Célian Ramis

Pétrifier les injonctions à la maternité pour faire voler les mythes en éclats !

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Noémie Fachan, autrice et dessinatrice de la lande-dessinée Maternités : miracles et malédictions.
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Dans la bande-dessinée Maternités : miracles et malédictions, Noémie Fachan explore les injonctions à la maternité, composées des mythes qu’elle prend soin de déconstruire. Parce que les mythes, elle en connait un rayon.
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Dans la bande-dessinée Maternités : miracles et malédictions, Noémie Fachan explore les injonctions à la maternité, composées des mythes qu’elle prend soin de déconstruire. Parce que les mythes, elle en connait un rayon. 

Créatrice du compte Instagram maedusa_gorgon, elle est l’autrice d’un premier ouvrage intitulé L’œil de la gorgone, dans lequel elle présente une vingtaine de figures mythologiques sous un regard féministe. Mais son regard à elle ne nous pétrifie pas, au contraire, il nous libère. Son avatar, son alter ego, son alliée est une interprétation militante du célèbre mythe de Méduse, gorgone victime de viol, punie par la déesse Athéna d’une chevelure serpentée et d’un regard pétrifiant : 

« C’est une histoire qui me posait un grand problème quand j’étais ado. Cette rivalité entre les personnages féminins… Je ne comprenais pas Athéna, elle, la déesse de la sagesse, si bienveillante d’habitude. Pourquoi aurait-elle eu un geste si violent envers une victime de viol ? » 

Elle évoque les biais de traduction, notamment dans l’interprétation des mythes anciens : « Il n’y a pas d’histoire originelle dans un mythe, c’est toujours l’histoire d’une variation et Ovide, poète latin en l’an O, répond au modèle patriarcal. Mais ça n’a pas de sens de punir quelqu’un avec un super pouvoir ! C’est un cadeau en fait ! En tout cas, moi, j’ai envie de voir ça dans cette histoire. J’ai décidé d’en faire une variation féministe pour mettre la sororité au cœur de l’histoire. »

Ainsi, elle actualise et élargit la définition des gorgones à toutes celles qui sont confrontées au sexisme et qui sentent les serpents siffler face aux injustices. « Toutes les strates de colère et de frustration dans ma vie ont pris la forme de ces gorgones et sont devenues mon identité graphique », précise Noémie Fachan.

TIC, TAC, TIC, TAC… UNE BOMBE À DÉGOUPILLER

Au début de son deuxième ouvrage, Maternités : miracles et malédictions, son personnage se confronte à une question existentielle : « J’ai 40 ans et je ne sais pas si je veux des enfants. » Une phrase encore difficile à cracher en société tant la norme est instaurée dans les mentalités : une femme cisgenre hétérosexuelle, en âge de procréer, se doit de répondre à l’exigence attendue. Les childfree ? Des femmes qui, un jour, le regretteront. Et si elles ne le regrettent pas ? Des monstres, des marginales, des traitresses au genre. 

Embrumée par les injonctions à la maternité, le désastre écologique, la précarité latente et l’instabilité politique actuelle, Noémie Fachan et Maedusa éprouvent des difficultés à faire le tri entre la pression sociale et genrée de la fameuse « horloge biologique » qui pèse sur ses épaules d’une femme ayant dépassé la trentaine et ce qu’elle désire intimement, en tant qu’individu conscient et éclairé. 

« À 35 ans, j’étais une femme célibataire qui enchainait les histoires pas terribles et j’ai senti l’étau de l’injonction à la maternité se refermer sur moi. J’ai vu une psy et, comme par hasard, il m’a fallu 9 mois de thérapie pour adopter une posture plus philosophique : assumer d’être en dépression, que je travaille beaucoup et que j’écrive énormément. Je représente le peuple des contradictoires », confie l’autrice avec humour. 

Consciente des discriminations et des violences ordinaires qui bordent la parentalité dont les approches plurielles et sensibles ne sont que trop peu mises en valeur, elle décide de rassembler ses connaissances, de par son vécu et les témoignages de personnes de son entourage, et ses compétences, en matière de vulgarisation et de dessins, pour brosser 19 portraits – dont le sien – de personnes concernées, évoquant leurs expériences et ressentis dans le bureau de la gorgonologue. 

LE SEXISME, SOCLE DE LA SOCIÉTÉ PATRIARCALE

Noémie Fachan expose une galerie de personnages variés, pluriels, multiples et singuliers, dont le commun repose sur la parentalité et ses injonctions. Des injonctions régies par une norme patriarcale dans une société binaire basée sur la performance hétéro (dans le couple, au travail, dans la parentalité, etc.) : la famille se constitue d’un papa, d’une maman et au moins d’un enfant. 

S’en serait presque une caricature et pourtant, c’est encore la conception majoritaire et quasi unique de la famille nucléaire : la mère porte l’enfant et la charge globale du foyer, tandis que le papa, en bon chef de famille, travaille pour nourrir et subvenir aux besoins de sa famille. Prétendument, puisqu’un des besoins serait principalement de participer aux tâches domestiques, au même titre que sa partenaire qui elle, aussi, bien souvent, travaille. 

Socle de la société patriarcale, le sexisme est un système inégalitaire que tous les personnages du livre ont éprouvé d’une manière ou d’une autre. Parfois, les expériences se croisent, s’entrelacent, et parfois, diffèrent. Parce que les dominations s’imbriquent. Et malheureusement, les représentations, elles, ne se démultiplient pas. L’image principale de la personne en charge de la grossesse et de l’enfant une fois né-e restant une femme, hétéra, cisgenre, valide… et désormais active, l’idéal Super Maman ayant balayé et remplacé ces dernières années la si répandue Maman au Foyer (une figure qui revient en force dans le mouvement trad wife). 

Au milieu, difficile de trouver l’équilibre. Difficile de ne pas complexer face à la mère parfaite, la « momfluenceuse » (derrière laquelle pèse drastiquement une idéologie conservatrice), la sublime maman qui coche toutes les cases de la réussite normative et concilie toutes les missions que la société patriarcale et capitaliste lui assène. Difficile de ne pas se comparer. Difficile de ne pas vaciller sur cette route vertigineuse de la perfection féminine et maternelle. Difficile de ne pas sombrer ou de ne pas déclarer forfait. Difficile de ne pas regretter le temps de la liberté innocente. Difficile de ne pas tout plaquer. Mais difficile aussi de lâcher prise.

S’INTERROGER, S’INFORMER & SE FAIRE DU BIEN

Et c’est là que la BD Maternités : miracles et malédictions nous parvient comme un cadeau du ciel. Ou plutôt d’un cadeau d’une gorgone alliée, destiné à nous faire un bien fou. Parce qu’à travers une nuée de portraits et de témoignages, Maedusa nous enchante d’une variété de situations et de ressentis, faisant face et front aux injonctions à la parentalité, au sexisme ordinaire et aux très nombreuses discriminations qui viennent semer le trouble dans une réflexion profondément intime et personnelle.

« L’idée, c’est d’ouvrir les imaginaires. J’ai dessiné un couple avec un homme enceint parce que, quand on n’a pas des personnes queer dans son entourage, on ne sait pas que des gens peuvent être enceints sans être des femmes », souligne Noémie Fachan dont l’objectif est bien de « sensibiliser les personnes qui n’ont pas les informations », de « soulever des questions et se familiariser avec les discriminations qui ne nous concernent pas » et surtout pas « de faire un guide sur la parentalité ». 

Ainsi, chaque tranche de vie illustrée suscite l’empathie, l’adelphité et la solidarité. On sourit, on rit, on se crispe, on s’insurge, on pleure, on tape du poing, on gueule, on s’émeut, on s’identifie, on découvre, on dévore. Impossible de refermer le bouquin. A la fin de chaque portrait, on veut en explorer un autre, on veut en savoir davantage. Pas par curiosité malplacée, voyeurisme ou sadisme. Non. C’est là toute la force de Noémie Fachan : elle sait transmettre, raconter, informer, vulgariser. C’est le propre de son compte Instagram maedusa_gorgon qui lutte contre les préjugés sexistes et déconstruit les stéréotypes et biais de genre.

MATERNITÉS CONTRASTÉES

C’est une bouffée d’oxygène sa bande-dessinée. Si au quotidien, on peut se figer, pétrifié-es par le patriarcat, elle nous rappelle notre puissance, nous redonne le souffle de vie nécessaire pour poursuivre notre chemin. Elle dépeint des réalités et des quotidiens, plongé-es dans les affres de la vie, dans ses contradictions et ses forces et montre à quel point bonheur et ras-le-bol d’avoir des enfants ne sont pas incompatibles ni même contradictoires, à quel point être femme et ne pas vouloir d’enfant est une question de liberté individuelle et de choix personnel, à quel point les injonctions à la parentalité et les discriminations se mêlent en toute impunité dans une extrême violence ou encore à quel point il est essentiel et salvateur pour tout le monde de déconstruire les images erronées et biaisées de la mère parfaite… 

La maternité peut être heureuse (et encore, pas tout le temps) que si elle est choisie et éclairée par les expériences des un-es et des autres. Ni toute noire ni toute blanche, celle-ci est contrastée et mouvementée. Pleine de sentiments contradictoires encore difficiles à entendre dans la société actuelle. Aurélia Blanc, autrice de l’essai Tu seras une mère féministe ! – Manuel d’émancipation pour des maternités décomplexées et libérées, témoigne : 

« Quand je repense aux mois qui ont suivi la naissance de mes enfants, mille sensations me reviennent. La douceur de leur peau. L’odeur de leurs cheveux. La chaleur de leurs petits corps contre moi. Mon émerveillement de les tenir entre mes bras. Mais aussi l’épuisement. Le temps distordu, entre ces journées qui s’étirent et ces nuits qui n’en sont plus. L’attente, qui nous fait compter les heures avant la prochaine tétée, la prochaine sieste, l’arrivée de celui ou celle qui pourra prendre le relais. L’ennui de répéter encore et encore les mêmes gestes. Et puis la solitude, surtout. »

CONSÉQUENCES D’UN RÔLE ASSIGNÉ AUX FEMMES

Si on tend à ouvrir davantage l’écoute face aux vécus et ressentis des parents en situation de post-partum, ombre est faite sur ce qui tourmente ces instants bouleversants, que l’on banalise souvent, insinuant qu’il faut en passer par là pour la plus merveilleuse des raisons : l’intérêt de son enfant et le bonheur qui accompagne sa venue et son développement. La journaliste poursuit : 

« Dans un sondage réalisé fin 2021, seules 22% des mères (et 35% des pères) disent avoir vécu cette période de manière sereine et sans difficulté. Les autres, en revanche, ont eu du mal à s’adapter à leur nouvelle vie, jusqu’à connaitre un épisode dépressif (c’est le cas de 30% des mères et 18% des pères), voire, pour certain-es, une dépression post-partum. Non pas un baby blues passager, mais une dépression post-partum qui nécessite une prise en charge spécialisée. »

Ces difficultés, elles sont aussi « la conséquence du rôle assigné aux femmes dans la maternité ». Elle aborde, à travers la thèse de la sociologue Déborah Guy, le poids des attentes sociales sur la santé mentale des mères. L’injonction n’est pas seulement de se reproduire (« et de ne le faire qu’à condition de pouvoir garantir à leur(s) enfant(s) les meilleures conditions matérielles et relationnelles d’accueil ») mais aussi de se transformer pour « endosser avec bonheur et sérénité un nouveau rapport à soi et aux autres ». 

Les concerné-es, nous montre Noémie Fachan, s’impliquent en général corps et âme dans ces nouvelles missions et s’investissent durement pour parvenir à embrasser cette image d’Épinal. Mais dans la réalité, dans les méandres d’un quotidien trop chargé, la plupart d’entre elles échouent. Des mauvaises mères ? La réponse est simple pour Aurélia Blanc : 

« Evidemment, il n’en est rien. Mais le décalage entre ces mythes et leurs réalités maternelles est la source d’une culpabilisation très forte pour les mères. À l’arrivée, celle qui vivent mal – ou avec ambivalence – leur entrée dans la maternité subissent une double peine : à leur mal-être initial s’ajoute cette culpabilité, qui vient à son tour amplifier leurs difficultés. Difficultés qui, une fois encore, ont aussi à voir avec leurs conditions sociales dans lesquelles se déroule leur maternité. » 

Elle pointe « l’isolement, la responsabilité quotidienne du nouveau-né, l’épuisement, les informations et injonctions contradictoires permanentes, la difficulté d’accéder à un mode de garde… » Noémie Fachan, dans sa BD, illustre avec précision, justesse, humour et parfois légèreté tous ces aspects de la charge maternelle, sans jamais dénaturer et minimiser les difficultés vécues, les violences et souffrances éprouvées par les personnes concernées. 

L’INTIME EST POLITIQUE

Elle parvient dans ce marasme collectif à rendre chaque histoire unique. À appuyer les injonctions et contradictions patriarcales, les discriminations handiphobes, transphobes, lesbophobes, racistes, islamophobes qui s’imbriquent au sexisme latent d’une société qui reste conservatrice dans sa vision de la famille nucléaire. 

Et puis, elle nous éclaire d’une grande quantité – et qualité – d’informations qui viennent nourrir et compléter les récits, cheminements et réflexions des un-es et des autres. Si on connait les affres – et les joies – de la parentalité, on se reconnait, on s’identifie, on se soulage de ne pas – ne plus – être seul-es, et puis, on découvre d’autres situations, d’autres possibles, d’autres expressions des difficultés endurées, d’autres manières d’apprivoiser son rôle de parent, d’autres formes de résistance. 

On ne s’interroge que très peu sur la dimension politique de la parentalité mais aussi et surtout sur ce que l’on définit, individuellement, dans la parentalité. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça veut dire pour nous ? Comment souhaite-t-on s’investir dedans ? Pourquoi veut-on des enfants ? Sans prendre en compte le chamboulement (auquel personne n’est préparé) réel qu’il constitue. Sans prendre en compte que la parentalité est un apprentissage. Et parce qu’on souffre du regard insistant et réprobateur d’une société qui enjoint les femmes à devenir mères mais exclut de facto les lesbiennes, les femmes en situation de handicap, les grosses, les hommes trans. Un jugement sévère s’abat sur tou-tes celleux que l’on préjuge incompétent-es dans les qualités parentales requises, simplement parce qu’elles échappent à la norme patriarcale. Tout ça, elle le raconte avec humour, contraste, légéreté et bienveillance.

« Le maitre mot de cette BD, c’est la solidarité ! »
signale l’autrice et dessinatrice.

Noémie Fachan relate ici des parcours de combattant-es, témoins d’un côté de la charge immense, physique et mentale, qui incombe aux femmes – qu’elles soient mères ou non – et d’un autre de la force inouïe des personnes concernées, qui malgré les embuches, les épreuves et les difficultés, puisent dans leurs ressources pour affronter, résister, contourner, inventer, lutter, faire avancer, s’adapter. Éblouissant-es de créativité, adelphes d’épuisement, partenaires de galère… Des gorgones puissantes et ordinaires, dans toute leur combattivité et leurs vulnérabilités, dans leurs failles, leurs routines, leurs échecs et leurs victoires. Dans leurs individualités et leurs intimités. Et surtout dans leur diversité et leur pluralité. Et double dose de bonne nouvelle : un tome 2 est en préparation et devrait arriver à la rentrée prochaine. 

 

  • La rencontre avec Noémie Fachan, animée par Juliana Allin, était organisée le 15 mars par la bibliothèque des Champs libres, à Rennes, dans le cadre du 8 mars.

Célian Ramis

Secouer le tabou du post partum

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Les militantes féministes s’emparent d’un sujet longtemps silencié, minimisé ou biaisé et dévoilent témoignages et astuces démontrant l’adversité et la diversité des situations et des vécus. Libérer la parole, l’écoute et faire circuler l’information.
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La claque ! C’est souvent le terme employé par les personnes ayant accouché et découvrant, dans un mélange d’émotions, de fatigue et d’ignorance, le post partum, période suivant « la délivrance », à laquelle la plupart des nouveaux parents ne sont préparés ni mentalement ni physiquement. Les militantes féministes s’emparent d’un sujet longtemps silencié, minimisé ou biaisé et dévoilent témoignages et astuces démontrant l’adversité et la diversité des situations et des vécus. Surtout, elles entendent libérer la parole, l’écoute et faire circuler l’information.

Quinze jours après son accouchement, l’humoriste Camille Lellouche publie sur les réseaux sociaux une photo d’elle dans une cabine d’essayage. Elle écrit avec ironie : « J’ai essayé un jean. 3 tailles au dessus de ma taille, il me va nickel #Postpartum » Sur le cliché, elle pose en soutien-gorge et pantalon, qu’elle n’arrive pas à boutonner, dévoilant son ventre et la ligne légèrement foncée de grossesse encore présente. Actuellement, dans la société, la question est obsédante : la nouvelle mère a-t-elle retrouvé sa ligne ? L’injonction tonne. Elle est le cœur d’une tempête d’éléments qui se déchainent. Le post accouchement est un tourbillon pour de nombreux parents qui font face à une nouvelle réalité à laquelle rien ne les prépare. La confrontation entre le vécu imminent et l’image sacralisée de la Mère épanouie avec son nourrisson suscite chez certain-e-s des ravages conséquents. Libérer la parole autour des vécus, visibiliser les expériences et ressentis et montrer la pluralité et la diversité des situations sont les objectifs du #MonPostPartum, lancé en 2020 par Morgane Koresh, Ayla Saura, Masha Sexplique, toutes les trois autrices du livre Nos post-partum – Un guide pour accompagner en douceur les mois de l’après-accouchement et Illana Weizman.

LA NAISSANCE D’UN MOUVEMENT

Le bébé pleure, la mère se réveille. Elle sort de son lit et marche difficilement jusqu’aux toilettes. Il faut laver les points dus à la déchirure ou à l’épisiotomie, aller remplir le flacon au lavabo, remettre une protection périodique, enfiler à nouveau la couche filet avant d’aller nourrir le nouveau-né… Le 9 février 2020, la publicité de Frida Mom, spécialisée dans les produits post accouchement, est censurée par la chaine américaine ABC le soir de la 92e cérémonie des Oscars. Finalement, le spot est diffusé sur le compte Instagram de la marque qui précise qu’il n’y a là aucun caractère violent, politique ou sexuel, ni même religieux, obscène ou pro-armes. Mais il est jugé trop « graphique », trop « cru ». Pourtant, il dévoile simplement la vie d’une femme fraichement rentrée de la maternité, le ventre encore bombé et alourdi, ainsi qu’une cicatrice à vif au niveau de la vulve et du sang qui s’écoule de l’utérus. En clair, il brise le tabou du post-partum et à l’instar de celui des menstruations, ça ne se fait pas.

La mannequin Ashley Graham ne tarde pas à réagir à la polémique et s’affiche sans filtre après la naissance de ses jumeaux. Sur son compte Instagram, elle publie une photo d’elle en culotte de maternité, vergetures et cellulite apparentes et poils sous les bras, assortie d’une punchline bien sentie : « Levez la main si vous ne saviez pas que vous changeriez aussi vos propres couches ! » Elle poursuit : « Après toutes ces années dans la mode, je n’aurais jamais cru que les couches pour adultes seraient mes nouveaux sous-vêtements fétiches, mais nous y sommes ! Personne ne parle de la période de récupération et de guérison que traversent les nouvelles mamans. Je voulais montrer qu’il n’y a pas que des arcs-en-ciel et des papillons ! » Illana Weizman, sociologue et militante féministe, enclenche la même démarche. Tout comme Morgane Koresh, Masha Sexplique et Ayla Saura. « On s’est alors mises en contact toutes les quatre et on s’est dit qu’il y avait quelque chose à faire ensemble. On a lancé le hashtag et puis ça a été le déferlement ! », se souvient Ayla Saura, libraire et co-fondatrice de La nuit des temps, à Rennes, et militante féministe. Plusieurs dizaines de milliers de témoignages affluent sur les réseaux sociaux avec l’empreinte du #MonPostPartum :

« On a halluciné de l’ampleur que ça prenait ! On a eu des interviews et des articles dans toute la presse francophone. C’était la preuve que les femmes avaient besoin de ça pour ne pas se sentir seules. »

DES RESSOURCES POUR S’INFORMER

De son côté, la sociologue Illana Weizman publie en 2021 l’essai Ceci est notre post-partum et du leur, Ayla Saura, Morgane Koresh et Masha Sexplique rédigent depuis Rennes, Tel Aviv et Nîmes le guide Nos post-partum, paru en 2022 aux éditions Mango. Parce que clairement, l’information manque. Dans les commentaires et les témoignages, nombreuses sont celles qui expriment leur désespoir après coup de n’avoir reçu aucun cours sur le post-partum lors des séances de préparation à l’accouchement, que certaines sages femmes intitulent désormais « Préparation à l’accouchement et à la parentalité » afin d’englober quelques notions sur la période qui suivra la naissance. Mais là encore, ce n’est pas suffisant.

« Quand on a fait le livre, on avait toutes des enfants en bas âge. Ma fille avait quelques mois, on était dedans ! On a questionné nos mamans mais elles ont oublié cette période. Elles ont occulté. Et je me rends compte avec le temps que moi-même j’oublie. Et pourtant, j’ai vécu un accouchement traumatique. En parlant avec la sage femme, elle m’a dit qu’elle m’en avait parlé du post-partum. Mais je crois quand même que ce n’est pas assez abordé. Et si tu cherches des infos dessus, en effet, tu ne trouves pas grand chose. », réagit Ayla Saura. Les recherches mènent souvent à la dépression post-partum. Uniquement. Et résument cette période à 6 à 8 semaines suivant l’accouchement. Mais qu’en est-il des post-partum qui s’étalent sur deux années ? De l’absence d’attachement face à son nouveau né ? De l’écoulement de sang continu pendant plusieurs semaines ? De l’incapacité à marcher ? De la douleur à chaque passage aux toilettes ? Des picotements dus aux points de suture ? De la fatigue intense, des traumas émotionnels, de la chute hormonale, du miroir reflétant un corps étranger, des engueulades (très/trop) fréquentes dans le couple, de l’envie de secouer le bébé pour le faire taire, des seins durs comme de la pierre, des crevasses aux aréoles, du lait qui coule à chaque fois que vous pensez à votre enfant ou qu’il s’approche de vous avec la faim au ventre, des fuites urinaires quand vous éternuez ou riez, des pressions du périnée sur la vulve et on en passe ?

Dans Nos post-partum – Un guide pour accompagner en douceur les mois après l’accouchement, on trouve toutes ces notions par ordre alphabétique. Accessibilité, allaitement, amour pour son bébé, bébé secoué, couple et baby clash, dépression, deuil périnatal, estime de soi, identité, kilos, lectures, mort inattendue du nourrisson, périnée, retour au travail, saignements… figurent parmi les chapitres abordés et développés, dans lesquels on trouve des ressources sous la forme de QR code - permettant d’accéder à des sites délivrant des informations complémentaires et détaillées – et surtout des messages déculpabilisants, basés sur la liberté et le droit de choisir. Le droit de faire comme on veut et comme on peut. « J’ai eu l’idée de l’abécédaire qui permettait de lister les mots essentiels et de se répartir les sujets par affinité. C’est un livre doudou, qui fait du bien, dans lequel on peut piocher les passages qui nous intéressent. Après l’accouchement, j’étais incapable de lire un livre de A à Z. On a voulu le faire le plus complet possible avec des liens vers des articles, vers des podcasts, etc. », commente Ayla Saura. Le guide se veut pratique et rempli de conseils et astuces apprises au débotté, sur le fil de l’expérience de la parentalité avec tout ce que cela implique en terme émotionnel et physique, sans oublier la charge mentale qui en découle.

BRISER LE TABOU POST-PARTUM

Informer les personnes concernées apparaît comme essentiel pour briser ce qu’Illana Weizman appelle le tabou du post-partum. « Les choses ne vont pas changer du jour au lendemain, car ce tabou est très ancré. On parle d’un système qui est en place depuis des siècles voire des millénaires. », indique-t-elle dans une interview accordée au Huffington Post, en février 2021. Le savoir constitue une forme de pouvoir. La création de la médecine moderne, née en parallèle d’une chasse aux sorcières ténue et destructrice, a pourtant dépossédé les femmes de leurs connaissances concernant leur propre corps. Et partout dans la société règne l’image virginale de la Sainte-Mère, entourée de blanc et d’un halo lumineux inondant l’air et l’espace. Force est de constater qu’il est quasiment impossible de détruire la vision enchanteresse de la maternité, celle-ci ayant été essentialisée dans le genre féminin par les idéaux patriarcaux, auxquels s’ajoute désormais l’injonction productiviste du capitalisme.

En résumé, la femme, nouvelle mère, remplit son rôle reproductif et doit également satisfaire les besoins de rentabilité économique du pays et donc retourner bosser avec la même hargne. « Le patriarcat et le capitalisme voudraient qu’on ferme nos gueules et qu’on soit toujours aussi productives qu’avant la grossesse. Mais entre les douleurs ligamentaires, le mal de dos, les reflux gastriques, le fait d’être essoufflées au moindre mouvement, potentiellement les nausées et les vomissements, puis tout ce qui survient lors du post-partum, ce n’est pas possible. J’ai mis du temps à accepter que ça déborde sur mon travail, à accepter que ma fille était là, que j’allais mal dormir, qu’elle allait être malade, que j’avais envie de passer du temps avec elle et être contente qu’elle prenne du temps et de la place dans ma vie. », souligne Ayla. Elle pointe du doigt le manque d’écoute, de compassion et de compréhension. Face aux professionnel-le-s de la santé mais pas que. La société étant imprégnée des stéréotypes entourant la grossesse et la maternité, les femmes qui cassent l’image d’épanouissement et d’accomplissement sont marginalisées et clouées au pilori des mauvaises mères.

« Si l’on se plaint de certains éléments de la maternité, on est considérées comme de mauvaises mères. Si des femmes osent dire qu’elles ne veulent pas d’enfants, elles sont vues comme des étrangetés. », précise la sociologue. Les difficultés existent, elles sont multiples et exacerbées par le tabou et l’injonction au silence et au sourire d’apparat, elles se répercutent sur la santé mentale et physique des personnes concernées. D’où l’importance de créer des espaces pour en parler, de diffuser le plus largement possible les informations et témoignages, d’interpeler les pouvoirs publics pour améliorer la prise en charge et l’accompagnement des personnes ayant accouché et réformer les congés parentaux pour une meilleure répartition des tâches. 

CHANGER LES REPRÉSENTATIONS

Parce que 28 jours ne suffisent pas aux co-parents face à cette nouvelle vie. Parce que plusieurs semaines ne suffisent pas, en général, à récupérer d’un accouchement et à appréhender ce nouveau corps. Parce que la « bébé box » prévue par le gouvernement ne pallie pas au manque d’informations en termes de post-partum. « On pourrait quand même nous en parler un peu plus à la maternité. On nous donne une liste de choses à amener, on pourrait nous donner une liste de choses à prévoir pour la sortie. On pourrait nous donner une brochure d’information, nous donner une pipette par exemple pour s’arroser la vulve avant de faire pipi… Bien sûr, on peut vivre toute sa grossesse sans se renseigner, ce n’est pas obligatoire. Je sais que moi, j’en avais besoin. C’est aussi un moyen de lutter contre les violences gynécologiques et obstétricales. », signale la co-autrice du guide Nos post-partum. Un titre au pluriel, comme dans le livre d’Illana Weizman, qui souligne l’importance de montrer la diversité et la pluralité des expériences.

Parce qu’aucune femme ne vit le même post-partum. Il est nécessaire et indispensable de faire évoluer les représentations et de désacraliser le post-accouchement, à l’instar de tout le travail de déconstruction réalisé et encore en cours autour des menstruations afin d’en lever le tabou, la portée culpabilisante et la précarité inhérente. Au sein du guide, c’est Morgane Koresh qui illustre la couverture et les chapitres. Les personnes dessinées sont racisées, voilées, en couple lesbien, ont le crâne rasé, sont grosses, tatouées, en culotte de maternité, endeuillées, en couche filet, ont le ventre rond, sont souriantes, au bord des larmes, parfois en pleurs, etc. Elles sont multiples et différentes, tant dans leurs morphologies que dans leurs expressions, leur religion ou non, leur couleur de peau, leur orientation sexuelle, etc. L’écriture y est également inclusive. Mais pas tout le temps : « Ayant voulu que ce livre soit le plus inclusif possible, nous utilisons le point médian lorsque la situation s’y prête. Mais il arrive que nous parlions spécifiquement des mères, car certaines injonctions pèsent davantage sur elles. »

Les vécus sont variés, les voix également, les visages et les identités de genre aussi. D’où l’importance d’une campagne comme celle du Planning Familial qui a fait couler tant d’encre et de souffrance dans une vague transphobe décomplexée. Pour rappel, l’affiche, réalisée par Laurier The Fox, montrant un homme enceint a été la cible d’attaques virulentes en août 2022. En finir avec le discours binaire, sortir du silence, donner la parole et écouter les personnes concernées, valoriser les vécus et expériences, prendre en compte et en considération les récits de post-partum dans leurs réalités toutes entières.

PARTAGER LES RÉFLEXIONS ET LES VÉCUS

Certain-e-s témoignent de difficultés qui s’entrelacent et ne les lâchent plus. D’autres, en revanche, vivent parfaitement et pleinement ce bouleversement. La plupart n’en parlent pas, pensant être seules face aux obstacles qui se présentent et s’accumulent. Par peur de passer pour de mauvaises mères. De mauvaises femmes. « Je pensais ressentir une vague d’amour, comme je l’avais lu, mais ça n’a pas été le cas. Il était là, je le regardais, mais j’étais surtout très fière de ce que je venais d’accomplir. J’avais une sensation de puissance de dingue, qui ne m’a pas lâchée pendant longtemps. Après cette longue nuit de travail, je me suis endormie sur le canapé au moment des soins, avec Ferdinand sur moi. J’étais épuisée par les 2h de poussée. Quelques heures après, la sage-femme est partie, nous laissant un peu hébétés face à ce qui nous arrivait. », relate Eve Simonet dans une interview publiée sur le site de Parlons maman.

Sa surprise face au manque d’informations, au sentiment d’isolement, l’absence d’amour pour son bébé à la naissance, la phobie d’impulsion… la pousse à s’interroger sur ce vécu traumatisant : « Avec du recul, j’aurais aimé savoir en amont qu’on peut ressentir tous ces sentiments, que c’est normal. J’aurais voulu qu’on me prévienne que j’allais avoir besoin d’aide, j’aurais pu en demander à mes parents ou prévoir une liste de docteurs à proximité. J’aurais aussi pu préparer des repas à l’avance. En fait, c’est trop peu de se préparer pendant son congé maternité, on ne peut pas tout organiser en quelques semaines. Mais ça on ne le dit pas. » Face à l’image de Wonder Woman et de Super Maman délivrée en permanence dans les médias, les publicités, livres, séries et films, etc., pas étonnant que les concernées déchantent, culpabilisent et craquent.

Les bouleversements secouent et les injonctions qui planent en permanence et en parallèle sont trop nombreuses. Trop pesantes. Eve Simonet, initiatrice des Clubs Poussettes, en fait un documentaire, intitulé Post partum, allant à la rencontre d’autres personnes souhaitant s’exprimer sur la question : « Je me suis mis en tête de proposer un contenu informatif, pédagogique et didactique sur ce moment de chamboulement vécu par quasiment la moitié de l’humanité. La violence de mon propre post-partum m’a convaincu de ne pas lâcher ce projet. De ne pas le lâcher et même de le réaliser. » Résultat en mars 2022 : 4 épisodes d’une trentaine de minutes chacun, donnant à voir et à entendre les centaines de parents et de professionnel-le-s rencontré-e-s durant 12 mois, en France et à l’étranger.

Briser le silence, briser le tabou, briser l’isolement. Mettre en avant les changements, la liberté d’agir, le droit de faire autrement, signifier la perte de repères, la stupéfaction face à un corps que l’on ne reconnaît plus mais aussi face à une personnalité qui se dévoile, celle du parent. Accepter les difficultés, pouvoir les dire, échanger autour des vécus et ressentis. Et puis aussi s’autoriser l’épanouissement et/ou la frustration, parfois les deux mélangés, sentir sa puissance et la faire jaillir. Ou pas. 

S’AFFRANCHIR DU JUGEMENT

« L’écriture du livre et le hashtag m’ont permis de recréer une identité de femme féministe. Je me sentais hyper seule en tant que parent et féministe. C’est un peu tabou ça aussi. En France, le féminisme a œuvré pour la régulation des naissances et la liberté de choisir et c’est une très bonne chose. Mais les mères ont un peu été écartées des réflexions féministes. », confie Ayla Saura. Heureusement, des associations comme Parents & Féministes voient le jour, permettant les discussions autour du post-partum mais aussi de la parentalité, des livres comme ceux de la journaliste Aurélia Blanc (Tu seras un homme féministe mon fils et, plus récemment, Tu seras une mère féministe) commencent à combler les lacunes, et des podcasts tels que La Matrescence, créé par la journaliste Clémentine Sarlat, ou Le quatrième trimestre, lancé par Sophie Baconin, éclairent cette période méconnue et placent les réflexions et vécus des concernées au cœur des mouvements de libération de la parole et de l’écoute mais aussi d’empouvoirement et de réappropriation des savoirs et des corps.

« On fait comme on peut. C’est ça qu’on a essayé d’insuffler dans le guide. Arrêtons de nous flageller et de nous empêcher de dormir parce qu’on ne correspond pas aux attendus ! », scande Ayla Saura.

Ouvrons nos gueules, parlons crevasses, lochies, rééducation du périnée, retour de couches, difficultés à reprendre une sexualité, découverte d’une facette que l’on ne soupçonnait pas forcément, fierté, puissance, pipi dans la culotte ou peur de faire caca. Affranchissons-nous de l’image sacrée et pure de la maternité. Délivrons-nous des injonctions patriarcales et capitalistes. Chacun-e a son rythme. 

Célian Ramis

Accoucher chez soi, une liberté remise en cause

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Rennes
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L’accouchement assisté à domicile est menacé et il devient difficile de trouver des sages femmes qui le pratiquent.
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Depuis plus de cinq mois les sages femmes sont en grève et poursuivent les manifestations, à Rennes. Elles revendiquent le statut de praticien hospitalier. En parallèle, l’accouchement assisté à domicile est menacé et il devient difficile de trouver des sages femmes qui le pratiquent.

80 à 90% des naissances ont lieu à domicile, dans le monde. C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que l’accouchement à l’hôpital s’est peu à peu généralisé dans les pays occidentaux. Les progrès techniques et médicaux ont été tels, notamment depuis les années 70, que la grossesse et la naissance sont devenus aujourd’hui surmédicalisées, surtout en France. Simultanément, l’accouchement assisté à domicile (AAD), encore assez répandu en Europe du Nord – aux Pays Bas, en Grande-Bretagne, en Belgique ou encore en Allemagne – est mal perçu dans notre pays, considéré comme archaïque, dangereux, inconscient.

Aucune étude n’a pourtant prouvé qu’il augmente les risques. « Dans le cas d’une grossesse normale, dite physiologique, sans mauvaise position du bébé ou du placenta, sans diabète gestationnel, avec une bonne préparation, l’AAD offre plus de confort, de confiance et de liberté à la femme et les suites de couches sont vraiment mieux vécues », confie Katell Chantreau, 37 ans. Elle a mis au monde ses trois enfants chez elle, à Rennes, et a réalisé le documentaire Fait Maison qui suit la grossesse et l’accouchement à domicile de son amie Kate Fletcher (http://film.fait.maison.free.fr/).

Au début des années 2000, l’AAD a connu un regain d’intérêt dans notre pays, « C’est une réaction logique face aux excès. Les femmes ne veulent plus de cette surmédicalisation. Elles ont pris conscience qu’elles pouvaient « consommer mieux » leurs grossesses et leurs accouchements, elles ont plus de discernement de ce côté là, plus de réflexion, elles ne subissent plus. Souvent, elles ont eu un premier mauvais vécu, elles ont été déçues, frustrées voire traumatisées », confie Emmanuelle Oudin, une des deux sages-femmes qui pratiquent l’AAD en Ille-et-Vilaine.

Liberté de choix

« À la maison, si on est bien préparé, si la sage-femme connaît bien le couple, cela supprime un tas d’éventuelles complications. On peut prendre un bain, se détendre, ça change beaucoup de choses. On choisit sa position ! Et cette liberté posturale n’est pas négligeable. Si je devais militer pour quelque chose, ça serait pour ça ! En outre, les pères sont plus impliqués. Et puis il y a moins de baby blues ! », insiste Katell pour défendre l’AAD tant décrié.

La jeune femme pense que son documentaire a le mérite d’alimenter la réflexion et le débat sur les différents modes d’accouchement et surtout de poser cette question : « Est-ce un droit d’avoir le choix ? ». Or, aujourd’hui, selon elle, on n’a, en France, de l’accouchement et de la grossesse qu’une vision pathologique. Un sentiment fortement partagé par la professionnelle brétillienne :

« Nous sommes formatées à l’école, on ne nous apprend que le culte de la peur, le principe de risque, alors que partout ailleurs en Europe l’AAD fait partie de la formation ». Pas étudié, mal vu, l’AAD est aujourd’hui remis en cause par une loi datant de 2002.

L’AAD remis en cause

La loi Kouchner de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé prévoit que les sages-femmes pratiquant l’AAD soient assurées. Jusqu’ici rien d’anormal. En 2011, un rapport de la Cour des Comptes, d’autre part élogieux pour les sages-femmes, a mis le doigt sur le fait que sur les 72 sages-femmes pratiquant l’AAD en France à l’époque, seulement 4 étaient assurées.

« Oui, car les assureurs nous demandent des sommes exorbitantes ! 20 000 euros en moyenne par an. Impossible », explique la sage-femme.

Ces primes sont en effet calquées sur les accouchements à risque, or l’accouchement à domicile est physiologique pas pathologique. « Nous ne prenons aucune risque, l’AAD n’est possible que si la grossesse est normale », ajoute-t-elle. Une situation incompréhensible et inextricable pour les adeptes de l’AAD. Résultat ? « Déjà critiquées, beaucoup de sages-femmes vont arrêter. Sauf que les mères qui ont eu un enfant chez elles ne vont pas aller en maternité pour leur(s) futur(s) bébé(s), elles accoucheront seules, et là il y a danger », avance Katell Chantreau.

Peu nombreuses à l’heure actuelle – entre 70 et 80 au total en France – les professionnelles risquent donc de voir encore leur nombre diminuer et ne pourront pas répondre à la demande qui elle, augmente. La France pourrait alors se faire taper sur les doigts par l’Europe, car l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme prévoit que la femme a le droit de choisir où elle accouche.