Célian Ramis

Doully, l'humoriste pas comme il faut

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L'humoriste Doully en spectacle à Mythos
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Addictions, handicap, voix de clocharde et orteils pourris… Dans son spectacle Hier j’arrête, Doully se met à nu (et les pieds aussi) avec une bonne dose d’autodérision, de cru et de trash. Et ça fonctionne, c’est hilarant !
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Addictions, handicap, voix de clocharde et orteils pourris… Dans son spectacle Hier j’arrête, Doully se met à nu (et les pieds aussi) avec une bonne dose d’autodérision, de cru et de trash. Et ça fonctionne, c’est hilarant !

Un style percutant, une voix facilement reconnaissable, un humour décapant, elle est la cheffe des « p’tits culs », une stand-uppeuse hors pair, la présentatrice de Groland à la tessiture de Garou (dans les karaokés dont elle raffole), la chroniqueuse déjantée du Grand Dimanche Soir – émission animée par Charline Vanhoenacker - sur France Inter. Et à celles et ceux qui ne la connaissent pas, elle précise qu’elle n’est pas bourrée, c’est simplement Dame Nature qui l’a dotée d’une voix qui lui valait, gamine, d’être prise « pour un pédophile nain » au jardin d’enfants, « surtout qu’à cause des poux, on m’a rasé la tête jusqu’à mes 7 ans… ». Avec l’âge, ça empire, raconte-t-elle, en se marrant face aux remarques et jugements dont elle écope, que ce soit sur scène ou dans un taxi à 4h du matin.

VOIX DE CLOCHARD ET HANDICAPS INVISIBLES

L'humoriste Doully sur scène à Mythos, à Rennes, pour son spectacle Hier j'arrêteImpossible de contracter un prêt par téléphone, jamais le banquier ne la prendrait au sérieux. Avoir des enfants ? Non merci, pas pour elle, inutile de subir 9 mois de jugement pour que son gosse l’appelle papa. Par contre, gros avantage : sa voix lui a permis d’éviter une bonne dizaine de viols. « Si je hurle « Au viol ! », on prend ça pour un cri de ralliement… », précise-t-elle. Alors, elle a décidé d’en rire. Et pas uniquement de sa voix. Au rythme palpitant du stand-up, l’humoriste passe en revue ses failles et ses vulnérabilités. 

Des pieds pourris dus à une anomalie qui se dégrade, des tremblements constants depuis qu’elle est enfant, un passé d’héroïnomane et à présent, l’obtention de sa carte Handicap, Doully ne s’épargne rien et égratigne sans précaution l’image de la belle blonde aux yeux bleus. Et ça fait du bien. Hors des normes de genre, elle brise avec fracas le silence et les tabous et, loin du cliché de la prétendue douceur féminine, nous embarque avec elle dans sa vie de galères mais aussi de résilience et de puissance.

La thématique du handicap n’est pas sans retenir l’attention du public qui se cramponne à son siège et s’interroge, par regards plus ou moins discrets aux voisin-es, sur la légitimité à se poiler autour d’un sujet si sérieux et touchy dans la société qui invisibilise au quotidien les concerné-es. Doully, elle, met les pieds dans le plat et brandit avec impertinence un sketch sur les sites de rencontres pour personnes handicapées à qui elle reproche - gentiment -l’honnêteté dans la création des profils, qui affichent des photos en blouse d’hôpital psy ou des recherches très ciblées type « Valide cherche tétra qui s’assume ». Par l’absurde, l’humoriste nous saisit sur le manque de représentations concernant le sujet dans la société et de réflexions et réactions des valides face à l’invisibilité de la plupart des handicaps.

ADDICTIONS ET FLATULENCES 

Elle enchaine les sujets comme les punchlines et ne cesse de surprendre son auditoire avec des listes improbables de faits et d’anecdotes sur ces prouesses passées. A commencer par son CV, assurément singulier et impressionnant : gogo danseuse, dame pipi en boite de nuit, prof de français à Barcelone, doubleuse porno, « pute morte de dos et à contrejour » au cinéma… Sans oublier héroïnomane dans sa jeunesse, une addiction à l’origine de ses 3 overdoses. L’humoriste « déjà morte 3 fois » ne dort quasiment pas, ne se drogue plus, ne boit pas car ça lui fixe le fer dans le sang et s’évanouit en mangeant de la mozzarella, parce qu’entre temps, elle est devenue allergique au lait. 

L'humoriste Doully sur scène à Mythos, à Rennes, pour son spectacle Hier j'arrête« Il me reste la bite », lâche-t-elle au fil du décompte de ses tares, en enfonçant le clou : « Il me reste aussi la dépression et la laïcité ! » Doully, elle a ce don de créer des ruptures trash dans la montée des émotions qu’elle provoque. Le sens de la mesure. La veine de l’humour cru qui choque pour désacraliser, rire un bon coup et finalement, réfléchir autrement. Sans entraves ni pincettes, elle aborde la question de la sobriété et surtout de la difficulté que cela représente aujourd’hui en France dans une société qui banalise l’alcool, ses dérives et ses dangers. Elle parle de drogues sans jugement ou discours moralisateur et en fait même son plan vieillesse : « À 85 ans, je serais Porte de la Chapelle et je vais m’en foutre plein le buffet ! »

Elle se moque des carcans réducteurs d’une société genrée aux injonctions pesantes, refuse la vie de couple et surtout le pet décomplexé, n’oubliant pas de préciser la raison de son dégoût – « C’est le bâillement de ton caca, faut pas faire ça ! » - et raille les remarques qu’on lui fait autour de son choix de ne pas céder aux sirènes de la maternité : « En tant que femme qui choisit de ne pas avoir d’enfant, on te dit ‘Tu verras, tu changeras d’avis’ mais on ne me dit jamais ça quand je dis que je n’aime pas le choux fleur et les petites bites… »

Elle parle de cul, elle parle cru mais surtout, elle parle vrai et sans complexes. Et elle se marre quasiment autant qu’elle nous fait marrer. Doully joue sur le contraste d’un propos léger – en apparence – avec un langage trash, et maitrise à merveille, et à force de travail et de talent, les codes du stand-up et de l’humour sans barrière qui peut se permettre de rire de tout puisqu’avant tout, on rit de soi. 

L’humoriste fédère, embarquant ainsi avec elle un public hilare, de par cette mise à nu ubuesque qui jamais ne tombe dans la facilité ou la caricature. Au contraire, Doully emprunte des chemins de traverse pour nous faire entrevoir la vie autrement. Avec ses hauts et ses bas. Avec ses trajectoires pas droites mais ses plus ou moins bonnes tranches de vie qui font de nous ce que l’on est. Des gens pas comme il faut et c’est tant mieux.

 

 

  • Dans le cadre du festival Mythos, le 9 avril au Cabaret botanique.

Célian Ramis

"Backlash", dans le miroir d'un homme manipulé par le masculinisme

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Pièce de théâtre Backlash, du groupe Vertigo, sur le masculinisme à Rennes 2
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Dans la pièce "Backlash, le groupe Vertigo s’attaque au masculinisme, décortiquant avec brio les mécanismes âpres et insidieux d’un relent conservateur et nauséabond face aux avancées du féminisme.
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C’était mieux avant, parait-il. Pour qui ? Pour quoi ? Adapté de la pièce Angry Alan de Penelope Skinner, le seul en scène Backlash, du groupe Vertigo, s’attaque au masculinisme, décortiquant avec brio les mécanismes âpres et insidieux d’un relent conservateur et nauséabond face aux avancées du féminisme.

 

Kentucky, aujourd’hui. Divorcé, père d’un ado qu’il ne voit jamais, Danny est assistant manager et vit avec Courtney, sa nouvelle compagne. Quelques temps auparavant, il a été licencié d’un boulot bien payé. Ce matin-là, un lundi tout à fait standard, il envisage d’aller courir mais, à la place, il « tombe dans le vortex de Google » qui le fait naviguer d’article en article et sombrer dans les affres du numérique, là où le temps s’arrête et où le cerveau se nourrit avidement de tous les contenus proposés. Dont cette vidéo sur l’Histoire, racontée par Angry Alan, qui prône et revendique le mouvement de défense des droits des hommes. Une blague ? Non, une soi-disant évolution naturelle du mouvement des femmes qui est allé trop loin, jusqu’à imposer à toutes et à tous une société gynocentrée. Ici, « les hommes ordinaires souffrent », lâche Danny, convaincu de trouver dans les paroles de son gourou le sens de son malaise, la source de son inconfort physique et mental, la clé de son émancipation d’homme banal et frustré à un homme puissant et viril.  

PRISE DE CONSCIENCE OU MANIPULATION EFFECTIVE ?

Debout, sur son lit, les bras écartés, Danny goûte enfin à la liberté. Ce qu’il nomme « l’instant pilule rouge » crée le déclic en lui, lui permettant ainsi d’ouvrir les yeux sur son vécu et ressenti : « Les hommes ne sont pas autorisés à exprimer leurs sentiments. Cette douleur dans mes entrailles, c’est l’effet du poids de ma propre histoire ! » Ce n’est peut-être pas de sa faute alors s’il a été licencié ? Si sa femme l’a quitté ? Si son fils lui adresse à peine la parole ? Si sa vie est morne et monotone ? La cage qui l’emprisonne se figure à lui désormais : 

« La pilule rouge ne résout pas le problème mais je suis conscient de la cage. C’est tellement libérateur ! Les choses vont changer ! »

Pièce de théâtre Backlash, du groupe Vertigo, sur le masculinisme à Rennes 2Jusqu’ici, on se serait tenté-es de voir le positif de la situation et de penser en termes d’empouvoirement et d’empuissancement. Une émancipation individuelle nécessaire, au même titre que celle des femmes et des personnes sexisées qui s’affranchissent peu à peu des codes, normes et assignations de genre, dénonçant la construction sociale établie par le patriarcat et inventant de nouvelles manières de penser et de vivre, en dehors du sexisme et de la binarité. Pourtant, on ne se réjouit pas. Car on comprend dès le départ que Danny, paumé et en perte de repères, se jette dans les filets du masculinisme qui utilise la rhétorique du féminisme pour mieux la piétiner et la tourner en discours victimaire, avant de s’approprier celui-ci, au titre d’un soi-disant « sexisme gynocentriste ». 

C’est là toute la sève nauséabonde du « backlash », un concept théorisé au début des années 90 par Susan Faludi dans un livre éponyme qui décortique les réactions machistes et extrémistes, inquiètes des avancées féministes et de la perte des privilèges attribués jusqu’alors aux hommes (blancs, hétéros, cisgenres, valides, riches…). Ainsi, le patriarcat virulent brandit l’égalité acquise entre les femmes et les hommes et sème le trouble dans les esprits : pourquoi les femmes se plaignent-elles alors qu’elles « y sont arrivées » ? Et l’histoire se répète puisqu’en 1991, la journaliste américaine relate des discours, faits et événements similaires à ceux que l’on entend, connait et affronte aujourd’hui.

Des incels aux militants d’extrême droite, en passant par les participants aux stages de virilité, les « mascus » cultivent la haine des femmes et le rejet des féminismes, qu’ils estiment être la cause de tous leurs malheurs. Dans son essai, Susan Faludi écrit : « Lorsque le féminisme est au sommet de la vague, les opposantes ne se laissent pas emporter si facilement par le ressac ; elles résistent de toutes leurs forces, montrent le poing, construisent des remparts et des digues. Et cette résistance crée des contre-courants, fait surgir de redoutables lames de fond. » Elle s’attache à montrer les fluctuations dans l’Histoire américaine des droits des femmes, les levées de boucliers et retours acharnés de bâtons et démontre que non, l’égalité décriée par les masculinistes – et David Pujadas au JT de France 2 qui place l’égalité acquise dans les années 70 en France - n’est pas réelle et loin de l’être. Au contraire, l’époque est plutôt au recul et à la dégradation, un peu partout dans le monde, de la condition des femmes.

LA GUEULE BÉANTE DE LA MÉCANIQUE MASCULINISTE

Pourtant, dans Backlash, Angry Alan vient contrecarrer les faits, blindé et pétri dans des statistiques et données tronquées qu’il modélise et ajuste selon les besoins de son argumentaire. Bérangère Notta et Guillaume Doucet, du groupe Vertigo, ne le contredisent pas. Pas par acceptation ou approbation du discours, bien au contraire. Le duo nous confronte à la mécanique sournoise, nauséabonde et insidieuse du masculinisme et à la facilité avec laquelle elle peut toucher des hommes dont la vulnérabilité inadéquate à la virilité et masculinité toxique a laissé une plaie béante qu’il suffit de frôler pour activer et s’engouffrer dans les méandres d’un esprit agité et brisé. 

Et c’est la performance de Philippe Bodet qui est à souligner et à saluer, tant il incarne à merveille ce personnage floué et embourbé dans les failles de son ego si simple à manipuler qu’il va jusqu’à lâcher 900 dollars pour assister à un week-end de colloque organisé par Angry Alan : « L’écouter en vrai, c’est une belle source d’inspiration ! » En pleine admiration, il se perd dans son enthousiasme et son élan qui l’aveuglent et se déchainent rapidement en rage et en noirceur, se pensant héro des temps modernes « confronté à une grande adversité ». En réalité, c’est le portrait d’un homme un brin ridicule, influençable et écrasé par l’injonction à la virilité qui est dressé dans ce spectacle. Un raté, selon les normes patriarcales, qui pense reprendre sa vie en main, en accusant les féministes et s’adonnant à la mauvaise foi masculiniste qui prône sa résistance « face à l’oppression exercée par le régime gynocratique ». 

Perçant de contre-vérités, le discours de plus en plus acerbe d’Angry Alan – magnifiquement interprété par un Guillaume Trotignon troublant de réalisme néfaste – infuse doucement d’abord, profondément ensuite, en un Danny déconnecté de la réalité de la société et de son rapport systémique à la domination. Difficile de garder son calme, difficile de retenir et de contenir notre énervement. La boule au ventre grandit et affecte tous nos sens.

Pièce de théâtre Backlash, du groupe Vertigo, sur le masculinisme à Rennes 2Ça transpire la mauvaise foi et ça nous explose les neurones et les entrailles. On voudrait lui arracher la bouche à cet Angry Alan qui profite du monde virtuel pour répandre sa haine dans le monde réel. On voudrait le secouer ce Danny qui croit au regain de sa vitalité grâce à cet élan de brutalité et de violence qu’il n’entrevoit même pas. Jusqu’à braquer un fusil sur son fils qui lui s’interroge sur la fluidité des genres. Et la pièce nous laisse là, dans cette distinction entre une partie du monde refusant catégoriquement d’avancer et d’évoluer en regrettant l’ancien temps, le fameux « c’était mieux avant », et une partie du monde s’affichant progressiste et déterminée à s’affranchir des codes et normes du vieux monde patriarcal qui divise dans une guerre des sexes qui n’a pas lieu d’exister si chacun-e peut décider librement et en pleine conscience de son identité.

LES MASCULINISTES FACE À LEURS RESPONSABILITÉS

Ce moment de vacillement, le groupe Vertigo le sous-tend à chaque instant de la pièce, créant des ruptures franches dans une oscillation d’excitation, de stupeur, de colère, d’incompréhension et de tension. L’ambiance mise en scène, teintée de couleurs vives, de musiques enivrantes et de monologues dévorants, saisit l’auditoire qui régulièrement se fait interpeler par le protagoniste qui cherche validation du public. Constamment sur le fil de l’émotion, le spectacle est puissant tant il nous saisit de cette ambivalence entre colère et empathie envers Danny. 

Au fond, il est un pion. Un pion du patriarcat attaqué dans sa chair qui se défend en répandant toute sa haine misogyne par des bras armés tels que Angry Alan ou d’autres influenceurs - qui se doivent d’être mis face à leurs responsabilités - utilisant la confusion ambiante pour déverser leurs frustrations et les transformer en manipulation leur permettant de s’enrichir pendant que d’autres souffrent et meurent de ce rejet brutal et de la violence qui en émane. 

 

  • Au Tambour, université Rennes 2, en partenariat avec le festival Mythos et le festival Sirennes, le 12 avril 2024, et en lien avec la conférence de Mélanie Gourarier, Alpha Mâle : la pensée masculiniste et ses adeptes, dans le cadre des Mardis de l'égalité.

Célian Ramis

Eddy de Pretto, l'expression des masculinités entrecroisées

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Eddy de Pretto, en concert au Liberté, à Rennes le 6 avril 2024
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Auteur talentueux maniant le verbe qui claque, chanteur confirmé de la scène pop rappée, Eddy de Pretto est également un performeur incontestable. À l'occasion du Crash Coeur Tour, il nous a régalé d’un show moderne et empouvoirant.
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Eddy de Pretto en concert au Liberté à Rennes le 6 avril 2024Écouter un album d’Eddy de Pretto  - n’importe lequel - est une expérience. Assister en live à un concert d’Eddy de Pretto en est une autre. Et c’est à l’occasion du Crash Cœur Tour, honorant son troisième opus, qu’on en a pris plein la vue : auteur talentueux maniant le verbe qui claque, chanteur confirmé de la scène pop rappée, il est également un performeur incontestable. Le 6 avril dernier, sur la scène du Liberté, il régalait le public rennais d’un show moderne et empouvoirant.

Plongée dans le noir, la foule acclame l’artiste. Sur la scène, un écran rectangulaire à la forme de panneau publicitaire dévoile en gros plan les yeux du chanteur dont on entend la voix mais dont on ne voit pas encore la silhouette. A cappella, Eddy de Pretto interprète, à la manière d’un Jacques Brel, son nouveau titre « Love’n’Tendresse ». Le public, ébahi, retient son souffle. Hissé sur un échafaudage, l’auteur-compositeur de Crash Cœur bouge et danse, au rythme de la vidéo qui alterne image figée, effets visuels et chorégraphiés et affiche le groupe de musiciens, paraissant en live dans un studio différé. 

La scénographie, époustouflante de modernité, se met au service d’un artiste à l’énergie débordante et communicative. Sa dynamique nous embarque instantanément et nous cueille avec étonnement. Si on a l’habitude de vibrer au son de ses textes percutants et d’entrer en intimité avec les histoires racontées, on perçoit ici une autre facette de sa personnalité artistique. On plonge, sans retenue aucune, dans sa proposition. Une invitation au lâcher prise et à la joie militante.

ÔDE AUX MASCULINITÉS PLURIELLES

Eddy de Pretto en concert au Liberté à Rennes le 6 avril 2024De « Parfaitement » à « R+V », en passant par « Kid », « Papa sucre » ou encore « Être biennn », Eddy de Pretto casse l’image Colgate et sa représentation idyllique, blanche et lisse pour nous « emmener dans (sa) conception du bonheur, (sa) vie et (son) sourire ». Dans sa vision de l’avenir, « il n’y aura jamais d’espace pour enfant dans (son) planning », pas « ces dimanches où l’on étale beauté rustine » ou encore « ces vacances comme vendues dans les magazines ».

Dans son parcours, il a « cherché les exemples dans (sa) vie » et n’a « trouvé qu’une poignée de gens en or », qui heureusement parlent fort et l’accompagnent, le guident et lui parlent : « Rimbaud, Verlaine, Elton, Genet, RuPaul, Franck, Freddie, Warhol font partie de ma vie, me libèrent de tous mes ennuis / me libèrent de toutes mes envies ! » Depuis « Kid », son tube à succès sorti en 2017 - qui fait partie de « ces textes qui vous dépassent et finissent dans les manuels scolaires et à l’Assemblée nationale pour lutter contre les thérapies de conversion »- il en a fait du chemin et du bien à la scène musicale comme à l’explosion des codes de la virilité. 

La masculinité, Eddy de Pretto la convoque au pluriel pour s’approprier l’étendue du genre, en distordre les codes, en déconstruire les normes et en faire sa singularité. Auteur engagé, il parle d’intimité et celle-ci résonne en chacun-e de nous. Peu importe l’orientation sexuelle et affective, ses mots touchent au cœur et au plus profond des viscères. Ce qui est puissant avec Eddy de Pretto, c’est sa capacité à nourrir nos imaginaires d’autres formes de vécus, d’autres façons d’aimer que celle définie et martelée par l’hétéronormativité, d’autres manières d’appréhender le monde, d’autres voies d’épanouissement personnel. 

ET À L’AMOUR, TOUJOURS

Eddy de Pretto en concert au Liberté à Rennes le 6 avril 2024Dans ses textes, comme sur la scène ce soir-là, le chanteur se joue de la virilité pour nous livrer ses tripes, sa rage mais aussi ses failles et ses vulnérabilités, ses forces et ses espoirs. S’il clame que désormais son seul but dans la vie, « c’est d’être bien avec moi-même », il prône également l’acceptation de soi et des autres. Dans son et leur entièreté, noirceurs et addictions comprises, en parallèle du chemin éprouvé et de l’amour revendiqué.

Et cet amour, il le chante avec réalisme, désespoir, poésie, liberté et fierté. Sans oublier son parlé cru qui, allié à l’onirique sensualité et l’univers pailleté de Juliette Armanet, résonne dans une verve magistrale qui nous laisse bouche-bée de plaisir : « Quand je t’embrasse, je sens la tendresse qui s’étale et qui se crache / Sur les effluves lascives de nos salives jusqu’à en être dégouté / Quand je t’embarque, je sens le business de nos fluides qui s’éclaboussent / Sur le doux contour de nos bouches toujours mouillées. »

Il relate la complexité du système de pensée, du patriarcat de la société, des impacts de la virilité, il brise le silence autour de l’homosexualité, rompt les tabous autour de modes de vie prédéfinis par la charte de l’hétéronormativité, raconte la vie d’artiste. Il dévoile ses maux en mots et met son corps en mouvement, dans une sorte de rage festive qui nous invite à nous délester du poids des normes et à le suivre dans sa danse libératrice et émancipatrice. Il s’affranchit du regard jugeant d’un monde réducteur et nocif qu’il fracasse pour clamer son existence et son plein droit d’exister. Il nous montre une autre représentation de l’homme. Un homme qui embrasse le spectre large des masculinités pour se sculpter sa propre identité.

 

  • Dans le cadre du festival Mythos.

Célian Ramis

Exploration des désirs, censure patriarcale et libération des femmes

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Anne-Laure Paty entrelace son rapport au désir sexuel aux relations et vécus d’autres femmes pour faire émerger la pluralité des possibles, silenciés et contraints au tabou et aux injonctions patriarcales.
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Dans Désirs Plurielles, Anne-Laure Paty entrelace son rapport au désir sexuel aux relations et vécus d’autres femmes pour faire émerger la pluralité des possibles, silenciés et contraints au tabou et aux injonctions patriarcales.

« Une tension entre état présent et ce vers quoi tu voudrais aller », « Devenir complétement débile », « Quand tu as envie de la personne », « On ne désire pas les personnes de la même façon… Physique, psychique… De la tête au cœur, au sexe » Ici, Il est question d’amour, d’épanouissement, de corps, de sexe, de fantasmes, d’absence, de doute, de lâcher prise, de tension, de joie, de frissons. À travers une mise en scène épurée, la comédienne Anne-Laure Paty prête sa voix, et mêle la sienne, aux récits de Sandrine, Michèle, Inès, Catherine, Audrey, Nolwenn, Martha, Anne-Françoise, Colette, Justine ou encore Camille, Léa, Céline, Vanessa, Selma et Delphine. 

« Le désir dérange. On ne l’apprend pas aux petites filles. On les éduque à être des objets » Leurs témoignages résonnent à mesure que la comédienne extirpe de différentes boites des objets symbolisant de près ou de loin le rapport au désir de la personne concernée. Photo de mariage, collier de perles, shooters, talons aiguilles, sac à main, bougie ou encore collants… ils sont liés à leurs histoires personnelles, cristallisent la séduction, évoquent le passé et les éventuelles difficultés, sans oublier les tabous et les injonctions dont la sexualité est imprégnée. 

LA NÉCESSITÉ DE S’EXPRIMER

Créé fin 2022, le spectacle Désirs Plurielles nait d’une enquête réalisée auprès de 25 femmes et d’une nécessité personnelle, ressentie par Anne-Laure Paty. « En 2020, on a lancé le projet autour d’une grille d’entretiens abordant la question des femmes et de leur relation aux désirs à travers l’axe du transgénérationnel, du rapport à la transgression et du vécu », souligne la comédienne. Résultat : 25 témoignages, 40 heures de dérush… et une matrice globale pour écrire le spectacle. Elle poursuit : « Après ma première grossesse, le sujet du désir était très compliqué pour moi. J’ai fait une thérapie et c’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse un spectacle ! » Dire sa relation au désir passe aussi par l’exploration des ressentis d’autres femmes. Parce que si ce rapport au désir est intime, il relève également d’une expérience collective pour les jeunes filles et femmes grandissant et se construisant dans une société patriarcale. 

De l’éducation genrée à la culture du viol, le corps des femmes est assailli d’obligations-interdictions permanentes auxquelles répondre et se plier constitue une violence permanente et inouïe. « Ce qui m’intéresse, c’est après le spectacle – qui est une forme courte de 35 minutes – pouvoir échanger avec le public autour des thématiques abordées », précise Anne-Laure Paty dont la volonté est de créer, à chaque représentation et en présence de la metteuse en scène Leslie Evrad, un espace et un lieu de discussions autour des sexualités et du rapport que chaque individu, majoritairement des femmes, entretient avec ses désirs.

DÉSIRS, FÉMININ PLURIEL

La pièce vient briser les tabous, rompre le silence, interroger l’impact des stéréotypes patriarcaux sur la sexualité des femmes, bousculer la singularité de sa représentation. Dans un univers coloré et une ambiance feutrée, les voix s’élèvent. Pour dire le poids des traditions et des injonctions, pour dire le lâcher prise, pour dire l’ivresse quand le désir surgit après l’abnégation de la maternité, pour dire l’éveil sensoriel et la joie d’un désir festif et spontané, pour dire les chemins de travers, pour dire l’émancipation. Sur le plateau, une comédienne, des objets, des récits et des questions. La multiplicité des témoignages et expériences emportent les spectateur-ice-s dans une exploration profonde des sexualités, des imaginaires et des possibles. 

 

  • Spectacle présenté le 21 novembre à la Maison de quartier Villejean, à Rennes. Prochaine date : Le 20 décembre, à 19h30, à La Cordée, Rennes.

Célian Ramis

Bacchantes : Lyrisme rock

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Elles sont quatre. Musiciennes et chanteuses. Elles mêlent lyrisme, rock et poésie antique. Les Bacchantes étaient en résidence à L’Antipode, après la sortie de leur premier album. Rencontre.
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Elles sont quatre. Musiciennes et chanteuses. Elles mêlent lyrisme, rock et poésie antique. Fin février, Les Bacchantes étaient en résidence à L’Antipode, après la sortie de leur premier album. Rencontre. 

La claque dans la gueule ! La puissance ! On ne s’y attendait pas à ce point-là. L’écoute de l’album nous avait percuté. Le live nous a bouleversé. Le temps de quelques chansons, c’est un changement de dimension qui s’opère dans notre imagination, direction l’univers Bacchantes. Les premiers souffles, les premières notes, les premiers frissons.

Autour du quatuor, pousse la végétation et grimpe le lierre, transformant le plateau de l’Antipode en scène florale et organique. Alliant leurs voix et leurs instruments dans des expressions singulières et des rythmiques vibrant à l’intérieur de nos entrailles, Amélie Grosselin, à la guitare électrique, Astrid Radigue à la batterie, Claire Grupallo et Faustine Seilman aux claviers et harmoniums indiens, invoquent les éléments et convoquent l’intime et le profond qu’elles déchainent intensément et en pleine maitrise.

Nous, en revanche, on ne maitrise plus rien, on se laisse porter par leurs propositions qui nous transpercent le corps et l’esprit, ne répondant alors plus de rien, si ce n’est de tous ces mouvements mélodieux et émotionnels qui s’entrecroisent et nous guident dans une forme de lâcher prise transcendantale.

PLANTER LE DÉCOR

La nature et l’ivresse, ça leur va bien à ces quatre artistes réunies par ce projet il y a maintenant 5 ans. Elles viennent d’horizons musicaux différents : l’une noise, l’autre plutôt pop et puis les deux autres qui naviguent entre la folk et les musiques classiques. Rassemblées sous la bannière des musiques indés, elles fréquentent les mêmes salles du vaste réseau des musiques alternatives et pourtant, elles ne se connaissent pas toutes.

Elles se rencontrent grâce à Faustine Seilman qui lance l’idée de fonder un groupe ensemble. « Un groupe de drone ! C’est comme ça que je leur ai présenté ! », rigole-t-elle. Ce ne sera pas aussi minimaliste finalement mais le côté expérimental sera bel et bien présent.

« En fait, on a commencé par tester des choses qu’on n’avait jamais testées et on a monté un instrumentarium. », poursuit Faustine. Être entre musiciennes, elle le dit, lui permet davantage d’oser essayer, de se tromper et d’avouer certaines déficiences techniques.

Pareil pour Amélie Grosselin, qui parle aussi d’un gain de confiance en elle, et pour Astrid Radigue, qui constate une écoute différente, où l’égo prend moins le pas sur la création et le temps accordé à se comprendre et évoluer ensemble. Claire Grupallo ne partage pas ces ressentis.

Elles sont quatre artistes, « sans rapport hiérarchique ou de séduction », conclut Astrid sur ce point. Et Claire d’ajouter : « On ne s’est pas niées dans nos différences. On les a mises ensemble. »

DES SINGULARITÉS FLEURISSENT LES HARMONIES

Dans Bacchantes, elles partagent leur amour de la mélodie et de l’harmonie et ici, elles expérimentent librement un instrument majeur dans cette formation : la voix. Ce qui capte l’attention dans les chansons de leur premier album éponyme, sorti le 5 février dernier, c’est cette alliance dont la force s’exprime dans le fait de les sentir si connectées tout en conservant leur singularité et leur liberté d’être autonomes.

« On y met chacune quelque chose de personnel. On communie dans la musique. Les textes que l’on chante sont encore très actuels et on y met peut-être encore plus aujourd’hui, après les confinements. », souligne Faustine Seilman. Les textes sont issus de lectures, de poésies antiques et baroques notamment, et ont été sélectionnés selon leur musicalité, leurs rythmiques et leurs thématiques.

De cette ambiance solennelle et viscérale, elles chantent l’amour, la liberté et le rapport à l’environnement. Rien n’est immuable chez les prêtresses Bacchantes. Les synergies qui se dégagent de leurs postures scéniques et des regards complices et profonds qu’elles s’échangent virevoltent dans une danse frénétique s’alliant aux énergies de leurs chants lyriques et harmonieux accompagnés de sonorités percutantes et rugueuses d’un rock qui étreint la noirceur du répertoire romantique.

LA CULTURE DU TEMPS

De leurs expérimentations sont nées des chansons brutes et sensibles. De l’insurrection aux invocations, il n’y a pas de place pour les concessions. Elles portent là, sur une scène conventionnée comme dans une abbaye ou une forêt, ce qu’elles sont, mettant au service du collectif leurs individualités.

Un vent de liberté tourbillonne à leurs côtés, elles s’emparent des mots et interprètent avec authenticité le sens qu’elles veulent leur donner, laissant la possibilité à chacun-e de se les approprier. « C’est la beauté de la poésie ! », s’enthousiasme Amélie Grosselin, indiquant que chaque morceau a évolué au fil des concerts.

« On voulait que les morceaux aient vécu en live, devant le public, avant de les enregistrer. Ça a mis du temps mais ça nous va. », précise Astrid Radigue, rejointe par Claire Grupallo : « On a commencé puis on a été deux à faire une pause maternité, et puis on habite hyper loin, donc tout ça explique qu’on se réunit en gros une semaine tous les deux mois. Dans la lenteur, on a le temps de se nourrir de choses diverses. Ça alimente notre musique. »

Elles affirment leur envie et besoin de prendre le temps, comme le signale Faustine Seilman : « C’est notre rythme et ça nous convient. La musique prend de la place et c’est bien aussi dans ce monde de prendre le temps. On vit toutes à la campagne, on apprécie et on partage ce rythme plus lent. »

Bacchantes, ce n’est pas une promesse, c’est une découverte libératrice, un souffle de fraicheur qui envahit nos entrailles et nous sommes de nous laisser happer. Et on le fait. Parce qu’on y trouve là un espace pour exprimer colère, rage, désespoir mais aussi joie, apaisement et engagement. On communie avec elles et c’est d’une beauté inouïe.