Célian Ramis

Tonie Marshall contre le sexisme des hautes sphères du CAC 40

Posts section: 
Location: 
Cinéma Gaumont Rennes
List image: 
Summary: 
La réalisatrice dénonce la misogynie ordinaire et violente de ce secteur dans son nouveau film, Numéro Une, présenté en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, le 22 septembre dernier.
Text: 

Lorsque Tonie Marshall a initié son enquête sur les enjeux de pouvoir qui régissent les coulisses du CAC 40, aucune femme ne figurait au sommet des grandes entreprises françaises cotées à la bourse de Paris. Depuis 2016, Isabelle Kocher a pris la tête d'Engie et ouvert la voie, qui - malgré la loi Copé-Zimmermann imposant la quota de 40% de femmes au sein des conseils d'administration - reste encore très majoritairement réservée aux hommes. La réalisatrice s’empare du sujet et dénonce la misogynie ordinaire et violente de ce secteur dans son nouveau film, Numéro Une, présenté en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, le 22 septembre dernier.

« Une femme sort de la même école qu’un homme. Ils entrent dans une entreprise, au même poste. Le président aime beaucoup la femme, pour ses compétences, et décide de lui donner tous les dossiers durs en lui expliquant que c’est parce qu’elle est parfaitement capable. Elle, quand elle me l’a raconté, elle parlait de dossiers « pourris ». Parce que forcément, ça prend du temps, elle met plus de temps à traiter les dossiers. Pendant ce temps-là, les autres avancent. Au moment de donner une promotion, devinez quoi ? C’est l’homme qui l’a eue. »

Pour son nouveau film, intitulé Numéro Une, la réalisatrice Tonie Marshall a enquêté plusieurs années durant sur la quête du pouvoir au sein de l’industrie française. Sous l’angle des femmes, minoritaires dans les rangs de la haute hiérarchie et des comités exécutifs.

Elle choisit alors de raconter « l’histoire d’une femme qui se bagarre pour aller au sommet de quelque chose. » Ce quelque chose, c’est la présidence d’une boite du CAC 40, où elle deviendrait alors la première femme à y accéder.

Emmanuelle – interprétée avec finesse et talent par Emmanuelle Devos - est une ingénieure brillante, qui a gravi les échelons jusqu’au comex d’une grande entreprise d’énergie française. Jusqu’à ce qu’elle soit repérée par un réseau de femmes influentes. Alors que le patron – joué également avec les mêmes qualités par Richard Berry - d’une société cotée en bourse prépare sa succession, elle se voit proposer d’être la candidate des féministes pour briguer le poste de PDG.

De ses rencontres avec des dirigeantes d’entreprise (à l’instar d’Anne Lauvergeon, ex-dirigeante d’Areva), des membres du Medef ou du Women’s Forum de Deauville et de sa collaboration avec la journaliste politique Raphaëlle Bacqué (Le Monde), Tonie Marshall en fait un film tendu, réaliste et juste, axé sur la « misogynie bienveillante » d’un secteur de costards-cravates, prêts à tous les coups bas pour emporter la bataille.

« Dans ces hommes, je ne vois pas des salauds. Mais il y a une misogynie frontale lorsqu’il s’agit de défendre le pré carré du pouvoir. Ce n’est pas envisageable pour eux de laisser la place à une femme ! Mais je pense qu’ils réagissent de la même manière entre hommes. Par contre, vis-à-vis d’une femme, ça prend forcément une tournure sexiste. »
explique la réalisatrice.

Et pour démontrer cette réalité, elle utilise l’esthétique grisonnante des tours de la Défense, la noirceur des costumes et la grisaille d’un milieu sclérosé par l’avidité du pouvoir. La guerre entre les « puissants » et le réseau féministe s’engage rapidement, faisant prendre conscience à Emmanuelle l’enjeu qui se joue sous ses yeux.

Elle qui a longtemps cherché à ne pas se faire remarquer des hommes en tant que femme comprend vite que les barrières auxquelles elle se confronte sont celles d’une société patriarcale, régie par la « misogynie bienveillante, ordinaire, presque inconsciente ». Guidée par ses convictions professionnelles et son envie de faire bouger les lignes, elle va livrer un bras de fer fort et poignant.

Sans surprise, le parcours est semé d’embuches et la tension s’instaure au fur et à mesure. La réalisatrice, qui tient à être au plus proche de la réalité, dépeint alors un portrait humain, celui d’une femme qui mène sa carrière avec ferveur et aisance et qui en parallèle se heurte à des blessures personnelles de son enfance, et un thriller psychologique qui souligne la complexité de la bataille du pouvoir.

À propos de la place des femmes, Tonie Marshall déclare : « La société n’évolue pas comme elle devrait. Quand j’étais plus jeune, on voyait bien les inégalités mais on pensait que ça allait changer, que ça irait. Je suis convaincue que s’il y avait une arrivée massive des femmes au pouvoir, certes ça prendrait du temps mais les modes de gouvernance changeraient, on irait vers une réorganisation des temps des un-e-s et des autres. »

Elle veut offrir un regard juste. Ne pas taper sur les hommes, simplement pour taper sur les hommes. Ne pas glorifier les femmes pour glorifier les femmes. Mais elle souhaite pointer et dénoncer la misogynie et la violence qui en découle dans certains secteurs. Au sommet de l’industrie en particulier.

Et quand on lui demande si elle voit là un parallèle avec le milieu du 7e art, elle réfute. Pourtant, elle est encore aujourd’hui la seule femme à avoir reçu le César du meilleur réalisateur - notons l’ironie de l’intitulé – pour Vénus beauté (institut). « Je n’ai pas entendu dire qu’une femme réalisatrice obtenait moins de financement qu’un homme. Quand il y a des difficultés pour monter un film, généralement ce sont les mêmes pour les hommes et les femmes. », justifie-t-elle.

Néanmoins, les actrices sont de plus en plus nombreuses à dénoncer les inégalités en terme de qualité de rôle – surtout lorsqu’elles atteignent 40-45 ans – dans le cinéma français (et au-delà, avec notamment les discours très médiatisés de Meryl Streep ou Patricia Arquette concernant l’égalité salariale, par exemple). « En tout cas, je pense que c’est moins violent dans ce domaine. Dans l’industrie, avec les jeux de pouvoir, c’est vraiment très dur ! », précise Tonie Marshall.

Elle poursuit :

« À chaque fois qu’il y a une crise avec des replis sur la morale, l’identité, la religion, etc., on chercher à remettre les femmes à leur place… Je ne veux pas me cantonner à une féminitude qui m’énerve mais les barrières sont difficiles à casser. »

Au fil de ses entretiens, elle note des similitudes entre les femmes, notamment dans les stratégies d’évitement. La plupart n’ose pas la couleur sur le lieu de travail et préfère opter pour des costumes gris, sobres. Histoire de ne pas se faire remarquer et attiser les remarques désobligeantes.

« Par contre, elles disent que lors des comex par exemple, là elles vont mettre des talons hauts de 12 cm, pour qu’on voit qu’elles sont là. On sent bien que la lutte est importante. Quand une femme se retrouve être la seule femme face à 70 personnes, la violence n’est pas tenable. Il y a une culture dans ce milieu qui pousse à l’isolation des profils féminins et qui les conduit soit dans la justification, soit dans la violence. », développe la réalisatrice.

Elle a alors à cœur de faire passer un message aux jeunes femmes particulièrement mais plus largement à toute la gent féminine. Celui d’oser. Oser franchir les étapes, oser s’affirmer et oser s’affranchir des codes de genre. Parce qu’il n’y a pas de profil type, fait pour la réussite. Mais qu’une femme interviewée a fini par lui livrer la clé :

« Moi, je tournais un pot autour du pot et elle m’a dit : « Il ne faut jamais se dire que l’on est pas capable mais il faut se demander ce que l’on veut. » Ce qu’elles ont en commun toutes ces femmes rencontrées qui ont eu et ont toujours des grandes carrières, à la tête de grandes entreprises ou instances, c’est le désir, l’envie. Le désir et l’envie de faire, d’agir, de réussir, de gagner. »

Au cinéma le 11 octobre.

Célian Ramis

Emmanuelle Bercot, re-lanceuse d'alerte contre le Mediator

Posts section: 
Location: 
Cinéma Gaumont Rennes
List image: 
Summary: 
La réalisatrice Emmanuelle Bercot frappe à nouveau et frappe fort. Son nouveau film, La fille de Brest, au cinéma dès le 23 novembre, revient sur la lutte acharnée d'Irène Frachon et son équipe contre le laboratoire Servier, créateur du Mediator.
Text: 

La pneumologue du CHU de Brest, Irène Frachon, a initié en 2009 un combat acharné contre le laboratoire Servier, fabricant du Mediator, médicament dont l’autorisation de mise en vente sur le marché a été suspendue en raison de sa toxicité. Elle est aujourd’hui La fille de Brest, incarnée par Sidse Babett Knudsen, dans le nouveau long-métrage d’Emmanuelle Bercot, présente le 15 novembre dernier au cinéma Gaumont de Rennes lors de l’avant-première.

Son dernier film en tant que réalisatrice a été un succès. Sorti en 2015, La tête haute a ouvert la 68e édition du festival de Cannes l’an dernier, a fait remporté des César à Rod Paradot et Benoit Magimel et a été fortement salué par la critique.

La même année, Emmanuelle Bercot s’es imposé également dans le cinéma français comme une actrice talentueuse et a reçu le prix d’interprétation à Cannes pour le rôle de Tony dans Mon roi, de Maïwenn.

Elle a été découverte sur le tard mais aujourd’hui elle crève l’écran, qu’elle soit devant ou derrière la caméra. Et La fille de Brest ne fait pas exception dans la carrière de l’actrice-réalisatrice. Ce film, elle y a consacré 4 ans de sa vie, à la suite de sa rencontre avec la pneumologue Irène Frachon, début 2011.

« En tant que citoyenne, en lisant son livre, j’ai trouvé ça effarant. Mais ça ne me suffisait pas. C’est la rencontre avec elle qui a été le déclic. Je m’attendais à une femme austère et en fait c’est une femme haute en couleurs, flamboyante, un clown ! Il y a un véritable contraste entre ce qu’elle a accompli et son caractère. J’ai eu envie de faire le portrait de cette femme. », explique Emmanuelle Bercot.

UNE ENQUÊTE SANITAIRE

Elle se lance alors dans l’élaboration d’un film de genre, le thriller. À travers le combat d’Irène Frachon, elle retrace le bras de fer trépidant entre la pneumologue, son équipe et ses soutiens, et le laboratoire Servier et l’agence du médicament, l’Afssaps. « Elle est la fille de Brest, c’est comme ça j’imagine qu’ils devaient l’appeler de manière méprisante », souligne la réalisatrice. Les Parisiens contre les Provinciaux du fin fond du Finistère.

En terre inconnue dans le thriller, elle apprend et intègre les codes du genre « à l’instinct ». Le rythme est tendu, la musique accentue la dramaturgie, humour et suspens s’entrecroisent et s’alternent et la caméra nous plonge au plus proche de la protagoniste, nous emportant simultanément dans le tourbillon de cette lutte acharnée.

Inspirée par Erin Brockovich, seule contre tous, de Steven Soderbergh – film tiré d’un fait réel – et Révélations, de Michael Mann, Emmanuelle Bercot se lance rigoureusement dans l’adaptation de l’enquête sanitaire révélée en détail dans le livre Mediator 150 mg – Combien de morts ? (par un référé en justice établi par le laboratoire contre les éditions Dialogues, le sous-titre sera pendant un temps censuré).

UNE ADAPTATION FIDÈLE

Pour le tournage, l’équipe s’est installée dans tous les lieux investis par l’histoire (CHU de Brest, Agence du médicament,…) et a travaillé au coude à coude avec les personnes ayant vécu cette affaire :

« Le médical, le technique, le scientifique : tout est vrai. Bien sûr, on a procédé à une simplification des discours car l’objectif n’est pas de sommer les gens de détails techniques. Mais l’ambiance relatée est celle qui a eu lieu. »

La réalisatrice est claire, l’adaptation est fidèle au livre. Seulement, la fiction doit se différencier du documentaire. Elle a donc romancé certaines scènes et avoue avoir pris une grande liberté sur le personnage d’Antoine, interprété par Benoit Magimel.

« Il existe mais le vrai n’a jamais baissé les bras et n’a jamais eu peur. Pour les besoins du thriller, pour tendre le film, je l’ai modifié et j’ai joué sur le lien entre les deux et leur ambigüité qui n’a jamais été présente dans la réalité. », explique Emmanuelle Bercot.

FAMILIER ET UNIVERSEL

Autre point qui diffère : Irène Frachon n’est pas danoise comme Sidse Babett Knudsen. Mais la cinéaste ne voit aucune actrice française avec le profil correspondant à la pneumologue. C’est Catherine Deneuve qui lui conseille de s’orienter vers l’actrice de Borgen :

« Je ne connaissais pas la série, je ne regarde pas de série de manière générale. Mais quand je l’ai vu, c’était une évidence que ça devait être elle. J’ai demandé l’accord à Irène et en fait c’est une grande fan de la série et elle ne pouvait pas rêver mieux. Et puis ce qui compte c’est le personnage et qu’elle ait un accent universalise le film. »

Car au-delà de la bataille du Mediator, c’est une plongée au cœur du système de santé qu’elle propose dans son nouveau long-métrage. Un univers qui lui est familier. Elle développe cet aspect dans le numéro 72 de Causette, paru en novembre 2016 :

« D’abord, mon père, aujourd’hui décédé, était chirurgien cardiaque ; or, il est précisément question de maladie cardiaque dans l’affaire du Mediator (l’autorisation de la mise en vente sur le marché a été suspendue par l’Agence du médicament en raison de sa toxicité avec risque avéré de vulvopathies susceptibles d’entrainer la mort, ce qui a d’ailleurs été le cas en France, ndlr). Mais surtout, il était très remonté contre l’industrie pharmaceutique et ses lobbies. On en parlait souvent chez nous. C’est pour ça que je lui dédie ce film : c’était un homme d’une grande intégrité, très à cheval sur la déontologie ; des valeurs que j’ai retrouvées chez le Dr Irène Frachon. »

UN ENGAGEMENT PUISSANT

Cette occasion, d’approcher et de montrer le monde médical, elle s’en saisit rigoureusement. Et pour soutenir la cause défendue par la pneumologue et ses collègues, la réalisatrice prend le parti de mettre à l’écran des scènes dures de chirurgie et d’autopsie. Pour que l’impact soit conséquent. Et que nul spectateur-trice ne puisse ignorer les conséquences de ce médicament antidiabétique utilisé en coupe faim sur des millions de personnes, « au prix de la vie ».

Social et engagé, le film met en lumière le mépris des laboratoires pharmaceutiques face aux conséquences, aussi avérées soient-elles, de leurs produits. Et la condescendance dont le laboratoire Servier a fait preuve face à cette équipe brestoise. Une attitude irrespectueuse qui a certainement créer l’engouement des bretons pour cette affaire, selon Emmanuelle Bercot :

« Ce n’est pas que l’histoire d’Irène, c’est aussi une histoire collective et humaine. En traitant cette équipe un peu comme des bouseux, ça a réveillé les bretons purs et durs. Et ils ont eu envie de prouver aux Parisiens qu’ils pouvaient les faire flancher et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait. »

RÉVEIL DES CONSCIENCES

Irène Frachon est une lanceuse d’alerte. Et la réalisatrice s’affiche en re-lanceuse d’alerte. Car 7 ans plus tard, ce n’est pas terminé et la pneumologue poursuit son combat, en attente du procès pénal. Le film est donc une opportunité de garder en mémoire les dangers du Mediator, de rendre hommage aux victimes et de remobiliser l’opinion publique, dans l’espoir que les choses bougent.

« Son moteur, c’est les victimes. Quand elle en parle, aujourd’hui encore elle a les larmes aux yeux et a de la colère. Pour elle, c’est 2000 morts, c’est un crime ! En France, les attentats font moins de morts et pour elle c’est inacceptable que l’on en parle plus que de ça ! », milite la réalisatrice.

Avec le talent qu’on lui connaît et qu’on lui reconnaît désormais quasiment les yeux fermés, Emmanuelle Bercot présente une œuvre utile au réveil des consciences. Un hommage aux lanceurs/lanceuses d’alerte et à celles et ceux qui se battent pour des lendemains meilleurs, pour des conditions de vie dignes et respectables. Elle en parle avec assurance, les pieds ancrés dans le sol, le corps droit et le regard assuré. Et surtout avec admiration.

Elle le dit, les femmes ont toujours été au centre de son cinéma car elles l’inspirent. Et a à cœur de montrer leur force dans leur beauté, leur âge, leur diversité. Mais elle clarifie un point en guise de conclusion :

« Irène, c’est une femme exceptionnelle. Mais il y a aussi des femmes nulles et des hommes exceptionnels et des hommes nuls. S’il y a eu un si grand retentissement dans cette affaire c’est en partie parce que c’est une femme. Les gens ont eu conscience de ce qu’elle avait vécu et ça a touché les gens car elle est femme, mère, médecin, elle avait autre chose à faire que ce combat qui lui a donné une dimension supplémentaire. Mais qu’elle soit une femme ne change pas la valeur de son combat. »

Au cinéma le 23 novembre 2016.

Célian Ramis

Plongée dans l'enfermement psychologique des taulardes

Posts section: 
Location: 
Cinéma Gaumont Rennes
List image: 
Summary: 
Audrey Estrougo et une partie de l’équipe étaient à Rennes pour présenter La taularde, film tourné dans l’ancienne prison pour hommes Jacques Cartier.
Text: 

Deux jours avant la sortie sur les écrans (14 septembre) de son nouveau long-métrage, Audrey Estrougo et une partie de l’équipe étaient présentes au cinéma Gaumont de Rennes pour l’avant-première de La taularde, film tourné dans l’ancienne prison pour hommes Jacques Cartier.

En avril 2013, la prison Jacques Cartier - déjà vidée de ses détenus transférés alors à Vezin le Coquet - ouvrait ses portes aux Rennais-es à l’occasion d’une soirée Dazibao (lire notre article). Quelques années plus tard, l’ancien centre pénitentiaire reprend vie pour les besoins du tournage de La Taularde, nouveau film de la réalisatrice Audrey Estrougo (Une histoire banale, Toi, moi et les autres).

« C’était très surprenant d’entrer pour la première fois dans la prison Jacques Cartier, qui est un lieu très froid et pourtant très vivant alors qu’il est désaffecté. Il y avait une sorte d’omniprésence des anciens détenus, des textes sont encore écrits sur les murs. J’avoue que j’ai eu peur au début, car c’est très oppressant. Il n’y a pas de lumière naturelle. », se souvient Eye Haïdira.

EFFET D’ASPHYXIE 

Elle est la co-détenue de Mathilde Leroy (Sophie Marceau), professeure de lettres, qui par amour fait évader son mari de prison et se retrouve incarcérée « à sa place ». Rapidement, elle va devoir apprendre les codes de la vie en détention. Quasiment coupée du monde extérieur – seul son fils (Benjamin Siksou) vient lui rendre visite / elle est sans nouvelle de son mari en cavale – elle désespère d’une quelconque amélioration de sa condition.

La réalisatrice prend soin de film l’enfermement physique et mental. Jusqu’à l’ulcération pour les claustrophobes. L’effet d’asphyxie est recherché et volontaire. Audrey Estrougo opère une plongée radicale dans la prison dès la première scène. « Quand on met en scène son personnage principal, on met aussi en scène le spectateur. », précise-t-elle.

Et elle ne laisse rien au hasard. Car l’univers carcéral, elle le connaît, il est son point de départ vers l’imagination de La taularde, et non l’inverse. Pendant un an et demi, elle a donné des ateliers d’écriture aux hommes et aux femmes de la maison d’arrêt de Fleury Merogis. De sa première visite chez les femmes, elle raconte : « Je n’avais aucun repère car nous avons une image biaisée du monde carcéral côté femmes. Les films sont beaucoup orientés vers les hommes en détention. »

UN TABLEAU (QUASI) RÉEL ET RÉALISTE

Le postulat de départ, une femme prenant la place de son mari en prison, elle le tire d’une détenue rencontrée lors des ateliers. « Elle a fait évader son mari de prison. Ensuite, tout diverge, on est dans une fiction. C’est simplement le point de départ du thriller. », souligne Audrey Estrougo. Des anecdotes racontées, des bruits et ambiances sonores entendus et perçus, des situations vues, elle puise au maximum pour dresser ici un tableau très réaliste de cet univers si fantasmé et si méconnu dans sa réalité profonde.

Ainsi, elle a baigné son équipe dans ce milieu, exigeant beaucoup de travail en amont et en groupe. « On a travaillé sur des impros pour construire l’esprit du groupe avant de le filmer. Puis on a chacun-e fait un travail perso. Moi, j’ai vaqué à mon imagination, j’ai regardé des vidéos sur YouTube, des documentaires que nous a conseillé Audrey, des reportages, etc. Et j’ai gardé ce qui avait du sens pour moi, ce qui résonnait. Ça pouvait être des phrases, des manières de parler mais aussi une couleur, un bruit, un sentiment. », livre Eye Haïdira, dont le jeu est irréprochable.

La composition des rôles n’est pas évidente pour ce film, basé et inspiré d’une multitude de faits réels. Les comédiennes ont alors pu rencontrer des détenues de la prison des femmes de Rennes, échanger avec elles, les retrouver sur le tournage pour certaines, discuter avec des figurant-e-s rennais-es « passé-e-s par la case détenu-e-s ou personnes proches d’un-e détenu-e. »

« Les toilettes qui débordent, le papier toilette en rupture de stock, le personnage vengeur d’infanticide, etc. Tout ça, c’est vrai. Les bruits sont vrais, ils ont été captés en prison. Le son en prison, c’est très particulier. Ce qui a été scénarisé, c’est le rapport à la psychologie. », dévoile la réalisatrice.

DÉNONCER UN SYSTÈME SCLÉROSÉ

Si dès le départ l’atmosphère est oppressante, la tension augmente au fil de l’histoire. Les situations se croisent autour de la protagoniste et révèlent de nombreuses difficultés inhérentes à la détention. Pas seulement pour les personnes incarcérées.

Mais aussi pour les surveillantes, qui résident dans l’enceinte de la prison. « Elles font les 2/8, elles sont corvéables à merci et restent tout le temps sur leur lieu d’affectation », rappelle Audrey Estrougo. Pour Marie-Sonha Condé, qui interprète la surveillante en chef, la rencontre avec des professionnel-le-s a été bouleversante :

« C’est très complexe. J’avais fait quelques dates avec Audrey sur les ateliers, j’ai visité quelqu’un en prison et là c’est encore une autre vision. Ici, j’ai dû me battre contre mon propre préjugé, je me disais « faut être con pour être surveillant de prison. » Vraiment. Et finalement, j’ai voulu rendre justice à ces femmes qui sont aussi des taulardes. L’administration leur donne quasiment rien mais leur demande de faire des miracles. Elles ne sont pas sans cœur mais ne peuvent pas être dans l’empathie totale, surtout la cheffe, faut qu’elle fasse tenir le bordel. Et le poids de l’uniforme les enferme. Tout est très complexe. »

La taularde ne se réduit pas simplement à une histoire d’amour et de sacrifice. Mais pourrait être un prétexte pour romancer la vie en détention et les conséquences d’un enfermement misérable. C’est ce que dénonce la réalisatrice dans son propos, placé entre les lignes.

« On enferme les gens, on les détruit puis on les relâche. Qu’est-ce qu’on fait toute la journée ? Rien. C’est un appauvrissement. On pourrait élever la pensée… Mais finalement on est le produit d’un système. On voit en prison tout ce qui ne va pas dans la société. Les détenu-e-s sont les fruits de failles sociétales. », lâche-t-elle.

Selon elle, la réflexion ne serait pas prise par le bon bout, par lâcheté et manque de convictions, et n’agirait pas pour une amélioration des conditions de vie en dehors des prisons. Elle évoque un état démissionnaire, un état qui « a abandonné ses citoyens ». Et le montre à travers cette micro-société au cadre rigide et froid et aux fondations pourtant balbutiantes et fragiles dans lesquelles s’immiscent colère, révolte, repentir et odeur de mort.

BRÈVES RESPIRATIONS…

Des instants d’aération rythment les scènes à haute tension, avec un pont vers l’extérieur en la figure du fils de Mathilde. Malgré une relation que l’on sent conflictuelle et un jeune homme qui ne comprend pas l’acte de sa mère, les deux personnages vont se retrouver subtilement.

« On a travaillé ça ensemble avec Sophie (Marceau, ndlr) aux répétitions : uniquement la relation mère / fils. Cette mère, elle n’est pas contre son fils et il le sait. Mais ils vont se redécouvrir et se récupérer. Moi, je devais travailler sur comment le fils appréhende pour la première fois sa mère comme une femme. », explique Benjamin Siksou, un des rares rôles masculins du long-métrage.

Ainsi, la réalisatrice parsème ça et là de brèves respirations – pas uniquement dans les scènes de parloir mère/fils – mais tient à la plongée suffocante dans le milieu carcéral et la symbolique de l’enfermement qu’il soit physique ou moral. Le décor est brillamment campé, l’univers réaliste et les actrices-teurs talentueux.

Toutefois, l’atmosphère anxiogène et asphyxiante prend le pas sur l’histoire, rendant les spectateurs-trices susceptibles de se désintéresser de la fiction pour s’évader des murs de Jacques Cartier et oublier que l’intrigue est moins léchée que le contexte. Un peu décevant, surtout lorsque l’on sait à quel point la réalisatrice avait maitrisé l’art de frapper et bouleverser les esprits avec Une histoire banale, abordant sans détour ni tabou le viol d’une jeune femme à son domicile ainsi que les conséquences psychologiques et physiques qui s’en suivent.

Célian Ramis

Divines, les femmes du XXIe siècle ont du clitoris !

Posts section: 
Location: 
Cinéma Gaumont Rennes
List image: 
Summary: 
À partir du 31 août, le grand public peut découvrir Divines, l'oeuvre résolument explosive de la réalisatrice Houda Benyamina, révélée lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
Text: 

À partir du 31 août, le grand public peut découvrir l'oeuvre résolument explosive de la réalisatrice Houda Benyamina, révélée lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Présente au cinéma Gaumont de Rennes le 18 juillet dernier, pour l’avant-première de Divines, son premier long-métrage, elle était accompagnée des trois actrices principales du film, Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena et Jisca Kalvanda.

Elle a frappé fort, Houda Benyamina, au moment du festival de Cannes. Repérée lors de la Quinzaine, elle s’est vue décerner pour son premier long-métrage la Caméra d’Or. Et a été révélée au grand public grâce à son discours viscéral et sans langue de bois marquant ainsi les esprits de par sa manière d’inciter à avoir du clito.

« Bientôt, j’en suis sûre, cette phrase (« T’as du clito », citation du film, ndlr) sera connue à l’international ! », glisse-t-elle, de passage à Rennes. Elle croit au pouvoir des petites choses qui font bouger les grandes. Si les petites filles ont conscience dès le plus jeune âge que le monde n’est pas qu’une affaire de couilles mais aussi de clitoris, la société évoluera différemment.

LA REVENDICATION D’UN FILM HUMANISTE

Elle croit en la responsabilité collective et la responsabilité individuelle, la prise de conscience. Éprise de liberté, elle joue des codes aussi bien cinématographiques que sexués. Elle ne croit pas qu’en le féminisme, mais globalement en l’humanisme.

Et c’est un film humaniste qu’elle revendique aujourd’hui. Ni un film de femmes, ni un film de banlieue, elle le présente comme un constat. « Ce n’est pas énième film de banlieue. Et même si ça l’était… Ça ne dérange personne quand un réalisateur fait un énième film parisien ! Divines est nouveau dans son ADN. Je suis une femme et je parle de ce que je connais. Et de là où je viens, les femmes sont comme ça. », lâche-t-elle d’entrée de jeu.

Houda Benyamina présente sa réalité et ses fascinations. « Française de confession musulmane, d’origine marocaine, virée du bahut qui s’est orientée vers un CAP coiffure avant de reprendre des études en arts du spectacle, d’intégrer l’ERAC (école de formation au métiers d’acteurs, ndlr) à Cannes », elle est multiple et marche loin des sentiers battus et des images stéréotypées que l’on voudrait lui coller.  

Elle parsème des bouts d’elle-même, et de son co-scénariste, dans l’ensemble de son film, bâti sur plusieurs années de galère, et ses traits de caractère dans tous les personnages. Entrecroise du Vivaldi à des chants coraniques, de la danse à du trafic de drogues. Un mélange loin d’être antinomique.

Pour la réalisatrice, « l’art incarne une forme de sacré. Vivaldi souligne la confiance et le Coran nous guide vers le chemin de la rectitude. Ce n’est pas un film sur la religion mais il y a le côté spiritualité dans le sens de la recherche de l’intime. Dans la danse, on voit aussi une sorte de prière, il répète tout le temps le même mouvement comme s’il cherchait à se dépasser jusqu’à la perfection. Alors que Dounia, elle, est en combat contre elle-même, elle est déchirée entre toutes ces aspirations, son besoin de reconnaissance. Je m’intéresse beaucoup à la dignité. »

La dignité, la reconnaissance, Dounia (Oulaya Amamra) court après. Sans relâche. Surnommée « la bâtarde », elle vit avec sa mère dans un camp roms bordant l’autoroute. Avec son acolyte Maimouna (Déborah Lukumuena), qui elle réside dans une cité voisine, elles rêvent d’argent, elles rêvent de la grande vie. Et Dounia ne va pas hésiter à se lancer dans un trafic de drogues en rencontrant Rebecca (Jisca Kalvanda), dealeuse charismatique et respectée. En parallèle, la jeune femme s’émerveille secrètement devant Djigui, danseur passionné et perfectionniste.

Pour le rôle de Dounia, Oulaya Amamra va se battre pour convaincre Houda Benyamina, sa grande sœur. « Sur le plateau, elle était très dure avec nous mais encore plus avec elle-même. », souligne la jeune actrice, rejointe par Déborah Lukumuena :

« Elle nous a aidé à nous surpasser et nous a appris l’ambition pour nous-mêmes. »

COLLER À LA RÉALITÉ

Les interprètes, la réalisatrice les a choisies pour les émotions qu’elles dégagent et pour ce dont elles sont capables humainement : « Ce sont de vraies comédiennes, je n’ai pas pris des filles de cité transformées en actrices. Il n’y a que Djigui qui est danseur professionnel et qui a dû apprendre à jouer en même temps. » Les personnages doivent être représentatifs d’eux-mêmes et gommer les frontières des assignations genrées attribuées à chaque sexe.

« Dounia est une ado plutôt dure, renfermée, qui a besoin de reconnaissance et de dignité. Rebecca recherche la reconnaissance et l’argent. Maimouna incarne l’amour absolu, c’est un personnage sacré. Rien là-dedans n’est l’apanage de l’homme. Djigui est gracieux et la grâce n’est pas un attribut féminin. Mes personnages sont des guerrières. Il n’y a pas de masculinité, je ne sais pas ce que ça veut dire. Et je pense qu’il faut redéfinir la femme du XXIe siècle. Redéfinir la féminité. », explique Houda Benyamina.

Redéfinir la féminité. Ouvrir les yeux. Pour voir que les femmes fortes sont partout. Et pouvoir ainsi proposer de justes représentations des êtres humains. Ne plus être obligée de justifier les caractères de ses personnages parce qu’ils sont hommes ou femmes.

« Pour jouer Dounia, j’ai dû opérer une transformation physique. J’étais plutôt délicate à la base…, rigole Oulaya Amamra. Je viens d’un lycée privé, je viens de la banlieue mais mes parents ont toujours évité que je traine dans la rue. C’était donc nouveau pour moi, c’était un vrai travail de composition, entre les films que Houda nous a conseillé de regarder –films de samouraïs, de gangster, Scarface ou Aliens même – et le terrain car je suis allée dormir dans un camp de roms avec Houda. Et tout ça a nourri les personnages, tout ça a fait qu’on est dans une vérité. Mais nous sommes des personnages de cinéma, même s’ils peuvent être proches de la vraie vie. »

Proches de la vraie vie car Rebecca existe réellement et la réalisatrice a souhaité la représenter à sa manière dans son long-métrage. Proches de la vraie vie car Oulaya Amamra et Déborah Lukumuena ont dû passer beaucoup de temps ensemble pour faire naitre la complicité entre les deux amies qui se portent un amour amical inconditionnel. Proches de la vraie vie car les thèmes traités sont ceux d’un quotidien universel. De ceux qui percent l’abcès sans tabous ni complexes. Pour une recherche de réelle liberté.

LE PRIX DE LA LIBERTÉ

Divines, c’est une histoire de quête. Dounia cherche à s’extirper de sa condition sociale, à travers la reconnaissance et l’argent. Poussée par cette vie vécue dans la pauvreté, elle refuse de se résoudre à rester dans cette strate.

« Elle ne peut pas ne pas s’en sortir. Mais elle doit perdre quelque chose pour comprendre, pour sa quête intérieure. Je suis convaincue que la souffrance et les erreurs permettent d’avancer. Personnellement, faut que je tombe pour comprendre. »
précise Houda Benyamina.

Ici, elle pose des questions car « le cinéma est un poseur de questions, tout en étant dans l’émotion, car le verbe, seul, peut mentir. ». Ici, elle interroge les valeurs de la jeunesse d’aujourd’hui, mise face à la dictature du capitalisme, sans en faire une critique acerbe. Simplement un constat, sans juger que l’argent est un problème en soi. Ici, elle aborde le fait d’aimer et d’être aimé-e. Ce que n’a jamais appris Dounia et qu’elle découvre.

Et aborde également la question du libre arbitre, de la responsabilité de nos actes, de la colère. La colère profonde, néfaste, dangereuse. Qui vient des entrailles et bouffe tout le reste autour.

La réalisatrice l’affirme, la colère est un sentiment mauvais et convoque Pythagore pour le confirmer : « ‘’Aucun Homme n’est libre s’il ne sait pas se contrôler’’. Dounia ne sait pas maitriser ses émotions. Comme tout le monde, elle a besoin d’apprendre de ses erreurs. On perd et on gagne. Pour moi, ça doit passer dans le corps, dans l’action. Moi, ma colère est dans mon art.»

L’heure de la révolte devrait sonner dans son prochain opus, qu’elle évoque à demi-mots lors de son passage dans la capitale bretonne.

« Lors de la Révolution française, les armes ont été prises par les pauvres. Je suis fière d’être française car on ne supporte pas l’état d’humiliation. Comment on transforme la colère en révolte ? Ce sera certainement le sujet du prochain film. Comme Pasolini, je n’invente rien, je suis simplement témoin de mon époque. Dounia est en colère, pas encore en révolte, elle n’a pas encore le verbe. La colère et l’humiliation vont nous mener à notre perte. Je n’ai pas l’impression que l’on avance à notre époque. Au contraire, on régresse. La misère est grandissante. C’est une question de responsabilité collective et individuelle. »

Son action à elle, au-delà du constat réaliste délivré dans son premier long-métrage aussi puissant que lyrique, passe par la création et la pérennité de l’association 1000 visages, fondée en 2006 avec son ami Eiji Ieno à Paris. Une structure qui permet l’accessibilité à la culture et à l’éducation à l’image pour un public qui en est éloigné.

Pénétrant dans les quartiers défavorisés, 1000 visages souhaite insuffler une nouvelle dynamique dans le secteur culturel et audiovisuel et ainsi témoigner de la réelle diversité qui nourrit la richesse de la France, pour une plus juste représentation de la société devant ou derrière la caméra.

« Pour construire une estime de moi-même, j’ai eu quelqu’un sur mon chemin pour ça. C’est pour ça que l’association 1000 visages est importante pour moi. », précise Houda Benyamina. Pas étonnant que les 3 actrices principales en soient membres et manifestent la volonté de s’investir pleinement dans cette dynamique. C’est de là qu’elles puisent leurs réseaux, formations et agents.

Un tremplin pour la suite puisque Oulaya Amamra est admise au Conservatoire. De leur côté, Jisca Kalvanda (que l’on pourra découvrir et apprécier dans le court-métrage de la réalisatrice rennaise Lauriane Lagarde, A l’horizon, lire YEGG#49 – Juillet/Août 2016, rubrique Culture) et Déborah Lukumuena intègrent des formations au Théâtre de la Colline à Paris ainsi qu’au Théâtre National de Strasbourg.

Célian Ramis

Musulmanes : Femmes à part entière

Posts section: 
Location: 
Cinéma Arvor, Rennes
List image: 
Summary: 
Lauriane Lagarde dévoile son documentaire À part entière, le 7 novembre au cinéma Arvor de Rennes, sur les femmes musulmanes de Rennes qu'elle a suivi plusieurs années.
Text: 

Pendant plusieurs années, la réalisatrice Lauriane Lagarde a suivi les membres de l’association de femmes musulmanes de Rennes, Al Houda, et de cette immersion elle en délivre un documentaire intitulé À part entière, projeté en avant-première dans la capitale bretonne le 7 novembre, au cinéma Arvor.

Source de clivages et d’amalgames, le sujet n’est pas nouveau. Il intrigue les médias, agite l’opinion publique et fait régulièrement, depuis plusieurs années, l’objet de documentaires diffusés sur Internet ou sur les chaines télé comme LCP, Arte ou encore France 3.

Je porte le voile, de Natasha Ivisic, Ce que dévoile le voile de Négar Zoka, Il y a des femmes sous le niqab de Agnès de Féo, Sous le signe du voile de Hilka Sinning ou encore Femmes françaises et voilées n’en sont que des exemples parmi d’autres et tendent ouvrir le débat, à faire entendre les voix des concernées mais aussi à faire la lumière sur les différences entre les voiles.

Dans un contexte de crise identitaire, le sujet est, semble-til, toujours aussi délicat à aborder et à apprivoiser. Parler des femmes musulmanes sans les réduire à leur choix de porter ou non le voile est-il encore possible ? L’a-t-il déjà été ? La réalisatrice rennaise Lauriane Lagarde n’a pas souhaité poser la problématique en ces termes là.

Et si la question du voile occupe majoritairement l’espace dans son documentaire À part entière (production rennaise – Mille et une films) elle n’en est toutefois pas l’étendard de l’oppression masculine et trouve une ouverture dans ce symbole empli d’histoires personnelles, de ressentis et de vécus.

Les Rennaises musulmanes que Lauriane filme livrent leurs paroles au sein du collectif ainsi qu’à travers leurs individualités et parcours. Entre réflexions, confidences et contradictions, elles dévoilent leurs interprétations et leur rapport à la religion mais aussi aux autres, aux corps et à la féminité. Mais le féminisme peut-il rimer avec l’Islam ? 52 minutes ne suffiront pas à répondre à cette interrogation qui fait rage dans le débat militant. Et là n’est pas l’objectif du film qui se veut un témoin éclairé de l’action de l’association d’Al Houda, sans jugement ni morale.

UNE THÉMATIQUE CHOISIE

C’est en se confrontant à la difficulté pour les croyants musulmans de bâtir une mosquée à Villejean que Lauriane a eu l’idée de se tourner vers les femmes musulmanes et de réaliser un documentaire sonore auprès de Fouzia, une des fondatrices en 1996 de Al Houda.

« J’ai rencontré les femmes de l’association. Elles revendiquent l’égalité entre les sexes. Pour moi, la religion ne nous sépare pas vraiment. Elles rencontrent des difficultés qui leur appartiennent mais je me retrouvais dans ces femmes-là. »
explique Lauriane Lagarde, la réalisatrice.

De fil en aiguille, elle assiste aux réunions, ateliers, cours, actions à destination du grand public. L’objet du documentaire s’oriente rapidement autour des différentes réflexions au sein de ce groupe sur le port du voile, les événements organisés à cette époque, entre 2012 et 2015, étant en lien étroit avec cette thématique, « mais ce n’est pas le sujet principal… C’est ce qui est le plus instrumentalisé et diabolisé en France », assure Marjolaine Peuzin, membre de l’association.

Mais par dessus tout, Lauriane Lagarde désire que la caméra ne soit qu’un biais pour exprimer leurs points de vue. Sans voix off. Et ainsi que le spectateur soit le « seul juge », libre d’analyser et de penser en conséquence.

UN QUESTIONNEMENT PERMANENT

Elles sont de générations différentes. Elles portent un hijab, un foulard, un bandeau, un bonnet ou apparaissent tête nue, chacune se veut libre de son choix et dans son droit. Elles échangent autour des versets du Coran. Et elles s’interrogent. Doit-on porter le voile en France ? Comment vivre sa foi sans heurter les musulmans ou les non musulmans ? Ne se posent-elles pas trop de questions ? Ne se forgent-elles pas leurs propres barrières ? Comment agir pour faire évoluer les mentalités ?

Autant d’interrogations pour une multitude de réponses. Des réponses qui trouvent leurs sources dans leur interprétation des textes sacrés et dans les valeurs inculquées par leur religion, leurs éducations, leurs histoires personnelles, sur lesquelles certaines membres se confient. Entre tiraillements, réalité parfois brutale face à l’islamophobie, discriminations, entre incompréhension et tolérance, elles abordent leurs quotidiens, sans haine, avec douceur et ferveur. Défendant leurs convictions mais aussi leurs conditions de femmes dont elles revendiquent des droits équivalents à ceux des hommes.

DES ESPRITS ET CORPS LIBRES

« À part entière montre de manière fidèle ce que l’on dit, ce que l’on pense, explique Marjolaine. Le film pourra peut-être aider à montrer que derrière les femmes voilées, il y a des personnes. »

Et que sous le voile, il y a des cerveaux, précise la réalisatrice qui défend finalement à travers son travail le droit de revendiquer le choix de porter le voile ou non, d’assumer la religion et de la pratiquer de la même manière. « Elles se réunissent, elles ne sont pas toujours d’accord mais elles se respectent. Elles réfléchissent constamment à leur religion, à ses paradoxes, ses difficultés et se l’approprie. », souligne-t-elle.

Si elle refuse de parler de film sur l’émancipation des femmes, Lauriane Lagarde dépeint ici à travers sa caméra des portraits de femmes libres. Dans leurs esprits et dans leurs corps. Elle jalonne son documentaire de scènes d’expression verbale et d’expression corporelle avec le projet chorégraphique de Morgan Davalan, « travaillant sur l’hybridation identitaire, la rencontre avec l’autre », précise Marjolaine Peuzin.

On voit ainsi plusieurs femmes de l’association, prendre place dans l’espace public. Parées de différents voiles colorés, elles jouent avec le visible et l’invisible. Ce qui est caché et ce qui est montré. Casser l’image du voile qui fige celle qui le porte. « L’idée est de surprendre le spectateur. Ce sont là des corps qui bougent. Le rapport au corps est très important. », conclut la réalisatrice.

Le film sera diffusé en avant-première au cinéma Arvor le 7 novembre à 11h et sur les chaines locales bretonnes (TVR, Tébéo, Tébésud) le 26 novembre à 20h45.

Célian Ramis

Emma de Caunes construit et déconstruit les Châteaux de sable

Posts section: 
Location: 
Cinéma Gaumont, Rennes
List image: 
Summary: 
Emma de Caunes sera, dès le 1er avril, à l'affiche du film d'Olivier Jahan, Les châteaux de sable. Elle y joue Éléonore, une femme en deuil de son père, déboussolée, amoureuse et en proie à ses peurs de faire un choix.
Text: 

 Jeudi 5 mars, l’actrice Emma de Caunes était accompagnée du réalisateur Olivier Jahan afin de présenter leur nouveau film, Les châteaux de sable, en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes. Visible en salles dès le 1er avril.

Les châteaux de sable, un titre en référence à la chanson de Brassens, à l’image de quelque chose qui se construit et se déconstruit, à l’enfance. Parce que ce film aborde tous ces points. À travers le personnage principal, interprété par Emma de Caunes, le scénario tisse des situations émotionnellement intenses autour de différents questionnements, notamment l’après-couple, le deuil et la difficulté à faire un choix.

Au départ, l’histoire se veut simple. Éléonore, photographe à Paris, doit se rendre dans les Côtes d’Armor pour y vendre la maison de son père (Alain Chamfort) décédé deux mois auparavant. Elle demande à Samuel (Yannick Renier), son ex-compagnon, de l’emmener. Ils vont partager leur vie à nouveau, le temps d’un week-end. Ni amis, ni ennemis. Ils vont mettre les rancœurs de côté, puis les déballer, s’en libérer, jusqu’à tout presque mettre à plat pour envisager un nouveau départ, ensemble ou séparément.

Olivier Jahan joue subtilement avec les émotions toujours à vif, à fleur de peau, pour maintenir une tension soutenable, et livre ici une vision sans jugements de ses personnages. « À la base, c’est un peu mon histoire. On a tourné dans la maison de mon père, celle dans laquelle il a vécu les dernières années de sa vie. Puis j’ai connu justement les visites pour la vente, l’agent immobilier qui nous parle pendant des plombes de la fosse sceptique… Et il faut se dire qu’il y en a 2 dans la maison ! », plaisante-t-il.

Son film, il en parle avec modestie et fierté. Les yeux brillants, le sourire large et l’envie de transmettre tous les bons moments et souvenirs du tournage rapide et intense. Une aventure à laquelle il a immédiatement convié Emma de Caunes, qu’il connaît bien pour avoir travaillé avec elle à plusieurs reprises.

« Même sans lire le scénario, j’aurais pu lui dire oui, tellement je lui fais confiance. Et je savais qu’il pourrait écrire un rôle quasiment sur mesure pour moi », explique l’actrice.

UN RÔLE SUR MESURE POUR EMMA DE CAUNES

Et ce rôle, elle l’incarne avec une justesse et un naturel qui lui est propre. Puisant dans son vécu pour donner vie à son personnage, elle précise néanmoins, et à juste titre, qu’elle ne ressemble pas à Éléonore. Qu’elle rêvait simplement de cette proposition :

« J’étais tellement contente que l’on me donne un rôle de Femme avec un grand F ! De mon âge ! Éléonore est à une période charnière, elle doit faire un choix, et elle doit avancer. C’est exactement ce dont j’avais envie ! »

Pour l’actrice, le cinéma français n’offre pas suffisamment de rôles aux femmes de 40 ans et plus. Elles sont les femmes de, les personnages secondaires ou les héroïnes de films d’action, en costumes. Trop rare est le visage de la quadra porté au devant de l’écran. Ce phénomène, Emma de Caunes l’interprète de manière personnelle, en fonction de son parcours : « En France, on aime que les gens entrent dans des cadres et y restent. Moi, j’ai un peu brouillé les pistes je pense, en étant comédienne, actrice, djette et en faisant une émission de musique sur Canal +… Et j’ai connu le succès très rapidement et très jeune. Je ne regrette rien mais si je devais refaire certaines choses, je prendrais plus mon temps je pense. Mais chez les de Caunes, on va toujours là où le vent nous porte, on aime faire ce que l'on veut. »

Un point sur lequel elle s’accorde avec Olivier Jahan, absent pendant 15 ans de la réalisation de long-métrage. « J’étais catalogué sélectionneur de la Quinzaine des réalisateurs, et puis j’avais fait un premier film qui n’avait pas trop marché… À une époque, on acceptait que le premier film ne fonctionne pas très bien et on accompagnait les jeunes artistes, maintenant c’est fini. Je suis arrivé à une période où ce n’était plus possible. Donc difficile de faire un deuxième film. », confie-t-il.

UN VOYAGE INITIATIQUE, FÉMININ ET UNIVERSEL

Et à force de persévérance, et un coup de folie qui a transformé une partie de son histoire en un film, Les châteaux de sable éclosent et nous délivrent un instant de vie soigneusement pensé. D’une histoire banale, on passe à un voyage initiatique original -  « couillu et moderne » aussi nous dira Emma de Caunes en rigolant - grâce à l’apport de la narration en voix off. Un procédé qui nous emmène dans les souvenirs des personnages, qui nous renseigne sur qui ils sont et surtout qui nous accompagne dans les différentes réflexions. En laissant le soin aux spectateurs-trices d’interpréter les diverses réactions, et de s’approprier leurs émotions.

C’est ça la force du film. Apporter des pistes de réflexion sans se noyer dans des vérités absolues, banales et dangereuses. Simplement montrer cette femme adulte, déboussolée, qui vient de perdre son père, qui doit vendre la maison familiale. Encore séduite par cette Éléonore qui fait sens en tant que personnage féminin, qui interroge la place d’une femme dans son évolution, mais en tant également que personnage universel, Emma de Caunes s’enthousiasme :

« Elle est magnifique ! Au début du film, c’est une petite fille qui perd son papa et elle termine en étant grandie. Elle a fait un choix et elle avance. »

Le film aborde les difficultés relationnelles père-fille et homme-femme sans lourdeurs et sans superflu. Le talent de ce film, que l’on doit aux acteurs mais aussi au réalisateur et aux scénaristes, réside aussi dans la capacité à garder l’histoire légère tout en partageant des émotions brutes, sans viser l’apaisement que l’on finit malgré tout par ressentir.

Pour le réalisateur, « Les châteaux de sable, c’est un couple déconstruit qui va petit à petit se reconstruire ; c’est la mort d’un être aimé ; c’est l’acceptation du deuil ; le choix de rentrer dans l’âge adulte… C’est tout ça à la fois, on a voulu faire plusieurs points d’entrée dans le film. » Fait dans l’urgence, le film progresse pourtant à vitesse modérée, sans prendre de détours dans les actions montrées, mais sans oublier toutefois de nous conter une histoire intelligente et intelligible, ambitieuse et émouvante.

Célian Ramis

Tiens-toi droite : le chaos de la poupée moderne toute option

Posts section: 
Location: 
Cinéma Gaumont, Rennes
List image: 
Summary: 
La réalisatrice Katia Lewkowicz propose, dans Tiens-toi droite, une vision belle et sombre de l'oppression des femmes par les femmes. Rencontre.
Text: 

Tiens-toi droite, deuxième long-métrage de Katia Lewkowicz – qui sortira au cinéma le 26 novembre prochain – était présenté en avant-première au Gaumont de Rennes, vendredi 17 octobre. L’occasion de faire le point avec la réalisatrice, accompagnée de l’acteur Michaël Abiteboul, sur la condition féminine, des années 50 à aujourd’hui.

Au départ de l’histoire, 3 femmes : Louise, Lili et Sam, interprétée respectivement par Marina Foïs, Laura Smet et Noémie Lvovsky. Chacune incarne une vie différente. La première quitte le pressing familial pour travailler dans une grande entreprise de fabrication de poupée dans laquelle bosse son amant. La deuxième est Miss Pays Francophones et fait la rencontre d’un riche industriel.

Et la troisième accouche de deux jumeaux qui viennent compléter une famille nombreuse. Ce qui les réunit, c’est leur envie d’évolution, d’accomplissement personnel régi par une oppression des femmes par les femmes. Par leur entourage. Par leur famille. Par elles-mêmes.

Et finalement, la naissance d’un modèle unique caractérisé par toutes les normes, obligations et volontés féminines. Celles-là même qui vont tendre à la disparition des figures masculines qui les entourent. Dans un rythme effréné, dans la palpitation émotionnelle et dans une dynamique tendue, la réalisatrice Katia Lewkowicz déclenche aux spectateurs-trices un sentiment de suffocation dans une ambiance de chaos, qui lui est propre et chère, et que l’on retrouve dans son premier long-métrage Pourquoi tu pleures ? avec Benjamin Biolay, Emmanuelle Devos, Sarah Adler et Valérie Donzelli.

Dans ce deuxième opus, elle souhaite dresser une mosaïque des femmes, en multipliant les points de vue et les regards. Partie de l’image publicitaire des femmes dans les années 50 – « celle de la femme avec son gigot » – elle a alors observé la place que l’on donne aujourd’hui aux personnages de sexe féminin :

« Elles sont toujours pressées dans les pubs, elles courent partout ! Car elles doivent aller préparer le diner pour les enfants et parce qu’elles doivent en même temps se préparer pour aller diner avec leur amoureux… Les femmes ne sont devenues qu’une ! »
Katia Lewkowciz, réalisatrice et actrice.

La réalisatrice s’interroge alors sur l’évolution naturelle – ou pas – de ces dernières. Le constat n’est pas surprenant : deuil permanent d’une partie de nous même et culpabilité. « On ne sait pas d’où elle vient… Mais elle est typiquement féminine. Quand on regarde de près, on s’aperçoit par exemple que dans l’Histoire, à l’école, on apprend que tous les sauveurs sont des hommes. », explique-t-elle. La société est régie de règles que l’on transmet et véhicule de génération en génération, sans se poser de question, selon Katia.

« On avance sans savoir où on va. Je suis une fille de la ville et j’ai tout le temps la sensation de « faut y aller ! » Et au bout d’un moment, on se demande : « Mais quand est-ce que j’ai décidé de faire ci ou ça ? » », ajoute-t-elle.

Tiens-toi droite, expression au sens beau et noble qui cristallise le poids de l’héritage féminin, est retenue en titre du film au montage seulement. La réalisatrice ayant initialement choisi « État de femmes », pour souligner l’effet de catalogue. « Ce film ne donne pas la vérité car il n’y a pas qu’une seule vérité. On est plein de bouts, plein de points de vue. En voyant ce film, j’espère que le spectateur se dira « Là, je peux agir comme ci ou comme ça c’est vrai ! », ça peut commencer par des petites choses qui nous amènent à trouver des solutions concrètes. », imagine la réalisatrice qui conçoit le 7ème art comme un élévateur de conscience, qui ne peut fonctionner que sur la complémentarité du produit et du public. « Je fais une partie du chemin, j’espère que les spectateurs feront l’autre », précise-t-elle.

POUPÉES TOUTE OPTION

Dans le film, pas de réponse pré-fabriquée, simplement un constat tissé autour d’un fil rouge qui réunira les 3 actrices sur la fin du film, celui d’une innovation : lancer une nouvelle poupée, plus proche des caractéristiques modernes de la femme. Et ce fil rouge pousse à la réflexion – la réalisatrice niant pourtant le désir d’intellectualiser son questionnement qu’elle définit non pas comme tel mais comme un constat – autour de cet objet d’admiration : est-ce la poupée qui s’adapte à la femme ou est-ce l’inverse ? Et si le personnage de Marina Foïs donnera son avis lors de la scène finale, pour Katia Lewkowicz, la fin s’interprète différemment :

« On essaye toutes de ressembler au modèle de la poupée. On termine sur la conclusion qu’il y a encore du travail. Et Louise s’en aperçoit, on imagine une réaction de sa part… Qu’elle ne nous donne pas, mais que j’imagine tellement que je le vois ! »
Katia Lewkowicz, fascinée par ses personnages.

Car, pour elle, l’important réside dans le chemin. Le chemin de l’évolution mais également le chemin des 3 femmes qui vont finir par se rencontrer, se juxtaposer. « J’ai voulu représenter la Maternité, le Travail et la Féminité, qui sont les figures les plus connues, les plus représentées. En y ajoutant la garantie de la sœur, de la nounou, etc. (D’autres personnages satellites incarnent diverses facettes de la Femme, ndlr) Et après, ce sont les actrices et acteurs qui ont apporté le reste avec leurs corps, leurs voix… Je laissais tourner la caméra pour capter les instants les plus naturels, ceux où le corps réagit de lui-même. », raconte-t-elle.

Et c’est cette manière de travailler qui a séduit Michaël Abiteboul, qui dans le film incarne le mari de Sam (Noémie Lvovsky). Pour lui, rien de plus agréable que « de s’abandonner et d’oublier que l’on joue ! J’avais très envie de tourner avec Katia et j’ai été embarqué par le scénario. »

Pourtant, à l’écran, l’acteur doit s’effacer, disparaître écraser par sa conjointe qui s’émancipe, obnubilée par son besoin d’indépendance. « Ce n’est pas désagréable de disparaître de l’écran, dit-il en souriant. C’est très intéressant ! Surtout que j’étais le seul mec dans le décor. Mais j’étais bien. Je sortais d’un film où on était dans les tranchées, qu’avec des gars et de la boue. Alors là, ça me paraissait extrêmement doux. »

L’apaisement décrit pourrait alors faire l’objet d’une seconde lecture de l’œuvre de Katia Lewkowicz qui apparaît pourtant d’une violence inouïe. Un joyeux chaos, comme elle le définit, mais qui arbore des airs de peinture sociale brutale qui prend les tripes et qui laisse entrevoir une noirceur angoissante, parmi laquelle elle dissémine des scènes ludiques de comédie venues alléger et soulager ces réalités.

La crise identitaire liée à la condition féminine tourbillonne autour de ce film et s’abat sur les spectateurs-trices dans un fracas silencieux. Chacun serre les dents, comme un miroir de ce qui transparait à l’écran. Mais de Tiens-toi droite se dégage également une grande beauté. Celle qui inspire l’envie de marcher aux côtés de ces femmes combattantes et déterminées à se trouver et à trouver une place dans la société. La poupée moderne sera-t-elle donc toute option, « avec musculation du périnée ! » incluse ? Ou ce modèle unique sera-t-il amené à disparaître

Célian Ramis

Alexandre Arcady, derrière les yeux d'une mère

Posts section: 
Related post: 
223
Location: 
Rennes
List image: 
Summary: 
Jeudi 6 mars, le réalisateur Alexandre Arcady était de passage à Rennes pour présenter son nouveau film, 24 jours, dont la sortie au cinéma est prévue le 30 avril. Le film revient sur l’enlèvement et la mort d’Ilan Halimi, en 2006.
Text: 

Jeudi 6 mars, le réalisateur Alexandre Arcady était de passage à Rennes pour présenter son nouveau film, 24 jours, dont la sortie au cinéma est prévue le 30 avril. Le film revient sur l’enlèvement et la mort d’Ilan Halimi, en 2006.

« C’est un événement qui a bousculé la France. C’était impensable à l’époque. Tous les citoyens ont été choqués, décontenancés face à cette abomination ». Cette abomination que décrit ici Alexandre Arcady se produit le 20 janvier 2006. Emma, une inconnue qu’Ilan a rencontré dans le magasin pour lequel il travaille, lui propose un rendez-vous dans un bar ce soir-là.

Elle sert d’appât. Il sera enlevé, séquestré et torturé pendant 24 jours, avant d’être brûlé et relâché pour finalement être retrouvé inconscient à Sainte-Geneviève-sous-Bois (dans l’Essonne). Il décède le 13 février, de faim et de froid. « On connaissait l’histoire. Avec la fiction, on passe par le cœur. La fiction est un chemin important pour sensibiliser les cœurs et nos concitoyens », déclare Alexandre Arcady.

Et pour traiter ce fait divers, il a « volontairement choisi d’être du côté de cette famille, modeste, qui vit normalement », en s’inspirant du livre 24 jours : la vérité sur la mort d’Ilan Halimi, écrit par Ruth Halimi, sa mère – interprétée à merveille par Zabou Breitman – et Emilie Frèche, écrivain. « En étant derrière la mère, et derrière la police, j’emmène le spectateur dans la famille », précise-t-il.

Pendant presque 2 heures, le réalisateur nous plonge dans le cauchemar traversé par les parents, les sœurs et l’entourage d’Ilan Halimi durant ces trois semaines de février 2006. Les spectateurs suivent alors l’enquête menée par les équipes du quai d’Orsay sur les traces de ceux qui seront nommés sous « le gang des barbares », décrit dans le film comme une bande de « bras cassés des cités », animée par l’appât du gain financier et dirigée par Youssouf Fofana alias Django, arrêté le 20 février à Abidjan, en Côte d’Ivoire puis extradé vers la France pour y être jugé et incarcéré.

En mars de la même année, le tribunal reconnaît officiellement la circonstance aggravante d’antisémitisme. Dans son livre, Ruth Halimi explique – elle le dira notamment à la radio face à Marc-Olivier Fogiel – qu’elle souhaite « que la mort d’Ilan serve à donner l’alerte ». Un objectif que le réalisateur rejoint : « il n’est pas question de révisionnisme ou de refaire l’histoire. Il s’agit là de la description d’une réalité terrible et d’une sonnette d’alarme qu’il faut tirer ». Son choix se porte alors sur l’histoire d’une mère « qui va vivre 24 jours comme n’importe quelle mère peut vivre la disparition, de manière aussi abjecte, de son enfant ».

À la sortie de la projection, les réactions sont vives, partagées ou encore sceptiques. Le sujet est sensible, ne laisse pas insensible mais se heurte à la question de l’intérêt servi ici : y voir un acte antisémite pur ou un acte de barbarie qui se chargera par la suite de circonstances aggravantes liées au crime antisémite. Derrière cette piqûre de rappel, peut-on y voir simplement un film bien réalisé, ultra-réaliste et subtilement porté par la force du jeu de ses acteurs (Jacques Gamblin, Pascal Elbé, Zabou Breitman, Sylvie Testud,…) ?

Célian Ramis

Le beau regard de Nicole Garcia

Posts section: 
Related post: 
215
Location: 
Gaumont, Rennes
List image: 
Summary: 
C’est ce mercredi que sort le nouveau film de Nicole Garcia, Un beau dimanche. La réalisatrice, accompagnée de Louise Bourgoin et Pierre Rochefort, était à Rennes pour l'avant-première.
Text: 

C’est ce mercredi que sort le nouveau film de Nicole Garcia, Un beau dimanche. La réalisatrice, accompagnée de Louise Bourgoin et Pierre Rochefort, était à Rennes vendredi 31 janvier pour présenter cette œuvre en avant-première au cinéma Gaumont.

« Le film a commencé autour de la personnalité de Pierre Rochefort, explique Nicole Garcia. Sa réserve, sa douceur, son innocence, son côté solitaire mais aussi aventureux, ses contradictions. Il m’a inspiré le personnage de Baptiste ». Baptiste est un instit’ remplaçant qui ne reste jamais très longtemps au même poste. En contrat dans le sud de la France, il se retrouve à s’occuper d’un enfant lors du week-end de Pentecôte et rencontre Sandra, la maman de Mathias, saisonnière dans un restaurant à Montpellier.

« C’est la première fois que je place, de manière aussi décisive, l’amour au centre d’un de mes films », déclare Nicole Garcia. Un film qui démarre autour d’une équation simple : « lui, elle et un enfant qui les relie ».

Les personnages sont symboliques des œuvres de Nicole Garcia. Endormis au départ, ils se relèvent et se révèlent. Baptiste est discret, réservé, il cultive une part de mystère. Sandra rêve de sortir de sa situation précaire. « Il va dire non à son héritage, il a besoin de rupture avec sa famille qui vient d’un autre milieu. Et elle, elle veut s’en sortir par elle-même, elle vit sa vie avec son temps et son époque », explique la réalisatrice de L’adversaire. Il y a en eux des enjeux existentiels, un besoin de délivrance de chaque côté.

Que ce soit l’envie de fuir ses origines ou fuir les difficultés financières. Nicole Garcia capte les spectateurs à travers le réalisme de l’histoire ancrée dans un contexte social lourd dans lequel elle oppose les milieux sociaux, brise les préjugés et pose un regard assez juste. Elle saisit également les forces et les contrastes des acteurs qu’elle fait jouer. « J’ai été vraiment touchée qu’elle m’imagine ailleurs, dans un autre registre et qu’elle me fasse confiance pour être à l’aise dans la mélancolie, dans un jeu plus contenu », déclare Louise Bourgoin.

Pour la rennaise, il va sans dire qu’elle a interprété dans ce film son plus beau rôle : « Ce ne sera jamais un film de plus, et je serais certainement plus exigeante à partir de maintenant dans le choix de mes rôles ». Touchée par le personnage de Sandra, sa force, sa volonté de s’en sortir, sa tolérance et sa bienveillance, Louise Bourgoin dévoile une certaine fierté d’appartenir désormais à la famille des personnages de Nicole Garcia (dans laquelle figurent Daniel Auteuil, Jean Dujardin, Gérard Lanvin, Marie-Josée Croze ou encore Vincent Lindon pour n’en citer que quelques uns), qu’elle définit comme des « personnages riches aux mondes intérieurs très développés ».

Il en va de même pour le fils de la réalisatrice, Pierre Rochefort : « Nicole Garcia a puisé dans les forces de ma vie mais a aussi trouvé d’autres couleurs en moi. Dans le film, Baptiste se raccroche à ses valeurs, à son plaisir d’instit’, il finit par trouver son rythme et son véritable plaisir ».

Célian Ramis

Karin Viard, mise à nue

Posts section: 
Related post: 
208
Location: 
Gaumont, Rennes
List image: 
Summary: 
L’actrice de Délicatessen endosse le rôle de Lulu dans le nouveau film de Solveig Anspach, Lulu femme nue. Karin Viard était à Rennes mardi 7 janvier pour l’avant-première, qui s’est déroulée au cinéma Gaumont.
Text: 

L’actrice de Délicatessen endosse le rôle de Lulu dans le nouveau film de Solveig Anspach, Lulu femme nue. Karin Viard était à Rennes mardi 7 janvier pour l’avant-première, qui s’est déroulée au cinéma Gaumont.

Lulu femme nue, c’est à première vue l’histoire banale d’une mère de trois enfants qui va passer un entretien d’embauche pour trouver du travail. Mais voilà, tout ne va pas se dérouler comme prévu. Si Lulu est pleine de motivation et bien décidée à travailler, cet entretien va être un élément déclencheur dans son quotidien.

Elle ne va pas rentrer chez elle et décider de s’octroyer quelques jours loin de la pression familiale. Solveig Anspach nous propose une tranche de vie qui prend des allures de parenthèse dans le quotidien de Lulu. Karin Viard nous transporte à l’intérieur même de ce personnage en quête de liberté et désireuse de retrouver la femme qu’elle est.

Sans artifices, le film nous offre un bel instant de vie, entremêlé de douceur, de violences psychologiques et de force. « Quand Solveig est venue me voir avec la BD (le film est l’adaptation de la bande dessinée d’Etienne Davodeau, ndlr), j’ai tout de suite aimé cette femme qui décide de partir et qui ne veut pas rentrer tout de suite », explique l’actrice principale.

Pour Karin Viard, si quitter le domicile conjugal et familial peut sembler encore tabou et mal vu, elle avoue « n’avoir aucune moralité » dans les rôles qu’elle joue : « Je pourrais jouer une mère infanticide, ça ne me dérangerais pas ». Quand elle parle de Lulu, elle incarne cette femme qui « a peut-être pris une voie de garage, qui doit arrêter de penser aux autres et s’interroger sur son désir ». Partir quelques jours ? « Ce n’est pas grave ! Même si c’est des semaines, merde ! » Pour l’interprétation, l’actrice veut comprendre son personnage de l’intérieur et se base sur une indication, notée dans le scénario : « Elle se colore petit à petit ».

Un tableau en noir et blanc qui prend ses couleurs au fil du temps. Et c’est ce que nous montre et nous fait ressentir Karin Viard : une femme qui se rencontre, prend confiance et s’affirme « avec toute l’audace des plus grands timides ». Lulu femme nue, c’est aussi une histoire de sexualité retrouvée, de sensualité, de confiance et de liberté. Des sentiments inspirés par l’actrice au regard du film. Une Lulu qui avance, évolue et s’enrichit au travers des rencontres qu’elle fait lors de son séjour. Et en face de Karin Viard, de grands acteurs : Bouli Lanners, Claude Gensac, Corinne Masiero pour n’en citer que quelques uns, qui donnent des couleurs incroyablement belles et douces à cette nouvelle œuvre de Solveig Anspach.

Pages