pour les femmes handicapées… On se rejoint sur un besoin d’émancipation, d’autonomie, d’auto-détermination, contre une classe qui voudrait nous contrôler. »

Mais aussi dans le syndrome de l’imposteur, note-t-elle plus tard. Construire des ponts avec d’autres luttes, cela apparaît évident : il faut croiser les thématiques du handicap avec le féminisme mais aussi les questions de « racisme, des LGBTIphobies, de la grossophobie, putophobie ou encore du capitalisme. »

Ce dernier évaluant « les êtres selon leur utilité, leur capacité à produire de la richesse, dans une course toujours plus standardisée, où nos spécificités et nos lenteurs ne trouvent pas leur place. Et sur l’autre versant du capitalisme, puisqu’on n’est pas jugés assez rentables, nous ne sommes même pas considérés comme des consommateurs à part entière. » 

Il est urgent de questionner la place des personnes handicapées dans la société tout comme la place des femmes handicapées au sein des luttes féministes. « Ne reléguez plus le validisme en fin de liste… dans le meilleur des cas. », signale Céline Extenso qui appelle les milieux militants à être des alliés « à la hauteur ».

Elle établit deux façons complémentaires de les aider sur le terrain. D’une part, en rendant les lieux de rendez-vous accessibles aux personnes en fauteuil mais en réfléchissant également à des dispositifs pour les personnes ayant des difficultés de communication, de compréhension, de fatigue ou de douleurs diverses.

Et d’autre part, en allant à leur rencontre quand cela ne leur est pas possible de se mobiliser physiquement, en amplifiant leurs voix et leurs actions, comme cela a par exemple été le cas à plusieurs reprises dans les manifestations 25 novembre et 8 mars à Rennes, où leurs témoignages ont pu être enregistrés à distance et diffusés lors de la mobilisation.

« Oui, c’est exigeant, bien sûr ça demande pas mal d’anticipation et de réflexion, mais il est impensable qu’un mouvement se dise inclusif sans penser systématiquement à tout ça, en amont de ses événements publics ou même réunions internes.» 
affirme-t-elle.

RENDRE VISIBLES LES COMBATS

La militante handiféministe le dit : la lutte contre le validisme devient de plus en plus connue dans les milieux militants mais est encore loin d’être bien ancrée dans les mentalités : « Nous n’avons plus le temps d’attendre qu’on nous fasse une place. Les réseaux sociaux nous permettent une meilleure inclusion, mais en même temps, les militants handis sont régulièrement critiqués : militer en ligne serait tout juste du spectacle, pas du « vrai activisme ». »

Et pourtant, aujourd’hui, les réseaux sociaux détiennent un pouvoir faramineux. Aussi dangereux qu’utiles, ils permettent la prise de parole de toutes les personnes n’ayant pas accès aux médias et peuvent transformer cette expression individuelle en mouvement collectif. Ils donnent à voir et à entendre et permettent également de bouleverser les représentations.

De montrer une population bien plus variée et plurielle que celle que l’on réduit trop souvent dans les médias mais aussi les arts et la culture à un noyau d’élite de gens extraordinaires érigés en modèles pas tellement accessibles au commun des mortel-le-s. Non ou trop peu représentatifs de ce qui se joue là, au quotidien, dans les foyers, les entreprises, l’environnement, en somme dans les vies de celles et ceux qui vivent la réalité et avec elle, les inégalités et discriminations. 

« Il y a encore beaucoup de travail pour faire comprendre la nécessité de rendre visibles et légitimes les spécificités des un-e-s et des autres. Il y a des spécificités de la part des minorités qui subissent des discriminations et il y a des mécanismes globaux : on connaît les mécanismes de la stigmatisation, de la marginalisation, des stéréotypes, de l’invisibilisation… Mais on ne peut pas mettre tout le monde dans le pot commun. On ne vit pas tous et toutes la même chose et le combat est spécifique en fonction de sa situation. », analyse la sociologue des médias, Marie-France Malonga.

Les femmes noires ne vivent pas toutes les mêmes sexisme et racisme, en fonction de la carnation de leur peau mais aussi en fonction de leur orientation sexuelle, identité de genre, handicap, tout comme les femmes blanches ne vivent pas le même sexisme entre elles et avec les femmes racisées.

Une femme noire à la peau foncée ne vit pas le même racisme et sexisme qu’une femme perçue comme asiatique. Une femme perçue comme arabe ne vit pas le même racisme et sexisme qu’une femme voilée perçue comme arabe. Le podcast Kiffe ta race, produit et animé par Rokhaya Diallo et Grace Ly en fait état à travers des discussions, questionnements et analyses basé-e-s sur une approche et une histoire intersectionnelles. 

« C’est très très long de changer les représentations médiatiques. C’est plus simple de changer le quantitatif que le qualitatif. », nous dit Marie-France Malonga. Elle a fait sa thèse en Science de l’information et de la communication sur les liens entre public et télévision à travers la question de la place des minorités ethniques – et particulièrement noires – à l’antenne.

Avant cela, lors de son master, elle a été à l’initiative et a dirigé l’étude historique qui a ouvert le Baromètre de la diversité au sein du Conseil Supérieur Audivisuel. Plus de 800 programmes analysés, soit plus de 250 heures de visionnage des propositions diffusées sur TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 durant une semaine du mois d’octobre 1999. Elle constate, sans surprise, une sous représentation nette des populations non blanches.

« Elles sont peu représentées aux postes de premier plan. Ça ne voulait pas dire qu’elles n’existaient pas mais elles étaient marginalisées, invisibilisées. Parmi les minorités, les plus représentées étaient les populations noires, surtout du fait des productions américaines, dans la fiction notamment. On voyait très peu de magrébins, d’arabes, encore moins d’asiatiques ! »
souligne-t-elle.

Même si elle ne plait pas à tout le monde, cette étude, que certains journalistes vont qualifier de profilage raciste, crée une première prise de conscience de la part des chaines publiques mais aussi privées qui commencent alors à modifier leurs cahiers des charges. En 2009, l’étude est systématisée, elle devient un Baromètre de la diversité, aux critères élargis prenant désormais en compte les catégories socioprofessionnelles, le handicap, le sexe, l’âge, l’origine perçue ou encore les territoires (ruraux, urbains, banlieues, etc.).

En janvier 2020, le CSA a lancé l’Observatoire de l’égalité, de l’éducation et de la cohésion sociale en adéquation avec sa volonté de s’intéresser aux questions intersectionnelles, qui jusque là n’étaient pas mesurées. « Ce sont dans les intentions d’amélioration de l’institution mais c’est encore très confidentiel. », précise Marie-France Malonga.

Lier féminisme et questions raciales, c’est une évidence pour la professionnelle : « Les médias ont un rôle à jouer pour sortir les femmes et les minorités de l’essentialisation. C’est très long et complexe de lutter contre les visions stéréotypées dans les médias. Parce qu’il n’y a pas toujours la conscience de ce qu’est un stéréotype. On reproduit certaines choses inconsciemment. Il y a des avancées de la part de l’institution mais ça reste très compliqué. Avec la représentation des femmes issues des minorités non blanches, on est dans une impasse car il n’y a pas de statistiques ethniques. Pas d’outils pour lutter contre les stéréotypes diffusés. »

Et pour que les minorités elles-mêmes puissent proposer des solutions, encore faut-il qu’elles puissent s’exprimer ! Dans des mouvements collectifs, ajoute Marie-France Malonga. Dans le milieu du petit écran, les années 90 et 2000 marquent une époque durant laquelle émerge la parole individuelle des anonymes qui peuvent témoigner dans des émissions type « Ça se discute », « Vie privée vie publique » ou encore « C’est mon choix ».

On entre dans l’intimité des gens et à travers la télévision, cette intimité entre dans les foyers des français-es. Avec l’émergence des réseaux sociaux, cette parole est amplifiée et facilitée dans le processus collectif, la rendant légitime et visible partout dans le monde.

« C’est très intéressant je trouve ce qui se passe dans cette façon de se mobiliser collectivement. Ça va en parallèle avec le mouvement MeToo. On décrie les réseaux sociaux, avec ses dérives de haine en ligne et de déshumanisation de la société, mais en terme de visibilité donnée aux personnes qui n’arrivent pas à avoir des représentations médiatiques, c’est très important. Ils rendent la mobilisation plus grande, plus rapide et connectent des individus qui peuvent se regrouper et se rendre visibles.

On voit aussi émerger des médias alternatifs qui apportent un éclairage particulier sur ces questions d’égalité. Ils cohabitent avec les médias mainstream, ce qui ne veut pas dire que les médias mainstream doivent se dédouaner de ces thématiques. Les deux peuvent cohabiter, ce n’est pas contradictoire. Il y a de la place pour tout le monde et ce qui est important c’est de montrer un autre type de paroles ! », s’enthousiasme la sociologue.

UNE SOCIÉTÉ À DEUX, TROIS, QUATRE VITESSES…

Cantonnées à leur rôle reproducteur et sexuel, les femmes sont rarement présentées comme des expertes. Quand les femmes sont racisées, la société ajoutent sur elles des stéréotypes liées à leur couleur de peau, leurs origines réelles ou supposées et leur sexe.

Les clichés peuvent changer également selon l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le handicap, la classe sociale. Nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer ces oppressions et leurs spécificités. En 2018, par exemple, paraît Noire n’est pas mon métier, un ouvrage collectif initié par l’actrice Aïssa Maïga. Seize professionnelles du cinéma témoignent et analysent les vécus communs et conjoints du sexisme et du racisme.

Ensemble, elles dénoncent le manque de personnes noires dans les films et la représentation stéréotypée qui s’en dégage les rares fois où elles apparaissent à l’écran. Mamas africaines, prostituées ou mères célibataires dépassées, les rôles ne proposent pas de choix, n’offrent pas une palette réaliste, ne cassent pas les stéréotypes, au contraire, ils les renforcent.

« Il y a eu une visibilité assez grande autour de ce livre et de ces artistes qui ont pu exprimer le problème de la représentation des femmes noires. Il y a eu beaucoup de retombées médiatiques, ça a eu un impact mondial (elles marquent les esprits également lors de la montée collective des marches du festival de Cannes, la même année, ndlr) ! Mais quand on voit les réactions face au discours d’Aïssa Maïga à la cérémonie des César, on voit bien que le problème n’est pas réglé du tout. », commente Marie-France Malonga.

Nous sommes le 28 février 2020 et la question des droits des femmes est au centre de la cérémonie à l’issue de laquelle Roman Polanski se verra décerner le prix du meilleur réalisateur et Adèle Haenel, criant « La honte », partira avec Céline Sciamma... Avant cela, dans la salle Pleyel, tout le monde se marre à chaque vanne de Florence Foresti, et tout à coup, tout le monde regarde ses pieds.

Ambiance pesante. Aïssa Maïga est en train de prononcer son discours. Face à la grande famille du cinéma, elle n’hésite pas à partager un geste qu’elle exécute depuis deux décennies : « Compter lors des réunions du métier. » Et c’est sur les doigts d’une main généralement qu’elle compte le nombre de personnes non blanches présentes. Les mots sont puissants et ce soir-là, comme à de nombreuses reprises, l’actrice sait s’en servir pour briser le silence et les tabous.

« On a survécu au whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménages à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hypersexualisées… Et en fait, on voudrait vous dire, on ne va pas laisser le cinéma français tranquille. (…) On est une famille, on se dit tout non ? Vous tous qui n’êtes pas impactés par les questions liées à l’invisibilité, aux stéréotypes ou à la question de la couleur de peau… la bonne nouvelle, c’est que ça ne va pas se faire sans vous. Pensez inclusion. Ce qui se joue dans le cinéma français ne concerne pas que notre milieu hyper privilégié, cela concerne toute la société, n’est-ce pas monsieur qui est sur votre téléphone portable là ? », clame-t-elle.

Un discours d’une telle force, c’est intense et hypnotisant. Galvanisant en même temps. Ce n’est pas une autre parole qui doit être portée, diffusée, entendue. Ce sont toutes les paroles reléguées à la marge - parce que comme elles viennent chatouiller nos privilèges de personnes blanches, cisgenres, hétérosexuelles, valides, elles dérangent - qu’il faut écouter et prendre en compte. Véritablement.

Égaliser la réception des paroles. Pas simplement s’en servir de levier à l’occasion avant de les replacer dans les oubliettes de l’Histoire.

« On ne laissera rien passer ! Fini d’aller au casse-pipe pour être récupérées ! On ne peut pas être juste des défricheuses puis ensuite être mises sur le côté. C’est de la marge que viennent de nombreuses avancées politiques. C’est vrai avec les personnes racisées comme avec le mouvement queer. C’est le même mécanisme. Le mouvement a été récupéré, vidé de son sens avec des étapes ultra violentes de rejet total ! »
s’indigne l’élue écologiste Priscilla Zamord. 

RECONQUÉRIR LA PRISE DE PAROLE

En mars 2019, Arrêt sur images analyse l’opposition féministes universalistes contre féministes intersectionnelles dans un article qui révèle que les premières se sentent lésées dans les médias là où les deuxièmes y sont en vérité moins invitées. Le média amène la preuve scientifique par un comptage, processus qui encore une fois permet de mieux rendre compte de la réalité et de prendre conscience que certaines voix sont souvent laissées en marge du débat public.

Nadiya Lazzouni est journaliste, productrice et fondatrice de Speak up channel, média sur YouTube dans lequel elle pense, crée et développe des contenus et des concepts d’émission comme actuellement « The Nadiya Lazzouni Show » ou prochainement « Droit de cité ».

L’objectif : reconquérir la prise de parole. Elle prend la parole mais aussi, elle la donne. À celles et ceux qui trop souvent sont invisibilisé-e-s. Juriste de formation en droit des affaires, elle a par la suite repris ses études pour travailler dans des ONG en sciences politiques.

« Entre temps, j’ai porté le hijab, ce qui réduit le champ des possibles… En 2012, j’ai 27 ans quand je décide de le porter. C’est l’aboutissement pour moi d’un cheminement et d’une réflexion spirituelle. Je mène mes choix et j’essaye d’aller au bout. Pas question de renoncer à une de mes identités ! Ce n’est pas le voile qui m’a fermé les portes mais les racistes. J’ai galéré à trouver un job. », explique-t-elle.

Elle a des spécificités et pour ces spécificités, elle est discriminée. C’est pour cela que des années plus tard, elle crée son propre média. Même combat pour Priscilla Zamord : « Au fil de l’eau, j’ai trouvé des leviers pour m’émanciper. Très jeune, je me suis rendu compte que ça allait être compliqué au niveau de l’emploi. Comme je suis une machine à projets, j’ai décidé de créer mes activités. »

Enfant, la normande Nadiya Lazzouni réalise qu’au travers de la télévision, elle n’existe pas. Elle n’est pas représentée en tant que française musulmane racisée. Ce qui lui donne le sentiment d’être exclue de la société.

« Pour une ado, c’est hyper compliqué pour construire un être apaisé. Pour être apaisé-e, on a besoin de reconnaissance. Et cette société, elle ne nous montre pas de manière reluisante. Je me suis lancée le défi de reconquérir cet espace dont on est absents sans s’enfermer dans un ghetto intellectuel visant à dire que quand on est musulmanes, on doit parler de ça et pas d’autre chose. Dans « The Nadiya Lazzouni Show », les questions sont beaucoup plus inclusives. Pour inviter tout le monde à s’intéresser aux expertes et aux experts. »

Elle place au cœur de sa pratique journalistique bienveillance, reconnaissance et représentations plurielles :

« C’est important de pouvoir s’identifier physiquement à une femme musulmane, voilée, qui porte un message bienveillant et inclusif. Ça casse l’image de la femme soumise, aliénée, analphabète que l’on fait porter à la femme musulmane. Alors notre présence dérange mais elle a le mérite de déconstruire les idées reçues. On peut alors se rendre compte que les musulmans que l’on dit séparatistes ne s’inscrivent pas dans un mouvement communautariste. C’est un leurre, un mensonge. »

La journaliste dénonce l’hypocrisie d’une société qui prône la singularité des êtres et qui cultive l’idée qu’il est important de se distinguer mais qui ne tolère pas que la masse soit polymorphe. Marie-France Malonga approuve :

« Il y a une forme de diabolisation des mouvements des minorités. On a peur d’individus qui ont des petites armes, beaucoup plus infimes que les armes des dominants. On accuse les minorités de diviser le corps social alors que non. Elles n’ont pas de volonté d’exclusion mais au contraire, elles ont une volonté d’inclusion. Il faut s’organiser, se rassembler, nommer. Comment faire du féminisme si on ne parle pas des femmes ? »

Entre temps, le projet de loi « Séparatisme » se durcit – parce qu’apparemment, c’est toujours possible de faire pire - au Sénat début avril.

Au cœur du texte, l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices de sortie scolaire et les mineures dans l’espace public, ainsi que la volonté de dissoudre les associations « qui interdisent à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion. »

Les réunions en non mixité rassemblant uniquement des hommes sont donc à l’abri. Pareil pour les réunions en non mixité rassemblant uniquement les femmes.

« Au lieu de s’offusquer sur les réunions non mixtes, on devrait s’offusquer de l’absence de diversité et de mélange sur l’ensemble des sphères de la société depuis très longtemps ! Ce serait beaucoup plus intéressant. Même chose avec « la discrimination positive » (je n’aime pas ce terme, je préfère parler d’action positive ou volontariste). On s’en offusque alors que la discrimination négative, non, là, tout va bien ! C’est un déni face à la question des inégalités que vivent certaines citoyennes et certains citoyens de notre société ! », réagit la sociologue des médias.

Ainsi, on nie les spécificités de certains groupes à qui on confisque la parole. Le parallèle est établi avec le féminisme universaliste brandi en France et qui prône une voix universelle – et par là unique - de l’émancipation des femmes à travers le monde entier.

« On ne se reconnaît pas dans ce féminisme, qui est un féminisme occidental et ethnocentré. Il est important de redéfinir le féminisme et établir un rapport égalitaire entre toutes les femmes. Parce que là, la lutte est commune tant qu’on remet en question l’ordre établi du patriarcat mais quand on remet en question les privilèges des personnes blanches, là, on assiste à la reproduction des travers qu’on reproche au système. »
analyse Nadiya Lazzouni.

Elle l’exprime clairement : aujourd’hui, la parole se libère et des réseaux sociaux émergent des voix singulières et différentes. Nait aussi la solidarité entre les féminismes minoritaires : LGBTI, afroféministes, féministes musulmanes, féministes décoloniales. « Pour s’organiser vers un féminisme plus inclusif et bienveillant. », précise-t-elle.

Elle poursuit : « On devient de plus en plus des sujets, on nous invite un peu plus qu’avant, on nous permet d’amener de la nuance. Et c’est important que l’on soit représenté-e-s car la France du quotidien n’a rien à voir avec l’image qu’on nous donne à voir. On est beaucoup à vouloir créer une société plus inclusive mais la télévision a un pouvoir sacré, elle s’impose chez nous. »

Les médias sont pour elle des lieux privilégiés pour changer les mentalités. Elle croit en l’impact de la visibilisation des minorités dans les lieux de reconnaissance. Et elle a raison d’y croire. Le 18 septembre 2020, la ville de Caen a inauguré la rue Nadiya Lazzouni : « Une reconnaissance personnelle et familiale ! Une première en France ! Je ne peux que rester positive ! » 

REDONNER DU POUVOIR

Partir du vécu. En juin 2019, le site Reporterre publie un entretient avec Fatima Ouassak. Elle est politologue, co-fondatrice de Front de mères, premier syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires, présidente du réseau Classe/Genre/Race et autrice du livre La puissance des mères.

Elle explique : « Je ne lutte jamais sur des questions idéologiques en fait. Par exemple, je n’ai jamais milité sur la Palestine, même si je suis profondément pro-palestinienne. Il faut que cela parte d’un vécu. »

Elle défend depuis longtemps la lutte locale, notamment au sein des quartiers. Elle découvre, à travers sa fille, qu’un-e enfant de deux ans et demi peut subir du racisme. Elle co-écrit avec Diaratou Kebe le texte « l’école, c’est la guerre ». Elle raconte alors à Reporterre :

« Il est très très dur, très antiraciste. Politiquement, le texte se tient. Mais après quand on conduit sa fille à l’école, on se retrouve face aux enseignantes qu’on a démontées dans le texte. Stratégiquement, on ne peut pas faire cela, cela ne mène à rien sinon à pourrir sa vie quotidienne. Par ailleurs, tenir un discours politique localement est plus compliqué pour les habitants des quartiers populaires.

Dans une ville comme Bagnolet, qui ne compte que 30 000 habitants, une grande partie de la population est ce que l’on appelle « municipalisée » : il y a toujours dans la famille ou parmi les amis quelqu’un qui travaille à la mairie ou qui a une demande de logement social en cours. Quand vous voulez mobiliser les gens des quartiers populaires, c’est difficile, non pas parce qu’ils ne sont pas courageux mais parce qu’ils se disent que s’ils vont trop loin, leur mère, leur frère ou leur sœur va perdre son boulot, que la demande de logement ne va pas aboutir. Cela limite largement la politisation du discours. » 

Partir du vécu. Elle l’applique dans le syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires qu’elle a créé, Front de mères. Elle se positionne en tant que mère :

« J’ai eu cette impression d’avoir été dépossédée de l’accouchement, de mon rôle de mère en fait. Le mouvement féministe a tendance – ce que je comprends – à dire qu’il faut arrêter de renvoyer systématiquement les femmes à leur rôle de reproductrices. Mais est-ce que cela ne nous a pas dépossédées du pouvoir que l’on a sur l’éducation et la reproduction ? Le Front de mères sert à voir comment on se réapproprie notre pouvoir de mère, pas en tant que mère au foyer mais en tant que mère comme sujet politique qui gère l’éducation, la transmission, la parole publique. Réinvestir cette question peut révolutionner l’ensemble des questions politiques. »

Elle est une militante inspirante pour de nombreuses personnes, dont Priscilla Zamord qui adhère non seulement à l’idée d’alliances dans les luttes comme celle d’Assa Traoré et d’Alternatiba mais aussi au syndicat Front de mères.

« La politisation des mères dans les quartiers prioritaires est un mouvement impensé, voire malmené dans les questions de féminismes et de politique. On voit « les mamans des cités » comme bonnes à faire des gâteaux mais pas à débattre. Là, il y a un espace safe où on peut être soi. Sans compartimenter son identité.

Les femmes sont un vrai sujet politique, que ce soit dans les questions de parentalité heureuse, dans l’égalité des traitements, les questions de violences sexuelles sur les adultes comme sur les enfants et sur l’histoire et la transmission. L’expérience de la marge doit être prise en compte. Je me souviens quand j’étais enfant, j’allais aux Antilles l’été et cette expérience de la mobilité n’a jamais été valorisée dans ma scolarité. », souligne l’élue pour qui il est nécessaire de regarder la vérité en face dans le cadre de la lutte contre les discriminations.

Cela passe, en local, par l’Observatoire métropolitain de lutte contre les discriminations mais aussi l’élaboration d’un vrai plan sur l’égalité femmes-hommes, à l’instar de celui qui est mis en place déjà sur la ville de Rennes, pour embarquer les 43 communes de Rennes Métropole dans ce combat. 

Partir du vécu. Pour faire jaillir des sujets et des enjeux parfois oubliés ou négligés par les militant-e-s. Autre exemple de politisation de la maternité : le compte instagram Matergouinité, lancé par Elsa et Lisa, deux femmes lesbiennes en colocation à Bagnolet, visant à mettre en valeur des maternités, comme l’homoparentalité, la monoparentalité ou la transparentalité, trop peu visibles dans les médias.

L’objectif : déconstruire le regard marginalisé que l’on se figure à ce sujet. Rendre visibles ces familles et les rendre légitimes. Parce que leur invisibilisation crée des stéréotypes et du tabou avec lesquels il est pourtant urgent de rompre, l’extension de la PMA pour tou-te-s se heurtant trop souvent à des idéologies conservatrices et dangereuses.

Régulièrement, à Rennes, les militant-e-s féministes et LGBTIQ+ sont invité-e-s à contre-manifester contre les mobilisations revendiquant encore et toujours « Un papa, une maman, un enfant »… On remet en question la capacité des femmes lesbiennes, célibataires et des personnes trans à investir la fonction parentale et dénie complètement leur droit au choix de fonder ou non une famille.

On met un mouchoir sur le sujet tout comme sur toutes les questions également d’accompagnement et de reconnaissance de toutes les personnes ayant des difficultés à concevoir, ayant vécu fausse-s couche-s ou perte-s d’un enfant à la naissance, post partum, etc.

LES HOMMES NE SONT PAS LA NORME

Alice Coffin est journaliste, activiste féministe et LGBTIQ+, co-fondatrice de la Conférence lesbienne* européenne (* : pour les femmes qui aiment au moins les femmes, inclusif de la transidentité, de la non binarité et de la bisexualité), co-fondatrice de l’Association des Journalistes LGBT, élue écologiste au conseil de Paris et autrice de l’ouvrage Le génie lesbien. Elle y explique qu’elle est parfois invitée sur les plateaux télé des chaines d’info en continu :

« Pour parler féminisme. Ou de la PMA. Ce sont rarement des sollicitations directes. Souvent, c’est une copine féministe hétéro, initialement conviée, qui fait savoir à la chaine qu’il serait préférable, pour aborder un sujet concernant les lesbiennes, de faire appel à une lesbienne. Il m’est arrivé de patienter dans une loge, avant d’entrer en studio, en compagnie de plusieurs hommes. Je suis alors dans cette pièce la seule femme, la seule lesbienne, la seule à plancher, jour après jour, depuis des années, sur la PMA. Je suis aussi, pendant ce temps d’attente, la seule à bosser, à réviser mes chiffres, à préparer des notes. Certains, parmi les hommes invités, n’y connaissent rien mais cela ne les affole pas. Ils devisent, balancent une idiotie sexiste. »

Plusieurs pages plus tard, elle explique qu’elle a à plusieurs reprises été bâillonnée en tant que journaliste féministe et lesbienne. Alors qu’elle travaille pour 20 Minutes, elle doit faire un article sur la manière dont vivent et travaillent les journalistes depuis le 7 janvier 2015. Elle interviewe des reporters de BFMTV, de L’Express, de France 4, de France 3 Picardie, de La voix du nord, de La Provenceet Isabelle Germain, la rédactrice en chef des Nouvelles News, site d’info féministe.

Celle-ci souligne à juste titre qu’après les attentats survenus à la rédaction de Charlie Hebdo, les hommes étaient encore plus nombreux à être invités sur les plateaux télé. « La solliciter m’avait été reproché par ma hiérarchie. Elle y percevait un signe de mon « militantisme féministe et pro-LGBT ». Attester qu’en temps d’attentats ou de coronavirus les hommes saturent l’espace médiatique relève pourtant de l’information. », écrit-elle.

Tout comme Nadiya Lazzouni en a témoigné, Alice Coffin a elle aussi subi le manque de représentation, la coupant d’une partie de son identité. « Je suis passée à côté de dix ans de ma vie parce que je n’avais pas d’exemples de lesbiennes auxquels m’identifier. À cause de ceux qui confinent l’homosexualité à la sphère privée. Un quart des ados LGBT a déjà fait une tentative de suicide. L’absence de personnalités out en France a un lien direct avec l’écho donné à la haine de la Manif pour tous, le suicide des adolescents LGBT, le report systématique du vote de la PMA, les discriminations qui visent l’ensemble des minorités françaises et pas juste les homosexuels. « Familiarity breeds acceptance », disent les Américains. La familiarité engendre l’acceptation. Quand des politiques ont pour collègue un député gay, quand des journalistes ont pour consœur une reporter lesbienne, quand des sportifs ont un coéquipier homo, ils, elles hésitent avant de balancer une insulte homophobe. », analyse la journaliste.

Aujourd’hui, la question des représentations est essentielle. Et ça, les productions télévisées l’ont (plutôt) bien compris, proposant des contenus qui valorisent la pluralité et la complexité de chaque identité et qui tendent à distribuer les paroles restées jusque là sous les radars, à l’instar par exemple de francetv.slash, alors qu’elles soulignent et symbolisent les préoccupations et les enjeux actuels.

Pas uniquement de la nouvelle génération, même si forcément le renouveau militant impacte davantage la jeunesse. Qui s’en saisit comme le signalent Mathilde Larrère et Marie-France Malonga qui voient leur cours sur leur matière au prisme du genre se remplir au fil des années, surtout depuis MeToo. Toutes les deux le disent, le féminisme est de moins en moins perçu comme un gros mot, au contraire, aujourd’hui, il devient revendiqué par de nombreuses personnes.

Toutefois, la sociologue des médias le rappelle : « Militer ne doit pas être une injonction ! » À chacun-e son féminisme. Tout comme la femme guerrière et combattive ne doit pas être une injonction. À chacun-e ses forces et ses failles. Ne pas tomber dans une autre image unique. Il n’y a pas non plus de profil type de la militante féministe. Ça n’existe pas.

LES LIEUX DE POUVOIR ET DE DÉCISION, ENCORE DES BASTIONS MASCULINS

Du côté des pouvoirs politiques, ça rame encore cependant. Parce que la politique ainsi que le reste des lieux de pouvoir sont toujours pensé-e-s comme étant des mondes d’hommes, blancs, hétéros, cisgenres. Souvenons-nous la Une du Parisienlors du premier confinement, s’interrogeant sur le monde d’après, avec en photo 4 hommes blancs et vieux.

Ce n’est pas le seul exemple, malheureusement. Et ça, Alice Coffin en parle merveilleusement bien. Au début de son livre Le génie lesbien, elle raconte :

« « À poil ! » Ils sont députés, directeurs de théâtre ou de journal, ministres, grands intellectuels, grands artistes, grands savants, chefs d’entreprise, présidents de fédération. « Salopes ! » Dans les augustes salles de l’Assemblée nationale, du palais Brongniart, de la Maison de la Chimie, sous la coupole des Académies, ils déambulent, se tapent dans le dos, « Salut mon vieux, ça va mon vieux ? ». « Connasses ! » Les imprécations qu’ils lancent lorsque nous interrompons leurs tables rondes, leurs conférences, les racontent. « On veut voir vos seins ! » Ils hurlent, ils éructent. Ils sont furieux, hors d’eux. Ils ne sont plus entre eux. »

Cela fait maintenant 11 ans qu’elle a rejoint le collectif La Barbe, un groupe d’activistes déboulant dans les lieux de pouvoir où les hommes se réunissent en non-mixité, sans que personne n’y voit aucun mal, sans que personne ne hurle au communautarisme.

« Pendant nos interventions, nous posons, face au public, comme les hommes politiques des débuts de la IIIe République. Le regard fier, la barbe frémissante, avec, à la main, des écriteaux ornés des mots « Splendide », « Épatant » ou « Merveilleux », et un tract de félicitations dont le titre, très ironique, varie selon les circonstances. « Les substantifiques mâles » pour congratuler ces messieurs de la gastronomie, « Je veux que l’on soit homme », emprunté au Misanthrope, pour célébrer les quatorze auteurs et quatorze metteurs en scène au programme du théâtre de l’Odéon, « Citizen Ken » pour encenser les dirigeants de la presse quotidienne régionale. », poursuit la militante qui témoigne également des brutalités dont elles font parfois l’objet lors de leurs actions.

Malgré des avancées, les personnes sexisées ne sont pas encore prises en considération dans leur entièreté. Oui, la nomination de Kamala Harris en tant que vice-présidente des Etats-Unis est une heureuse nouvelle. Tout comme la réélection de Jacinda Ardem au poste de Première ministre de la Nouvelle-Zélande. Pareil pour Rose Christiane Ossouka au Gabon (premier mandat) et bien d’autres, à l’instar des pays nordiques par exemple. Ce sont là des exemples démontrant qu’elles peuvent accéder aux sphères de décision. Mais pour l’instant, elles restent minoritaires. 

TEMPÊTE DE MACHOS

En 1981, Yvette Roudy devient la première ministre des Droits des Femmes. On lui doit entre autre le remboursement de l’IVG et des lois concernant l’égalité professionnelle. Dans son livre Lutter toujours, elle explique « qu’un ciel de machos lui est tombé sur la tête ».

Elle se souvient : « Sans doute, dans l’ivresse heureuse des débuts de mon mandat, ai-je oublié un moment la puissance du machisme que nous affrontions. Une nouvelle loi, mon dernier grand chantier, allait pourtant me le rappeler. Et faire basculer notre ministère dans la partie la plus sombre de son histoire. (…)

La loi antisexiste devait permettre aux associations féministes de déposer plainte lorsqu’elles jugeaient qu’une publicité affichée sur la voie publique portait atteinte à la dignité de la femme. Raconter la vague de haine qui s’est abattue sur moi ne servirait à rien, mais il convient d’en prendre la mesure. Si tous, soutiens et opposants à la loi, étaient d’accord pour reconnaître l’image dégradante de la femme dans la publicité, sous couvert d’humour et de désir, le droit de réponse et les répressions qui pourraient s’ensuivre ont provoqué une levée de boucliers et de violences que je n’avais pas anticipée. »

Aujourd’hui, le combat du corps se poursuit et rejoint celui qu’Yvette Roudy avait commencé : « Je proposais d’arrêter d’utiliser le corps des femmes pour vendre des produits qui n’avaient rien à voir avec lui, et on me traitait de tyran qui menaçait la liberté d’expression, de puritaine réactionnaire. Et tout cela principalement depuis mes propres rangs idéologiques. (…)

Et le gouvernement qui me soutenait au départ m’a lâchée quand son électorat masculin s’est dressé vent debout contre moi. Il fallait abandonner la loi. Simone de Beauvoir m’a soutenue, les femmes de mon ministère aussi. Mais le Parti socialiste, à l’heure qu’il est, n’a toujours pas fait son mea culpa. »

Un regret pour celle qui croit en l’association féminisme et socialisme de Clara Zetkin. Priscilla Zamord le dit sans détour, rares sont les élu-e-s qui s’assument et s’affirment féministes, encore moins antiracistes. Sans doute de peur d’être étiqueté-e-s, jugé-e-s, réduit-e-s à leur militantisme. Ou aussi parce que : « On pense que c’est censé être inné quand on est de gauche. Mais non, en fait. » 

Pour l’ancienne ministre des Droits des Femmes, « il faut repartir de la base, repenser la politique autrement, dès ses fondements. Pour cela, je conseille aux jeunes générations non pas de faire du féminisme avec les outils traditionnels, pensés et créés par des hommes, mais plutôt de créer leurs propres outils. Le premier et le plus fondamental : un parti politique. » Une piste peut-être pour une révolution politique qui a pour le moment encore un peu de mal à décoller. 

« La plupart des révolutions sont ratées. Ce n’est pas grave. Il y a des choses qui restent mais il faut remettre des couches pour ne plus retourner en arrière. Peut-être qu’en politique, ça n’a pas encore fonctionné mais au niveau des mentalités, ça bouge. Les jeunes générations bénéficient d’une plus grande conscientisation féministe (et écologiste, ndlr). La brèche est ouverte. Autour de la bataille de l’intime, de l’égalité salariale, de la réflexion intersectionnelle… MeToo est devenu révolutionnaire.

Pas juste autour des violences sexistes et sexuelles, même si cela engage une réflexion profonde autour des problématiques salariales notamment (si on a autant de patronnes que de patrons, il y aura beaucoup moins de harcèlement, etc.), on prend conscience que les inégalités sont sociales et économiques. Durant la loi retraite, les femmes ont montré que cette loi serait plus catastrophique pour elles. Toutes les mesures ont des conséquences en terme de genre. C’est net. », analyse l’historienne, spécialiste des mouvements révolutionnaires, Mathilde Larrère.

Pour autant, les choses bougent. En novembre 2019, 250 acteur-ice-s du monde politique, associatif, artistique et militant appelaient à l’occasion des élections municipales un #MeToo des territoires. Sous cette appellation transparait la volonté de dénoncer les violences sexistes et sexuelles qui sévissent dans les sphères de pouvoir. Au sein des partis politiques, l’omerta subsiste.

En mars 2021, 150 élu-e-s, militant-e-s, collaborateur-ice-s, candidat-e-s aux élections régionales, parlementaires, responsables d’association et artistes ont à nouveau signé un manifeste sur le sujet, demandant la mise à l’écart des candidats accusés de violences à l’encontre des personnes sexisées. 

L’INTIME EST POLITIQUE

Si les lieux de décision et de pouvoir restent, aujourd’hui encore, des bastions de la virilité masculine, les féminismes sont éminemment politiques. Depuis plusieurs décennies, les militantes le disent : l’intime est politique. Le passage du privé au public, c’est ça qui brise les tabous, qui délie les langues, qui transforme l’expérience individuelle en vécu collectif.

Et celui des femmes, et plus largement des personnes sexisées, il se vit dans la chair. Dans le corps. Que ce soit à cause de la précarité et la pénibilité du travail, professionnel et domestique, et/ou que ce soit à cause des violences sexistes et sexuelles. On a relégué les femmes à la sphère privée et le corps, à l’intimité.

Non dans une volonté de pudeur, certainement pas. Il s’agit plutôt de dissimuler, cacher, taire tout ce qui attrait au corps. Le sang des menstruations, c’est dégoutant ! Les poils sous les aisselles et sur les jambes des femmes, c’est répugnant ! L’accouchement, gerbant ! Les tétons qui pointent sous le tee-shirt, provoquant ! Les vergetures sur les seins, les hanches et les cuisses ou encore la cellulite, c’est ragoutant !

Le corps des femmes est contrôlé. Épié. Scruté. Jugé. En permanence. Soumis au regard masculin qui soit le sexualise, soit le réduit à sa capacité reproductive. Et ce regard masculin est intégré aussi bien par les hommes que par les femmes, qui sont dépossédées de leur corps et de leurs connaissances à propos de celui-ci.

Se le réapproprier, ou se l’approprier tout court, est une bataille de longue haleine qui nécessite de déconstruire les injonctions qui pèsent lourdement sur nos épaules, nos bourrelets et nos capitons graisseux.

Ne pas porter de soutien-gorge. Tous les jours, de temps en temps ou dans certaines situations spécifiques. Ne pas s’épiler. Ne pas se maquiller. Ou ne pas se lisser les cheveux. Ou ne jamais mettre de jupe et de robe. Ne pas cacher son tampon dans sa main ou sa poche quand on va changer de protection périodique. O

ser dire « J’ai mes règles ». Exiger des professionnel-le-s de la santé des explications sur chaque examen effectué. Dire que non, ce n’est pas normal d’avoir mal avant ou pendant les menstruations. Explorer son corps et son sexe. Les caresser, les regarder dans un miroir (accompagné d’une lampe torche pour observer l’intérieur du vagin), tester, expérimenter. Pour savoir ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas. Nommer les différentes parties de notre sexe. Connaître nos cycles.

Ce sont là des exemples d’actions qui paraissent aujourd’hui plus abordables parce que les militantes féministes portent publiquement ces sujets-là depuis plusieurs décennies, incitant à réfléchir autour des taches assignées par le combot patriarcat-capitalisme et les moyens de nous en affranchir.

Cela ne veut pas dire que toutes les personnes sexisées doivent arrêter de s’épiler, de porter un soutien-gorge, se masturber, jouir, aimer le sexe, parler de leurs règles à table, ne pas désirer d’enfant, etc. Cela veut dire qu’en partageant, à travers les témoignages, les actions collectives, les débats, les expériences de cette féminité normative mais aussi les vécus et ressentis de féminités alternatives, les un-e-s et les autres peuvent s’en saisir pour rompre l’isolement, constater la pluralité des possibilités et s’émanciper de ces oppressions, si on le souhaite et de la manière dont on le souhaite.

L’espace privé et l’intimité sont des sujets politiques. Qui permettent de briser les tabous et de réfléchir individuellement et collectivement aux tenants et aboutissants des silences placés sur ces thématiques. Chacun-e peut s’en saisir. À son rythme. Mais il est important qu’on accède aux informations, que les paroles puissent circuler librement et que le choix soit donné et respecté.

Avoir la possibilité d’exprimer ce que l’on vit dans son corps (et dans sa tête) qu’il s’agisse des bouleversements du temps, des cycles menstruels, de l’endométriose, du cancer du sein, des conséquences et traumatismes de violences sexuelles, de fausses couches, de stress à l’idée que le fœtus ne soit pas viable, de la grossesse, dans les rapports sexuels, la ménopause, etc.

Ne pas se dire que sans soutien-gorge et avec mini-jupe un soir en ville, on prend des risques. Ne pas penser que parce qu’on ne veut pas d’enfant, parce qu’on n’allaite pas un enfant, parce qu’on ne prend pas de plaisir en faisant l’amour, parce qu’on n’a jamais joui, etc. on n’est pas normales…

Nos corps nous appartiennent mais un contrôle social a été imposé dessus. Nos désirs font désordre et court-circuitent parfois les assignations de genre. Aucune femme ne doit se sentir obligée de témoigner de son vécu. Aucune personne transgenre ne doit se justifier du sexe qu’elle a entre les jambes. Personne ne doit être entravée dans son corps et sa manière de vivre dedans et avec. L’intime est politique.

REPENSER LE MILITANTISME FÉMINISTE

Le renouveau féministe, Aurore Koechlin en fait état dans le livre La révolution féministe. Elle milite dans des collectifs depuis les années 2010, a effectué un master en Etudes de genre à Paris 8 puis en sociologie du genre et fait une thèse sur la gynécologie. Elle commence par intégrer un syndicat étudiant avant de se tourner vers des collectifs non mixtes.

Ce qui au départ devait être un article sur son parcours militant et autour de l’émergence d’une réflexion liant les questions de genre à celles de classe, de race, d’orientation sexuelle, et d’identité de genre est devenu un livre qui dresse un panorama politique et sociologique des années 70 à aujourd’hui, dans une dimension internationale et le contexte MeToo.

« C’est un ouvrage dans lequel j’interroge les stratégies à mettre en place pour ce mouvement naissant. C’est quoi le féminisme ? Pourquoi on se bat ? Et comment on se bat ? La difficulté, c’est que le féminisme s’est construit comme un mouvement très unifié dans lequel l’axe « Femme » était le plus important. Plus important que la classe, la race, etc. Aujourd’hui, il faut imposer ces questions dans l’agenda féministe. Il faut qu’on ait ce débat, qu’on pose ces questions. C’est important, notamment face à une loi comme celle sur le séparatisme. On ne doit pas laisser le féminisme être instrumentalisé. Féminisme et antiracisme sont au centre de ce débat. », nous explique-t-elle.

Dans le fait que le gouvernement s’approprie ce mouvement, elle y voit la puissance contestatrice : « C’est une façon de le pacifier que de l’intégrer au sommet de l’Etat. Après, pour obtenir concrètement l’application de certaines revendications, on ne peut pas totalement se détourner de lui. C’est là où pour moi il faut faire émerger clairement les revendications militantes. Le mouvement est actuellement très fort, c’est une lame de fond qui bouscule tout et qui pour cela est attaqué de toute part. Il est important de continuer ce mouvement et de le faire converger avec d’autres mouvements comme l’antiracisme, l’antivalidisme, etc. et les mouvements sociaux. »

Ce qu’elle défend, c’est de repenser notamment le travail reproductif et d’imaginer d’autres manières de s’organiser. Par les cantines collectives, les crèches collectives, par exemple. Pour faire sortir le travail domestique de son cadre genré et privé. Là aussi, les militantes le disent et le répètent : le privé est politique.

Parce que dans la sphère privée, on enferme les femmes, laissant penser que leur rôle consiste à faire et éduquer les enfants et à entretenir le foyer. Dans cette sphère-là, on tait les violences conjugales et familiales. Le privé est politique : on dénonce de plus en plus les blessures, les insultes, les viols, les menaces au sein du couple et dans les familles mais aussi l’enfermement domestique et maternel.

Toutefois, comme expliqué précédemment, chaque personne a le droit de souhaiter rester à la maison pour s’occuper des enfants, de la vaisselle, du ménage, etc. Le problème pointé dans le débat résidant dans le fait que cette personne est majoritairement et depuis longtemps de sexe et de genre féminin.

« Le premier confinement a démontré que le travail reproductif (domestique, éducatif, soins, etc.) est extrêmement dévalorisé dans la sphère privée comme dans le cadre du service public. Il est relégué au bas de l’échelle… Et là, il est apparu comme essentiel. C’est-à-dire comme un travail qui ne peut pas être confiné, qui ne peut pas être mis en pause.

On a pu constater que ce travail essentiel, il est majoritairement occupé par des femmes, racisées. Mais ça n’a duré que quelques semaines. Depuis, il n’y a pas eu de changement dans notre organisation sociale, pas de revalorisation malgré les promesses gouvernementales. Mais on ne repart pas de 0. Je crois malgré tout qu’il va en rester des traces. »

Et encore une fois, il est nécessaire d’investir les espaces de pouvoir. Sinon, on le voit, ces questions sont établies comme non prioritaires et c’est encore aux militantes de redoubler d’acharnement. Pour que la PMA soit enfin ouverte à tou-te-s sans laisser sur le côté les lesbiennes, les personnes trans, les femmes célibataires. Pour que le congé paternité soit une vraie mesure satisfaisante et appliquée et pas uniquement sur 7 jours obligatoires.

Pour que le délai légal d’avortement soit allongé de 12 à 14 semaines de grossesse. Pour que l’on fixe un âge décent au consentement sexuel. Pour que l’allocation aux adultes handicapés soit individualisée. Pour que les réunions en non mixité soient reconnues comme utiles aux personnes concernées. Pour l’autodétermination des personnes trans. Pour la gratuité des protections périodiques. Pour la dignité et le respect de toutes les personnes. 

UN POINT DE BASCULEMENT

Si Aurore Koechlin n’envisage pas que la révolution féministe soit encore advenue, elle précise néanmoins : « On pourra dire qu’il y a révolution, quand les bases plus profondes seront réorganisées. Les féminismes ont un aspect profondément révolutionnaire car ils touchent à tous les aspects de nos vies que ce soit vies privées ou vies publiques. Parler de ce que vivent les femmes, des minorités de genre, du système hétéro, de la masculinité hégémonique, etc. C’est là le pouvoir créateur du féminisme : développer d’autres possibles. On le voit par exemple dans la littérature SF (science fiction, ndlr)que les femmes investissent. Ça nous pousse à penser un autre monde ! »

Un monde dans lequel le « male gaze » n’est pas au centre… Pour Céline Extenso qui nous répond avec une note d’humour, pareil, nous sommes aux portes d’une révolution à venir :

« Je crois qu’elle n’a jamais été aussi proche. Nous sommes de plus en plus nombreuses à la rêver, avec la ferme intention de ne pas nous complaire dans le seul « rêve ». J’ai l’impression qu’on s’organise, qu’on s’entraide, qu’on fourbit nos armes comme jamais. Évidemment, on ne peut pas dévoiler tous les détails du plan maintenant, il faut garder un peu de surprise ! »

On parle là d’une révolution plus globale. Parce que la révolution féministe a bel et bien déjà commencé. Depuis plus de 150 ans, elle progresse et participe au changement des mentalités. Avec des flux et des reflux comme on l’a vu. Avec des périodes d’ébullition, des retours de bâton, des phases d’écoute, des phases de rejet. La société a affronté des crises qui ont à chaque fois impacté les droits des femmes.

 

Toujours le féminisme a rebondi et a permis des mobilisations aux ampleurs toujours plus grandes. Le mouvement avance et s’il demande une prise en compte des femmes à part entière, il doit aussi entendre la critique qui parvient des militantes racisées, handicapées, LGBTIQ+, etc. Pour que les spécificités des un-e-s et des autres ne soient plus vécues comme marginales et hors-normes et ne soient pas victimes de la reproduction des mécanismes de domination que le féminisme combat. 

Dans une interview accordée au magazine Antidote en octobre 2020, Lauren Bastide, journaliste féministe, créatrice et animatrice du podcast La poudre explique :

« Je pense que non seulement une révolution féministe va avoir lieu, mais aussi une révolution écologique, antiraciste, anticapitaliste et une révolution du genre, tout est intrinsèquement lié. J’ai l’impression que toute cette prise de conscience est en train d’avoir lieu.

Je pense qu’il y a de plus en plus de personnes qui comprennent que le combat d’Assa Traoré contre les violences policières rejoint le combat des féministes contre les violences faites aux femmes et contre le viol, rejoint le combat anticapitaliste contre la mainmise de 1% des êtres humains sur 99% des ressources mondiales, rejoint le combat écologique de Greta Thunberg. Tout ça, c’est la même histoire, une histoire d’oppression d’un tout petit nombre de dominant-e-s sur un nombre écrasant de dominé-e-s. Pour moi, si la révolution féministe a lieu demain, elle se fera par cette convergence-là. »

TROUVER NOS POINTS D’ALLIANCE

Combattre ce qui nous divise. Cela ne veut pas dire que nous devons penser tou-te-s de la même manière. Ou même ressentir de la même manière. Le rapport au corps diffère, tout comme la pression face aux injonctions diverge également. On ne place pas tou-te-s le curseur de la liberté au même endroit et ne vivons pas la même urgence à s’affranchir et s’émanciper de telle ou telle assignation.

En revanche, nous devons nous accorder pour fonder une société basée sur la dignité et le respect des êtres humains, autant que sur l’environnement. On a beau parler de solidarité féminine, la sororité est loin d’être innée chez les personnes sexisées. Tout simplement, parce qu’on ne l’a pas appris.

On nous a peut-être même bien inculqué le contraire. Les filles aiment les commérages et les coups dans le dos. Elles se jalousent et se critiquent. Meilleures rivales pour la vie. Un tas de conneries difficiles à contrer malgré tout. C’est sans doute là un enjeu crucial des féminismes. Briser les injonctions. Sans les remplacer par d’autres injonctions.

Briser le cercle de victimisation dans lequel on nous enferme régulièrement. Sans nier les inégalités, discriminations et violences que nous vivons spécifiquement. Briser la hiérarchisation des souffrances. Sans prendre la place et la parole de celles qui vivent des expériences différentes des nôtres.

C’est inspirant tout ce qui se passe actuellement au sein des féminismes. Fatiguant parfois mais surtout stimulant et enrichissant. Le 8 mars dernier, Rachida du Collectif Sans Papiers de Rennes rappelait :

« Nous migrantes, réfugiées, sans papiers, demandeuses d’asile, nous les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bis, trans, nous sommes parmi vous à l’appel international pour une grève féministe. Nous avons l’interdiction formelle de travailler pour survivre et pourtant nous sommes ici avec vous. » 

Son discours est puissant. Elle démontre l’importance de l’inclusion de tou-te-s dans les luttes féministes. Parce que nombreuses sont celles qui ont été oubliées, négligées, méprisées. Rachida demande aux militantes de les soutenir et d’être à leurs côtés dans leurs combats :

« Il ne nous suffit pas d’avoir une place parmi vous sur vos estrades militantes. Nous féministes prolétaires que notre courage de survivre a amené ici pour trouver refuge, nous nous sommes échappées des guerres produites par le patriarcat et le capitalisme de nos pays. Nos pays maintenus dans la misère. Nous venons chercher parmi vous solidarité et refuge. Quelque soit les barrières qui nous opposent, il est en notre pouvoir de les affranchir. (…) Tant que l’imbrication de la violence patriarcale et raciste ne sera pas vaincue, nous ne pourrons pas triompher ensemble.

Tant que la liberté des migrantes n’est pas prise de partout comme un combat général, nous ne pourrons pas être ensemble sur la place mais resterons divisées dans les maisons, les villes, les lieux de travail. C’est pourquoi le 8 mars nous nous joignons à vous, à la lutte des femmes, contre les violences, l’exploitation patriarcale, c’est pourquoi le 8 mars, nous demandons un permis de séjour illimité et sans conditions. Nous appelons tout le monde à soutenir cette demande. Faire du 8 mars un point de départ pour continuer cette lutte ensemble. De la force transnationale et la grève un instrument général ! Soutenez-nous, nous avons besoin de vous. »

Se soutenir. Avancer ensemble. Construire réflexions et stratégies à partir des récits et expériences des personnes concernées. Sans prendre leur place. Sans parler à leur place. Doris, travailleuse du sexe et trésorière du STRASS dont elle est la référente en Bretagne, et créatrice des Pétrolettes, association de développement communautaire, le formule parfaitement : 

« Nous vous donnons rendez-vous pour poursuivre ensemble la réflexion et les luttes et trouver ensemble des solutions à notre émancipation. La libération des travailleuses du sexe sera l’œuvre des travailleuses du sexe elles-mêmes. » 

Son discours analyse les rapports de domination hommes – femmes depuis le système féodal jusqu’à aujourd’hui. Le contrôle des femmes par les hommes. La protection offerte par les hommes aux femmes qui en échange offriront du travail gratuitement. Le viol comme arme de guerre pour détruire la crédibilité du protecteur. Le couple hétérosexuel et la famille comme seule garante de la sécurité des femmes, « alors même que la famille et le couple sont une des plus dangereuses (structures, ndlr) pour elles. »

SOMMES-NOUS DE MAUVAISES FÉMINISTES ?

Au quotidien, à chaque étape de la rédaction de ce dossier, à chaque point de vue controversé que l’on retransmet et diffuse, à chaque critique que l’on établit dans une réflexion globale de comment avancer ensemble, on se demande si nous sommes de mauvaises féministes. Pas que dans le cadre professionnel, d’ailleurs.

On se pose la question régulièrement dans nos vies privées. On ne sent pas toujours légitimes, on ne sent pas assez féministes. Et puis, un jour, Roxane Gay écrit et publie Bad feminist. Ça nous interpelle, on le lit et on respire.

« Le féminisme est imparfait, mais quand il est au meilleur de sa forme, il donne les moyens de naviguer dans les remous du changement de climat culturel. Le féminisme m’a certainement aidée à trouver ma propre voix. Le féminisme m’a aidée à me convaincre que ma voix avait de l’importance, même dans un monde où tant d’autres voix exigent qu’on les entende. Comment réconcilier les imperfections du féminisme avec tout le bien qu’il peut faire ?

À la vérité, ce mouvement est imparfait parce qu’il est dirigé par des gens, et que les gens sont imparfaits par nature. Pour une raison quelconque, en matière de féminisme, nous plaçons la barre à une hauteur déraisonnable, nous voulons qu’il remplisse toutes nos exigences et qu’il fasse toujours les meilleurs choix. », analyse-t-elle.

Elle poursuit un peu plus loin : « Le féminisme m’a apporté la paix. Le féminisme m’a donné des principes qui me guident dans mon écriture, mais je sais aussi que ce n’est pas dramatique quand je ne suis pas à la hauteur de la féministe idéale qui est en moi. Les femmes de couleur, les femmes queer et les femmes transgenres devraient être mieux intégrées dans le projet féministe. Les femmes de ces groupes ont été honteusement abandonnées par le Féminisme avec un grand F, et à de nombreuses reprises. C’est une vérité crue, et douloureuse. (…)

Mais on ne répare par une injustice par une autre. Les erreurs du féminisme n’impliquent pas que l’on doive le rejeter totalement. Nous ne sommes pas tous obligés de croire au même féminisme. Le mouvement peut être pluriel, à condition que nous respections les différents féminismes que nous portons en nous, à condition que nous nous en souciions assez pour tenter de réduire les fractures qui nous séparent. »

Et ce n’est là que l’introduction d’un ouvrage authentique, construit et libérateur. Comme il y en a plein, à l’instar des ouvrages de Mona Chollet et notamment Sorcières – la puissance invaincue des femmes mais aussi de la littérature féministe qui émerge dénonçant la charge mentale comme l’a si bien fait Emma ainsi que les violences gynécologiques et obstétricales, entre autres, et de nombreuses autres thématiques indispensables à l’évolution des mentalités. Et c’est pourquoi le travail sur le matrimoine et la valorisation des œuvres réalisées par des personnes sexisées, racisées, handicapées, trans, etc. est fondamental.

La thématique de l’éducation à l’égalité n’est pas un détail. Depuis les années 90, le marketing genré a envahit les rayons des magasins mais aussi les esprits. Le rose pour les filles, le bleu pour les garçons. On a beau lutter, les stéréotypes résistent. Dans Éduquer sans préjugés, Manuela Spinelli et Amandine Hancewicz, co-autrices et co-fondatrices de Parents & Féministes, décryptent les différences de traitement des filles et des garçons dans une société encore largement imprégnée de croyances et de constructions sociales patriarcales.

Dès la naissance, les pleurs des bébés sont analysés à l’aune du sexe de l’enfant, auquel on attribue toute une série d’assignations et d’attentes qui vont de pair. L’influence de ces injonctions est connue : elles entrainent des choix que ce soit dans les activités artistiques, sportives, dans les loisirs, dans la manière de s’habiller, d’interagir avec son environnement mais aussi dans le cursus scolaire et l’orientation professionnelle. 

DES EXISTENCES EFFACÉES, NÉGLIGÉES

Sans oublier qu’en occultant plus de la moitié de l’humanité de l’Histoire, on l’invisibilise. Quelle place dans la société peut-on s’octroyer quand dès les premières années de construction personnelle, on ne se voit pas à la télévision, dans les émissions d’actu et de débat mais aussi dans les films et les séries, dans les récits littéraires, les BD, les peintures exposées dans les musées, etc. ?

Quelle histoire nous est donnée à voir et à entendre lorsque l’on aborde les périodes de colonisation ? De quels points de vue situe-t-on ces récits, notamment en matière de décolonisation ? Dans les manuels scolaires, aucune place n’est attribuée aux groupes oppressés.

Depuis 2001, une loi oblige les établissements scolaires à dispenser des cours autour de la vie sexuelle et affective dans sa globalité, et sa pluralité, chaque année. Pourtant, ils sont majoritaires à ne pas le faire. Depuis 2017 seulement, on représente dans son anatomie complète le clitoris pour les classes de seconde.

Dans un seul manuel de SVT. Deux ans plus tard, cinq manuels sur sept le représentent. Entre temps, en 2018, Mme de Lafayette devient la première femme de lettres, décrite comme « la première plume féminine » dans certains médias, à être étudiée au programme de Terminale L en vue des épreuves du baccalauréat.

Dans les livres d’histoire, on parle rapidement d’Olympe de Gouges et de Simone Veil. Qu’en est-il de toutes les autres ? De toutes celles qui ont marqué les arts et la culture, les sports, la politique, les sciences, etc. ? N’ont-elles pas mérité d’être étudiées ?

Depuis plusieurs années, des livres entiers s’écrivent sur toutes ces femmes et elles sont nombreuses. Elles sont citoyennes, avocates, chirurgiennes, navigatrices, pilotes, footballeuses, étudiantes, militantes, lesbiennes, transgenres, intersexes, atteintes d’endométriose, grosses, minces, maigres, anorexiques, boulimiques, handicapées mentales, en fauteuil roulant, au chômage, mères de famille, juives, musulmanes, catholiques, athées, criminelles, violentes, cuisinières, artistes, journalistes, scientifiques, noires, arabes, asiatiques, non binaires, apatrides, orphelines, bourgeoises, prolétaires, ouvrières, femmes de ménage, caissières, diplomates, élues, ministres, polyamoureuses, dessinatrices, travailleuses du sexe, enseignantes… Elles sont plurielles.

Elles ont des parcours atypiques, des parcours dits classiques et linéaires. Elles ont fait des découvertes scientifiques, dont elles ont été dépossédées, elles n’ont pas voulu d’enfant, elles ont subi des violences, elles ont combattu les discriminations, elles ont été incarcérées pour des crimes qu’elles ont commis, elles n’ont jamais obtenu justice, elles ont fait de leur corps une arme de déconstruction, elles ont des tatouages, iels ne se reconnaissent pas dans le pronom féminin, iels veulent un langage plus inclusif, iels exigent un enseignement incluant des modèles variés et réalistes, mêlant les origines, les couleurs de peau, les points de vue, les handicaps, les orientations sexuelles, les identités de genre, les possibles.

Parce qu’il s’agit là de l’histoire d’une évolution. D’une évolution des mentalités face à des personnes qui ont toujours existé mais n’ont pas toujours eu l’espace nécessaire pour parler en toute sécurité et encore moins l’écoute adéquate. 

Il y a le besoin de s’identifier mais aussi le besoin de découvrir. Dans un cadre sécurisé et bienveillant. Pas dans un contexte où on exclut les personnes handicapées du cursus dit classique, où les enfants découvrent qu’ils/elles sont noir-e-s parce que les autres se moquent et les insultent, où les mères qui portent le voile n’ont pas le droit d’accompagner les sorties scolaires, où on interdit aux filles l’accès à l’établissement parce que leurs tenues sont considérées comme « non républicaines » et où une fille transgenre a peur de porter des robes parce que l’école ne la reconnaît pas dans son genre.

C’est le cas de Sasha, 7 ans, dont le combat qu’elle porte avec sa famille a été filmé dans le documentaire Petite fille, de Sébastien Lifshitz. Elle est bouleversante, cette enfant qui doit vivre le déni de l’institution face à sa transidentité et le rejet du conservatoire qui refuse qu’elle s’habille comme les autres petites filles.

Accompagnée et soutenue par ses parents et ses frères, ainsi que la pédopsychiatre, Sasha fait bouger les lignes et heureusement, obtient des avancées. De cette diffusion - sur Arte en début d’année et désormais sur Netflix – émerge une nouvelle prise de conscience. 

Petite fille constitue un témoignage, une lutte familiale qui mérite d’être portée par le collectif. C’est une partie du récit concernant la transidentité. Car là encore, les parcours diffèrent et les difficultés montrées dans le film ne sont pas exhaustives et ne sont pas les mêmes d’un-e individu à l’autre.

L’histoire racontée dans la BD Appelez-moi Nathan, signée Catherine Castro et Quentin Zuttion, n’est pas la même que celle relatée dans Je suis Sofia, de Céline Gandner et Maël Nahon. L’éducation à l’égalité est fondamentale pour favoriser l’inclusion sans effacer les différences. Pour que chacun-e trouve sa voix et sa place. Son chemin d’émancipation.

Et pour cela, l’information - et son accès, surtout - est un enjeu capital dans la transmission. On peut par exemple suivre le compte instagram de la militante Lexie, agressively_trans, dont le livre Une histoire de genres – Guide pour comprendre et défendre les transidentités a été publié en février dernier. 

NE PAS HIÉRARCHISER LES VÉCUS ET LES COMBATS

Nous ne portons pas tou-te-s les mêmes combats au sein de la lutte contre les inégalités et les discriminations. Les féminismes ne sont pas une exception. À l’intérieur de ce mouvement polymorphe, il est important de s’écouter et de se respecter. Sans hiérarchiser.

Comme le disent Mathilde Larrère et Aurore Koechlin, il est plutôt sain que les différents sujets portés soient débattus, rabattant parfois les cartes des luttes et des stratégies à mener. Tant que les critiques sont constructives et qu’elles amènent à faire évoluer les réflexions. On aime le discours d’Alice Coffin à ce sujet.

Dans une interview accordée à National Geographic, elle répond à la question « Quel est le plus grand défi pour les femmes aujourd’hui ? » :

« Se Soutenir. Faire bloc face à l’adversité. Cela requiert de se battre pour les femmes de minorités particulièrement opprimées. Les femmes migrantes, racisées, lesbiennes, précaires, toutes celles qui, en plus du sexisme structurel et quotidien, affrontent d’autres violences et discriminations. Mais cela implique, aussi, d’éviter toute critique publique envers d’autres femmes en position de pouvoir. C’est un exercice difficile, car certaines n’agissent pas en féministes, mais il me semble indispensable, si nous ne voulons pas entretenir la misogynie. Concentrons, en public, nos attaques contre les hommes. »

On sait, on voit déjà de nombreuses personnes grimacer à la lecture de cette dernière phrase. « #NotAllMen », peut-on souvent lire en commentaire des articles ou post qui parlent des féminismes. Elles sont perçues comme radicales celles qui parlent des hommes et des violences masculines. Tout comme les militant-e-s antiracistes qui brandissent #BlackMatterLives et qui se voient rétorquer que TOUTES les vies comptent. Encore une fois, on nie le côté systémique des violences sexistes et sexuelles et des violences racistes. 

Les féminismes regorgent de force, de détermination, font place à des cheminements individuels et collectifs, amènent à repenser ce que nous voulons pour nous et celles et ceux qui nous entourent. Les féminismes mènent des révolutions multiples qui ne concernent pas uniquement les femmes mais globalement le monde dans lequel on vit.

Les rapports sociaux, environnementaux, économiques, politiques, et la manière dont ils sont traités dans toutes les sphères de la société. À présent, le mouvement même se renouvelle à travers les critiques qui lui sont faites dans la façon de prendre en considération les voix et les points de vues des groupes dits minoritaires. Une révolution dans la révolution. 

Se libérer de l’universalisme est un enjeu féministe du XXIe siècle. Ecouter, prendre en compte, agir ensemble mais sans prendre la place des concernées. Sororité avec les femmes sans papiers, les femmes sans domicile, les femmes travailleuses du sexe, les femmes racisées, les femmes voilées, les femmes détenues, les femmes handicapées, les personnes non binaires, les personnes trans, les lesbiennes, les personnes intersexes, les femmes qui ne veulent pas d’enfant…

Il reste encore de nombreux sujets qui cristallisent encore les divisions et les impensés au sein du mouvement féministe. Poser des questions, interroger la famille traditionnelle, repenser les rapports au corps et leur monétisation, mettre au travail la question des privilèges, oui, des discussions peuvent avoir lieu, des débats sont nécessaires.

Mais ce qui est inenvisageable, c’est de laisser ces personnes sur le côté sous prétexte qu’elles ne conviennent pas à nos modes de pensée, à nos idéologies militantes. Sinon, on reproduit les mécanismes de domination que le patriarcat a instauré, tout comme le capitalisme, le racisme, etc.

On peut ne pas être d’accord mais on doit s’unir dans l’adversité malgré les dissensions, sans se juger et se lyncher. Le 8 mars dernier, l’association déCONSTRUIRE partageait sur sa page Facebook un extrait de La parole aux négresses, écrit par Awa Thiam en 1978 et qui résonne encore aujourd’hui :

« La solution aux problèmes des femmes sera collective et internationale. Le changement de leur statut sera à ce prix ou ne sera pas. Que l’on veuille bien jeter un coup d’œil sur l’histoire de la condition féminine. Parcourue ou illustrée de luttes, elle n’a guère cessé d’évoluer, mais à une allure telle qu’il apparaît que les femmes qui luttent pour leur libération et corrélativement pour celle de leurs sociétés entreprennent une lutte de longe haleine. En d’autres termes, nous dirons qu’il s’agit non d’une course de vitesse mais d’une course de fond. Que les femmes s’arment en conséquence pour la mener à bien. »

NOUS SOMMES FORTES, NOUS SOMMES FIÈRES…

La révolution féministe a lieu depuis longtemps. Elle est plurielle. Il nous faut reconnecter les histoires du passé aux luttes actuelles. Comprendre l’impact de ces histoires erronées, partielles. Parce qu’elles ont été écrites par les hommes pour les hommes, nous avons besoin de les explorer pour savoir d’où nous venons et d’où viennent les autres. Nous avons besoin d’entendre les voix des groupes oppressés pour pouvoir davantage appréhender leurs vécus et leurs ressentis.

Et prendre en compte les besoins. Considérer les personnes sexisées dans toute leur complexité. Parce que les assignations nous divisent, nous opposent et nous blessent. Les féminismes sont des outils individuels et collectifs pour construire un projet de société affranchi des systèmes de domination. Une utopie ? Peut-être ! Pas tant que ça…

Quand on voit les avancées sur quelques dizaines d’années, à l’échelle de l’humanité, c’est un tour de force magistrale. Ce sont des personnes sexisées et racisées que toutes ces victoires sont survenues. Avec les réseaux sociaux, on assiste à une explosion des initiatives, comptes, chaines proposant d’autres discours, d’autres façons de penser, d’autres modèles.

Les militantes prennent leur place et prennent la parole, à travers les podcasts notamment, outil incontournable de la reconquête de l’espace médiatique et de la déconstruction des codes et des normes. De plus en plus, elles occupent l’espace public, et elles sont de plus en plus nombreuses.

Elles appellent à combattre les féminicides mais aussi les violences policières et les lois rétrogrades. Les mots résonnent dans le mégaphone mais pas seulement. Ils sont aussi pochés sur les trottoirs, tagués sur les ponts, collés sur les murs des villes. Impossible de passer à côté.

On peut toujours détourner le regard, tourner la tête, nos yeux ont balayé les mots du regard et ils ne sont pas faciles à effacer. Et tandis que l’on rentre chez nous, à la lumière déclinante du jour, les ombres du patriarcat surgissent sous nos pas nous murmurant de raser les murs et de presser nos foulées. Alors, dans la tête, on entonne une ritournelle qui nous accompagne et nous donne le sourire :

« Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… NOUS SOMMES FORTES, NOUS SOMMES FIÈRES, ET FÉMINISTES ET RADICALES ET EN COLÈRE… Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… »

Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’on fait ce qu’on peut. Ça veut dire qu’on fait ce qu’on veut. Et que allié-e-s à nos adelphes d’hier, d’aujourd’hui et de demain, à travers le monde entier, nous allons compter ! Nous comptons déjà ! 

Tab title: 
La révolution sera féministe ou ne sera pas !
Féministes, tant qu'il le faudra !
Déferlante médiatique
Ça secoue !
Misandrie, vous dites ?

Célian Ramis (ouverture avec Maryse Berthelot)

Poils et tétons : rien à cacher !

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Les poils et les tétons dérangent quand ils apparaissent sur le corps des femmes. Pourquoi ? Qu'en pensent les personnes concernées ?
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Couvrez ces tétons et lissez vos guiboles ! Soyez décentes, Mesdemoiselles et Mesdames. Un peu de « bon sens », bordel de cul ! Nos gouvernants l’exigent de vous. Conformez-vous. Et éduquez vos filles pour que dès à présent, elles adoptent une tenue républicaine.

Sortez du droit chemin, de ces prétendu-e-s « codes » et « réglementations » - invoqué-e-s pour clore une polémique, lancée accessoirement par nos dirigeants qui surenchérissent à leur propre connerie – et vous serez punies. WTF les gars ? Nos corps, nos choix !

Nous sommes en 1830. Eugène Delacroix vient de peindre La liberté guidant le peuple. Au centre de son tableau, entourée d’hommes, trône Marianne, dans le feu de l’action, une arme dans une main, un drapeau français dans l’autre. Elle est conquérante. Elle est puissante cette femme du peuple à l’allure de déesse grecque.

Nous sommes en 2020. Elle tourne la tête, interloquée par cet homme qui charge son fusil et le pointe dans sa direction : « C’est tenue correcte exigée ici. Range-moi ce nibard ! Et puis baisse le bras, sérieux, la touffe de poils accrochée à ton aisselle, ça fait dégueu. T’es pas une meuf ou quoi ? » Alors, Marianne rentre chez elle, la mine blafarde.

Elle enfile un vieux futal troué, un tee-shirt « Sans Hermione, Harry serait mort dans le tome 1 », monte sur les barricades en courant, brandi son bras, tend son poing en l’air, lève le majeur et crie « Liberté, égalité, sororité ! » 

Les femmes ont des tétons et des poils. Les hommes ont des tétons et des poils. Jusque là, tout va bien. Nous sommes bel et bien de la même espèce. Oui, mais quand on parle des hommes et des femmes, on aime bien jouer au jeu des 7 différences, histoire de légitimer la hiérarchisation existante.

Sinon les arguments misogynes et sexistes ne tiennent plus et ça, c’est franchement (pas) dommage. Ainsi, il a été décidé que le poil serait viril et, par conséquent, masculin. Le couperet tombe et rase les poils naissant sur le corps des femmes. Pour les tétons, c’est une autre histoire.

Car quand ils sont sur le corps d’une femme, ils cristallisent à eux seuls les deux figures féminines que l’on voudrait opposer : la mère et l’amante. Ce qui nourrit l’enfant dans les premiers mois de vie – ou années, ou jamais - alimente également le fantasme masculin et dans les deux cas, on exige que cela se passe dans l’intimité de l’espace privé. Les seins, il faut les deviner.

Entrevoir cette chair ferme et galbée, c’est - dans l’imaginaire collectif intégré par la majorité des individus - une mise en bouche pour ces Messieurs. Comment résister quand les tétons se mettent à pointer ou qu’on peut à travers le vêtement les voir se dessiner ? Il est plus facile de blâmer la femme considérée comme une tentatrice : qu’on la foute au bucher ! Non mais sérieusement ?

ÇA DÉRANGE, POILS AUX PHALANGES ?

Ils dérangent ces poils et ces tétons, voire ces poils aux tétons. On ne veut pas les voir sur le corps des femmes, sous peine de s’octroyer le droit de juger, d’insulter, d’harceler, voire de menacer et de punir, les personnes concernées. Début septembre, Mélanie poste sur Twitter une photo d’elle.

Elle reçoit pendant plusieurs jours des milliers de messages haineux et insultants. Sur la photo, on voit ses poils. C’est ça qui choque. C’est ça qui donne la gerbe. C’est ça qui, pensent ses assaillant-e-s, leur donne le droit de la menacer de mort. Nombreuses sont les réactions inverses, créant ainsi le mouvement #JeGardeMesPoils. Heureusement.

Mais dans la réalité, les femmes qui affichent et assument leurs poils sont encore minoritaires, par rapport au nombre de bouches qui condamnent et de doigts qui pointent ces dangereuses sorcières, ces traitresses de leur sexe et de leur genre ! Elles transgressent la norme, elles sont coupables.

Elles laissent sur leur corps ces poils qui poussent là, naturellement, sans qu’elles n’aient rien demandé mais sans qu’elles n’aient rien fait non plus pour les y empêcher. C’est barjot ? Oui, complètement. On vit dans un monde où ne pas s’épiler quand on est définie en tant que femme provoque un scandale.

On vit dans un monde où la plupart des femmes enlèvent leurs poils en pensant qu’il s’agit là d’une corvée ainsi que de temps (et d’argent) perdu. Elles le font parce qu’on leur a appris qu’il fallait en passer par là pour être une femme. Elles le font par conformisme d’abord, par habitude ensuite.

Elles le font parce que sinon, elles seront rappelées à l’ordre. Elles le font par peur d’être rappelées à l’ordre. Par peur de ne plus plaire. Parce qu’on leur apprend à plaire aux autres avant elles-mêmes. Et le poil, il ne plait pas.

Mais à qui est-ce qu’il ne plait pas ? À partir de quel moment demande-t-on aux personnes définies et perçues comme appartenant à la gent féminine de retirer cette pilosité ? Et pourquoi se permet-on de rejeter, jusqu’à la haine, celles qui s’écartent de l’idéal du corps glabre (dépourvu de poils) ? Un idéal imposé, rappelons-le…

TERRIBLE ADOLESCENCE…

Les tétons, et les seins plus largement, viennent également interroger notre perception du féminin, de la féminité. De ce que doit être une femme et quels comportements, physiques et sociaux, elle doit adopter en société, à savoir dans l’espace public. Elle doit être sexy, donc sans poils.

Parce que les poils sont considérés comme répugnants sur le corps d’une femme. Mais elle ne doit pas être trop sexy, donc sans tétons apparents parce que les tétons sont considérés comme excitants sur le corps d’une femme. D’un autre côté, ils sont aussi la source par laquelle peuvent se nourrir les bébés.

Quelle ambivalence alors face à ce sein si fantasmé et hypersexualisé, que l’on brandit et que l’on offre à la bouche du nourrisson ! C’est à en choper le tournis de constater la brutalité de l’effet provoqué par un allaitement en terrasse de café ou par un téton pointé sous un tee-shirt.

On pense que durant l’enfance, les différences entre les filles et les garçons ne sont pas perçues à travers le sexe (on se fourvoie, clairement, iels apprennent à les distinguer). La puberté accroit cet l’écart, créé par le regard de la société et des adultes. La voix qui mue, les poils qui poussent, les seins qui se développent, les menstruations, l’acnée… L’adolescence, c’est terrible. D’autant plus si notre corps ne se moule pas dans la norme de ce que doit être un homme et dans la norme de ce que doit être une femme.

Pour la première catégorie, la masculinité hégémonique exige une voix qui mue vers une tonalité grave et une peau qui se recouvre de poils. Pour la seconde catégorie, la féminité unique impose une peau lisse et douce et des seins fermes et galbés, assez gros de préférence, mais tout dépend de la décennie dans laquelle on grandit…

Que se passe-t-il dans la tête des filles quand elles découvrent que leurs seins poussent de manière aléatoire et anarchique ? Que leur poitrine ne se développe pas comme celles des copines ou comme celles des égéries des publicités et des magazines féminins ? Que ressentent celles qui ont principalement joué et trainé avec les garçons durant toute la primaire et qui, au moment même où apparaissent deux piqures de moustique sous le tee-shirt, sont envoyées sur la touche ?

Il n’y a qu’à voir Tomboy de Céline Sciamma ou lire Lily a des nénés de Goeff pour constater que les seins qui poussent sur le corps des filles sont motifs d’exclusion et de rejet. Elles ne peuvent plus faire partie de la bande de mecs qui jusque là les traitaient comme des copains.

Pourquoi les seins des filles et des femmes constituent-ils un prétexte de mise à l’écart, une source de débat et de discrimination et pourquoi complexent-ils celles qui les portent ? Les questions se bousculent et s’entremêlent au fur et à mesure que s’accumulent dans l’actualité des informations plus aberrantes les unes que les autres. 

UNE HISTOIRE SANS FIN…

Il y a les publications sur les réseaux sociaux censurées parce que l’algorithme décèle que les photos dévoilent soi-disant trop de peau nue et/ou des tétons. En août 2019, Le Télégramme relatait le combat de la photographe Stéphanie Rouprich dont les pages ont été supprimées par Facebook parce qu’elle y publiait ses photos de nu artistique.

Pour les contourner, il faut placer des caches sur les tétons et/ou faire pression en dénonçant massivement le procédé (et encore…). Et puis, il y a, en juillet 2020, ce sondage Ifop, réalisé pour Xcams auprès d’un échantillon de 3 000 français-es, sur le « no bra », le fait de ne plus porter de soutien-gorge.

Il révèle que pour 20% des interrogé-e-s « le fait qu’une femme laisse apparaître ses tétons sous un haut devrait être, pour son agresseur, une circonstance atténuante en cas d’agression sexuelle ».Traduction : elle l’a bien cherché ! Au même titre que si elle porte une jupe et/ou un décolleté et/ou qu’elle sort le soir dans les bars et/ou qu’elle s’alcoolise et/ou qu’elle rentre chez elle toute seule durant la nuit…

Il y a ce que les médias ont qualifié de « tétongate » : Anaëlle Guimbi est évincée de l’élection de Miss Guadeloupe (en vue de l’élection de Miss France 2021) pour avoir posé seins nus dans le cadre d’une campagne de dépistage du cancer du sein. Il y a aussi cette polémique qui nait le 20 août 2020 sur la plage de Sainte-Marie-la-Mer, là où deux gendarmes vont contraindre plusieurs femmes pratiquant le topless à mettre un haut de maillot de bain car cela choquerait soi-disant des enfants.

La gendarmerie parle de « maladresse » et explique que dans un souci d’apaisement, il a été demandé « aux personnes concernées si elles acceptaient de couvrir leur poitrine après leur avoir expliqué le sens et l’origine de leur démarche. » Face aux forces de l’ordre, difficile de s’opposer.

Mais pourquoi dans un souci d’apaisement, ne va-t-on pas discuter avec cette famille ou ne leur propose-t-on pas d’aller s’installer sur une autre plage en leur expliquant que le topless n’est pas interdit sur cette plage, puisqu’aucun arrêté municipal ne le précise, et donc que les femmes peuvent libérer leurs seins si elles le souhaitent ? Pourquoi se permet-on de « demander » aux personnes concernées de mettre un haut de maillot de bain ?

Demande-t-on aux hommes d’enfiler un tee-shirt sur la plage parce que des enfants sont choqués de voir leurs tétons ? La ville de Paris pourrait-elle juger indécent le fait qu’un homme à Paris-Plages porte un slip de bain qui lui moule le paquet (le règlement interdit les strings et les monokinis, jugés comme des tenues indécentes) ?

Non. Ce sont toujours les femmes qui pâtissent des regards et des jugements hétéronormés sur leurs corps et tenues. Le fameux male gaze, dont parlent notamment Céline Sciamma et Iris Brey dans le cinéma. 

TROP OU PAS ASSEZ… À QUI DE JUGER ?

On emmerde les femmes portant le burkini. On emmerde les femmes portant le monokini. Soit elles sont trop. Soit elles ne sont pas assez. Et même quand elles ne dévoilent pas entièrement leurs seins mais que ceux-ci sont confortablement installés dans un décolleté, on peut les juger trop présents, donc indécents et par conséquent, on interdira à la personne l’accès… au musée par exemple !

Sauf si elle accepte de mettre sa veste par dessus sa robe. C’est ce qui est arrivé à Tô’ – son nom d’utilisatrice Twitter – pas plus tard que le 8 septembre dernier à l’entrée du musée d’Orsay. Elle écrit dans une lettre ouverte :

« Je me demande si les agents qui voulaient m’interdire d’entrer savent à quel point ils m’ont sexualisée, obéissent à des dynamiques sexistes, et si le soir en rentrant ils estiment avoir été dans leur bon droit de ne pas respecter les miens. Je questionne la cohérence avec laquelle les représentants d’un musée national peuvent interdire l’accès à la connaissance et la culture sur la base d’un jugement arbitraire qui détermine si l’apparence d’autrui est décente. Je ne suis pas que mes seins, je ne suis pas qu’un corps, vos doubles standards ne devraient pas être un obstacle à mon droit d’accès à la culture et la connaissance. »

Voilà un discours qui s’applique également aux dirigeant-e-s d’établissements scolaires interdisant l’accès à l’enseignement aux collégiennes et lycéennes qui portent des croc tops, des jupes courtes et des shorts en raison de la potentielle excitation que cela pourrait provoquer du côté des élèves masculins…

Ainsi donc les filles et les femmes entraveraient les valeurs et le fonctionnement de la République de par les tenues qu’elles portent ou du soutien-gorge qu’elles ne portent pas. Le sujet est placé actuellement au cœur du débat. Mais c’est aux hommes que l’on demande de s’exprimer. Jean-Michel Blanquer, Emmanuel Macron, Alain Finkielkraut… Ce sont leurs paroles, leurs opinions, leurs conseils avisés qui en appellent au « bon sens » et à « la tenue républicaine », que l’on sollicite et que l’on répand dans la presse. 

Les femmes, encore une fois, n’ont pas voix au chapitre. Leur corps sont comme toujours étalés et jugés sur la place publique. Ils sont coupables ! Ils excitent les hommes avec leurs petits, moyens ou gros tétons ronds qui transpercent leurs hauts. Ils répugnent les hommes avec leurs poils drus, bouclés ou colorés qui s’affichent sous leurs aisselles, sur leurs jambes, leurs bras ou encore leurs pubis.

Elles n’ont pas choisi mais elles sont condamnées. Leur châtiment : intégrer l’idée que leur corps ne leur appartient pas et se soumettre en permanence aux injonctions paradoxales qu’on leur assaille depuis la petite enfance. Tout ça, en silence. Evidemment. Pourtant, ce sont bel et bien leurs voix qui devraient être entendues, qui devraient compter.

LE SOUTIF : DEPUIS QUAND ET POURQUOI ?

« J’ai dû commencer à en porter vers 12-13 ans je pense… Je n’en suis même pas sûre. C’est ma mère qui a pris l’initiative de m’en faire porter. C’était juste des soutiens-gorge sans armature. Après réflexion, ça devait sûrement être pour éviter qu’on me fasse des remarques ou qu’on voit les tétons qui pointent. » Camille, 25 ans.

« J’ai commencé à en porter à partir de la 6e/ 5eje dirais… Je crois que lorsque j’ai commencé à vouloir porter des soutiens-gorge, c’est parce que je souhaitais avoir de la poitrine. Clairement vu la petitesse de ma poitrine de l’époque, je n’en avais pas d’utilité physique. », Lise, 22 ans. 

« Au début, à mes 11 ans, parfois j’oubliais d’en mettre mais plus ma poitrine se formait, plus j’avais des remarques de mes copines de mon âge qui me disaient que je devais en porter. Par la suite, c’est devenu une habitude, une norme, je ne me voyais pas sans. Il faut savoir que toutes mes représentations féminines autour de moi en portaient un et critiquaient celles qui n’en portaient pas. » Audrey, 22 ans.

« Je ne sais plus bien exactement (quand j’ai commencé à en porter), au collège, je dirais, vers 13 ans peut-être. Je crois hélas que ça a été systématique, comme la majorité des jeunes filles aujourd’hui, on fait comme tout le monde, on ne se pose la question, c’est la normalité, on se sent devenir femme en portant cette camisole ! On parle plus aux jeunes filles de mettre un soutif que de leurs premières règles ! » Laura, 32 ans.

« J’ai commencé à la fin du collège, quand un garçon m’a dit qu’on voyait mes tétons à travers mon tee-shirt. »
Nina, 35 ans.

« J’ai porté des soutiens-gorge pendant environ 14/15 ans. Je me souviens qu’à l’époque du collège, c’était vraiment important pour l’image, d’avoir des bretelles de soutien-gorge visibles, qui dépassaient des débardeurs. C’est à ce moment que j’étais très heureuse d’avoir des brassières, puis de véritables soutiens-gorge. Sans nécessité autre que l’image que ça pouvait me renvoyer. D’ailleurs je ne me suis dit jamais posé la question de l’utilité, c’était simplement une étape vers « la vie de femme ». » Enthea, 30 ans.

« J’ai mis très longtemps à en porter : pré ado, adolescente, je n’avais que des très petits seins (bonnet A trop grand) et ne voyais donc pas l’utilité du « soutien ». J’ai dû commencer vers 17 ans. Ensuite adulte, j’en ai porté (mais avec de grandes difficultés pour trouver une taille adéquate et confortable – bonnets trop grands / molletonnés tout en ayant un tour de torse trop serré – brassières disponibles seulement pour enfants…) pour des occasions particulières : port de robes moulantes, de vêtements transparents, allaitement. Ce n’est que la pression sociale (camarades filles de l’école, du collège, du lycée) qui m’a poussée à demander à en porter, pour faire « comme les autres », pour m’intégrer.

Par exemple, à l’âge de 11 ans, j’ai été la seule fille à me présenter à la piscine uniquement en slip de bain lors du 1erjour des séances scolaires. Le haut du maillot bikini n’est pas un soutien-gorge en soi mais en l’occurrence il a cette fonction de cache seins. Ensuite, adulte, la pression de « conformité » a continué. Femme mariée, puis vivant en union libre, je mettais donc un soutien-gorge pour « remplir » les vêtements que je portais à l’endroit adéquat, pour ressembler à l’image que je pensais devoir montrer pour être une femme, mais seulement de façon ponctuelle quand le « flottement » était trop flagrant, tout en étant complexée, en attendant que le fait d’avoir des enfants « me les fasse pousser » (je sais c’est bizarre… Scoop : ça n’a pas fonctionné) » Béa, 56 ans.

« Au début de ma transition, ça me faisait plaisir de porter un soutif.»
Gwenn Loona, 43 ans.

« J’ai commencé à avoir de la poitrine tôt, environ en CM2. Ça ne me dérangeait pas mais je jouais beaucoup avec les garçons, je n’étais pas pudique sauf qu’un jour, on se déguisait et je me suis changée devant eux, sans trop penser au fait que je commençais à avoir des seins. Ils ont vu, ils étaient gênés donc ça m’a gênée aussi. Je me suis ensuite dit que si je portais un soutien-gorge, ce serait mieux. » Léna, 21 ans.

« Avec le traitement hormonal, j’ai eu une poitrine naissante à 18 ans. J’étais excitée de voir mon corps se transformer comme je le souhaitais. J’ai mis un soutien-gorge bien push up ! C’était un moyen de mettre en avant ma poitrine, c’est un symbole de la féminité. J’en rêvais depuis le début de mon adolescence, surtout que ma jumelle, elle, en portait. Du coup, j’en portais tout le temps sauf pour dormir. Le reste du temps, c’était inconcevable de ne pas en porter. Ça me légitimait en tant que femme. » Vanessa, 28 ans.

« Pour moi, c’était normal d’en porter. J’ai grandi, j’ai eu des seins, j’ai eu honte. Ma mère était seins nus sur la plage pourtant mais une fille m’a dit « Tu mets pas de soutien-gorge ? ». Finalement, on ne se pose pas de question la première fois qu’on enfile un soutien-gorge. Alors qu’il n’y avait pas d’injonction à ça dans ma famille. Je l’ai fait pour être comme tout le monde, pour être comme les filles de mon âge. » Eva, 25 ans. 

PASSAGE OBLIGÉ…

Pour notre enquête journalistique, nous avons interrogé 32 personnes concernées par les injonctions à l’épilation et au port du soutien-gorge (lire notre encadré sur le sujet). Sur l’ensemble des réponses, 100% des personnes ont indiqué avoir déjà porté un soutien-gorge, une brassière ou une bralette.

Lors de la puberté, majoritairement, pour les femmes cisgenres, lors de la transition, pour les femmes transgenres. Avec ou sans armatures, les répondant-e-s expliquent que ce geste, parfois attendu avec impatience lors de l’enfance, est souvent motivé par l’envie de « faire comme les grandes », par « mimétisme ».

Il peut aussi être « un mal nécessaire », selon les situations, comme en témoigne Loreleï, 42 ans : « J’ai une taille qui varie du 40 au 44. Mon soutien-gorge affiche 90D/E le plus souvent, même lorsque je descends à mon poids minimal, je reste à 90D. J’aurais aimé pouvoir ne pas porter cet accessoire qui trop souvent est inconfortable, même dans les grandes marques. J’ai essayé les corsets, les brassières, tous les modèles plus ou moins vantés pour leur confort. C’est malheureusement très onéreux pour un résultat aléatoire. Le poids de ma poitrine trop sensible se répercute sur les bretelles, générant du petit inconfort à la blessure (taches violettes, abrasions) car j’ai aussi la peau très sensible. Malheureusement, si je me passe de tout soutien, ma poitrine attirée par la gravité tire sur les tissus et mes seins deviennent douloureux au moindre mouvement. Je passe invariablement la fin de la journée les bras croisés, quasi sans bouger. »

Dans la plupart des cas, les jeunes filles semblent intégrer l’idée qu’enfiler un soutien-gorge est un passage obligé, non pas pour le confort et la santé, mais pour la symbolique qu’il représente : il est un des leviers qui nous propulse vers le statut de femme. 

ET LES POILS, MÊME COMBAT ?

Et qui dit femme, dit imberbe. Surprenant puisque la journaliste et autrice Morgane Soularue nous apprend dans son livre Cheveux et autres poils que « filles et garçons ont le même nombre de follicules pileux (petit trou sur la peau dans lequel le cheveu et le poil naissent. Toute notre peau ou presque en contient.) : 4 millions environ, placés aux mêmes endroits du corps. »

Ainsi, les cheveux apparaissent à la naissance et le reste de la pilosité survient à la puberté. Là, les hormones s’en mêlent : « Le corps des garçons produit plus d’hormones androgènes, comme la testostérone. Et plus on a de testostérone, plus on est poilu… »

Globalement, le corps des femmes compte moins de poils (toutefois, on sait qu’en raison du syndrome des ovaires polykystiques par exemple, une pilosité importante est susceptible de se développer) mais il en compte quand même. Problème : « Un peu tabous, les poils véhiculent un tas d’idées reçues. On a tendance à les associer à un manque d’hygiène, en particulier sous les bras, car on les croit responsables de la transpiration. »

Un argument que l’autrice dément immédiatement après. Toutefois, même si le poil n’a rien à voir là-dedans, la pilosité est genrée et le rasoir devient dès la puberté un autre levier nous propulsant vers le statut de femme (et qui nous fait payer plus cher, merci la taxe rose…).

Parmi les 32 répondant-e-s, 25 ont témoigné de leur rapport à leurs poils. Tout comme pour le port du soutien-gorge, 100% des personnes ont indiqué avoir déjà eu recours à l’épilation.

« Par peur du regard des autres. » Manon, 24 ans.

« Par souci esthétique et d’intégration. » Elodie, 25 ans.

« Je détestais les poils et j’avais l’impression d’être sale. Je l’ai ressenti (la pression, l’obligation à l’épilation) à mon adolescence et quand j’ai commencé à avoir des rapports sexuels. » Gaëlle, 39 ans.

« En y réfléchissant, c’était sûrement par mimétisme et parce que je me sentais obligé.e à cause de la pression de la société. » Ange, 24 ans.

« Pour faire comme tout le monde car je ressentais le regard des autres notamment au lycée et au collège. Ayant une maman qui ne s’épile pas, j’ai eu un modèle qui me disait « fais ce que tu veux » mais je n’ai pas compris tout de suite son message, j’avais honte quand elle levait les bras. Dès mes 13 ans, j’ai commencé à me raser les aisselles, les jambes, l’entrejambe. » Audrey, 22 ans.

« À l’adolescence, je me suis épilée les aisselles à cause des odeurs de transpiration. Entre 18 et 25 ans, je me suis épilée les jambes ou le sexe pour la piscine (pression sociétale) ou pour les relations intimes. » Sophie, 31 ans. « Au collège, j’avais des poils sous les bras. J’étais hyper fière et ma meilleure pote m’a prise à part pour me dire de les enlever. Je suis passée de la fierté à la honte. Je me suis sentie tellement bête. » Eva, 25 ans.

« Pour ne pas être stigmatisée, rentrer dans le moule. J’ai eu une puberté précoce. J’étais complexée et dans ma famille, il y a un tabou autour de la puberté. Je voyais ma grande sœur qui était tout le temps épilée alors j’ai commencé à le faire, en piquant ses outils. » Chloé, 29 ans.

« Une meuf au lycée m’a dit que ça la gênait. Je me suis épilée. Ma mère aussi me met la pression sur mes poils. Mais moi je les aime mes poils ! » Loona, 20 ans.

« J’ai eu un mec gros connard. Au lieu de me dire ce qu’il aimait ou ce qu’il n’aimait pas, il me l’a dit par texto, avec des émoticônes : Mouton – Ciseaux – Cochon – Aubergine – Abricot. Traduction : avec mes poils, je suis dégueulasse, une fois épilée, il pourra me baiser. » Elly, 30 ans.

Grande classe…

INJONCTIONS, INJONCTIONS, INJONCTIONS

Les réactions sont variées mais sans appel. Le kit de la féminité se compose de maquillage, d’un lisseur, d’un rasoir, de crème dépilatoire, de tampons, serviettes ou coupes menstruelles, d’un soutien-gorge avec ou sans armature ou encore une brassière… Et on le vend aux jeunes filles de plus en plus tôt comme en témoigne notamment Florence Braud, fin août, sur Twitter :

« Tu as 8 ans, tu mesures environ 128 cm, tu joues encore aux petites voitures et à la dinette, mais surtout, surtout, n’oublie pas de mettre ta brassière rose REMBOURRÉE pour ta rentrée en CE2 !!! #SexismePasNotreGenre. » Elle accompagne la publication d’une photo de la dite brassière rose rembourrée « Girls by Athena » et poursuit : « Sérieusement, c’est quoi l’idée ? Quel est le message envoyé aux gamines de 8 ans ? À quel moment une marque se dit que oh, et si on faisait complexer les fillettes qui n’ont pas de seins ? (Parce que oui, c’est bien connu, à 8 ans c’est important d’avoir des seins…). »

Quatre ans plus tôt, elle avait déjà rédigé un billet de blog sur le sujet et songe que dans quatre ans, il sera toujours d’actualité. La discussion s’anime sur le réseau social. De nombreuses femmes commentent, scandalisées elles aussi par le produit fustigé mais majoritairement, elles témoignent de la difficulté, voire de la « galère » à trouver un haut de maillot de bain non rembourré pour les pré-adolescentes et les adolescentes.

Rares sont celles qui s’indignent au même titre que Florence Braud qui recadre parfois le débat : « Plusieurs personnes me répondent dans les commentaires (de manière parfois agressive) que les coques servent « à cacher les tétons qui pointent ». Ok. En quoi est-ce un problème des tétons qui pointent à 8 ans ? Et même, à 20, 40 ou 80 ans ? »

Injonction à porter un soutien-gorge, injonction à cacher ses tétons, injonctions à épiler ses poils… « Les injonctions sont de plus en plus nombreuses et surtout de plus en plus précoces. », nous signale Camille Froidevaux-Metterie, philosophe féministe et autrice. Celle qui a écrit La révolution du féminin dédie un chapitre aux seins quelques années plus tard dans Le corps des femmes – la bataille de l’intime, puis récemment tout un livre intitulé Seins – En quête d’une libération.

Parce qu’elle a découvert et pris conscience que les seins sont singulièrement absents des initiatives de réappropriation du corps, « grands oubliés de la dynamique d’émancipation » comme elle le formule en titre de son introduction.

« Il est important de replacer le féminisme dans le temps long de l’histoire. Les années 1970 ont été celles du second grand moment féministe (après la bataille pour le droit de vote), celui qui visait à libérer les femmes du carcan de leur corps procréateur. Mais, dans les décennies qui ont suivi, ces sujets corporels ont disparu du champ féministe. Depuis le début des années 2010, une nouvelle génération de féministes se ressaisit de chaque centimètre cube du corps des femmes. La dynamique à l’œuvre est puissante.

Elle témoigne de ce que les femmes ont décidé de se réappropier leurs corps sexués et intimes, sur le versant négatif de la lutte contre les injonctions objectivantes comme sur le versant positif de l’exploration de toutes les dimensions de nos vies incarnées. On ne se défait évidemment pas rapidementde décennies de formatage mais le foisonnement des initiatives me fait penser que les plus jeunes ont de la chance.», explique-t-elle.

Dans son livre Seins – En quête d’une libération, Camille Froidevaux-Metterie donne une place prépondérante aux vécus et ressentis des femmes qui témoignent et à leurs seins, photographiés toujours nus, toujours de deux manières : en portrait, le corps orienté de ¾, et en portrait encore mais avec les mains dans le champ. Jamais le visage n’apparaît :

« Les seins peuvent être comme des visages. Après avoir fait le portrait des seins, je demandais aux femmes de faire entrer leurs mains dans le cadre, cela faisait entrer une partie de leur personnalité mais aussi leurâge. » 

On lit l’ouvrage et on respire. Nos seins sont tous différents. D’une diversité infinie, comme le dit et le démontre l’autrice. C’est la représentation que l’on en fait qui est unique. Les seins, en forme de demi pomme, bien ronds, fermes et galbés, « ce sont des seins irréels, ils existent évidemment mais de manière minoritaire. » 

GROSSE PRESSION, GROS COMPLEXES

Visant à faire croire qu’ils constituent la norme, il s’agit là d’un idéal, impossible, à atteindre. En pratique, ça donne source à de nombreux complexes. Comme en témoigne Julie, 30 ans :

« À l’adolescence, j’étais très complexée par ma petite poitrine asymétrique. J’enviais beaucoup ma sœur et son bonnet D, et je pensais qu’en portant de gros push-up (parfois même en dormant), j’allais « dresser » mes seins à remonter. Après des années de baleines douloureuses et de bretelles tombantes insupportables, je suis passée aux brassières rembourrées. Je voulais des seins ronds, bien dessinés. J’avais une idée très précise de ce que devait être le corps de la femme, aussi bien au sujet de la poitrine que de toutes les autres parties de son corps. Je n’étais d’ailleurs pas très heureuse dans ma peau puisque le reflet du miroir était loin de me renvoyer l’image de cette femme idéalisée. »

Elle nous précise ensuite :

« Au sujet de ce corps féminin idéalisé : le premier modèle a été ma mère : mince, fine de visage, sensuelle sans être apprêtée, plutôt menue, la poitrine bien présente sans être imposante. J’ai grandi en entendant que je ressemblais surtout à mon père. À l’adolescence, cet idéal s’est cristallisé autour de ces jeunes filles minces, le ventre hyper plat, la poitrine haute et le corps ferme. Bonjour clichés… Je ne fais pas dans l’originalité, mais c’est un modèle qui m’a été imposé par les pages « ados » du catalogue La Redoute quand je commandais des vêtements, les actrices de mon âge qui jouaient dans les films à succès, les copines de classe qui restaient minces et attirantes. Et ce, toujours au naturel. »

Jeunes, on se compare et on se soumet à la pression d’une société qui depuis longtemps objective le corps des femmes. Dans Seins – En quête d’une libération, Camille Froidevaux-Metterie écrit :

« L’apparition des seins est aussi immaîtrisable qu’inéluctable, elle inscrit la fille dans une histoire qui est à la fois la sienne propre et celle de toutes les femmes, une histoire dont le cours est par ailleurs inflexible. Elle peut se couper les cheveux, ne porter que des pantalons, refuser tout signe extérieur de féminité, elle ne pourra se défaire de ses seins, sauf à se faire opérer. Têtue, leur présence figure l’évidence d’une condition sexuée définie à l’aune de l’ordonnancement phallocentré du monde. On peut dire que les seins fonctionnent tout à la fois comme l’augure, la preuve et l’emblème de la féminité entendue comme un mixte de disponibilité sexuelle et de dévouement maternel.

Leur renflement indique que la fille est désormais soumise au regard des hommes, bientôt prête à « accueillir » leurs mains et leurs sexes, susceptible d’être fécondée. Personne ne l’annonce en ces termes mais les concernées le savent et développent des comportements qui en témoignent : honte, dissimulation, comparaison, détestation ou, à l’inverse, exposition, exaltation, séduction, jouissance. Les seins signifient, et imposent même, la présence inesquivable du féminin. »

RÉÉDUCATION DES MENTALITÉS

Le féminin, et c’est là que se niche la problématique, est une construction sociale. La société l’associe à la douceur, au calme, au côté maternel, à tout ce qui s’apparente au soin et à l’aide aux personnes mais aussi à la nature, etc. Les petites filles sont éduquées en direction de cette idéal de féminité : les cheveux longs, lisses, éventuellement noués d’un ruban rose, portant des robes et des chaussures vernies, elles ne font pas de bruit, sont studieuses et sérieuses, toujours prêtes à aider leur prochain, à consoler leurs camarades, elles jouent à la poupée et à la dinette quand elles ne sont pas occupées à lire des bouquins (de préférence sur les chevaux et les dauphins) et elles n’ont aucun sens de l’orientation (oui, nous aussi on s’est étouffé en l’écrivant).

En grandissant, elles apprendront qu’elles sont faites pour créer la vie et éduquer les enfants… et entretenir la maison… et satisfaire leur mari. Depuis quelques années, elles doivent également réussir à tout prix leur carrière professionnelle (sans non plus dépasser Monsieur…).

Notons donc qu’en 2020, la vision (rétrograde) hétéronormée domine toujours le monde et la féminité s’incarne désormais dans un méli mélo mêlant Blanche-Neige et Wonder Woman, une Barbie des temps modernes. Et cette dernière n’a ni tétons, ni poils. En plus de 50 ans, les femmes ont conquis des droits et des libertés pour elles et leurs corps. Mais elles n’y sont autorisées que dans une certaine mesure.

« Les femmes apprennent à bien gérer leur corps. Par exemple, on intègre l’idée qu’il faut être bien épilée avant un rendez-vous. C’est une injonction qui bride la sexualité féminine. Il y a un lien entre femme objectivée et femme épilée. Le poil, il dérange énormément sur le corps d’une femme. Cette barrière franchie qu’on ne veut pas voir dérange la virilité de ces messieurs ! Je trouve ça très intéressant de pouvoir repenser les genres. », explique Enthea, photographe et co-fondatrice, avec Amandine Petit-Martin, du projet de rééducation visuelle collective Soyeuses, à suivre sur Internet et sur Instagram.

Elle trouve que les poils au soleil, c’est beau : « Mais c’est souvent l’été qu’on complexe par rapport à ça. En même temps, on nous apprend depuis qu’on a 10 – 12 ans qu’il faut enlever nos poils… Alors quand vient la saison des shorts et des jupes… »

Partout autour de nous, dans les magazines, sur les panneaux publicitaires, en couverture de bouquins et de BD, dans les clips, les séries et les films, les femmes sont sans poil. L’objectif de Soyeuses : proposer de nouveaux modèles. Avec des femmes non épilées.

« Je ne fais pas des photos à la chaine. Je travaille avec un-e modèle, pas avec une statue. On discute beaucoup avant que je fasse les photos. On échange, on tourne autour du sujet. C’est hyper important de les photographier en tant que sujets. On a toutes une histoire, on a toutes des histoires différentes. Et le poil est là au milieu de tout ça. On a toutes une pilosité différente. Des cheveux longs, des poils courts, très marqués ou invisibles… », souligne Enthea. 

La première photo visible sur le site montre une femme au crane rasé et aux jambes poilues qui allaite son enfant. On scrolle et on découvre une série de photographies sublimes et captivantes. Toutes les femmes y sont différentes. Leur pilosité aussi. Ce qu’on regarde, c’est l’ensemble de la photo. On ne focalise pas sur les poils qui souvent apparaissent dans un second temps. Ils sont de l’ordre du détail et n’ont rien de choquant.

« On veut montrer de nouvelles manières de vivre librement en tant que femmes. La question du poil est beaucoup tournée en dérision mais elle est très symptomatique de ce que l’on impose aux femmes. Faut qu’on puisse faire ce qu’on veut ! Mais ça prend du temps… Sur le poil, le regard n’est pas neutre encore ! »
précise la photographe.  

UTILITÉ VS ESTHÉTIQUE & DOMINATION

La question de la représentation, de ce que l’on donne à voir des femmes, est cruciale. Elle traverse l’Histoire. Cheveux, barbes, types de coiffure… sont des marqueurs de rangs et de classes sociales. Ils désignent également notre appartenance à un groupe spécifique, une communauté, etc.

Mais ils véhiculent également des stéréotypes et des assignations, principalement genrés et sexués. Dans Cheveux et autres poils, Morgane Soularue rappelle la fonction des poils : « Nos cheveux et nos poils ne sont pas là pour rien, ni pour faire joli ni pour nous embêter. Très utiles, ils ont beaucoup à raconter et en disent longs sur nous. »

En effet, elle explique leur rôle d’isolants thermiques, permettant de réguler notre température corporelle selon les saisons et de protéger l’épiderme contre les rayons du soleil. Elle précise : « Si on a moins besoin de ce rôle isolant qu’à la préhistoire, le poil et le cheveu ont toujours un rôle social et esthétique. »

Les cils et les sourcils empêchent les impuretés et la sueur de rentrer dans nos yeux, les poils de nez et d’oreille barrent la route aux poussières extérieures et les poils sous les aisselles et sur les organes génitaux réduisent « les irritations et les inflammations liées aux frottements des vêtements, aux impuretés et plis de la peau. »

Toutefois, par souci esthétique, on exige de la moitié de l’humanité qu’elle éradique ces poils de la surface de sa peau, pubis compris ! « Dans les productions pornographiques des années 70, les mottes foisonnantes étaient pourtant légion. Le site web Waxing Nostalgic retrace en quelques photos les évolutions des pubis des playmates du magazine Playboyà travers les âges. Jusqu’aux années 80, elles dévoilent des sexes en totale liberté pileuse. À partir des années 90, le ticket de métro devient la norme. Au-delà de 2005, les poils ont totalement disparu. », écrit Stéphane Rose dans Défense du poil contre la dictature de l’épilation intime.

Quelques pages plus loin, il cite la psychanalyste Daniela Litoiu-Colliard : « depuis cinquante ans, les femmes se sont « masculinisées » en s’appropriant de plus en plus des rôles tenus jusqu’alors par les hommes. Elles sont désormais ministres, chefs d’entreprise, chefs de famille… Elles arrivent même à faire des enfants sans les hommes ! Leur imposer l’épilation permet aux hommes de conjurer la peur profonde qu’ils éprouvent face à la puissance de la femme et sa nature sauvage, incarnée par ses poils. Comme s’ils avaient peur d’être castrés par ces femmes… Le fantasme du sexe glabre qui renvoie à la pré-puberté rejoindrait-il celui de la puissance masculine qui ne peut se vivre devant une femme mûre et velue ? »

QUI DÉTIENT LE CORPS DES FEMMES ? 

Les poils font débander les hommes, coupons-les (les poils…). Les tétons font bander les hommes, cachons-les (les tétons…). L’un comme l’autre, ils sont obscènes. Chez les femmes. Ils renvoient à la sexualité. Des hommes. Hétéros. Cisgenres. La norme absolue. La perfection. Le pouvoir. De détenir le corps des femmes. De déposséder les femmes de leurs propres corps. 

« Pendant très longtemps, les femmes ont dû demeurer des corps « à disposition », dans les deux fonctions sexuelle et maternelle. En tant qu’organes de l’allaitement et organes de plaisir, les seins condensent ces deux fonctions. Ils ont un rôle instrumental dans la vie sexuelle, ils servent d’appâts. Pourexciteret attirer le regard, ils doivent être suffisamment visibles, suffisamment gros donc. Mais une fois la relation sexuelle engagée, les femmes regrettent que les seins ne soient pas suffisamment investis par leurs partenaires masculins. », analyse Camille Froidevaux-Metterie. 

Montrer une partie des seins serait recommandé donc mais les aréoles et les tétons sont bannis de la vision autorisée. Pour toutes les raisons invoquées par la philosophe, le soutien-gorge est l’arme idéale : il permet de donner cette forme bien arrondie, cette impression de fermeté, cet effet de nichons remontés-collés-serrés et de dissimuler aréoles et tétons par la même occasion. Et va dès lors jusqu’à dissimuler les « vrais seins ».

On ne sait pas, on ne sait plus ce à quoi ressemble les poitrines des femmes qui tentent par divers procédés d’atteindre cette demi pomme, qui donnera tant envie aux hommes de croquer dedans. On complexe, on compare, on jalouse, on envie, on rejette, on fait des tours de passe passe, on négocie…

On lâche l’affaire ? Pas dans une dimension d’échec, non, loin de là. Dans une dynamique de confort, d’émancipation personnelle, de militantisme collectif… Les raisons ne manquent pas à celles qui rejoignent Free The Nipple et No Bra. D’ailleurs, aucune obligation de revendiquer une appartenance à un mouvement, c’est là l’idée : avoir le choix. Avoir le choix de faire ce que l’on veut. S’épiler ou pas. Porter un soutif ou pas.

Tout comme les seins ont des formes différentes, que les aréoles et les tétons varient d’une personne à l’autre dans leur couleur, texture, taille, que les poils poussent plus ou moins lentement, plus ou moins selon les endroits du corps, qu’ils sont fins ou drus, etc., les personnes qui ont témoigné auprès de la rédaction dans le cadre de ce dossier ont des raisons, des réactions, des ressentis et des vécus plus ou moins différent-e-s d’arrêter, progressivement, définitivement, par alternance ou pas du tout le port du soutien-gorge (de la brassière ou de la bralette) et/ou l’épilation.

Souvent, elles se rejoignent sur les injonctions subies en tant que personnes définies et/ou perçues en tant que femmes et leurs conséquences. Elles relatent des expériences communes dues à leur sexe et à leur genre mais font part de parcours personnels, résultant de leur émancipation individuelle mise en résonnance avec les réflexions collectives naissant autour du corps des femmes et de la réappropriation de celui-ci par les un-e-s et les autres.

PAS À PAS

Oui, le confinement a aidé certaines femmes à s’interroger sur leur rapport à leur corps. Plus précisément à questionner les diktats esthétiques qui pèsent sur la gent féminine, principalement. Elles ont pu expérimenter le naturel. Elles ont pu constater que le ciel ne leur tombait pas sur la tête lorsqu’elles laissaient leurs poils pousser et leurs seins en liberté.

Elles ont pu découvrir que leur poitrine avait réellement besoin de soutien ou au contraire que le soutien-gorge n’était qu’une contrainte supplémentaire vis-à-vis de leur corps. Il y en avait qui le savaient déjà et d’autres qui n’ont pas eu le temps / la chance / le loisirs / l’opportunité / l’envie / ou autre d’explorer le sujet. La démarche n’est pas neutre.

La déconstruction face aux assignations de genre et injonctions à la pudeur et à la dissimulation n’est pas appréhendée et vécue de la même manière par tou-te-s. De manière globale, les répondant-e-s ont démontré dans leurs récits un épanouissement incontestable à partir du moment où elles avançaient à leur rythme, selon leurs choix, décidés du jour pour le lendemain ou appliqués pas à pas. Il y a parfois un déclic. Parfois, non.

Pour Julie, 30 ans, c’est un séjour à la campagne. Pour Agathe, 24 ans, ce sont d’abord les périodes de vacances, puis le confinement. « Je fais du topless sur la plage, ça ne me dérange pas. Mais je suis surprise souvent d’être quasi la seule. Quand j’étais petite, on allait sur des plages nudistes et je me souviens qu’il y avait quasiment que des hommes. C’est surprenant quand même… Pendant les vacances, j’ai l’habitude d’abandonner le soutien-gorge. Pendant le confinement, je n’en mettais plus du tout. Par contre, je travaille avec des enfants et j’en mets dans ce cadre-là. Quand je sors, parfois, dans la rue, je le sens pas donc je préfère porter un bandeau. »

Pareil pour Vanessa, 28 ans : « Pendant le confinement, j’étais chez moi. Je n’avais pas besoin de sortir. À part pour faire quelques courses et je n’en mettais pas pour y aller. Je n’ai eu aucun regard particulier… Quand j’ai repris le boulot (en présentiel, ndlr), j’ai mis un soutien-gorge le premier jour mais je ne me suis pas sentie bien. Je sentais physiquement la différence. Dès le lendemain, je n’en ai plus mis. Si on voit mon téton, ce n’est pas grave, je ne montre pas mes seins ! Oui, une pointe peut apparaître mais je ne cherche pas à la faire apparaître.»

Pour Lucile, 33 ans, c’est la pratique du Qijong qui a été l’élément déclencheur, il y a quatre ans : « Quand il fallait écarter les bras, ouvrir le plexus solaire, remplir la cage thoracique d’air, j’étais tout simplement gênée par mon soutien-gorge. Au départ, je l’enlevais pour pratiquer puis le remettais après. Ensuite, plus j’ai pratiqué, ressenti le bien-être de mettre mon corps en mouvement, et plus je n’avais pas du tout envie de retourner dans un vêtement qui me serrait. »

Cela suscite des réactions : « Pour ma mère, c’était très étrange de faire ce choix et en même temps assez osé je crois. Quand je lui en ai parlé, elle m’a dit que ça allait se voir. Ah, on allait voir ma poitrine. Et puis, elle a rajouté, bon tu es encore jeune. Alors si c’est une jolie poitrine, on peut retirer le soutien-gorge ? Je lui ai alors demandé si elle avait remarqué que je n’en portais pas depuis le début de notre conversation. Ah bah non. Une croyance, une peur. J’ai continué de vivre sans soutien-gorge. Je ressens plus de liberté dans mes mouvements, j’ai aussi moins chaud l’été et mon portefeuille s’en porte bien ; pour avoir de la qualité, il faut y mettre le prix quand même. Aujourd’hui, je suis enceinte, mes seins ont un peu grossi mais j’ai encore moins l’envie de me sentir étriquée dans des vêtements.

Je témoigne parce que la sage-femme qui me suit a remarqué que je ne portais pas de soutien-gorge en m’auscultant et m’a dit : « Mais vous ne portez pas de soutien-gorge ? Non. Mais vous n’avez pas une petite poitrine ? Non. Ah parce que j’ai une ado qui ne veut pas en porter et je cherche des arguments pour qu’elle en porte. Donc cela me fait réfléchir. » Je ne veux pas convaincre les mamans de dire à leurs ados de ne pas porter de soutien-gorge, je souhaite juste que chacune nous puissions avoir le choix. Si on hésite à passer à l’action, que ce soit pour mettre un soutien-gorge ou pour le retirer, on peut le voir comme une expérience pendant quelques jours et relever comment cela se traduit dans notre corps, sur notre respiration, sur notre bien-être, sur notre confiance en soi. »

Elle conseille également à toutes les personnes craignant le regard des autres de démarrer le no bra en hiver puisqu’en général, les couches de vêtements s’accumulent sur notre corps à cette période. Sans se sentir contraintes non plus. Elle enfile un débardeur léger par exemple quand il fait froid et qu’elle n’a pas envie que ses tétons entrent en contact direct avec le tissu qui les couvre. Comme cela peut être le cas en période de règles ou quelques jours avant le début des menstruations.

Camille, 25 ans, réfléchit actuellement au no bra, elle a du mal à accepter sa poitrine au naturel : « Si je passe au no bra, je pense que je porterai un soutien-gorge (ou un bandeau ou une brassière) sous des vêtements où il y a risque de tout voir, ou pour une occasion particulière. Je porterai un soutien-gorge ou une brassière à cause du SPM (syndrome pré-menstruel, ndlr), j’ai la poitrine plus sensible avant mes règles et du coup, j’ai mal en descendant/montant les escaliers, quand ils bougent trop, donc je préfère en porter pendant cette période. »

Elle craint que l’on voit ses tétons. Elle craint les remarques. « Et le fait aussi qu’un sein puisse malencontreusement sortir de la tenue aussi. Mais globalement je suis à l’aise dans un soutien-gorge, ça ne me dérange pas d’en porter, je trouve ça beau, et selon le modèle ça peut faire une belle poitrine. J’essaie d’apprendre à aimer ma poitrine au naturel et pas seulement avec un soutien-gorge, c’est pour ça que je tente le no bra parfois chez moi. »

Nina, 35 ans, a commencé à mieux accepter son corps et ses « seins pas énormes ». Elle passe progressivement à des brassières et à des soutiens-gorge sans armatures. Si pendant l’été et les vacances, elle s’en passe aisément, en revanche, quand la rentrée de septembre arrive, elle rempile :

« Je suis prof au collège, je pense que ce ne serait pas du tout accepté. J’ai déjà eu des soucis avec ma cheffe parce que je portais des shorts, je n’ose même pas imaginer si je me pointais sans soutif. J’ai déjà vu une collègue le tenter sans souci, mais personnellement mes tétons pointent très souvent, et je n’assumerais pas. C’est connoté sexuellement et ça attire le regard. »

Ainsi, elle l’avoue, elle est gênée si dans la rue, un jour où elle ne porte pas de soutien-gorge, elle croise un voisin ou un élève. « Cette année, pour la première fois, je suis frustrée de ne pas pouvoir poursuivre le no bra à la rentrée. Je cherche des brassières légères du coup, et peut-être qu’avec des tee-shirts côtelés où on ne voit pas trop les détails, je tenterai le coup. », poursuit-elle.

Mais ça ne l’empêche pas de se sentir de plus en plus épanouie : « Après l’allaitement de mes jumelles et de mon fils, j’ai cru devoir dire au revoir à mon plaisir d’avoir des seins. J’ai commencé leur deuil. Et puis ça s’est remis peu à peu. Alors je profite ! Je les aime, mon homme aussi. Je ne me cache plus quand je me ballade torse nu à la maison. Il y a quinze ans, c’était l’inverse. Même dans l’intimité je les cachais. » 

OUI, MAIS…

Certaines l’enlèvent car il crée une gêne, un inconfort ou même des douleurs. C’est le cas de Léna, 21 ans : « Je commençais par ne plus en mettre quand on ne pouvait pas forcément voir mes tétons, puis au fur et à mesure, je me suis écartée du regard que pouvaient avoir les gens donc je n’en ai plus porté du tout. Par confort, puis par militantisme. »

Pour Manon, 24 ans, il est quasiment impossible d’imaginer de ne pas en porter, avec son 95E : « Même si j’entends beaucoup de témoignages de personnes qui ont une forte poitrine et qui arrive à ne plus en porter, ce n’est pas le cas pour moi. Quand je suis chez moi et que je n’en porte pas j’ai très vite mal au dos. Et un autre problème que j’ai découvert : la transpiration ! Je transpire de ouf de sous les seins avec l’effet peau contre peau, c’est désagréable et ça fait des traces sur le t-shirt donc super… Je pense que c’est un de mes plus gros freins, même si je me remusclais le dos, j’aurais trop peur de ne pas porter un soutif au boulot et d’avoir des traces de transpi sous les seins… »

Elly, 30 ans, de son côté explique que c’est en changeant de milieu professionnel qu’elle a pu se libérer peu à peu de cette injonction. « Quand je travaillais au bar, un client m’a dit un jour « Tu n’as pas le droit de parler sans nichons ». J’ai acheté un push up. Je ne me sentais pas en sécurité « sans nichons »… Si tu as le téton qui pointe par exemple au bar, tu te fais insulter… le matin, quand je partais bosser, je mettais une armure en quelque sorte. Mes cheveux roses m’ont protégée aussi de pas mal de connards. Aujourd’hui, je mets un soutif ou je n’en mets pas, selon mes fringues ou selon par exemple si je vais en rendez-vous pro, genre pour obtenir des subventions… Et je me sens apte à parler dans n’importe quelle situation ! », lance-t-elle.

Gwenn Loona, 43 ans, travaille également dans un bar : « Dans cet univers, t’as pas la même liberté. Il y a à la fois la haine des trans et à la fois l’érotisation des corps des femmes. Tout ce que je suis. Je suis obligée de mettre un soutien-gorge au bar. » En dehors, elle choisit, sa fille aussi.« J’ai élevé mes enfants seule, j’ai une fille et une garçon. Mes enfants ont eu une éducation féministe et ma fille se libère des carcans, c’est elle qui décide. On ne veut pas rentrer dans la dynamique de l’ancien monde. On s’en libère en tant que mère et fille en train de vivre notre puberté en même temps, ensemble. Bah, on se marre bien ! »

En revanche, pour Loona, 20 ans, impossible de se sentir en sécurité sans enfiler une brassière : « L’insécurité se traduit partout. Même chez moi. Je dors avec. J’ai vraiment vachement peur du regard des autres. » 

L’INTIME EST POLITIQUE

Il y a des tonnes de motivation pour ne plus porter de soutien-gorge. Des tonnes de manière de le faire. Par alternance, en hiver, pendant les vacances, chez soi, dans les lieux identifiés (par la personne concernée) comme étant sécurisés et bienveillants, en portant un débardeur léger, en mettant une bralette, en portant des caches tétons, progressivement. Ou définitivement. Par confort, par militantisme, par choix. Il y a aussi des raisons d’en porter.

Parce qu’on a des problèmes de dos, une peau sensible, qu’on trouve nos seins beaux aussi dans de la lingerie, qu’on s’en sert comme un accessoire de séduction, qu’on n’assume pas d’avoir les tétons qui pointent, qu’on a une poitrine un brin ou très handicapante si elle n’est pas soutenue, pour faire du sport, etc.

Il y a aussi des stéréotypes et des peurs. Les tétons qui pointent sont signe d’excitation sexuelle chez les femmes. Cliché, ce n’est pas la seule explication. Une femme qui ne porte pas de soutien-gorge est une allumeuse. Cliché. Une femme qui ne porte pas de soutien-gorge et qui ne s’épile pas est une lesbienne qui veut ressembler à un homme. Cliché encore et encore.

Mais ceux-ci ont la vie dure et le problème perdure car majoritairement, on accable les femmes que l’on décrète fautives et responsables « d’aguicher », de « l’avoir cherché ». Quand on prend la problématique par l’autre bout, on prend conscience que le souci vient non pas des femmes mais du regard sexualisé que l’on porte sur elles, en tant qu’objets.

« La première fois que j’ai enlevé mon soutif pour dormir avec un gars, c’était pour être libre, pas pour qu’on couche ensemble. Il m’a violée. »
déclare Sadbh, 18 ans.

Quand va-t-on enfin écouter et prendre au sérieux les femmes ? On renvoie sans cesse le corps à l’intime. Il l’est. Et l’intime est politique. Si les Femen utilise leurs poitrines comme un outil d’action et un vecteur de messages, toutes les femmes ne sont pas obligées de revendiquer leurs libertés sur leurs seins.

Chaque démarche compte. De celle qui se pose des questions sur le pourquoi du comment à l’activiste torse nu, elles se battent pour arracher leurs droits comme les militantes des années 70 ont arraché leurs soutifs (la légende veut qu’elles les aient brûlés…). Chacune à son échelle et à son rythme, selon ses envies et possibilités.

« C’est une déconstruction sociale importante, ça change la vision que l’on a de soi et celle que l’on a des autres. Ce qui est dommage, c’est que quand on essaye de se déconstruire, genre du soutif, on va trouver des femmes qui vont nous mettre dans la tête qu’il faut en mettre. On ne devrait pas se juger, on devrait être solidaires ! Quand on fait les choses en sachant pourquoi on les fait, on est moins dans la souffrance. Quand on a le choix, on vit mieux les choses. Les poils sont beaux, les tétons aussi sont beaux. Et ils ne sont pas forcément sexuels. Moi, je trouve personnellement qu’avec des poils, on ressent plus de choses… », commente Eva, 18 ans. 

UN SENTIMENT DE RÉAPPROPRIATION

Qu’elles apprécient ou non, ou pas trop, ou de temps en temps, leurs seins, les répondant-e-s qui composent autour du no bra parlent toutes de réappropriation de cette partie-là de leur corps. Décomplexées pour certaines, libres de leurs mouvements pour d’autres. Ou les deux. Lili, 38 ans, les trouve « plus beaux, plus libres ! »

Coraline, 19 ans, porte maintenant des hauts moulants sans complexes : « Au début, j’avais des caches-tétons mais que lorsque je portais des habits moulants, sachant que je portais habituellement des habits fluides voire oversize et que j’ai une forte poitrine donc mes tétons se voient moins. Mais un coup, j’en ai perdu un en ville et je m’en suis rendue compte qu’en rentrant chez moi. Après j’avais la flemme d’en racheter une paire alors que j’en avais encore un et puis je me suis dit que si c’était arrivé alors c’était un signe et que je ne devais pas en porter et qu’au fond, moi je m’en fiche, je n’ai aucun problème avec le fait que mes tétons se dessinent à travers mon haut ! »

Rebecca, 30 ans, fait même des randonnées sans soutif : « Avant, j’étais dans l’optique que je ne supportais pas le contact direct de mes seins avec les textiles… En fait non. Une question d’habitude, de changement de pensée et d’acceptation de son corps. Je fais des randonnées sans et je suis même allée courir dans les montagnes sans. Je trouve ma poitrine encore plus belle ainsi. Certes, je porte des soutifs si le t-shirt est transparent ou qu’un sein pourrait s’échapper du décolleté. Sinon il n’est plus question que je porte ces instruments. Je suis persuadée que j’en respire mieux. Fin du saucissonnage pulmonaire ! »

Gaëlle, 39 ans, se sent enfin libre : « Libre de mes choix, libre de mon corps ! »

Et pourtant, ça n’a pas toujours été simple : « Pendant très longtemps, j’ai été complexée à cause de mon petit 85A, tout le monde me disait que ce n’était pas féminin, que je ressemblais à une petite fille, que je ne pourrais jamais allaiter. Psychologiquement, ça a été très difficile pendant près de 25 ans. »

À 38 ans, Sophie, du blog Woods Witch, ressent elle aussi pour la première fois l’acceptation :

« Je crois que c’est la plus belle victoire à mes yeux. Je suis ce qu’on appelle une plus size et rares sont celles qui ont une si petite poitrine par rapport à leur poids. Accepter mon corps fut la bataille de ma vie sous bien des aspects et j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir. »

Si elle éprouve un sentiment de réappropriation de son corps à travers le no bra, c’est « parce que c’est un choix en pleine conscience et non pas un choix pour se conformer aux critères sociaux. Cela aide à s’assumer telle que l’on est. » Pour Elodie, 25 ans, ne pas porter de soutien-gorge, « c’est comme ne pas avoir d’écharde dans le doigt. »

COMPOSER À SA MANIÈRE

On pourrait encore et encore et encore retranscrire et partager les récits de nos répondant-e-s. Nombreux, fournis ou synthétiques. Le sujet les inspire et les anime. On ressent le besoin de parler de leurs ressentis intimes, qui deviennent au fur et à mesure qu’on les croise pour les analyser, des vécus communs, même si encore une fois, toutes les personnes ayant témoigné n’adoptent pas toutes la même trajectoire et les mêmes réactions.

Et c’est bien heureux. Puisqu’il est question de choix. Ce qu’elles expriment justement, c’est bien le fait qu’elles ne le sentent pas ce choix au départ, lors de leur puberté. Alors, elles l’ont pris et ont fait à leur manière, comme elles veulent, comme elles peuvent. La plupart ont entamé en parallèle ou en décalé des démarches similaires concernant d’autres aspects de leur quotidien, toujours en lien avec leur corps.

Comme Sophie, mentionnée ci-dessus, qui a au même moment arrêté la pilule : « Je pense qu’une fois que l’on entreprend certaines démarches, de remise en question sur ces choix de vie de femme, à un moment donné la question du port du soutien-gorge se pose, d’où cette corrélation finalement je suppose. »

Souvent – par conséquent, pas tout le temps – elles ont donc développé des réflexions autour de l’épilation et de leur rapport à leurs poils. Lise, 28 ans, continue « de trouver la lingerie belle, ou sexy, en certaines circonstances », tout comme Vanessa, 28 ans, aime s’en parer par moment dans l’intimité de son couple, mais, poursuit Lise :

« Quel plaisir de m’en être libérée au quotidien ! Je fais un parallèle entre la libération de mes seins et la pousse de mes poils. Je n’assume pas encore totalement de porter une robe courte lorsque mes jambes sont poilues de plusieurs mois, mais depuis quelques années, je suis beaucoup moins à l’affût du moindre poil qui repousse. L’aisselle est l’endroit qui me dérange le moins lorsqu’elle est poilue. Je trouve même que c’est un symbole de féminité assumé, et en certaines circonstances, cela me plait d’avoir les dessous de bras poilus (je me rends bien compte que je suis soumise aux injonctions, et que c’est bien parce qu’on voit de plus en plus de femmes l’assumer que cela me plait !). »

LE POIDS DU REGARD

Elle est loin d’être la seule à laisser ses poils d’aisselle tranquilles, à assumer ses poils de jambes en hiver, à chasser à la pince à épiler les poils de l’entrejambe qui dépassent du maillot de bain l’été ou encore à se sentir mal à l’aise lorsqu’elles exposent leur pilosité aux regards extérieurs. Il semble, au vu des témoignages, que l’épilation soit une injonction plus difficile à combattre que le port du soutien-gorge.

Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que les seins, qu’ils soient apparents dans leur ensemble ou en partie, restent synonymes de féminité, là où les poils sont eux considérés comme un symbole de virilité. Et la virilité appartient dans la construction sociale au masculin.

Ainsi, les femmes subissent dès la puberté la pression quant à leur pilosité. Loreleï, 42 ans, parle même de « dictature sociale », « avec des commentaires automatiques au moindre poil oublié. Bien que je ne porte jamais de jupe ni de robe courte, en sorties comme dans l’intimité, il me fallait être totalement impeccable. » 

Il lui a fallu« attendre d’être maman pour assumer d’exhiber des jambes aussi poilues qu’une chenille de papillon de nuit, même dans les lieux publics comme un supermarché, en jupe jusqu’aux genoux. Je garde l’habitude de m’épiler les aisselles à la pince à épiler une fois par semaine, et celle d’entretenir un buisson court dans la culotte, à coups de ciseaux, pour des raisons d’hygiène : c’est plus vite lavé et ça ne retient pas d’odeurs. Au final, je fais de sacrées économies de temps depuis 4 ans ! »

Les commentaires dont elle parle, elle n’est pas la seule à en être assaillie. Quasiment toutes les personnes ayant témoigné de leur rapport à leurs poils en ont fait mention. Comme le soutien-gorge, l’épilation constitue une norme de féminité et celles qui la transgressent, consciemment ou non, sont rappelées à l’ordre.

« J’ai commencé par laisser pousser mes poils de jambes. Ma mère, qui est pourtant féministe, m’a déjà demandé un jour si je voulais vraiment mettre une robe pour aller au resto avec mes grands-parents… Après ça, j’ai laissé pousser mes poils sous les aisselles ! », rigole Sadbh, 18 ans.

Le regard des autres, elle passe outre. Au maximum. Béa, 56 ans, se souvient qu’une camarade de classe lui avait dit qu’elle était moche justement parce qu’elle était poilue des jambes.

« Ensuite, c’est moi qui me suis chargée moi-même de m’auto-critiquer sur les poils qui pointaient hors de mes collants par exemple. Un homme avec qui j’ai eu une relation sexuelle m’a demandé de raccourcir mes poils de pubis, considérés comme trop touffus et longs : j’ai découvert à cette occasion la mode du « ticket de métro », que je n’ai pas appliquée. Aucun autre homme ne m’a fait de commentaire à leur sujet. Je ne m’épile plus du tout depuis bientôt 15 ans, depuis que j’ai mis mon second compagnon dehors. », souligne Béa qui avoue qu’en couple, elle ressent le besoin « de paraître conforme à l’image féminine glabre ».

Ainsi, « en tant que femme hétéro ne m’épilant pas, je dois admettre que l’absence de besoin d’épilation pour être dans la norme (pour plaire) fait partie de mes raisons pour rester célibataire. Songer à retrouver une relation implique pour moi de retourner inévitablement dans ces préoccupations dont je ne veux plus. »

Pour Chloé, 29 ans, être acceptée telle qu’elle est est devenu un critère dans son couple. « Mes aisselles, je les vois comme la barbe pour les mecs. Je coupe quand j’ai envie. Pour les jambes en revanche… pourquoi m’abimer la peau pour une norme sociale ? Je vois pas trop l’intérêt… À une époque, je l’ai fait. Et en étant célibataire, mon premier réflexe a été d’aller chez l’esthéticienne alors que je ne m’étais pas épilée les cuisses depuis deux ans ! C’est triste ! Je veux quelqu’un qui m’accepte. Je veux bien expliquer, discuter. Je ne suis pas là pour faire de la pédagogie mais je suis ouverte à la discussion. Avec mon copain actuel, on a déconstruit au fur et à mesure.

Et aujourd’hui, ce n’est plus un sujet pour moi. Cette réflexion, elle date de mes 20 ans. J’ai lu beaucoup de littérature féministe (pas que sur ce sujet), j’ai suivi beaucoup de comptes sur Twitter et Instagram et j’ai vu beaucoup de photos de femmes pas épilées. Aujourd’hui, pour moi, les poils, ils sont présents. Ils sont ni beaux, ni moches, ils sont là c’est tout. Comme n’importe quoi d’autre. Comme mes sourcils par exemple ! Et maintenant, quand je vois des jambes lisses, je ne trouve pas ça beau. Pas naturel. », explique-t-elle. 

L’ÉPILATION, UNE OBLIGATION… POUR LES FEMMES ?

Léna, 21 ans, a diminué progressivement son recours au rasoir. Elle ne fait que de temps en temps les aisselles. Des remarques et des regards insistants, elle en a essuyé « mais je les rembarre directement. » Quand ça provoque une discussion, elle le dit, elle se montre ferme sur la question :

« Une fille qui s’épile si c’est son choix, ainsi soit-il, elle dispose de son corps et je comprends l’envie de s’épiler (douceur, etc.). Par contre, un homme qui exige ou fait des remarques sur l’épilation, je ne tolère pas et mon discours est : je suis contre l’épilation, pour être frontale et leur afficher leur connerie. Donc mon discours change selon l’interlocuteur. J’explique aussi calmement que pour moi, s’épiler, c’est se faire mal uniquement pour des stéréotypes, des constructions de normes débiles que la société tente d’imposer, et je ne l’accepte pas. »

En couple ou célibataire, elle entretient le même rapport à l’épilation : « M’épiler le maillot, ça me gêne plus que de ne pas le faire, une chatte sans poils ressemble à celle d’une enfant de 10 ans, non merci, et ça me fait me sentir nue. Je suis bi, en couple avec une fille depuis plusieurs mois. J’en parle souvent, car j’aime la discussion. Elle, elle s’épile les aisselles et les jambes car elle en a pris l’habitude et elle se sent mal de ne pas le faire. Moi je ne le fais pas et elle l’accepte totalement, il n’y a aucun problème, exigence ni tabou sur l’épilation, chacune fait ses choix et on s’aime comme ça. »

De son côté, Camille, 25 ans, essaye de dépasser la peur que ses poils gênent ou embêtent ses partenaires. Elle avait déjà l’habitude de laisser pousser ses poils en hiver, elle a, depuis le confinement, arrêté de s’épiler « pour mieux les apprécier au naturel et apprendre à trouver ça normal sur moi. »

Plus jeune, elle a ressenti une sorte d’obligation à l’épilation : « On ne voit que ça à la télé / dans la rue par exemple et parce que je pensais que mes partenaires n’aimeraient pas les poils. Mais je n’ai jamais aimé m’épiler (en même temps, qui apprécie ?), ça m’a toujours énervé de devoir m’épiler alors que les hommes font ce qu’ils veulent (et encore, c’est pas toujours hyper bien vu les hommes qui s’épilent). Ça m’a toujours gonflé de perdre une heure de temps et de l’argent pour m’épiler… »

C’est en allant chez l’esthéticienne qu’une sorte de pression est apparue « sur deux zones qui ne me dérangeaient pas, je parle des poils sur les pieds et entre le nombril et le pubis. L’esthéticienne m’a demandé pendant une séance « Je fais cette partie-là aussi ? », j’étais gênée, du coup j’ai dit oui et depuis les poils sur ces zones se voient plus qu’avant, je suis obligée de continuer parce que je n’arrive pas encore à les accepter. J’ai aussi des poils sur les tétons que je n’arrive pas à accepter, alors que ceux des hommes c’est totalement ok… »

Pareil pour Ange, 24 ans, qui n’aime pas ses poils sur les tétons, ces trois poils au menton comme iel dit, les cheveux longs et les poils entre les sourcils. Iel a subi « des regards surpris et dégoûtés, et énormément de remarques blessantes de ma famille. » Iel nous livre en conclusion :

« Je rêve d’un monde où les personnes ayant été assignées femme à la naissance pourrait être vraiment libres de faire ce qu’elles souhaitent, parce que nous avons déjà beaucoup de pression dans nos vies, donc ce serait une véritable libération pour nous. »

POUVOIR FAIRE SES CHOIX

Chacun-e appréhende et vit ses poils différemment. Coraline, 19 ans, n’a jamais eu honte de ses poils. Dans sa famille, pas d’injonction à l’épilation. Elle a déjà utilisé des techniques pour se raser, que ce soit la crème dépilatoire ou le rasoir mais elle ne supporte pas ça :

« J’ai donc décidé d’arrêter de me faire du mal juste pour plaire (ne pas déranger) aux autres. Et puis… je les aime bien mes poils ! Au début, tu as peur. J’appréhendais plus pour les poils que pour les tétons. À la plage, cet été, j’avais un peu d’appréhension mais je n’ai pas touché à mes aisselles et j’ai juste fait les côtés du maillot (ce qui pourrait se voir) mais j’ai vite regretté parce que personne ne m’a regardée, personne ne m’a fait de remarque. J’ai eu peur pour rien. Je me suis sentie libre ! »

Pour Sophie, 31 ans, c’est le mariage et la maternité qui lui ont permis de déconstruire les normes sociales. Elle se détache petit à petit du regard des gens. Elle fait maintenant ses propres choix quant à l’épilation ou non et les zones.

« J’étais lasse de dépenser de l’argent et d’avoir des poils incarnés. Et aussi parce que j’ai appris que j’allais être maman. Je voulais être en paix avec moi pour mieux accompagner ce futur enfant dans l’acceptation de son corps. J’ai une fille et ce sera un challenge. J’ai la chance d’avoir un mari féministe et un noyau familial/amical avec qui nous pouvons aborder librement différents sujets. »

Elly, 30 ans, défend ardemment la possibilité de chacun-e à faire ses choix. À prendre conscience des injonctions qui pèsent sur nos corps. « C’est important de se déconstruire et que les gens autour de nous le fassent aussi. Quand on se prend des remarques, je me dis que c’est à ces personnes là de se déconstruire ! Mes poils, ça me concerne moi, pas les autres. Même en étant super féministe, je viens de payer 1300 euros pour me faire épiler les demis jambes et le maillot au laser. Même si j’aime mes poils, j’ai trop subi, j’ai pris trop cher ! », s’indigne-t-elle. 

UNE QUESTION DE REPRÉSENTATION ?

La pression sociale, les injonctions à la féminité, le manque de choix apparaissent très clairement dans tous les témoignages. Tout comme le manque de représentations et d’alternatives face à cette féminité normative et unique imposée. Le besoin d’échanger autour de ce sujet, de se libérer des carcans, de voir d’autres modèles pour se sentir enfin un peu plus libres de leurs choix pour leur corps revient fréquemment dans les récits de ces femmes, cisgenres, transgenres, personnes non binaires, hétéros, bis, lesbiennes, pansexuelles, blanches, noires, racisées.

Zoé Royer a 24 ans, elle est étudiante à l’université Paris II en information et communication et a rédigé un mémoire sur les mouvements en ligne de libération de la pilosité féminine.

« Je me suis mise dans les mouvements Instagram sur la libération du corps des femmes et j’ai vu tout ça évoluer. Il y a un réel enjeu derrière tout ça. Ça peut paraître rigolo, les poils, mais les garder, c’est symbolique, ça participe à la réappropriation du corps des femmes qui se détournent du corps glabre. Ça montre leur émancipation ! Rendre le poil visible, ça le normalise. Les comptes qui montrent des photos de femmes assumant leurs poils permettent de se sentir moins seule, de libérer la parole et de se montrer sans avoir à faire face au regard direct des autres. Alors oui, on peut être victime de remarques et de commentaires, avec des emojis qui vomissent, on peut être victime de menaces de viols, c’est très grave. Mais sur les réseaux sociaux se créent des communautés autour de ce sujet pour être plus fortes et plus nombreuses et c’est important. », analyse Zoé Royer.

Travailler sur cette thématique l’a aidée elle aussi à se poser des questions, prendre conscience et à voir un peu plus ses poils comme la continuité de son corps :

« Comme mes cheveux ! Je me sens mieux avec mes poils que sans. Mais j’ai toujours encore un peu le problème de ce que les autres vont penser. Des fois, je suis dans l’état d’esprit où je m’en moque et parfois, non. Ça dépend de la tenue, du lieu où je vais, de qui je vais voir… »  

CENSURE, PATRIARCAT ET CAPITALISME…

Les mentalités évoluent. Lentement, très lentement. Le corps des femmes est encore largement commenté dans nos sociétés. On peine à accorder aux personnes concernées le droit d’en disposer comme elles le souhaitent et on interroge régulièrement la population à propos des tenues des femmes, afin de juger si celles-ci sont décentes ou indécentes. Républicaines ou non.

Alors bien sûr, on progresse mais l’actualité vient nous rappeler que la marge de manœuvre est étroite. De nombreux comptes, Instagram notamment, sont dédiés à la valorisation des corps dans leur grande pluralité et complexité. L’impact est indéniable. On prend conscience que ce que l’on nous présente comme la norme est en fait un idéal à atteindre.

Il ne prend pas en compte la réalité des corps, surtout ceux des femmes, toujours en mouvement mais toujours contraints à se dissimuler et à se conformer. Elles sont aujourd’hui très nombreuses à refuser de poursuivre cette course à la perfection et à l’apparence.

Cela prend du temps et une injonction ne doit pas être remplacée par une autre. Alors, chacun-e a son rythme. D’autres modèles s’affichent désormais sur les réseaux sociaux mais la bataille de l’intime n’est pas sans conséquence. Car en face, l’enjeu est de taille. Tant financièrement que socialement. Les comptes militants se voient censurer, les photos dévoilant soi-disant trop de peau, trop de nudité, trop de tétons, sont supprimées, les femmes avec des poils et/ou des cheveux courts sont diabolisées.

Pour Audrey, 22 ans, « toutes œuvres et artistes ont un rôle à jouer pour faire changer les mentalités en rappelant que les femmes comme les hommes sont des humains qui ont juste des poils et que rien n’est sale, ni moins sexy ou moins viril. Le poil ne devrait jouer aucun rôle dans la société si ce n’est de nous protéger. Dans une société comme la notre, c’est possible de faire évoluer les mentalités. Elles ne sont pas le problème, c’est plus le capitalisme qui aura beaucoup à perdre sans le marché du poil. »

Les marques surfent sur la vague, comme Veet par exemple qui opte pour le slogan « Vos poils, vos choix, nos produits ». Ou Sloggi qui table sur une publicité post-confinement :

« Laissez-nous deviner, les articles les moins portés dans votre placard en ce moment sont les soutiens-gorge ? N’est-ce pas ? Eh bien, croyez-nous, vous n’êtes pas la seule. Mais ne plus jamais porter de soutien-gorge n’est pas non plus la solution. Nous ne voulons pas que vous renonciez à votre sentiment de liberté et de confort absolu, c’est pourquoi nous avons la solution pour que vous ne sentiez plus votre soutien-gorge, non seulement à la maison, mais aussi partout où la vie vous mène ! Parce que chez Sloggi, le confort est notre priorité numéro une, deux et trois ! Découvrez nos sous-vêtements au confort absolu avec 20% de réduction ! »

CHANGER NOS REGARDS, DÉCULPABILISER ET CHOISIR ! 

L’idée n’est pas de tout abandonner, de tout boycotter. Simplement de faire changer nos regards sur nos propres corps. Nous offrir davantage de bienveillance envers eux. Se détacher au fur et à mesure de ce que pense la société. Composer avec ce que l’on a, ce que l’on est.

Faire bouger les lignes de la féminité et de la masculinité vers quelque chose de moins réducteur et oppressant, vers quelque chose de plus libre et personnel. Comme le dit Klaire fait Grr en conclusion de son livre Au poil ! :

« il est possible que la perception du poil soit un jour totalement bousculée, mais en attendant, peut-être pourrions-nous prendre un peu de recul, et considérer l’épilation totale comme un choix esthétique optionnel et non comme une obligation absolue sous peine de honte intersidérale ? Tout comme peindre ses ongles en orange fluo, réaliser un brushing impeccable, s’offrir un piercing du genou ou porter des faux-cils sont aujourd’hui des options, s’épiler les aisselles ne pourrait-il pas un jour devenir une simple éventualité parmi d’autres ? Ça semble relever encore de la science-fiction, et pourtant… »

Et pourtant, le mouvement est en route. On voit poindre des avancées et ça fait du bien. On se réjouit de la sortie prochaine par exemple du livre jeunesse Tata de la barbe sous les bras, d’Anne-Cécile Morizur et Florence Dollé, publié en novembre aux éditions Goater.

Certaines ne se sentent pas en sécurité, n’osent pas, y vont petit à petit, commencent en hiver, en vacances, puis grignotent du terrain sur leur corps. D’autres ne se sentent pas prêtes du tout, envient celles qui y parviennent, suivent des comptes Instagram et autres lectures et visuels féministes qui les accompagnent dans leur prise de conscience et leur déconstruction.

D’autres encore franchissent le cap et ne souhaitent plus jamais toucher à un rasoir, des bandes de cire, un arracheur de poils ou entrer dans un salon esthétique. Et puis d’autres encore se lancent des défis, ne pas se raser pendant plusieurs mois, ne pas porter de soutien-gorge pour aller au supermarché, achètent des bouquins féministes sur le rapport au corps, témoignent en toute sincérité pour que d’autres à leur tour se posent des questions ou expriment leurs pensées…

On l’a dit, on le redit, les réactions, ressentis et vécus sont différents selon les personnes. Et c’est bien là que tout le monde a un rôle à jouer. Ne pas juger, se montrer solidaire, éviter les regards insistants et les remarques désobligeantes. Parce que le corps de la personne ne concerne que la personne.

C’est là dessus qu’il est primordial et essentiel d’avancer. Et de se questionner sur ce qui nous dérange réellement quand une femme affiche ses poils ou ses tétons.

Qu’est-ce qui nous fait violence dans le fait de les voir apparaître sur le corps des femmes ? De quoi a-t-on peur ? Que les genres soient troublés ? Qu’on ne puisse plus définir une femme simplement à partir de son corps et de son apparence ? Que les individus s’approprient leur propre corps et qu’iels décident en leur pleine conscience pour celui-ci ? Posons-nous la question : qu’est-ce qui nous dérange ?

Au fond, demandons-nous : en quoi ça nous concerne qu’une personne définie et perçue en tant que femme affiche ses poils, pointe sous son débardeur, se balade en croc top, en jupe, en short, avec un voile sur la tête, des baskets, des talons, un jogging ou un poncho ? En quoi ça nous concerne ?

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Poils et tétons : ras-le-bol des injonctions !
No bra ou pas ? Épilation ou non ? La question du choix !
La voix des concerné-e-s

Célian Ramis

Consentement : ras la vulve

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En 2020, la notion de consentement n'est toujours pas claire et ce trouble alimente la culture du viol. Le consentement est pourtant le garant de la liberté individuelle et du partage entre individus. Enquête.
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Il y a énormément d’éléments de nos quotidiens que l’on peut interroger à l’aune du consentement. Car cette question concerne tout le monde. N’importe qui peut ressentir à un moment donné que son consentement n’a pas été respecté.

Mais majoritairement, il apparaît que les femmes, les personnes LGBTIQ+, les personnes racisées ou encore les personnes handicapées subissent l’absence carrément de la prise en considération de leur consentement. Celui-ci est totalement bafoué. Nous avons donc décidé dans ce dossier de décrypter le consentement à travers le prisme des féminismes.

Dire à une femme qu’elle est frigide, qu’elle est trop grosse, pas très désirable. Lui répéter. Pour obtenir un rapport sexuel avec elle. C’est un concept… Et pourtant, les remarques dévalorisantes et les pressions dans l’intimité d’un couple hétérosexuel ne sont pas si inhabituelles que ça. En témoigne l’enquête #JaiPasDitOui sur le consentement sexuel, réalisée par le collectif Nous Toutes.

Quand on tire le fil du consentement, pour essayer de trouver la source d’une telle problématique, on se retrouve enseveli-e-s sous les bobines de laine (de verre). Le consentement face aux médecins et aux gynécos, le consentement face aux figures d’autorité, le consentement social, le consentement sexuel… le consentement des femmes.

Il résonne comme un acquis au sein d’un vase clos : les femmes sont objets plutôt que sujets. Et aux objets, on ne demande pas leur avis, ni leur consentement. Inutile de préciser qu’à l’intérieur, ça bouillonne et que le bouchon s’apprête à sauter. 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Cette phrase, on l’entend parfois de nos parent-e-s, de nos professeur-e-s, de nos patron-ne-s, etc. Des personnes qui ont autorité, pour nous contraindre à faire quelque chose qu’on n’avait pas prévu, pas spécialement envie non plus, de faire. Passer le week-end chez tante Ursule, préparer un exposé sur Nietzsche, envoyez les cartes de vœux aux partenaires de l’entreprise… On se conforme. Même si sur le coup, c’est douloureux et qu’on préférerait faire autre chose et être ailleurs, on ne reste pas traumatisé-e-s à vie (excepté peut-être pour l’exposé sur Nietzsche). 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Sortir boire des verres avec des potes alors que ce soir-là, on est crevé-e-s, on n’a pas la force. Mais c’est l’anniversaire de Gaby. C’est pour la bonne cause. Passer sa journée de congé à s’occuper de son petit neveu parce que la nounou est malade et que ses parents travaillent alors qu’on rêvait de ce jour pour glander à la plage. Ça dépanne. Aller en vacances en Asie plutôt qu’en Amérique du Sud parce que cette fois c’est l’autre qui choisit, l’an dernier c’était vous. On fait des compromis, par politesse, par envie de faire plaisir, par équilibre. Et les conséquences n’en sont a priori pas désastreuses. 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Sucer son mec parce qu’il insiste à coup de « allez, nan mais allez stp, tu vas pas me laisser comme ça quand même ?! Ça fait un mois qu’on n’a rien fait. ». Aller chez l’esthéticienne tous les mois pour se faire épiler parce que sinon on va attirer les regards et des remarques de dégoût. Amener les mômes à l’école, aller au boulot, aller faire les courses, ramener les mômes de l’école, vérifier que leurs devoirs sont faits, les mettre dans le bain, préparer à manger, coucher les mômes, prendre son téléphone et voir le message « T’es dispo ce soir ? On va boire un verre pour l’anniversaire de Gaby », penser « Je veux y aller », répondre « Désolée pas ce soir, je suis vannée, je me lève tôt demain, j’ai les cartes de vœux à envoyer aux partenaires de la boite. Une autre fois. », recevoir en réponse « Allez, mais viens ! Allez ! », s’endormir en culpabilisant.

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Aller porter plainte au commissariat pour agression sexuelle. « Vous portiez une jupe dans ce style ? Aviez-vous bu ? Combien de verres ? Êtes-vous allée chez lui de votre plein gré ? Vous êtes-vous débattue ? Oui, non, c’est simple quand même, vous devez bien savoir si vous avez dit oui ou non. » Rentrer chez soi, honteuse, en culpabilisant. Au supermarché, à la caisse, la personne derrière vous vous aborde : « Vous voulez de l’aide ?» Vous répondez non. La personne prend quand même votre panier et place vos achats sur le tapis. Vous soufflez d’énervement. Tout le monde vous regarde, étonné-e-s que vous n’acceptiez pas l’aide d’autrui alors que vous êtes en fauteuil roulant.

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». À l’hôpital, on vous parle d’une opération bénigne. Vous ressortez le soir même, on vous a avorté et stérilisé pendant votre sommeil, sans information ni accord au préalable. Vous étiez enceinte de 5 mois. Lors du séminaire à Paimpol, J-B se glisse dans votre lit, vous faites semblant de dormir, il vous caresse la poitrine, la vulve et vous pénètre. 

Ne pas dire oui. Ne pas dire non. Ne pas avoir la possibilité de dire oui ou non. Ne même pas savoir que l’on a la possibilité de dire oui ou non. Dire non et ne pas être respectée dans de ce non, qu’il ait été dit d’une voix franche ou fluette, d’un geste de la main ou d’un silence. Qui ne dit mot consent, c’est une énorme connerie. Le consentement libre et éclairé, c’est un apprentissage. Toutefois, celui-ci n’est pas inculqué aux filles et aux femmes. Elles doivent être consentantes, comprendre ici passives. Point. Fin du débat. Faire plaisir, c’est leur truc.

PREMIÈRE ÉTAPE : CHIFFRER

9 femmes sur 10 déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel. Dans 88% des cas, ça s’est produit plusieurs fois. Pour 1 femme sur 6, l’entrée dans la sexualité se fait par un rapport non consenti et désiré. Pour 36% de ces répondantes, ce rapport a eu lieu avant leurs 15 ans. 74,6% des répondantes ont déjà demandé à arrêter un rapport sexuel en cours.

Pour 38,2% de ces répondantes, il est arrivé que le rapport se poursuive malgré leur demande d’arrêter. Au total, cela représente 27% des répondantes. Plus d’une répondante sur deux (53,2%) déclare avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’un rapport sexuel avec pénétration non consenti. 2 femmes sur 3 déclarent avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’actes sexuels non consentis, avec ou sans pénétration. Pour 64,8% d’entre elles, c’est arrivé plusieurs fois au cours de leur vie.

Déjà, ça brûle les yeux et ça fait disjoncter le compteur. On voudrait s’arrêter là, fermer à tout jamais cette synthèse des résultats publiée par Nous Toutes. Mais la prise de conscience est essentielle à la déconstruction des idées préconçues néfastes et nauséabondes.

Le 7 février dernier, le collectif féministe lançait une grande enquête, composée de 30 questions, sur le consentement dans les rapports hétérosexuels. En dix jours, ce sont plus de 100 000 personnes qui y ont répondu. L’analyse, basée sur 96 600 femmes répondantes, indique des chiffres effarants.

Nous en avons cité quelques-uns précédemment. Ils sont parlants. Ils sont effrayants. On poursuit la lecture. 49,1% des répondantes déclarent avoir déjà entendu des remarques dévalorisantes sur le fait qu’elles n’avaient pas envie d’avoir des rapports sexuels. 81,2% des femmes rapportent des faits de violences psychologiques, physiques ou sexuelles au cours de rapports sexuels avec un ou plusieurs partenaires.

« Les réponses à l’enquête #NousToutes montrent également que les femmes qui commencent leur vie sexuelle par un rapport non désiré et consenti sont bien plus souvent confrontées à des violences dans leur vie sexuelle. »
indique la synthèse. 

UN ENJEU FONDAMENTAL

Le consentement. Ce merdier. Ce truc rabat-joie. Cette notion anti-plaisir. Et puis, cette confusion. Les femmes disent « non » mais pensent « oui ». Elles disent « pas ce soir » mais en insistant un peu, elles disent « ok ». Elles aiment bien se faire désirer. Parfois même, elles en profitent. Elles allument les gars et puis, elles les plantent au dernier moment. C’est pas fair play du tout, ça. On ne peut pas laisser un mec en rade, merde !

La moindre des choses, c’est au moins une petite pipe dans les chiottes du bar et voilà, ça détend, ça met bien. Parce que s’il reste comme ça le gars, la queue bien dressée entre les jambes et la frustration au maximum, il risque de s’en prendre à une autre femme, qui elle n’aura rien demandé. Ce serait pas juste, hein. Faut pas laisser un mec en branle. Un mec, ça a des besoins que les femmes n’ont pas. 

Ça fait froid dans le dos mais ce raisonnement, ou des bribes de ce raisonnement, est monnaie courante dans la société. Le consentement, ça emmerde les gens. Particulièrement quand on le regarde à travers le prisme de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le mot en lui-même semble chargé. Parce qu’il demande une réflexion profonde autour de l’identification et l’affirmation de nos propres désirs, face à nous-mêmes tout d’abord et ensuite face à autrui (un-e patron-ne, un-e collègue, un-e ami-e, un-e membre de la famille, un-e partenaire, etc.) mais aussi une réflexion profonde autour du contexte dans lequel on se trouve lors de l’expression de ce consentement.

La notion est bien plus complexe que dire oui ou dire non dès lors que des rapports de domination s’immiscent dans le processus. Et c’est là que la problématique prend sa source. Dans une société où s’expriment très ouvertement et où gouvernent les pensées patriarcales, capitalistes, racistes et post coloniales, comment pouvons-nous parvenir à faire entendre nos voix ?

C’EST QUOI LE CONSENTEMENT ?

Le collectif Nous Toutes reprend la définition de Nathalie Bajos, chercheuse à l’Inserm : « Consentir, c’est s’engager dans une relation ou des pratiques sexuelles lorsqu’on en a véritablement envie soi-même. » Sans oublier l’enthousiasme dont parle la journaliste Maïa Mazaurette.

« Au lieu de demander après la relation sexuelle (donc trop tard) si l’autre a aimé, il s’agirait de demander avant et pendant, si l’autre aime encore et va continuer à aimer (car rappelons-le, on peut changer d’avis au milieu d’un rapport – en sexualité, personne ne vous oblige à finir notre assiette) », écrit-elle dans une chronique en 2017. 

Marie est engagée dans le mouvement Nous Toutes et a participé à l’élaboration et l’analyse de l’enquête. Dans la notion de consentement, elle évoque plusieurs éléments à prendre en compte :

« Pour moi, le consentement, c’est avoir envie d’avoir le rapport dans lequel on s’engage. D’être enthousiaste par rapport à ça. Pas de le faire par défaut. Il faut une vraie envie, un vrai désir. Et pas de l’abnégation. C’est un premier point important. L’autre point très important également, c’est que le consentement vaut pour un instant T. Ce n’est pas parce que j’ai consenti à un rapport sexuel il y a 15 jours que je suis encore consentante aujourd’hui. On peut dire oui pour une chose mais pas pour une autre. Et on peut interrompre l’acte.»

Sans oublier l’importance de la pleine conscience et la pleine connaissance. Et de la liberté :

« Pas sous alcool par exemple ou sous la pression, sous la menace, sous la contrainte. Une femme victime de violences conjugales, elle va peut-être dire oui à son conjoint mais elle n’est pas dans un contexte de liberté. »

Dans La belle au bois dormant, la princesse Aurore ne dit pas non au baiser du prince. Elle dort. Et ça ne choque pas la majorité de la population. 

C’EST COMME UNE TASSE DE THÉ

Voyons cela sous un autre angle. Obligeriez-vous quelqu’un-e à boire une tasse de thé ? Analysons les possibilités. Vous proposez à une personne du thé. Celle-ci est trop contente, elle accepte avec plaisir et enthousiasme. Vous lui préparez donc du thé. Elle en veut toujours, parfait, elle boit son thé. Elle n’en veut plus, c’est peut-être frustrant pour vous mais la forcez-vous à boire sa tasse ?

Si au départ, elle répond qu’elle ne sait pas. Vous pouvez peut-être préparer le thé en ayant bien en tête que la personne choisira elle-même si oui ou non, elle boit sa tasse. Et si elle vous dit non dès le début, la forcez-vous à boire son thé ? Si elle est inconsciente, la forcez-vous à boire son thé ? Si avant d’être inconsciente, elle vous a dit qu’elle en voulait mais que le temps de préparer, elle s’est endormie, la forcez-vous à boire ? Si avant de s’endormir, elle a commencé à boire son thé, la forcez-vous à continuer alors qu’elle est inconsciente ?

Ça ne veut pas dire qu’elle en veut tous les jours. Ça ne veut pas dire qu’elle n’en veut jamais. Ça veut juste dire qu’à ce moment-là, elle en a voulu ou pas voulu. « Si vous arrivez à comprendre à quel point c’est complètement ridicule de forcer quelqu’un à boire du thé quand il ne veut pas, alors pourquoi ce serait si dur de comprendre ça quand il s’agit de sexe ? Que l’on parle de thé ou de sexe, c’est pareil, le consentement est clé. », conclut l’excellente vidéo Tea consent, réalisée par Blue Seat Studios, diffusée par Nous Toutes lors des nombreuses formations dispensées à des dizaines de milliers de personnes en France pendant et à la sortie du confinement.

L’analogie est simple, accessible, efficace. Ne pas comprendre relève d’un niveau supérieur de mauvaise foi. On pourrait s’arrêter là. Pourtant, il n’est pas si évident dans nos vies d’identifier et d’affirmer nos envies et désirs. Dans le livre La charge sexuelle, écrit par Caroline Michel et Clémentine Gallot, les deux journalistes rapportent les résultats parus en octobre 2019 de l’étude du chatbot Jam, effectuée auprès de jeunes français-es âgé-e-s entre 15 et 25 ans :

« Seul-e-s 10% se considèrent suffisamment sensibilisé-e-s au consentement et 68% reconnaissent que « les limites du consentement ne sont pas assez précises et claires. » » Elles ajoutent à la fin de l’encadré : « Un doute ? Mieux vaut vérifier et poser directement la question. Non, le consentement n’est pas un frein au désir (surtout s’il est murmuré à l’oreille). C’est une affaire de politesse, et surtout c’est la loi. »

PAS DE SURPRISE…

La définition du consentement est simple dans la théorie mais son application indique que dans les faits, ça ne l’est pas du tout. Le décalage interroge. « Il y a des éléments d’informations qui commencent à sortir. Mais surtout, en discutant avec des militantes, en écoutant certains témoignages au sein du collectif, on s’est dit qu’il y avait un enjeu assez fort. Mais le sujet est encore tabou, il n’est pas très chiffré, il n’y a pas beaucoup de données encore. Alors, on a décidé de lancer une enquête. », explique Marie, du mouvement Nous Toutes.

Elle poursuit : « On savait qu’il y avait un gros sujet. Quand on arrive au chiffre de 9 femmes sur 10 (qui déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel, ndlr), on voudrait se dire qu’on est surprises, mais malheureusement non. Entre nous, on le savait mais là, l’enquête permet de parler de ce constat terrible dans les médias. Elle permet de mettre le sujet sur la table. »

Et d’élargir le sujet du premier symptôme à la propagation exponentielle de cette abomination qu’est la culture du viol. Parce que tout est lié. La femme est un objet, son rôle est de satisfaire les besoins de son mari et d’enfanter. Un réceptacle à pénis et à sperme, en somme, comme nous dira la journaliste Giulia Foïs.

La vision est archaïque mais nous en sommes encore là. La preuve, s’il en faut encore, avec la nomination de Gérald Darmanin en juillet 2020 au ministère de l’Intérieur. Accusé de viols, il fait l’objet d’une enquête judiciaire en cours, ce qui n’est visiblement pas incompatible avec la fonction de chef de la police. Pour un tout autre motif, il n’aurait jamais été un candidat potentiel ou aurait été démis de ses fonctions. 

Le paradoxe est assommant : d’un côté, l’égalité femmes - hommes soi-disant grande cause du quinquennat, de l’autre, la défense d’un homme accusé de viol qui « au demeurant est un bon ministre », tout comme Roman Polanski est un artiste de génie, voilà pourquoi malgré les nombreuses accusations de pédophilie, il reçoit le 28 février 2020 le César du meilleur réalisateur.

Le 30 janvier de cette même année, la journaliste Giulia Foïs se fend d’une chronique sur les ondes de France Inter, à la suite de la publication d’un sondage IFOP, révélant que 1 français sur 5 pense encore qu’un non veut dire oui. Elle rappelle alors que « hocher la tête, ce n’est pas forcément oui » et interroge :

« Qu’est-ce que le consentement, quand il n’est ni libre, ni éclairé ? Il ne l’est pas quand on est soûle ou droguée, il ne l’est pas quand on est une gamine, face à un adulte, il ne l’est pas face à son entraineur, quand on est un espoir du patinage artistique. Il ne l’est pas non plus face à un réalisateur, quand on est une actrice en devenir, et toujours pas face à un baron d’Hollywood entouré de ses molosses. »

Les références à l’actualité sont nombreuses, elle parle Vanessa Springora qui dans son livre Consentement décrit minutieusement comment à 14 ans, elle a dit oui à l’écrivain quinquagénaire Gabriel Matzneff, pourtant rongée par le non et le dégout.

Mais aussi de Sarah Abitbol, d’Adèle Haenel, de toutes celles qui ont dénoncé les violences sexuelles infligées par Harvey Weinstein et de toutes les autres. Les centaines de milliers de femmes qui chaque année subissent des violences sexistes et sexuelles, comme le harcèlement, l’outrage sexiste, les agressions sexuels ou encore le viol.

Parce qu’elles sont des femmes, parce qu’elles sont handicapées, parce qu’elles sont racisées, parce qu’elles sont lesbiennes, parce qu’elles sont trans, parce qu’elles sont tout ça à la fois, parce qu’elles étaient à cet endroit à ce moment-là. Ça peut être un membre de leur famille, un ami, un collègue, un médecin, un partenaire, un mec rencontré en soirée, un patron, ça peut aussi être un inconnu, plus rarement.

Giulia Foïs continue : « Parce qu’une femme qui dit non, en fait, elle veut juste dire non… (…) ça n’est pas très compliqué, on pourra se faire des nœuds au cerveau sur la valeur d’un oui ou la force d’un non mais chut… Il suffit d’écouter, et d’écouter vraiment ce corps, qui parle. Celui de l’autre. Celui qui nous dit qu’il existe et qu’il veut, ou pas, de nous. L’entendre est une sexualité, le nier est une violence. Point. Pas besoin d’appli pour ça. Des cuisses qui se ferment, un souffle qui se tend, une bouche qui se crispe, ça n’est pas tout à fait le signe d’un plaisir partagé. » 

JUGÉES COUPABLES… 

Le corps. Celui qui nous dit qu’il existe. Depuis longtemps, on contraint les femmes à penser que leur corps ne leur appartient pas. Pas tout à fait. Si désormais les femmes ne sont plus sous la tutelle du père ou du mari, le devoir conjugal lui en revanche est toujours présent, bien ancré dans nos imaginaires.

En 2017, c’est même un juge à Nanterre qui fait remarquer à une femme menacée de mort par son mari qu’elle se soustrait à son devoir conjugal en faisant chambre à part. Voilà qui légitimerait presque la brutalité de son époux ! Plus largement, on pense encore que le corps des femmes est à disposition et quand une victime de violences sexuelles porte plainte, la situation finit très souvent par se retourner contre elle.

On passera du viol à l’agression sexuelle, histoire d’aller en correctionnel plutôt qu’aux assises, mais surtout, seules 10% des plaintes aboutiront à une condamnation (sur le faible pourcentage d’affaires portées devant la justice). Entre le dépôt de plainte et le procès, la victime sera devenue coupable.

Coupable de ne pas pouvoir prouver son non consentement avec des marques de coups ou de strangulation par exemple, coupable d’être sortie de chez elle, coupable d’avoir été dans l’espace public, coupable d’avoir été souriante face à cet homme, coupable d’avoir été polie, coupable d’avoir entamé une conversation avec cet homme, coupable d’avoir dragué cet homme, coupable d’avoir porté une jupe, coupable d’être montée dans cette bagnole, coupable de ne pas avoir dit non assez tôt (on se rappelle pourtant que le consentement n’est pas immuable…), coupable d’avoir porté un string.

En 2018, en Irlande, un homme de 27 ans, accusé de viol par une jeune femme de 17 ans, est acquitté par le tribunal. Parce qu’il a apporté la preuve du consentement de celle qui l’accuse : elle portait un string. Tollé général, l’affaire provoque l’indignation et lance le #ThisIsNotConsent.

Pour autant, les mentalités n’évoluent vraisemblablement pas. « Les habits ne sont pas un consentement. Traduction : je peux, NE PAS porter de ceinture de chasteté avec serrure cinq points et NE PAS forcément avoir envie de sexe. Je peux dire NON, sans que ça veuille dire OUI. Pardon, je ne prends pas les auditeurs pour des débiles, mais visiblement, certains messages ont du mal à passer. Pour preuve, cet acquittement, dans une affaire de viol, à la cour d’assises des mineurs de l’Aveyron, il y a quelques jours. Le non consentement de la victime a été jugée difficile à établir. Elle avait 13 ans. Elle était déficiente mentale… Comme elle, une femme sur trois subira des violences sexuelles et/ou physiques au cours de sa vie – ce sont les chiffres de l’OMS. », scande Giulia Foïs dans sa chronique.

La question est latente : pourquoi dans les affaires de violences sexuelles, les victimes sont sans cesse retoquées au motif que leur non consentement est difficile à prouver ?

FORTES PRESSIONS

Dans l’enquête réalisée par Nous Toutes, on constate qu’elles sont nombreuses à subir, au cours de leurs vies sexuelles et affectives, de la pression et des violences. D’ordre psychologique notamment puisque 49% des femmes déclarent qu’elles ont déjà subi des propos dévalorisants de leur partenaire sur le fait qu’elles n’avaient pas envie d’avoir des rapports sexuels.

Mais aussi des violences sexuelles : 53% des femmes déclarent avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’un rapport sexuel avec pénétration non consenti. Beaucoup de femmes ont adressé des commentaires à Nous Toutes à la suite du questionnaire.

« Ce questionnaire a montré à quel point ce que nous pensions être normal ne l’était vraiment pas. », « En répondant « oui » à certaines questions, j’ai pris conscience qu’elles ne m’avaient jamais été posées… Que j’ai vécu, pendant les 50 premières années de ma vie (!!!) des faits sans avoir dit « oui », en totale inconscience que j’étais en situation d’avoir un avis. » ou encore « J’ai répondu en me disant être exempte de tout ça et pas concernée vraiment, et bien non, j’ai subi maintenant je m’en aperçois, sur des choses que je croyais normales et c’était moi qui n’était pas à la hauteur. »

Parce qu’à force d’entendre qu’on est coincées, qu’on est frigides, qu’on est répugnantes avec notre gros ventre, nos grosses cuisses et notre cellulite et qu’on devrait s’estimer heureuse qu’un homme veuille bien nous baiser, on finit par s’en convaincre et par se dévaloriser.

En tant que femmes, nous avons intégré que nous étions au service de l’autre, que l’homme avait des besoins et des désirs bien supérieurs aux nôtres et qu’il était normal de se forcer un peu pour faire plaisir à l’autre, en s’oubliant soi-même. Leurs besoins sont colossaux, nous ne pouvons les satisfaire entièrement. Nous culpabilisons. Nous craignons qu’ils aillent voir ailleurs car nous ne sommes pas assez bien pour eux.

Nous avons intégré la charge mentale, la charge émotionnelle, toutes les deux superbement expliquées en BD par Emma, et la charge sexuelle, également, à découvrir dans le livre de Caroline Michel et Clémentine Gallot. Elles en résument la définition (qu’elles développent évidemment tout au long du bouquin) :

« Prenez une grosse dose de pression sexuelle qui empuantit l’air ambiant, agrémentez de stéréotypes solides rabâchés dès l’enfance et vous obtiendrez la charge sexuelle. » Plus loin, elles expliquent : « Les femmes, dès l’enfance, font l’apprentissage de la dépossession de leur désir. La voracité, l’animalité, la sensualité sont tolérées chez les nourrissons de sexe masculin mais pas chez les filles. »

Elles citent la pédagogue et autrice féministe Elena Gianini Belotti qui écrit en 1994 dans Du côté des petites filles qu’à l’adolescence, « la femme doit être asexuée, passive et consentante. » Sans oublier la sociologue Marie Duru-Bellat :

« Les femmes sont imprégnées de signification hétéronomes : dès l’adolescence, elles calent leurs désirs et comportement sur ce qui est anticipé du partenaire masculin pour répondre à ses attentes (…). La définition de la sexualité « normale » reste le fait des garçons et leur marge de manœuvre demeure très limitée, que ce soit pour choisir elles-mêmes ce qui leur ferait plaisir ou refuser la sexualité qu’on leur impose comme une évidence (…). La sexualité hétérosexuelle est avant tout une sexualité masculine, régie par ce que le désir masculin exige pour son excitation et sa satisfaction. » 

C’EST NORMAL, C’EST COMME ÇA

Résultat : on intègre notre rôle, on se convainc que c’est normal, poussées au cul par la culture du viol. Juridiquement, un viol est caractérisé par un acte de pénétration sexuelle commis sur une victime avec violence, contrainte, menace ou surprise. Inconsciemment, le viol est caractérisé par le mythe du prédateur, la barbarie, la douleur, l’envie d’en finir, la peur de la mort si on ne se soumet pas, l’incapacité à vivre avec ce qui est arrivé.

La victime ne s’est pas débattue ? La victime ne pleure pas ? La victime n’a pas envie de se suicider ? C’est suspect, ce n’est pas une bonne victime, ce n’était sans doute pas un viol. Une part d’elle devait être consentante. La culture du viol est pernicieuse car elle ne se résume pas au viol, elle envahit chaque parcelle de nos quotidiens, se glisse dans les arts et la culture, annihile notre perception de nos désirs en priorisant ceux des autres avant soi-même et s’immisce dans nos intimités.

Elle va même jusqu’à nous faire penser que ce n’est pas problématique de laisser un homme de 50 ans exprimer qu’il éprouve du désir pour les jeunes femmes et qu’il entretient d’ailleurs des relations sexuelles avec des mineur-e-s. On débat de temps en temps de l’âge du consentement sexuel, sans doute lorsque l’agenda politique traverse un petit désert, et on évacue la question si une actualité plus croustillante déboule sur la scène médiatique ou que l’on commence à ne plus vouloir séparer l’homme de l’artiste.

Au début de l’année 2020, paraît le livre de Vanessa Springora, Le consentement. Elle y décrit sa relation amoureuse avec l’écrivain Gabriel Matzneff et vient bouleverser toutes les idées préconçues autour de ce fameux consentement quand un homme de 50 ans abuse d’une fille de 14 ans et la délaisse quand à 15/16 ans, elle devient trop vieille pour lui, plus assez exaltante, plus assez excitante.

De sa plume, elle signe un texte poignant qui pousse à la réflexion profonde : « En réalité, cet exceptionnel talent se borne à ne pas faire souffrir sa partenaire. Et lorsqu’il n’y a ni souffrance, ni contrainte, c’est bien connu, il n’y a pas viol. Toute la difficulté de l’entreprise consiste à respecter cette règle d’or, sans jamais y déroger. Une violence physique laisse un souvenir contre lequel se révolter. C’est atroce, mais solide. L’abus sexuel, au contraire, se présente de façon insidieuse et détournée, sans qu’on en ait clairement conscience. On ne parle d’ailleurs jamais d’abus sexuel entre adultes. D’abus de « faiblesse », oui, envers une personne âgée, par exemple, une personne dite « vulnérable ».

La vulnérabilité, c’est précisément cet infime interstice par lequel des profils psy tel que celui de G. peuvent s’immiscer. C’est l’élément qui rend la notion de consentement si tangente. » Plusieurs pages plus tard, l’autrice met le doigt sur un point fondamental : « Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître. »

Du déni, de la culpabilité, de la colère. Des sentiments forts qui sont partagés par de nombreuses femmes ayant subi ce genre de situation. Les hommes, eux, ne sont rarement inquiétés, rarement punis. Gabriel Matzneff ne se cachait pas et a été célébré toute sa carrière durant comme brillant intellectuel. Roman Polanski a reçu le César du meilleur réalisateur le 28 février 2020. La liste est longue. 

LA SEXUALITÉ, REFLET DE LA SOCIÉTÉ ?

La culture du viol ravage tout sur son passage. Elle s’étend du fantasme de la fraicheur et de l’innocence des jeunes filles en fleur au matraquage à outrance de corps féminins sexualisés, et de l’hypersexualisation des corps féminins racisés, sur des diktats de la beauté unique (corps blanc, mince, valide), des stéréotypes genrés et invente des mythes comme celle citée précédemment, le mythe du prédateur, ou encore le mythe de la zone grise. Nous y reviendrons.

Elle est étendue, elle infuse en permanence dans les esprits et sème le doute : si elle ne s’est pas débattue, c’est qu’elle en avait un peu envie. La paralysie n’est même pas envisagée. Si elle n’a pas porté plainte, tout de suite, c’est qu’elle avait un doute sur la nature du rapport. Elle le voulait peut-être un peu.

Le choc post-traumatique n’est même pas envisagé. Si elle a eu un orgasme pendant le viol, là, c’est terminé, plié, merci au revoir, c’est limpide : elle ne voulait peut-être pas au départ mais elle a fini par aimer ça. La réponse mécanique du corps n’est même pas envisagée.

En 2020, époque des femmes libres, époque des femmes émancipées, époque des femmes qui jouissent grâce à leur clitoris, on remet sans cesse en cause la perception, le ressenti et la parole des femmes, en brouillant les informations concernant le consentement.

Au micro d’Europe 1, Caroline de Haas, militante au sein du collectif Nous Toutes, expliquait en mars, à propos de l’enquête sur le consentement sexuel, effectuée auprès de femmes hétérosexuelles :

« Le rapport à la sexualité n’est pas à l’abri de ce qui se passe dans la société. Lorsqu’on discute avec ces femmes, en particulier ces jeunes femmes, on se rend compte qu’elles connaissent peu leur corps, qu’elles connaissent peu leurs désirs, elles n’ont pas forcément l’impression qu’elles peuvent les exprimer et qu’elles ont en face d’elles des partenaires qui connaissent peu le corps de leur-s compagne-s et qui n’ont pas forcément le souhait, l’idée, de leur demander ce qu’elles veulent, comment elles voudraient faire. »

Elle précisait également : « Ce qu’on a voulu mesurer, avant de parler de viols et d’agressions sexuelles, c’est tout ce qui concerne la pression. C’est-à-dire soit quand des femmes vont se forcer, soit quand elles vont subir une pression de leur-s partenaire-s. Et ce qui est intéressant, c’est que pour nous c’est assez représentatif du fait que le couple, l’intimité, n’est pas à l’abri des inégalités qui existent dans la société. Ces inégalités qui existent dans nos intimités, elles ont comme conséquence le plaisir des femmes, le désir des femmes, les envies des femmes qui sont souvent niées, minimisées, ignorées. »

OFFRIR UN ESPACE DE POSSIBILITÉS

En matière de consentement, on manque cruellement de ressources. Antonin Le Mée, membre du conseil d’administration d’Iskis, centre LGBTI de Rennes, le confirme :

« Hors milieux de recherches ou militants, on ne théorise pas dessus. Sur le consentement en tant que tel, on n’a pas de ressources infinies. Les violences conjugales sont un sujet satellite du consentement. En fait, plus on est fragilisé-e socialement, plus on est vulnérables. Et plus c’est difficile de faire respecter son consentement. Par exemple, les personnes transgenres vont avoir plus de mal à trouver des partenaires sexuels parce que les partenaires respectueux ne courent pas les rues. Ça va être difficile également de faire respecter son consentement quant à son nom et son apparence. Ces questions ne sont pas toujours pensées. Si on prend l’exemple de la culture gay mainstream, il y a peu de prise de conscience sur le sujet du consentement, peu de remise en question des comportements dits toxiques. »

Au sein de l’association, la question se veut transversale, permettant ainsi d’avoir une réflexion dans toutes les pratiques de la structure. Antonin Le Mée prend l’exemple de la bise. Faire la bise, cela semble acquis. On pense que c’est de la politesse. On ne s’inquiète pas de savoir comment la personne en face le vit, obligée d’éprouver à ce moment-là un contact physique pas toujours consenti, que ce soit avec un-e inconnu-e ou non.

« À Iskis, on demande à la personne, on propose de faire la bise ou pas, il est important que la personne ait toujours le choix de faire ou non. Au-delà de ça, on peut partir quand on veut d’une permanence ou autre, on n’a pas besoin de demander pour aller aux toilettes. On essaye d’offrir la possibilité à chacun-e de poser ses limites. Avec les enfants, c’est pareil, on veille à ne pas reproduire des pratiques de non respect de leur consentement. On n’impose pas de faire la bise. On ne leur ferme pas l’horizon, c’est-à-dire qu’on ne les catalogue pas dans une identité car sinon c’est déjà décider à leur place. C’est important de mettre en place une culture disant que forcer à faire la bise, toucher les cheveux crépus, etc. c’est inacceptable. On ne vit pas en dehors de la société. », explique-t-il.

Des temps privilégiés de discussion peuvent être proposés autour du consentement, permettant ainsi de faire dialoguer tout le monde « car le sujet concerne tout le monde, même ceux qui pensent n’avoir rien à dire là-dessus. » 

LUTTER CONTRE L’INVISIBILISATION DES PERSONNES LGBTIQ+

Le travail est colossal mais indispensable. Il en va là de la déconstruction de stéréotypes sexistes et de transmission d’une information déconstruite, à laquelle il est très rare d’accéder. Déjà, la loi de 2001 rendant obligatoire les cours d’éducation sexuelle dans les écoles, collèges et lycées n’est pas respectée et trop peu appliquée. Et quand les séances ont lieu, c’est souvent le règne de l’hétérosexualité.

Ainsi, le magazine TÊTU relate qu’en réponse à leur interrogation « Les questions LGBT sont-elles abordées lors de ces fameux ? » posée directement au ministère de l’Education nationale leur a été envoyée « une batterie de documents en tout genre, dont des liens vers des « ressources thématiques » à destination des enseignants. Il ne s’agit pas d’un programme à suivre à la lettre, mais plus de recommandations ou de bonnes pratiques. »

Dans l’article, le média souligne que les exercices sont souvent basés sur la dualité fille/garçon et sur l’hétérosexualité. Les élèves LGBTIQ+ ne peuvent pas s’identifier. 

« Comment les élèves se sentaient-ils par rapport à leur identité et leur orientation sexuelle pendant ces classes ? « Oublié », « frustré », « invisibilisé », « honteux », « anormal », « mise de côté », « transparente », « exclu », répondent-ils dans l’enquête(réalisée par le MAG jeunes LGBT entre novembre 2017 et janvier 2018 auprès de 335 personnes de 13 à 31 ans s’identifiant comme LGBPQ ou comme trans, intersexe, non binaire ou agenre, précise l’article, ndlr). Et la liste est longue. Le témoignage d’une élève cisgenre homosexuelle de 17 ans résume bien la grande majorité des avis : « J’ai eu l’impression que je n’avais pas le droit au même traitement que les autres. J’ai ressenti une sorte d’homophobie non dite. Cela m’a vraiment fait sentir comme si ma sexualité n’était pas aussi valide, importante et à sécuriser que celle des autres. » », peut-on lire.

Le discours enseigné et transmis est profondément hétéronormé. Les sexualités ne reposant pas uniquement sur la binarité cisgenre sont tues, invisibilisées. Les élèves intègrent. 

« Et ça s’ajoute aux questions d’estime de soi. Faire respecter son consentement, c’est déjà penser qu’on mérite d’être respecté-e. C’est se dire « J’ai le droit de vouloir ». Il faut attaquer le problème à la racine pour qu’on subisse moins d’attaques en grandissant et que l’on gagne en capacité à être autonome. On tient beaucoup chez Iskis à la culture de la valorisation des personnes. C’est pour ça qu’on donne la place à l’expérimentation : on a droit de se tromper, on a droit d’essayer, etc. Ça permet de redonner du pouvoir aux gens. Mais l’estime de soi se fait à travers soi. Nous, on peut aider et accompagner. Leur dire que c’est injuste de ne pas se faire respecter face à l’institution, aux administrations. Leur dire que face au milieu médical, on a le droit de poser des questions, de partir, de dire non à un acte.

On peut leur donner des adresses et des noms de professionnel-le-s bienveillant-e-s. On fait aussi un travail de fond avec les administrations, on milite pour l’auto-détermination pour que les personnes trans soient autonomes dans leur parcours médical. Là aussi c’est important en terme de consentement. Ça avance car collectivement, on a décidé que ce n’était plus acceptable. On avance aussi grâce à tout ce qui a émergé avec les sujets féministes sur le plan gynéco, etc. Je trouve que ça crée un environnement qui s’améliore. Mais c’est fragile, il faut être vigilant-e. », détaille Antonin Le Mée. 

LE CONSENTEMENT, DANS UNE SOCIÉTÉ SEXISTE, RACISTE ET POST-COLONIALISTE

Le consentement dans le milieu médical. « C’est un sujet en soi », nous répond Bianca Brienza, co-fondatrice de l’association Parents & Féministes. Elle a raison, c’est un sujet à part entière. Dans lequel le consentement a une place centrale. Et dans lequel les mécanismes de domination sont omniprésents. Les militantes féministes les dénoncent depuis plusieurs décennies. Avec le droit à la contraception, le droit à l’avortement, le droit à une information claire, l’extension de la PMA pour tou-te-s…

En clair, le droit à disposer de son propre corps. Le droit d’avoir le choix. Le droit de ne pas être dépositaire du savoir médical, ce tout-puissant, qui en résumé ne serait soi-disant pas à notre portée. Le droit de savoir et de comprendre le sens de chaque examen que l’on passe, de chaque opération réalisée sur nos corps. Et ça, ce n’est toujours pas respecté.

En 2017, Françoise Vergès écrit Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme, sur le scandale qui éclate dans les années 70 sur l’île de La Réunion. Des milliers d’avortements sans consentement ont été pratiqués par des médecins, qui auraient prétexté des opérations bénignes pour se faire ensuite rembourser par la Sécurité sociale.

La politologue le dit : « Le ventre des femmes a été racialisé. » Rappelons qu’en France, à cette même époque, les femmes n’ont pas le droit d’avorter. En parallèle, à La Réunion, « les journaux révèlent que des avortements auraient été pratiqués non seulement sans consentement, mais sur des femmes enceintes de trois à six mois, et qu’ils auraient souvent été suivis de ligature des trompes, toujours sans consentement. »

L’affaire ne s’arrête pas à une escroquerie médicale et financière. Elle est politique. Profondément politique. C’est un contrôle des naissances orchestré par les gouvernants. L’autrice analyse les événements sous le prisme du féminisme décolonial. Parce que là aussi rappelons qu’en France, les femmes militent pour le droit à l’avortement et à la libre disposition du corps. Quand le scandale se répand dans la presse, les militantes du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) ne s’en saisissent pourtant pas.

« On ne peut pas comprendre la politique de contrôle des naissances des années 1960 – 1970 dans les DOM si on ne tient pas compte de la longue histoire de la gestion du ventre des femmes dans les colonies esclavagistes et post-esclavagistes, si on n’aborde pas les politiques de l’Etat, du capital et du patriarcat, et les liens qui existent entre administration de la reproduction, migrations et force de travail. », souligne Françoise Vergès.

Elle poursuit quelques pages plus loin : « C’est en ayant organisé de manière industrielle une ponction sur les sociétés africaines pendant plusieurs siècles que le capitalisme a pu se construire. Et la source invisible de cette ponction n’est autre que le ventre des femmes africaines, dont les enfants sont capturés pour être déportés. La reproduction de la main d’œuvre sera donc assurée par des millions de femmes africaines dont le travail ne sera pas reconnu dans l’analyse de la reproduction et de la division internationale du travail.

La focalisation, tout à fait légitime, sur les conditions de vie et de travail de femmes esclaves et sur la reproduction des corps esclavagisés dans les colonies où l’enfant était automatiquement propriété du maitre a contribué à l’effacement de ce premier acte de dépossession du ventre des femmes. C’est sur ces liens entre reproduction, division internationale du travail, organisation de la traite et des migrations et viol que je veux revenir dans ce chapitre pour comprendre l’héritage de la gestion des naissances dans les DOM au XXe siècle. »

Le patriarcat est racialisé. On a hiérarchisé les sexes mais aussi les couleurs de peau. Et cela continue. Les femmes blanches ont quitté leur rôle de mères au foyer pour aller travailler. Elles ont confié leurs enfants aux femmes racisées, qui occupent désormais les postes les plus précarisés financièrement et socialement (aides soignantes, femmes de ménage…). Côté sexualité, on érotise et on fantasme les corps des femmes racisées que l’on qualifie « d’exotiques ».

On nourrit autour de leurs sexualités des stéréotypes racistes et sexistes, toujours très empreints de pensées colonialistes. Les non blanc-he-s sont inférieur-e-s, on possède l’intelligence, on possède l’argent, on possède les corps des femmes non blanches. Dans ce contexte, il est impossible d’imaginer que leur consentement soit respecté. En 2020, des avortements et stérilisations sans consentement sont toujours pratiqué-e-s à travers le monde, notamment sur les femmes vivant avec le VIH.

Les femmes sont toujours réduites à une fonction d’objet, dénué d’esprit, d’intelligence et de curiosité. Et donc d’avis et de ressenti. L’idée de l’esclave noir qui ne ressent pas la douleur des coups de fouet n’est jamais bien loin…

C’EST POUR VOTRE BIEN, MADAME, LAISSEZ-NOUS FAIRE

Par là, nous nions encore et toujours l’existence du corps des femmes et leur capacité à choisir. L’IVG, la contraception, la grossesse, les poils, le sexe des femmes, la sexualité… Il faut livrer bataille en permanence. Sur tout et notamment sur tout ce qui touche au corps des femmes. On considère que les femmes ne savent pas et c’est très bien comme ça.

Et face au secteur médical, les témoignages dénonçant des violences à l’encontre des femmes se multiplient. Ainsi, lors du confinement, l’association Parents & Féministes et le collectif Tou-te-s contre les violences obstétricales et gynécologiques alertent les médias et la population sur les conditions d’accouchement et d’hospitalisation à la maternité.

Le communiqué relate des maltraitances, violences gynécologiques, actes médicaux pratiqués sans consentement ni information, négligences, propos culpabilisants et sexistes « des faits intolérables, inhumains, qui ont été rapportés en grand nombre. » Les deux structures précisent :

« Cela s’est passé en France, en 2020, dans des maternités. Ces actes ont été déjà dénoncés par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport du 29 juin 2018. Force est de constater que rien n’a changé depuis. Pire encore, l’épidémie a peut-être accentué l’usage de ces pratiques. »

Sur le site de Parents & Féministes, les témoignages sont édifiants, comme celui de Lilou par exemple qui explique n’avoir reçu aucune demande de consentement pour la péridurale et avoir été endormie là encore sans son consentement (l’équipe médicale dira le contraire à son mari).

Nombreuses sont celles qui ont entendu les médecins leur dire qu’ils agissent pour leurs intérêts à elles, leur santé à elles, la santé de leur bébé. Certes, on ne remet pas en cause le professionnalisme. On dénonce en revanche le paternalisme. Cet air de dire « vous ne savez rien, moi je sais, arrêtez de poser des questions, j’ai autre chose à foutre », accompagné d’un « et puis vous êtes une femme, vous exagérez, c’est normal d’avoir mal, ne soyez pas douillette, laissez-vous faire, on n’a pas toute la journée bordel ! »

Bianca Brienza s’insurge du quasi systématique non respect de la loi Kouchner, obligeant les professionnel-le-s de la santé à informer les patient-e-s des examens et opérations requis-es et à demander et respecter leur consentement :

« C’est dramatique. Et alors dès qu’il s’agit de femmes et particulièrement de femmes en situation de vulnérabilité, la loi n’est pas respectée. Et on atteint un summum de non respect du consentement pendant les accouchements. Parce qu’autour des femmes enceintes, on cumule les stéréotypes ! Le corps des femmes est à disposition et on a tendance à ne pas respecter leur-s volonté-s. »

Tendance également à ne pas les prévenir et demander leur accord avant d’insérer un speculum ou une sonde dans leur vagin. La co-fondatrice de Parents & Féministes établit très rapidement le lien avec l’éducation genrée :

« Il y a des stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge. Avec les garçons, on est dans l’assouvissement de leurs désirs, on leur apprend à prendre l’espace vocal et physique et à faire passer leurs intérêts avant tout. Avec les filles, on est dans quelque chose de plus passif, on leur apprend à être altruiste, sage, polie, à faire plaisir. À votre avis, plus tard, qui va faire primer ses intérêts sur qui dans la vie ? Et forcément, ça a un impact sur la vie sexuelle et sur les violences sexistes et sexuelles. On doit apprendre le respect du  consentement à nos garçons, ça c’est certain.

Mais c’est un peu facile et un peu pénible aussi d’entendre toujours ça pour les parents. Et si l’État le faisait aussi ? L’éducation au consentement, au respect, aux limites, à la confiance, c’est aussi à l’État de le faire. Parce que quand on dit que c’est aux parents de le faire, vous pensez que c’est qui le parent ? Ce sont majoritairement les femmes qui sont chargées de l’éducation des enfants. »

RAMASSER LA CHAUSSETTE OU NE PAS RAMASSER LA CHAUSSETTE ?

Les femmes s’occupent plus des enfants et plus des taches ménagères dont la répartition est encore sacrément déséquilibrée. Près de 80% de ces taches sont encore effectuées par les femmes. Et non, ce n’est pas dans leur nature. Là aussi on pourrait interroger le niveau de consentement dans lequel on se trouve…

Il n’y a qu’à lire le livre Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale de Titiou Lecoq pour avoir un bon début d’idée. La chaussette qui traine sur le sol ne va pas se ramasser toute seule et sauter d’elle-même dans le panier à linge ou la machine à laver.

Plusieurs options : la laisser trainer en attendant que son propriétaire daigne ranger ses affaires, dire à son propriétaire de ranger ses affaires et de participer à la vie du foyer à laquelle est intégrée la joyeuse liste des taches ménagères (en général, ça marche sur le coup et ça retombe comme un soufflé, il faudra donc le répéter, répéter, répéter, s’épuiser à le répéter pour un résultat quasi nul…) ou la ramasser soi-même et l’amener directement dans la machine à laver. Pas de suspense, en général, on opte pour la dernière option.

On choisit de ramasser plutôt que de laisser trainer et plutôt que de s’éreinter à éduquer son compagnon à l’égalité. La question du choix est tout à fait discutable puisqu’aucune option n’est reluisante. En revanche, ce qui est intéressant, c’est de creuser le sujet et comprendre pourquoi les femmes vont en général se diriger vers cette option. Là encore, on se retrouve face aux injonctions et assignations de genre intégrées par les femmes et les hommes que l’on éduque différemment depuis la petite enfance, et face à la pression mise sur les femmes dans le cadre du couple.

L’épée de Damoclès pèse au dessus des têtes des femmes, à qui l’on met en tête que si elles n’anticipent pas et ne satisfont pas les besoins sexuels de leur partenaire, il pourrait se tirer avec une autre. Il en va de même très insidieusement avec les taches domestiques. Dans ce contexte, qu’est-ce que l’on transmet aux enfants ? Sachant que les stéréotypes perdurent dans la société et qu’on fait souvent de la sexualité un tabou. 

ZONE GRISE QUAND TU NOUS TIENS

Le récit de Loulou Robert, Zone grise, devrait paraître le 16 septembre prochain. Elle y raconte son « histoire » avec D, un photographe de mode très influent dans le métier. Elle a 18 ans, elle débute dans le mannequinat. Si le mot histoire trône entre guillemets, c’est bien évidemment parce qu’elle n’a pas dit oui, n’a pas dit non. Elle n’a pas consenti, elle n’a alors pas conscience du prédateur qu’il est.

Son témoignage est édifiant car elle le place en perspective d’une sexualité construite sur la répétition de viols et d’agressions sexuelles. Ce qui par conséquent n’est pas une sexualité mais un continuum de violences. Elle ne sait pas à ce moment-là que ce n’est pas normal. Que les violences sexuelles ne constituent pas une sexualité. Mais la société ne nous dit pas, ne nous apprend pas.

Parce que rappelons-nous, nous sommes consentantes quoi qu’il advienne. Et que quand on ne dit pas oui, quand on ne dit pas non, qu’on n’a pas un couteau sous la gorge ou un flingue sur la tempe, quand on a continué de vivre, quand on a été pénétrée à d’autres reprises par ce même homme « au demeurant » sympathique et apprécié de tou-te-s, on se trouve dans la fameuse zone grise.

« Mais il n’y a pas de zone grise, ça n’existe pas. En général, c’est que la femme ne s’est pas sentie autorisée à dire non. Il faut de la volonté, de l’enthousiasme, de la liberté dans la forme du consentement. »
s’insurge Marie, du collectif Nous Toutes.

Loulou Robert en arrive à la même conclusion. De nombreux extraits sont parlants et bien argumentés, nous ne pouvons les exposer ici, le livre étant actuellement en relecture et corrections. La maison d’édition accepte que nous en choisissions un seul, court : « Non, rien n’est gris. Le viol n’est pas gris. Le sperme n’est pas gris. Le sang n’est pas pris. La douleur n’est pas grise. La culpabilité n’est pas grise. La manipulation n’est pas grise. Les prédateurs ne sont pas gris. »

Elle explique qu’au départ, la zone grise lui était confortable. Une manière de la soulager quelque peu de sa honte. Une façon de déformer la réalité. Elle fait éclater les barreaux de cette zone grise qui n’aide pas les victimes. Non, cette zone grise, elle protège les agresseurs, les violeurs. Elle est une invention, un schéma, un outil de la culture du viol. 

APPRENDRE AUX ENFANTS À RESPECTER LEUR CORPS ET CELUI DES AUTRES

« Ce n’est pas un petit sujet, le consentement. Quand on ne l’apprend pas, ça peut avoir des répercussions dramatiques. On peut en parler dès le plus jeune âge. La planche dessinée d’Elise Gravel qui explique le consentement aux enfants est parfaite, elle est super bien adaptée. », signale Biance Brienza.

En effet, l’autrice et illustratrice canadienne propose en neuf cases dessinées d’aborder le consentement à destination des enfants. Ainsi, on peut lire : « Si l’autre personne ne te répond pas oui, ne lui fais pas de câlin. Elle est peut-être trop gênée pour te dire non. Elle a peut-être peur de te faire de la peine. Ça ne veut pas dire qu’elle veut un câlin ! Pas de oui = pas de câlin. C’est la même chose pour les bisous, les caresses, donner la main et cette règle s’applique aussi aux grandes personnes. Les adultes non plus ne devraient pas te toucher sans ta permission. Ton corps t’appartient et le corps des autres leur appartient. Tu ne peux pas toucher les autres sans leur permission et les autres ne peuvent pas te toucher sans la tienne. »

En lisant cette courte bande dessinée avec des enfants ou en leur diffusant la vidéo Le consentement expliqué aux enfants, réalisée par Blue Seat Studios, des discussions peuvent s’amorcer, ou non. Aucune obligation. Simplement, oui, il est possible d’en parler avec des enfants. 

« Il n’y a pas besoin d’attendre l’adolescence. On peut leur apprendre à respecter leur corps, qu’il est à eux. Bien sûr, ce sont des enfants alors on se heurte parfois à des limites comme mon fils qui me dit « C’est mon corps, mes besoins donc je ne prends pas de bain. » Après ça, c’est dur d’expliquer que là non en l’occurrence, il n’a pas le choix il va aller se laver… Mais bon, le message passe. Et on peut en parallèle leur apprendre à respecter le consentement de l’autre. Le oui, le non, c’est important. Et ça vaut aussi pour le corps des parents, moi je n’aime pas que mes enfants pensent que mon corps est un arbre. Je n’ai pas envie qu’ils m’escaladent ! Attention, là, je donne juste des pistes, il n’y a pas de recettes miracles. », s’exclame Bianca Brienza. 

Elle insiste, elle ne veut pas rajouter d’injonctions aux parents. La réponse parfaite n’existe pas. C’est un cheminement et chacun-e fait à sa façon.

« Se renseigner pour comprendre les injustices, c’est déjà un pas pour y remédier. Il y a pas mal d’infos maintenant sur les inégalités entre les femmes et les hommes, pas mal de podcasts qui font du bien, des illustrations du quotidien. Et c’est important. Et les inégalités commencent dès le plus jeune âge. La socialisation différenciée, les stéréotypes de genre, etc. On remarque que généralement les filles manquent de confiance et qu’elles sont socialisées à faire plaisir aux autres. Rien que de dire non, ça leur coûte. Et ça implique de connaître ses limites et de les respecter. Par notre socialisation, on ne nous met pas dans des situations favorables pour nous protéger. Si on veut faire bouger les lignes, je pense que ça passe non pas par de nouvelles injonctions à faire peser sur les femmes, mais par l’information. En se renseignant sur les stéréotypes. », conclut-elle. 

LA VOIE DE L’ÉMANCIPATION

Le savoir est empouvoirant. Mais il n’est pas suffisant. Aujourd’hui, l’émancipation des femmes est abordée à toutes les sauces. Mais pouvons-nous réellement parler d’émancipation quand nous ne percevons pas ce qui fonde la base de notre consentement ? Bien sûr, sur certains points, on peut parler d’émancipation et ce serait violent de penser le contraire. Mais dans quelle mesure est-ce que l’on s’affranchit des normes et injonctions dues à notre sexe et à notre genre ?

Dans La charge sexuelle, Caroline Michel et Clémentine Gallot signalent : « Dépasser le souci de soi pour passer d’objet désiré à sujet désirant, c’est d’abord cesser de se voir uniquement à travers le regard de l’autre, mais aussi s’interroger sur ses besoins, ses désirs, ses limites et surtout, parvenir à les formuler. Cela revient aussi à questionner ses fantasmes, par exemple, l’érotisation de la violence, au lieu de les considérer comme immuables. Un obstacle supplémentaire, quand le soin de l’autre passe, nous le verrons, parfois avant le reste. » 

La journaliste Giulia Foïs affirme que l’on peut être actrice de sa vie. « Je ne veux plus rien subir. Jamais. Quand on subit réellement, c’est très rare. Ayant vécu un viol, je sais ce que c’est de subir à 300%. Dans chaque situation où j’ai l’impression de subir, je récupère de l’air quand je comprends quelle est ma part de responsabilité. », nous dit-elle.

Sa responsabilité dans le viol subi lorsqu’elle avait 17 ans ? Aucune. Mais ça, elle ne l’a pas intégré sur le coup. Ni même le lendemain ou le surlendemain. Le viol, le procès, l’accusé acquitté, l’après. Elle n’a pas consenti au viol, elle n’a pas consenti à l’après. Elle relate cela dans Je suis une sur deux, dont la quatrième de couverture commence justement en offrant le choix au lectorat. On peut lire le livre. On peut ne pas lire le livre.

« Un oui n’a de valeur que si on peut dire non. Face à une figure d’autorité, il vaut quoi le oui ? », répond Giulia Foïs. Le violeur en face d’elle cette nuit-là à Avignon, il l’asperge de lacrymo et la menace avec un cutter.

« Ma vie a pris un chemin de traverse et je ne l’ai pas décidé. Longtemps, je suis restée sur l’itinéraire bis et ça c’était sans mon consentement. Aujourd’hui, j’ai une vie que je ne changerais pour rien au monde. Au détail près que je ne prends plus le métro après 22h. On a toutes intégrées la peur des espaces publics. Je ne veux plus avoir l’estomac noué, je ne prends plus le métro. Oui, c’est injuste, quelle énergie, quelle créativité, quelle fatigue… pour avoir la vie qui nous plait. On a rien fait de mal et on doit sortir une énergie de dingue pour avoir une vie « normale », douce et légère. Une vie qui ne coûte pas à chaque pas. Je n’ai pas consenti au viol et à la suite. Mais ma vie d’après, je l’ai eu, je l’ai et elle est chouette. », argumente la journaliste qui un jour, en tant que journaliste, réalise pour Marianne une enquête sur les violences sexuelles.

Les témoignages, les interviews, les rencontres vont l’aider à comprendre ce qui lui est arrivé : « Ça m’a sauvée. De comprendre que dans le viol, ce n’est pas vous le problème. Et là, vous déplacez la colère contre ce monde qui autorise, voire encourage, le viol. » Pendant son travail sur cette thématique, elle croise la route de Me Katz. Il lui dit alors : céder, ce n’est pas consentir. « Je pesais alors 10 tonnes de moins. Oui, j’ai cédé mais je n’ai pas consenti. Je ne voulais pas du viol, je voulais vivre. Et pour pouvoir vivre, je devais lâcher mon corps. Ça, ça a tout changé. Tout ! Je me suis alors démerdée pour vivre avec un minimum de contraintes. Je fais ce que je veux. Tant que je ne fais de mal à personne bien sûr.

Ça donne que je suis freelance à vie. Je ne veux pas de la vie de bureau, je veux aller au travail quand je veux, je ne veux pas me retrouver à passer la journée avec des gens que je ne supporte pas. Ce qui ne veut pas dire que je ne sais pas travailler en équipe. Je sais le faire. Dans mes contrats, je demande systématiquement une période d’essai. J’ai besoin d’avoir une porte de sortie. J’ai refusé longtemps d’être propriétaire. En fait, je ne veux pas me retrouver dans des situations dans lesquels je ne peux pas me barrer. Pour autant, je suis fidèle en amitié, fiable au travail. Je n’en fais pas qu’à ma tête, je ne suis pas capricieuse. Je crée un cadre de vie qui fait que je peux me barrer. Plus jamais personne ne me coince dans un lieu. Je ne veux pas dépendre d’un mec, je ne veux pas dépendre d’une rédaction. », déballe Giulia Foïs.

La gouaille de ces chroniques, sa verve littéraire, on la retrouve dans ses propos. La société organise notre dépendance. Hommes et femmes. Mais principalement les femmes. Elles élèvent les gosses et rêvent de mariage :

« Ça nous fragilise et ça nous fait croire qu’on n’a pas le choix. Je pense que c’est primordial d’avoir des espaces à soi. Moi, j’ai bossé comme une tordue pendant 10 – 15 ans pour assurer ma sécurité financière. J’organise mon indépendance. Mais les filles, on nous apprend à fermer nos gueules. Ma survie psychique, je la dois à choisir et de ne plus subir. Tant qu’on ne nommera pas les choses, on n’avancera pas. La réalité, c’est celle-là. « Je voulais pas mais bon c’est pas un viol », si, c’est un viol. Le viol, c’est le crime dont tout le monde sait qu’il est répandu à tous les étages de la société mais qu’on ne veut pas voir, y compris les femmes. »

Elle nous confie une anecdote survenue lorsque son fils a eu un accident :

«Après ça, on me dit ‘ahlala les gênes du donneur, ils sont bons’ (je suis passée par PMA). Et moi ? Et ma contribution ? On est des réceptacles à pénis et à sperme. Et un réceptacle, ça ne consent pas, ça n’a pas de désir. »

LE CONSENTEMENT DES FEMMES DOIT DEVENIR UN SUJET POLITIQUE

Eduquer au consentement et à l’égalité les garçons et les filles dès la maternelle, il le faut, elle en est convaincue. Il est essentiel de conscientiser la population à tous les étages de la société.

« On a une responsabilité, les adultes. Notre responsabilité est gigantesque. Encore faut-il que pour nous cette notion soit claire. Et puis, c’est important d’en parler dans les médias, de vulgariser, de rendre visible cette question. Le problème est ultra vaste et chacun-e a quelque chose à faire à son étage. On commence par où ? Moi, je dis, on fait tout en même temps. Il n’y a pas de priorité. De l’écriture inclusive jusqu’au consentement, c’est au fond le même combat. »

Vient évidemment la question de la formation (forces de l’ordre, membres de la justice, professionnel-le-s de la santé, du social, professeur-e-s, journalistes, etc.). Mais pour cela, il faut des moyens et par conséquent une forte volonté politique. Ce qui actuellement n’est toujours pas le cas. C’est encore et toujours aux associations, aux militantes, de faire le travail de fond.

« Des annonces sont faites, des éléments sont présentés comme des avancées par le gouvernement mais en vrai, il n’y a pas le budget suffisant pour faire avancer les choses. Pour la grande cause du quinquennat, on est en bien en dessous… Depuis le grenelle en septembre dernier, on attend toujours les avancées. Il n’y en a pas suffisamment du côté de la formation, des places d’hébergement d’urgence, la sensibilisation, etc. », souligne Marie, du collectif Nous Toutes.

Dans l’enquête, les militantes n’hésitent pas à interpeller le gouvernement « à nouveau » pour que celui-ci crée et applique un module obligatoire dans la scolarité sur la question de l’égalité et sur la prévention des violences sexistes et sexuelles et de fixer un seuil d’âge de non consentement pour les enfants : 

« Nos corps sont politiques. Nos désirs sont politiques. Nos sexualités sont politiques. Le consentement des femmes doit devenir un sujet politique (…) Nous appelons toutes celles qui veulent témoigner à le faire avec le #JaiPasDitOui sur les réseaux sociaux pour rappeler qu’un rapport intime doit être basé sur un accord réciproque, sur le désir, le respect et le plaisir. »

Dans la vie de tous les jours également, on peut se saisir de ce sujet comme le rappelle Marie à la fin de notre entretien : « On peut s’autoriser à en parler. On peut s’autoriser à assumer nos désirs. On peut en parler, expliquer ce qu’est le consentement, ce qu’est un viol, ce qu’est une agression sexuelle, etc. Plus on en parlera, plus la parole sera écoutée et plus on pourra construire quelque chose de plus égalitaire dans nos sexualités. »

Provoquer la discussion, organiser des temps spécifiques autour du sujet du consentement. C’est ce que fait Iskis, le centre LGBTI de Rennes, qui a également développé tout un questionnaire très détaillé, traduit de l’anglais et retravaillé par leurs soins, afin d’interroger, permettre la réflexion et l’expression de ses vécus et ressentis.

Ce qui peut amener également au déclic. Car même lorsque l’on emprunte le chemin de la déconstruction, on peut encore être influencé par certaines idées et stéréotypes tout comme on peut encore être dans le déni face à certains comportements et agissements.

« On a aussi fait deux sessions d’ateliers consentement. Ce sont des formations qui vont entre 12h et 2 jours et c’est vraiment chouette. Ça permet à la parole d’émerger différemment et aussi de poser noir sur blanc la réflexion autour de la culture de l’association. »
s’enthousiasme Antonin Le Mée. 

Visibiliser cette majorité de la population largement sous-représentée dans la société. Non, on ne parle pas des photos de pénis (dick pics) envoyés par texto sans le consentement de la destinataire.

On parle bien évidemment des femmes, qu’elles soient blanches, racisées, handicapées, valides, transgenres, hétérosexuelles, voilées, lesbiennes, bis, cisgenres, en jupe, en talon, etc. Les rendre visibles, dans leur pluralité, dans leurs singularités, leur donner la parole (sans la couper), les écouter, les entendre.

Respecter leurs expériences, leurs ressentis, ce qu’elles sont, ce qu’elles aspirent à être. Libres. Libres de décider, libres de choisir, libre de dire oui, libres de dire non. Pour en finir avec le trouble dans la notion de consentement. Un trouble garant de la culture du viol et des violences sexistes et sexuelles. Stop.

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Consentement : existences niées
(Non) consentement : partout, tout le temps
Et le polyamour ?

Célian Ramis

Girl power ou comment passer de la femme futile à la femme fatale

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Du mouvement féministe punk aux tee-shirts prônant le Girl Power en grosses lettres, en passant par les Spice Girls, les Totally Spies et Beyonce, le slogan symbolisant l’émancipation des femmes est-il une mascarade pilotée par le capitalisme ?
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Du mouvement féministe punk aux tee-shirts prônant le Girl Power en grosses lettres, en passant par les Spice Girls, les Totally Spies et Beyonce, le slogan symbolisant l’émancipation des femmes est-il une mascarade pilotée par le capitalisme ? Dans le cadre des Mardis de l’égalité, à l’université Rennes 2, Camille Zimmermann, doctorante en Etudes culturelles au laboratoire LIS (Littérature, Imaginaire, Société) à l’université de Lorraine, décortiquait le 10 mars dernier la question en analysant l’histoire du Girl Power à travers la culture populaire. 

Sur l’écran, deux photos. Celle du haut montre Britney Spears qui joue la gladiatrice en petite tenue (à l’occasion d’une pub pour Pepsi, réunissant Pink, Beyoncé et Britney Spears contre Enrique Iglesias) et prône le Girl power. Celle du bas montre Brienne de Torth, vêtue de son armure, accompagnée du message : « Bitch please ».

« Est-ce que l’une ou l’autre a raison ? Les deux ont-elles raison de revendiquer le girl power ? La réponse est complexe. En tout cas, ce que l’on voit, c’est que les deux s’en sentent capables. », commente Camille Zimmermann, avant de remonter le temps et nous emmener dans la période post 68 et post féministe.

Mai 68 marque un élan humaniste au sein duquel la société tente de se porter davantage vers les luttes sociales, dont celles concernant les droits des femmes. Mais comme le souligne la doctorante, « c’est une période étouffée dans l’œuf, l’élan humaniste s’essouffle, il y a le choc pétrolier de 73, la montée du chômage, la mise en place des politiques de rigueur aux Etats-Unis et en Europe, et arrivent alors les valeurs néolibérales et donc individualistes. »

En parallèle, on assiste au développement de l’idéologie post féministe. Celle que Susan Faludi théorise comme le « backlash », c’est-à-dire le retour de bâton. En résumé, on remercie les féministes pour leurs combats et on dit qu’il est temps de passer à autre chose, car ça y est l’égalité est là.

On encourage les femmes à être plus ambitieuses et moins discrètes, et en même temps, on signale quand même que les luttes militantes ont un peu donné lieu à des générations de femmes désormais perdues dans leur identité de genre. Et on fait passer celles qui poursuivent leurs engagements pour des hystériques. C’est là nier toutes les problématiques sexistes restantes.

Le mouvement punk vient transgresser les normes et les interdits et s’affiche comme anticonsumériste et anticapitaliste. Le Do It Yourself ne s’applique pas seulement aux vêtements ou aux objets mais aussi à la musique, dans la manière de produire et de diffuser les disques.

« Certes, le mouvement punk est toujours dans la rupture mais il devient, après des débuts prometteurs, machiste comme les autres milieux. Les femmes ne profitent pas de l’entraide prônée entre les musiciens, pour apprendre à faire de la guitare, brancher son ampli, etc. Les femmes punkEs subissent beaucoup de harcèlement et souvent de présomption d’incompétence également. »
précise Camille Zimmermann.

La réaction arrive dans les années 90 avec le mouvement des Riot Grrrl dont on dit que Kathleen Hannah est la figure de proue (lire notre focus sur le sexisme dans les musiques actuelles, YEGG#87 – Janvier 2020). Le mouvement se crée « un studio à soi », comme aime le dire la doctorante qui fait là référence à Virginia Woolf. Les musiciennes instaurent un espace d’entraide et de paroles, c’est au même moment que naissent les ladyfest. 

Elles répondent à trois problématiques : l’hégémonie masculine dans le milieu du punk, l’hypocrisie de l’idéologie post féministe et l’austérité qu’elles sentent parfois dans la pensée féministe. Elles montent sur scène en sous-vêtements pour des raisons politiques, elles parlent de masturbation, du tabou des règles et créent le Girl Power qui apparaît pour la première fois en Une du deuxième numéro de Bikini Kill fanzine.

Très rapidement, les médias les pulvérisent. Notamment, la presse musicale qui les décrédibilise en écrivant qu’elles ne savent pas ce qu’elles font. Dans les concerts, elles sont interrompues par les hommes qui imitent le cri du loup ou qui gueulent « A poil », hypersexualisant leurs corps et les réduisant au statut d’objs.

Pour autant, le Girl Power n’est pas jeté à la poubelle. Sur la scène musicale et la scène médiatique, arrivent les Spice Girls. Cinq femmes castées selon un plan marketing. Un groupe 100% féminin fabriqué de toute pièce qui revendique le Girl Power, tout en effaçant le côté musiciennes des punkEs et en tablant uniquement sur leurs physiques et leurs apparences.

Dans leurs chansons, elles exigent le respect dans leurs relations amoureuses. Point. Le capitalisme a pris l’idée du Girl Power en y ajoutant l’idéologie post féministe. On l’appose désormais à la production culturelle à destination de la jeunesse et on fabrique des success story en romantisant la manière dont une jeune fille partie de rien est devenue une star.

C’est l’ascension vers la gloire et la notoriété qui est mise en valeur, non les compétences et le talent. C’est là un formidable marché qui s’ouvre au capitalisme qui s’engouffre dans la brèche pour exploiter de nouvelles opportunités de ce « marché de filles ». On crée le marketing genre et la taxe rose.

« Les petites filles peuvent jouer aux voitures ! Mais pas celles de leurs frères… Non, il faut qu’elles soient roses et avec fleurs. », souligne Camille Zimmermann.

Le nouveau Girl power est dépolitisé et sa « transgression » est contrôlée, de manière à servir les intérêts du marché. Mais on note tout de même au fil du temps une amélioration de la figure de l’héroïne. On s’éloigne petit à petit du modèle de la jeune fille docile, obéissante, qui attend le prince Charmant. A présent, elle n’est plus dans la passivité, elle se bat et sauve des vies.

On le voit dans Buffy contre les vampires, dans Charmed, dans Xena, dans Sydney Foxet un peu plus tard dans le dessin animé les Totally Spies… Les fictions mettant en avant des filles et des femmes explosent dans les années 90. Et on constate que les filles font des objets roses des objets de fierté d’une identité de genre. Les accessoires et autres, roses, à froufrous, pailletés, etc. deviennent des symboles de réappropriation et des moyens d’asseoir leur supériorité sur les hommes. C’est ce qu’une chercheuse va nommer le syndrome du pinky frilly dress (robe rose à froufrous).

« Finalement, on passe d’un carcan à un autre. Les femmes ne sont plus dans l’attente mais elles sont dans des rôles de femmes fatales. Et le cahier des charges est très exigeant. Il faut être mince, avec des formes quand même pour être aguicheuse, entrer parfaitement dans les normes et les canons de beauté, dont les standards sont purement occidentaux. Quand il y a des femmes noires, souvent, elles ont un teint assez clair et elles ont les cheveux lisses. »
analyse Camille Zimmermann.

Elle montre alors comment la beauté est utilisée en tant que plus value de l’héroïne qui va pouvoir user de ses charmes auprès des hommes pour obtenir ce qu’elle veut. Lors des transformations, comme celle de Sailor Moon par exemple, on va insister sur leurs gestes gracieux et les changements opérés… qui se limitent souvent à de l’esthétique : elles ont après transformation, des bijoux, du vernis, des bottes à talons : « On remarque que ce ne sont quand même pas les vêtements les plus pratiques pour partir au combat en général… »

Mais le Girl power, dirigé par le capitalisme, donne l’idée que les femmes se réapproprient des critères de beauté, alors qu’en fait on revalide simplement les codes de la féminité déjà imposés. La capacité d’empuissancement est dont limitée par ce fameux cahier des charges qui standardise les femmes.

Côté réflexion, elles ne font pas non plus la démonstration de bien réfléchir à toutes les situations dans lesquelles elles s’engagent. C’est souvent le cas de Buffy par exemple qui fonce dans le tas et apprend ensuite à travers son observateur quels sont les tenants et aboutissants.

« On ne leur attribue pas l’esprit critique, alors que l’intellect est quand même un élément clé pour l’émancipation… », souligne la doctorante. 

Elles sont belles mais futiles, elles se comparent entre elles et n’adhèrent pas à la sororité. Elles ne disposent pas librement de leur corps, des savoirs et des pouvoirs (leurs pouvoirs sont souvent limités). Selon la règle du triple refus mis en perspective par Françoise Héritier, elles n’ont pas les moyens de s’émanciper réellement.

Aujourd’hui, on constate que le Girl power se répand également dans la communication institutionnelle. Les marques s’en emparent à tour de bras. Indesit sur la répartition des tâches, Nana sur la force physique des filles et les clichés, Barbie sur les femmes dans l’Histoire, etc.

Le point positif que note la conférencière, « c’est qu’ils ont enfin remis le message à l’endroit. Maintenant, les pubs disent ‘tu es aussi forte qu’un homme, ne laisse pas la société te dire le contraire’. »

On voit aussi des icônes pop comme Pink, Beyoncé ou Miley Cirus, plus engagées qu’avant. Et plus de célébrités osent annoncer qu’elles sont pansexuelles, bisexuelles, homosexuelles, et/ou transgenres.

En parallèle, on lâche un peu du lest sur l’hypersexualisation des héroïnes et sur le male gaze. On y va plus franchement sur les problématiques féministes comme la menace autour du droit à l’avortement, la culture du viol, les institutions patriarcales, etc. Les héroïnes réfléchissent davantage et on voit apparaître une nouvelle figure : celle de la leadeuse. Elle se bat, entraine avec elle et inspire.

La femme n’est plus unique, elle est enfin plurielle et on commence à intégrer la diversité de genre, d’orientation sexuelle, d’ethnie et de culture dans les productions culturelles. La sororité est montrée à l’écran, notamment à travers l’excellente scène de Sex Education(saison 2) réunissant plusieurs lycéennes dans un bus, en soutien à une des jeunes filles présentes, ayant subi quelques jours plus tôt une agression sexuelle. 

« Alors, sommes-nous encore dans la mascarade  du Girl Power ? Quelque part, oui. Le féminisme présenté n’est pas ultra militant, pas très approfondi. Il est souvent convenu. Surtout si le budget est gros. On reproche un manque d’approfondissement dans les postures, on parle souvent d’un féminisme pop, qui serait un féminisme blanc. Ce qui peut paraître surprenant puisqu’on a parlé de Beyoncé et de Chimamanda Ngozi Adichie, qu’on accuse de ne pas vouloir vraiment la fin des inégalités mais juste de vouloir prendre leur place auprès des hommes. », précise Camille Zimmermann.

Elle poursuit tout de même sur une nuance dans cette mascarade car on ne peut que constater que l’évolution est réelle. Le féminisme n’est plus un gros mot et l’image de la militante a changé.

Elle ajoute : 

« Je me méfie des injonctions à la perfection des femmes et encore plus des injonctions à la perfections des féministes. »

On peut aussi voir les accusations à l’encontre de Beyoncé et de Chimamanda Ngozi Adichie comme des attaques sexistes et racistes, visant à les décrédibiliser aux yeux des femmes blanches et de limiter l’impact émancipateur que leurs messages pourraient avoir sur les femmes noires.

Peut-on toutefois établir que le Girl Power est une mascarade ? Est-il synonyme de féminisme ? Ou simplement un gros fourre-tout ? Pour Camille Zimmermann, il est un outil de mesure sociétal avant tout. Il indique quel est le féminisme à la mode, le féminisme qu’on peut se permettre, le féminisme qui ne prend pas le risque de faire perdre des auditeurs ou des téléspectateurs :

« Il sert à savoir quelles sont les causes féministes validées par le grand public qui vont devenir économiquement viables. On remarque que les queer commencent à être accepté-e-s mais les femmes voilées, pas du tout. Ou quand on met un personnage voilé, il est extrêmement stéréotypé. »

En conclusion, Camille Zimmermann explique : « L’expression Girl power n’est pas un slogan de militantisme. C’est un outil de mesure tout simplement. Il montre où est la moyenne entre le conservateur et le progressisme. »

Après sa conférence, elle est accompagnée de Laure Fonvieille, metteuse en scène, costumière et co-présidente d’HF Bretagne, et de Manuela Spinelli, co-fondatrice et ancienne présidente d’Osez le féminisme 35, et co-fondatrice et secrétaire de l’association Parents & Féministes, à Rennes, pour une table-ronde.

Aucune des deux militantes n’utilise le terme Girl power et leurs associations non plus. « On parle plutôt de sororité. Ce qui est différent du Girl power car avec la sororité, on n’est pas dans un côté capitaliste. Au contraire. », signale Laure Fonvieille, à propos d’HF Bretagne. 

« Dans le théâtre contemporain, il y a des offres culturelles très intéressantes. Il n’y a pas besoin d’être Beyoncé. En fait, on aborde beaucoup la question du matrimoine. On a un héritage culturel, composé du patrimoine, ce qui nous vient des pères, et du matrimoine, ce qui nous vient des mères. C’est un axe par lequel on milite. Il n’y a pas que Frida Kahlo »
précise-t-elle. 

Manuela Spinelli, avec l’association Parents & Féministes, essaye également de proposer une offre culturelle plus large mais met l’accent principalement sur l’analyse et la déconstruction des stéréotypes genrés et la valorisation d’une offre à contre courant : « On met en avant ce qui nous paraît relever d’une conscience féministe plus honnête dans les livres, les séries, les magazines… »

Evidemment, le travail est colossal. Parce que dès la naissance de l’enfant, voire même déjà lors de la grossesse si on connaît le sexe du futur enfant, on l’envisage différemment selon si c’est une fille ou un garçon. On ne s’adresse pas à l’enfant de la même manière, on n’allaite pas forcément de la même manière, on ne répond pas aux pleurs de la même manière, etc. Tout leur univers dès leur arrivée parmi nous est genré.

Les parcours ensuite sont bien connus. Il y a les assignations de genre, la division des tâches et des rôles, l’encouragement des garçons, la disparition des filles. Et dans les arts et la culture, on le sait bien grâce aux diagnostics, suivis et analyses d’HF que les femmes sont très présentes dans les écoles et puis, plus on monte dans l’échelle sociale des reconnaissances et financements, plus les femmes sont mises sur la touche.

« Les femmes ont moins de sous pour créer, elles sont donc aussi moins distribuées. On nous dit souvent qu’on ne programme pas un sexe mais un talent. Mais le talent, c’est avant tout du travail, de la visibilité et des moyens. Le problème est systémique. Les dessins animés qui sont moins genrés, peut-être qu’ils ont moins de moyens et moins de visibilité. », commente Laure Fonvieille. 

C’est systémique. Elle le redit car sur les plateaux de théâtre par exemple, mais ce n’est pas la seule discipline dans ce cas-là, il n’y a que très rarement des actrices et acteurs gros-se-s, noir-e-s, arabes, etc : « Aïssa Maïga l’a dit lors de la cérémonie des César, il faut que ça change ! »

Elle est rejointe par Manuela Spinelli :

« Oui, on valide le point de vue des dominants. Moi, ce qui me fait le plus peur, c’est l’homogénéité des corps. Cette norme ferme et nette de laquelle on n’arrive pas à se libérer. On rentre toujours dans le domaine d’un corps fait pour être regardé. Il manque des corps sujets, qui agissent, qui pensent, qui se connaissent. Parce que la privation de la connaissance de son propre corps, c’est un élément clé de la soumission des femmes. »

Après cette conférence, ça tourne et ça tourne dans nos têtes. Nous qui avons grandi avec les Spice GirlsBuffy contre les vampires,Charmed et qui maintenant écoutons Beyoncé après avoir dévoré les deux saisons de Sex Educationen très peu de temps. Sommes-nous tombé-e-s dans le panneau du capitalisme ? Parce qu’on l’a prôné nous aussi cet esprit Girl power, sans réellement le connaître et chercher à le comprendre. 

Et puis on réfléchit et on se dit que ce ne sont pas là nos seules références en matière de féminismes. On a lu des livres, des BD et des essais, on a regardé films, séries et documentaires sur les différentes problématiques d’hier et aujourd’hui, on a rencontré et on rencontre toujours des tonnes de femmes, militantes ou non, et on a écouté et écoute toujours leurs visions et leurs analyses de la société actuelle.

Peut-être qu’en effet le Girl power n’est qu’un outil de mesure. On y voit tout de même une certaine source d’inspiration, qui ne doit pas se limiter à cette simple offre culturelle. La curiosité doit nous mener à explorer toutes les richesses que les individus ont à nous apporter.

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