Célian Ramis

La ville des femmes : loin d'une science-fiction, une réalité urgente !

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Lysa Allegrini, architecte-urbaniste engagée pour la ville des femmes
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La ville des femmes. L’opposé de la ville des hommes ? De la ville tout court ? Non, justement. Une ville inclusive, dans laquelle les espaces publics, ses aménagements et ses équipements, sont pensés et réfléchis en amont pour tou-tes et par tou-tes.
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La ville des femmes. L’opposé de la ville des hommes ? De la ville tout court ? Non, justement. Lysa Allegrini, chargée d’études en architecture et en urbanisme au sein de l’agence En Act à Rouen, propose une ville inclusive, dans laquelle les espaces publics, ses aménagements et ses équipements, sont pensés et réfléchis en amont pour tou-tes et par tou-tes.

Le postulat de départ : la ville et les espaces publics sont des lieux de rencontre, de mixité sociale, ouverts à tou-tes, conscient-es et porteur-euses des divers enjeux existants au sein de la population. Pourtant, le constat est bien différent dans la réalité du quotidien que dans la théorie couchée sur le papier : les espaces ne sont pas totalement publics et surtout pas neutres. Ils excluent principalement les publics vulnérables et les femmes. « La ville est faite par et pour les hommes », explique la spécialiste du genre, de l’urbanisme et de l’architecture égalitaire. C’est la thèse également développée dans l’essai de Rebekka Endler, Le patriarcat des objets, avec la non moindre anecdote des toilettes non adaptés aux femmes. Un sujet a priori amusant et anecdotique, et qui révèle pourtant une réelle volonté d’exclure une grande partie de la population.

UN SENTIMENT D’INSÉCURITÉ

Bien que, statistiquement, moins souvent victimes d’agressions dans la rue que les hommes, les femmes partagent pourtant à 65% un sentiment d’insécurité, se caractérisant par un sentiment d’anxiété face à ce qui pourrait advenir. En clair, les femmes font l’expérience « commune et quotidienne » de la peur dans l’espace public. Une peur nourrie et alimentée par « l’éducation, les médias, les répressions du gouvernement, etc. », autant de signaux envoyés et de messages martelés dès l’enfance visant à faire intégrer aux femmes l’idée qu’elles sont « des cibles potentielles » lorsqu’elles sortent de chez elles. Ainsi, « elles s’imposent des limites et des restrictions, élaborent des stratégies pour faire face aux inconvénients » qu’elles pourraient rencontrer et la nuit, elles « doivent toujours jaugées du danger », activant une vigilance mentale constante.

La ville n’étant pas pensée et conçue pour elles, selon des échelles de mesure basées sur la carrure moyenne des hommes mais aussi leurs activités, besoins et comportements, elles développent un sentiment d’illégitimité à occuper les espaces publics. Elles ne flânent que rarement dans les parcs et sur les places et elles bougent d’un point A à un point B, dans des déplacements généralement destinés aux tâches du care (amener les enfants à l’école ou aux activités, aller faire les courses, aider une personne âgée, etc.), comme une extension du foyer. 

Dans un espace où les noms d’homme sont gravés à chaque coin de rue (seules 6% des rues en France portent des noms de femmes), les femmes subissent un rappel à l’ordre : leur place est à la maison. Si elles transgressent cette injonction, les hommes leur rappellent qu’ils disposent de leur corps comme ils l’entendent à travers le harcèlement de rue, notamment. « Elles ont la crainte d’être interpelées ou agressées. Il y a tout un continuum de signaux masculins : dans les noms de rue, les images publicitaires au caractère sexuel explicite, etc. Qu’est-ce que ça donne comme images aux jeunes filles ? Sans oublier que dans les statistiques, les violences sexistes ne sont pas prises en compte ! », s’insurge Lysa Allegrini. 

DES ESPACES NON ADAPTÉS

Avec l’émergence d’une nouvelle population urbaine, la création de nouvelles structures familiales et le bouleversement du quotidien des femmes qui travaillent de plus en plus, les villes n’ont pas réussi, ni même lancé, le challenge d’une adaptation adéquate aux changements de comportements. « Les architectes et urbanistes doivent pouvoir répondre aux besoins ! Aujourd’hui encore, les femmes subissent la ville plus qu’elles ne l’occupent ! », souligne la professionnelle. 

Ainsi, les city stade, les skate parks ou encore les terrains de pétanque, soi-disant à destination d’un public mixte, viennent satisfaire majoritairement les préoccupations des hommes, sans se soucier des difficultés des femmes à investir ces espaces. Lysa Allegrini y voit là « le prolongement de l’hégémonie masculine », conséquence d’une éducation genrée dans laquelle on favorise la motricité et l’exploration de l’environnement chez les garçons tandis qu’on mettra en garde les filles de tous les aspects dangereux et insécurisants :

« Dès l’enfance, les garçons apprennent à occuper l’espace et les filles apprennent à le partager. »

Heureusement, elle souligne la volonté de certaines municipalités et collectivités territoriales de réaménagement des lieux en faveur de l’égalité et de la mixité, intégrant les critères de genre dans leurs politiques publiques. « C’est aussi une question de représentations. A Rouen, par exemple, il y a une association de roller derby qui organise des événements dans l’espace public pour que les femmes se le réapproprient », précise l’architecte-urbaniste. 

Au même titre que de nombreux collectifs féministes ou des équipements (skate, réparation de vélos, salle d’escalade, soudure, mécanique, etc.) proposent des ateliers en mixité choisie afin de partager les vécus et les compétences, développer l’empouvoirement des femmes, leur sentiment de confiance et de légitimité, favorisant ainsi un retour plus serein dans les lieux identifiés comme potentiellement dangereux (remarques, jugements, insultes, agressions physiques et/ou sexuelles, etc.). Cela peut aussi passer, comme le précise Lysa Allegrini, par de la communication visuelle à travers des campagnes dans les transports en commun ou espaces publicitaires de la ville « pour montrer aux femmes qu’elles ont leur place ».

LA VILLE DES FEMMES

« J’ai pu construire un guide à appliquer au quotidien. Il est important de penser au confort du public et à sa diversité, en donnant la possibilité de marcher ou de circuler tranquillement, de pouvoir s’asseoir, observer… Ça nécessite un travail sur le champ de vision pour mieux voir les alentours et ainsi réduire le sentiment d’insécurité », signale-t-elle. D’autres éléments sont à prendre en compte, comme la présence de sanitaires et de points d’eau, la diversité et variété des aménagements et de l’offre proposée, les moyens de rendre un quartier attrayant à travers des couleurs, des échelles à taille humaine, la richesse des rez-de-chaussée, etc. mais aussi les services de mobilité et bien sûr l’accessibilité aux personnes en situation de handicap, aux poussettes, aux personnes à mobilité réduite, etc. 

Il est essentiel de développer des méthodes pour construire des projets égalitaires. Elle cite notamment les méthodes participatives, les balades urbaines et les ateliers de concertation, « dès la conception du projet ! » pour impliquer et faire avec les habitant-es et surtout les personnes concernées. « Il faut prendre en compte les avis de tout le monde pour que ce soit le plus mixte possible ! », dit-elle, animée par cette réflexion autour de sa pratique professionnelle : « Se poser des questions en amont, écouter, innover, tester, évaluer, corriger… Il faut savoir se remettre en question et corriger. Chaque projet urbain reste unique et notre travail n’a pas d’intérêt si notre projet ne fonctionne pas. »

Il n’y a pas de réponse unique. Mais plein de possibilités pour inclure davantage. C’est ce qu’elle appelle « La ville des femmes ». Pas en opposition avec la ville des hommes. « C’est un endroit où on vient prendre en compte les enfants, les personnes à mobilité réduite, les personnes âgées, les femmes et les hommes. On l’appelle comme ça par engagement, pour montrer qu’en s’intéressant à la question du genre, on propose quelque chose de plus inclusif. C’est une ville pour tou-tes ! », répond Lysa Allegrini, interrogée sur l’aspect potentiellement jugé excluant de l’intitulé, tandis qu’on ne se demande majoritairement pas si la ville actuelle, faite par et pour les hommes, répond aux besoins et enjeux de toute la population et pas uniquement à sa catégorie dominante. La professionnelle le souligne :

« Beaucoup de gens pensent que c’est un non sujet. Parce que personne ne nous empêche frontalement d’aller en ville, de sortir de chez nous. C’est en en parlant qu’on va prendre davantage en compte la question des femmes et des minorités. »

Dans plusieurs villes de France, la démarche a été enclenchée : augmentation du nombre de rues et d’équipements sportifs, sociaux et culturels portant des noms de femmes, végétalisation des cours d’école intégrant également les enjeux de genre, concertation des habitant-es dans les projets d’aménagement urbain, etc. Pour Lysa Allegrini, il est important, dans sa pratique professionnelle, de livrer un projet répondant aux critères cités précédemment mais aussi d’être en capacité d’évaluer la réussite et les points d’amélioration pour corriger le tir. « En tant qu’architectes-urbanistes, on dessine des espaces mais on ne peut pas forcer les gens à se les approprier comme nous on le voudrait. C’est beau aussi de voir que les espaces sont ouverts et servent à d’autres activités que celles prévues au départ ! », conclut-elle. 

 

  • Lysa Allegrini intervenait au Diapason, à Rennes, dans le cadre de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée le 11 mars par l’Université de Rennes.

Célian Ramis

Endométriose : "Non, ce n'est pas normal d'avoir des douleurs pendant ses règles !"

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Krystel Nyangoh Timoh, chirurgienne gynécologue-obstétricienne au CHU de Rennes
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Chirurgienne gynéco-obstétricienne, Krystel Nyangoh Timoh s’engage au quotidien pour faire évoluer la recherche, les techniques et les approches médicales, au service de la santé et du confort des personnes atteintes d'endométriose.
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Chirurgienne gynéco-obstétricienne au CHU de Rennes et maitresse de conférences en anatomie à l’université de Rennes, Krystel Nyangoh Timoh s’engage au quotidien pour les femmes atteintes d’endométriose. Amélioration et individualisation de la prise en charge globale, précision des connaissances en anatomie et en chirurgie robotique (mini invasive), prise en considération des besoins et envies de la personne concernée… Elle œuvre pour faire évoluer la recherche, les techniques et les approches médicales, au service de la santé et du confort de la patiente.

Elle parle de l’invisible souffrance des femmes et surtout de leur prise en charge. Krystel Nyangoh Timoh œuvre, au quotidien, pour l’amélioration de l’accompagnement global de ces 2,5 millions de françaises atteintes d’endométriose. « C’est extrêmement fréquent, vous avez tou-te-s une cousine, une mère, une amie… qui a une endométriose », souligne-t-elle, précisant :

« On parle de 10% des femmes à en être atteintes, c’est une estimation car il y en a probablement plus. » 

Davantage encore demain. De par la médiatisation du sujet, la diffusion de l’information auprès des patient-e-s, la formation des professionnel-le-s, permettant ainsi une plus rapide prise en considération des symptômes et douleurs pour établir, plus vite, un diagnostic plus précis. Mais aussi de par l’augmentation et le développement des perturbateurs endocriniens, mis en cause dans la maladie en tant qu’hypothèse puisqu’il n’existe, à l’heure actuelle, pas de certitudes sur les causes de l’endométriose.

UN QUOTIDIEN DE SOUFFRANCES

On en connait, néanmoins, les conséquences : première cause d’infertilité féminine, la maladie chronique peut empêcher les porteur-euses de « mener leur vie comme elles le souhaitent ». La gynécologue-obstétricienne dresse une liste non exhaustive des effets : fatigue, santé mentale qui peut se dégrader plus rapidement, troubles digestifs, troubles urinaires, obligeant parfois à l’absentéisme (à l’école, dans les études, au travail…) mais aussi l’isolement dans la vie sociale. 

Sans oublier « le coût pour la patiente, les soins complémentaires (sophro, acupuncture, réflexologie, par exemple) qui participent au bien-être ne sont pas pris en charge » et le coût également pour la société estimée à environ 10 000 euros par femme et par année (coûts directs relatifs aux soins et à la perte de productivité pour l’employeur, selon une étude de la Fondation mondiale de recherche sur l’endométriose, réalisée en avril 2012). « On devrait tou-te-s la prendre à bras le corps cette maladie ! », s’exclame alors Krystel Nyangoh Timoh. Et plus le diagnostic est long à établir, plus la prise en charge tarde à être mise en place et adaptée à la personne concernée, plus les douleurs pelviennes peuvent devenir chroniques et invalidantes. 

« Nous, les chirurgiens, et je m’inclus dedans, on prend en charge la maladie comme un nodule. On a besoin de prendre en charge de manière globale. Avoir une endométriose, ça amène les femmes à se poser des questions. Sur la possibilité d’avoir ou non un enfant, sur la pratique de tel ou tel métier… Elles ont besoin d’un accompagnement individualisé qui s’adapte à leur vie, leurs envies, etc. »

PETITE HISTOIRE DU SILENCE…

En 2024, l’évolution est lente. L’endométriose, elle, a pourtant toujours été là. « Dès l’Antiquité, il y a des textes qui parlent des douleurs que certaines femmes avaient pendant leurs règles », précise la gynécologue-obstétricienne. Et puis, il faut attendre 1860 pour que le docteur Rotikansky observe, à l’occasion d’une autopsie, des lésions sur le péritoine et identifie ainsi l’endométriose. En 1921, John A. Sampson théorise sur la maladie « et depuis, il ne s’est pas passé grand-chose ».

Krystel Nyangoh Timoh se souvient, lors de ses études à Paris, avoir vu des patientes atteintes d’endométriose. Souhaitant comprendre, elle cherche dans son ouvrage de référence sur la gynécologie : « Il y avait 2 lignes seulement alors que beaucoup de femmes souffraient ! » Les années 2000 voient des associations de patientes se créées, à l’instar d’EndoFrance puis récemment, en Bretagne, EndoBreizh, une filière de soins pour la prise en charge de l’endométriose. Grâce à ces structures et aux personnalités publiques ayant médiatisé la maladie – Laëtitia Millot, Lorie, Enora Malagré, etc. – Emmanuel Macron a annoncé, en 2022, une première stratégie nationale pour lutter contre l’endométriose.

BIAIS ANATOMIQUES ET CHIRURGICAUX

S’attaquer aux origines de la maladie figure comme un objectif de ce plan. Car aujourd’hui, « on ne sait pas comment elle arrive ». Ce que l’on sait : chez les personnes menstruées, atteintes d’endométriose, des lésions se développent dans et en dehors de l’utérus, pouvant se propager, comme des métastases, et atteindre d’autres organes. « Mais des jeunes filles ressentent des douleurs dès les premières règles. Cela signifie que l’endométriose était déjà présente », souligne la gynécologue-obstétricienne, pointant ici les potentiels facteurs génétiques et la possibilité que les lésions se soient créés lors de la vie intra-utérine du bébé. 

L’essentiel pour elle, dans son quotidien de praticienne : améliorer la prise en charge des personnes endométriosiques. Et cela passe par l’obtention et la diffusion de connaissances pointues en termes d’anatomie et de chirurgie. Elle constate, à force de recherches et d’expériences, une connaissance plus aiguë de l’organe masculin que de l’organe féminin, rejoignant les revendications féministes à se réapproprier les savoirs concernant le corps des femmes et à en explorer tous les recoins, afin que chacun-e puisse reprendre son pouvoir d’action et de consentement. 

Elle l’applique à son métier : « Quand on fait de la chirurgie, il est important de comprendre où est-ce se situent les lésions et comment elles sont innervées. » Elle le dit, la chirurgie de l’endométriose est une des plus complexes tant « il faut connaitre son anatomie par cœur ». Dans l’opération, elle observe deux missions : enlever la maladie et préserver l’innervation pelvienne. Passionnée d’anatomie, Krystel Nyangoh Timoh veut comprendre. Avec son étudiante en médecine, elles ont traqué les nerfs de la zone un par un et ont ainsi réalisé une cartographie, « un travail colossal et fondateur pour la suite ». 

En parallèle, elle identifie un autre biais de la médecine face à l’endométriose, celui de la chirurgie. Actuellement, l’évaluation de la chirurgie s’effectue sur la base d’un questionnaire des symptômes « et non pas sur un questionnaire détaillé des douleurs, ce qui en fait une évaluation peu ou pas appropriée, pas précise ou pas représentative ». Toutes les personnes atteintes d’endométriose ne sont pas opérées (mais il existe aujourd’hui des techniques mini invasives – par la chirurgie robotique par exemple – permettant de limiter les séquelles des patient-e-s).

UN DÉFI SOCIÉTAL

Ainsi, attention est portée à l’élaboration d’une grille d’analyse plus adéquate et plus cohérente à la pluralité des symptômes, des douleurs, des patientes et des endométrioses. Œuvrer à l’amélioration de la prise en charge passe donc par la recherche, en matière de connaissances anatomiques, et surtout par l’étroite collaboration avec les personnes concernées. Afin d’identifier les besoins et les intentions. Parce qu’elles n’ont pas toutes les mêmes modes de vie, les mêmes ambitions, les mêmes âges et les mêmes enjeux. 

« Si on en parle autant, c’est parce que c’est un défi sociétal et culturel », analyse la professionnelle. Elle raconte : « J’ai pris en charge une patiente de 36 ans qui n’avait pas d’enfant. Jusque-là, tous les praticiens lui avaient conseillé de ne pas retirer l’utérus car elle n’avait pas d’enfant. Je ne dis pas qu’il faut systématiquement pratiquer l’hystérectomie mais ça nous pose la question de nos propres croyances. À quel âge, on peut enlever l’utérus d’une patiente ? Selon quels critères ? Quand est-ce que le désir de la patiente compte ? » Elle s’interroge et attire l’attention sur la projection des croyances de chaque praticien-ne renvoyée sur la patiente. 

« Il me semble que nous, on est là pour que les femmes puissent accomplir leur vie, comme elles, elles l’entendent »
ponctue-t-elle. 

Son questionnement est indispensable dans la pratique d’une médecine - encore empreinte des stéréotypes de genre – à destination d’une population souvent et longtemps reléguée au second plan. Elle cite les apports et les travaux de la chercheuse Camille Berthelot et de l’épidémiologiste Marina Kvaskoff, œuvrant à l’avancée et l’évolution des connaissances mais aussi des mentalités : « Heureusement, il y a aujourd’hui plus de femmes, plus de diversité et plus d’opportunités pour rendre le sujet visible et écouter les patientes. » 

UNE ÉVOLUTION LENTE

Krystel Nyangoh Timoh, investie et engagée dans de nombreux projets pour l’amélioration de la prise en charge globale des patientes, la précision des données scientifiques, anatomiques, chirurgicales et numériques ou encore la création (longue) d’une maison de l’endométriose à Rennes (et pour tout ça, élue Rennaise de l’année 2023 par les lecteurs d’Ouest France), reconnait l’évolution des pratiques mais semble regreter la lenteur de celle-ci. 

« On avance. Le but des filières comme EndoBreizh, c’est de sensibiliser, informer, former nos collègues pour qu’on puisse mieux prendre en charge les patientes. Et à partir du moment où la médiatisation est importante, on en parle davantage. Dans la formation, en médecine, et je le sais parce que c’est moi qui anime le cours au CHU de Rennes, ça a augmenté la partie sur l’endométriose. Mais ce n’est pas assez… C’est 4h, c’est pas énorme ! » 

Sans compter la longue procédure pour obtenir un diagnostic. Peu d’experts en échographie travaillent en France, a contrario des pays germaniques, ce qui rend la tâche compliquée pour précisément poser le diagnostic. Ainsi, dans l’hexagone, il est établi l’ordre suivant : « L’interrogatoire, l’examen clinique, l’échographie en première intention afin d’éliminer d’autres pathologies comme un kyste ou autre, tenter le traitement hormonal puis si celui-ci ne fonctionne pas, faire l’IRM… »

En moyenne, on estime à 7 ans la durée moyenne d’un diagnostic d’endométriose. À prendre en compte également, comme le souligne la gynéco-obstétricienne : toutes les femmes qui ont mal ne sont pas atteintes d’endométriose. « C’est le sommet de l’iceberg, l’endométriose. Mais il y a une vraie nécessité à pousser les recherches sur les douleurs de la femme. Ce n’est pas normal d’avoir mal pendant ses règles ! », conclut Krystel Nyangoh Timoh.

 

  • Krystel Nyangoh Timoh intervenait au Diapason, à Rennes, dans le cadre de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée le 11 mars par l’Université de Rennes.

Célian Ramis

Broder le matrimoine

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Photo de deux femmes blanches qui brodent
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Dans cette histoire, il est question de fil, de relations à nouer, de personnages prêts à en découdre mais aussi de lignées de filles oubliées et de langues à délier…
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Dans cette histoire, il est question de fil, de relations à nouer, de personnages prêts à en découdre mais aussi de lignées de filles oubliées et de langues à délier… 

C’est l’histoire de Louise et dans cette histoire, il est question d’un chien avec qui il faut partager sa nourriture, d’un ogre qui veut la dévorer et à qui elle doit donner le pouce, de ses sept frères transformés en pigeons, de sa voix perdue, d’un amour rencontré, d’oiseaux tissés sur des rubans... Cette histoire, c’est celle du conte en vers Les sept frères de Jeanne Malivel qu’Inès Cassigneul et Anton Aguesse ont interprété durant l’été en français et en gallo dans une lecture théâtrale, au musée de Bretagne à Rennes, au musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc et à la Cité audacieuse à Paris, avant de convier les participant-e-s à un atelier de broderie sur du linge de maison. 

REVENDIQUER L’HÉRITAGE DES FEMMES

Par une belle journée estivale, elles s’attablent autour des motifs issus du conte, illustrés par Maïlis Michel. Sur une taie d’oreiller, un mouchoir, une serviette... elles vont pouvoir réaliser points arrière, points de tige, points de chainette, points de feston ou encore points de nœud pour tisser leurs ouvrages. Tandis que la brodeuse Delphine Guglielmini leur prodigue des conseils et s’attèle à donner les bases aux moins aguerries ou en guise de piqure de rappel, les femmes – sans que l’atelier soit en mixité choisie, ce jour-là, elles sont exclusivement des femmes – discutent entre elles et échangent autour de ce qu’elles ont pensé du conte, de celles qu’elles ont vu brodé durant leur enfance et de celles qui les ont initiées à cet art tombé, à tort, en désuétude.

Les temps de broderie créent une proximité favorable aux échanges. De par les propositions artistiques de la compagnie Sentimentale Foule, la comédienne et autrice Inès Cassigneul réhabilite la broderie au sein d’un matrimoine qu’elle défend et prône. On se souvient du travail, à la fois gigantesque et minutieux, de la carte géographique et de la tapisserie du jeu de l’oie, deux œuvres brodées en dehors et sur la scène dans le cadre de La carte d’Elaine et de Vierges maudites !, spectacles dans lesquels récit et broderie se mettent au service de la réécriture de la légende arthurienne d’Elaine d’Astolat. Un personnage secondaire et oublié. Invisibilisé. Comme l’a été Jeanne Malivel, artiste bretonne effacée de la mémoire régionale et nationale. Inès Cassigneul revendique l’héritage des femmes et convoque celles du passé et du présent pour ensemble tisser l’Histoire et sauvegarder le matrimoine.

« C’est compliqué de parler de la broderie sans en évoquer le côté féminin et sans en évoquer le côté oppressif puisque c’était fait pour garder les femmes sages, à la maison. », signale-t-elle. Sa mère tricotait, sa grand-mère brodait. Cette histoire de fil et de filles, Delphine Guglielmini l’a vécue également :

« J’ai même vu faire mon arrière-grand-mère ! Depuis petite, j’expérimente les arts du fil. Dès qu’une pelote se transforme, ça me passionne. Tricoteuses, couturières, brodeuses… Toutes sont des faiseuses ! »

Tantôt activité professionnelle, tantôt activité domestique. Parfois même les deux. Dévaluées financièrement et socialement parce que reléguées aux femmes et à l’artisanat. Et pourtant, cet art ancien et ce savoir-faire attribué au féminin recèle de vertus techniques et thérapeutiques aussi créatives qu’émancipatrices. 

TISSER DES LIENS

« Croiser écriture et broderie va de pair avec mon entrée dans l’écriture. Prendre le temps d’orner, de raconter des histoires… L’écriture a accompagné mon rapport à la broderie et j’ai eu besoin d’interroger cet héritage-là. », confie Inès Cassigneul. Avec L’Histoère Couzue, entre autre, elle fait sortir la broderie de l’espace domestique pour aller vers un ouvrage collectif. Elle poursuit : « Depuis 2017, on fait des spectacles intégrant cet art. C’est une réappropriation de cet artisanat féminisé et une réhabilitation du linge de maison. Dans les ateliers, chaque personne choisit un modèle différent et un support selon son goût, son envie, etc. Quelque chose de personnel s’exprime dans ce choix. Il y a une part de transmission importante. C’est un mélange de plein de femmes – parce que ce sont majoritairement des femmes qui viennent – pour broder. Parfois, des discussions émanent sur la condition féminine mais ce n’est pas un atelier de pensées féministes. Je préfère que ça vienne spontanément dans la conversation. Que ça vienne d’elles. L’idée, c’est d’être dans le lien. Avec Delphine, on injecte de la bienveillance et de la solidarité. »

La brodeuse, qui avait déjà pris part aux créations précédentes, est séduite instantanément par la démarche de l’autrice. La réflexion autour de la broderie, le ralentissement du temps pendant la pratique, les recherches autour de Jeanne Malivel, les discussions qu’elle définit comme « remarquables » constituent pour elle autant d’intérêt que le résultat. Elle est animée par « tout ce moment de transmission, de parlotte, de liens qui se tissent entre des inconnues qui brodent en commun. » Et puis, elle assiste à des moments suspendus : « Ça détend. Les participantes parlent du quotidien et ça va résonner chez les unes et les autres, même chez les silencieuses. L’une lance que sa grand-mère faisait ci ou ça et d’autres rebondissent. Ça nous fait du bien à nous aussi. Et ça fait du bien pour le matrimoine et l’histoire locale ! » Ce qui compte, c’est le ressenti provoqué. Ce que l’ouvrage a stimulé en elles. « On n’est pas dans l’excellence. Ce n’est pas le but. On cherche à désacraliser la pratique pour mieux se la réapproprier. Aller dans l’expressivité, ne pas défaire l’ouvrage… », ajoute Inès. 

UN ORCHESTRE QUI S’ACCORDE

Du chaos de l’expérimentation nait un moment de grâce. L’ouvrage méticuleux requiert concentration et rigueur. Les artistes dénouent la difficulté imposée par l’envie de perfection en rendant l’espace et la pratique accessibles et décontractées. L’important ici, c’est la participation au collectif. Delphine Guglielmini brode les points de départ, les participantes s’en emparent et apportent leur touche pour en faire un objet personnel et personnifié. « Je leur apprends les poings arrière, les points de tige, les points de chainette, et l’apothéose : le point de nœud. Ce qui est d’ailleurs antinomique car faire un nœud, c’est bafouiller. Mais non ! C’est joli un nœud. Ici, elles ont le droit au tâtonnement et à l’expérimentation. On leur confie un bout de tissu, je décortique les mouvements et elles en font ce qu’elles veulent. Elles font, refont, elles observent, elles refont encore. A force, elles trouvent leur propre écriture. », se réjouit-elle.

On les écoute, on s’enthousiasme. On assiste à un moment de joie et de bonheur d’être ensemble et de faire collectivement, tout en affirmant sa singularité. Elles écoutent, posent des questions, s’entraident, se donnent des conseils, interpellent Inès qui regardent avec attention leurs travaux, se lèvent et foncent sur Delphine, impatientes, pour lui demander des précisions. La magie opère : « C’est comme un orchestre qui s’accorde. Il y a beaucoup d’excitation, ça parle fort, ça discute broderie et souvenirs. Et puis, il y a un moment de silence. Autour de la table, elles ont partagé et là, elles se taisent. Ce n’est pas un silence lourd. C’est un silence très agréable. Un silence concentré. Elles se sentent en confiance, c’est un moment tout doux, où on est ensemble. C’est émouvant. »

L’esprit se détend. Le corps également. De la méditation active, comme le définit la brodeuse, qui permet de prendre de la distance face au stress du quotidien mais aussi du rythme effréné de nos sociétés de plus en plus productivistes. Ici, la réalisation de l’ouvrage peut rimer avec lâcher prise, temps long et développement des compétences douces. « On devient plus curieux, ça développe les qualités d’observation, d’écoute et ça améliore les rapports au monde et aux autres. », souligne-t-elle, en citant un exemple : « Je travaille dans un centre de formation à l’entreprenariat. Beaucoup font du tricot, du crochet, etc. Et j’ai eu un homme qui allait devenir papa, c’est lui qui fabriquait la couverture du bébé. Rien que d’être dans ce type de démarche fait qu’il va vivre différemment sa parentalité. »

UNE FIGURE MILITANTE ET IMPACTANTE

Par la broderie passe l’expression de soi. Par les choix, le style, les tissus, les points, etc. on fabrique, on crée, on personnalise. Le temps consacré à l’ouvrage et la concentration renforcent la capacité des un-e-s et des autres à résoudre certaines choses : « On a des pensées, des idées qui viennent. On ressasse, on trouve des solutions. Et puis c’est thérapeutique ! Personnaliser, c’est s’exprimer, c’est faire avancer le monde ! », scande Delphine Gugliemini. Se plonger dans une confection à long terme permet de laisser libre cours à son imagination et à ses réflexions. Inès Cassigneul s’immerge dedans : « Ça me donne la sensation de réparer quelque chose, des blessures, un manque, un vide… » Elle l’affirme et le revendique : « Oui, je reprends cet outil pour le questionner et pour me révolter ! »

Et de cette révolte jaillit la créativité collective. Et de cette révolte jaillit la sororité. Et de cette révolte jaillit le partage et l’envie de réhabiliter et de partager le matrimoine. Un matrimoine dont fait pleinement partie Jeanne Malivel, d’abord graveuse et peintresse « qui designait du mobilier ! » Nous sommes au début du XXe siècle et l’artisane-artiste, originaire de Loudéac, se proclame féministe. Elle étudie aux Beaux-Arts de Paris, rencontre de nombreux-ses artistes et devient professeure aux Beaux-Arts de Rennes. Elle lutte contre l’exode des bretonnes vers Paris en permettant aux jeunes filles de travailler sur des métiers à tisser. Elle fonde le mouvement Des Seiz Breur (Les Sept Frères) afin de participer à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes.

Broderie, faïence, gravures sur du mobilier en bois, ornements des tissus… Elle défend les techniques artisanales auxquelles elle se forme et les modernise, réinventant la culture bretonne dont elle s’inspire et dont elle prône le côté populaire. Sans oublier ce conte qu’Inès Cassigneul et Anton Aguesse lisent et interprètent au premier étage des Champs Libres, dans une partie du musée de Bretagne. « Écrire en gallo, c’est assez exceptionnel ! C’était une langue qui était très jugée. L’uniformisation de la langue a participé à dénigrer la culture rurale. Et elle, elle en a fait un grand ouvrage de mise en vers et d’édition ! Elle a permis de donner de la noblesse à cette langue sur le déclin. », rappelle l’autrice et comédienne. Fascinée et admirative de son parcours et de son engagement pluriel, Inès se passionne pour Jeanne Malivel, figure emblématique de l’artisanat et de la culture bretonne populaire, oubliée, ignorée, reléguée aux oubliettes de l’Histoire.

UN OUVRAGE COLLECTIF ET PUISSANT

L’Histoère couzue vient secouer l’absence, briser le silence, réparer les blessures infligées par le mécanisme de l’oubli et ses conséquences, combler le vide. Faire entendre le gallo, faire vibrer la mémoire de Jeanne Malivel, faire resurgir une époque, une manière d’être, une façon de vivre, un territoire et sa population, rendre justice à celles qui ont été dévalorisées en raison de leur sexe et de leur genre, mettre en mouvement et en sororité celles du présent qui reprennent le fil de l’Histoire pour réaliser leur propre ouvrage. Pour laisser une trace. « Broder des histoires, piquer, se plonger dans la confection, marquer leurs initiales… Les femmes ont laissé leurs traces sur leurs ouvrages ! », souffle Delphine Guglielmini.

Elle constate qu’aujourd’hui dans les arts bruts, une grande place est accordée au fil. Valorise-t-on davantage ce matériau utilisé majoritairement par les femmes jusqu’alors ? « Tout dépend des cultures. Par exemple, dans les pays d’Europe, dans les arts textiles, on voit bien que ce sont souvent les hommes qui sont exposés. En France, au niveau de la broderie, quasiment le seul nom qu’on entend, c’est celui de Pascal Jaouen. Il y a aussi des artistes brodeuses, comme Annette Messager, Nadia Berruyer, etc. Il faut aller les chercher ! Elles font souvent l’objet de plus petites expos. En Angleterre ou en Australie par exemple, on s’ouvre davantage et les femmes artistes textiles sont plus mises en valeur. », précise-t-elle. Elle poursuit : « La catégorisation hommes / femmes me dérange. On est des amoureux-ses du fil, des praticien-ne-s du fil. Il y a plein de critères qui entrent en compte, pas juste une histoire d’hommes et de femmes. Je viens du secteur de l’architecture et sur les chantiers, c’est encore compliqué en tant que femme. C’est la figure de l’autorité qui est à interroger ! Pourquoi certaines productions sont mises en valeur par rapport à d’autres ? »

La binarité, le système patriarcal, le productivisme capitaliste… doivent être remis en question pour laisser place au ressenti procuré par la réalisation de l’ouvrage, à la concentration requise par le travail minutieux du fil, à l’apprentissage des techniques et des langages qui constituent notre héritage commun. Broder le matrimoine pour faire corps avec notre passé et réinventer ensemble nos histoires pour la mémoire de demain. Un ouvrage jamais achevé, toujours vivant, mouvant, en perpétuelle construction, et surtout très puissant. 

Dans le cadre de la programmation 8 mars à Rennes, Inès Cassigneul proposera un atelier les 16 et 17 mars de 13h à 18h à la MJC Grand Cordel pour une réécriture brodée de la légende arthurienne d'Elaine d'Astolat.

A noter également, une conférence le 17 mars à 10h30, dans le cadre de la programmation 8 mars et du festival Rue des livres, sur "Jeanne Malivel et les Seiz Breur, figure d'un matrimoine breton d'avant-garde" (aux Cadets de Bretagne).

 

  • Broderies féministes
  • « J’adore la broderie féministe, les broderies anatomiques de vulves, la broderie militante ! On voulait faire un atelier broderie porno mais il y a eu le covid… Le militantisme passe par la créativité. », lance Inès Cassigneul. Reprendre des insultes sexistes, libérer les mentalités autour de la sexualité, déconstruire le tabou des règles, coudre des slogans militants, en se réappropriant une activité manuelle attribuée aux femmes et donc dévalorisée et déconsidérée pour cela… Il en va là du retournement du stigmate. Ce qui permet de questionner notre Histoire, notre place dans celle-ci et dans notre société actuelle, comme le décrit l’artiste Céline Tuloup : « En utilisant une pratique liée au confinement des femmes dans la sphère privée, j’opère un retournement de cet héritage par un basculement vers des questions politiques propre à la sphère publique, autrefois réservées aux hommes. De par ce croisement, mes réalisations questionnent aussi les stéréotypes de genre propre à notre époque contemporaine et relatif au système patriarcal dans lequel nous évoluons. » 
  • On retrouve ce processus chez Marnie Chaissac qui coud au fil rouge et à l’aiguille les figures féminines représentées sur des cartes postales, des catalogues d’exposition, des pages des Beaux-Arts… « Le fil rouge, couleur du sang, celui des blessures ou des menstrues, ligote les mains, couvre les visages ; il vient entraver les corps, clore lèvres et paupières, et crever les cœurs. L’aiguille laisse des impacts de son passage approximatif, blesse tissus et peaux. Avec son geste parfois maladroit, et ces portraits toujours cousus et recousus, elle souhaite comme souligner une vérité effacée, réhabiliter ou rendre hommage à ces figures. », peut-on lire dans le dossier de son exposition Plates Coutures, présentée en janvier 2023 à la MJC de Pacé aux cotés de la tapisserie d’Inès Cassigneul et des brodeur-euse-s. De nombreux comptes fleurissent sur les réseaux sociaux, et notamment Instagram sur lequel circulent les créations originales, inspirées et inspirantes des militant-e-s féministes qui valorisent le savoir-faire et la transmission de leurs ainées mais aussi transgressent l’ordre établi de l’image passive, sage et vieillotte de la broderie.

Célian Ramis

Exploration des désirs, censure patriarcale et libération des femmes

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Anne-Laure Paty entrelace son rapport au désir sexuel aux relations et vécus d’autres femmes pour faire émerger la pluralité des possibles, silenciés et contraints au tabou et aux injonctions patriarcales.
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Dans Désirs Plurielles, Anne-Laure Paty entrelace son rapport au désir sexuel aux relations et vécus d’autres femmes pour faire émerger la pluralité des possibles, silenciés et contraints au tabou et aux injonctions patriarcales.

« Une tension entre état présent et ce vers quoi tu voudrais aller », « Devenir complétement débile », « Quand tu as envie de la personne », « On ne désire pas les personnes de la même façon… Physique, psychique… De la tête au cœur, au sexe » Ici, Il est question d’amour, d’épanouissement, de corps, de sexe, de fantasmes, d’absence, de doute, de lâcher prise, de tension, de joie, de frissons. À travers une mise en scène épurée, la comédienne Anne-Laure Paty prête sa voix, et mêle la sienne, aux récits de Sandrine, Michèle, Inès, Catherine, Audrey, Nolwenn, Martha, Anne-Françoise, Colette, Justine ou encore Camille, Léa, Céline, Vanessa, Selma et Delphine. 

« Le désir dérange. On ne l’apprend pas aux petites filles. On les éduque à être des objets » Leurs témoignages résonnent à mesure que la comédienne extirpe de différentes boites des objets symbolisant de près ou de loin le rapport au désir de la personne concernée. Photo de mariage, collier de perles, shooters, talons aiguilles, sac à main, bougie ou encore collants… ils sont liés à leurs histoires personnelles, cristallisent la séduction, évoquent le passé et les éventuelles difficultés, sans oublier les tabous et les injonctions dont la sexualité est imprégnée. 

LA NÉCESSITÉ DE S’EXPRIMER

Créé fin 2022, le spectacle Désirs Plurielles nait d’une enquête réalisée auprès de 25 femmes et d’une nécessité personnelle, ressentie par Anne-Laure Paty. « En 2020, on a lancé le projet autour d’une grille d’entretiens abordant la question des femmes et de leur relation aux désirs à travers l’axe du transgénérationnel, du rapport à la transgression et du vécu », souligne la comédienne. Résultat : 25 témoignages, 40 heures de dérush… et une matrice globale pour écrire le spectacle. Elle poursuit : « Après ma première grossesse, le sujet du désir était très compliqué pour moi. J’ai fait une thérapie et c’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse un spectacle ! » Dire sa relation au désir passe aussi par l’exploration des ressentis d’autres femmes. Parce que si ce rapport au désir est intime, il relève également d’une expérience collective pour les jeunes filles et femmes grandissant et se construisant dans une société patriarcale. 

De l’éducation genrée à la culture du viol, le corps des femmes est assailli d’obligations-interdictions permanentes auxquelles répondre et se plier constitue une violence permanente et inouïe. « Ce qui m’intéresse, c’est après le spectacle – qui est une forme courte de 35 minutes – pouvoir échanger avec le public autour des thématiques abordées », précise Anne-Laure Paty dont la volonté est de créer, à chaque représentation et en présence de la metteuse en scène Leslie Evrad, un espace et un lieu de discussions autour des sexualités et du rapport que chaque individu, majoritairement des femmes, entretient avec ses désirs.

DÉSIRS, FÉMININ PLURIEL

La pièce vient briser les tabous, rompre le silence, interroger l’impact des stéréotypes patriarcaux sur la sexualité des femmes, bousculer la singularité de sa représentation. Dans un univers coloré et une ambiance feutrée, les voix s’élèvent. Pour dire le poids des traditions et des injonctions, pour dire le lâcher prise, pour dire l’ivresse quand le désir surgit après l’abnégation de la maternité, pour dire l’éveil sensoriel et la joie d’un désir festif et spontané, pour dire les chemins de travers, pour dire l’émancipation. Sur le plateau, une comédienne, des objets, des récits et des questions. La multiplicité des témoignages et expériences emportent les spectateur-ice-s dans une exploration profonde des sexualités, des imaginaires et des possibles. 

 

  • Spectacle présenté le 21 novembre à la Maison de quartier Villejean, à Rennes. Prochaine date : Le 20 décembre, à 19h30, à La Cordée, Rennes.

Célian Ramis

Secouer le tabou du post partum

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Les militantes féministes s’emparent d’un sujet longtemps silencié, minimisé ou biaisé et dévoilent témoignages et astuces démontrant l’adversité et la diversité des situations et des vécus. Libérer la parole, l’écoute et faire circuler l’information.
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La claque ! C’est souvent le terme employé par les personnes ayant accouché et découvrant, dans un mélange d’émotions, de fatigue et d’ignorance, le post partum, période suivant « la délivrance », à laquelle la plupart des nouveaux parents ne sont préparés ni mentalement ni physiquement. Les militantes féministes s’emparent d’un sujet longtemps silencié, minimisé ou biaisé et dévoilent témoignages et astuces démontrant l’adversité et la diversité des situations et des vécus. Surtout, elles entendent libérer la parole, l’écoute et faire circuler l’information.

Quinze jours après son accouchement, l’humoriste Camille Lellouche publie sur les réseaux sociaux une photo d’elle dans une cabine d’essayage. Elle écrit avec ironie : « J’ai essayé un jean. 3 tailles au dessus de ma taille, il me va nickel #Postpartum » Sur le cliché, elle pose en soutien-gorge et pantalon, qu’elle n’arrive pas à boutonner, dévoilant son ventre et la ligne légèrement foncée de grossesse encore présente. Actuellement, dans la société, la question est obsédante : la nouvelle mère a-t-elle retrouvé sa ligne ? L’injonction tonne. Elle est le cœur d’une tempête d’éléments qui se déchainent. Le post accouchement est un tourbillon pour de nombreux parents qui font face à une nouvelle réalité à laquelle rien ne les prépare. La confrontation entre le vécu imminent et l’image sacralisée de la Mère épanouie avec son nourrisson suscite chez certain-e-s des ravages conséquents. Libérer la parole autour des vécus, visibiliser les expériences et ressentis et montrer la pluralité et la diversité des situations sont les objectifs du #MonPostPartum, lancé en 2020 par Morgane Koresh, Ayla Saura, Masha Sexplique, toutes les trois autrices du livre Nos post-partum – Un guide pour accompagner en douceur les mois de l’après-accouchement et Illana Weizman.

LA NAISSANCE D’UN MOUVEMENT

Le bébé pleure, la mère se réveille. Elle sort de son lit et marche difficilement jusqu’aux toilettes. Il faut laver les points dus à la déchirure ou à l’épisiotomie, aller remplir le flacon au lavabo, remettre une protection périodique, enfiler à nouveau la couche filet avant d’aller nourrir le nouveau-né… Le 9 février 2020, la publicité de Frida Mom, spécialisée dans les produits post accouchement, est censurée par la chaine américaine ABC le soir de la 92e cérémonie des Oscars. Finalement, le spot est diffusé sur le compte Instagram de la marque qui précise qu’il n’y a là aucun caractère violent, politique ou sexuel, ni même religieux, obscène ou pro-armes. Mais il est jugé trop « graphique », trop « cru ». Pourtant, il dévoile simplement la vie d’une femme fraichement rentrée de la maternité, le ventre encore bombé et alourdi, ainsi qu’une cicatrice à vif au niveau de la vulve et du sang qui s’écoule de l’utérus. En clair, il brise le tabou du post-partum et à l’instar de celui des menstruations, ça ne se fait pas.

La mannequin Ashley Graham ne tarde pas à réagir à la polémique et s’affiche sans filtre après la naissance de ses jumeaux. Sur son compte Instagram, elle publie une photo d’elle en culotte de maternité, vergetures et cellulite apparentes et poils sous les bras, assortie d’une punchline bien sentie : « Levez la main si vous ne saviez pas que vous changeriez aussi vos propres couches ! » Elle poursuit : « Après toutes ces années dans la mode, je n’aurais jamais cru que les couches pour adultes seraient mes nouveaux sous-vêtements fétiches, mais nous y sommes ! Personne ne parle de la période de récupération et de guérison que traversent les nouvelles mamans. Je voulais montrer qu’il n’y a pas que des arcs-en-ciel et des papillons ! » Illana Weizman, sociologue et militante féministe, enclenche la même démarche. Tout comme Morgane Koresh, Masha Sexplique et Ayla Saura. « On s’est alors mises en contact toutes les quatre et on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire ensemble. On a lancé le hashtag et puis ça a été le déferlement ! », se souvient Ayla Saura, libraire et co-fondatrice de La nuit des temps, à Rennes, et militante féministe. Plusieurs dizaines de milliers de témoignages affluent sur les réseaux sociaux avec l’empreinte du #MonPostPartum :

« On a halluciné de l’ampleur que ça prenait ! On a eu des interviews et des articles dans toute la presse francophone. C’était la preuve que les femmes avaient besoin de ça pour ne pas se sentir seules. »

DES RESSOURCES POUR S’INFORMER

De son côté, la sociologue Illana Weizman publie en 2021 l’essai Ceci est notre post-partum et du leur, Ayla Saura, Morgane Koresh et Masha Sexplique rédigent depuis Rennes, Tel Aviv et Nîmes le guide Nos post-partum, paru en 2022 aux éditions Mango. Parce que clairement, l’information manque. Dans les commentaires et les témoignages, nombreuses sont celles qui expriment leur désespoir après coup de n’avoir reçu aucun cours sur le post-partum lors des séances de préparation à l’accouchement, que certaines sages femmes intitulent désormais « Préparation à l’accouchement et à la parentalité » afin d’englober quelques notions sur la période qui suivra la naissance. Mais là encore, ce n’est pas suffisant.

« Quand on a fait le livre, on avait toutes des enfants en bas âge. Ma fille avait quelques mois, on était dedans ! On a questionné nos mamans mais elles ont oublié cette période. Elles ont occulté. Et je me rends compte avec le temps que moi-même j’oublie. Et pourtant, j’ai vécu un accouchement traumatique. En parlant avec la sage femme, elle m’a dit qu’elle m’en avait parlé du post-partum. Mais je crois quand même que ce n’est pas assez abordé. Et si tu cherches des infos dessus, en effet, tu ne trouves pas grand chose. », réagit Ayla Saura. Les recherches mènent souvent à la dépression post-partum. Uniquement. Et résument cette période à 6 à 8 semaines suivant l’accouchement. Mais qu’en est-il des post-partum qui s’étalent sur deux années ? De l’absence d’attachement face à son nouveau né ? De l’écoulement de sang continu pendant plusieurs semaines ? De l’incapacité à marcher ? De la douleur à chaque passage aux toilettes ? Des picotements dus aux points de suture ? De la fatigue intense, des traumas émotionnels, de la chute hormonale, du miroir reflétant un corps étranger, des engueulades (très/trop) fréquentes dans le couple, de l’envie de secouer le bébé pour le faire taire, des seins durs comme de la pierre, des crevasses aux aréoles, du lait qui coule à chaque fois que vous pensez à votre enfant ou qu’il s’approche de vous avec la faim au ventre, des fuites urinaires quand vous éternuez ou riez, des pressions du périnée sur la vulve et on en passe ?

Dans Nos post-partum – Un guide pour accompagner en douceur les mois après l’accouchement, on trouve toutes ces notions par ordre alphabétique. Accessibilité, allaitement, amour pour son bébé, bébé secoué, couple et baby clash, dépression, deuil périnatal, estime de soi, identité, kilos, lectures, mort inattendue du nourrisson, périnée, retour au travail, saignements… figurent parmi les chapitres abordés et développés, dans lesquels on trouve des ressources sous la forme de QR code - permettant d’accéder à des sites délivrant des informations complémentaires et détaillées – et surtout des messages déculpabilisants, basés sur la liberté et le droit de choisir. Le droit de faire comme on veut et comme on peut. « J’ai eu l’idée de l’abécédaire qui permettait de lister les mots essentiels et de se répartir les sujets par affinité. C’est un livre doudou, qui fait du bien, dans lequel on peut piocher les passages qui nous intéressent. Après l’accouchement, j’étais incapable de lire un livre de A à Z. On a voulu le faire le plus complet possible avec des liens vers des articles, vers des podcasts, etc. », commente Ayla Saura. Le guide se veut pratique et rempli de conseils et astuces apprises au débotté, sur le fil de l’expérience de la parentalité avec tout ce que cela implique en terme émotionnel et physique, sans oublier la charge mentale qui en découle.

BRISER LE TABOU POST-PARTUM

Informer les personnes concernées apparaît comme essentiel pour briser ce qu’Illana Weizman appelle le tabou du post-partum. « Les choses ne vont pas changer du jour au lendemain, car ce tabou est très ancré. On parle d’un système qui est en place depuis des siècles voire des millénaires. », indique-t-elle dans une interview accordée au Huffington Post, en février 2021. Le savoir constitue une forme de pouvoir. La création de la médecine moderne, née en parallèle d’une chasse aux sorcières ténue et destructrice, a pourtant dépossédé les femmes de leurs connaissances concernant leur propre corps. Et partout dans la société règne l’image virginale de la Sainte-Mère, entourée de blanc et d’un halo lumineux inondant l’air et l’espace. Force est de constater qu’il est quasiment impossible de détruire la vision enchanteresse de la maternité, celle-ci ayant été essentialisée dans le genre féminin par les idéaux patriarcaux, auxquels s’ajoute désormais l’injonction productiviste du capitalisme.

En résumé, la femme, nouvelle mère, remplit son rôle reproductif et doit également satisfaire les besoins de rentabilité économique du pays et donc retourner bosser avec la même hargne. « Le patriarcat et le capitalisme voudraient qu’on ferme nos gueules et qu’on soit toujours aussi productives qu’avant la grossesse. Mais entre les douleurs ligamentaires, le mal de dos, les reflux gastriques, le fait d’être essoufflées au moindre mouvement, potentiellement les nausées et les vomissements, puis tout ce qui survient lors du post-partum, ce n’est pas possible. J’ai mis du temps à accepter que ça déborde sur mon travail, à accepter que ma fille était là, que j’allais mal dormir, qu’elle allait être malade, que j’avais envie de passer du temps avec elle et être contente qu’elle prenne du temps et de la place dans ma vie. », souligne Ayla. Elle pointe du doigt le manque d’écoute, de compassion et de compréhension. Face aux professionnel-le-s de la santé mais pas que. La société étant imprégnée des stéréotypes entourant la grossesse et la maternité, les femmes qui cassent l’image d’épanouissement et d’accomplissement sont marginalisées et clouées au pilori des mauvaises mères.

« Si l’on se plaint de certains éléments de la maternité, on est considérées comme de mauvaises mères. Si des femmes osent dire qu’elles ne veulent pas d’enfants, elles sont vues comme des étrangetés. », précise la sociologue. Les difficultés existent, elles sont multiples et exacerbées par le tabou et l’injonction au silence et au sourire d’apparat, elles se répercutent sur la santé mentale et physique des personnes concernées. D’où l’importance de créer des espaces pour en parler, de diffuser le plus largement possible les informations et témoignages, d’interpeler les pouvoirs publics pour améliorer la prise en charge et l’accompagnement des personnes ayant accouché et réformer les congés parentaux pour une meilleure répartition des tâches. 

CHANGER LES REPRÉSENTATIONS

Parce que 28 jours ne suffisent pas aux co-parents face à cette nouvelle vie. Parce que plusieurs semaines ne suffisent pas, en général, à récupérer d’un accouchement et à appréhender ce nouveau corps. Parce que la « bébé box » prévue par le gouvernement ne pallie pas au manque d’informations en termes de post-partum. « On pourrait quand même nous en parler un peu plus à la maternité. On nous donne une liste de choses à amener, on pourrait nous donner une liste de choses à prévoir pour la sortie. On pourrait nous donner une brochure d’information, nous donner une pipette par exemple pour s’arroser la vulve avant de faire pipi… Bien sûr, on peut vivre toute sa grossesse sans se renseigner, ce n’est pas obligatoire. Je sais que moi, j’en avais besoin. C’est aussi un moyen de lutter contre les violences gynécologiques et obstétricales. », signale la co-autrice du guide Nos post-partum. Un titre au pluriel, comme dans le livre d’Illana Weizman, qui souligne l’importance de montrer la diversité et la pluralité des expériences.

Parce qu’aucune femme ne vit le même post-partum. Il est nécessaire et indispensable de faire évoluer les représentations et de désacraliser le post-accouchement, à l’instar de tout le travail de déconstruction réalisé et encore en cours autour des menstruations afin d’en lever le tabou, la portée culpabilisante et la précarité inhérente. Au sein du guide, c’est Morgane Koresh qui illustre la couverture et les chapitres. Les personnes dessinées sont racisées, voilées, en couple lesbien, ont le crâne rasé, sont grosses, tatouées, en culotte de maternité, endeuillées, en couche filet, ont le ventre rond, sont souriantes, au bord des larmes, parfois en pleurs, etc. Elles sont multiples et différentes, tant dans leurs morphologies que dans leurs expressions, leur religion ou non, leur couleur de peau, leur orientation sexuelle, etc. L’écriture y est également inclusive. Mais pas tout le temps : « Ayant voulu que ce livre soit le plus inclusif possible, nous utilisons le point médian lorsque la situation s’y prête. Mais il arrive que nous parlions spécifiquement des mères, car certaines injonctions pèsent davantage sur elles. »

Les vécus sont variés, les voix également, les visages et les identités de genre aussi. D’où l’importance d’une campagne comme celle du Planning Familial qui a fait couler tant d’encre et de souffrance dans une vague transphobe décomplexée. Pour rappel, l’affiche, réalisée par Laurier The Fox, montrant un homme enceint a été la cible d’attaques virulentes en août 2022. En finir avec le discours binaire, sortir du silence, donner la parole et écouter les personnes concernées, valoriser les vécus et expériences, prendre en compte et en considération les récits de post-partum dans leurs réalités toutes entières.

PARTAGER LES RÉFLEXIONS ET LES VÉCUS

Certain-e-s témoignent de difficultés qui s’entrelacent et ne les lâchent plus. D’autres, en revanche, vivent parfaitement et pleinement ce bouleversement. La plupart n’en parlent pas, pensant être seules face aux obstacles qui se présentent et s’accumulent. Par peur de passer pour de mauvaises mères. De mauvaises femmes. « Je pensais ressentir une vague d’amour, comme je l’avais lu, mais ça n’a pas été le cas. Il était là, je le regardais, mais j’étais surtout très fière de ce que je venais d’accomplir. J’avais une sensation de puissance de dingue, qui ne m’a pas lâchée pendant longtemps. Après cette longue nuit de travail, je me suis endormie sur le canapé au moment des soins, avec Ferdinand sur moi. J’étais épuisée par les 2h de poussée. Quelques heures après, la sage-femme est partie, nous laissant un peu hébétés face à ce qui nous arrivait. », relate Eve Simonet dans une interview publiée sur le site de Parlons maman.

Sa surprise face au manque d’informations, au sentiment d’isolement, l’absence d’amour pour son bébé à la naissance, la phobie d’impulsion… la pousse à s’interroger sur ce vécu traumatisant : « Avec du recul, j’aurais aimé savoir en amont qu’on peut ressentir tous ces sentiments, que c’est normal. J’aurais voulu qu’on me prévienne que j’allais avoir besoin d’aide, j’aurais pu en demander à mes parents ou prévoir une liste de docteurs à proximité. J’aurais aussi pu préparer des repas à l’avance. En fait, c’est trop peu de se préparer pendant son congé maternité, on ne peut pas tout organiser en quelques semaines. Mais ça on ne le dit pas. » Face à l’image de Wonder Woman et de Super Maman délivrée en permanence dans les médias, les publicités, livres, séries et films, etc., pas étonnant que les concernées déchantent, culpabilisent et craquent.

Les bouleversements secouent et les injonctions qui planent en permanence et en parallèle sont trop nombreuses. Trop pesantes. Eve Simonet, initiatrice des Clubs Poussettes, en fait un documentaire, intitulé Post partum, allant à la rencontre d’autres personnes souhaitant s’exprimer sur la question : « Je me suis mis en tête de proposer un contenu informatif, pédagogique et didactique sur ce moment de chamboulement vécu par quasiment la moitié de l’humanité. La violence de mon propre post-partum m’a convaincu de ne pas lâcher ce projet. De ne pas le lâcher et même de le réaliser. » Résultat en mars 2022 : 4 épisodes d’une trentaine de minutes chacun, donnant à voir et à entendre les centaines de parents et de professionnel-le-s rencontré-e-s durant 12 mois, en France et à l’étranger.

Briser le silence, briser le tabou, briser l’isolement. Mettre en avant les changements, la liberté d’agir, le droit de faire autrement, signifier la perte de repères, la stupéfaction face à un corps que l’on ne reconnaît plus mais aussi face à une personnalité qui se dévoile, celle du parent. Accepter les difficultés, pouvoir les dire, échanger autour des vécus et ressentis. Et puis aussi s’autoriser l’épanouissement et/ou la frustration, parfois les deux mélangés, sentir sa puissance et la faire jaillir. Ou pas. 

S’AFFRANCHIR DU JUGEMENT

« L’écriture du livre et le hashtag m’ont permis de recréer une identité de femme féministe. Je me sentais hyper seule en tant que parent et féministe. C’est un peu tabou ça aussi. En France, le féminisme a œuvré pour la régulation des naissances et la liberté de choisir et c’est une très bonne chose. Mais les mères ont un peu été écartées des réflexions féministes. », confie Ayla Saura. Heureusement, des associations comme Parents & Féministes voient le jour, permettant les discussions autour du post-partum mais aussi de la parentalité, des livres comme ceux de la journaliste Aurélia Blanc (Tu seras un homme féministe mon fils et, plus récemment, Tu seras une mère féministe) commencent à combler les lacunes, et des podcasts tels que La Matrescence, créé par la journaliste Clémentine Sarlat, ou Le quatrième trimestre, lancé par Sophie Baconin, éclairent cette période méconnue et placent les réflexions et vécus des concernées au cœur des mouvements de libération de la parole et de l’écoute mais aussi d’empouvoirement et de réappropriation des savoirs et des corps.

« On fait comme on peut. C’est ça qu’on a essayé d’insuffler dans le guide. Arrêtons de nous flageller et de nous empêcher de dormir parce qu’on ne correspond pas aux attendus ! », scande Ayla Saura.

Ouvrons nos gueules, parlons crevasses, lochies, rééducation du périnée, retour de couches, difficultés à reprendre une sexualité, découverte d’une facette que l’on ne soupçonnait pas forcément, fierté, puissance, pipi dans la culotte ou peur de faire caca. Affranchissons-nous de l’image sacrée et pure de la maternité. Délivrons-nous des injonctions patriarcales et capitalistes. Chacun-e a son rythme. 

Célian Ramis

Mixité choisie : des espaces libérés !

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Là où la non mixité subie ne perturbe nullement l’ordre établi, la mixité choisie, elle, dérange. Pourtant, elle constitue un outil indispensable à l’avancée des mentalités. Décryptage.
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Là où la non mixité subie ne perturbe nullement l’ordre établi, la mixité choisie, elle, dérange. Elle titille les esprits et cisaille l’hypocrisie d’une société qui se revendique égalitaire, sur le papier, depuis de nombreuses années. Dans les faits, les discriminations sont multiples et omniprésentes et il apparaît précisément que la mixité choisie constitue un outil indispensable à l’avancée des mentalités. Décryptage. 

« Si l’ambiance dans la salle est généralement bienveillante, on reste bien conscient-es que les salles d’escalade, comme le milieu du sport, peuvent véhiculer des comportements discriminants. Cela peut se traduire par des regards ou commentaires déplacés, des conseils non demandés, une monopolisation de l’espace, voire des actes plus graves. On souhaite donc proposer à tous-tes un accès à la salle qui soit sécurisant et bienveillant et, le temps d’une soirée, laisser les salles d’escalade aux personnes qui sont le moins représentées dans ces espaces. » Lors des soirées en mixité choisie, une affichette est placardée à l’entrée de The Roof, la maison d’escalade de Rennes, installée sur le site réaménagé de l’Hôtel Dieu. De 18h à 23h, l’accès aux salles de blocs et au coffee shop est réservé aux femmes, aux personnes transgenres, intersexes et personnes non binaires. Le service et l’encadrement sont assurés également par des femmes.

« La non mixité est selon nous un moyen, pas une finalité. C’est un format qui permet à beaucoup de personnes qui se sentent exclues le reste du temps de trouver un espace qui leur garantira un cadre de pratique rassurant. »

L’équipe poursuit l’explication : « C’est aussi l’occasion pour tous les hommes qui ne sont pas conviés de se questionner sur la manière dont ils peuvent être un soutien et une écoute, ou de ré-interroger leur posture au sein de la salle d’escalade. » Une fois par trimestre environ, l’expérimentation d’un espace en mixité choisie est portée ici depuis 2022. L’objectif étant de rendre la salle d’escalade plus accessible à tou-te-s à n’importe quel moment de l’année. Pourtant, il apparaît dans l’actualité que son aspect inclusif ne soit pas toujours bien compris ou perçu.

SCANDALES EN HAUT LIEU

Régulièrement, l’annonce d’un atelier ou d’un espace en non mixité sème le trouble et la confusion. On s’indigne de cette exclusion temporaire visant les groupes identifiés comme dominants, potentiellement oppresseurs. Selon les situations, ces moments sont dédiés aux femmes, aux personnes racisées, aux minorités de genre, aux personnes en situation de handicap, etc. On crie au communautarisme, à la division, à la ségrégation. Les mots sont forts, les mots sont lourds et souvent, vidés de leur substance et signification historique. En 2021, c’est l’amendement Unef qui secoue le pays. Mélanie Luce, alors présidente du syndicat étudiant, déclare l’existence de réunions non mixtes permettant de lutter contre les discriminations. Elles regroupent les femmes, les personnes LGBTQI+ et les personnes racisées, elles sont internes à l’organisation et invitent les concerné-e-s à venir prendre la parole et échanger entre elles-eux. Scandale en haut lieu. Le gouvernement s’en saisit dans le cadre de la loi contre le séparatisme et le Sénat vote « l’amendement Unef », permettant de dissoudre une association ou un groupement « interdisant à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion. »

Quelques années plus tôt, en 2017, c’est le collectif Mwasi qui était visé par les critiques. Les membres organisent cette année-là le festival Nyansapo à Paris, un festival afroféministe au sein duquel se tiendront 4 espaces dont 3 en non mixité. Certains ateliers sont réservés aux femmes, d’autres aux femmes noires et d’autres encore aux personnes racisées. Catastrophe dans les hautes sphères politiques. On hurle au racisme en particulier, au même titre qu’on hurle au sexisme lorsque les structures proposent des ateliers dédiés aux femmes. Fin octobre 2022, le journal Nord Littoral relate la polémique née de l’organisation d’un atelier d’autoréparation de vélo, dans les locaux de l’association Opale Vélo Services, à Calais, destiné exclusivement aux femmes afin de leur donner les bases de la mécanique et leur permettre de se faire la main, sans craindre d’être épiées ou jugées par les hommes, largement plus à l’aise dans ce domaine, que l’on considère encore comme un bastion masculin. Les réactions sont édifiantes. On s’interroge sur « à quand la fin des clivages ? », on dénonce « une vengeance sur le patriarcat » et « un désir de remplacement vers une société matriarcale qui n’a rien à envier au machisme », on témoigne d’un ressenti d’exclusion, on se sent « victime d’une horrible injustice »…

Marlène Hagnéré, mécanicienne cycles, réagit : « Pour moi, le clivage est dans le fait de ne pas comprendre que certaines femmes ont besoin de se retrouver entre elles pour être à l’aise. L’égalité n’est qu’une illusion, même en 2022, elle n’existe vraiment pas partout (je dirais même quasiment nulle part), et l’idée de ces ateliers est justement de rééquilibrer la part des femmes dans certains domaines. (…) C’est quand même marrant, mais toutes les critiques que je reçois sur ces ateliers proviennent toujours du même profil de personne : homme blanc, hétéro, passé 50 ans (voire certains quadragénaires). Ça pose très peu de problèmes aux autres personnes… » 

LE MÉCANISME DU SABOTAGE

Pouvoir dire. Pouvoir parler. Pouvoir échanger avec d’autres personnes ayant vécu les mêmes types de discriminations, violences, micro-agressions, humiliations, etc. Sans être interrompues. Sans être jugées. Sans être qualifiées d’hystériques, d’extrémistes féministes, de racistes anti-blanc-he-s, etc. Partager ses expériences, prendre conscience qu’elles ne sont pas individuelles mais bien collectives et dues à un problème systémique, se (re)donner de la confiance et de l’énergie pour survivre en mixité subie, pour lutter ensuite ensemble, pour se sentir capable, pour oser et s’autoriser. Les enjeux de la mixité choisie sont majeurs. Aujourd’hui, les voix se multiplient et s’élèvent pour en expliquer les tenants et aboutissants et surtout préciser les contextes dans lesquels naissent les groupes non mixtes, préconisés pour souffler et se redynamiser face aux énergies déployées en mixité subie. Dans la bande dessinée Il est où le patron ?, réalisée par Les paysannes en polaire et Maud Bénézit, au sein des Elles de l’Adage 35, composé d’agricultrices engagées contre les inégalités femmes-hommes ou lors des stages Girls Rock Camp, proposés pendant les vacances de février par le Jardin Moderne pour familiariser les filles de 14 à 18 ans aux instruments de musique, les discours sont les mêmes.

L’invisibilité et l’invisibilisation des filles et des femmes renforcent le sentiment d’illégitimité des personnes concernées qui intériorisent qu’elles n’ont pas leur place dans tel ou tel domaine. Ainsi, lorsqu’elles y accèdent malgré les obstacles, elles vont subir, majoritairement, le syndrome de l’imposteur-ice, qui entraine selon les situations de l’auto-censure voire du sabotage. L’exemple de la conduite est parlant. Les agricultrices en témoignent dans les bulles de leur BD : bien souvent, on ne leur a pas appris, elles ont organisé des ateliers entre elles pour s’auto-former. Manœuvrer le tracteur, elles savent le faire. Mais soumises au regard de leurs homologues masculins, elles perdent leurs moyens et foirent leur trajectoire. Pareil en situation de créneau au volant d’une voiture classique ! Le mécanisme s’observe dans de très nombreuses situations. La peur de mal faire ou de rater, d’être jugée, moquée, stigmatisée, entraine souvent l’échec et l’auto-censure. 

INÉGALE RÉPARTITION DE L’ESPACE

Les inégalités commencent dès la petite enfance et l’exemple le plus frappant de répartition genrée des espaces réside encore dans les cours de récréation. Si certaines, notamment à Rennes, mais pas que, sont repensées et réaménagées à partir du végétal pour y intégrer la notion d’inclusivité, elles sont majoritairement investies au centre par les garçons pratiquant (principalement) le football, délaissant la périphérie et les coins aux filles. C’est le récit du film Espace dans lequel Eléonor Gilbert filme une enfant qui, par le croquis de sa cour d’école, explique les délimitations genrées de ce terrain de jeu particulier. Pourtant, il n’est pas si particulier que ça, comme le constate Edith Maruéjouls, géographe du genre, qui établit le lien inconscient qui s’y fait dès lors, se répercutant ensuite sur la manière dont femmes et hommes investissent l’espace public. Yves Raibaud, également géographe du genre, l’atteste aussi de son côté : la ville est faite par les hommes, pour les hommes. L’urbanisme n’échappe pas aux stéréotypes sexistes et les espaces soi-disant pensés et conçus pour l’ensemble de la population ne résistent pas à la répartition genrée instaurée dès le plus jeune âge. Conditionné-e-s à une non mixité implicite, dans l’espace public, les loisirs, le sport, etc., filles et garçons intègrent les codes normatifs d’une sociabilité binaire qui distingue et impose les prétendues compétences « innées » ou « naturelles » des deux sexes. 

City stades, skate parks, terrains de tennis ou de baskets, studios d’enregistrement et autres équipements censés être accessibles à tou-te-s au sein de la ville figurent parmi les exemples les plus marquants de cette séparation, les hommes y étant majoritairement présents. L’absence des femmes s’expliquant par la peur du rejet et/ou du jugement. Dans un entretien accordé à l’Observatoire du design urbain, Edith Maruéjouls précise : « Sur l’exemple du sport, ce n’est pas l’équipement qui est problématique en soi mais le message qu’il produit et véhicule. On institutionnalise la présence masculine en construisant massivement des équipements à symbolique masculine et à forte fréquentation des garçons et des hommes. Or ce faisant, on instaure une inégale valeur (équipement masculin plus présent), une inégale redistribution (argent public en direction majoritaire de la pratique masculine) et un inégal accès (les filles et les femmes, de fait, ont moins de lieux de pratiques). L’enjeu est de savoir comment s’approprier l’espace public à égalité, peut-être en neutralisant les équipements et en qualifiant peu l’espace extérieur sous l’angle des pratiques sexuées stéréotypées. Lorsqu’on construit des terrains de boules, parcs de jeux pour enfants, skate parc, city stades, etc. on contribue à sexuer les espaces. » 

Elle poursuit sa pensée : « La priorité, c’est que les femmes puissent s’exprimer à égalité avec les hommes. Le système du genre repose sur la construction de deux groupes sociaux de sexe qui s’uniformisent autour de stéréotypes et organise la hiérarchisation. Il faut selon moi repenser ce système, sous la forme d’une gouvernance égalitaire s’appuyant sur des projets de société. Travailler sur un réel projet politique, en couplant mixité et égalité pour déconstruire le système du genre. »

SE SENTIR À L’AISE

À la maison de l’escalade de Rennes, Typhaine est employée à temps partiel le week-end à l’accueil du coffee shop et des salles de blocs. À titre personnel, elle apprécie grandement l’initiative de The Roof qui organise à fréquence trimestrielle les soirées en mixité choisie. « C’est super chouette, je trouve, qu’un espace dédié au sport, et surtout un endroit aussi fréquenté, fasse ça. Peu ose le faire. Le sport est un des domaines, de manière générale, où les disparités de genre sont marquantes et handicapantes. Je suis vraiment heureuse de participer à ces événements. », s’enthousiasme-t-elle. Au bord des tapis, certain-e-s participant-e-s observent les prises avant de se lancer sur les voies plus ou moins faciles, selon leurs niveaux. Camille a 30 ans et vient pour la première fois à la salle, accompagnée de Nora, 29 ans, qui vient ici régulièrement. « Je viens essayer l’escalade parce que ma copine m’en a parlé et que le fait que ce soit ce soir en non mixité m’a tenté pour débuter. Ça me permet d’être plus à l’aise pour essayer la pratique. », signale la première, rejointe par son amie :

« Quand je viens, il y a souvent beaucoup de mecs. Ils sont gentils mais ils prennent beaucoup de place. Ça peut être intimidant. Surtout que l’escalade est un sport où on se montre, physiquement. » 

Face aux blocs, nombreuses sont les personnes qui échangent des conseils et s’encouragent. La concentration est palpable et visible. Néanmoins, l’ambiance y est décontractée. Un maitre mot règne dans l’assemblée éparpillée dans les deux salles d’escalade : oser se lancer, oser expérimenter. « Je me sens plus libre d’être créative et moins soumise à un regard sexisant ou critique. », confie Cyrielle. Elle a 35 ans et pratique cette activité 2 à 3 fois par semaine, selon ses disponibilités. Elle exprime un sentiment, ce soir-là, de repos qui se ressent de par l’absence des hommes qui, bien souvent, « occupent l’espace physique et l’espace sonore… » Sa binôme, Cypriane, 26 ans, développe : « Ils ont un peu l’habitude d’accaparer les voies et de les enchainer. Là, on le voit bien, quand quelqu’un a terminé, elle s’arrête et laisse les autres y aller. Avec les hommes, on a moins d’espace. » Toutes les deux précisent qu’elles font référence aux hommes cisgenres, principalement. « Et puis, j’ai l’impression de les souler parce que je suis moins forte, ajoute Cyrielle. Ça arrive que j’ai le sentiment comme quand je fais du bricolage, vous savez, le côté intrusif… Tu ne demandes rien mais ils (certains, pas tous) viennent t’expliquer les choses sans que tu aies sollicité leur aide. Il y a un petit côté mansplaining parfois. » 

Elles se réjouissent de la proposition temporaire d’un espace dédié aux femmes et minorités de genre. « Pour avoir un meilleur niveau et la confiance en soi ! », commente Cypriane qui fréquente également les soirées non mixtes mis en place par La Petite Rennes (atelier participatif et solidaire d’autoréparation de vélos). Il y a la question de l’empouvoirement qui leur apparaît comme essentielle. Pouvoir pratiquer, expérimenter, apprendre, chuter, faire des erreurs, persévérer, évoluer. La base. Mais ce qui les anime particulièrement, c’est de pouvoir respirer. Arrêter d’être angoissées à chaque fois qu’elles tournent le dos aux personnes masculines qui fréquentent elles aussi la salle. « J’ai peur ici d’être matée, parce qu’on est en legging, etc. Dans cette salle encore, je ne le ressens pas tellement. Mais par exemple, la piscine, c’est une catastrophe pour moi. Je prends sur moi à chaque fois que j’y vais. Être une femme en maillot de bain donne la sensation qu’on autorise les hommes à nous regarder et à nous juger. Mais non ! », scande Cyrielle. Elle aimerait que l’offre soit plus variée et régulière. Pas uniquement à The Roof mais plus globalement dans les lieux fréquentés par un public massivement masculin, principalement là où les corps sont dévoilés et en mouvement. 

LEVER LES BARRIÈRES

Sidonie – le prénom a été modifié – est encadrante à la maison de l’escalade de Rennes et approuve l’organisation de temps en mixité choisie dans le cadre d’une politique d’accessibilité et d’inclusivité. « Surtout que dans une salle de blocs, l’idée, c’est l’autonomie. Il y a toujours une majorité d’hommes dans la salle. Parfois, c’est très flagrant. Ça peut constituer une première barrière. », commente-t-elle. Malheureusement, rien de bien étonnant comme le signale de manière globale la géographe du genre, Edith Maruéjouls : « La fréquentation de ces équipements affiche 2/3 d’hommes pour 1/3 de femmes. Ce déséquilibre à lui seul suffit à interroger l’inégale redistribution puisque l’équipement public s’adresse, de fait, à deux fois plus d’hommes que de femmes. » Agir dans un cadre bienveillant et sécurisant, c’est pour Sidonie « un plus pour la confiance », surtout quand on ne connaît pas l’activité, « d’autant plus quand le risque de chute est élevé ! » Lever les barrières est une question de volonté, de décisions à prendre en conséquence, pour rendre l’endroit accessible à tou-te-s, peu importe le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre mais aussi la morphologie, le handicap, la couleur de peau, l’origine réelle ou supposée et autres critères de discriminations.

« Le milieu du sport se déconstruit petit à petit. On peut agir par exemple sur la manière dont on installe les blocs et prévoit les voies. Ce sont des décisions des directions des salles… », souligne-t-elle, ajoutant que l’on peut aussi interdire le fait d’enlever son tee-shirt pendant les séances afin de ne pas établir de différences entre les sexes et de ne pas stigmatiser les corps ne correspondant pas à la norme dominante. « En escalade, il y a des tractions à faire, des mouvements dynamiques… Cela peut être une barrière pour certaines personnes car certains mouvements demandent de se défocaliser de ce que l’on ressent de son corps. Ça peut être gênant pour certain-e-s. », poursuit Sidonie. Un argument de plus pour prévoir des temps et des espaces permettant « d’inclure des personnes qui ne seraient jamais venues autrement ou de se sentir à l’aise pour faire les mouvements et essayer de nouvelles choses. » Elle est convaincue de l’intérêt que cela a également auprès du public exclu temporairement :

« Ça étonne, ça questionne. Faire des soirées comme ça, ça permet une réflexion, même pour quelqu’un qui ne vient pas. Moi, c’est la première fois que je vois ça, la non mixité dans le sport et dans une salle d’escalade et je trouve ça bien. Ça amène à comprendre. »

Typhaine acquiesce. Postée à l’accueil du coffee shop, elle est en première ligne face aux refoulés. « Ça donne lieu à des débats intéressants et à des moments de pédagogie. C’est rare pour les hommes d’être confrontés au rejet. Ça peut créer une empreinte émotionnelle forte. En règle générale, ils sont assez compréhensifs. En tout cas, ça permet la confrontation à ce que les femmes peuvent ressentir dans les différents espaces qui ne sont pas en non mixité mais desquels elles sont exclues souvent implicitement. », analyse-t-elle. 

PASSER OUTRE LES CRITIQUES

« Dans ce contexte du sport, je trouve ça vraiment chouette de proposer un espace non mixte mais il ne faudrait pas que ce soit partout et tout le temps. », répond Nora lorsqu’on l’interroge sur le regard qu’elle porte sur la mixité choisie. Bien qu’il ne soit pas une nouveauté, le sujet reste controversé. Vivement critiquée dans les années 50/60/70, dans les périodes et les groupes engagé-e-s pour les droits civiques des personnes noires aux Etats-Unis ou encore les réunions du Mouvement de Libération des Femmes en France, la non mixité est pourtant essentielle dans les luttes pour l’égalité. Sans hommes cisgenres imprégnés de toute construction sociale privilégiée et dominante, sans personnes blanches « dépositaires d’un pouvoir hégémonique », comme le signale la sociologue Nacira Guénif-Souilamas dans Le Monde en défendant le collectif Mwasi lors du festival afroféministe. Elle précise : « Ces jeunes femmes veulent simplement créer un espace d’échanges sûr et rassurant. »

Un espace dans lequel elles puissent dire et relater leurs expériences de discrimination et d’humiliation. Sans être jugées, moquées, insultées, agressées. L’exclusion des groupes déterminés comme dominants n’est pas permanente et ne reproduit pas la ou les discrimination-s dénoncées. Au service de l’égalité, elle soutient les concernées dans leurs démarches d’empouvoirement et de reconnaissance de leurs conditions, leurs personnes et le caractère systémique qui se joue là. Elle intervient en tant qu’outil et ressource. Pour dire, oser parler, comprendre, remettre en question, se parer d’arguments, se gonfler de confiance, apprendre des bases que l’on n’a pas reçu en raison de son genre, sa couleur de peau, son handicap, sa classe sociale, etc. Pour ensuite prendre l’espace et faire entendre sa voix.

Célian Ramis

Sorcières : faire résonner la puissance invaincue des femmes !

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L’essai est brillant, l’adaptation en lecture musicale aussi. Parce qu’elles démultiplient les représentations des Sorcières, écrit par Mona Chollet, et invoque et diffuse la puissance des femmes.
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L’essai est brillant, l’adaptation en lecture musicale aussi. Parce qu’elles démultiplient les représentations des Sorcières et invoque et diffuse la puissance des femmes. À l’Antipode, ce 14 avril, le collectif À définir dans un futur proche met en scène quatre comédiennes, une batteuse et une chanteuse-clarinettiste et fait résonner l’œuvre résolument féministe de Mona Chollet. À l’occasion du festival Mythos.

En 2018, la journaliste et essayiste Mona Chollet publie Sorcières : la puissance invaincue des femmes. Nul doute, c’est un succès littéraire et féministe. L’année suivante, le collectif À définir dans un futur proche (Géraldine Sarratia, Elodie Demey et Mélisse Phulpin) adapte le texte dans un projet pluridisciplinaire : croiser les arts et les artistes. Chaque soir, quatre comédiennes montent sur les planches pour faire résonner les mots et argumentations de Mona Chollet, et deux musiciennes instaurent l’ambiance sonore et illustrent le propos en notes, rythmiques, mélodies et chansons. Elles sont plus d’une vingtaine à s’être succédées et appropriées l’essai pour le transformer en vibrations collectives et intenses. Ce soir-là, à l’Antipode, ce sont Anne Pacéo à la batterie, P.R2B au chant et à la clarinette, Louise Orry Diquero, Marie Sophie Ferdane, Constance Dollé et Christiane Millet à la lecture. 

SUR LE BANC DES ACCUSÉES

« Si vous êtes une femme et que vous osez regarder à l’intérieur de vous, alors vous êtes une sorcière. », écrit Mona Chollet. Cette phrase entame le spectacle après une introduction musicale nous plongeant directement au cœur d’un instant décisif, d’un moment duquel on ne peut pas revenir indemne. Une révélation, une (re)découverte, une exploration de nos représentations collectives, une prise de conscience sur le poids et l’ampleur de l’horreur des chasses aux sorcières, une mise en miroir contemporaine interrogeant les stigmates de cet héritage patriarcal dont les normes dominantes perdurent aujourd’hui encore dans des archétypes d’une féminité jugée douteuse. Et surtout dangereuse pour l’équilibre de la domination masculine. Femmes sans enfants, femmes célibataires ou encore femmes aux cheveux blancs… elles sont sur le banc des accusées, incarnant pleinement la figure monstrueuse des sorcières de nos sociétés. La première lecture nous rappelle que des siècles de souffrance ont contribué à façonner le monde qui est le nôtre. Des chasses aux sorcières aux 16e et 17 siècles et de nombreux procès en sorcellerie auront permis de tuer massivement des femmes, dénoncées pour leurs agissements suspects. Parce qu’elles avaient un fort caractère, une sexualité libre ou qu’elles répondaient à leurs voisins. Parce qu’elles allaient tous les dimanches à la messe ou parce qu’elles n’allaient pas tous les dimanches à la messe… : « Chaque comportement et son contraire pouvaient se retourner contre vous » Tandis qu’à cette époque, elles soignent par les plantes et leurs connaissances de la nature et du corps et aident aux accouchements, leurs agissements sont transposés en œuvres du diable. Il suffit d’être une femme pour être suspectée. Jetée à l’eau pour révéler si oui ou non, elle était une sorcière. Innocentée, si elle coule à pic. Exécutée, si elle flotte. Torturée aussi, et mise à nue pour chercher la marque du diable. Dans la majorité des cas, la suspecte est assassinée. 

TROIS FIGURES CONTEMPORAINES

Et de ce passé, nous n’avons gardé que peu de traces. On présume les persécutions au Moyen-Âge, préférant laisser cela à des temps obscurs et peu éclairés, et on garde les représentations négatives de la sorcière qui vole sur son balai, s’adonne à des actes malsains en pactisant avec le diable, a le nez crochu, le visage plein de verrues et vit avec ses chats. À quelques détails près, on décrit précisément une femme célibataire, âgée et sans enfant. L’héritage de haine et de défiance envers celles qui ne se conforment pas à l’attendu d’une féminité unique et rigide se transmet de génération en génération. Jusqu’à aujourd’hui où la société poursuit sa culture punitive envers toutes celles qui se rebellent, comme le chantera l’autrice et compositrice P.R2B. Refuser le statut de seconde ou assistante, outrepasser sa condition de femme altruiste et dévouée aux autres, c’est risquer d’être méprisée, jugée, traitée de prétentieuse ou de mégère, si cela intervient dans le cadre familial. « Le seul destin concevable pour une femme : le don de soi » et l’abandon de toutes ses capacités et ambitions. Renoncer à la maternité, c’est aller à l’encontre même de la nature, de l’essence de la femme. C’est impossible. Cette « orgie de temps à soi » est intolérable pour notre société patriarcale dont la propagande omniprésente en faveur de la famille n’échappe pas non plus aux sphères militantes et féministes. Pour réussir sa vie, l’autrice le dit : il faut assurer sa descendance. Elle assume le contraire.

« Ne pas transmettre la vie permet d’en jouir pleinement. », affirme-t-elle. Elle prône le choix pour tou-te-s mais constate que la tolérance ne s’applique qu’à celles qui, « programmées pour désirer être mères », le seront. Tout comme la société n’accepte que la jeunesse des femmes. Pas un visage ridé ne doit venir entacher la beauté d’une femme dans la fleur de l’âge. Elle représente bien trop de danger, cette femme vieillissante, assumant pleinement les marques du temps qui passe. Lynchées, moquées, pointées du doigts, les femmes sans enfants, les femmes célibataires et les femmes aux cheveux blancs sont encore et toujours des sorcières. Parce qu’elles représentent des femmes libres. Puissantes et invaincues. 

DIVERSIFIER LES REPRÉSENTATIONS

Mona Chollet nous dit de rêver et de poursuivre nos rêves. Elle décortique minutieusement, avec intelligence, argumentation et humour, le mécanisme de nos biais de genre et les injonctions patriarcales que nous adoptons et intégrons. Que nous nous infligeons. « Nous n’avons pas de passé de rechange » mais nous avons les moyens de ne pas répéter les schémas dominants, moralisateurs et jugeants. Accepter la pluralité des individus et modes de vie, diversifier nos représentations pour éclater l’étroitesse des esprits conservateurs et des catégories binaires de genre qui gâchent des existences et engendrent des drames, célébrer les féminités d’aujourd’hui et celles du passé, ainsi que les compétences et connaissances acquises par nos ainées sacrifiées et oubliées. Les voix des comédiennes et des musiciennes se multiplient et s’accumulent sans jamais déborder. Parce qu’il n’y a rien de trop ou de pas assez dans ce spectacle.

 

 

Célian Ramis

À la recherche du corps (im)parfait !

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Fanny Chériaux revient sur ce qui a marqué et forgé son corps et son esprit, et décortique la construction sociale de la féminité et ce qui se joue dans les interstices de nos inconscients pétris de clichés et de complexes qui en découlent.
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Dans Venise, un corps à soi, Fanny Chériaux – entourée de Thomas Couppey et Sébastien Dalloni - revient sur ce qui a marqué et forgé son corps et son esprit, et décortique avec autodérision, en musique et en danse, la construction sociale de la féminité et ce qui se joue dans les interstices de nos inconscients pétris de clichés et de complexes qui en découlent. Un spectacle présenté au théâtre du Vieux St Etienne le 13 avril, dans le cadre du festival Mythos.

Alors qu’elle chante sur scène une de ses chansons, deux danseurs improvisent une chorégraphie. Elle aime le moment, elle aime l’idée d’y donner une suite, et puis soudain, elle prend conscience qu’elle aussi, elle va devoir danser. De là, nait l’introspection dans laquelle elle nous propose de plonger dans Venise, un corps à soi. Le rapport au corps, le rapport à soi quand celui-ci est mis à mal par les injonctions paradoxales et patriarcales, par les complexes que l’on intègre et développe, par les étapes de vie qui transforment nos enveloppes corporelles en ennemi public n°1. Au lieu d’en faire un allié, on le rejette, on le déteste, on le maltraite. Et pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a bien eu un avant l’obligation à se soumettre au poids de la conformité. Surtout pour une femme en devenir.

ATTENTION : INJONCTIONS !

Pas encore bridée, l’enfant qu’elle est aime sauter. Partout, tout le temps, de toutes les manières. Elle aime se bagarrer aussi. Plus le temps passe, plus elle grandit, plus les injonctions pèsent. La pression sociale, c’est dans le fait de ne pas avoir encore ses règles, c’est dans le fait de ne pas encore avoir de hanches et de lolos, c’est dans le fait de ne pas encore avoir fait l’amour. Et pourtant elle va comprendre assez rapidement que c’est une vraie liberté en tant que fille de ne pas encore avoir les attributs de ce qui nous fait basculer dans la catégorie des femmes. Le physique, le physique, le physique. Le physique avant tout. Être sexy mais pas trop, être mince mais pas trop, ne pas être trop grosse non plus, être accessible et disponible mais sans l’être. Répondre à des canons de beauté sans jamais parvenir à atteindre l’idéal requis, ne pas être celle dont tous les garçons sont amoureux, s’imprégner de la culture populaire qui objectifie les femmes… Fanny Cheriaux remonte dans son enfance, nous raconte son adolescence, les chanteurs des années 80 et 90 qui chantent sur les femmes, les films qui sexualisent les corps féminins, et nous livre ses complexes, ses questionnements et ses blessures. 

EXPLOSER LES BARRIÈRES

Accompagnée de Thomas Couppey et Sébastien Dalloni sur le plateau, qui apportent un effet comique, léger et décalé non négligeable, Fanny Chériaux utilise la chanson et le piano, ses outils d’expression depuis de nombreuses années, mais ne se cache pas derrière pour autant. Elle se dévoile, autant qu’elle module son organe vocal. Elle joue avec beaucoup d’autodérision et de sincérité et au fil de son récit renforce sa confiance en elle et en son corps. Le plaisir et la jouissance découverts sur le tard, la PMA à 44 ans qui étouffe le corps et la santé mentale à coup d’injections et de remarques désobligeantes et jugeantes, un avortement et les litres et les litres de sang qui coulent, le temps perdu à cultiver la haine de sa propre enveloppe charnelle parce que trop ceci ou pas assez cela… elle en aborde tous les aspects en décryptant au prisme de la société ce que devenir une femme signifie quand on n’a pas les codes de la bonne meuf. Et puis, elle s’en affranchit et nous émancipe au passage des regards malveillants, culpabilisants et moralisateurs. Venise, un corps à soi est un spectacle qui fait du bien, qui nous fait rigoler et nous insuffle une dose dynamisante de bonne humeur. Qui nous offre un souffle léger, une respiration, une profonde réflexion sur le sexisme et le poids du patriarcat que l’on fait peser sur nos corps et nos esprits. Les blessures infligées pourraient être évitées si on s’y autorisait. Alors osons être douces, être tendres, à l’aise et non conformes aux attendus d’une féminité unique, réductrice et contraignante. Sur l’idée de Virginia Woolf, offrons-nous un espace de bien-être et de liberté. Un espace dans lequel être soi est permis, accepté et assumé. Le grain de folie de Fanny Chériaux, Thomas Couppey et Sébastien Dalloni nous réveille et nous secoue, agissant en nous comme un catalyseur nécessaire à l’expression de nos individualités. Loin de la binarité du genre qui nous enferme et nous oppresse.

Célian Ramis

Vers la reconstruction du corps et de l'esprit

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Les Marie Rose, c'est un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, accessible à tou-te-s. Depuis, il est devenu un tiers-lieu safe d’accompagnement pluridisciplinaire post-traumatique.
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En août 2019, Marie Disserbo et Marie Charuel fondent les Marie Rose, un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, accessible à tou-te-s. Depuis, il est devenu un tiers-lieu safe d’accompagnement pluridisciplinaire post-traumatique.

« Cette journée-là, j’ai fait 3 tatouages. Les dates de naissance en braille de mes trois enfants sur le poignet, un cœur pour mon conjoint sur le talon et une phrase « nec plane eadem nec plane altera » - « ni tout à fait la même ni tout à fait une autre » - pour moi sur la colonne vertébrale. » Cette journée-là, Emilie Lebrun, 38 ans, l’a passée au salon des Marie Rose, à Rennes. Parce qu’elle a combattu le cancer du sein et qu’elle a entendu parler de l’association, dont elle a immédiatement apprécié le projet : « J’avais déjà l’idée d’un tatouage avant de les contacter. Leur projet m’a plu. Le fait de pouvoir contribuer financièrement par ce biais à aider d’autres personnes m’a emballée. » Et puis, c’est pour elle une avancée, « une autre étape dans la reconstruction. » Emilie le formule : « Les tatouages m’aident à me réapproprier mon corps après l’épreuve de la maladie. » Une vraie démarche de reconstruction qui fait du bien, conclut-elle.

ENCRER, RESPIRER, PARTICIPER

Point majeur des Marie Rose, c’est bien un lieu d’accueil, d’écoute et d’accompagnement que le duo fondateur propose. Quand Marie Charuel rencontre Marie Disserbo, elles sont toutes les deux à un tournant important de leurs existences. La première est en pleine reconversion professionnelle, avec la volonté forte d’être tatoueuse, et la seconde, est récemment guérie d’un cancer du sein et réfléchit à l’idée d’un lieu non médicalisé. « Je venais de perdre ma mère, décédée de la maladie de Charcot, et j’avais lu un fabuleux article dans Causette sur le tatouage réel. Je voulais du sens ! Devenir tatoueuse pour aider les gens à se reconstruire après la maladie. », souligne Marie Charuel, alias James Blonde. Ainsi, en 2019, elles fondent leur structure d’accompagnement post traumatique, tout d’abord sous la forme d’un salon de tatouage solidaire et thérapeutique, ouvert à tou-te-s. « Tout le monde peut venir. Que ce soit pour un besoin thérapeutique ou esthétique. Une partie du prix est reversé dans un pot commun, ce qui permet de financer des tatouages pour des personnes qui n’en ont pas les moyens. », ajoute-t-elle.

Au départ près de la gare, les Marie Rose ont recherché un nouveau local et ont déménagé à Cleunay, leur permettant de développer leur projet dans un espace plus grand, afin d’y accueillir un panel d’activités pluridisciplinaires, dédiées à la diffusion d’informations mais pas uniquement : « Il y a un vrai trou dans la raquette dans les parcours de soin. Quand on est guéri-e-s physiquement, ce n’est pas forcément la fin. Psychologiquement, on en est où ? Surtout que les traumatismes sont divers et variés. On souhaite créer un lieu, toujours non médicalisé, qui permette de trouver un max d’infos mais aussi une écoute et un accueil particulier. Avoir un panel de professionnel-le-s, composé d’avocat-e, diététicien-ne, psychologue, sophrologue, sexologue, et des pratiques qui peuvent apporter des réponses à des traumas spécifiques. » A travers le tatouage notamment mais aussi un centre de ressources, « peut-être aussi une friperie solidaire avec des vêtements non genrés et un lieu de vie ouvert à tout le monde encore une fois, dans lequel on pourrait organiser des événements, des conférences, etc. » Il est toujours possible de les soutenir et de les aider via une campagne de financement participatif.

DES PARCOURS MULTIPLES ET PLURIELS

Deuil, maladies, accidents, grossesses extra-utérines, fausses couches, kyste enflammé, handicap dû à un traumatisme crânien non traité dans les temps, violences verbales, transition de genre, cicatrices, volonté de participer au projet… Nombreuses sont les raisons qui amènent les personnes à pousser la porte des Marie Rose. « Le tatouage est un acte qui permet de décider d’être maitre de son corps. Reprendre l’emprise sur son corps, ça revient quasiment à chaque fois dans les discussions. Car pour beaucoup, ils et elles ont subi des drames qui sont vécus comme imposés, puisque la personne n’a pas le contrôle dessus. On parle bien de subir des violences, subir la maladie, subir un accident. », commente la tatoueuse qui dans son quotidien rencontre tous les cas de figure. Pas de parcours type. Que des histoires de vie personnelles portées et ressenties de manière singulière. Qui donnent lieu à des dessins uniques, symbolisant ou non l’expérience de la personne. « Une femme malgache, adoptée à 14 mois, cherche à retrouver ses parents biologiques. Elle est venue pour se faire tatouer l’île de Madagascar. Une femme est venue pour une grossesse extra-utérine, elle a souhaité une étoile dans le bas du dos, au même niveau que l’utérus. Chaque personne est différente et chaque dessin aussi. », signale Marie. Elle le dit : il n’y a pas de règle dans le chemin de la reconstruction qui demeure propre à chacun-e. « Une femme a fait une fausse couche et est venue ici une semaine après. Une autre qui a eu un accident de cheval est venue des années après. Encore une autre est venue deux mois après le décès de son frère. Chacun-e fait son chemin différemment. », précise-t-elle.

UNE ÉTAPE LIBÉRATRICE          

Le tatouage, tel que le pratique James Blonde, peut s’avérer comme une étape importante vers l’apaisement moral, vers la sérénité d’un corps meurtri à un moment donné. Sans oublier le pouvoir d’une écoute bienveillante et non jugeante. Ce dont témoigne Emilie Lebrun : « Le contact avec Marie a été super dès les premiers échanges. Les temps passés en sa compagnie sont un réel plaisir. On se sent libre de poser les questions, de se livrer, on est en confiance. » Avoir le choix. De parler ou pas. D’expliquer leurs motivations ou non. Chacun-e est libre de livrer son récit ou de le garder pour soi. « C’est déjà une grosse étape d’être parvenue à nous contacter. Personnellement, j’estime que c’est bénéfique de parler mais chacun-e l’entend comme il ou elle peut. Nous, on propose une oreille attentive et un espace safe. Chaque personne est libre de parler ou pas. Tout le monde n’a pas envie de cette écoute et on respecte. », confie Marie Charuel. Faire en fonction des besoins. Un terme qui revient régulièrement dans les propos et les échanges. Des besoins qui peuvent être psychologiques et/ou physiques. De reprendre la main sur son corps. De ne plus subir ce qui fait le trauma.

« C’est une forme de catharsis. De résilience. Modifier son corps pour l’enjoliver ou le faire différent de ce qu’il a été. Le corps qui vieillit, le corps qu’on vient marquer… Il s’agit vraiment de la vie du corps ! »

Que l’on vienne pour un tatouage thérapeutique ou esthétique, Marie Charuel y voit là une vraie affirmation de la personne vis-à-vis de son corps : « C’est un acte puissant, de s’encrer le corps pour se le réapproprier ! Dans cette vie qui est la notre, le corps est exposé à tout va et en même temps, il est tabou. C’est hyper politique selon moi de dire « Mon corps m’appartient ! » !!! »

Célian Ramis

La résilience, entre rage, rap et paillette

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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. Trou témoigne du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience.
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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. On pourrait s’y perdre mais pas du tout. Mathilde Paillette et Lauren Sobler nous ont guidé, le 15 mars dernier, à la MJC Bréquigny, avec agilité dans Trou, témoignant du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience. 

« Je ne ferme pas ma gueule ! Je suis une enfant tombée du nid… Je ne ferme pas ma gueule ! » Elle chante de plus en plus fort. Avec ses samples, les voix et rythmiques prennent l’espace. Elles amplifient l’effet et donnent le ton : Paillette est une jeune femme libre, qui conduit des poids lourds, n’est pas biodégradable et est « méga giga indestructible. » Elle brille à l’infini et scintille, partout. Liberté, grain de folie, jovialité, légèreté… Paillette cultive tout ça en elle. Elle ne ferme pas sa gueule et elle a bien raison. Il y a chez elle cette insouciance et cette candeur de l’enfance. Et puis il y a aussi cette pression et ces injonctions de l’âge adulte, en particulier quand on est une femme. Elle passe beaucoup de temps sur les chantiers avec sa chatte, Cindy, qui adore regarder les grues et flirter avec. Mais ce jour-là, aux abords des travaux près de la gare, une grue écrabouille sa chatte et se barre, laissant Cindy meurtrie…

UNE QUÊTE COMPLEXE

Point de départ de l’histoire, le viol n’est pas directement au centre du spectacle qui s’attache, avec rage et panache, à valoriser la quête de Paillette vers la résilience. Pour cela, elle sera accompagnée de la resplendissante sirène, aux gros jambons, à l’allure décapante et aux airs de diva. Dans l’océan de larmes, le trou, le chemin qui pue, le pays magique… Paillette le dit : « Il ne faut pas mourir, je ne courberais pas l’échine. » Annihiler la souffrance. La faire disparaitre. La nier pour ne plus y penser. La colère, contre la culture du viol. L’ivresse, pour s’en échapper et ne plus étouffer. Mais même dans un pays enchanté, sans grues et sans mort-e-s, Paillette est hantée par les questions incessantes et culpabilisantes. Se justifier. Sans arrêt. Elle, la femme qui jouit sans honte et sans détour, la femme qui prend le mic’ face à un gang de mecs qui rappent, la femme qui n’a pas peur de se lancer à l’aventure, d’assouvir ses désirs et de l’ouvrir… Elle se perd. Ne sait plus ce qu’elle veut. Assaillie par la dureté des jugements, elle manque de souffle dans un univers qu’elle croyait bon mais qu’elle découvre nauséabond. Dès lors, une seule obsession : retrouver Cindy.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

Cabossée, apathique… Sa chatte est abîmée. Comme les bras de Paillette et son cœur paillasson. Alors, face à la grue, elle se confronte et affronte sa colère, qu’elle libère dans un flot de paroles assassines. Elle renverse le stigmate et lui jette à la figure. Le propos est cinglant et cathartique. Empouvoirant. La sirène peut s’en aller désormais : « Tu sais la défendre maintenant et elle, elle te guide partout ». Cindy et Paillette ne font plus qu’une et avancent, conjointement, sur le chemin de la résilience. Puisqu’il est là le sujet principal de l’histoire de Trou qui déploie humour, poésie, rap et rage dans une pièce musicale contée qui nous happe et nous saisit avec force et finesse. Au fil de ses concerts, spectacles et travaux d’écriture, Mathilde Paillette a fini par réunir tous les morceaux en un seul, Trou en est l’aboutissement. Avec Lauren Sobler, dans le rôle de la sirène, la comédienne et musicienne nous propose une exploration d’émotions diverses et contradictoires qui mènent tout droit à l’explosion et l’apaisement. C’est riche, intense et éblouissant. Parce que le duo s’autorise à puiser dans l’imaginaire enfantin, à tirer les fils de l’insouciance et de l’innocence, à dire, hurler, mimer, danser, rapper… à entremêler le rire et l’horreur, à affirmer que non c’est non et à assumer de continuer à dire oui. Parce que le duo touche au cœur, sans user la corde sensible ni les cordes vocales. Là où le bât blesse, elles trouvent les mots pour renforcer le propos. Dans des situations pourtant si difficiles à décrire, elles parviennent à doser le témoignage tout en poésie, réalisme et en ressenti. 

PLONGER SANS FILET AVEC UN DUO DE TALENT

Paillette, protagoniste et artiste créatrice, s’affranchit des codes et des étiquettes. Elle convoque les émotions, les paroles, les styles, les notions et les concepts, les secoue et se les approprie. Ne pas déranger. Ne pas faire de bruit. Ne pas bouleverser l’ordre établi. Ne pas baigner dans la vulgarité. Ne pas déborder. Paillette et Sirène envoient tout péter. Elles prennent leur place et leur espace, elles vont trop loin, elles sombrent dans la caricature, elles crient, elles tapent des pieds, elles éclatent les carcans de leur condition de femmes, elles ne revendiquent pas un engagement en particulier. Elles disent, elles font, elles cherchent, elles questionnent, elles avancent, elles s’aident, elles expérimentent et ressentent, elles s’accompagnent, elles nous embarquent avec elles, dans leurs peurs, angoisses, combats, forces, singularités, univers artistiques, succès, etc. Et on plonge. On plonge avec elles dans le trou. On tombe dans le désarroi et la solitude et on comble le vide et le trauma. On remonte à la surface, avec la puissance de l’espoir et la force de la sororité. On se délecte de cette proposition sensible qui explore les recoins d’une âme en souffrance sur le chemin de la résilience. Avec son lot de doutes, de contradictions, de faiblesses, de déni mais aussi de forces, de capacités à rebondir, à s’adapter et à sublimer et à nuancer la noirceur de la réalité. Sans la renier. Ne pas juste survivre. Remonter à la surface, respirer et vivre.

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