Célian Ramis

Mue, la réappropriation de son corps après un cancer du sein

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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées.
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Une histoire de corps. Une histoire de reconstruction psychique après un cancer du sein. Une histoire de confiance. Une histoire d’esthétique. Une histoire profondément humaine. Une histoire en images racontée par la photographe Anne-Cécile Estève et les personnes concernées, à travers l’exposition Mue, présentée du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

« J’ai eu un premier projet avec un chirurgien qui réparait les femmes excisées mais ce projet a été mis en stand by. J’ai rencontré la chirurgienne plasticienne Cécile Méal (spécialisée en chirurgie mammaire, elle exerce entre autre au Centre Eugène Marquis, ndlr) et je lui en avais parlé et elle, de son côté, elle me parlait des femmes qui vivaient mal leur cancer. », explique Anne-Cécile Estève.

De cette rencontre va naitre Mue, une exposition photographique sensible dévoilant les corps des femmes ayant vécu une ablation du sein à cause du cancer. « Toutes le vivent très mal. », précise la photographe. Parce qu’elles subissent, en plus, une difficulté invisible à propos de laquelle elles ne se sentent pas entendues :

« Une fois qu’elles sont guéries médicalement, les gens ne comprennent pas qu’elles ne soient pas guéries psychologiquement. Mais la reconstruction physique est différente de la reconstruction psychique. »

UN NOUVEAU REGARD

Ainsi, 17 femmes ont participé à la proposition artistique qui cherche avant tout à valoriser l’esthétique des corps présentés en noir et blanc. « J’avais vu plusieurs choses sur la thématique et j’avais fait des essais. Je savais déjà que je ne voulais pas imposer le nu. J’ai essayé avec une femme le cadre noir et blanc et ça m’a paru évident que c’était ça qu’il fallait faire. », signale Anne-Cécile Estève. 

Elle poursuit : « Je demande toujours s’il y a quelque chose qui ne leur plait pas chez elle pour être sure de ne pas accentuer leurs complexes et au niveau éclairage, je travaille avec une ou deux lumières studios qui me permettent de jouer sur l’esthétique. Car la question de la beauté doit leur convenir à elles ! »

Elle est parfois la première personne à qui la modèle dévoile son corps depuis l’opération chirurgicale. Il est alors crucial pour la photographe d’établir une relation de confiance, basée sur l’écoute et le non jugement.

« Je leur offre un nouveau regard. Mon regard devient leur miroir. Elles m’en ont parlé de ça : certaines sont incapables de se regarder dans le miroir justement. Les photos leur font du bien. Elles leur permettent d’accepter et de se réapproprier leur corps. »
souligne Anne-Cécile Estève

PETIT À PETIT

Pour cela, Anne-Cécile Estève les contacte dans un premier temps par téléphone. Afin de leur expliquer sa démarche dans les grandes lignes et surtout bien préciser l’importance de leur consentement et de leur engagement : à tout moment, elles peuvent dire stop, à tout moment, elles peuvent quitter le projet.

Une fois le contact établi, une première rencontre est organisée pour entrer davantage dans le vif du sujet, leur donner le temps de raconter leur histoire, d’exprimer leur rapport au corps. Avec attention, la photographe récolte leurs témoignages puis les synthétisent et les soumet à validation, tout comme elle le fera avec les visuels. « C’est important qu’elles consentent pleinement à l’exposition. », précise-t-elle.

La phase de la prise d’images pourra ensuite commencer : « J’aime bien le faire en deux fois parce que ça leur permet de cheminer entre la rencontre et la séance photos, que je fais chez elles. Il y en a une par exemple qui voulait arrêter le lendemain de notre discussion. Après une semaine de réflexion, elle a choisi d’accepter de poursuivre le projet. »

La peur de l’objectif se mêle ici au sentiment de honte ressenti par rapport à l’image qu’elles ont désormais de leur corps, souvent pensé comme hors norme puisqu’invisibilisé dans une société de l’apparence unique.

« C’est bien le problème avec la publicité, les médias, etc. concernant l’image des femmes, c’est qu’il y a un seul modèle de femme et pas 2, 3 ou plus. Une des participantes m’a dit qu’un jour elle avait cherché sur la plage des corps de femmes qui avaient subi une ablation du sein. Elle n’en a pas trouvé… Souvent, elles ont honte, elles se cachent. Certaines parlent même d’une ‘maladie sale’… »

SE FAIRE DU BIEN, PAR LA PHOTOGRAPHIE

Se réconcilier avec son image, son apparence, son corps. La démarche intéresse profondément Anne-Cécile Estève qui réfléchit, avec Cécile Méal, à la création d’une association fondée autour de la photographie thérapeutique.

« Quand j’ai photographié les compagnons bâtisseurs, je me suis rendue compte du bien que ça leur faisait de se trouver bien en photo. C’est un outil un peu différent qui permet d’aider les personnes avec leur image. Pas que les personnes malades. Ça agit sur la confiance en soi et la relation avec les autres. », commente-t-elle.

Vient la réflexion autour de cette image normative, réductrice et culpabilisante des femmes. Parce qu’elle représente l’injonction patriarcale à la minceur – voire à la maigreur – et à la beauté unique (blanche) qui objetise les femmes en les figeant dans une posture de désirabilité et les enferme dans une case. Ce que l’on nomme le « male gaze », le regard masculin et dont les femmes sont également imprégnées puisqu’elles sont elles aussi éduquées dans une société sexiste, raciste, LGBTIphobe, handiphobe et grossophobe.

« Il faut être sacrément bien avec soi-même pour lutter contre ça. J’ai bien conscience qu’en retravaillant mes photos, je gomme les rondeurs, cachent les cicatrices, etc. Mais l’objectif ici n’est pas de montrer la réalité de leurs poitrines ou les marques qu’on peut avoir sur le corps. Mon but, c’est de leur faire du bien. Qu’elles se réapproprient leur corps à travers mes photos. Ensuite, elles cheminent à leur rythme. Dans leurs témoignages, elles le disent : ça les aide à se réconcilier avec leur corps. Il y a même une 18efemme qui m’a contactée parce qu’elle a vraiment envie de participer au projet. Alors, ce ne sera pas pour cette expo mais j’ai vraiment envie de poursuivre. »

Avec Mue, Anne-Cécile Estève leur offre un espace bienveillant dans lequel elles peuvent lâcher prise, oser, s’autoriser à essayer, s’exprimer, arrêter tout, recommencer, etc. Le titre de l’exposition résonne dans cette mise en mouvement opérée entre les femmes photographiées et la photographe : 

« Elles commençaient toujours la prise de photo habillées. Au fur et à mesure, elles se déshabillaient, en cachant leurs seins. Il n’y avait aucune obligation ensuite d’enlever les mains de la poitrine. Pour trouver la bonne posture et être plus à l’aise, je les dirigeais un peu. S’étirer, se cambrer, danser… Je voulais du mouvement ! Mouvement, changement, émotions… ça va avec la mue, ce changement physique et/ou psychologique. J’aime ces mots ! Je crois que j’ai un truc avec le changement ! », rigole Anne-Cécile Estève.

  • Exposition à découvrir du 7 au 27 mars à l’Hôtel Dieu, à Rennes.

 

Célian Ramis

Des abysses et elles : les créatures de Ouitisch

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Reportage au cœur des fonds marins, à la rencontre des quatre créatures « ouitischiennes » du projet.
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La semaine dernière, l’association Ouitisch plongeait la piscine des Gayeulles dans l’ambiance des abysses, transformant la fosse plongée en studio photo. Reportage au cœur des fonds marins, à la rencontre des quatre créatures « ouitischiennes » du projet.

Mercredi 14 août, 21h. Les derniers courageux effectuent des longueurs dans la piscine des Gayeulles, à quelques mètres de la fosse plongée dans laquelle est installé le studio photo de l’association Ouitisch. Le moment est venu, après deux ans de réflexion et de travail autour de leur projet !

Celui de réaliser et présenter une exposition subaquatique, sur le thème des abysses. Un milieu mystérieux et méconnu du grand public. Le livre de Claire Nouvian, Abysses, est leur Bible : « C’est notre coup de cœur. Nous sommes restés fidèles aux images du bouquin. Les dessins et créations d’Anna Le Reun sont très proches de celles-ci », explique Xavière Voisin, secrétaire de l’asso, en charge de l’administration et des relations partenaires.

Durant trois nuits, l’équipe de Ouitisch s’est dédiée à la réalisation des images de l’expo Des abysses et vous, qui sera présentée tour à tour dans les quatre piscines rennaises. « Une invitation à l’imaginaire », selon Xavière.

Une fois la nuit tombée, le shooting peut démarrer. Huit projecteurs sont installés à 6m de profondeur, l’appareil photo est déjà au fond de la fosse, une gueuse est mise en place pour une meilleure stabilité de la modèle, Jessica Josse… Cette dernière a enfilé son costume de méduse blanche, après avoir été maquillée par Vanessa Coupé, qui a en amont beaucoup collaboré avec Anna pour définir les différents maquillages.

« La texture des produits waterproof n’est pas du tout la même et je ne m’étais pas rendu compte de la difficulté au départ. On ne peut pas tirer la matière, la travailler… Et elle sèche aussitôt ! », confie Vanessa. Ce n’est pas pour autant que la jeune professionnelle se débine. Au contraire ! « Il suffit donc de travailler la base avec des produits gras, de faire le dégradé à ce moment-là et de rajouter la couche waterproof », explique-t-elle. Et le tour est joué pour un résultat impeccable, qui sera révélé dès le 15 novembre.

Dans l’univers abyssal

Il est temps pour Jessica de descendre sous l’eau. Doucement, un plongeur l’accompagne jusqu’au fond de la fosse. Anna est déjà dans l’eau, prête à réajuster le costume. L’équipe s’apprête à réaliser une séance de 20 à 30 minutes pendant laquelle Jessica alterne entre apnée et bouffée d’oxygène. Avec aisance, elle effectue des mouvements gracieux, en douceur. La jeune femme n’en est pas à son premier coup d’essai.

En effet, pendant 13 ans, elle a pratiqué la natation synchronisée et  participé à plusieurs courts-métrages en milieu aquatique, avec la réalisatrice Manon Le Roy. Son bonus : tenir en apnée pendant 2 minutes 30. Néanmoins, elle ne préfère pas tirer sur ses réserves pour cet exercice « déjà assez éprouvant ! ». Elle se souvient de la nuit précédente : « Au début, j’ai eu un moment d’angoisse : à 6 mètres de profondeur, dans le noir, il fait très froid, je portais un costume avec une grosse structure sur la tête… ». Après un temps d’adaptation, elle entre rapidement dans le personnage et renouvelle l’exercice à trois reprises dans la soirée.

Pour Anna, la satisfaction est grande. Après discussion autour de leurs envies, les membres de Ouitisch ont rapidement su ce qui ne voulaient pas niveau costumes : « Pas de rococo, d’angélique, de mousseux ou encore de fashion ». A la suite de nombreux tests effectués, la créatrice connaît les réactions des différentes matières au contact de l’eau et sait comment créer les trois créatures abyssales demandées.

« Je suis contente car le rendu durant le shooting est le même que sur les dessins. C’est cool ! », explique-t-elle. D’autres projets naissent dans les esprits « ouitischiens », « à force d’être ensemble et de discuter de nos envies, forcément c’est stimulant ». Mais avant tout il faudra présenter les 9 clichés grand format, placés dans des sarcophages en plexiglas, au fond des quatre piscines municipales. A vos masques et tubas, dès le 15 novembre, à la piscine Saint-Georges de Rennes.