Célian Ramis

L'empouvoirement des musiciennes

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Le talent n’a pas de genre et pourtant, les chiffres révèlent une faible présence des femmes dans les musiques rock et actuelles. Comment (re)penser l’accompagnement des musiciennes ?
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Le talent n’a pas de genre et pourtant, les chiffres révèlent une faible présence des femmes dans les musiques rock et actuelles. Dès l’adolescence, les garçons sont plus nombreux à créer des groupes là où les filles se détachent des loisirs et par conséquent, de la pratique musicale et instrumentale. Comment (re)penser l’accompagnement des musiciennes ? Sans doute à travers la sororité, la formation des équipes et les ateliers non mixtes…

Fougue et énergie rock sur la scène des Transmusicales, le 4 décembre 2021, grâce aux artistes musiciennes d’Ottis Cœur ! Elles se sont rencontrées en formation, ne sont pas appréciées tout de suite et puis, elles ont fini par se confiner toutes les deux, en mars 2020. Sans intention professionnelle au départ, elles ont composé, expérimenté et chanté ensemble. Ça a matché et de là est née la créativité rugissante montrée à l’Étage du Liberté. Elles prônent l’identité DIY, le rock et le féminisme. Et on se régale autant en visionnant le clip de « Je marche derrière toi » qu’en l’écoutant en live. À la différence que là, on savoure leur panache et leur dynamisme électrisants ! Ça sent bon le garage, le rock alternatif, les influences pop rock et la colère débordante au service d’une créativité rythmique et explosive. Leurs voix s’unissent, les harmonies renforcent leur proposition musicale et accentuent leur discours, scandé en français, dénonçant les violences sexistes et masculines. Leur ras-le-bol des histoires fumeuses, des mecs qui ne pensent qu’à leur gueule – oubliant le plaisir et l’orgasme des femmes - du mensplaining et on en passe, elles l’expriment avec hargne, saisissant et brandissant leurs émotions catapultées sous la forme de forces libératrices et empouvoirantes. Elles bondissent, guitare électrique, basse et batterie saturent et vrombissent, et l’énergie envahit très vite la salle. L’enthousiasme gagne la foule, convaincue par ce mélange de calme, d’amertume et de fureur. Les tripes sur le plateau, laissant entrevoir également leur jovialité, légèreté et humour entre les morceaux, Camille et Margaux signent un set puissant, qui retient notre attention et surtout alimente notre curiosité pour Ottis Cœur, qu’il faudra suivre, c’est certain, dans les prochaines années. Ce sont là les prémices d’un duo bien décidé à chanter fort sans s’excuser. 

PLONGÉE DANS LA SORORITÉ

Pourtant, il ne leur a pas été aisé d’arriver jusque-là. Du talent, elles en ont. De la volonté et de la détermination, également. Des expériences, aussi. Et pas toujours heureuses. Les réflexions sexistes et misogynes du type « T’es une fille, tu ne sais pas jouer » de la part des mecs ou les remarques non appropriées d’un producteur décidant de transformer la musicienne « en diva », elles en ont fait les frais. En formation, via le Studio des Variétés à Paris, dédié au perfectionnement et l’accompagnement des artistes de musiques actuelles, elles découvrent la puissance de la sororité. « La promo était quasi uniquement féminine. Ça a été un levier le côté collectif avec que des meufs qui développent des projets. Ça nous a soudées, on allait se voir en concert. Quand je suis arrivée, j’étais en dépression, prête à arrêter la musique. Ça m’a reboostée de fou ! », rigole Camille.

Le premier confinement arrive, elles s’installent à la campagne dans sa maison familiale et se mettent à composer et à enregistrer ensemble. Isolées, elles vont s’affranchir du regard masculin qui peut mener à l’hésitation ou l’auto-censure et lever les freins éventuels qui pourraient s’interposer avec leur création. « Sans le confinement, on aurait peut-être fait mais plus tard. Être là toutes les deux, préservées des remarques et des doutes, c’était sans barrières. On n’avait jamais joué de batterie avant, on a testé. On avait l’étincelle de l’expérimentation ! », soulignent les membres d’Ottis Cœur. Et pour Margaux, cela marque un tournant décisif dans sa manière d’agir : « Camille m’a inspirée. Avant, je n’aurais jamais osé faire un solo de guitare sur scène. Elle m’a aidée à prendre confiance en moi, à me sentir légitime dans le travail. On discutait beaucoup et c’est important, car un mot positif de quelqu’un-e que tu estimes beaucoup peut tout changer ! » Même son de cloche du côté de sa co-musicienne : « Je n’osais pas sortir de moi-même pour exprimer ma parole et ma voix. J’avais du mal à m’exprimer et à me faire entendre. Margaux m’a permis de libérer plein de trucs ! On trouve des idées à deux, en rebondissant sur ce que dit l’autre… C’est vachement bien ! »

SOLIDIFIER LA CONFIANCE ET LA LÉGITIMITÉ

Découvrir le plaisir de faire de la musique ensemble, de pratiquer d’un instrument, de prendre place dans un groupe de rock… c’est l’objectif du Girls Rock Camp organisé pour la première fois du 7 au 11 février 2022, au Jardin Moderne (et du 13 au 18 février 2023 pour la seconde édition). Parce que comme le rappelle Audrey Guiller, batteuse et coordinatrice de l’événement, « sur les 900 musiciens qui répètent ici, seulement 12% sont des femmes, il est temps que ça change ! » Les chiffres sont édifiants. Selon HF Bretagne, 82% des artistes qui se produisent sur scène, dans le secteur du rock, sont des hommes. Pour pallier à ce sévère déséquilibre, le Jardin Moderne s’engage dans une démarche autour de l’égalité des genres et, en coopération avec l’Antipode, lance son premier Girls Rock Camp, destiné à des adolescentes rennaises âgées entre 14 et 18 ans, sous la forme d’un stage dédié à la pratique instrumentale. Durant une semaine, les huit participantes ont été accompagnées par des musiciennes et techniciennes professionnelles et amatrices. Batterie, basse, guitare, coaching vocal, coaching scénique, flyer, yoga, prise de parole en public… Elles ont découvert les bases et les fondamentaux du rock, son énergie, sa vitalité, l’apprentissage des instruments et la création de musiques originales. Et surtout ont pu prendre confiance en elles. 

Le 11 février, en fin d’après-midi, elles sont prêtes. Elles osent, elles montent sur scène, divisées en deux groupes. Snakes 4, tout d’abord. Main Towanda, ensuite. Timides au départ, on sent rapidement que le stress se dissipe pour faire place au plaisir d’être sur scène. Elles prennent des postures rock, s’affranchissent d’une part de leurs appréhensions et saisissent l’instant pour emporter le public dans l’aventure vécue. Et pour finir, c’est ensemble qu’elles entament a cappella une chanson d’amour que Sam déclame en algérien à sa copine, installée au premier rang. Elle a 17 ans et a décidé de s’inscrire au Girls Rock Camp « par goût de la musique ». La faible présence des femmes dans le milieu musical, elle en avait déjà conscience avant de venir. « C’est clair que ça doit changer ! », poursuit-elle. À ses côtés, Jeanne, 17 ans, a été séduite par le côté « être entre meufs dans un groupe » et Pome, 13 ans, est convaincue que cela a permis « de se mieux se lâcher, s’exprimer et se rendre compte qu’on peut se libérer ! J’aurais beaucoup moins osé avec des hommes autour, c’est certain. » Ce qu’elles retiennent de leur stage, c’est l’ambiance et la sororité, la confiance que cela procure. « Il y en avait une qui avait une idée, la disait, on rebondissait. On était ensemble. On a fait ensemble. On a écouté, testé, beaucoup testé… Là, on voyait du soutien partout, on s’encourageait. On n’était pas en rivalité comme on nous fait croire que les femmes sont. On s’est bien entendues et c’est là, quand tu te sens libre que tu sors ton talent à 100% ! », signale Sam.

CONTRE LES VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES

C’est certain, mettre entre les mains des filles et des femmes les clés vers leur autonomisation participe à établir les bases d’une égalité entre les genres. La formation de tou-te-s les professionnel-le-s de la musique et des équipes encadrant les événements musicaux et festifs, la sensibilisation aux thématiques féministes ainsi que l’accompagnement des personnes concernées par les structures dédiées dès le plus jeune âge sont nécessaires et essentielles pour prévenir, réduire et éliminer les violences sexistes et sexuelles à l’encontre des personnes sexisées. On la voit l’urgence. Dans la création de labels et maisons de disque féministes et queer tel-le-s que Elemento Records, Warriorecords ou encore Cartelle, dans l’impact des associations comme le mouvement HF, dans les campagnes prônant le consentement en festivals et concerts, dans l’émergence et l’importance des réseaux non mixtes à l’instar de She Said So, dans les projets qui se développent comme Musiciennes au Bastion à Besançon, dans les ateliers d’empowerment et de musique pour les femmes, personnes trans et non binaires tels que les conçoit Salut les Zikettes ou encore les engagements pris par divers-es lieux et scènes de musiques actuelles en faveur d’une égalité matérielle, financière, d’accessibilité aux résidences, scènes, etc… Partout, la sororité doit être au cœur du processus de valorisation des musiciennes.

 

  • Vers plus d’égalité des genres

En janvier 2022, le Jardin Moderne a convié ses adhérent-e-s et partenaires à une assemblée générale extraordinaire afin de lutter ensemble contre les violences sexistes et sexuelles et plus largement les inégalités dans les musiques actuelles. Cet événement s’inscrit dans le projet porté par la structure rennaise initié depuis 2020 autour de la construction d’un plan d’action concret pour aller vers plus d’égalité. L’association indique : « Accompagnée par les structures La Petite et Pluségales, des formations des équipes et du conseil d’administration sont menées ainsi que des groupes de travail pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, favoriser la pratique musicale des femmes, mettre en place une communication plus inclusive et travailler en partenariat autour des démarches d’égalité. » L’assemblée générale extraordinaire était l’occasion de dresser un premier point étape et de débattre ensemble des avancées à venir. 

Célian Ramis

Bacchantes : Lyrisme rock

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Elles sont quatre. Musiciennes et chanteuses. Elles mêlent lyrisme, rock et poésie antique. Les Bacchantes étaient en résidence à L’Antipode, après la sortie de leur premier album. Rencontre.
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Elles sont quatre. Musiciennes et chanteuses. Elles mêlent lyrisme, rock et poésie antique. Fin février, Les Bacchantes étaient en résidence à L’Antipode, après la sortie de leur premier album. Rencontre. 

La claque dans la gueule ! La puissance ! On ne s’y attendait pas à ce point-là. L’écoute de l’album nous avait percuté. Le live nous a bouleversé. Le temps de quelques chansons, c’est un changement de dimension qui s’opère dans notre imagination, direction l’univers Bacchantes. Les premiers souffles, les premières notes, les premiers frissons.

Autour du quatuor, pousse la végétation et grimpe le lierre, transformant le plateau de l’Antipode en scène florale et organique. Alliant leurs voix et leurs instruments dans des expressions singulières et des rythmiques vibrant à l’intérieur de nos entrailles, Amélie Grosselin, à la guitare électrique, Astrid Radigue à la batterie, Claire Grupallo et Faustine Seilman aux claviers et harmoniums indiens, invoquent les éléments et convoquent l’intime et le profond qu’elles déchainent intensément et en pleine maitrise.

Nous, en revanche, on ne maitrise plus rien, on se laisse porter par leurs propositions qui nous transpercent le corps et l’esprit, ne répondant alors plus de rien, si ce n’est de tous ces mouvements mélodieux et émotionnels qui s’entrecroisent et nous guident dans une forme de lâcher prise transcendantale.

PLANTER LE DÉCOR

La nature et l’ivresse, ça leur va bien à ces quatre artistes réunies par ce projet il y a maintenant 5 ans. Elles viennent d’horizons musicaux différents : l’une noise, l’autre plutôt pop et puis les deux autres qui naviguent entre la folk et les musiques classiques. Rassemblées sous la bannière des musiques indés, elles fréquentent les mêmes salles du vaste réseau des musiques alternatives et pourtant, elles ne se connaissent pas toutes.

Elles se rencontrent grâce à Faustine Seilman qui lance l’idée de fonder un groupe ensemble. « Un groupe de drone ! C’est comme ça que je leur ai présenté ! », rigole-t-elle. Ce ne sera pas aussi minimaliste finalement mais le côté expérimental sera bel et bien présent.

« En fait, on a commencé par tester des choses qu’on n’avait jamais testées et on a monté un instrumentarium. », poursuit Faustine. Être entre musiciennes, elle le dit, lui permet davantage d’oser essayer, de se tromper et d’avouer certaines déficiences techniques.

Pareil pour Amélie Grosselin, qui parle aussi d’un gain de confiance en elle, et pour Astrid Radigue, qui constate une écoute différente, où l’égo prend moins le pas sur la création et le temps accordé à se comprendre et évoluer ensemble. Claire Grupallo ne partage pas ces ressentis.

Elles sont quatre artistes, « sans rapport hiérarchique ou de séduction », conclut Astrid sur ce point. Et Claire d’ajouter : « On ne s’est pas niées dans nos différences. On les a mises ensemble. »

DES SINGULARITÉS FLEURISSENT LES HARMONIES

Dans Bacchantes, elles partagent leur amour de la mélodie et de l’harmonie et ici, elles expérimentent librement un instrument majeur dans cette formation : la voix. Ce qui capte l’attention dans les chansons de leur premier album éponyme, sorti le 5 février dernier, c’est cette alliance dont la force s’exprime dans le fait de les sentir si connectées tout en conservant leur singularité et leur liberté d’être autonomes.

« On y met chacune quelque chose de personnel. On communie dans la musique. Les textes que l’on chante sont encore très actuels et on y met peut-être encore plus aujourd’hui, après les confinements. », souligne Faustine Seilman. Les textes sont issus de lectures, de poésies antiques et baroques notamment, et ont été sélectionnés selon leur musicalité, leurs rythmiques et leurs thématiques.

De cette ambiance solennelle et viscérale, elles chantent l’amour, la liberté et le rapport à l’environnement. Rien n’est immuable chez les prêtresses Bacchantes. Les synergies qui se dégagent de leurs postures scéniques et des regards complices et profonds qu’elles s’échangent virevoltent dans une danse frénétique s’alliant aux énergies de leurs chants lyriques et harmonieux accompagnés de sonorités percutantes et rugueuses d’un rock qui étreint la noirceur du répertoire romantique.

LA CULTURE DU TEMPS

De leurs expérimentations sont nées des chansons brutes et sensibles. De l’insurrection aux invocations, il n’y a pas de place pour les concessions. Elles portent là, sur une scène conventionnée comme dans une abbaye ou une forêt, ce qu’elles sont, mettant au service du collectif leurs individualités.

Un vent de liberté tourbillonne à leurs côtés, elles s’emparent des mots et interprètent avec authenticité le sens qu’elles veulent leur donner, laissant la possibilité à chacun-e de se les approprier. « C’est la beauté de la poésie ! », s’enthousiasme Amélie Grosselin, indiquant que chaque morceau a évolué au fil des concerts.

« On voulait que les morceaux aient vécu en live, devant le public, avant de les enregistrer. Ça a mis du temps mais ça nous va. », précise Astrid Radigue, rejointe par Claire Grupallo : « On a commencé puis on a été deux à faire une pause maternité, et puis on habite hyper loin, donc tout ça explique qu’on se réunit en gros une semaine tous les deux mois. Dans la lenteur, on a le temps de se nourrir de choses diverses. Ça alimente notre musique. »

Elles affirment leur envie et besoin de prendre le temps, comme le signale Faustine Seilman : « C’est notre rythme et ça nous convient. La musique prend de la place et c’est bien aussi dans ce monde de prendre le temps. On vit toutes à la campagne, on apprécie et on partage ce rythme plus lent. »

Bacchantes, ce n’est pas une promesse, c’est une découverte libératrice, un souffle de fraicheur qui envahit nos entrailles et nous sommes de nous laisser happer. Et on le fait. Parce qu’on y trouve là un espace pour exprimer colère, rage, désespoir mais aussi joie, apaisement et engagement. On communie avec elles et c’est d’une beauté inouïe.