Célian Ramis

Révéler l'intimité d'un corps déclassé

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Corinne Lepage, dans son spectacle À nos corps politiques
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Dans À nos corps politiques, il est question de genre, de validisme, de lutte des classes, de tabous, d’injonctions mais aussi de résilience, de beauté et de créativité. Un pas de côté pour évacuer la charge des normes et pour célébrer les identités plurielles.
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Comment devient-on une femme ? C’est quoi une femme ? Ça ressemble à quoi une femme dont le handicap est invisible ? Dans la pièce À nos corps politiques, de Corinne Lepage, il est question de genre, de validisme, de lutte des classes, de vieillesse, de tabous, d’injonctions mais aussi de résilience, de beauté et de créativité. Un pas de côté pour évacuer la charge des normes rigides et nombreuses et pour célébrer les identités plurielles.

Allongée au sol, elle lit King Kong Théorie de Virginie Despentes, avant de fredonner L’hymne des femmes. Sur la scène, figurent aussi Sorcières, la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet, L’arbre de Dianed’Alejandra Pizarnik, De chair et de fer – vivre et lutter dans une société validiste de Charlotte Puiseux ou encore Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. « On ne nait pas femme, on le devient. Ce n’est pas une donnée naturelle, c’est le résultat d’une histoire », scande l’autrice d’un des essais féministes les plus marquants du XXe siècle. Cet extrait, qui résonne dans la pièce, c’est le départ d’une longue interrogation pour Corinne Lepage, éducatrice populaire, autrice et comédienne, qui livre ici un spectacle autobiographique militant, sensible et percutant. 

DES CONSTRUCTIONS SOCIALES

Assignée fille à la naissance, son genre est étiqueté dans son prénom. Moquée dès l’enfance pour sa très petite taille, elle est rapidement « recalée, déclassée, rétrogradée ». En réponse, elle développe « un drôle de caractère », assorti d’une « légitimité à l’ouvrir », à encaisser les coups et à les rendre à travers l’humour. Elle a compris le pouvoir des mots mais ceux qu’on ne dit pas, ceux que l’on tait, va pourtant venir se graver et s’inscrire dans son corps. Gamine, elle attend, intriguée, de devenir femme, sans savoir ce que cela implique.

« Une dépossession qui me rendait spectatrice de moi-même », une injonction à se forger et à se construire à travers le regard des autres et en particulier, le regard des hommes ainsi que leurs fantasmes et projections. « J’ai fait de mon mieux mais en hurlant parfois de douleur et d’incompréhension », raconte-t-elle.

Son fil rouge, c’est la construction sociale du genre féminin, les injonctions, aussi paradoxales soient-elles, les tabous, les violences, etc. qui régissent la catégorie Femme dans son aspect le plus réducteur et toxique. Dans sa narration, Corinne Lepage entremêle tout ça avec d’autres oppressions et aborde le validisme et la lutte des classes. Un père ouvrier et syndicaliste et une mère institutrice et adhérente au Parti socialiste. Les discussions animées autour des émissions télévisées politiques. Le licenciement de son père et le changement des corps. Elle voit celui de son père « se courber, les vacances se raréfier et la peur s’installer ». Elle relate la destruction des corps par le capitalisme et le patriarcat. La politique et les décisions prises par les différents gouvernements n’impactent pas les classes sociales et les corps des concerné-es de la même manière. 

RÉCIT D’UN CORPS DÉPOSSÉDÉ

Ainsi, elle veut venger sa classe, ne pas la trahir et la porter en étendard, en utilisant son corps comme arme politique. Son corps à elle qui n’est pas conforme à ce que l’on attend puisqu’il est porteur d’un handicap qui l’empêche de marcher selon la norme des valides et de porter des talons selon la norme des hommes blancs cisgenres hétérosexuels.

« Je suis un corps biologique de sexe féminin à talons plats. J’avais fini par m’en foutre ! »

Le système patriarcal broie les âmes et les corps et chacun-e intègre son rôle et sa place. Corinne grandit et se construit dans l’idée que son rapport à son propre corps ne lui appartient pas. Son image ne dépend pas d’elle, son corps non plus. Alors, elle monte sur la balance, remonte sur la balance, s’obsède de cette balance et s’en rend malade, à vomir son repas, à se vomir soi-même au final : « Maitriser, maigrir, c’est euphorique ! On devient invisible, plus légère ! » Finis les seins, finies les fesses, exit les signaux corporels d’appartenance au genre féminin : « Je ne veux pas être une femme, je ne sais pas être une femme, ni une mère d’ailleurs. Le monde des femmes me fait peur. Et encore plus celui des hommes. »

IMBRICATION DES DOMINATIONS

L’écriture est à la fois percutante et enveloppante. Le récit nous happe et nous tient en haleine. Parce qu’il résonne à certains endroits de nos existences mais aussi parce qu’il délivre des chemins escarpés et des embuches qui nous sont étrangères. C’est la force de ce spectacle. D’une vie quasiment commune de femme face aux difficultés de son genre et de son quotidien réduit au silence et aux souffrances imposées par le patriarcat et le capitalisme, elle met en exergue et en puissance les mécanismes de domination qui s’entrecroisent et s’enlacent inlassablement dans une danse étourdissante et une chorégraphie millimétrée à la violence près. 

Le vertige survient. « Injonctions paradoxales, délégitimation de mon travail, invisibilisation de mon travail, manipulation, chantage à l’emploi, isolement, peur, peur, peur. Burn out. Il leur aura fallu 10 ans pour mettre le feu à mon corps, pour l’évincer, l’éjecter, l’anéantir, le rendre inutile ». C’est le récit d’un corps aliéné, d’un esprit asservi par le temps et par la société qui attend des représentations précises de ce que doit être une femme, de ce que doit être une personne handicapée, de ce à quoi doit ressembler une personne en dépression. Une femme handicapée en dépression. Cette femme « devenue floue à soi-même » qui doit s’adapter aux normes et leurs limites pour entrer dans les cases d’un monde patriarcal et néolibéral et espérer survivre. 

ŒUVRE INTIME ET COLLECTIVE

L’intime est politique et Corinne Lepage le démontre ici dans une mise à nu émancipatrice et empouvoirante. Dans son cheminement autour des dominations et de ses imbrications, l’autrice et comédienne dévoile une identité plurielle, tissée au fil de son histoire et de sa construction. Elle a 48 ans, elle est une femme blanche, cisgenre, hétéra, handicapée, mère célibataire diplômée d’une maitrise de philosophie et vivant en milieu rural et elle se raconte devant nous, consciente que selon ses composantes, elle est privilégiée ou entravée. Elle sort du silence pour rendre l’invisible visible, pour interroger et décortiquer la manière dont on performe le genre au quotidien, pour donner à voir un corps qui vieillit et se libère, malgré le tabou qui entoure la ménopause, des injonctions. 

La beauté opère. Celle des mots de Corinne Lepage, accompagnée de Clémence Aurore en regard extérieur, celle de cette mise en scène à la fois épurée et à la fois riche de tous les symboles et messages qui la composent, celle de cette minutieuse observation et de cette plongée au cœur des rouages du patriarcat et du capitalisme pour mieux s’en détacher et s’en extirper. Intime, le récit vient bousculer l’ordre établi et constitué l’expérience collective des personnes marginalisées, mises au ban d’une société à déconstruire pour un avenir inclusif et sans violences. « Quelle chance de ne pas être ce qu’on attendait d’être ! », s’exclame la protagoniste. Une ode à l’acceptation de soi.

 

  • Proposé par l’association d’éducation populaire Cridev, le spectacle À nos corps politiques était présenté à la MIR le 12 mars dernier, dans le cadre du mois de mars à Rennes.

Célian Ramis

Visibiliser les silencié-e-s

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Sookie, femme noire qui danse sur la scène à l'occasion de l'événement Visibles
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Elles prennent la parole, tendent le micro, montent sur scène, écrivent, transmettent et partagent. Pour rendre les femmes visibles et briser le schéma oppressif imposé par leur absence.
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Réduire la moitié de l’humanité au silence porte à conséquence. Effacer une partie de la société à travers les siècles porte à conséquence. Celle de croire en la légitimité de son invisibilité. Celle de penser que les personnes concernées n’ont ni histoires passées, ni récits à relater. Alors, elles prennent la parole, tendent le micro, montent sur scène, écrivent, transmettent et partagent. Pour rendre les femmes visibles et briser le schéma oppressif imposé par leur absence.

« Ce qu’il y a de plus redoutable dans l’invisibilisation des femmes, c’est qu’elle est invisible. », écrit la journaliste Lauren Bastide dans Présentes. Quelques pages et de nombreux chiffres plus loin, elle récapitule : « Les femmes sont invisibilisées partout où l’on produit de la connaissance, partout où l’on contribue à modeler l’inconscient collectif de la société. Et il ne peut pas y avoir de société juste si les représentations collectives se construisent en oubliant la moitié de l’humanité. » Ainsi, fin 2016, elle crée le célèbre podcast La Poudre pour faire entendre les voix, les discours, les réflexions, les engagements, les expertises, les revendications, les vécus, les analyses et les parcours des femmes. 

« Je les ai interviewées, détail important, sans les interrompre, ni leur expliquer la vie, ce qui est reposant dans un espace médiatique où tout être féminin doit composer, en permanence, avec les aléas du manterrupting (dû à ces hommes qui interrompent systématiquement les femmes) et du mansplaining (dû à ces hommes qui expliquent la vie aux femmes). Ces femmes à qui j’ai donné la parole, je les ai choisies extraordinaires, guerrières, créatrices, inspirées. Je voulais graver dans le marbre leurs accomplissements actuels pour que personne ne puisse les effacer ensuite. » 

MANQUE DE (RE)CONNAISSANCE

La question de la visibilité des femmes, à l’instar de la visibilité de toutes les personnes oppressées et marginalisées, constitue un enjeu majeur dans la lutte pour l’égalité entre les genres. L’Histoire est écrite par des hommes blancs hétéros cisgenres bourgeois valides, pour des hommes blancs hétéros cisgenres bourgeois valides. Elle exclut plus de la moitié de la population, la réduisant au silence, aux rôles secondaires, voire à la figuration. Les récits, qu’ils soient littéraires, cinématographiques ou encore médiatiques, sont articulés autour des hommes qui sont également experts sur les plateaux télévisés, dirigeants des grandes et moyennes entreprises, élus dans les lieux de décisions et de pouvoir… 

L’incidence entre l’apprentissage d’une Histoire à laquelle les femmes ne participent pas ou peu, le manque de représentations féminines dans les instances politiques, la presse, les arts et la culture ou encore le sport et l’absence de parité dans les événements publics, les comités de direction, les scènes conventionnées, les médias ou encore dans l’hémicycle, n’est ni anecdotique ni pure coïncidence. Loin de là.

« Les femmes ne sont pas suffisamment visibles et ne se sentent pas suffisamment légitimes. Elles manquent parfois de rôles modèles. »
souligne Fanny Dufour, fondatrice des Nouvelles Oratrices, entreprise de formations dédiées à la prise de parole des femmes. 

Et elles manquent souvent de reconnaissance. Si de nombreux films ne passent pas le test de Bechdel-Wallace (qui requiert d’avoir au moins 2 personnages féminins, nommés de la même manière que les personnages masculins, qui parlent entre elles d’un sujet autre que des hommes…), les articles de journaux sont des champions de cette invisibilisation. La spécialité : mentionner « Une femme », dans les titres, sans la nommer. L’outil de veille Meltwater révèle ainsi qu’en un mois – juin 2020 - 39 titres d’articles y ont eu recours. On lit par exemple que « Une femme (est) nommée à la Direction des missions d’exploration et d’opérations humaines à la Nasa », qu’il y a désormais « Une femme à la tête de l’École de l’air » et que « Pour la première fois de l’Histoire, le PDG le mieux payé du monde est une femme ». 

Kathryn Lueders, Dominique Arbiol et Lisa Su ne sont pas des cas isolés du processus de minimisation et d’effacement. Une page Wikipédia parodique a été créée en l’honneur d’Une femme, décrite comme « journaliste, dirigeante d’entreprise, chimiste, diplomate, économiste, évêque, rabbin, imam, physicienne, sportive de haut niveau, directrice sportive, pilote de chasse, brasseuse, ouvrière, autrice de bande dessinée, footballeuse, handballeuse, cheffe d’orchestre, DJ, directrice de musée, astronaute et femme politique possédant au moins une vingtaine de nationalités. » 

OÙ SONT LES FEMMES ?

Les hommes laissent leurs empreintes. Dans les exploits de guerre, la gouvernance des pays, la musique, la peinture, la littérature, les découvertes scientifiques, le cinéma. En couverture des médias, ils sont le monde d’après le Covid 19 (tout comme ils étaient le monde d’avant le Covid 19) et ils sont l’espoir de la Reconquête du cinéma français (tout comme ils étaient l’espoir de la Conquête du cinéma français). Ils représentent et symbolisent toute notre culture et nos références collectives. Ils sont le liant de toutes les civilisations passées et sociétés actuelles. 

« Où sont les femmes ? », interroge la comédienne Catherine Bossard, en projetant les photos de classe post conseil des ministres, post G20, post comité de direction d’une entreprise du CAC40… Réponse : « Derrière, sur les côtés ou absentes ! » Dans la Halle de la Brasserie, sur le mail Louise Bourgeois à Rennes, elle donne le ton à la première édition de Visibles, l’événement organisé en 2022 par Les Nouvelles Oratrices qui en avril 2023 a renouvelé l’expérience et reviendra en avril 2024, à l’Antipode. Ici, elles ont des prénoms, des noms, des visages, des corps, des émotions, des choses à dire, à raconter, à partager. Ici, elles montent sur scène et prennent la parole. 

Pour parler d’elles, pour parler d’autres femmes. Pour créer la rencontre, provoquer les discussions et les échanges, favoriser la prise de conscience. « Avoir un plateau composé exclusivement de femmes, c’est possible. La non mixité, ça interroge les gens alors que quand il s’agit de plateaux composés uniquement d’hommes, on ne se pose pas la question… À un moment, il faut faire des efforts pour tendre vers une parité systématique dans les événements et ça passe par des événements comme Visibles. », analyse Fanny Dufour, faisant référence, entre autres, aux conférences TedX, qu’elle a présidé à Rennes pendant plusieurs années. Prendre la licence TedX Women, elle y a pensé. 

« C’est une marque puissante mais enfermante. Je voulais qu’on puisse bouger les formats. Qu’il y ait des prises de paroles en solo, des interviews, des duos, etc. Parce que l’idée, c’est qu’elles se sentent à l’aise sur scène, c’est ça qui servira au mieux leurs propos. On veut faire notre événement. Avec des femmes invisibilisées dans la société et des femmes qui œuvrent pour visibiliser les femmes. », souligne la directrice des Nouvelles Oratrices. Elle part de ses intérêts personnels et élargit ensuite le champ d’action : 

« Pour montrer que les femmes sont partout. Ça concerne le monde de l’entreprise mais aussi de l’éducation, la politique, les médias, les réseaux sociaux, etc. Ce que j’espère, c’est que les gens repartent en ayant saisi ce qui a déclenché chez les unes et les autres l’envie de se rendre visible. Ou de rendre d’autres femmes visibles. C’est cette émulation-là que je veux. Et que l’on prenne conscience de la diversité des déclencheurs. Qu’est-ce qui fait franchir le pas à un moment donné ? Comment se sentir une femme forte et oser se lancer ? »

ÉNERGIE ET DÉTERMINATION

Dix femmes montent sur scène pour se raconter. La première, c’est Clothilde Penet, 34 ans, elle vit à Marseille et, depuis 2 ans, elle fait du krump, une danse qu’elle a choisie et pour laquelle elle a passé des mois et des mois à observer les danseurs. Elle relate son parcours, son obstination, sa persévérance. Le rituel de la cage, le regard des danseurs, la colère qui monte, le lâcher prise, la transcendance. Elle ressent l’énergie. Elle ne baissera jamais les bras. Elle intègre sa famille de krump. Les questions qu’elle pose résonnent en chacun-e : 

« Comment tu es toi-même dans une discipline qui a déjà plein de codes ? Comment tu deviens visible alors que tu as peur jusqu’au bout des doigts ? » 

Elle tape du pied, plie les genoux, fixe un point d’horizon, elle recommence, elle tape du pied, de l’autre pied, elle envoie un uppercut, elle percute nos viscères de sa volonté et détermination, elle répète les pas de bases. Sans cesse. Elle ajoute des mouvements de bras, elle active son corps avec maitrise. Elle teste, expérimente. Elle n’abandonne jamais. « Dans le krump, je peux être moche, monstrueuse, faire des grimaces. Ça change des endroits où il fallait être sage et fermer sa gueule. J’ai peur de ne pas être à la hauteur, j’ai peur de vos regards sur moi. J’ai peur de ma vulnérabilité comme de ma puissance, j’ai peur d’être essoufflée quand j’ai des choses à dire. » Silence. 

Elle nous coupe le souffle, elle nous bouleverse. Son vécu, on le transpose. Son vécu, il résonne. Il diffère de celui d’Aicha et pourtant, il le croise. Algérienne âgée de 55 ans, elle se dit traversée par 3 choix essentiels dans sa vie : être autonome financièrement, divorcer, quitter son pays pour s’installer en France. Son bac S en poche, elle se marie à 18 ans pour satisfaire ses parents. Son époux refuse sa poursuite d’études, elle devient mère l’année suivante. Elle apprend la couture et en cachette, gagne de l’argent grâce à ça. Deux accouchements plus tard, elle ouvre son atelier et embauche des ouvrières. Elle divorce. Tant pis si c’est mal vu ! 

En 2017, elle rencontre son mari et l’année d’après, quitte l’Algérie. Aicha s’installe à son compte en 2020, juste avant le confinement. « J’ai un handicap, je marche avec une canne. En mars 2022, j’ai dû trouver un travail après une formation. J’ai choisi d’accompagner les personnes en situation de handicap dans la recherche d’un emploi. Ce qui m’a aidée, c’est mon ambition et le soutien de mes proches. Sans oublier les stages pratiques que j’ai fait en insertion. » Elle le dit, elle n’avait pas confiance en elle au départ mais avec le temps, la motivation et la formation, elle a développé et acquis les compétences nécessaires. « Je me suis reconvertie. Je me suis ouverte et intéressée aux autres. On a toutes des capacités à quitter, recommencer à zéro et choisir sa vie. »

RENDRE VISIBLE L’INVISIBLE

Sur la scène, les intervenantes brisent le silence et les tabous. Brisent l’absence de pluralité des modèles et des trajectoires. C’est ainsi qu’Hélène Pouille, facilitatrice graphique depuis 9 ans, et Anne-Cécile Estève, photographe depuis 15 ans, partagent l’espace. La première a lancé un blog féministe. La seconde, une association nommée Diapositive, autour de la photographie thérapeutique. Elle réalise à travers l’exposition Mue – pour laquelle elle a photographié les corps de femmes atteintes du cancer du sein – que cela participe à leur réparation et contribue à changer leur regard sur leur propre corps. 

Hélène Pouille aussi s’intéresse à une maladie qui touche principalement les femmes : le cancer du col de l’utérus. Son projet s’intitule Frottis chéri à la suite du diagnostic posé, en sortant d’un banal rendez-vous gynéco, du papillomavirus. « C’est un nom limite mignon. », rigole-t-elle. De l’humour et du dessin mais surtout beaucoup d’informations composent le fascicule illustré qu’elle a créé : « Parce que ce n’est pas naturel encore aujourd’hui de parler de ça et de rendre visible le fait qu’on a une IST… Et d’ailleurs, le prochain sujet que je veux traiter de cette manière-là, c’est la vie sexuelle et affective des personnes âgées. » Chacune trouve sa place au croisement de ses qualités professionnelles et de ses engagements. Et ça fait du bien. Beaucoup de bien. 

« La légitimité, ça a été le problème de toute ma vie. J’ai mis beaucoup de temps à me sentir légitime. Déjà j’ai mis 20 ans à me sentir photographe. Je m’approprie enfin le terme d’artiste. Je suis tellement à ma place aujourd’hui ! », scande, soulagée, Anne-Cécile Estève. Fière et puissante. 

ALTÉRITÉ ET RENCONTRE

Sans se connaître, des ponts se construisent. Quitterie et Myriam, elles, se côtoient depuis plusieurs années déjà et partagent ici leur rencontre. Celle de deux femmes qui n’ont a priori rien en commun. Myriam est de nationalité indéterminée, très probablement palestinienne. Elle vit dans un orphelinat jusqu’à ses 3 ans environ et a « la chance d’être adoptée par ses parents de cœur ». Quitterie est née en France « avec une cuillère en argent dans la bouche » et est adoptée elle aussi par des familles de cœur, au pluriel, car au total, elle compte 6 parents autour d’elle. Myriam subit le racisme à l’école puis les violences conjugales. Elle est une « femme violée et battue » mais surtout « pas abattue ». Quitterie n’a pas vécu ou subi les mêmes violences. 

Être femmes les réunit. Chacune poursuit le récit de ce qui l’a amenée en résistance. « Je suis devenue une guerrière grâce aux paroles de Jacques Prévert et aux récits de ma mère. », signale Myriam. « Aimer une femme m’a sorti de la tyrannie de la norme. », poursuit Quitterie. Résist-tente est le nom de la pièce que joue Myriam, dans laquelle elle raconte sa vie dans la rue. Quitterie assiste à la représentation : « En la rencontrant, les préjugés que j’avais sont tombés. Les SDF sont soudain devenu-e-s visibles à mon regard. » Elles sont toutes les deux engagées dans l’action pour la dignité et le respect de tous les êtres humains. Elles sont toutes les deux engagées dans la lutte contre le patriarcat. 

« Notre rencontre nous a transformées. L’altérité et la rencontre enrichissent la vie. », concluent-elles, avant que Sookie ne vienne secouer les corps légèrement ensuqués au contact des chaises. L’idée qu’elle met en pratique dans ses stages : danser comme dans les clips. Celui de Britney Spears, en l’occurrence. De quoi se sentir reine du dancefloor et des fantasmes.

Autant que Judith Duportail qui rêve d’une vie de glamour et de cocktails et qui télécharge Tinder, réfléchissant à sa phrase de présentation : « 5 étoiles sur Blablacar ». Elle annonce la couleur : « Je ne m’étais jamais sentie aussi désirable. Ça n’a pas duré. » Elle est journaliste et va mener une enquête très approfondie sur l’algorithme de l’application : « Nous avons tous une note secrète de désirabilité sur Tinder. J’ai décidé de partir en quête de ma note. » Elle accède ainsi à toutes les informations collectées à son sujet par le site de rencontre : 804 pages précisément. Ses données personnelles, toutes les conversations, les matchs, la manière de s’exprimer, les sujets évoqués… Tout contribue à ce que Tinder catégorise les participant-e-s, bien évidemment, en fonction du sexe et du genre. 

« La communication de Tinder se base sur une prétendue libération des femmes alors que leurs algorithmes créent des couples où l’homme est toujours supérieur à la femme soit en matière d’âge, soit en matière de catégorie socio-professionnelle et donc supérieur financièrement… Exactement pareil que dans la société hétérosexuelle… », lâche Judith Duportail, hypnotisante de vitalité. 

FAVORISER L’EXPRESSION DES FILLES ET DES FEMMES

Elle aussi citoyenne engagée, Marie Blandin plante le décor de son plaidoyer : « Imaginons un diner chez des amis, l’ambiance est excellente. Vous avez envie de partager une expérience personnelle… sur un cambriolage dont vous avez été victime. Tout le monde vous comprend. Imaginons le même diner mais vous avez envie de partager une expérience personnelle… sur un inceste dont vous avez été victime. Cela crée un malaise. » En tant qu’avocate, quand elle parle à son entourage d’une affaire de divorce, on raffole des détails. Mais quand il s’agit d’une affaire de violences à l’encontre d’une femme ou d’un enfant, on lui dit qu’elle plombe l’ambiance. 

« En 2022, il y a encore des choses qu’on peut dire ou pas. »
constate Marie Blandin, avocate.

Pourtant, deux élèves par classe, en moyenne, sont victimes de violences. Le plus souvent, dans le cadre familial. « Difficile d’en parler, le fléau perdure ! », scande-t-elle, avant d’impulser son discours vers le collectif. Tout le monde peut agir en apprenant à un enfant que la politesse consiste à dire bonjour et non obligatoirement à faire un bisou ou un câlin, en apprenant à un enfant les mots exacts qui désignent les différentes parties de son corps et en apprenant à un enfant que son corps lui appartient, à lui et à lui seul. 

Quasiment deux heures se sont écoulées et c’est à la marraine de Visibles de conclure. Najat Vallaud-Belkacem, ex ministre des Droits des femmes, de l’Education Nationale et actuelle directrice de l’ONG One, fait un tour d’horizon qui n’est pas sans rappeler celui de Catherine Bossard. Dans les conseils de défense, des hommes ! Sur les couvertures de magazines, des hommes ! Sur les plateaux télévisés et débats entre experts, des hommes ! Dans les métiers essentiels, des femmes ! Elle parle d’un « choc » de ne jamais leur donner la parole et dénonce « l’invisibilisation et l’absence des femmes dans les lieux de décisions. » Il n’y a pourtant « rien de mieux que de les mettre autour de la table pour les prendre en considération. » Néanmoins, elle pointe les conséquences sous-jacentes à la visibilité des femmes : 

« Même quand les femmes prennent la parole et se rendent visibles, elles se prennent la violence des réseaux sociaux. Souvent, elles se retirent de la scène, de la visibilité et de l’oralité qu’elles avaient en étant sur la scène. Et ça, c’est particulièrement dangereux car les droits à l’expression des femmes reculent ! »

LA PUISSANCE DES PODCASTS

Faire entendre les voix des concernées devient un enjeu majeur dans l’égalité des sexes et des genres. Une urgence. Depuis plusieurs années, les podcasts se multiplient. Facilité d’accès, simplicité technique, gratuité de l’écoute… Les ingrédients sont réunis pour tendre le micro et diffuser massivement, à travers les réseaux sociaux, les témoignages des personnes sexisées et plus largement des personnes oppressées et minorées. Des outils dont se saisissent Aminata Bléas Sangaré et Suzanne Jolys qui le 1er octobre 2022 ont organisé la première édition du festival Haut Parleuses, à l’Hôtel Pasteur à Rennes, et se sont ensuite attelées à la construction d’une deuxième édition, à l’automne 2023. 

L’occasion de valoriser toutes celles qui l’ouvrent, toutes celles qui disent et toutes celles qui permettent de parler. Et c’est ainsi que dans l’espace Lauren Bastide a lieu la conférence réunissant Marine Beccarelli, historienne et co-créatrice de la série radiophonique Laisse parler les femmes, diffusée sur France Culture, et Aurélie Fontaine, journaliste et fondatrice du podcast Breton-nes et féministes. Toutes les deux expriment « l’aspect parisiano-centré » des médias. Et évoquent « le manque de parole de l’ordinaire. » Alors, Marine Beccarelli et 3 consœurs sont parties à travers la France, en milieu urbain comme en milieu rural, à la rencontre des femmes du quotidien : 

« Pour les 8 épisodes, on a décidé de ne pas choisir nos interlocutrices en amont. L’idée, c’était d’aller dans des lieux et de donner la parole à des femmes de milieux différents, d’âges différents, etc. » 

Aurélie Fontaine acquiesce. De retour il y a quelques années dans le Finistère, elle souhaite explorer son territoire sous l’angle du féminisme et « laisser la parole et faire entendre des femmes qui n’ont pas forcément conscientisé ou intellectualisé le féminisme. » Croiser les voix, multiplier les regards, rendre compte de la diversité des profils, de la pluralité des parcours. Transmettre des vécus et des récits peu relatés dans la presse. « Il y a un problème au niveau de la formation des journalistes. Dans les rédactions, on manque de pluralisme social. Ce sont majoritairement des hommes blancs, hétéros, parisiens, de 40 – 50 ans… Ils ont des biais de genre, des visions et des formations élitistes. La formation en alternance permet d’amener des étudiant-e-s qui n’ont pas les moyens financiers pour les écoles de journalisme… », analyse Aurélie, rejointe par Marine : 

« Dans les représentations, il y a peu de diversité. Dans l’animation des émissions, comme dans les invité-e-s. » 

Alors, oui, la puissance des podcasts retentit du côté des personnes silenciées. Tout comme les réseaux sociaux offrent un medium immense de visibilité et de diffusion rapide et massive de cette visibilité. « Pouvoir rencontrer ces femmes, les écouter et les faire entendre à la radio, ça nous a bouleversées et émues. Cette expérience m’a transformée et a eu un impact fort dans ma vie et dans mon sentiment de légitimité. Les retours qu’on a eu nous donnent envie de continuer ! », s’enthousiasme Marine Beccarelli. La journaliste, Aurélie Fontaine, partage son émotion : « En fait, ça me procure des sensations opposées. Je ressens de la colère car on constate à quel point on est encore loin de l’égalité. Mais je ressens aussi beaucoup de joie de rendre visibles ces femmes, de donner de la représentativité à cette parole dans l’espace public. »

Pour parvenir à l’égalité, la société a besoin d’entendre les voix et les parcours de celles qu’on a intimé de taire, de celles que l’on a réduit au silence, de celles que l’on a enfermé dans l’espace privé, relégué à la maternité, conditionné à l’infériorité… « Le vent souffle dans les branches et toutes les feuilles de la forêt émettent des sons différents, des froissements soyeux, des crissements secs. Et si je tends l’oreille, il y a parmi les bruits du vent des histoires qui, un temps, ont été jamais-dites mais qui ont fini par venir à la parole. Parce que Toni Morrison. Parce que Maya Angelou, Monique Wittig. Parce que Maryse Condé, Sarah Kane, Virginie Despentes, Leonora Miano, Zoe Leonard, Rosa Montero, Zadie Smith, Anne Carson, Chimamanda Ngozi Adichie… Leurs noms et leurs voix, un peu partout au milieu des arbres, une assemblée de Guérillères, comme une autre forêt, mouvante, que je peux emporter avec moi sur le chemin du retour… jusqu’à la table où je me remets à écrire. », conclut Alice Zeniter dans son livre Je suis une fille sans histoire, adapté par l’autrice également sur les scènes des théâtres. Raconter, donner à entendre, visibiliser. Pour que toutes aient une histoire.  

 

Célian Ramis

Exploration des désirs, censure patriarcale et libération des femmes

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Anne-Laure Paty entrelace son rapport au désir sexuel aux relations et vécus d’autres femmes pour faire émerger la pluralité des possibles, silenciés et contraints au tabou et aux injonctions patriarcales.
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Dans Désirs Plurielles, Anne-Laure Paty entrelace son rapport au désir sexuel aux relations et vécus d’autres femmes pour faire émerger la pluralité des possibles, silenciés et contraints au tabou et aux injonctions patriarcales.

« Une tension entre état présent et ce vers quoi tu voudrais aller », « Devenir complétement débile », « Quand tu as envie de la personne », « On ne désire pas les personnes de la même façon… Physique, psychique… De la tête au cœur, au sexe » Ici, Il est question d’amour, d’épanouissement, de corps, de sexe, de fantasmes, d’absence, de doute, de lâcher prise, de tension, de joie, de frissons. À travers une mise en scène épurée, la comédienne Anne-Laure Paty prête sa voix, et mêle la sienne, aux récits de Sandrine, Michèle, Inès, Catherine, Audrey, Nolwenn, Martha, Anne-Françoise, Colette, Justine ou encore Camille, Léa, Céline, Vanessa, Selma et Delphine. 

« Le désir dérange. On ne l’apprend pas aux petites filles. On les éduque à être des objets » Leurs témoignages résonnent à mesure que la comédienne extirpe de différentes boites des objets symbolisant de près ou de loin le rapport au désir de la personne concernée. Photo de mariage, collier de perles, shooters, talons aiguilles, sac à main, bougie ou encore collants… ils sont liés à leurs histoires personnelles, cristallisent la séduction, évoquent le passé et les éventuelles difficultés, sans oublier les tabous et les injonctions dont la sexualité est imprégnée. 

LA NÉCESSITÉ DE S’EXPRIMER

Créé fin 2022, le spectacle Désirs Plurielles nait d’une enquête réalisée auprès de 25 femmes et d’une nécessité personnelle, ressentie par Anne-Laure Paty. « En 2020, on a lancé le projet autour d’une grille d’entretiens abordant la question des femmes et de leur relation aux désirs à travers l’axe du transgénérationnel, du rapport à la transgression et du vécu », souligne la comédienne. Résultat : 25 témoignages, 40 heures de dérush… et une matrice globale pour écrire le spectacle. Elle poursuit : « Après ma première grossesse, le sujet du désir était très compliqué pour moi. J’ai fait une thérapie et c’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse un spectacle ! » Dire sa relation au désir passe aussi par l’exploration des ressentis d’autres femmes. Parce que si ce rapport au désir est intime, il relève également d’une expérience collective pour les jeunes filles et femmes grandissant et se construisant dans une société patriarcale. 

De l’éducation genrée à la culture du viol, le corps des femmes est assailli d’obligations-interdictions permanentes auxquelles répondre et se plier constitue une violence permanente et inouïe. « Ce qui m’intéresse, c’est après le spectacle – qui est une forme courte de 35 minutes – pouvoir échanger avec le public autour des thématiques abordées », précise Anne-Laure Paty dont la volonté est de créer, à chaque représentation et en présence de la metteuse en scène Leslie Evrad, un espace et un lieu de discussions autour des sexualités et du rapport que chaque individu, majoritairement des femmes, entretient avec ses désirs.

DÉSIRS, FÉMININ PLURIEL

La pièce vient briser les tabous, rompre le silence, interroger l’impact des stéréotypes patriarcaux sur la sexualité des femmes, bousculer la singularité de sa représentation. Dans un univers coloré et une ambiance feutrée, les voix s’élèvent. Pour dire le poids des traditions et des injonctions, pour dire le lâcher prise, pour dire l’ivresse quand le désir surgit après l’abnégation de la maternité, pour dire l’éveil sensoriel et la joie d’un désir festif et spontané, pour dire les chemins de travers, pour dire l’émancipation. Sur le plateau, une comédienne, des objets, des récits et des questions. La multiplicité des témoignages et expériences emportent les spectateur-ice-s dans une exploration profonde des sexualités, des imaginaires et des possibles. 

 

  • Spectacle présenté le 21 novembre à la Maison de quartier Villejean, à Rennes. Prochaine date : Le 20 décembre, à 19h30, à La Cordée, Rennes.

Célian Ramis

Le combat bouleversant contre l'écocide vietnamien

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Marine Bachelot Nguyen retrace le combat que Tran To Nga poursuit à plus de 80 ans contre les firmes agro-industrielles responsables de l’épandage de l’agent orange au Vietnam, contaminant la population sur plusieurs générations.
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Coup de cœur assuré pour ce spectacle coup de poing écrit et mis en scène par Marine Bachelot Nguyen, joué le 14 avril au théâtre du Vieux St Etienne, au festival Mythos. Dans Nos corps empoisonnés, l’autrice retrace le combat que Tran To Nga poursuit à plus de 80 ans contre les firmes agro-industrielles responsables de l’épandage de l’agent orange au Vietnam, contaminant et condamnant la population sur plusieurs générations. 

Tribunal d’Evry, mai 2021. Tran To Nga a 79 ans et cela fait 6 ans qu’elle attend l’ouverture de ce procès intenté à l’encontre de 14 multinationales, semeuses de souffrances et de morts et représentantes de l’impérialisme occidental. Des millions de corps exposés et contaminés à l’agent orange, destiné à détruire le maquis et stopper la guérilla communiste lors de la guerre du Vietnam.

Un diabète de type 2, un cancer du sein, un cancer du foie… Son corps comme pièce à conviction, elle incarne l’ensemble des victimes dont le mal s’est répandu de génération en génération. Avec tout le talent qu’on lui connait, Marine Bachelot Nguyen tisse son théâtre documentaire au croisement de l’histoire personnelle de Tran To Nga et du drame collectif, humain et écologique, dû à l’épandage de l’agent orange. Entre fiction narrative et faits réels documentés, on embarque dans ce récit poignant et bouleversant.

UNE VIE D’ENGAGEMENTS

Sa vie entière est liée aux combats. Enfant lors de la guerre d’indépendance, ses parents intègrent la résistance. La mort de son père, l’arrestation de sa mère, son départ de Saïgon – seule – pour rejoindre son beau-père à Hanoï, sa rencontre avec la forêt, l’obtention de son diplôme de chimie… et puis son engagement dans la lutte contre l’impérialisme américain. Tran s’engage dans le Front National de Libération du Sud Vietnam, prend le chemin de la piste, rejoint le comité central, travaille pour l’agence de presse et termine agente de liaison avant d’être arrêtée, interrogée et torturée alors qu’elle est enceinte de 4 mois et déterminée à ne pas parler. Après la libération et le départ des soldats américains, Tran To Nga devient directrice d’une école de jeunes filles et n’en perd pas sa conscience politique et militante, désillusionnée par le renouveau du parti qui vient d’accéder au pouvoir.

C’est la période des guerres qu’Angelica Kiyomi Tisseyre Sékiné nous raconte minutieusement. Accompagnée d’images d’archives et de vidéo, elle décrit le paysage, l’engouement, la force et le courage, l’enthousiasme, la peur, le désarroi. Le climat de guerre, la tension mais aussi les joies, les liens qui se nouent, les vécus qui s’embrasent et s’entrelacent. Elle nous embarque avec elle dans les galeries souterraines, dans la forêt vietnamienne, on traverse le pays avec elle et ses compagnons d’unité, on vibre avec elle lorsqu’elle retrouve sa sœur, puis sa mère, on pleure la mort de son bébé, on craint les bombardements et puis on sent cette pluie gluante qu’elle reçoit sur les épaules et on sait que ce n’est pas un herbicide quelconque.

LE CHOC

Les feuilles tombent, puis les troncs, et enfin les racines. Tout est dévasté, la terre est devenue hostile, les eaux et les nappes phréatiques sont contaminées. Le vivant est détruit. Les vivants, aussi, à petit feu. « Le mal a commencé à faire son nid dans mon corps », dit la protagoniste dont le corps et l’état de santé qui se dégradent et se délitent sont « la preuve vivante de l’écocide ». La guerre ne s’est pas arrêtée en 1975 pour Tran comme pour les millions de victimes atteintes des syndromes inventoriés comme conséquences de l’agent orange. Le combat se poursuit depuis la France où elle agit, manifeste, fédère et milite, jusque dans ce tribunal d’Evry où elle s’entoure en pensée de toutes les femmes qui l’ont inspirée et accompagnée et de toutes les personnes pour qui elle se bat. Elle est vivante, clame-t-elle. On la trouve également courageuse, forte et digne. Ses paroles - de sa bouche ou de celle de la comédienne - croisent les mots de son avocat dont des extraits de plaidoirie sont restitués dans le spectacle. Le récit est puissant, porté à la fois par l’écriture de Marine Bachelot Nguyen et par le jeu d’Angelica Kiyomi Tisseyre Sékiné.

La trame narrative met en résonnance la vie d’engagement politique de Tran To Nga pour son pays et sa liberté avec le combat juridique et moral qu’elle mène. Tout est lié, certes, mais le spectacle fait jaillir l’évidence, la brutalité et la violence de tous ces événements. Ne reste plus que le choc et la sidération. Ainsi que l’admiration pour cette personnalité déterminée et inspirante mais aussi pour l’autrice et metteuse en scène et pour la comédienne. Un spectacle bouleversant.

Célian Ramis

La langue kurde, pour briser le silence de son existence

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Seule en scène avec ses souvenirs de l’enfance passée en Turquie à cacher son identité kurde, dont elle intègre la honte et le racisme, et ses mots adressés à son père, absent depuis si longtemps, Sultan Ulutas Alopé livre un témoignage poignant et intense.
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Seule en scène avec ses souvenirs de l’enfance passée en Turquie à cacher son identité kurde, dont elle intègre la honte et le racisme, et ses mots adressés à son père, absent depuis si longtemps, Sultan Ulutas Alopé livre un témoignage poignant et intense dans La langue de mon père, joué à La Parcheminerie, vendredi 14 avril, dans le cadre du festival Mythos.

Une langue peut-elle être un gilet de sauvetage ?, interroge la comédienne. Le français, elle le parle depuis plusieurs années. Cinq ans précisément. Le turc, depuis toujours. C’est sa langue maternelle, elle y est née et a grandi à Istanbul. Non autorisée à travailler durant la procédure administrative lui permettant d’obtenir sa carte de séjour, elle décide d’apprendre le kurde en France. Un retour aux racines. Celles de son père et de sa famille paternelle. Celles auxquelles elle n’a pas eu d’attaches puisqu’il lui a fallu cacher son origine. Elle se souvient des grands-mères envoyées en prison pour avoir chanté dans la langue interdite durant plusieurs années en Turquie et elle se souvient se taire dans la cour face à un autre enfant roué de coups par ses camarades d’école qui hurlent « kurde ! kurde ! kurde ! » comme une insulte fracassante.

Apprendre le kurde « pour savoir qui je suis, pour assumer que j’ai été, non pas par la haine mais par la honte, une petite raciste. » Apprendre le kurde pour parler à son père, pour le retrouver. Lui qui était si fier de son peuple. Lui qui est né dans un village à l’est de la Turquie, près de la frontière arménienne et qui rêvait de cinéma. Lui qui est parti, laissant ses 3 filles et sa femme au pays et fondant au Kazakhstan une autre famille. Lui qui petit à petit a oublié le turc et le kurde au profit du russe. 

S’AFFRANCHIR DE LA HONTE

Sultan Ulutas Alopé entame une démarche qui dépasse largement le simple apprentissage d’une langue. Elle plonge au cœur de son histoire personnelle et familiale, emprunte des chemins intérieurs qu’elle seule peut explorer et nous livre ses souvenirs au fil de sa quête d’identité, à la croisée de ses deux vies : « celle avant que je quitte mon après et celle après. » Par cette traversée, elle renforce son attachement à sa mère, à ses sœurs, à Istanbul, aux olives – « les vraies ! » - aux chansons de son enfance, « surtout celles qui parlent des tomates et des aubergines », et à l’absence de son père.

Elle dialogue avec cette figure fantomatique dont l’ombre a toujours pesé sur ses épaules et l’a toujours accompagnée. Des blessures infligées par ses multiples et fréquentes disparitions, elle en parle sans en dissimuler la violence et la colère. La peur aussi, parfois. Elle compose et se construit avec. Mais pas en dehors.Contrainte à devenir « l’homme de la maison », à la fois « le mari de ma mère et le père de mes sœurs » s’est extirpée de cette condition qu’elle a refusé afin de ne pas succomber à la folie de la situation. Sultan Ulutas Alopé exprime ses questionnements, ses doutes et son cheminement vers l’enracinement de son histoire. De sa propre histoire. Elle fait des choix et les assume, s’affranchissant de toute cette honte ressentie face à ses origines et toute cette amertume face à ce mauvais père. Aujourd’hui, elle a « honte d’avoir eu honte d’être kurde. » Aujourd’hui, elle assume : « Assumer d’être kurde, c’est assumer que ton existence fait partie de la mienne. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin de baisser le son de ma voix quand je parle de mes origines. »

UNE PIÈCE VIBRANTE

Sobre, épuré, poignant… le spectacle nous capte et nous captive. La force du récit de Sultan Ulutas Alopé réside bien évidemment dans sa source - son vécu - mais aussi dans la manière dont la comédienne le transpose et le porte sur la scène face à nous, complétement happé-e-s par ce qu’elle narre avec tant de justesse et d’équilibre dans le jeu et les intentions. Les émotions jaillissent sans jamais être forcées. On ressent, on vibre, on pleure, on rit, on sourit, on tremble. Surtout, on l'écoute avec beaucoup d'attention parce qu'elle nous saisit les entrailles.

La fragilité accompagne l’apaisement, l’émancipation se lie à l’enracinement, la puissance tourbillonne dans un mélange de colère et de joie. Et tout s’imbrique, tout trouve sa place. Cette histoire personnelle résonne dans une expérience collective de souffrances, de rejets et de discriminations. La comédienne monte seule sur les planches et brise le silence, pour enfin embrasser la fierté revendiquée par sa lignée. 

Célian Ramis

Le mythe de la sirène, un coup de queue dans le patrimoine

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Premier spectacle de la compagnie rennaise 52 Hertz, Sirènes est un succès burlesque revisitant les monuments mythologiques et patrimoniaux sur lesquels se basent nos fictions, représentations et imaginaires.
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Premier spectacle de la compagnie rennaise 52 Hertz, Sirènes est un succès burlesque revisitant les monuments mythologiques et patrimoniaux sur lesquels se basent nos fictions, représentations et imaginaires. Les 11 et 12 avril, c’est sur la scène du théâtre de La Paillette qu’Hélène Bertrand, Margaux Dessailly et Blanche Ripoche ont charmé le public de Mythos à travers une performance muette, originale et drôle.

Si, aujourd’hui, on pêchait des sirènes ? Elles seraient, pour sûr, enfermées dans un vivarium et vendues en attraction à un public avide de les observer sous toutes les coutures. Qu’y verrait-on dans ce jardin d’acclimatation ? Des créatures glamour et douces au chant redoutable ? Des monstres assoiffés du sang des humains noyés par leur incapacité à résister à l’attirance et au désir éprouvés ? Des êtres hybrides rêvant d’appartenir à la race humaine et prêts à tout pour transformer leur queue en jambes ? Point de départ de la pièce Sirènes, écrit et mis en scène par Hélène Bertrand, Margaux Dessailly et Blanche Ripoche, on assiste, quelque peu désemparé-e-s, à cette situation incongrue et ubuesque. Et pourtant, la compagnie 52 Hertz nous rappelle que nous, les humains, fonctionnons ainsi, enfermant derrière des vitres des animaux mais aussi nos semblables que l’on infériorisera au titre de la race. Pas de pitié donc pour ces figures mythiques qui naviguent en eaux troubles dans nos imaginaires. Pas de traitement de faveur non plus. On les réduit à un espace clos qui n’a rien de naturel et on les dresse, armé-e-s d’un poisson frétillant en guise de récompense. Pour le show. Pour le sensationnel. Pour le frisson. Mais aussi pour nous rappeler qui sont les conquérant-e-s et qui sont les vaincu-e-s. 

INTERROGER NOTRE PATRIMOINE

Ici le fantasme de la sirène s'émiette. Parce que les comédiennes s'amusent à tordre le cou aux clichés qui perdurent au fil des mythes et légendes, sur lesquelles elles se sont fortement documentées et appuyées, allant même jusqu'à un road trip finistérien sur les pas de la première sirène bretonne, Dahut et la légende de la Cité d'Ys. Ici les sirènes paraissent ensuquées et primaires. Des otaries plutôt que des femmes élégantes et gracieuses... Elles explorent l'animalité de la créature rendue servile et domestique, au service de l'attrait humain pour le voyeurisme et la domination. Mais sont-elles sauvages, animales, manipulatrices, cruelles, différentes ? Ou portons-nous simplement des regards biaisés sur elles par rapport à nos propres représentations à travers les siècles ? C'est là ce qu'interroge la compagnie 52 Hertz qui inconsciemment nous amène à nous situer. 

De quoi sont faites nos histoires et quel point de vue parlons-nous ? A l'instar d'Alice Zeniter qui dans Je suis une fille sans histoire (livre qu'elle a brillamment adapté sur scène) décrypte le schéma narratif pour analyser nos rapports et relations avec la fiction et l'Histoire, le spectacle Sirènes revisite par le mime et le burlesque les grandes figures, les batailles, conquêtes, victoires et les heures sombres de nos récits au passé colonialiste et ravageur. Semeur de morts et de souffrances. Que disent-ils, ces récits, de l'animalité et du sauvage ? De l'altérité ? De la féminité ? De notre manière de bâtir nos narrations collectives et communes ? 

ÉCLATER NOS LIMITES

Par la caricature, les comédiennes démystifient la virilité de notre Histoire et déconstruisent les barrières que la masculinité hégémonique a bâti, empêchant l'expression de la pluralité et d'un autre possible, voire même deux ou trois ou plus. De par leurs talents de scénographie, l'humour triomphe et l'espoir surgit. Elles éclatent les limites minimales instaurées par notre patrimoine étriqué. En revenant sur ce qui nous a amené là, elles forgent un futur plus éclairé et optimiste. Où les êtres peuvent exprimer leurs individualités, où les féminités peuvent être plurielles et où la symbiose des vivant-e-s n’est pas qu’une légende : « Hérédité, je te refuse. Je ne suis pas un mythe, une réécriture, pas une femme, pas une surfemme, pas une muse, pas un monstre. Je ne suis pas fini-e. Rien n’est fini. »

 

 

 

 

Célian Ramis

Juste une femme, tout simplement

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Le corps, les normes et les standards oppressifs… Aurélie Budor conjugue l’intime au politique dans la pièce Juste une femme, basée sur son histoire, des textes d’Annie Ernaux et des chansons d’Anne Sylvestre.
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Le corps, les normes et les standards oppressifs… Aurélie Budor conjugue l’intime au politique dans la pièce Juste une femme, basée sur son histoire, des textes d’Annie Ernaux et des chansons d’Anne Sylvestre. Un spectacle – suivi d’une discussion avec la comédienne – le 15 mars à 16h dans les locaux de CRIDEV, à Rennes. 

Dans son dernier livre, Mémoire de fille, Annie Ernaux dévoile son rapport à l’écriture et à l’être littéraire qu’elle a accepté de devenir tout au long de sa carrière d’écrivaine. Lors de son passage à Rennes le 26 mai 2016, à la librairie Le Failler, elle expliquait : « Faire de ce qui m’arrive un objet littéraire, je pense que ça m’a aidé. » (Lire l’article « Annie Ernaux, femme au-delà de son temps - 2 juin 2016 – yeggmag.fr) 

Avec certitude, son expérience partagée dans l’intégralité de son œuvre aura aidé – et continue de le faire - bon nombre de lectrices (et sans doute de lecteurs) à se comprendre, s’extirper du sentiment de culpabilité et s’émanciper. En 2014, en pleine recherche pour sa création théâtrale, une amie conseille à Aurélie Budor la lecture des textes d’Annie Ernaux.

« Ma rencontre avec son écriture et son histoire a été extraordinaire. Je me retrouve dans son histoire et la fracture sociale qu’elle a vécue (fille de commerçants en Normandie, l’autrice est devenue, après des études infructueuses d’institutrice, une femme de lettres, évoluant ainsi dans une sphère sociale différente de celle de ses parents, ndlr). Elle n’avait alors plus le même verbe, plus la même façon de penser. C’est exactement ce que j’ai ressenti dans ma vie, c’est assez fou de se reconnaître comme ça. Elle touche énormément de femmes et n’individualise pas sa situation. », soutient la créatrice de Juste une femme

DE L’INDIVIDUEL AU COLLECTIF, ET VICE VERSA

Aurélie Budor pratique en amateure le théâtre depuis ses 8 ans et a notamment joué à l’ADEC de Rennes avec des professionnel-le-s, comme Camille Kerdellant par exemple. En revenant d’un voyage de 6 mois en Amérique du Sud, elle a co-écrit, avec une amie, et co-créé le spectacle Suerte

Et c’est en parlant avec des ami-e-s qui organisent un festival qu’elle va s’intéresser au thème de la vieillesse et peu à peu établir un lien avec les femmes. Plus précisément avec le corps des femmes. De là découle une envie qui se transforme bientôt en nécessité à aborder la question des normes et des standards qui oppriment la gent féminine.

« J’ai eu besoin de faire un retour entre mon intime et le politique. Mon histoire singulière et intime n’est pas un cas isolé. Il fait parti d’un système social et sociétal qui fait que les femmes sont opprimées. Je questionne alors les standards de beauté mais je questionne aussi le statut de mère. Les mères s’oublient en tant que femmes. Contrairement aux hommes, elles gèrent le travail professionnel, le travail domestique, l’éducation des enfants puis leur accompagnement. », constate Aurélie, désireuse de rendre hommage à sa propre mère. 

Cette agent hospitalière à St Brieuc qui, de son vivant, a vécu les études de sa fille par procuration. La jeune femme poursuit l’introspection : « Je suis issue d’un milieu prolétaire. Je ne suis plus dans ce milieu-là car j’ai eu une instruction et j’ai changé de statut social. De par mon environnement social actuel, il y a des choses que je ne veux pas reproduire, sans pour autant rejeter tout ce que ma mère m’a transmis. Je parle surtout de classe prolétaire car je me base sur mon histoire personnelle et intime. Ce qui ne veut pas dire qu’il y a moins de femmes soumises dans les autres classes… » 

Parce qu’il lui est difficile au lycée de poursuivre dans une filière générale, elle obtient un bac STT et s’oriente ensuite vers un IUT information-communication – option communication – à Lannion, avant d’effectuer une licence 3 en conception de projet culturel à Metz, intéressée depuis longtemps par le secteur socio-culturel.

S’AFFRANCHIR DU SYSTÈME PATRIARCAL

Juste une femmeinterpelle alors les valeurs traditionnelles et les injonctions de toujours à « être femme ». Vouloir devenir mère, est-ce inné ? Se marier, est-ce la preuve d’un amour entre deux personnes ou une manière de contrôler l’autre ? Pour qui s’apprêtent les femmes pendant des heures dans la salle de bain ? 

Pour elle, la réponse vient des normes et des dictats aliénants imposés par une société hétéronormée. Une société qui fixe les règles d’un jeu dominant/dominée basée sur une injonction à être séduisante et désirable. Objetisée dans les médias et les publicités et insidieusement dans les mentalités et l’espace public.

« Je suis plutôt hétéro. Par conséquent, je cherche à plaire à des hommes. Et les femmes en général doivent être séduisantes pour les hommes. J’ai ressenti beaucoup de souffrance par rapport à mon corps « hors norme ». Maintenant, j’ai du recul, mais c’est ce que je vis dans mon corps en tant que femme. On vit les harcèlements, les viols, les agressions sexuelles, on n’est pas bien dans nos bask’, on met du rouge à lèvres et des décolletés pour attirer l’attention et plaire. On porte des talons ce qui ralenti notre démarche et nous rend plus vulnérables dans la rue. Tout ça, c’est le système patriarcal. », s’exclame Aurélie Budor. 

Elle lie alors son savoir et son vécu, et les transmet dans son spectacle, invoquant également les mots d’Annie Ernaux extraits des livres Une femme et Une femme gelée et ceux de la chanteuse Anne Sylvestre avec les chansons « La vaisselle », « Juste une femme » et « Maman, elle est pas si bien que ça ».

Célian Ramis

Patricia Godard, sur les pas de Colette Cosnier

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Patricia Godard publie en février 2022, Colette Cosnier – Un féminisme en toutes lettres, aux éditions Goater. Un femmage réjouissant, interactif et vibrant avec une figure marquante d’un féminisme qui résonne dans notre temps.
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Engagée pour les droits des femmes, la valorisation et la reconnaissance du matrimoine, Patricia Godard a co-fondé l’association Histoire du féminisme à Rennes, avec Lydie Porée. Ensemble, elles ont signé le livre Les femmes s’en vont en lutte, paru aux éditions Goater en 2014. Aujourd’hui, la militante revient avec un nouvel ouvrage, publié en février 2022, Colette Cosnier – Un féminisme en toutes lettres. Un femmage réjouissant, interactif et vibrant avec une figure marquante d’un féminisme qui résonne dans notre temps. 

 

YEGG : Qu’est-ce qui vous a amené à écrire sur Colette Cosnier ?

Patricia Godard : Ça part d’une rencontre amenée par mon premier travail de recherches, fait avec Lydie Porée sur les luttes féministes à Rennes. On cherchait des féministes qui avaient fait des actions dans les années 70 et on nous disait d’aller interviewer Colette Cosnier. Elle nous avait répondu qu’elle n’avait rien fait. Parce qu’on avait amené les questions vers les luttes collectives, les groupes féministes. Elle ne s’était pas sentie concernée. On a gardé son nom en tête et puis on avait été sollicitées par Place publique Rennes pour écrire un abécédaire. On s’était dit que ça pouvait être bien de la recontacter et puis elle devait y participer aussi. Je suis allée chez elle l’interroger et ça a été un coup de foudre. C’était une sacrée personnalité. Quelqu’un de passionnant, d’attachant. Donc je dirais que le départ, c’est une rencontre. Je me suis sentie tout de suite à l’aise, avec beaucoup d’affinités alors qu’on est deux générations différentes, dans notre féminisme aussi. On est restées en lien, elle a adhéré à l’association Histoire du féminisme à Rennes, elle trouvait que c’était vraiment super qu’il y ait cette relève localement. Elle a écrit la préface de notre livre qui est sorti en 2014. J’avais lu Marion du Faouët et ses biographies aussi. Pour les hommages après son décès en janvier 2016, j’ai encore lu autre chose. J’en savais un peu plus et je me suis dit qu’il fallait que je continue à creuser. 

 

Comment est-ce que vous décririez Colette Cosnier. Passionnée, attachante, mais encore ?

Je dirais que c’était une écrivaine, une féministe, une universitaire… Il y a toutes ces dimensions-là qui sont très liées. Et puis des aspects que j’ai vraiment découvert : c’est aussi une femme de théâtre, une historienne des femmes… Elle a plein de facettes et en même temps il y a une cohérence dans tout son travail et dans toutes ses actions. Elle a fait de la vidéo, du théâtre, elle a écrit du théâtre, elle a fait journaliste… C’est difficile de s’arrêter à une dimension.

 

Mais comment vous, vous la percevez, au-delà de toutes ces casquettes ? 

Dans son engagement principal. Sortir de l’ombre des femmes qu’on a ignorées, oubliées ou dont l’Histoire a falsifié la vie. Il y a chez Colette Cosnier ce rôle de transmission. Et dans ce qu’on appelle aujourd’hui le matrimoine - car elle, elle n’appelait pas encore ça le matrimoine - c’est vraiment une pionnière. C’est la première universitaire, en 1973, qui travaillait sur les femmes et la littérature. Michelle Perrot le faisait à Jussieu en histoire mais en littérature, elle est vraiment pionnière. S’il y a une chose à retenir, c’est ça. Son côté justicière. Et anticonformiste. Je pense que c’est un aspect qui est très intéressant. C’est lié en partie à ses origines modestes (en tout cas, c’est mon hypothèse), elle ne rentre jamais vraiment dans les clous. Elle ne passe jamais l’agrégation, ne fait pas de thèse, elle rentre à la fac par la petite porte, avec un sujet hyper marginal : les femmes. A la fac, elle n’a pas du tout de réflexion sur sa carrière. J’ai interrogé notamment une ancienne collègue à elle à qui on a dit de ne pas bosser sur les femmes parce que ça allait ruiner sa carrière. C’est ce qu’on a dit aussi à Michelle Perrot en lui conseillant de s’intéresser plutôt aux ouvriers…

 

Alors que finalement, ça va beaucoup intéresser ses étudiant-e-s…

Oui ! Parmi les militantes que l’on a interrogées avec Lydie, beaucoup suivaient ses cours. Et c’était vraiment une caisse de résonnance par rapport aux luttes qui se passaient à ce moment-là. Colette Cosnier était très à l’écoute du mouvement des femmes dans les années 70. Elle lisait des revues féministes, s’intéressait à des débats sur l’écriture féminine. Son roman Le chemin des salicornes est très imprégné de la littérature féministe des années 70-80 autour du corps. Le corps prend vraiment de la place dans le récit. Ça va donc influencer son travail. Tout est imbriqué. Les luttes féministes, la littérature, son travail d’écrivaine, d’universitaire, de transmission… tout ça, ça fonctionne vraiment ensemble. Parce que sinon elle disait toujours qu’elle n’était pas militante à proprement parler. Elle a était adhérente du Planning familial à un moment mais elle n’était pas fan des groupes. 

 

Le féminisme résonne dans ses réflexions et travail mais elle ne se définissait pas militante dans le sens activiste…

Oui, et pourtant, à plein de moments, elle va avoir des positions assez politiques. Lors de la guerre du Golfe en 91, elle découpe sa carte d’électrice et elle l’envoie à Edmond Hervé (alors maire de Rennes, ndlr). C’est une rebelle un peu ! Elle est furax que les députées socialistes femmes aient voté la guerre. Elle fait référence à Louise Bodin et à toutes les féministes de gauche. Elle a l’impression qu’elles ont suivi les mecs dans leur truc viriliste de guerre. Elle est toujours révoltée mais ne se définit pas militante. Elle dit qu’elle fait ce qu’elle sait faire, à savoir écrire et enseigner. Et c’est là où s’exprime son féminisme.

 

Qu’est-ce qui résonne en vous dans le parcours de Colette Cosnier ?

Ses origines modestes, d’une petite ville de province… j’ai été touchée par la correspondance avec son prof. Elle est archivée aux Champs Libres. Elle raconte ses années étudiantes notamment à Paris. On la sent perdue, sans repères. Elle n’a pas les bons réseaux, elle n’est pas aiguillée et il n’y a que ce prof-là, qui est un facho mais bon… Et ça m’a vraiment touchée, ses années étudiantes. J’ai fait une prépa à Paris, à Louis le Grand, je suis fille d’ouvriers arrivant dans ce milieu-là et j’ai trouvé ça hyper violent. Et puis le fait d’être féministe. Quand elle parle des années 90, qui étaient des années assez difficiles dans le féminisme… J’ai milité au début des années 2000 avec Mix-Cité et dans les manifs, il n'y avait personne. Le 8 mars, on ne partait pas en manif, on était en rassemblement, il y avait 50 personnes… Il y a eu une traversée du désert. Ça commence à reprendre. Au début des années 2000, ça reprend très très doucement. Ça frémissait on va dire. On essayait de se marrer mais c’est vrai qu’il fallait assumer d’être dans la rue. Je me rappelle du 1ermai où on était 8 ou 9 avec nos casseroles à distribuer des tracts sur les tâches ménagères ou des trucs comme ça. Et puis j’ai beaucoup aimé faire les recherches, ça m’a éclaté de découvrir plein de trucs. Elle avait elle aussi ce goût des recherches. 

 

Vous êtes allée à La Flèche, sa ville natale…

Oui, c’était le premier lieu de recherches. Je suis allée sur les pas de Colette Cosnier. Voir ses maisons, les tombes de ses parents, de ses grands-parents et puis aux archives municipales, j’ai feuilleté les vieux journaux. C’était une première étape. J’ai ensuite fait pas mal d’entretiens, je suis allée aux archives municipales de Rennes et surtout au centre des archives du féminisme à Angers. André Hélard (son mari, ndlr) a versé les archives pendant ma recherche, donc il a fallu que j’attende que ce soit classé, et encore ce n’est pas terminé… On m’a laissé y accéder avant le classement définitif. Il y avait 17 cartons et je me suis plongée dedans. Je n’avais qu’une semaine. Le bon côté, c’est que je suis allée chercher plein de choses par des moyens détournés avant ça. Pendant 7 jours, je faisais l’ouverture et la fermeture de la bibliothèque universitaire, j’étais plongée dedans. C’était très très riche. Pas mal de photos, qui figurent dans le bouquin d’ailleurs, des traces de son enfance, de sa scolarité. Il y a des manuscrits, c’est très chouette de voir comment elle travaillait, elle raturait, faisait des tirets, elle accumulait beaucoup puis elle retirait de sa matière… Quelques revues de presse autour de la sortie de ses bouquins aussi. Les entretiens ont pris du temps, j’ai interrogé une trentaine de personnes et André Hélard, la personne que j’ai le plus souvent rencontrée. Une de mes sources principales à partir de 1972.

 

Vous avez choisi une forme particulière puisque vous discutez avec elle. Comment avez-vous articulé travail de recherches et imagination autour des réponses qu’elle vous donne ? 

J’ai essayé d’organiser toute cette matière-là pour répondre aux questions que je me posais : comment elle était devenue féministe par exemple ? Je n’ai pas trouvé d’élément déclencheur - c’est rare qu’on devienne féministe parce qu’une lumière nous tombe dessus (Rires) – mais plein de faisceaux qui convergeaient donc j’essaye de lui faire dire ça. Il y a une petite part d’imagination mais pas tant que ça finalement. Je m’appuie beaucoup sur sa manière de parler, qu’on entend dans des émissions de radio, dans des conférences, etc. J’ai essayé de calquer sa façon de parler. Et puis tout ce que je raconte est sourcé, je n’ai rien inventé. Le fait de la connaître, ça aide. Souvent, les personnes qui l’ont connue parlaient de sa voix. Elle a fait beaucoup de théâtre, il paraît qu’elle était vraiment bonne comédienne, notamment en improvisation… Sa voix dégageait quelque chose.

 

C’est hyper intéressant de se dire que les gens ont retenu la voix d’une femme qui en plus parle des femmes ! 

Oui ! Le mot voix, elle l’utilise aussi quand elle parle de ses grands-parents. Elle dit qu’elle veut leur donner une voix parce qu’ils n’ont pas laissé d’archives particulières. Elle utilise souvent ce mot-là, pour les femmes biographiées aussi. Elle leur donnait une voix. Le fait que les femmes soient enfermées dans des modèles. Ça va avec le silence… Ce dialogue, c’est aussi une poursuite de l’entretien que j’avais commencé avec elle. Je l’avais revue depuis mais il y avait des questions que j’avais envie de lui poser. Et puis, s’est posée la question de la légitimité. Je me suis dit que c’était une grande biographe et je ne me sentais pas capable d’écrire une biographie sur elle. Au départ, c’était une pirouette pour éviter d’écrire une biographie classique, traditionnelle. Parce qu’il faut, comme avec un roman, avoir un sens du récit, tenir le fil tout du long… Maintenant, je me dis que j’aurais finalement peut-être été capable mais je suis contente de cette forme-là car c’est vivant, accessible à lire, et ça s’y prête bien.

 

Est-ce que les gens qui la connaissent et qui ont lu le livre entendent justement cette voix marquante ? 

André Hélard m’a dit qu’il avait eu l’impression de l’entendre. Que ça passait très bien. Le livre vient tout juste de sortir donc je n’ai pas encore eu beaucoup de retours mais j’ai plutôt des bons échos. Michelle Perrot, au départ, elle était hyper sceptique. Et finalement, elle trouve que ça fonctionne bien. C’est vrai que c’était un peu gonflé, je ne m’en suis pas rendu compte sur le coup, c’est un peu atypique comme manière d’aborder la biographie. Mais ça correspond au personnage qui était aussi atypique.

 

Vous disiez qu’elle ne parlait pas à cette époque-là de matrimoine. Est-ce qu’en avançant dans sa vie, elle a entendu ce terme ?

On n’en parlait pas encore trop en 2016. On se disait ça avec André Hélard, son mari, en préparant la conférence du 17 mars - à la MIR avec Justine Caurant de HF Bretagne et Marie-Laure Cloarec, clown qui lira des textes à cette occasion. On se disait qu’elle aurait été trop contente de voir tout ce qui sort sur le matrimoine, toutes ces questions-là, le livre de Titiou Lecoq (Les grandes oubliées, ndlr) entre autre… Elle aurait été super contente. Elle a manqué toutes les étapes qui découlent de MeToo et ça l’aurait je pense conforté dans ce qu’elle a fait. Elle se disait être un « dinosaure féministe », elle se voyait comme une ancienne combattante… Elle a du souffrir je pense de solitude en étant féministe. 

 

Surtout quand on fait un travail de mémoire sur les femmes à une époque où on n’a pas du tout envie de les entendre. On l’a dit à ce moment-là, il n’y a pas de mot, comment elle se considère, elle, en ressortant ces femmes de l’oubli ?

Peut-être comme une historienne des femmes, même si ce n’était pas sa formation. Elle fait quelque part œuvre d’historienne, notamment dans Le silence des filles. Le sujet du bouquin, c’est pourquoi au 19eet au début du 20e, il y a si peu d’écrivaines, de compositrices, d’artistes, etc. Elle s’était rapprochée de Michelle Perrot, elles avaient participé au livre de Christine Bard sur Un siècle d’antiféminisme. À partir des journaux intimes, des manuels d’éducation des femmes, elle va plus loin dans l’analyse des mécanismes d’effacement des femmes. Avec toujours l’entrée littéraire. D’où le titre, « en toutes lettres ».

 

Une association comme Histoire du féminisme à Rennes poursuit sa lignée, sa continuité de Colette Cosnier. Quelle est l’importance du local pour elle ? 

Tous les travaux de Colette s’ancrent dans un territoire. Ça démarre avec les vidéos qu’elle fait. Ce sont des films de famille, de vacances, mais on voit qu’elle filme les gens sur un territoire. Elle filme notamment à merveille les pêcheurs du Croisic. Il y a les vidéos mais aussi tous les textes qu’elle écrivait dans des revues locales. Pour elle, c’était important de s’ancrer sur un territoire. Ses origines sarthoises étaient importantes pour elle. Elle a fait des recherches sur la fléchoise Marie Pape-Carpantier et d’autres personnalités locales. Elle a continué ce travail-là dans Les gens de l’office, sur ses grands-parents. Après, elle arrive en Bretagne, s’intéresse à Marion du Faouët. Quand elle fait partie de la troupe du TRAC, les pièces se passent toujours à Rennes : le grand incendie, la révolution française, les luttes de 1936, Dreyfus, etc. Et puis sa grande figure : Louise Bodin qu’elle a fait revivre auprès des rennaises et des rennais. Même à Chamonix, elle va écrire George Sand et les quatre montagnesVictor Hugo et le Mont Blanc, ou une biographie d’Henriette d’Angeville, la première femme à avoir franchi le sommet du Mont-Blanc.

 

La première femme seule…

Oui, seule, sans être portée comme sa prédécesseuse en effet. Et puis elle a fait aussi avec Dominique Irvoas-Dantec un travail sur les rues, les quelques rues avec des noms de femmes mais aussi avec des personnages anonymes, des prostituées, etc.

 

Vous dites qu’elle avait déjà des réflexions sur l’écriture. Nous sommes aujourd’hui aux prémices d’un gros débat sur l’écriture inclusive. Quel regard portait-elle sur ce sujet-là ?

Dans les années 80, elle faisait partie de la commission sur la féminisation des noms de métiers, présidée par Benoite Groult. Elle n’a pas beaucoup participé, elle a fait quelques réunions, elle ne se sentait pas légitime car elle n’était pas linguiste mais c’est une question qui l’intéressait. Elle avait bien compris l’enjeu de la langue dans l’égalité entre les femmes et les hommes. Très tôt, dans les textes, elle féminise les mots. Avec un slash. Etudiant/e, par exemple. C’est hyper novateur. Elle féminisait les noms. Elle n’écrivait pas autrice mais auteure. Elle aimait bien le mot écrivaine. Elle avait bien saisi l’enjeu. À cette époque-là, en 85, elle publie un livre sur Marie Bashkirtseff où elle découvre que son journal a été censuré, que des mots y ont été barrés. Donc elle voit bien que la langue et l’écriture sont un enjeu de visibilité, de paroles. Elle n’a pas négligé cet aspect-là du combat féministe et aujourd’hui, elle serait vraiment pour l’écriture inclusive, je n’en doute pas.

 

Elle était plutôt libérée des carcans et des étiquettes. Est-ce que dans ce que l’on constate des réflexions qu’elle portait, qui sont des réflexions qui commencent à émerger dans le débat public alors qu’on est en 2022, elle est en avance sur son temps ou est-ce que cela témoigne justement de ce creux dont vous parliez dans les vagues féministes ? 

Oui, il y a un vrai backlash dans les années 90 qui essaye de renverser tout ce qui a été pensé, toutes les avancées. Et ça se passe où ? Dans les livres, les médias, etc. Dans le bouquin de Susan Faludi, elle explique bien ça. Et aujourd’hui, on sent clairement qu’on peut bien se reprendre ça dans la figure. Colette Cosnier a fait une conférence en 2009 qui s’appelle De l’utilité des écrivaines, où elle dit bien que ce n’est pas dans les années 70 qu’on a inventé le féminisme ou la parole des femmes. Elle reprend l’histoire littéraire à partir de Christine de Pisan pour montrer que cette parole-là a toujours existé. Effectivement, on l’a faite taire régulièrement mais les femmes ont toujours parlé. Ça fait écho au livre de Titiou Lecoq. Les femmes ont toujours été là dans l’Histoire. Colette Cosnier s’inscrivait elle-même dans une chaine. Elle avait de la reconnaissance justement pour ces femmes qu’elles disaient être comme des phares qui nous ont guidé jusqu’à aujourd’hui. 

 

Est-ce qu’elle aurait pu imaginer être elle aussi un phare pour les nouvelles générations féministes qui peuvent la découvrir grâce à ce livre notamment ?

Je pense que c’était son souhait le plus profond mais elle n’avait pas du tout cette prétention-là. Elle s’effaçait par rapport à ses sujets. Elle était toujours dans la transmission mais jamais elle ne s’est présentée comme un phare. Mais de fait, elle l’était. Quand je discute avec ses anciennes étudiantes, elles gardent vraiment un souvenir très très fort de ce modèle-là. Il y avait moyen de penser autrement, de lire autrement, de lire autre chose. Elle a fait beaucoup en terme de transmission. Elle a fait par exemple un travail avec des étudiantes de 2eannée et des femmes retraitées de l’université du temps libre où elle confrontait d’un côté les souvenirs des femmes de l’université du temps libre et les textes qu’étudiaient les étudiantes. Sur plein de sujets : la maternité, le mariage, les modèles… Je trouve ça super intéressant comme expérience. 

 

Sur la notion de mariage, on voit dans les extraits anotés dans le livre qu’elle est parfois Colette Hélard, Colette Hélard-Cosnier et Colette Cosnier. Elle réaffirme son identité personnelle malgré le mariage ? 

Alors c’est plus complexe que ça. Moi aussi ça m’a questionné et je me suis dit que j’allais faire un tableau. Après, j’ai compris la logique. Au départ, à l’université, elle était Colette Hélard et c’est là que ça a évolué. Car sur les textes, il n’y a que Marion du Faouët qui est écrit par Colette Hélard-Cosnier. Après elle signe toujours ses livres en tant que Colette Cosnier. Dans le cadre universitaire, dans ses collaborations, colloques, etc. d’abord elle était Colette Hélard et ensuite ça a évolué en Hélard-Cosnier. Par contre, elle a fini sa carrière au Mans en tant que Colette Cosnier, en 95.

 

On sait ce qui l’amène à ses réflexions qui encore une fois (ré)apparaissent aujourd’hui dans le débat féministe ? 

Je pense qu’elle avait conscience de l’importance du patriarcat qui s’inscrit dans le nom de famille. Je pense aussi qu’elle a du s’appeler Hélard pour des raisons administratives parce qu’à l’époque, on ne pouvait même pas imaginer que ça se passe autrement. Peu à peu, elle a fait rentrer son nom. Et puis, elle avait le modèle de Marie Pape-Carpantier qui a apposé son nom de famille, Carpantier, à celui de son mari. Ça a pu faire un déclic pour elle.

 

Qu’est-ce que raconte plus largement ce livre sur Colette Cosnier qui parle d’une figure mais s’étend plus largement à nous faire réfléchir plus globalement au matrimoine ? Qu’est-ce qu’il représente dans ce matrimoine que l’on n’a pas envie de réduire à Rennes ?

De plus en plus, j’y réfléchis et je pense qu’il faut que j’arrête de la présenter comme une écrivaine rennaise. Il faut que je dise écrivaine française. Que ce soit la plume de Colette Cosnier qui est vraiment une belle plume, ou dans l’ensemble de son travail, elle mérite d’être reconnue, vraiment, et pas simplement comme une figure locale. Oui, il s’agit du matrimoine tout court et je regrette qu’elle ne soit pas dans le Dictionnaire des féministes qui a été publié en 2017, il me semble. Il faudra peut-être une réédition…

 

Sans doute faudra-t-il de très nombreuses rééditions de livres et manuels pour faire apparaître les femmes dans l’Histoire. Merci Patricia Godard ! 

 

  • LES DATES À RETENIR : 

  • Les 12 et 13 mars : rencontre avec Patricia Godard au festival Rue des livres, au Cadet de Bretagne, à Rennes.
  • Le 13 mars à 10h15 : table-ronde sur le matrimoine littéraire avec Patricia Godard, Gaëlle Pairel et André Hélard au festival Rue des livres, au Cadet de Bretagne, à Rennes.
  • Le 17 mars à 18h30 : Deux livres, une femme – Colette Cosnier, conférence avec Patricia Godard organisée par Histoire du féminisme à Rennes, à la Maison Internationale de Rennes.
  • Le 19 mars à 14h30 : Déambulation dans Rennes autour de Colette Cosnier – un combat pour la place des femmes, organisée par Histoire du féminisme à Rennes (lieu précisé lors de la réservation : histoire.feminisme.rennes@gmail.com)

 

Célian Ramis

Elles, l'autre mémoire : pour rêver grand et voir le monde autrement !

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Dans Elles, l’autre mémoire, Caroline Alaoui et Lety Pardalis, de la compagnie Les combats ordinaires, proposent de lire l'Histoire autrement. A travers des portraits théâtralisés de femmes inspirantes.
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De tout temps, les femmes ont réalisé et entrepris des choses exceptionnelles. Pourtant, parce qu’elle est écrite par des hommes blancs cisgenres hétérosexuels, pour des hommes blancs cisgenres hétérosexuels, l’Histoire n’a pas retenu leurs noms et leurs accomplissements. Dans Elles, l’autre mémoire, Caroline Alaoui et Lety Pardalis, de la compagnie Les combats ordinaires, proposent de lire cette Histoire autrement. A travers des portraits théâtralisés de femmes inspirantes.

Il y a cette femme, née en 1927 en banlieue parisienne, dans une famille bourgeoise, catho et très conservatrice. Cette femme, c’est Thérèse Clerc, et elle va lire Marx, parler violences, injustices et patriarcat, découvrir le plaisir avec les femmes, militer au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) ou encore fonder la Maison des femmes, lieu d’accueil et d’écoute, ainsi que la Maison des Babayagas, une résidence pour femmes âgées.

Il y a aussi cette femme, au XIe siècle en Italie, qui devient médecin chirurgienne et pionnière de la gynécologie. Cette femme, c’est Trotula de Salerne, et elle va écrire des traités médicaux, notamment sur les menstruations et l’accouchement sans douleur, et verra son travail confisqué par des hommes, décidant de censurer des passages jugés comme hérétiques et s’appropriant la paternité de son œuvre.

Ou encore, il y a cette femme, née en 1996 à Hérat, qui grandit dans les années 2000 en Afghanistan au moment où les talibans s’emparent du pouvoir, réduisant à néant les droits des femmes. Cette femme, c’est Sonita Alizadeh, et elle n’est qu’une enfant quand elle va refuser d’être mariée à seulement 9 ans. Elle n’est qu’une ado quand elle va devoir survivre, sans papiers, en Iran. Elle va découvrir Eminem et écrire des chansons de rap, sera repérée par une réalisatrice qui paiera la dotte du mariage de son frère afin qu’elle échappe à un second mariage forcé et la fera venir aux Etats-Unis pour étudier dans une école d’art.

FAIRE VIBRER LES RÉCITS

Sous la forme d’un hommage funéraire, d’un jeu télévisé ou d’un portrait vivant, les comédiennes et autrices Caroline Alaoui et Lety Pardalis racontent Thérèse Clerc, Trotula de Salerne, Sonita Alizadeh… mais aussi Vanessa Nakate, militante écologiste ougandaise, Temple  Grandin, scientifique et chercheuse autiste américaine, Wu Zetian, unique impératrice de Chine, Agnodice, première femme médecin et gynéco grecque ou encore Nellie Bly, journaliste américaine et Irena Sendler, résistante et militante polonaise.

Elles les font vivre. Elles les font vibrer, ces femmes qui constituent ce que l’on nomme le matrimoine. C’est-à-dire ce qui nous vient des mères. Des femmes. Dire qui elles sont, mettre en lumière des filles et des femmes d’âges et de champs d’explorations différents, aussi que d’époques et d’origines différentes, c’est rétablir cette Histoire arrachée, confisquée, déformée.

« On avait cette idée de faire un spectacle sur le matrimoine. L’envie d’utiliser le théâtre pour parler des femmes dont on ne parle pas assez. En adaptant des œuvres autour du matrimoine, on s’est finalement mis à écrire nos propres pièces. C’est devenue une création à part entière. », signale Caroline Alaoui, qui a rencontré Lety Pardalis grâce au réseau des Compagnies du 35.

Ensemble, elles s’attèlent à un travail de recherches, s’inspirent de la lecture des Culottées, de Pénélope Bagieu, mais aussi de celle des F comme fières, de L’imprimerie nocturne, de Ni vues ni connues, du collectif Georgette Sand ou encore de Femmes de lettres en Bretagne, ouvrage collectif initié par Gaëlle Pairel.

Et de leurs textes est né un format nomade et modulable, articulé autour de portraits joués, incarnés, interprétés avec humour, force, poésie et interactivité. « Ce n’est pas une conférence gesticulée, ni même une conférence tout court. Ce n’est pas un spectacle d’entresoi. On a pensé un support adaptable selon les publics et les lieux, pour pouvoir jouer partout. », précise Caroline Alaoui.

RÊVER GRAND, L’IMPACT DU MATRIMOINE

Relater les récits et les parcours de ces femmes qui ont existé et existent encore aujourd’hui, participant à penser et faire évoluer les sociétés, c’est une manière de donner à voir le monde autrement. C’est aussi proposer de nouveaux modèles aux filles et aux garçons, aux femmes et aux hommes.

Y compris pour les deux créatrices de ces lectures théâtralisées. « Ça m’a fait avancer dans mon féminisme. Découvrir toutes ces histoires extraordinaires, ça permet de réaliser le combat de certaines femmes… Et d’être plus vigilantes à ne pas se faire substituer sa place. Ça provoque aussi des questionnements. Chaque portrait m’interroge à un endroit différent. Quand on prend l’exemple de Wu Zetian, première femme régnante en Chine au 7esiècle, on pense à la résonnance avec aujurd’hui, où on assiste pour la première fois en France à une quasi mixité aux élections présidentielles… On peut presque tout ramener à aujourd’hui. », s’enthousiasme Lety Pardalis.

Elles le disent, elles sont complémentaires et sur cette création, elles sont heureuses de partager cette plongée dans des univers passionnants et inspirants. Et très empouvoirants. « On se prend à rêver grand ! », scande Caroline Alaoui. Elle poursuit : « Il y a de quoi être en colère quand on découvre toutes ces femmes, leurs noms et leur nombre ! Mais nous ne sommes pas dans la colère. Au contraire, c’est très réjouissant ! »

Et on se réjouit avec elles de rencontrer, faire la connaissance ou de redécouvrir celles qui ont marqué l’Histoire d’hier et celles qui poursuivent le combat, aujourd’hui, pour demain. Les lectures sont vivantes, drôles, touchantes, émouvantes. Les voix s’expriment et s’entremêlent. Les visages de l’ombre apparaissent, sans se confondre avec celles qui les racontent dans la lumière. C’est là où le duo nous cueille avec beaucoup d’émotions.

« On a envie de transmettre et donner à voir des modèles qu’on n’a pas eu durant notre enfance et notre adolescence. Ce sont nos petits combats, à notre échelle. », signale Caroline Alaoui. Des petits combats qui peuvent faire la différence : « C’est important d’avoir accès à ce matrimoine pour chaque vie, chaque construction, ça impacte la façon de se rêver, de s’imaginer ! »

Avec humilité et dans le respect de toutes ces vies entravées, négligées et méprisées, les deux comédiennes et autrices participent à la réhabilitation du matrimoine. À faire sortir les oubliées de leurs silences contraints et forcés. À multiplier les voix et les voies possibles. C’est apaisant et libérateur à la fois.

 

  • LES DATES À RETENIR

  • 8 mars, 17h : Représentation de la lecture-théâtralisée Elles, l’autre mémoire, à la Bibliothèque des Champs Libre, Rennes.
  • 10 mars, 20h : Représentation de la lecture-théâtralisée Elles, l’autre mémoire, à la Maison de quartier La Bellangerais, Rennes.
  • 15, 22 et 29 mars, de 10h à 12h : Ateliers d’écriture autour de Elles, l’autre mémoire, à la Biblithèque La Bellangerais, Rennes.

Célian Ramis

Artistes : un parcours semé d'embûches pour elles

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Quel lien peut-on établir entre précarité des intermittent-e-s et invisibilisation des femmes artistes ?
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En mars 2021, le collectif Les Matermittentes publie un communiqué demandant des mesures d’urgence pour les salarié-e-s discontinu-e-s qui ne perçoivent plus de congé maternité et maladie indemnisé. En juillet 2021, HF Bretagne publie un diagnostic sur la représentation des femmes dans les arts. Mais quel lien peut-on établir entre précarité des intermittent-e-s et invisibilisation des femmes artistes ?  

Aujourd’hui encore, des femmes salariées ne sont pas indemnisées pour leurs congés maternités. Ou très faiblement. Amandine Thiriet, comédienne et chanteuse, co-fondatrice du collectif Les Matermittentes explique :

« C’est encore possible, même en étant salariée. Ca concerne surtout les emplois discontinus, c'est-à-dire les intermittentes du spectacle mais pas que : cela concerne toutes les intermittentes de l'emploi ».

En somme, toutes les personnes qui alternent des périodes de contrat et de chômage. Le problème, c’est que, pendant longtemps, atteindre le seuil nécessaire était complexe : le système d’indemnisation privait des femmes du congé maternité. Et comme l’explique la bénévole, les conséquences peuvent être graves :

« Une femme qui a un enfant peut être condamnée à n’avoir pas de revenu ou un revenu de misère le temps de son congé maternité et donc, en terme d’indépendance financière, d’autonomie et d’engrenage de précarisation, c’est assez grave et c’est cela qu’on dénonce. »

Quand le collectif est créé en 2009, les membres sont directement concernées : initialement appelées Les recalculées, elles dénoncent un mauvais calcul de Pôle Emploi, pénalisant lourdement les intermittentes. Elles occupent les CPAM, les agences Pôle Emploi, font du bruit et obtiennent partiellement gain de cause.

L’expertise qu’elles acquièrent pendant leur combat leur permet d’analyser le système d’indemnisation et les inégalités qui en découlent. En effet, le système d’équivalence avec Pôle Emploi est défaillant : des femmes perdent leur intermittence car elles ont un enfant, les indemnisations sont trop basses et mettent les concernées dans des situations de précarité importante.

Rebaptisé Les Matermittentes, le collectif saisit le Défenseur des Droits et c’est seulement deux ans plus tard, en 2012 que les politiques se saisissent du sujet, constatant une inégalité. En 2015, elles obtiennent un abaissement des seuils, jusque-là démesurés, pour l’accès au congé maternité et en 2016 avec les syndicats, elles réussissent à faire changer la manière dont celui-ci est pris en compte dans l’assurance chômage pour que ce ne soit plus discriminant. 

NE RIEN LÂCHER

Malgré ces évolutions encourageantes, le travail du collectif ne s’arrête pas là. Depuis 2017, les Matermittentes sont très - trop - souvent sollicitées pour des cas d’erreur de calculs, des refus d’indemnisations et des refus de congés maternités. En cause ? Des mesures insuffisantes et le risque d’un retour en arrière important avec la réforme de l’assurance-chômage actuellement en débat.

La méthode de calcul imaginée va en effet très lourdement pénaliser les personnes qui alternent des petits contrats. La crise sanitaire et sa gestion ont également accentué ces inégalités. Plus généralement, ce sont les discriminations et le manque de reconnaissance liées aux emplois discontinus que le collectif dénonce :

« Quand on écoute Elisabeth Borne (Ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, ndlr) au Sénat, elle parle comme si les professions discontinues choisissaient leur manière de travailler : si on ne travaille qu’un jour sur deux, c’est de notre faute, on a qu’à trouver un CDI ! Mais ce n’est pas vrai, (...) il faut reconnaître qu’il existe des pratiques de travail. On ne peut pas être tous les jours en représentation ou en tournage ! »

UN MANQUE DE REPRÉSENTATION 

En juillet, HF Bretagne publie un diagnostic sur la représentation des femmes dans les arts. En portant des valeurs de féminisme, collégialité et de transversalité, il souhaite agir pour faire avancer l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Avec cette étude, qui existe depuis 2014, publiée tous les deux ans, l’objectif est de compter, révélant ainsi cet écart majeur en défaveur des femmes, à la fois dans les équipes artistiques, les équipes permanentes et de direction. Lucile Linard, coordinatrice de l’association explique :

« Le diagnostic légitime notre action, c’est dire “voilà la photographie de la réalité” mais c’est aussi pour responsabiliser les structures et faire prendre conscience que même si on a l’impression que ca avance, en fait, pas vraiment, ca avance très très lentement. C’est pour ça qu'on compte. »

Cette année le collectif a fait le choix de changer sa méthodologie permettant de mettre en lumière de nouvelles informations et de nouveaux indicateurs, comme les budgets, la communication, l'accueil de résidence, etc. Le diagnostic permet de rendre compte d’une situation qui évolue, mais encore trop doucement.

Dans les arts visuels, on constate par exemple des chiffres encourageants avec une hausse de 6 points de pourcentage entre 2014 et 2019 : les femmes représentaient 29% des artistes exposées contre 35% en 2019. Mais le combat est loin d’être fini ! De plus, les femmes, si elles sont plus exposées, c’est surtout dans les expositions collectives que monographiques. Elles sont donc davantage invisibilisées …

Dans les musiques actuelles et les musiques traditionnelles, on retrouve les plus grosses inégalités avec des chiffres choquants : sur 562 concerts étudiés, 3 se sont déroulés sans aucun homme et 71 sans aucune femme. Soit 12,5% des concerts sans femmes.

Lucile s’indigne « Comment se projeter quand on est habitué-e à ça ? Il y a un mouvement de dénonciation avec Music too, mais on est encore trop habitué-e à ne pas voir de femmes sur scène. » 

UN PROCESSUS D'ÉVAPORATION DES FEMMES ?

On le sait, les diplômées sont là. Pourtant, elles sont moins exposées. Dans le focus sur les arts visuels, elles comptent : aux écoles d’art sur l’année 2019-2020, ce sont 72% de femmes diplômées. Et déjà, sur les bancs de l’école, les étudiantes ne peuvent pas se projeter : ce sont 53% d'enseignants, 62% d’artistes masculins intervenants.

Mathilde Dumontet, chargée d’étude pour le diagnostic, souligne : « Quand on leur enseigne, quand elles vont voir des expositions, il y a un manque de représentativité, elles ne voient que des hommes. La figure de l’artiste est masculine. Ça limite le “oui, moi aussi, je peux le faire”. »

De plus, les violences sexistes et sexuelles ainsi que les discriminations vécues dès l’école participent à écarter les femmes des parcours artistiques à la fin de leurs études. Les mots de trop, un projet mené par 3 étudiantes de l'EESAB de Rennes fin 2019, met en lumière ces discriminations.

Sous forme d’une enquête et d’un projet graphique, elles ont récolté au total 343 témoignages d’élèves. Le sexisme est une des formes de discriminations le plus vécu parmi toutes les expériences citées : racisme, validisme, homophobie, etc. Notons qu'elles sont toutes cumulables et prennent des formes variées, allant de l’humour oppressif au harcèlement. En tête des attitudes discriminantes : l’équipe pédagogique. Lucile Linard explique :

« Régulièrement on se demande pourquoi cet écart entre les diplômées et les femmes actives ? On parle d’un processus d’évaporation. Pourquoi est-ce qu'elles s’évaporent après leurs études ? Peut-être que ces violences, ces discriminations vécues dès l’école, ce sont des pistes de réflexion. » 

TALENT, NOM MASCULIN ? 

Sur le site d’HF Bretagne est écrit en gros “Talent = Moyens + Travail + Visibilité". La coordinatrice explique l'importance de ce slogan : encore aujourd’hui, trop de personnes pensent que le manque de représentation des femmes dans les milieux artistiques est dû à un manque de talent. Sans moyens, comment rendre le travail des femmes artistes visibles ?

Le collectif Les Matermittentes et sa mission d’accompagnement permettent de révéler les inégalités et les risques de précarité importants pour les femmes. Une étude publiée en mai 2021 par la DARES « Emploi discontinu et indemnisation du chômage : Quels usages des contrats courts ? » montre que les femmes sont surreprésentées dans les emplois discontinus.

Elles seront donc les premières touchées par la réforme d’assurance-chômage. Amandine Thiriet dénonce une stratégie : « C’est hypocrite car ils font comme si c’était de la faute des employé-e-s alors qu’ils encouragent en même temps cette économie de la précarité : ils voudraient que ces gens ne soient pas salarié-e-s mais indépendant-e-s, la stratégie c’est d’enlever les indemnités. C’est un combat pour une protection sociale qui touche surtout les femmes. »

Les violences sexistes et sexuelles, l’expérience des discriminations mais aussi les violences matérielles et le manque de moyens qui touchent les femmes participent et accentuent le phénomène d'évaporation des femmes artistes après leurs études. Dans les équipes permanentes se sont majoritairement des femmes.

Une évolution partiellement victorieuse, car si les femmes sont plus présentes, on constate toutefois que leur présence diminue quand les moyens et les budgets augmentent. Plus il y a d’argent dans les structures, plus il y a d’hommes. Mathilde Dumontet commente :

« On parle d’évaporation des femmes mais on constate aussi un phénomène d’apparition des hommes. »

Des différences de moyens, qui entraînent aussi des visibilités inégales. 

Les actions des associations et collectifs comme les Matermittentes et HF Bretagne sont colossales et encourageantes. Le travail pour l’égalité est immense et les avancées encore fragiles. HF Bretagne prévoit ainsi déjà un autre diagnostic sur l’impact de la crise sanitaire dans les arts. Comme les Matermittentes, le collectif s'inquiète des conséquences dans le milieu artistique. Ainsi, compter, analyser, se mobiliser et se soutenir permet de faire face et de faire avancer l’égalité, la visibilité et les représentations des femmes artistes. 

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