Célian Ramis

Eddy de Pretto, l'expression des masculinités entrecroisées

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Eddy de Pretto, en concert au Liberté, à Rennes le 6 avril 2024
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Auteur talentueux maniant le verbe qui claque, chanteur confirmé de la scène pop rappée, Eddy de Pretto est également un performeur incontestable. À l'occasion du Crash Coeur Tour, il nous a régalé d’un show moderne et empouvoirant.
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Eddy de Pretto en concert au Liberté à Rennes le 6 avril 2024Écouter un album d’Eddy de Pretto  - n’importe lequel - est une expérience. Assister en live à un concert d’Eddy de Pretto en est une autre. Et c’est à l’occasion du Crash Cœur Tour, honorant son troisième opus, qu’on en a pris plein la vue : auteur talentueux maniant le verbe qui claque, chanteur confirmé de la scène pop rappée, il est également un performeur incontestable. Le 6 avril dernier, sur la scène du Liberté, il régalait le public rennais d’un show moderne et empouvoirant.

Plongée dans le noir, la foule acclame l’artiste. Sur la scène, un écran rectangulaire à la forme de panneau publicitaire dévoile en gros plan les yeux du chanteur dont on entend la voix mais dont on ne voit pas encore la silhouette. A cappella, Eddy de Pretto interprète, à la manière d’un Jacques Brel, son nouveau titre « Love’n’Tendresse ». Le public, ébahi, retient son souffle. Hissé sur un échafaudage, l’auteur-compositeur de Crash Cœur bouge et danse, au rythme de la vidéo qui alterne image figée, effets visuels et chorégraphiés et affiche le groupe de musiciens, paraissant en live dans un studio différé. 

La scénographie, époustouflante de modernité, se met au service d’un artiste à l’énergie débordante et communicative. Sa dynamique nous embarque instantanément et nous cueille avec étonnement. Si on a l’habitude de vibrer au son de ses textes percutants et d’entrer en intimité avec les histoires racontées, on perçoit ici une autre facette de sa personnalité artistique. On plonge, sans retenue aucune, dans sa proposition. Une invitation au lâcher prise et à la joie militante.

ÔDE AUX MASCULINITÉS PLURIELLES

Eddy de Pretto en concert au Liberté à Rennes le 6 avril 2024De « Parfaitement » à « R+V », en passant par « Kid », « Papa sucre » ou encore « Être biennn », Eddy de Pretto casse l’image Colgate et sa représentation idyllique, blanche et lisse pour nous « emmener dans (sa) conception du bonheur, (sa) vie et (son) sourire ». Dans sa vision de l’avenir, « il n’y aura jamais d’espace pour enfant dans (son) planning », pas « ces dimanches où l’on étale beauté rustine » ou encore « ces vacances comme vendues dans les magazines ».

Dans son parcours, il a « cherché les exemples dans (sa) vie » et n’a « trouvé qu’une poignée de gens en or », qui heureusement parlent fort et l’accompagnent, le guident et lui parlent : « Rimbaud, Verlaine, Elton, Genet, RuPaul, Franck, Freddie, Warhol font partie de ma vie, me libèrent de tous mes ennuis / me libèrent de toutes mes envies ! » Depuis « Kid », son tube à succès sorti en 2017 - qui fait partie de « ces textes qui vous dépassent et finissent dans les manuels scolaires et à l’Assemblée nationale pour lutter contre les thérapies de conversion »- il en a fait du chemin et du bien à la scène musicale comme à l’explosion des codes de la virilité. 

La masculinité, Eddy de Pretto la convoque au pluriel pour s’approprier l’étendue du genre, en distordre les codes, en déconstruire les normes et en faire sa singularité. Auteur engagé, il parle d’intimité et celle-ci résonne en chacun-e de nous. Peu importe l’orientation sexuelle et affective, ses mots touchent au cœur et au plus profond des viscères. Ce qui est puissant avec Eddy de Pretto, c’est sa capacité à nourrir nos imaginaires d’autres formes de vécus, d’autres façons d’aimer que celle définie et martelée par l’hétéronormativité, d’autres manières d’appréhender le monde, d’autres voies d’épanouissement personnel. 

ET À L’AMOUR, TOUJOURS

Eddy de Pretto en concert au Liberté à Rennes le 6 avril 2024Dans ses textes, comme sur la scène ce soir-là, le chanteur se joue de la virilité pour nous livrer ses tripes, sa rage mais aussi ses failles et ses vulnérabilités, ses forces et ses espoirs. S’il clame que désormais son seul but dans la vie, « c’est d’être bien avec moi-même », il prône également l’acceptation de soi et des autres. Dans son et leur entièreté, noirceurs et addictions comprises, en parallèle du chemin éprouvé et de l’amour revendiqué.

Et cet amour, il le chante avec réalisme, désespoir, poésie, liberté et fierté. Sans oublier son parlé cru qui, allié à l’onirique sensualité et l’univers pailleté de Juliette Armanet, résonne dans une verve magistrale qui nous laisse bouche-bée de plaisir : « Quand je t’embrasse, je sens la tendresse qui s’étale et qui se crache / Sur les effluves lascives de nos salives jusqu’à en être dégouté / Quand je t’embarque, je sens le business de nos fluides qui s’éclaboussent / Sur le doux contour de nos bouches toujours mouillées. »

Il relate la complexité du système de pensée, du patriarcat de la société, des impacts de la virilité, il brise le silence autour de l’homosexualité, rompt les tabous autour de modes de vie prédéfinis par la charte de l’hétéronormativité, raconte la vie d’artiste. Il dévoile ses maux en mots et met son corps en mouvement, dans une sorte de rage festive qui nous invite à nous délester du poids des normes et à le suivre dans sa danse libératrice et émancipatrice. Il s’affranchit du regard jugeant d’un monde réducteur et nocif qu’il fracasse pour clamer son existence et son plein droit d’exister. Il nous montre une autre représentation de l’homme. Un homme qui embrasse le spectre large des masculinités pour se sculpter sa propre identité.

 

  • Dans le cadre du festival Mythos.

Célian Ramis

Joanna, guerrière sensible

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Joanna en concert au Liberté à Rennes
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Joanna, c’est la promesse d’une exploration authentique et féministe des failles et des forces humaines. Autrice-compositrice-chanteuse, elle était, le 6 avril dernier, en première partie d’Eddy de Pretto.
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Joanna en concert au Liberté à RennesRemarquée avec son EP Vénus, puis son premier album Sérotonine, Joanna transforme l’essai avec Where’s the light ?, opus paru fin 2023 et se positionne en artiste émergente et engagée sur la nouvelle scène pop française. De la poésie et des uppercuts dans les textes, de la puissance dans la voix, des mélanges dans les styles musicaux, de la poigne dans la revendication de son indépendance… Joanna, c’est la promesse d’une exploration authentique et féministe des failles et des forces humaines. Autrice-compositrice-chanteuse, elle était sur la scène du Liberté, le 6 avril dernier, en première partie d’Eddy de Pretto.

C’est dans une atmosphère vaporeuse, quasiment ésotérique, que Joanna entame ses premières envolées lyriques, sur la scène du Liberté le 6 avril dernier. « Protège-moi pendant que le monde s’écroule sous le poids des bombes », chante-t-elle dans Where’s the light, du nom de son deuxième album. Le cadre est posé, le ton annoncé. Ce disque, c’est celui de son cheminement personnel pour sortir de la dépression. La musique, brandie telle une démarche salvatrice, l’expression militante de sa résilience. Lentement, elle explore la tension grandissante qu’elle instaure en naviguant, par la puissance de sa voix et de ses textes percutants, dans des styles urbains et modernes mais aussi le rock et la pop. 

Joanna en concert au Liberté à RennesCe mélange, Joanna le défend et le revendique. Au même titre que sa liberté et son indépendance, au sein de l’industrie musicale mais aussi dans la représentation qu’elle incarne. Autrice, compositrice et chanteuse, elle est aussi vidéaste - marquée par son cursus scolaire au lycée Bréquigny en option cinéma et son parcours universitaire en histoire de l’art à Rennes 2 - et dans ses productions, elle n’oublie pas de jouer d’une esthétique du clair-obscur dont elle ne cesse, dans son rapport à l’art, de sonder les recoins, de la même manière méticuleuse et poétique qu’elle relate l’histoire d’une âme qui sombre. 

De cette mise à nu, sensible et vulnérable, Joanna nous dévoile les failles de ce « corps en souffrance » que représente l’ego lorsque celui-ci est poussé à son paroxysme, pour ne plus être qu’un amas de toxicité et d’égocentrisme. L’artiste-musicienne livre ici son combat pour remonter à la surface, s’attachant à toujours faire jaillir des profondeurs l’espoir et la nécessité de celui-ci. Enraciné dans les entrailles de son être, le faisceau vocal de Joanna libère sa verve viscérale pour saisir nos tripes et nous envahir de son énergie débordante de guerrière. 

REPRÉSENTATION ET EMPOUVOIREMENT

Parce que c’est ce qu’elle est, une guerrière. Qui monte sur la scène, à domicile ce soir-là confie-t-elle avec émotion : « Je joue ici, je viens d’ici donc c’est très spécial pour moi de chanter ici ce soir. Je suis très impressionnée, je n’ai pas l’habitude des salles aussi grandes ! » Elle saute dans le bain et ose révéler, face à plusieurs milliers de spectateur-ices - principalement venu-es pour assister au concert d’Eddy de Pretto - sa personnalité et son regard d’artiste en quête de son identité propre. Elle le dit avec humilité et sincérité, elle est en recherche et pour ça, elle explore, analyse, expérimente et ne s’interdit rien.

Surtout pas de s’approprier les codes de la féminité et de la sexualité dont elle tire les fils des paradoxes normatifs. Trop ou pas assez, elle déambule dans cette nébuleuse constituée des injonctions à la féminité aliénante et se libère des carcans pour exprimer ce qu’elle est, ce qu’elle a envie d’être, ce qu’elle veut montrer et représenter. Une personnalité à part entière et toujours en mouvement. 

DÉCONSTRUIRE LE MONDE PATRIARCAL

Joanna en concert au Liberté à RennesJoanne déploie une énergie puissante et communicative et nous propose une plongée dans son univers éclectique, marqué par des textes intenses qui sondent l’âme humaine en profondeur, dans sa plus grande noirceur autant que dans ses recoins les plus joyeux et jouissifs. Parce qu’elle parle, avec poésie et réalisme, du désir, de l’attirance, du plaisir et de la séduction, nom de sa toute première chanson qu’elle interprète ce soir-là sur la scène du Liberté avant de nous faire frissonner d’effroi et d’émotion en entamant « Ce n’est pas si grave ». 

L’histoire d’un viol et d’une victime rendue coupable par une société patriarcale pétrie de préjugés issus de la culture du viol. « Tout s’est passé dans le noir / Il est entré dans mon monde / J’en avais pas envie / Son visage devient immonde / J’lui dis laisse moi tranquille / Sur moi ses sous-vêtements tombent / Impossible de partir / Il m’a couvert de honte », chante-t-elle, face à un public mutique, bouleversé par la charge émotionnelle et la brutalité d’un texte qui raconte, dans la douceur de la mélodie, l’horreur d’un acte banalisé, minimisé et souvent nié. Le discours, résolument engagé de Joanna, perfore les questions de genre et de santé mentale pour mieux les reconstruire derrière et nous donner espoir en un avenir meilleur et plus égalitaire. Un avenir auquel elle appartient et participe !