Célian Ramis

Rompre le silence patriarcal et validiste

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Un homme et une femme dansent à l'occasion de l'exposition Féminisme et handicap psychique : la double discrimination
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Elles encourent un risque plus élevé de subir des violences sexistes et sexuelles au cours de leurs vies mais dans la société patriarcale et validiste, on ne parle que trop peu d’elles : les femmes en situation de handicap sont silenciées et invisibilisées.
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Elles encourent un risque plus élevé de subir des violences sexistes et sexuelles au cours de leurs vies mais dans la société patriarcale et validiste, on ne parle que trop peu d’elles : les femmes en situation de handicap sont silenciées et invisibilisées. À travers l’exposition « Féminisme et handicap psychique : la double discrimination », les personnes concernées mettent leurs existences et difficultés en lumière pour une prise en considération globale de leurs individualités.

Le chant des Penn Sardine résonne dans la salle du Jeu de Paume qui ce jeudi 14 mars accueille l’atelier théâtre, proposé par le SAJ (Service d’Accueil de Jour) de l’association L’autre regard. C’est Fantine Cariou, animatrice sociale au sein de la structure, qui l’interprète lors d’un temps court de représentation du travail élaboré pendant l’année. L’hymne résonne avec le 8 mars, à Rennes, qui a mis à l’honneur les luttes victorieuses de ces ouvrières de conserverie (grève à Douarnenez, en 1924) dont on célèbre le centenaire en 2024. 

Dans le cadre du projet « Féminisme et handicap psychique : une double discrimination », une dizaine de femmes en situation de handicap psychique ont pris part à la manifestation militante cette année et l’année précédente. Entre temps, Fantine Cariou et Manon Rozelier, étudiante en alternance au sein de L’autre regard également, leur ont proposé des ateliers mensuels autour de l’imbrication des discriminations liées au genre et au handicap, des interventions du Planning Familial 35 et la présentation de la pièce Elles, l’autre mémoire de la compagnie Les combats ordinaires. Sans oublier la création et la présentation d’une exposition à découvrir jusqu’au 21 mars au Jeu de Paume.

LE JEU DU MIROIR

Onze personnes participent à cet atelier ludique qui opère à travers des exercices basés sur l’écoute et l’observation de soi et des autres. Déambuler, accélérer, se croiser, se regarder, marquer un temps d’arrêt et repartir. Agir en miroir de l’autre, être à l’écoute et en réaction de l’autre. « On commence à faire connaissance, on connait nos prénoms, on se regarde, on se rencontre », souligne Yann, animateur de l’atelier théâtre. C’est la première fois que Danielle, 66 ans, prend part à l’activité. Avec Sylviane, elles sont toutes les deux bénéficiaires de l’accueil de jour et ont participé à ce projet indispensable pour briser les tabous : « J’ai été prise en photo, ça fait drôle… Mais je me suis trouvée bien ! »

Dans le couloir du Jeu de Paume, elles posent aux côtés de Léa, Mélissa ou encore de Marie-Charlotte. Sous l’œil averti de Tony Jean, un habitué de L’autre regard, et d’Elodie Potel, animatrice sociale, ces femmes se sont prêtées à l’exercice de la photographie, le temps d’un après-midi, et se sont confrontées au rapport à l’image qu’elles ont d’elles-mêmes. « Ça m’a fait du bien, je me suis sentie plus féminine » / « La photo dévoile comme on est. Du coup c’est dur de se voir, et de s’accepter comme on est. » / « Au début, j’étais pas à l’aise, je ne savais pas que j’étais aussi belle que ça. », peut-on lire dans un système de bulles, ou encore : « Je vois que malgré les rondeurs et le handicap on peut être belle. Sur la photo, on oublie le fauteuil roulant. »

DES TÉMOIGNAGES PUISSANTS

Déconstruire les préjugés sur les personnes handicapées mais aussi rompre avec le silence et l’invisibilisation dans lesquels le système patriarcal et validiste les enferme constituent les objectifs de cette exposition, consécration d’un an de travail, comme le souligne Fantine Cariou, accompagnée de Manon Rozelier : « Dans le cadre de l’accueil de jour, nous avons des temps d’atelier, ce qui permet d’établir une relation de confiance. Les participantes ont quasiment toutes témoigné de violences sexistes et sexuelles. Le projet est parti de là. »

Les récits s’accumulent et s’entrecroisent, la colère monte, des temps sont organisés pour échanger autour de leurs conditions et de leurs vécus. Des espaces bienveillants saisis par les personnes concernées. Le studio photo, aménagé dans les locaux de l’association, se veut un cocon et le temps, conçu en mixité choisie plus tard, pour que les femmes choisissent leurs photos, est un lieu safe pour déposer expériences et ressentis : « C’est ce qui a servi de matière pour les témoignages dans les bulles. Tout a été anonymisé. On a souhaité mettre les mots et les visages à côté mais sans pouvoir savoir de qui ça vient. »

Les propos sont poignants et percutants. « Je me bats contre tous les hommes qui nous font du mal, nous battent, nous violent, nous maltraitent, nous prennent pour des objets… », écrit l’une, tandis que d’autres dévoilent : « J’aimerais être comme les autres. Je n’aurais pas été violée, je n’aurais pas été comme ça. » / « Je vais vous dire la vérité, je suis désolée, mais j’aurais bien voulu être un homme (…). On m’a fait trop de mal. J’ai eu trop de soucis avec les hommes, j’ai eu des rapports, j’ai été violée, j’ai dû porter plainte… je préfère pas en parler. »

VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES : DES CHIFFRES ALARMANTS

À la marge, mises au ban de la société, les femmes en situation de handicap sont majoritairement silenciées et invisibilisées. Reniées dans leurs identités et existences. Au sein du mouvement féministe, elles sont souvent reléguées au second plan. « Le mouvement #MeToo a mis en lumière les injustices auxquelles sont confrontées les femmes et les minorités de genre au quotidien. Mais beaucoup d’entre elles ne sont pas représentées malgré les tentatives de ne pas les oublier. Les personnes que nous accompagnons sont en situation de fragilité psychique et elles font partie de cette catégorie de femmes invisibilisées dans les mouvements de lutte. », relatent Fantine Cariou et Manon Rozelier en introduction de l’exposition, attirant l’attention sur un fléau de grande ampleur : « Pourtant, paradoxalement, elles courent un risque plus élevé d’être victimes de violences sexistes et sexuelles, tant physiques que psychologiques. Dans notre société validiste, ces femmes sont victimes d’une double discrimination : celle liée au genre et celle liée au handicap. » 

Les chiffres sont édifiants : en Europe, 4 femmes en situation de handicap sur 5 subissent des violences et/ou des maltraitances, tous types confondus, 35% des femmes en situation de handicap subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire (contre 19% des femmes valides), près de 90% des femmes avec un trouble du spectre de l’autisme déclarent avoir subi des violences sexuelles, dont 47% avant 14 ans et 27% des femmes sourdes et malentendantes déclarent avoir subi des violences au cours de leur vie.

L’exposition confirme : « Les femmes en situation de handicap sont au moins deux à trois fois plus susceptibles que les autres femmes de subir des violences, notamment par la famille, les partenaires intimes, les soignants et les établissements institutionnels. » Malgré les statistiques et les témoignages, dans la société, face à ces situations de violences, le silence règne, l’impunité également. Les vécus traumatiques sont intériorisés par les personnes concernées, comme le signale Manon Rozelier : « Elles nous en parlent à nous, en tant que professionnel-les parce que je pense que ça leur permet de prendre du recul que quelqu’un-e leur dise que non, ce n’est pas normal ce qu’elles vivent ou ont vécu ! »

DÉCONSTRUIRE LA DOUBLE DISCRIMINATION

Stéréotypes de genre, idées reçues sur la vulnérabilité, la non désirabilité et l’objetisation des femmes en situation de handicap, remarques grossophobes et quotidiens de violences… L’exposition, sans prétention d’exhaustivité ou d’exemplarité concernant la représentativité, aborde de nombreux sujets pointant les discriminations et (micro et macro) agressions vécues par les participantes. Et c’est aussi l’occasion pour elles de faire entendre leurs voix et de rendre l’invisible visible : « Ce projet, c’est une bonne idée pour montrer aux autres qu’il y a des femmes en situation de handicap, qu’on existe. » / « On n’imagine pas que j’ai un handicap physique, psychique et intellectuel. » ou encore « Même si on a le handicap psychique, ça ne nous empêche pas de vivre. Le plus dur, c’est le regard des autres. »

Par là, elles mettent en lumière leurs difficultés, leurs espoirs, leurs sourires et leurs forces. Et agissent comme un miroir sur les spectateur-ices, obligé-es d’interroger leurs perceptions, jugements et privilèges dans une société régie par les dominations (sexisme, racisme, validisme, LGBTIphobies, grossophobie, classisme…). Face au manque latent d’information autour de la vie affective et sexuelle, autour du consentement, face aux interrogations diverses en matière de respect de l’intimité et en matière d’égalité entre les femmes et les hommes mais aussi face à la masse de témoignages de violences sexistes et sexuelles subies par les femmes en situation de handicap, le projet « Féminisme et handicap psychique » affirme une réalité effrayante et un besoin urgent de formation des professionnel-les et de diffusion de l’information concernant tout le volet de lutte contre les discriminations. 

Pour promouvoir une culture de l’égalité entre les femmes et les hommes et penser l’imbrication des multiples discriminations auxquelles sont confrontées les identités plurielles. Pour ne pas les réduire à un handicap, un genre, une orientation sexuelle, une identité de genre, une origine ou une couleur de peau. Pour les prendre en considération dans leur entièreté tout autant que dans leur individualité. 

 

  • L'exposition Féminisme et handicap psychique a été présentée au Jeu de Paume du 8 au 21 mars - dans le cadre du 8 mars à Rennes - et a été réalisée par les bénéficiaires de l'accueil de jour de l'association L'autre regard.

Célian Ramis

Lily Franey, l'engagement dans l'âme et en images

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Du 11 mars au 30 avril, à la Chambre claire de l'université Rennes 2, plus d'une vingtaine de clichés engagés autour des conditions de vie des enfants sont réunis dans l'exposition "Je, tu, il, elle, nous avons des droits". Signée Lily Franey.
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Elle a appris la photographie de manière autodidacte et a allié son regard à ses révoltes. Du 11 mars au 30 avril, à la Chambre claire de l'université Rennes 2, plus d'une vingtaine de clichés engagés autour des conditions de vie des enfants sont réunis dans une exposition intitulée Je, tu, il, elle, nous avons des droits. Signée Lily Franey.

Face à la photo d'une petite fille qui transporte sur sa tête de nombreuses briques, Lily Franey se souvient de la fierté qui se dégageait de cette enfant. « Pour elle, c'était normal d'être dans ce champ de briques et de faire ça. », commente-t-elle, sans jugement. Tout comme pour elle, dans sa jeunesse, il était normal d'aller travailler à l'usine pour rapporter de l'argent. 

Enfin, pas tout à fait. Parce qu'elle l'avoue, elle a toujours eu dans un coin de la tête l'idée que ce n'était pas sa place. Elle voulait autre chose Lily Franey. Et pour l’obtenir, elle est même capable de fuguer en Angleterre.

Cette autre chose, c'est un métier artistique mais ça, elle ne s'en rendra compte qu'un peu plus tard, après avoir été secrétaire de la navigation aérienne et de partir vivre trois ans au Maroc, avec son mari.

Elle découvre la photographie et au passage, une passion. Elle va étudier la technique et faire des stages avec des professionnels. « En fait, ce métier m'est tombé dessus, c'est vraiment ça.»,dit-elle. 

Elle a un contact direct avec les gens et s'en étonne elle-même. Une complicité instinctive qu'elle ne s'explique pas. Elle a quand même une idée du pourquoi du comment : « C'est dans la façon de s'approcher des gens, de rentrer dans leur monde. C'est ce qui m'intéresse, c'est ce qui me passionne. »

Quand elle répond à une question, elle prend toujours le temps de la réflexion. Comme une précaution. Elle ajoute souvent qu'elle ne sait pas si ça vaut bien le coup d'en parler dans l'article. Mais qu'on fera bien ce qu'on voudra avec les informations qu'elle nous donne.

FAIRE SES PREUVES

Sa modestie et son humilité ont marqué depuis longtemps sa carrière. On remonte en 1988, année durant laquelle elle va faire son entrée à l'agence Rapho. Mais avant cela, il a fallu qu'elle fasse ses preuves. Elle montre ses photos à Robert Doisneau qui lui conseille d'aller de sa part à l'agence : 

« J'y suis allée mais sans dire que je venais de sa part. J'ai préféré faire mes preuves. Ça a été long mais je tenais à montrer des photos originales. Qu'on se dise en voyant mes photos que ce n'était pas la même chose que les autres. »

Et après l’interview, Jean-Pierre Franey nous le confirme, les photos de Lily Franey ne ressemblent pas à celles des autres. Elle l’a encore prouvé lors du travail qu’elle a réalisé à l’occasion du 8 mars. Elle se démarque des autres. Et on comprend ça très vite en l’écoutant mais aussi et surtout en plongeant dans les histoires que nous racontent ses photographies.

Elle ne lâche pas facilement, elle ne se décourage pas et va régulièrement à l'agence où on lui ouvre un compte avant même que le directeur ne l'embauche. Elle est adoptée par le personnel. Ça lui plait comme entrée.

Elle côtoie désormais ceux qu’elle nomme « les grands maitres » de la photographie, qui deviennent petit à petit ses amis. Elle le dit sincèrement, elle n'a pas senti avec eux de sexisme. Mais avec d’autres collègues masculins, oui.

« En tant que femme, il faut savoir se placer, parler, se mettre en avant. Et moi, je ne suis pas comme ça. », souligne-t-elle. 

LILY FRANEY, L’HUMILITÉ

Elle en vient à remplacer Doisneau, qui déborde de travail. C'est sa fille à lui qui demande à Lily : « Mais on m'a quand même mise avec un homme pour répondre à la commande. Avec le recul, je pense que j'aurais pu le faire seule. J'en étais capable. »

Au vernissage, Robert Doisneau lui dit qu'elle reste humble. « Et je suis restée humble. J'aurais sans doute pas dû. Mon collègue masculin a eu une belle commande après ça, de la part du ministère de la Culture. Alors qu'après l'expo, la direction de la RATP a choisi des photographies pour les exposer en affiches grand format dans les stations de métro à Paris. Cinq de mes photographies ont été retenues et seulement 2 de mon collègue masculin. », relate-t-elle.

Après la direction de la RATP, c'est le comité d'entreprise qui la sollicite pour une expo sur les enfants en colonie de vacances : « Je suis restée humble, j’ai dormi dans les petits lits. Humble. ». Elle rigole.

Elle réalise également une exposition pour le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, sur les femmes au travail. Puis obtient une aide à la création pour élargir son sujet à d'autres métiers. Lily Franey commence à recevoir de plus en plus de commandes institutionnelles, ses copines iconos lui disent qu’elle fait désormais partie des grand-e-s !

DES PHOTOS DE GAUCHE

On lui dit aussi qu’elle fait des photos de gauche. Forcément, on s'interroge naïvement sur ce que ça signifie, des photos de gauche : « Bah, je pense que ça se voit que je suis proche des gens. C'est ce que je traduis en images. Et puis les revues dans lesquelles je publie, c'est l'Huma, l'Huma dimanche. Je vends peu au Figaro... Quoi que maintenant, ils reviennent vers moi, de plus en plus. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être un besoin de donner du sens à l'image... »

Elle parait timide et humble mais n'a pas sa langue dans sa poche et ça nous plait. Parce qu'au-delà des deux - trois piques qu'elle lance à certaines personnes de son passé, elle délivre un message fort et engagé. Lily Franey se définit comme un être sensible au monde qui l'entoure. 

« Je photographie ce qui me touche et ce qui me révolte. Je milite avec mes photos. Je suis une militante de cœur, de l'image. L'idée, c'est de faire passer des messages simples avec mes photos. »
analyse-t-elle.

Et d'aussi loin qu'elle se souvienne, elle a toujours photographié les enfants lors de ses reportages. « Je continue encore maintenant mais c'est de plus en plus difficile avec les droits à l'image. Ça devient problématique même. Du coup, j’aime bien quand il y a des jets d’eau. Au moins, on peut les photographier sans que le visage soit reconnaissable. », précise la photographe. 

Elle nous parle de son voyage en 1989 en Afrique du Sud, des enfants là-bas qui n'ont pas d'école, pas d'eau, pas d'électricité. Il y a aussi les enfants rencontrés à Beyrouth, après la guerre civile. « Marqués par la guerre », souligne-t-elle, semblant se replonger instantanément dans sa mémoire. 

« En France aussi, on a encore à faire. Ce qui me révolte particulièrement, c'est qu'il y ait des enfants dans les rues. Je ne sais pas si vous en avez ici à Rennes mais à Paris, il y a beaucoup d'enfants dans les rues, des familles entières qui campent dehors. », ajoute Lily Franey. 

Elle a suivi l'association Intermèdes Robinson qui agit dans les bidonvilles et va à la rencontre des enfants roms pour jouer avec eux, faire de la musique, lire, passer un moment avec eux.

SOUVENIRS DE REPORTAGES

Autour de nous, dans la galerie de la Chambre claire, on découvre une sélection des photographies de Lily Franey à travers les années et les pays. Vingt-trois clichés bruts en noir et blanc. Elle ne retouche jamais ses photos. Elle est là, présente sur le terrain, observe, apprend à se faire accepter, puis oublier, sans s'effacer.

Il y a cette petite fille qui porte des chaussures trop grandes, a de la boue plein les jambes et partout sur sa robe, et qui tient d'une seule main une jarre sur sa tête. Il y a ce petit garçon noir qui tient dans son bras un gros lapin en peluche. Il y a aussi cette bande de gamins à l'air un peu provoc' qui se la jouent dans une carcasse de voiture.

« Je me suis faite arrêtée par la police pour cette photo. Parce que quelqu'un est allé leur dire que je demandais aux enfants de casser la voiture pour que je les prenne en photo. J'ai passé trois heures au poste avec le commissaire qui me demandait "Mais pourquoi vous prenez des enfants en photo." », se souvient-elle.

Il y a des enfants très concentrés sur leur cahier à l’école, un petit garçon nu sous un jet de robinet dans la rue. C'était en Guinée-Conakry, ce jour-là c'était un bazar monstrueux tellement il y avait d'enfants, et d'un seul coup, sans qu'elle comprenne pourquoi, il n'en restait plus qu'un : « J'ai appuyé, et il est parti. C'est un instant magique. J'aime cette idée de photo donnée. »

Il y a beaucoup de choses qui se dégage de ces photos. Le côté brut, très rapproché, en noir et blanc. Lily Franey a le don de capter le vivant et de refléter par son regard et son objectif l'âme de celles et ceux qu'elle prend en photo. Elle n’immortalise pas la scène qu’elle voit se dérouler face à elle, elle nous place à ses côtés pour nous le faire revivre.

Comme cette petite fille devant laquelle on reste avec un grand sourire. Dans une baraque à l'abandon à Belleville. Elle est debout, fière, sur un tas de détritus. Elle porte un tee-shirt et un short avec des smileys, des ballerines blanches avec un noeud à pois et des chaussettes fines. Le parfait look des enfants des années 80/90. Bras croisés, elle fait une petite moue avec sa bouche.

« C'est elle qui a voulu poser comme ça. Moi, je ne lui ai rien demandé. C’est elle qui s’est placé comme ça. C'est fort. Elle a vraiment l'air d'une petite féministe déjà. », nous commente Lily Franey.

LES FEMMES DANS ET DERRIÈRE L’OBJECTIF

Justement, l'engagement féministe transparait dans son travail. Quand elle prend en photo les femmes qui œuvrent dans des métiers à l'époque pensés masculins, elle a envie de témoigner de leurs conditions par l'image. Elle leur a d'ailleurs demandé d'écrire elles-mêmes les textes pour accompagner les visuels et a retrouvé des traits communs : être sans faille, être toujours capable de, ne pas faire d'erreur, être toujours présentable.

« Je me suis retrouvée dans ce qu'elles disaient. En fait, je cherche à traduire ce que je ressens et ce qu'elles ont à dire. Les difficultés, les choses lourdes qu'elles portent, la présence masculine... Faut qu'elles aient du répondant. Ça charrie dur, il faut pas se laisser faire. »

C'est là ce qui l'anime Lily Franey. Sa démarche, sa manière d’appréhender l’image et d’envisager sa posture en tant que photographe, elle l’explique dans une vidéo diffusée dans l’exposition Je, tu, il, elle, nous avons des droits. Elle y raconte des souvenirs de reportages mais aussi ce qu’elle n’aurait jamais imaginé faire si ça n’avait pas été pour la photographie.

Parce que son appareil photo lui permet de sortir du cadre. A ce moment-là, elle agit pour son message, pour son propos dont elle témoigne en images. Que ce soit à travers la photographie ou la vidéo, puisque Lily Franey a également réalisé des films (moins de 30 minutes), à l’instar de Femmes d’atelierCheminotesou encore Mémoire d’Auvergne, disponibles sur la chaine YouTube de Lily et Jean-Pierre Franey. 

Son talent n’est plus à démontrer, tout comme ses engagements. Si la condition des femmes n’est pas son seul combat, elle a toujours eu les femmes dans le viseur, les enfants aussi comme elle l’a dit en début d’interview. Et tout ça se cristallise dans cette exposition dont la commissaire Laurence Le Guen figure parmi les belles rencontres de la photographe.

Rencontrées sur un tournage, elle a réalisé un entretien avec Laurence Le Guen sur les premières femmes photographes de l’agence Rapho, et se sont depuis rapprochées, travaillant ensemble sur le thème de l’enfance. Elles viennent d’ailleurs de publier un livre destiné aux enfants de 10-12 ans sur une biographie de Nelson Mandela. Laurence Le Guen en signe les textes et Lily Franey, les photographies, réalisées en Afrique du sud.

C’est réjouissant d’échanger avec une professionnelle comme Lily Franey. Et c’est inspirant de s’entourer de ses photos en noir et blanc qui respirent autant la légèreté que la gravité. Elles ont un souffle, une respiration, une voix et une âme ses photographies. Elles nous disent bien des choses sur les conditions des enfants à travers le monde mais aussi sur l’état d’esprit de la personne qui se place derrière l’objectif, pour partager et transmettre son expérience et son ressenti. À voir absolument.