Célian Ramis
Grève féministe : un puissant combat contre les violences patriarcales
« Face aux violences, notre silence les arrange, notre colère les dérange » Le ton est donné face à cette grande banderole qui trône en tête de cortège, en étendard et symbole du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences à l’encontre des personnes sexisées. Samedi 23 novembre, elles étaient des milliers, personnes concernées et allié-es, à se rassembler partout en France, pour faire entendre leurs voix et leurs colères et ensemble dénoncer les violences sexistes et sexuelles.
C’est sous un temps pluvieux et maussade que s’est élancée la manifestation contre les violences sexistes et sexuelles, à Rennes, à l’occasion du 25 novembre. L’énergie des militant-es et allié-es, elle, était intacte, puissante et vibrante. Déterminé-es à lutter ensemble contre la culture du viol et à partager leurs colères dans l’espace public. Les voix se font entendre. Souhait exaucé pour le collecti Nous Toutes 35 : « Nous sommes à chaque fois des milliers dans la rue. Nous voulons que cette manifestation soit bruyante, colorée et revendicative ! » Sans oublier la volonté de défendre également « la libération et l’autodétermination du peuple de Palestine ». Alors que flottent en nombre les drapeaux palestiniens, la foule scande haut et fort « So, so, so, solidarité avec nos adelphes du monde entier » et « Agresseur, violeur, à ton tour d’avoir peur ! ».
LA HONTE DOIT CHANGER DE CAMP
« Contre le patriarcat, riposte féministe ! », « Réarmement féministe », « Not all men – 95% », « Pour le sang et la douleur on a déjà nos règles » ou encore « J’avais 10 ans et 17 ans » Elles sont nombreuses les pancartes ce jour-là, à côtoyer les chants, les percussions et les vibrations du sol, au rythme d’une marche placée sous le signe de la combattivité, de la rage, de la joie militante et de l’espoir. Parmi les slogans emblématiques, « la honte doit changer de camp » revient comme un fil rouge, en écho à l’actualité brûlante du procès des viols de Mazan. Mais aussi des affaires et scandales qui se multiplient à vitesse historique (Bedos, Depardieu, Plaza, Doillon, Jacquot, Nekfeu, Naps, Abbé Pierre…)
Le visage de Gisèle Pélicot s’affiche dans les rassemblements, comme figure de proue d’une prise de conscience massive de la problématique profonde et dramatique que constitue la culture du viol. Une arme patriarcale répandue, garantissant l’inversion de la culpabilité : sanction pour les victimes, rendues et traitées comme coupables, et impunité des agresseurs, perçus comme vulnérables.
Des bons pères de famille, comme les décrit Rose Lamy dans son essai éponyme, et comme en atteste les discours de Gisèle Pélicot, aux plus grands responsables politiques et personnalités publiques, les militant-es dénoncent les mécanismes de domination du système patriarcal, les tactiques de défense et de protection des agresseurs et les schémas, classiques et fréquents, de silenciation des victimes. Elles disent ici Stop. Elles disent ici Plus jamais.
DES CHIFFRES ALARMANTS
Viols, soumission chimique, féminicides, harcèlement moral, coups, humiliations, insultes, agressions sexuelles, chantage affectif, entrave administrative, la liste est longue et alarmante. A l’instar des chiffres comme le souligne Rachida, du collectif Nous féministes 35 : « 1 femme sur 3 est confrontée à une forme de violences au cours de sa vie »
Sans oublier qu’une femme est tuée tous les 2 à 3 jours par son partenaire ou ex-partenaire, que 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentative de viol par an en France ou encore que plus de 270 000 personnes subissent des violences conjugales. Elle poursuit : « Des millions de femmes, ici et partout dans le monde, souffrent en silence. Les violences brisent des vies et défigurent des sociétés. »
Des violences qui s’amplifient également en fonction de la situation des personnes concernées. Validisme, racisme, classisme, islamophobie, LGBTIphobies ou encore grossophobie viennent s’ajouter au sexisme latent d’une société patriarcale et capitaliste qui réduit hommes et femmes à des rôles genrés mais aussi à des places de supériorité ou d’infériorité. Shine et Pauline, du collectif Kuné – Femmes de Villejean, partagent leurs combats : « Nous le savons, nous sommes aussi des femmes doublement victimes : victimes de violences sexistes et sexuelles et aujourd’hui inquiètes face à la montée d’une extrême-droite qui menace nos droits, nos libertés et nos sécurités. Cette lutte est la nôtre, elle est celle de chaque femme, de chaque fille, de chaque enfant qui subit ou est témoin de ces violences. Et de chaque être humain qui croit à la dignité et au respect ! »
Au micro, elles clament la solidarité, la sororité, font entendre la pluralité des récits, l’urgence et l’importance d’entendre les concerné-es dans chaque territoire et ancrage, et de la nécessaire transformation des paroles en actions : « Femmes de quartier, femmes immigrées, nos voix portent la résistance et refusent de se taire ! »
95,2 MILLIARDS D’EUROS
Ce n’est pas le budget alloué pour « la grande cause du quinquennat » de Macron, ni l’ambition affichée par le gouvernement Barnier. C’est le coût de la virilité estimée en 2021 par Lucile Peytavin dans son ouvrage éponyme. Un chiffre qui marque l’ampleur des conséquences de (l’injonction à) la virilité, menant aux violences à l’encontre des personnes sexisées (physiques, sexuelles, psychologiques, physiques, économiques, administratives, institutionnelles, etc.). Places d’hébergement d’urgence, mise en sécurité et protection, prise en charge et accompagnement de toutes les femmes et enfants, victimes de violences intrafamiliales, sont des mesures revendiquées ce jour-là, comme le reste de l’année, pour pallier les difficultés rencontrées par les concerné-es.
Mais ce sont aussi et surtout des moyens alloués à la déconstruction des stéréotypes et biais de genre, à la prévention et à la sensibilisation qui sont exigés par les militant-es, à l’instar de Rachida, du collectif Nous féministes 35, pour éradiquer, en amont, les violences sexistes :
« Nous devons regarder vers l’avenir. Qu’allons-nous laisser ? Une société où les violences sexistes et sexuelles continueront de se répandre ou un monde où l’égalité, la dignité et le respect régneront pour toutes les femmes et les filles ? Le chemin reste semé d’embuches mais il est essentiel que nous poursuivions le combat. Pour nous-mêmes, pour nos enfants, pour toutes celles qui, par peur ou honte, n’osent pas encore parler. »
Elle n’oublie pas de citer « les étapes fondamentales » de l’éducation à la formation des professionnel-les, en passant par « la mise en place de lois et de mesures efficaces ». Pour ne pas seulement colmater les fuites mais bel et bien en éviter la création.
Pour elle, il est indispensable d’en passer par là pour briser le continuum des violences et évoluer vers une société libérée de l’emprise et de la domination masculine. En mémoire de Marie, assassinée par son conjoint sous les yeux de leurs enfants dans le quartier Villejean, mais aussi en femmage à toutes les victimes de violences conjugales et de toutes les autres formes de violences, les femmes de Kuné prônent l’union des forces, des colères et des synergies.
Le signal est clair, c’est un cri de ralliement qui est lancé en ce 23 novembre et qui retentit aussi bien dans les cœurs que dans les tripes des manifestant-es : « Ensemble, faisons entendre notre voix. Portons ce combat dans chaque foyer, chaque rue, chaque institution. Ensemble, construisons ce monde où le respect et la dignité, et la justice, sont enfin notre réalité. Parce que nous ne sommes plus seules. Parce que chaque voix compte. Parce que nos quartiers méritent la paix. #METOO ! » Poursuivre le combat. L’espoir d’un lendemain serein, (beaucoup, beaucoup) moins violent. Pour tou-tes.