Célian Ramis

Valeurs hip-hop : danser les maux

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"Peace, love, unity and having fun" sont les valeurs du hip-hop, défendues par les chorégraphes et danseuses qui prônent la recherche d'individualité au sein du collectif.
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Pour la danseuse et chorégraphe Sandrine Lescourant, faire partie de la culture hip hop est un acte social en soi. Puisque c’est accéder, accepter et transmettre les valeurs « Peace, love, unity and having fun ». Comment et sous quelles formes les corps en sont-ils des vecteurs et transcendent-ils cet engagement ? À travers l’histoire et plusieurs propositions artistiques, la démonstration en a été donnée à Rennes début février. Reportage.

Voilà l’idée que prône la culture du hip-hop, selon les artistes interviewées. Exprimer et assumer son individualité, sans la pression de la conformité. La scène devient alors un espace d’expression dans lequel se croisent différents corps et langages.

Du 28 janvier au 13 février, plusieurs créations, proposées à Rennes dans le cadre du festival Waterproof porté par le Triangle et le collectif FAIR-E, ont suscité notre curiosité de par les engagements et les réflexions qui s’en dégageaient. Féminités, masculinités, intimités, singularités, recherche de sa place dans le collectif, fragilités et puissances.

Du popping à la danse contemporaine, en passant par le locking, le voguing, la dance house et le waacking, les multiples facettes et identités d’une culture riche de son histoire et de son évolution ont ébranlé notre vision jusqu’ici trop réductrice du hip-hop français. 

Sur un rectangle blanc entouré de lumières pointées vers le centre, sept danseuses soutiennent un regard de guerrières. Elles s’observent et se tournent autour. Se jaugent, s’imitent et s’entrainent jusqu’à la formation d’une masse finalement non toxique dans laquelle les individualités s’expriment librement. Chaque mouvement témoigne de leur force et de l’intensité de leurs intentions.

C’est une véritable prouesse technique qu’elles entreprennent à plusieurs reprises sur le plateau du TNB, du 28 au 30 janvier. Il y a quasiment un an, les membres de Paradox-sal dévoilaient pour la première fois Queen blood à Rennes, après deux semaines de résidence au Garage, avant de présenter officiellement la création à La Villette à Paris, fin mars 2019.

De retour dans la capitale rennaise, elles s’affirment toujours prêtes à sublimer les danses dont elles sont des pointures. Hip-hop, dance house, krump, popping, locking, danse contemporaine et danses africaines, s’entremêlent, se confrontent et s’enlacent. Quelle puissance ! Quelles énergies !

Pendant près d’une heure entière, on retient notre respiration au son des leurs qui résonnent lors du tableau électrisant sur lequel elle danse, alignées face au public sur la chanson « Four women » de Nina Simone. La tension est palpable, l’émotion grandissante. Entre les instants suspendus de ce type et les moments d’accélération, les danseuses sont toujours en mouvement, seules, à plusieurs ou toutes ensemble.

C’est viscéral, ça prend aux tripes et ça nous saisit les entrailles ce qu’elles racontent, sans filtre et sans solution de repli, puisque même une fois sorties du rectangle blanc, on les voit encore, sur les bords du plateau imaginés comme des coulisses. Tout au long de cette performance qui nous hypnotise littéralement, elles se confrontent à nos regards mais aussi à leurs propres regards sur elles-mêmes.

L’émotion nait et grandit constamment de par la violence des affrontements, collectifs et individuels, mais aussi de par les instants partagés d’écoute, de solidarité et de sororité. Avec toujours ce sentiment planant de liberté, cette volonté de dépassement de soi et cet esprit d’équipe au sein de laquelle s’affirment des personnalités différentes et combattantes, à l’instar des lignes qu’elles exécutent durant leurs chorégraphies : jamais droites, elles présentent toujours une multitude de trajectoires possibles.

L’ESPRIT COLLECTIF DE PARADOX-SAL

« Je voulais cette frontalité. Vous voyez, y a pas de loges, rien, vous les voyez même quand elles sortent du plateau. Tout ça, c’est assumé, pour se rendre compte de l’effort physique. Envoyer ce qu’elles envoient, moi, je peux pas le faire ! », avait commenté Ousmane Sy, chorégraphe de Paradox-sal et membre du collectif FAIR-E, après la représentation au Garage.

En 2012, il fonde un crew exclusivement féminin qui rassemble des danseuses issues du hip-hop, du popping, du locking, du dancehall, du krump, des danses africaines ou encore de la danse contemporaine, autour d’une base commune : la house.

« J’ai souvent fait partie de groupes essentiellement masculins. Je travaillais avec des filles comme Allauné Blegbo et Anaïs Imbert-Clery, elles m’ont parlé d’autres filles qu’elles connaissaient, etc. La house, c’est très androgyne. Le talent est là, peu importe le sexe. Ce que je veux avec elles, c’est apprendre et échanger. Pas diriger. Ce qui m’intéresse, c’est de décortiquer les états de corps. C’est la gestuelle, pas le corps finalement. », analyse-t-il.

Avec Fighting Spirit, premier spectacle de Paradox-sal, créé en 2014 – lire notre article « Fighting Spirit, l’esprit guerrier des danses urbaines à l’Opéra » publié sur yeggmag.fr le 16 février 2015 – « le challenge était de monter sur scène et d’impressionner par nos techniques et nos talents. Ousmane ne nous a pas formées, il nous a choisies pour nos forces individuelles, quelque soit la danse. », précise Odile Lacides, également assistante chorégraphe sur la création Queen Blood.

FÉMINITÉ PLURIELLE

C’est l’acte II de l’exploration à laquelle le groupe contribue, autour des gestuelles et des énergies féminines. Des énergies animales et combattives qui réussissent toujours à allier collectif et individuel, qui vont s’exprimer également dans les propositions d’Anne Nguyen et de Sandrine Lescourant également programmées lors du festival.

Ici, c’est la notion de féminité qui est développée à travers les techniques, la performance et la scénographie. Et surtout, elles s’expriment. Dans le processus de création comme sur la scène. Dans les parties dansées en groupe comme dans les solos. Si la dance house est leur langage commun, aucune ne danse comme sa voisine, aucune ne ressemble à une autre même dans les mouvements synchronisés et chaque spectacle de Paradox-sal fait jaillir la puissance de cette diversité des parcours, des profils et des propos.

Comme le souligne la chorégraphe Anne Nguyen, l’imitation n’a pas sa place dans la culture hip-hop. « Dans nos solos, on a carte blanche pour exprimer qui on est. », signale Allauné Blegbo qui poursuit : « Je me suis posée des questions sur qu’est-ce que c’est la féminité ? Qu’est-ce qu’on attend de moi dans cette féminité ? Qu’est-ce qu’on attend de nous ? Qu’est-ce que c’est savoir être soi ? Ça m’a fait réfléchir et évoluer, pas que professionnellement, mais personnellement aussi. Aller au-delà de la caricature. »

Le corps des danseuses au fil de la création passe par tous les états, emprunte les codes normés, genrés et sexués mais aussi et surtout les chemins de traverse puisque sept ou huit danseuses – cela dépend des représentations - sur scène impliquent par conséquent sept ou huit féminités différentes qui se rencontrent, se confrontent, s’allient jusqu’à la libération, en marge de la scène, montrant que tous les espaces peuvent être investis par les femmes.

« Il y a un tableau qu’on fait toutes ensemble, qui s’appelle « Dolce & Gabbana », où on est dans la caricature avec des gestes de diva. C’est aussi une vision de la féminité. Quand on fait notre solo, par contre, là, on exprime notre féminité à nous et on dit qu’il n’y a pas besoin d’être féminine dans le sens où tout le monde l’entend pour être féminine. »
détaille Odile Lacides.

Qu’elles jouent l’exagération, qu’elles incarnent une féminité normée ou singulière, qu’elles dévoilent une partie masculine plus ou moins prégnante et dominante, elles ne définissent aucune limite à une féminité plurielle et évolutive, non figée dans le temps et l’espace. Une féminité All 4 House qu’elles visitent avec hargne et sensibilité, qui nous reste viscéralement à l’esprit. Puissant et bouleversant.

S’INSPIRER DU HIP-HOP POUR RÉCONCILIER LA SOCIÉTÉ

Dans son article, publié sur le site du HuffingtonPost en septembre 2016, la philosophe Benjamine Weill, spécialiste du rap et co-fondatrice de l’association « Nous sommes Hip-Hop », aborde la question de l’engagement comme base d’émancipation dans la culture hip-hop.

Ainsi, dans son introduction, elle écrit que « depuis son émergence, le Hip-Hop, consiste à mettre en avant notre capacité à l’émancipation collective, malgré nos déterminants initiaux. En exprimant son point de vue, chacun prend parti dans le monde sans attendre que cette place soit laissée. »

Si elle analyse particulièrement le prisme du rap, elle conclut tout de même en élargissant à la culture hip hop qu’elle voit comme « moyen par lequel chacun s’extrait de ses déterminants de départ pour aller plus loin, faire valoir sa dignité humaine en transformant sa souffrance en force, sa haine en rage, sa solitude en rencontre. L’émulation et la compétition entendues comme le moyen de se confronter à l’autre, non pour soi-même mais pour que l’un et l’autre s’augmentent, favorisent une forme d’émancipation et de dépassement de soi ainsi que la rencontre. C’est une manière de « s’ouvrir sur le monde » et de « changer les parcours » à partir de son vécu, de son histoire, mais aussi d’une conscience que je ne suis rien sans l’autre et que cet autre même s’il est différent de moi, vaut autant que moi. Rien ne sert de l’écraser, mieux vaut s’y associer. »

En août 2019, un collectif d’acteurs des cultures urbaines publie une tribune dans Le Monde, appelant à « s’inspirer du hip-hop, né dans la rue et qui n’exclut personne, pour réconcilier une société française en morceaux. » 

HIP-HOP OLD SCHOOL

Le 5 février 2020, au Garage à Rennes, la breakeuse et chorégraphe Anne Nguyen animait une conférence sur les danses hip-hop et revenait rapidement sur l’histoire de celles-ci. Le break, c’est pour elle la « seule et vraie danse hip-hop ». Pourquoi ? Parce qu’elle nait en même temps que la musique éponyme.

Mais d’autres danses existent, comme le popping et le locking, qui vont être assimilées à la culture hip-hop. Ce sont ce qu’elle appelle les trois danses old school hip-hop, et chaque style puise dans des inspirations différentes, entre rites ancestraux et culture populaire.

« L’inspiration se retrouve dans d’autres disciplines. Dans ces danses, on a le droit de tout faire, les mouvements appartiennent à tout le monde, on fait appel à un patrimoine. On voit que dans le break, il y a de l’inspiration indienne, dans le popping, qui consiste en des contractions musculaires, il y a de l’inspiration égyptienne, et dans le locking, qui est une déformation du popping, on retrouve l’inspiration des danseurs de claquettes et des cabarets noirs américains. », explique-t-elle, en introduction.

Aux Etats-Unis, quand une nouvelle musique envahit le continent, celle-ci est toujours assortie d’une nouvelle danse. De nouveaux styles se créent, et parfois restent à l’état de mode, et parfois perdurent et évoluent. Le popping et le locking apparaissent un tout petit peu avant les années 80, lorsque les Eletric Boogaloos (style funk) déboulent dans l’émission Soul Trainet initient une danse empreinte de mouvements militaires et robotiques.

C’est le début du popping, reconnaissable grâce à ses mouvements très carrés et ses contractions musculaires qui marquent le beat, le son, « comme du pop corn qui éclate ! » Le locking est un dérivé de cette danse : « En fait, il y avait un mec qui n’arrivait pas à popper et quand les gens se moquaient de lui, il les pointait du doigt, c’est pour ça que dans le locking, on a souvent des mouvements comme ça avec les bras. »

FUSION DE GENRES ET D’INFLUENCES

On aurait pu en rester là. Le popping et le locking auraient pu n’être que des modes. Quelques temps plus tard, le break arrive. Nous sommes dans les années 70, à New York, et « c’est la première fois que les gens sont amassés comme ça, dans les quartiers. Quelque chose de nouveau se crée. ».

Et ce quelque chose, c’est une Block Party. Ça éclot dans différents secteurs de la ville : les DJs organisent des soirées en bas des immeubles et repèrent que c’est au moment du solo du batteur ou du percussionniste que les gens se mettent à danser. Ils vont rapidement se mettre à isoler ces parties, appelées « break », afin de créer des boucles avec ces morceaux : « Ça donne naissance au break et à la musique hip-hop ».

Là aussi, les influences sont multiples puisque les danseurs puisent leurs mouvements dans les films de kung fu mais aussi dans la guerre des gangs qui sévit à New York, utilisant le « rocking » comme technique visant à faire croire aux flics que les membres dansaient en imitant le combat, sans se toucher.

Les mouvements sont saccadés, la musique également. « Les battles vont naitre de la compétition entre la communauté afroaméricaine et la communauté latina. Selon l’histoire, ce serait plutôt les afroaméricains qui auraient inventé le break et les latinos les auraient défié. A force, les groupes essayaient de se renouveler et aller de plus en plus vers la performance, d’où les tours sur le dos, les mouvements plus acrobatiques. Ensuite, le break s’est fluidifié, réunissant l’esprit des clubs – parce que ça part des danses de clubs, puis de la rue – et l’esprit des battles. », souligne Anne Nguyen.

En parallèle, il existe un gang dans le Bronx, le Black Spades, dont Afrika Bambaataa est le chef. Il crée l’Organization dans le but de proposer une alternative pacifiste aux différents gangs. En 1975, lorsque son cousin est tué par la police, il quitte les Black Spades et concrétise son organisation en la nommant Zulu Nation, qui réunit des jeunes dont les moyens d’expression sont la danse, le graffiti, le rap et le djing :

« Peace, love, unity and having fun. Ce sont les valeurs du hip-hop et c’est sous la houlette de ces valeurs que vont se rassembler les trois danses old school. La danse est alors une alternative pour ne pas rentrer dans un gang. On peut arriver à un statut, sans avoir besoin de tuer. En battle, on se défie mais on mime, on ne violente pas. Et c’est par le biais des battles que le hip-hop sort du Bronx et se propage. »

ARRIVÉE EN EUROPE ET ÉVOLUTION

Les JI américains importent le hip-hop en Allemagne. En Angleterre, ça prend également et en 1984, TF1 lance une émission qui popularise le hip-hop en France. Mais aux Etats-Unis, dans les années 90, les journalistes commencent à le critiquer de manière péjorative :

« Là-bas, ça meurt quasiment. Alors qu’ici, ça continue. Le hip-hop monte sur la scène du théâtre. Depuis plusieurs années en France, il existe le groupe Black Blanc Beur, fondé par une ancienne danseuse classique, Christine Coudun, qui a rassemblé une trentaine de danseurs de Trappes avec qui elle a monté un spectacle. »

Aujourd’hui, la compagnie compte une vingtaine de créations à son actif et des milliers de représentations et d’ateliers. Le hip-hop prend racine et poursuit son chemin.

« On a beaucoup fait venir des danseurs américains, des pionniers, pour transmettre des informations. On a créé notre propre style ici et là-bas, ils n’ont quasi plus de break. Mais le flexing est né, le krump aussi. Le hip-hop est maintenant la fusion des différentes danses adaptées aux musiques d’aujourd’hui. Le beat a ralenti, c’est pour ça qu’on voit des vagues, des déplacements, des effets spéciaux dans les clips. Mais aux USA, c’est devenu de l’entertainment. », précise-t-elle.

En marge de toute cette évolution, se trouve différentes communautés qui ne se retrouvent pas dans les battles et vont alors créer et développer leur propre culture de la danse dans les clubs. Ainsi, le voguing, le waacking, la house dance, etc. sont issues du milieu queer, underground, gay et des personnes racisées. On les assimile aujourd’hui au hip-hop. 

HOMMAGE À LA CULTURE HIP-HOP

De ce bouillonnement et de cette histoire, Anne Nguyen va s’en inspirer pour créer son spectacle, À mon bel amour, présenté le 4 février au Triangle, dans lequel elle rassemble huit virtuoses – quatre danseuses et quatre danseurs - de différentes disciplines. Elle convoque le popping, le locking, le waacking, le voguing, la danse contemporaine, la danse classique et le krump (ce soir-là, Emilie Ouedraogo était malheureusement absente et était donc remplacée).

Les regards sont francs et frontaux. Le public regarde les artistes qui eux aussi fixent l’assemblée spectatrice. La pièce est chorégraphiée comme un défilé et les interprètes se prêtent au jeu jusqu’à pousser leurs mouvements à l’extrême. En solo, en duo ou à plus, iels s’affirment, occupent l’espace, s’affranchissent des regards et prennent leur liberté à travers des corps et des gestuelles affranchi-e-s.

Tou-te-s représentent des archétypes, revendiquent leur appartenance à une culture et défient qui que ce soit de leur interdire l’accès à la beauté. À mon bel amour est un hommage à la culture hip-hop et à ses valeurs, telles que les défend la chorégraphe qui manifeste régulièrement ses inspirations multiples.

Elle a fait de la gymnastique et des arts martiaux. Elle a entrepris des études de maths et de physique. Et elle a rencontré le monde du break, en commençant interprète et en faisant ses classes lors de battles. Elle lâche la physique pour se consacrer au hip-hop mais ses spectacles seront souvent très imprégnés de l’esprit scientifique.

Revenons dans les années 90. Anne Nguyen prend le calendrier des radios libres et enregistre toutes les émissions sur sa passion. À la télé, elle voit du break dans les clips mais ce n’est pas suffisant pour en apprendre les tenants et les aboutissants.

« Je voyais les breakeurs à Chatelet, j’osais pas y aller… J’ai fait des cours de hip-hop mais y avait pas de break et je n’arrivais pas à trouver le truc. Je suis partie un an à Montréal, en 98/99, où j’ai fait de la capoeira. Dans ma fac, il y avait des filles qui faisaient du break, elles m’ont emmenées avec elles. Je ne suis pas restée longtemps dans leur groupe, j’ai rejoint un autre groupe, dans lequel là j’étais la seule fille. », nous raconte-t-elle.

De retour en France, elle aborde les danseurs et les danseuses avec qui elle a envie de continuer son apprentissage : « J’alternais, c’est comme ça qu’on se forme. Je regardais les gens danser en entrainement et en battle, j’allais leur parler, ils m’invitaient, c’était comme ça que ça fonctionnait ! Comme une sorte de culture orale, de chemin qu’on doit faire. Il n’y a pas de cursus académique, c’est un parcours qu’on doit faire soi-même, en fonction de sa sensibilité. »

RÉFLEXION SUR LA DANSE ET L’ARTISTE

Elle voit les danseuses et danseurs comme des super-héroïnes et des super-héros, chacun-e-s avec des supers pouvoirs, chacun-e-s avec son propre style. Pendant les 5 années durant lesquelles elle est interprète, Anne Nguyen commence à se poser des questions sur la danse et son sens, et de ses réflexions émerge le Manuel du guerrier de la ville, un recueil de poèmes décortiquant le ressenti de la danseuse qui par le mouvement et l’énergie de ses pieds et jambes choisit et déplace son centre de gravité afin de transcender sa réalité et trouver sa liberté.

Et c’est souvent par la contrainte qu’elle va sublimer ses créations, comme Racine carrée(née de son recueil poétique) par exemple ou d’autres, dans lesquelles elle cherche à limiter le déplacement d’une seule manière (danser dans un espace géométrique réduit, faire circuler les interprètes sur des lignes, que ce soit de profil ou face au public…).

Pour autant, elle n’a pas envisagé tout de suite de chorégraphier des spectacles : « Ça ne m’intéressait pas trop. Souvent, les danseurs hip-hop sont des esprits libres qui n’aiment pas trop être dirigés. À ce moment-là, je sortais beaucoup dans les soirées, j’avais des groupes de potes dans le funk, dans le rap… Des lockeurs ont monté un spectacle et m’ont proposé qu’on fasse une créa’. Je l’ai fait, le spectacle n’a pas tourné mais ça m’a donné envie de continuer. J’ai compris que j’avais un rôle à jouer. »

Depuis, avec sa compagnie Par Terre, elle a chorégraphié de nombreux spectacles, largement salués par la critique. « Avant ça, j’ai fait du journalisme. Analyser, parler, vient avant de chorégraphier. C’est important car le milieu de la danse est atypique, libre. Les gens qui en font partie s’expriment rarement. Personnellement, j’ai toujours été frustrée qu’il y ait une vision faussée du hip-hop dans les journaux. Cette vision d’une danse réduite à une danse de cités. Je me suis posée en défenseure des valeurs du hip-hop pour dire « Parlons de danse, parlons des artistes, parlons des principes. » Ce que je veux, c’est sortir, à travers la danse, l’essence des différents styles. Le hip-hop, ce n’est pas juste des jeunes des cités qui n’ont rien d’autre à faire. Il y a un état transcendantal quand ils dansent. Ce sont des êtres humains qui font des choses profondes. C’est un langage pour exprimer quelque chose de plus universel. », scande-t-elle. 

DIVERSITÉ DE CARACTÈRES

Son engagement est là et il est gravé en elle. Et il transpire dans la pièce À mon bel amour, qui porte une réflexion sur l’individualité et l’individualisme de chaque danseur-euse et le collectif :

« La culture de la différence, c’est ça qui m’attire. Pourquoi des choses me limitent ? J’ai voulu voir ce que ça donnait quand on enlevait ces limites-là et comment on se rassemblait, sans niveler par le bas. On crée avec nos différences et on n’essaye pas de ressembler à des normes de beauté. On joue avec ce qu’on a, ce qui nous constitue. Un danseur qui va être plutôt nerveux par exemple, il va jouer la vitesse dans son mouvement, sa gestuelle. Un danseur plutôt mastoc, il va jouer la puissance. L’idée, c’est de mettre en valeur ce qui nous différencie. C’est comme ça qu’on apporte quelque chose. Dans chaque archétype, j’ai quand même essayé d’aller vers des individualités originales. Avoir un danseur de danse classique, une danseuse de krump… »

Parce que les choses évoluent et que le genre interagit encore aujourd’hui avec le regard que l’on porte sur les sociétés. On parle de diversité, de mixité mais pour Anne Nguyen, les critères de sexe, de couleur de peau, d’âge, etc. sont superficiels, ils ne sont qu’une enveloppe.

C’est vrai qu’ils le sont et pourtant, ils sont l’objet d’une multitude de discriminations et le terrain privilégié des rapports de domination. Pour elle, la diversité se joue dans les valeurs.

« Mon pari, c’est que quand on a une diversité de caractères dans le collectif et que chacun assume sa personnalité, on peut agir ensemble et chacun peut avoir sa place. »
souligne-t-elle, précisant qu’il s’agit là d’un idéal de collectif.

« C’est super compliqué de parler des relations femmes-hommes mais pour moi, ce qui est hyper important, c’est d’assumer son caractère, dire ce qu’on est. C’est très sensible quand on parle de ça. La diversité pour moi, c’est avant tout la diversité de caractères. Accepter les différences dans le caractère des gens. Juger les gens sur leur caractère avant tout. C’est ça le message du hip-hop. Moi, je n’ai pas très envie de dire que je suis engagée car quand on dit « engagée », ça devient souvent synonyme de militante. Et quand on est trop dans une pensée engagée, on se laisse vite limiter par le biais de ne voir que ce qui confirme notre idée. », répond la chorégraphe, que l’on sent pas très à l’aise sur la question.

Elle poursuit néanmoins : « Je suis engagée pour l’art comme pensée créatrice. C’est ça que je veux défendre. La personnalité des artistes est parfois politiquement incorrecte, et c’est là l’essence de l’artiste : aller au-delà des bornes. Il faut leur laisser la chance d’aller trop loin dans leurs paroles. »

Et quand on lui demande si l’artiste a le droit, parce qu’il est artiste, d’aller trop loin et cela même aux dépens d’une partie de la population, elle confirme sa pensée : « Je suis engagée pour le droit d’avoir tort. »

ARME DE PAIX, POUR LA PAIX

La réalité, et elle le dit elle-même, c’est « qu’on n’accepte pas la différence. » Elle revient à sa vision de super-héro et super-héroïne : « Il faut essayer de ressembler le moins possible aux autres danseurs et danseuses. On est dans une danse qui est à l’antithèse de l’académisme ! Le principe du hip-hop, c’est la réunion d’individualités fortes dans un collectif. Un collectif qui ne se conforme pas ! »

Sandrine Lescourant, danseuse et chorégraphe, est convaincue que le hip-hop est un engagement social. Et c’est d’ailleurs bien ce qui la motive. « C’est une arme de paix, pour la paix, pour éloigner les violences. La danse hip-hop, elle part de rien, elle est dans la rue et sa culture, c’est le vivre ensemble, faire ensemble. Les valeurs, peace, love, unity and having fun, sont essentielles pour tout un chacun. Dénuer de tout ça, ça n’aurait pas d’intérêt. », explique-t-elle.

Au départ, elle pratique plutôt le dancehall et le modern jazz. Elle est alors en BTS communication des entreprises et sur le parvis du musée d’art moderne à Nice, des danseurs hip hop s’entrainent : « L’entrainement de rue va me faire grandir en tant que danseuse et en tant que personne. J’ai pris des cours au début et puis, j’ai acheté une sono. Je mélangeais les styles, je travaillais sur la musicalité. Je suis née dans le 93 et on écoutait beaucoup de hip-hop. »

Elle se demande alors comment faire corps avec cette musique, se forme en faisant des battles et aussi en enseignant, « parce qu’en réfléchissant à une pédagogie, on continue d’apprendre tout le temps. »

Le hip-hop est pour elle un endroit de transfert des bonnes énergies, un espace de liberté, un lieu fédérateur qui a la capacité de transcender le quotidien, les vécus et les conditions de vie et qui nourrit son âme. Dans le cadre du festival Waterproof, on retrouvait deux fois Sandrine Lescourant.

En tant que chorégraphe et danseuse, elle présentait le 6 février au Triangle, son spectacle Acoustique, défini comme la conclusion d’un triptyque, qui au départ n’était pas fait pour l’être.

« C’est en fonction de ce que j’apprends de mon parcours initiatique de vie que je fais un spectacle. Personnellement, j’ai beaucoup voyagé toute seule et j’ai fait beaucoup de chose toute seule. Les filles ont été mes cobayes. En exprimant le « je », il y a eu un magnifique « nous » qui est apparu. »
précise-t-elle.

Quelques explications : en 2015, elle fonde la compagnie Kilaï et s’accompagne de quatre danseuses pour sa première création chorégraphique, intitulée Parasite. Comme Anne Nguyen et comme Paradox-sal, elle s’appuie sur l’essence même du hip-hop pour développer une réflexion autour du collectif et comment organiser ce collectif quand nos différences parasitent la rencontre de l’autre.

Dans un second temps, c’est en regardant de nombreux documentaires qu’elle va créer Icône : « Je voyais un côté très sombre de l’être humain et j’en voulais à la terre entière de toutes ces injustices. C’était une période très dure et j’en voulais aux icônes d’aujourd’hui, mis et mises en avant mais qui n’aident pas le commun des mortel-le-s. »

La conclusion est là, dans Acoustique, œuvre basée sur l’échange et le partage. Sur ces six protagonistes – quatre danseuses et deux danseurs – qui observent le public de très très près. Puis s’observent entre eux. Iels n’ont pas la parole mais le regard et le corps. Les mouvements s’enchainent, s’intensifient et se répètent.

Comme un apprentissage, comme une recherche d’un vocabulaire commun tout en conservant une gestuelle propre à chacun-e. Il y a de la confrontation, de l’échange, de l’incompréhension, du mime sans qu’il soit poussé au jeu de miroir, et cela va jusqu’à l’amusement, le plaisir d’être ensemble, de communier.

C’est heureux cette légèreté et cette allégresse. Puis vient le balbutiement du langage, des premières sonorités aux premières phrases d’un discours clair et puissant : « Nous ne sommes pas que des silhouettes insignifiantes. Nous sommes âmes, nous sommes elles, nous sommes eux… »

La découverte de l’autre, l’affirmation de soi, la rencontre et le partage. Sandrine Lescourant amène tout ça sur le plateau avec une énergie communicative réjouissante. Elle le dit, elle croit fortement en l’être humain et ça transperce ses chorégraphies, qu’elle en soit la créatrice ou l’interprète.

Et c’est un vrai moment de communion lorsque les participant-e-s de son atelier, donné durant la semaine, montent sur scène et envahissent le plateau, démontrant l’aspect participatif et inclusif de l’esprit du hip-hop dont se nourrit Sandrine Lescourant qui parle régulièrement du côté fédérateur de cette culture. 

ENTRE VIOLENCES ET ESPOIR

Le 31 janvier, au CCNRB, elle incarnait un panel de personnages qu’elle résume ainsi : « Je fais beaucoup le côté fragile du mec qui a pas encore confiance et qui pense que c’est par la violence et l’agressivité qu’il va trouver sa liberté. »

Cette pièce, c’est Hope Hunt, créée et dansée par la chorégraphe nord-irlandaise Oona Doherty, et pour la deuxième fois, Sandrine Lescourant campe le rôle du multiple protagoniste. Ce n’est pas vraiment une reprise de rôle, ce serait plutôt une sorte d’adaptation, façonnée par les deux artistes.

Dans les deux tableaux, c’est une danse de l’impuissance et de la virilité, comme l’annonce le programme. De son côté, Oona Doherty a puisé dans les mots et les attitudes corporelles des jeunes exclus de Belfast pour en révéler plusieurs stéréotypes de masculinité.

Elle tend ensuite à proposer un renouveau, atteindre une rédemption. Le travail de Sandrine Lescourant n’a pas simplement été d’apprendre une chorégraphie et de se l’approprier, il a également été de transcender l’histoire de par son histoire à elle, de par le contexte dans lequel elle évolue.

« Je suis seule au plateau mais je ne me sens pas seule du tout. Il faut dépasser le solo et incarner toutes ces personnes, ces violences de la rue, ces situations vécues par les plus démunis. Ça s’est fait rapidement, j’ai appris le rôle en 3 jours. Ça a été une très belle rencontre avec Oona, c’est une chorégraphe très engagée et très investie qui m’a nourrie de ses images et avec qui on a échangé à partir de mes images, de mes influences. Ça a fait grandir en moi une lumière, l’universalité de nos engagements. Je me considère comme un vecteur pour faire apparaître tous les personnages et sublimer la beauté de leurs fragilités. J’ai de l’amour pour ces gens-là, surtout que j’en connais beaucoup. J’ai donc puisé dans ce que j’aime, dans ce que j’ai pu traverser, sans me laisser ensevelir par ce sac d’émotions et d’inspirations. », développe-t-elle.

Cet après-midi là, entourée de Lise Marie Barry, régisseuse lumières qui la guide dans ses placements, et de Joss Carter, son binôme au démarrage du spectacle qui l’accompagne dans ses intentions et ses attitudes masculines lorsqu’elle est encore « too girly », elle engage tout son être pour atteindre les états de corps et de psyché nécessaires à cette incroyable performance qui nous frappe de son intensité.

Elle dégage l’espoir qu’elle prône, elle nous donne envie de chialer et de rire en même temps, et surtout elle nous donne envie de tendre la main. Que ce soit dans Acoustique ou Hope Hunt. « Danser pour transcender sa vie, ses conditions de vie, en terme d’énergie et de partage, c’est hyper fort ! Faire partie de la culture hip-hop, c’est déjà être engagé-e, c’est un acte social en lui-même. Et à partir du moment où on pose nos yeux sur ce qui nous intéresse, ça prend de l’ampleur. Alors, en hip-hop, il y a aussi des propositions plus légères mais pour ma part, l’engagement est quand même ce qui m’anime. C’est essentiel. Et plus je m’intéresse à tout ça, plus j’ai l’impression que la plupart des propositions sont engagées. », conclut la danseuse et chorégraphe. 

LA SORORITÉ, SUR ET EN DEHORS DU PLATEAU

Le trio de Mon âme pour un baiser, réuni par le chorégraphe Bernardo Montet et présenté au Triangle le 11 février, élargit l’horizon et la réflexion dans une danse qui mêlent violences des vécus, émancipation par le récit corporel et énoncé et puissance de la sororité. Les trois danseuses sont engagées corps et âmes dans leurs mouvements.

On sort ici du hip-hop pour s’approcher de la danse contemporaine. Ou plutôt d’une danse hybride qui ne répond plus à des codes normatifs. Seulement à un propos intérieur et intime que les danseuses choisissent de mettre en partage. Nadia Beugré par exemple ne définit pas sa danse, par volonté de ne pas se cloisonner.

Isabela Fernandes Santana a entrepris des études chorégraphiques et a collaboré avec des chorégraphes dans le champ de la danse contemporaine, mais ne définit pas pour autant sa danse non plus. Suzie Babin, elle, se dit danseuse, mettant tout son être au service de ce qu’elle relate sur le plateau. 

« J’aime ce côté interprète, il y a une liberté d’être et de décloisonner. La pièce m’a aidée et les filles aussi. Je me sens vecteur de quelque chose. C’est le côté psychologique de la danse. A l’école, je ne savais pas ce que j’étais. J’ai fait jazz et contemporain et puis maintenant j’évolue. », dit-elle.

Pour élaborer cette pièce chorégraphique, le trio a dû se plonger dans leur intimité, comme l’explique Isabela Fernandes Santana : « Cette matière fonde notre travail et on avait besoin de cet endroit très intime pour aller au-delà et déconstruire. Qu’est-ce que c’est qu’être ces trois personnes et avancer ensemble, trouver des solutions aux conflits, etc. Il y a trois corps différents entre eux, comment être interprètes ensemble, avec Bernardo qui travaille comme s’il était le réalisateur d’un documentaire ? Nous sommes les sujets de ce documentaire et c’est intéressant. »

Nadia Beugré est traversée par le portrait de la Vierge à travers les sociétés et les époques. Isabela Fernandes Santana est traversée par le portrait du leader du peuple autochtone brésilien krenak. Et Suzie Babin est traversée par le portrait d’un frère qu’elle aurait eu.

« Nous sommes trois femmes différentes, trois femmes qui vivons le fait d’être femme de façon différente. Le Brésil est un des pays qui tue et viole le plus de femmes au monde. Quand tu grandis en tant que femme dans ce contexte, faut toujours être attentive. J’ai eu tout un entrainement pour me protéger. Il y a un poids et un pouvoir sur le corps des femmes. Tu ne peux jamais lâcher, tu dois toujours cacher. C’est très libérateur de pouvoir être à l’aise avec elles deux. On peut toucher dans des endroits parfois intimes sans sentir le danger et sans avoir peur d’être sensuelles. », indique Isabela, rejointe par Suzie :

« Je suis une femme mais je ne revendiquais pas le côté artiste femme. C’est pas ce qui était important. On peut prendre part de sa part masculine et c’est d’autant plus valorisant. J’étais complexée par ça et aujourd’hui, je ne me définis pas garçon manqué, je me définis femme. »

Nadia, elle, se définit « comme un être tout d’abord. » Ce qui prime, c’est le fait de s’exprimer :

« Nos frustrations, nos désirs, il faut dire ce qu’on pense, on a le droit de parler d’orgasme, on a le droit d’être maladroit. Sans être jugé-e-s. Il y a urgence de dire car ce monde est en danger. Urgence de dire qu’on n’a plus peur. »

Au sein de cette pièce, de nombreux sujets sont abordés de front ou non. De par leurs propos, leurs gestuelles, leurs êtres, ce qu’elles sont, ce qu’elles dégagent, ce qu’elles interprètent, on voit poindre des corps blancs, des corps racisés, des corps musclés, des corps non épilés, des masculinités, des féminités, des sexualités, et puis les histoires s’affinent et les paroles nous envahissent :

« Il n’y aura pas de trêve, de soumission, de oui mais, de renoncement, de colère, de murmure, de territoire volé, de clitoris coupé. Il y a aura de la joie d’être là, d’être moi, de crier, de pleurer, de bouger le cul (…) de transgresser, de s’assumer, de piétiner, de se défoncer, de prendre du plaisir, d’être fou, de danser. »

Et dans les mots et les corps des danseuses résonnent des multitudes de violences sexistes, sexuelles, racistes et colonialistes. Elles déconstruisent les mythes et tissent les liens d’une sororité libératrice et émancipatrice. Autant sur le plateau qu’en dehors de la scène. Partant d’histoires personnelles, fictives ou non, contemporaines ou non, elles dénoncent les conditions des femmes et se libèrent des carcans en osant exprimer ce qu’elles sont individuellement et ce qu’elles représentent dans le collectif.

C’est souvent là la portée de l’art en général. Véhiculer des messages forts, reflets de la société qu’il vient mettre en exergue pour la critiquer et/ou la transcender. « En tant qu’artiste constamment en mouvement, on ne peut pas arriver sur le plateau pour dire que tout va bien. Dansons les maux ! », réagit Nadia Beugré.

CONSTRUIRE À PARTIR DE L’EXISTANT

Qu’elles revendiquent un engagement social ou non, elles expriment cependant toutes la même idée : la culture hip-hop prône l’affirmation de soi au sein d’un collectif qui ne cherche pas à nous conformer. On aime cette idée, même si on ne peut s’empêcher de penser que la notion d’appartenance à une culture est déjà en soi une forme de conformité.

Toutefois, sur scène, on voit effectivement se mouvoir des corps dont les gestuelles divergent sans pour autant s’opposer. Elles cohabitent et vont même plus loin - et c’est là le propos des diverses propositions auxquelles nous avons assisté – en cherchant à construire ensemble, non pas dans le compromis qui pourrait s’apparenter à l’élaboration d’une norme, mais à partir de ce que chacun-e est et comment iel l’exprime. C’est brut et c’est puissant.

Peut-être utopique en l’état actuel de la société telle que nous la subissons mais elle a au moins le mérite de transcender notre réalité pour la rendre meilleure, sans être si inaccessible que ça. Elle nous montre que chacun-e a des spécificités et des spécialités. Et que l’on peut en tirer de nombreuses richesses, dans le respect et la reconnaissance de celles-ci et non pas dans l’imitation et dans l’appropriation.

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L'engagement dans la danse hip-hop
Exprimer qui on est, sans se conformer
La danse au cinéma

Célian Ramis

Danse : Puissance waack

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C’est une danse à découvrir le waacking, à observer et à tester. Elle peut être divertissante et légère mais aussi, forte d’une histoire pas terminée – les personnes LGBTIQ+ et les personnes racisées étant encore largement discriminées – politique et militante.
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Los Angeles. Bienvenue dans les années 70. Homosexuels afro-latinos, faites-vous discrets. Voire invisibles. Le mépris et les discriminations rodent encore, même si les premières gay prides apparaissent, les mentalités sont loin d’avoir évolué.

Dans les clubs, à l’abri des regards de celles et ceux qui voient en vous de la perversité, vous pourrez waacker à volonté. Ici, tout est permis. Sous les feux des projecteurs et les flashs des photographes ébahis, vous diffusez de la liberté, du glamour et de la sensualité. Vous dansez et vous êtes magnifiques !

Si on parle d’élégance à la française, on doit bien avouer malgré tout que le waacking n’est pas très répandu dans l’Hexagone. Pourtant, nous en avons des waackeuses d’excellence, dignes héritières de cette danse afro-américaine gay, inspirée par les stars du cinéma hollywoodien des années 50. Changement d’époque, changement de contexte, changement de pays, les ambassadrices d’aujourd’hui tendent à montrer que le waacking peut aussi rimer avec la francophonie. Rencontre avec Princess Madoki et le collectif dont elle fait partie, Ma Dame Paris, dont l’objectif est de faire connaître cette danse, la démocratiser, en montrant comment chacun-e peut se l’approprier, sans jamais en oublier son origine. 

« Le waackeur, il aime être beau, il aime être vu, il est le premier personnage du film, pas autre chose, on ne filme que lui. Mais y a un truc que je ne vous ai pas dit. Ça fait super mal au bras ! », rigole Josépha Madoki. Dimanche 10 mars, à partir de 16h, elle mène le Bal Waack sur la scène de L’Étage du Liberté, à Rennes.

Invitée par Le Triangle, elle est entourée de deux assistantes : Sonia Bel Hadj Brahim, membre du collectif Ma Dame Paris, et Viola Chiarini, fondatrice du collectif Mad(e) in Waack. Face à elles, une foule pailletée et strassée – avec modération – de femmes et d’hommes suspendu-e-s aux funky steps de Princess Madoki, qui décompose les pas, sans musique dans un premier temps. 

Elle avait raison, les douleurs se font ressentir rapidement, les mouvements de bras étant à la base de la danse : « C’est très important en waacking, la posture du corps. On est fier-e-s et on a la tête haute. La traduction de « waack », c’est « tu crains », et pour le dire, on fait un geste de la main, vous savez quand on lève la main en l’air et on envoie balader quelqu’un ?! À partir de là, on peut freestyler, s’amuser ! On va vous mettre un son et vous allez improviser sur le geste du jeté. » 

DRAMA, DRAMA, DRAMA…

Du disco et du funk pour les accompagner « et un peu de drama ». Parce que le waacking, c’est aussi basé sur le punking : « On raconte une histoire, on est un personnage de film, on rajoute du drama, de l’émotion, on en fait des caisses ! » Le public se prend facilement au jeu, entre dans la peau d’une grande vedette de cinéma digne des années 50 et jette les bras à la figure des voisin-e-s. Façon de parler, évidemment… Puis d’un personnage, on passe à un autre.

On apprend à manier le jeté mais aussi le rattrapé. On fait semblant de lancer des dés en l’air ou par terre, on freestyle avec des partenaires d’une chanson. « On adore se prendre pour des stars, nous, les waackeurs. Imaginez, vous êtes à Los Angeles, Hollywood. Vous tournez avec Dicaprio. Naturellement, il a le second rôle et vous avez le premier. Y a des caméras braquées vers vous, des photographes, vous êtes belles, vous êtes beaux. Vous êtes sur-e-s de vous. Vous prenez la pose de star, vous croisez les bras, vous jetez un regard de star… », détaille Princess Madoki, tout en simulant des attitudes de diva afin d’expliquer ce qu’est le posing

Derrière elle, s’affichent des photos de celles (et ceux) qui ont inspiré la communauté à l’initiative de cette danse : Greta Garbo, Audrey Hepburn, Fred Astaire ou encore Marilyn Monroe. De profil avec la jambe légèrement pliée, la tête droite, le menton levé et l’arrogance faussement naturelle, le sourire franc ou le regard rempli de sensualité, la grâce de ces célébrités est travaillée, façonnée, fabriquée et figée à jamais.

« À vous de créer vos propres poses », lance la meneuse avant de proposer de terminer en beauté par un soul train (couloir formé par les danseurs-seuses qui passent dedans deux par deux pour danser, encouragé-e-s par les autres participant-e-s), en référence à l’émission Soul train, diffusée aux Etats-Unis de 1971 à 2006. 

C’est grâce à ce show télévisé que le waacking a pu être mis en lumière, mais aussi grâce à des personnalités influentes de la soul comme Diana Ross. En un peu plus de deux heures, Josépha, Sonia et Viola font la démonstration du potentiel et de l’esprit développés par le waacking, sans pouvoir explorer tous les recoins de l’étendue de cette danse. 

AVANT DE WAACKER

Cette danse, elle ne la connaissait pas avant les années 2005/2006. Mais Josépha Madoki a toujours dansé. D’aussi loin que ses souvenirs remontent et d’après les dires de sa famille, dès qu’elle a pu, elle a dansé. Vers 8 ou 9 ans, elle prend ses premiers cours et montre un goût certain pour le mouvement. Dans son quartier, elle se forme au modern jazz et à la danse africaine.

« À 16/17 ans, j’ai découvert le hip hop, j’ai eu un coup de foudre. J’ai dit : c’est ça que je veux faire de ma vie. », se rappelle la danseuse qui a l’air de revivre instantanément ce déclic. À Lille, là où elle grandit, son professeur de danse souhaite créer une compagnie semi professionnelle et la faire monter sur scène pour les spectacles.

« Je voulais vraiment en faire mon métier et mes parents ont dit non. J’ai continué mes études de droit, ça faisait la fierté de mes parents. Mais la danse était plus forte. J’allais à l’université la semaine et je partais en tournée régionale le week-end. J’avais envie de bouger, j’avais envie d’être sur scène. J’ai voulu faire une école de danse à Paris qui forme au milieu du spectacle. Mes parents ont redit non. Mon père est très carré. Mais ce qu’il n’avait pas compris, c’est que ce n’était pas une question. », souligne Josépha qui va alors se démener pour trouver un travail et un logement dans la capitale. 

À la fin des vacances, elle prend sa valise et part faire ce qu’elle a envie de faire : « C’était un stress parce que mon père m’a dit « Si tu pars, tu ne reviens plus ». Il faut être déterminée dans son choix et sa volonté. J’étais certes la meilleure danseuse de la région mais à Paris, il fallait que je me fasse ma place. » 

Là encore, elle témoigne d’une grande volonté et d’une détermination d’acier. Et elle remercie ses parents de lui avoir mis la pression. « Sur une centaine d’auditions, tu en rates 80. Beaucoup de danseuses lâchent. Moi, la voix de mon père résonnait dans ma tête. À l’Académie internationale de danse, j’ai reçu une formation en danse contemporaine, danse classique, jazz, etc. », poursuit-elle, en précisant :

« Quand tu es une femme dans le milieu de la danse, tu dois être pluridisciplinaire. Cette formation m’a permis d’apprendre d’autres choses et de faire autre chose de mon corps. Je suis devenue danseuse professionnelle à ce moment-là. »

DE GRANDES COLLABORATIONS

Elle collabore avec des chorégraphes comme Marguerite M’Boulé et Ousmane Babson Sy – chorégraphe des talentueuses Paradoxsal et membre du Collectif Fair(e) qui dirige aujourd’hui le Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne – avec qui elle explore une gestuelle hip hop.

Mais aussi avec James Carles dans Danses et Continents Noirs, projet reprenant les répertoires des danseuses afro-américaines du début du XXe siècle ou encore, côté plus contemporain, avec Sylvain Groud dans Elles, pièce chorégraphique pour cinq danseuses hip hop.

Plusieurs années et une multitude d’expériences plus tard, Josépha Madoki monte son propre solo, Mes mots sont tes maux, dans lequel elle dresse le portrait des femmes meurtries dans leur chair à cause de l’excision subie et contrainte et dénonce ici cette pratique, les douleurs physiques et les souffrances de l’âme infligées.

Entre temps, elle a décroché un gros contrat dans la comédie musicale Kirikou et Karaba, mise en scène et chorégraphiée par Wayne Mc Gregor. Trois mois au Casino de Paris, trois ans de tournée internationale :

« J’ai goûté à la scène tous les soirs, c’était super intense. J’ai invité mes parents. La scénographie était magnifique et c’était un très beau spectacle visuel. Leur vision a changé, ils ont vu la danse comme un vrai travail. Ils ont vu le côté professionnel. Ils ont vu qu’il n’y avait rien de dégradant. C’était ça, la peur qu’ils avaient. »

C’est là que son père va lui dire pour la première fois qu’elle danse comme son arrière-grand-mère. La meilleure danseuse de son village au Congo, pays natal de Josépha. Pour elle, ces propos font sens. Tout comme le fera la rencontre avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui qui en 2013 organise une audition à Londres pour son nouveau spectacle tiré de la pièce de théâtre d’Aimé Césaire Une saison au Congo.

Au-delà de l’enthousiasme provoqué par l’éventualité d’une collaboration avec ce professionnel qui la subjugue, elle explique qu’il s’agit là de sa propre histoire, celle de sa famille. Elle est prise et elle réitère l’expérience dans Babel, de ce même chorégraphe qui la fera également danser dans le clip de la chanson « Apeshit » de Beyonce et Jay-Z, tourné au Louvre. Elle est la seule danseuse française dans le groupe et se paye le luxe d’un solo de waacking devant La Joconde. 

RENCONTRE AVEC LE WAACKING

Depuis 2005, Josépha Madoki poursuit son rêve d’adolescente, en étant danseuse professionnelle. De battles hip hop en compagnies, de cours en chorégraphes pluridisciplinaires, elle fige son regard sur une danseuse japonaise qui pratique le waacking.

Cette danseuse, c’est Yoshie, une figure importante et renommée au Japon : « C’était trop beau, c’était trop bien ! Je ne savais pas ce que c’était mais je me suis renseignée sur elle et sur le waacking. » Nouvelle révélation pour la Lilloise qui aime apprendre et se nourrir de nouveautés.

Elle fait des stages à Paris, c’est la renaissance du waacking à cette époque mais en France, cette danse n’a jamais connu le grand essor. À cette époque également, Josépha doute de sa féminité.

« Je venais du hip hop, je n’avais pas encore exploré cette facette-là de moi. Et puis en 2012, je me suis lancée. Je suis allée à Los Angeles, à New York, rencontrer les waackeurs et je me suis aussi beaucoup entrainé toute seule. »
signale la danseuse qui fait encore une fois preuve de détermination dans sa volonté.

Une détermination qui l’emmène l’année suivante en Suède pour participer à Street Star, un des plus grands événements mondiaux. Elle se qualifie pour la demi finale où elle doit y affronter la célèbre Yoshie. Celle qui a fait que tout a commencé pour elle : « Elle m’a inspirée, j’étais trop contente de danser avec elle. Tu vois, je dis danser avec elle et pas contre elle. J’étais sure de perdre mais j’étais trop contente. Et j’ai tellement bien dansé que j’ai gagné. J’ai perdu ensuite mais pour moi, c’était incroyable ! »

Sa carrière prend son envol à cet instant précis. La vidéo de cette demi finale est vue par des centaines de milliers de personnes : « Les gens voulaient apprendre de moi, c’était fou ça pour moi ! » Son personnage, Princess Madoki, elle l’a créé en 2012 et en parle comme une espèce d’exutoire. Elle qui n’avait pas encore exploré sa féminité peut la pousser à son paroxysme dans le waacking.

Talons hauts, faux cils, des airs de diva, « on peut être une queen ou un king, tout est normal, tout le monde est perché dans son monde. » À la différence des battles hip hop dans lesquelles on performe, dans le waack, on s’interroge sur l’histoire que l’on raconte et on se donne « la possibilité de se réinventer ». 

À L’ORIGINE

L’histoire de cette danse part de cette essence-là. « Le waacking est né dans les années 70 et est venu de la communauté gay afro-américaine et latino à Los Angeles. C’était une communauté discriminée à qui on disait « tu n’as pas le droit d’être là, tu n’as pas le droit d’exister ». Mais ce monde-là du cinéma hollywoodien, ils avaient envie de le toucher eux aussi et l’ont reproduit dans les clubs en partant du principe qu’ici on peut être qui on veut être. Beaucoup de danses naissent de frustrations. Ces espaces qu’ils ont créés étaient des lieux d’échange et de liberté. C’est une social dance le waacking ! », se passionne Josépha.

Aujourd’hui, elle puise dans l’esprit initial de cette danse mais insiste sur le fait que l’époque a changé, ainsi que le contexte, « et surtout, ce n’est pas le même pays. » La démarche est différente mais elle a en commun ce besoin de liberté, cette envie de se réinventer.

« En France, de manière générale, il ne faut pas trop en faire et il ne faut pas en dire trop. Le waacking permet la réappropriation. », souligne la waackeuse. Cela signifie la réappropriation de son corps qui ne doit pas être définie par les diktats :

« En tant que femmes, que femmes noires, que femmes racisées, on en est constamment assaillies de diktats au niveau du corps. En waacking, on voit tous les types de corps et personne ne va se juger. Tous les corps sont beaux, toutes les poses sont belles. C’est un espace de liberté ! »

C’est certainement ce qui fait la réussite du Bal Waack. Si personne n’a poussé l’habillement à l’extravagance, les touches argentées et pailletées ornent les hauts et les coiffures des participant-e-s qui, timides au départ, se laissent séduire et se prennent au jeu sans porter trop d’attention aux regards qui pourraient se poser sur leurs mouvements ou attitudes. Le lâcher prise semble imminent. 

ESPACE DE MILITANTISME

Pour la danseuse et chorégraphe Ari de B, formée d’abord au hip hop et ensuite au voguing et au waacking, « c’est un détournement des codes de l’élégance parce que c’est une élégance qui n’est pas accessible. C’est l’élégance blanche, l’élégance riche, qui n’est pas celle des personnes qui incarnent le waacking. Du coup, c’est créer un espace nous aussi en tant que communauté queer, gay, racisée, où on peut se sentir exister et se sentir légitimes dans une élégance et une norme de beauté ou des normes de beauté qui seraient nôtres. Qu’on crée pour nous, par nous. »

Elle poursuit son interview, donnée à Nova en décembre 2017 : « Si on décale un peu le regard, ce qui est un peu le but justement de ma militance ou de mon activisme, de la façon de représenter la danse et dans la façon de me représenter dans la danse, on voit que l’élégance, la beauté et la classe, c’est ailleurs. Dans le waacking, les mouvements de mains, les mouvements de bras sont là pour raconter une histoire, pour attraper la lumière, dire « non ne me regarde mais si regarde moi ». Pour moi, danser, c’est me réapproprier mon corps, me réapproprier ma prise d’espace, c’est me réapproprier mon intérieur et je trouve que c’est vraiment un moyen de résilience, résistance. » 

La puissance et la portée politique, on pourrait passer à côté en découvrant le waack d’un seul œil, pensant que cette danse véhicule finalement une forme de féminité caricaturale et mène à revêtir un masque d’hypocrisie, notamment quand on se réfère à l’écart entre l’image renvoyée par Marilyn Monroe et son vécu dans sa vie privée. Ce serait se fendre de la partie très engagée du waacking d’aujourd’hui, comme ont pu l’exprimer Ari de B et Princess Madoki.

Cette dernière, en plus de défendre la liberté impulsée et insufflée par cette discipline, milite pour la développer en France. « Avec d’autres danseuses avec qui on partage la même énergie et la même vision, on a fait le constat qu’on ne connaissait pas le waacking en France. On apparente ça à du voguing alors que c’est différent. On s’est alors dit qu’on allait s’associer pour faire connaître cette danse. On a alors monté le collectif Ma Dame Paris. », explique Josépha. 

MA DAME PARIS, POUR WAACKER EN FRANÇAIS

Le trio se compose d’elle-même, de Sonia Bel Hadj Brahim et de Mounia Nassangar. Ensemble, elles créent un spectacle court, de moins de 8 minutes, intitulé Waackez-vous français ? pour répondre à cette dérangeante réflexion entendue à plusieurs reprises à l’étranger, visant à leur faire remarquer qu’elles étaient des françaises qui dansaient sur des paroles écrites et chantées en anglais.

Elles décident alors de danser sur des musiques exclusivement francophones pour en effet orienter une danse à travers laquelle le corps bouge en résonnance avec la musique et les mots. « Ça résonne sur notre waacking de danser sur notre langue maternelle. Ça fait évoluer notre danse. », analyse Princess Madoki. De cette version courte, elles ont gardé l’idée du répertoire francophone et ont réalisé une deuxième création, plus longue cette fois, appelée Oui, et vous ? pour répondre à la première. Comme un fil rouge. 

Et c’est d’ailleurs de rouge qu’elles sont vêtues dans cette pièce présentée au Triangle le 1ermars, lors de deux représentations dans la même journée. Et ça commence fort. On est secoué-e-s d’emblée avec la célèbre chanson « Les nuits d’une demoiselle » de Colette Renard, parue en 1963.

« Ça frappe directement. Nous, on a aimé sa façon d’utiliser les mots, de jouer avec les mots et de parler de sexe. Alors, c’est un peu osé d’ouvrir le bal là-dessus mais ça démontre bien la richesse de la langue française et nous, on est fières d’être françaises. », sourit malicieusement Josépha qui pointe avec le même enthousiasme qu’elles font un pied de nez au cliché que l’on pourrait avoir du waacking :

« Comme c’est très féminisé, on nous attend sur le côté belles filles qui font des poses. On n’est pas rentrées dans un côté d’hypersensualité, on a justement intégré très rapidement un tableau froid et robotisé. »

Dans Oui, et vous ?, elles poussent le waacking dans une forme de théâtre chorégraphique et montrent comment à partir d’énergies différentes elles composent une histoire commune. Elles jouent avec les rythmes, effectuent des jeux de miroir, contrebalancent lâcher prise et contrôle, démontrent la puissance de cette danse et de l’étendue de ses possibilités, jusqu’à une forme de transe dans laquelle les mouvements sont tellement rapides et répétitifs que l’on ne distingue plus les doigts de leurs mains ni même leurs bras. 

Puis survient le relâchement qui opère comme une descendante de désinhibants en fin de soirée ou en lendemain de fête. Trente minutes durant, elles témoignent du côté technique très exigeant de cette danse dans les arms control qu’elles confrontent à un côté très brut puisqu’elles poussent au maximum leurs capacités physiques et corporelles. 

C’est une danse à découvrir le waacking, à observer mais surtout à tester. Elle peut être divertissante et légère mais aussi, forte d’une histoire qui ne s’est jamais terminée – les personnes LGBTIQ+ et les personnes racisées étant encore largement discriminées – politique et militante.

On peut d’ailleurs croiser les qualificatifs mais surtout on peut embrasser la liberté que waacker procure. Parce que laisser libre cours à sa féminité n’est pas toujours accepté, on est bien décidé-e-s à faire ce qu’il nous plait !

 

 

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