Célian Ramis

Chahla Chafiq : « En Iran, la liberté du peuple passe par la liberté des femmes ! »

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Chahla Chafiq, écrivaine et sociologue iranienne
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Nouveau choc pour l’Iran en septembre 2022. Arrêtée, Mahsa Amini décède des coups de la police des mœurs, jugeant qu’elle ne portait pas bien son voile. De là nait la révolution féministe Femme Vie Liberté et avec, c'est tout un peuple qui se soulève.
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Nouveau choc pour l’Iran en septembre 2022. Arrêtée, Mahsa Amini décède des coups de la police des mœurs, jugeant qu’elle ne portait pas bien son voile. De là nait le mouvement féministe Femme Vie Liberté, suscitant le soulèvement d’un peuple entier. Pour la sociologue et écrivaine iranienne Chahla Chafiq, il s’agit là d’une continuité dans l’histoire contemporaine du pays.

Autrice de romans et d’essais, on lui doit récemment Islam politique, sexe et genre – à la lumière de l’expérience iranienne et Le rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir, des ouvrages explorant la question du désir des jeunes iranien-nes pour la liberté et l’égalité. Dans l’histoire contemporaine du pays, les femmes sont au centre de ces luttes, comme elle l’explique : « Dès le début, j’ai écrit et fait des entretiens pour comprendre ce qui se passait. » Surtout, Chahla Chafiq insiste, le mouvement actuel – Femme Vie Liberté - s’inscrit dans une continuité. Depuis plus d’un siècle, les femmes prennent part aux révolutions. 

DES VOIX PLURIELLES

Déjà lors de la Révolution constitutionnelle (1904-1911) au cours de laquelle le peuple lutte contre le despotisme royal et les droits démocratiques. Au sein même de la dynastie Qadjar, alors au pouvoir, la princesse critique sévèrement, dans son journal intime, le voile : « Pour elle, il est la cause du malheur de tout le pays. » Des femmes en tchador approuvent les revendications, d’autres prennent les armes, marquant ardemment leur désir de liberté : « Chaque fois qu’on approche de près un pays, on s’aperçoit qu’il existe des voix plurielles. Les femmes ne sont pas si passives qu’on le pense ! », souligne Chahla Chafiq qui cite la poétesse Tahireh et le mouvement babiste - opposé à la charia – sans oublier les femmes de la cour du roi, parfois déjà à l’avant-garde et montrant à travers des images les diverses manières de se vêtir, pour les femmes, avec ou sans le voile intégral, avec ou sans le foulard. Toutefois, « la loi votée n’a pas reconnu les droits des femmes, alors même qu’elles avaient été présentes dans la révolution », regrette-t-elle.  

En réaction, elles créent des groupes et des associations et « les féministes avant-garde de l’époque ne se voilent pas du tout. » Elles en prennent l’initiative avant même que le roi Pahlavi, inspiré par Atatürk, ne procède au dévoilement des iraniennes.

« Dans les milieux urbains, les femmes sont massivement sorties sans le voile mais ce n’était pas la même chose dans le milieu rural »
souligne la sociologue.

La révolution de 1979 marque un tournant important dans l’histoire de l’Iran qui renverse l’État impérial et devient une république islamique. « Farrokh-Rou Parsa était la première femme ministre (de l’éducation) et son sort tragique symbolise ce qui se passait pour les femmes à cette époque. Les rêves ont tourné au cauchemar, elle a été exécutée par les islamistes », précise Chahla Chafiq, distinguant l’Islam en tant que religion et l’islamisme en tant qu’idéologisation de la religion. 

CONTRE L’IMPÉRIALISME ET L’OCCIDENT

Etudiante, elle prend part à la révolution parmi un grand nombre de femmes et d’hommes : « On n’avait pas de voile et on n’était pas pour l’islamisme. Nous n’avions pas conscience de ce qui se passait. Khomeini représentait une image de la religion progressiste. Nous n’avions aucune idée de la laïcité et nous n’avions pas conscience du féminisme ! On était contre l’impérialisme, le régime du Shah et de ses alliés. On noircissait l’Occident pour ça. » Cette notion est essentielle pour comprendre le durcissement qui s’opère dans la société dans les années 80. La montée de la dictature, les discours haineux de certains mollahs, la répression envers les femmes sans en avoir l’air…

« Un jour dans le journal, je vois un article sur le Deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, car il avait été traduit partiellement. Mais je ne comprenais pas vraiment. J’appartenais à la classe moyenne, ma mère ne portait pas le voile, je ne me sentais pas dominée. Mon problème, c’était le régime, le despotisme. La question des libertés des femmes n’était pas une problématique pour nous », commente l’écrivaine iranienne qui avoue que sa génération « faisait une grave erreur » en s’alliant aux islamistes. « Khomeini était un leader charismatique et incontesté. On n’était pas inquiets. Et puis, on a commencé à voir des femmes voilées venir, des hommes diviser et dissocier les rangs des femmes. Mais encore une fois, ce n’était pas notre priorité, nous, c’était l’anti-impérialisme ! », répète-t-elle. 

DÉSILLUSION ET DURCISSEMENT DU RÉGIME

Une fois instaurée, la république islamiste rend le port du voile quasiment obligatoire et mobilise à travers les femmes hezbollahs, armées de bâtons, une défense de ces valeurs. Le régime en place instrumentalise la guerre contre l’Irak, qui sévit de 1980 à 1988, pour occulter et silencier l’opposition en interne et maintenir une répression grandissante. « Je suis passée en clandestinité. Tout a changé. Le voile est devenu un uniforme. Les femmes n’ont pas quitté l’espace public, elles n’auraient pas accepté mais ils ont dû composer avec. Le leader a compris qu’il fallait les mobiliser sous leur drapeau. Il a donc dit qu’elles pouvaient sortir et aller travailler mais voilées », souligne-t-elle.

Une partie de sa génération est exécutée au sein des prisons islamistes et Chahla Chafiq perd de nombreu-ses ami-es de cette manière tragique et révoltante. Les générations suivantes prennent le flambeau et développent de nouvelles formes de résistance. Les protestations se multiplient dans une société où les femmes sont désormais entièrement voilées. Pour la sociologue, il ne s’agit plus d’un tissu : 

« Le voile apparait comme le miroir de la société et le mauvais voile est une résistance sociale ! »

La patrouille des mœurs arrêtent les femmes qui sortent sans leur voile. La fin des années 80 est marquée par des crises successives : l’échec de la guerre, la mort de Khomeini – dissociant les partis au pouvoir et accélérant encore la montée des réformes islamistes, et puis les nombreuses révoltes. Mais avant cela, précise Chahla Chafiq, les militantes féministes s’organisent : « Dans les années 90/2000, de nouvelles générations sortent sur la scène. Pour elles, le féminisme est un vrai projet ! » 

LES FEMMES, FIGURES DES MOUVEMENTS CONTESTAIRES

En 2009, le Mouvement vert, un grand mouvement populaire fédérant des millions d’Iranien-nes, assorti d’« une répression sanglante », prend pour visage celui de Neda, une jeune femme tuée dans la rue, qui symbolise l’appel du peuple à la liberté. En 2019, c’est celui de la Fille bleue – Sahar Khodayar, immolée par le feu pour protester contre l’interdiction des femmes dans les stades – qui vient illuminer les mouvements de contestation contre le port du voile. D’autres actions ont entre temps et depuis marqué les esprits du peuple iranien qui se soulève depuis 2022 au son du slogan Femme Vie Liberté, survenu à la suite de la mort de Mahsa Amani, arrêtée et tuée par la police des mœurs.

« Sa mort a été la goutte d’eau ! Mais finalement, ce n’est pas simplement les femmes qui manifestent, c’est tout un peuple qui ouvre les yeux ! », déclare la sociologue. Pour elle, il aura fallu 40 ans à l’Iran pour percevoir et comprendre la réalité cachée : « Le système au pouvoir s’est basé sur le sexisme, considérant la femme comme la moitié de l’homme. Le leader, tout en haut, enlève la citoyenneté aussi des hommes. C’est un système qui réprime tout le monde. L’Iran comprend que la voie de la liberté passe par la liberté des femmes ! C’est mon analyse… » Elle poursuit :

« Les femmes constituent le socle idéologique de la répression d’un régime liberticide, morbide et mortifère. L’Iran demande la liberté pour tout le peuple mais le point de départ, c’est la liberté des femmes ! »

La laïcité, les droits des femmes et le désir de liberté sont devenus les éléments structurant du mouvement actuel. Malgré la répression, de nombreuses femmes ont retiré leur voile et des voix de la protestation s’élèvent depuis les prisons politiques. En décembre 2023, Narges Mohammadi, emprisonnée depuis 2001 à Téhéran, a obtenu le prix Nobel de la paix. « D’autres figures brillantes sont incarcérées et sont toujours là pour critiquer leur génération. Ce sont des éléments inédits qui donnent beaucoup d’espoir pour la suite ! », conclut Chahla Chafiq.

 

  • Invitée par l’association franco-iranienne de Bretagne, Chahla Chafiq était présente à la MIR pour une conférence sur « La lutte des femmes iraniennes pour la liberté et l’égalité : d’hier à demain », le mercredi 13 mars. 

 

 

Célian Ramis

Femme, Vie, Liberté : la gronde du peuple iranien

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La sociologue et politologue Hanieh Ziaei décrypte les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.
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Invitée par l’Association franco-Iranienne de Bretagne, la sociologue et politologue Hanieh Ziaei a décrypté, le 8 mars à la Maison Internationale de Rennes, les mouvements de contestation en Iran, au prisme du genre et du caractère indivisible des luttes réunissant femmes et hommes autour des valeurs de liberté et de démocratie.

« Femme, Vie, Liberté ». Le slogan résonne. À travers l’Iran mais aussi bien au-delà des frontières érigées par l’État Islamique qui gouverne le pays depuis 44 ans. À Paris, le musée d’art moderne, le palais de Tokyo, l’école des Beaux-Arts et le palais de la Porte Dorée ont paré leurs façades d’affiches revendiquant le slogan, en soutien aux manifestations et au peuple iranien. À travers le symbole des cheveux, les visuels de Marjane Satrapi, Innejatz ou encore Roya Ghassemi dénoncent le contrôle policier et l’emprise omniprésente d’un état autoritaire. « L’esprit créatif émerge de ces mouvements. La quête de liberté et la lutte pour la liberté en sont au cœur. », souligne Hanieh Ziaei.

DE LA MORT D’UNE JEUNE FILLE À LA NAISSANCE D’UN MOUVEMENT

Septembre 2022. Mahsa Amini, étudiante iranienne de 22 ans, est arrêtée par la police des mœurs, aussi appelée police de la moralité. Elle décède quelques jours plus tard, le 16 septembre, suscitant la colère et l’indignation de tout un peuple.

« Elle a perdu la vie pour deux mèches de cheveux. La police a jugé qu’elle était « mal voilée ». Les manifestations éclatent partout en Iran. »
précise la sociologue.

La mobilisation populaire est forte, les affrontements, violents. À Paris, Montréal, Bruxelles ou encore Berlin, les témoignages de soutien affluent, démontrant selon Hanieh Ziaei l’intérêt et l’implication de certains pays pour la situation iranienne mais aussi le travail de sensibilisation et de diffusion de l’information de la diaspora. Face à la défense des valeurs démocratiques, l’Etat Islamique répond par une répression « sans limite dans le non respect des droits humains. » Elle salue le courage, principalement des femmes mais aussi des hommes : « La population, de divers âges, se mobilise au péril de sa vie pour défendre sa liberté. Parce qu’aller manifester dans l’espace public en Iran, c’est mettre sa vie en danger. Cette jeune génération ne veut plus accepter l’inacceptable. On voit qu’elle n’a plus rien à perdre. Elle est très connectée aux réseaux sociaux mais aussi aux réalités sociales. Et cela va au-delà parfois de la désobéissance civile. Il s’agit de refuser les diktats, la dictature. »

La mort de Mahsa Amini touche d’autres enjeux. Si la question du code vestimentaire est centrale, le décès d’une femme, jeune, issue d’une minorité ethnique (née à Saqqez, province iranienne du Kurdistan) ravive les tensions autour de toutes ces dimensions. « Sa mort donne naissance à un mouvement. », déclare la politologue. Elle poursuit : « C’est certain que le mouvement n’a pas la même intensité tout le temps, c’est normal. Sept mois après, il change de forme. La résistance s’organise différemment. » Par l’art, par exemple. Ainsi, les fontaines de Téhéran rougissent, symbolisant le sang versé, puisque ce sont, approximativement 520 morts comptabilisés en 2023 dans ces mobilisations. « En Iran, il n’y a pas de statistiques officielles, c’est très difficile d’avoir le chiffre exact. On a une estimation pour avoir une vision globale. », précise-t-elle. Elle parle de féminicides et d’infanticides comme pratiques usuelles de l’Etat Islamique, « et même de génocide avec les cas des empoisonnements, qui sont un exemple parmi d’autres… » Fondamental selon elle, c’est que désormais la communauté internationale ne fera plus la confusion entre le peuple iranien et le régime, en place depuis 44 ans : « On a bien une société à 2 vitesses. Deux mondes qui se confrontent. »

LA RÉPRESSION PAR LES EMPOISONNEMENTS

Depuis mars 2023, ce sont environ 300 attaques et 5000 personnes affectées que compte le pays. Les intoxications au gaz chimique visent majoritairement les écolières, collégiennes et lycéennes. Ces intimidations ne sont pas nouvelles. À l’automne déjà, rappelle Hanieh Ziaei, avait éclaté le scandale de l’eau contaminée à l’université. « On s’attaque aux établissements universitaires et scolaires car ils sont porteurs des mouvements de contestation. C’est pour ça qu’on vient les cibler. 25 des 31 provinces d’Iran ont été attaquées. », commente-t-elle. Elle raconte l’onde de choc, les crises de panique des élèves qui présentent toutes les mêmes symptômes (suffocation, vomissement,…) et crient « On ne veut pas mourir ». L’horreur. La responsabilité de l’Etat est très rapidement mise en cause : « L’Etat exerce un hypercontrôle et une surveillance omniprésente. Comment peut-il dire qu’il ne comprend pas ce qu’il se passe ? C’est là qu’apparait la contradiction, la faille dans le discours. »

Les médias visibilisent, de manière importante, ces crimes contre l’humanité – « c’est dans la juridiction du droit international ! » - qui pourtant sont loin d’être une nouveauté en Iran. Depuis l’avènement de l’Etat Islamique au pouvoir, le pays connait des séries de contestations et de protestations, remettant en question l’architecture institutionnelle.

DANS LA CONTINUITÉ

Les femmes, depuis longtemps, contestent contre le port du voile obligatoire. En 1980, elles revendiquent déjà par les slogans « Liberté, Egalité, c’est notre droit » et « Nous ne voulons pas du voile obligatoire » leur liberté de s’habiller comme elles le souhaitent. Et au fur et à mesure, la manière de porter le voile évolue. En 2017, elles protestent toujours à travers les Mercredis blancs. Par opposition, elles portent un voile blanc. En soutien, les hommes se parent également de blanc. « C’est là que l’on voit le caractère indivisible du peuple iranien. C’est un des rares pays où quand les femmes se mobilisent, les hommes aussi. En Afghanistan, pays voisin, quand on a attaqué les femmes, les hommes n’ont pas bougé. », analyse la sociologue :

« Ça dépasse l’identité de genre. Femmes et hommes combattent pour des valeurs communes. »

Elle souligne et insiste sur l’inscription de ce mouvement, de 2022, dans la continuité de plusieurs vagues de protestation, toujours accompagnées de la triple domination subie par les femmes : patriarcat, poids de l’idéologie et pratiques autoritaires. Dans les villes urbaines et périphériques, le mécontentement général gronde « et le visage de la contestation change en fonction des restrictions imposées par l’Etat. » Les espaces et les moyens varient, au même titre que les formes d’expression protestataire. Les mouvements se distinguent à chaque fois par leur côté pacifique, l’émergence de la créativité artistique, les hommages aux victimes pour ne pas les oublier. Campagne « Un million de signatures » en 2006, mort de Neda lors d’une manifestation contestant l’élection présidentielle en 2009, mouvement vert la même année… Seule la force de la répression déployée en face ne change pas. « Les différents mouvements s’inscrivent dans une continuité. À chaque fois, il y a un déclencheur et ensuite ça va plus loin : le peuple exprime son rejet du système. Et on est encore dans les mêmes revendications : la démocratie, la liberté, etc. Et les femmes sont toujours présentes dans les mouvements de contestations. », signale Hanieh Ziaei. 

Utilisation des réseaux sociaux pour diffuser l’information et donner une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, d’une part, inscriptions de message sur le corps des femmes, voile porté au niveau des épaules ou pas du tout, détournement des billets de banque, d’autre part lorsque le gouvernement coupe Internet dans le pays. « Les pancartes et slogans sont interdits. On attaque aussi le mobilier urbain parce que l’idéologie visuelle est très présente dans l’espace public. On tâche de rouge les visages des martyrs, comme on a coloré les fontaines de Téhéran. », rappelle la politologue. Tout comme on fait circuler des photos et des dessins, en soutien à des icônes de la contestation comme le leader étudiant Majid Tavakoli arrêté par les autorités qu’il tentait de fuir en portant le tchador traditionnel ou l’illustration « Share me » d’Homa Arkani.

LA RUPTURE ENTRE L’ÉTAT ET LE PEUPLE

Répressions, arrestations arbitraires, disparitions d’opposants politiques, contrôle total, surveillance omniprésente (« avec beaucoup de bavures »), lacunes organisationnelles se multiplient et s’amplifient, suscitant la méfiance sociale et le sentiment d’insécurité du peuple iranien qui remet en question la légitimité politique du gouvernement. Dans son travail, Hanieh Ziaei observe depuis 2005 un effritement graduel de la confiance de la population face à un Etat qui pratique aisément mensonges, corruptions et non-dits. Sans oublier la lenteur et l’inefficacité, voire l’inexistance, des réponses et actions face aux catastrophes naturelles et à la crise sanitaire. «

 Le bilan est lourd après 44 ans de gouvernance. Et cela explique pourquoi le peuple iranien est prêt à mettre sa vie en péril pour la liberté. Les pressions sont idéologiques, morales, sociales, économiques, l’ingérence de l’Etat dans la vie privée de ses citoyens est quotidienne et l’Etat ne garantit pas la sécurité et le bien-être de la population. »
conclut-elle.

Face à ce déploiement inouï de violentes répressions, le peuple iranien se soulève, scande sa colère et son indignation et brave les interdits pour revendiquer sa liberté et ses aspirations démocratiques pour leur pays.

 

 

 

Célian Ramis

Prendre la mer et être libre grâce à l'écologie pirate !

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La piraterie au service de l’écologie et de la liberté pour tou-te-s de circuler, voilà le projet revendiqué par Fatima Ouassak, invitée par le Front de Mères 35 à échanger, lors d’une causerie, autour de son nouveau livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres.
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La piraterie au service de l’écologie et de la liberté pour tou-te-s de circuler, voilà le projet revendiqué par Fatima Ouassak, co-fondatrice de Front de Mères (syndicat de mères pour le respect et la dignité des enfants des quartiers populaires) et Verdragon (première maison de l’écologie populaire) à Bagnolet. Le 4 mars, la politologue et militante écologiste féministe et antiraciste était invitée par le Front de Mères 35 à échanger, lors d’une causerie, autour de son nouveau livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres, au Pôle Associatif de la Marbaudais, à Rennes. 

Faire de l’écologie un sujet populaire et poser les questions d’un point de vue situé. Celui d’une mère habitant et militant à Bagnolet, dans le 93. D’une fille émigré-immigrés du Rif au Maroc. D’une militante qui inscrit depuis 20 ans son engagement dans les luttes ouvrières, de l’immigration et des quartiers populaires, et qui a fondé plusieurs organisations politiques, une association locale à Bagnolet – le Front de Mères – et une organisation féministe, le Réseau Classe/Genre/Race. Mais aussi celui d’une politologue et consultante au contact des politiques publiques, notamment celles en direction des quartiers populaires. C’est elle qui le décrit le mieux, en préambule du premier livre de la trilogie en cours, La puissance des mères. Elle poursuit : « Mon point de vue est situé. Comme tous les points de vue, y compris quand ils prétendent ne pas l’être et représenter tout le monde. Mon point de vue est situé mais je m’adresse à tout le monde. Je m’adresse à tout le monde, mais en faisant de mon point de vue minoritaire et périphérique le point de vue central. Mon point de vue est situé, mais je veux changer le monde entier. C’est dans ce sens, et à cette condition, que la proposition politique que je développe dans ce livre est universelle. »

JOIE MILITANTE ET COLÈRE IRRÉPRESSIBLE

Dans ses ouvrages, elle remet au cœur du sujet les personnes concernées et leur puissance. Elle interroge la thématique au prisme de leurs réalités, héritages et aspirations. Elle dénonce le racisme et la menace de l’extrême droite, l’hypocrisie d’une certaine partie de la gauche et le blanchiment des luttes écologistes et féministes. Elle prône la liberté, la sororité, la joie militante, les victoires conquises à la force de la détermination collective. Elle revendique l’échec et la réussite par l’expérimentation, le droit de se tromper, la ville à hauteur d’enfants, l’égalité réelle entre les individus, les alliances vers un front commun. Pour cela, elle analyse le rapport à la terre et les conditions de circulation des habitant-e-s des quartiers populaires. Deux droits fondamentaux et inaliénables qui pourtant ne sont ni existants ni interrogés au sein même des rangs et des forces de gauche. Prendre la mer pour être libre. Et respirer. Se libérer des logiques capitalistes et coloniales. Se libérer des entraves constantes et des rappels systématiques à l’ordre établi. Se libérer de l’étouffement dû à la pollution environnementale et aux contrôles policiers. 

« La priorité doit être d’organiser les conditions du changement : montrer qu’il n’y a pas de fatalité, que c’est possible et que c’est politique. », écrit Fatima Ouassak dans son livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres. L’autrice effectue une remise en question profonde des thématiques qui en apparences sont des causes justes et nobles. Et pourtant, écologie et féminisme sont des mouvements majoritairement pensés par et pour les blanc-he-s, de classe aisée principalement. Elle remet en perspective les luttes passées et les questionnements actuels. Et surtout, elle personnifie les dragons. Mères et habitant-e-s des quartiers populaires incarnent cette figure, sa force et sa puissance. Sa colère aussi. Parce qu’il est important de pouvoir crier sa rage. Son conte, inscrit à la fin de son livre, en témoigne. « Le Roi Kapist, les Dragons et les enfants-pirates » offre une fable délicieuse et révolutionnaire qui raconte un pan de notre histoire et société, telles qu’elles ne sont jamais ou trop rarement relatées - et arme les générations futures à la construction du monde de demain. Reprendre le pouvoir de décision et d’action. S’ancrer. Et encore une fois, prendre la mer. 

RÉDUIT-E-S À LA FORCE DE TRAVAIL

« On ne peut pas demander aux habitants des quartiers populaires de s’impliquer contre ce qui détruit la terre ici et, en même temps, leur rappeler sans cesse qu’ils n’y sont pas chez eux à coups de discriminations raciales massives dans tous les espaces sociaux, de contrôles policiers racistes, de difficultés à obtenir des papiers ou d’islamophobie plus ou moins assumée. On ne peut pas attendre de populations qui n’ont même pas le droit de dure publiquement Dieu est grand qu’elles veuillent bien rejoindre le front climat par amour pour Gaïa, obscure sous-divinité grecque. On n’est pas en position de protéger une terre en danger là où on est soi-même écrasé et sous contrôle permanent. On n’est pas en position de protéger une terre là où on n’a aucun pouvoir de changer les choses. Dans les quartiers populaires, la question écologique ne peut pas être celle de la protection de la terre – de l’environnement, de la nature, du vivant ; elle doit être celle de sa libération. »

C’est par la lecture de cet extrait, de son livre Pour une écologie pirate, que Fatima Ouassak débute sa causerie. On lui a très souvent demandé pourquoi, en tant que premières victimes du réchauffement climatique, les personnes issues des quartiers populaires ne s’investissaient pas dans l’avenir de leurs enfants. « C’est du mépris de classe ! Ça revient à dire que ces personnes sont complétement bêtes ! », souligne la politologue, qui répond alors : « On répète à cette population, largement issue de l’immigration post coloniale, qu’elle n’est pas ici chez elle ou qu’elle est en sursis… » Dans son viseur, l’extrême droite qui, par sa hiérarchisation raciale et son suprémacisme blanc, protège l’Europe blanche et chrétienne par des murs. L’autrice d’un côté rappelle l’urgence climatique mais aussi politique et citoyenne. Avec l’avènement de l’extrême droite, la menace d’une gestion de crise se dévoile et se concrétise. Fatima Ouassak dénonce de l’autre côté les arguments que l’on oppose à cette pensée fascisante : « Face à ça, l’argument ultime est de dire qu’il ne faut pas re-migrer les gens mais les régulariser ou les garder dans les quartiers populaires car ils sont utiles. Dans les secteurs du bâtiment, de la restauration, de l’hôpital public, etc. Il s’agit de dire « Sans eux, le monde s’effondre. » Mais ce projet est raciste et suprémaciste aussi. » Parce qu’il tend à réduire la population ciblée à sa force de travail. À son utilité pour le système capitaliste. « Et dans les deux cas, il s’agit d’une déshumanisation. », souligne-t-elle, précisant : « On ne veut pas que la classe populaire se mobilise. L’écologie, c’est un pouvoir politique. Un pouvoir de changer les choses. »

DES POPULATIONS SANS TERRE

La vraie question selon elle, c’est celle de la terre. De l’ancrage au territoire. Des damnés de la terre de Frantz Fanon aux emmurés de la terre de One Piece, Fatima Ouassak veut briser le cercle de l’errance. Elle parle de la fierté qu’elle a revendiqué fut un temps de « ne pas être d’ici » sans pour autant « être de là-bas ». « C’est dur de se dire que nos enfants vont errer comme nous. En vrai, on a tous besoin d’une terre et on sait que nos enfants en ont besoin. », poursuit-elle. Pollution, implantation de sites industriels, proximité avec le trafic et les échangeurs routiers… Le constat est alarmant : les territoires sur lesquels sont construits les quartiers populaires sont maltraités. « On ne voit pas la terre ! On parle d’espaces verts mais pas de terre ! », s’indigne-t-elle. Sans oublier les termes utilisés pour les nommer (ZEP, ZUS, ZEP+,…) que les habitants se sont eux-mêmes appropriés :

« J’ai eu beaucoup de difficulté à parler de terre pour les quartiers populaires. On ne défend une terre que dès lors qu’on s’y sent légitime. Le pouvoir de changer les choses vient avec l’ancrage territorial. »

Le rapport à la terre dans les quartiers populaires est central pour analyser la problématique écologiste. Parce que les populations concernées vont intégrer l’idée qu’elles n’ont pas le pouvoir de refuser les murs que l’on dresse entre leurs quartiers et les quartiers pavillonnaires. Dans ces derniers, l’air est moins pollué, la circulation est libre et calme, le volume sonore, restreint. Mais de l’autre côté de la barrière, épaisse d’une seule rue, voire moins, les habitants sont fliqués, assignés à résidence, interdits de contemplations, privés d’agora et de jeux dans l’espace public. « Et un monde travaille pour l’autre. On l’a bien vu pendant le confinement. Ce mot n’avait d’ailleurs pas le même sens selon la classe sociale, l’endroit où on vivait, etc. », signale Fatima Ouassak. Gentrification et résidentialisation puisent dans cette absence d’ancrage et constituent les bases des arguments sécuritaires et des conditions différenciées de circulation selon l’origine sociale. « On dit clairement aux enfants des quartiers populaires qu’ils ne peuvent pas circuler librement. Qu’ils doivent demander l’autorisation. On institue le contrôle de l’adulte et la vidéosurveillance qui rentre dans leur vie privée : c’est intime le jeu entre copains et copines, c’est la liberté, les 400 coups ! », scande l’autrice. 

S’ALLIER POUR AVANCER

Elle défend la liberté de circuler, sans conditions, comme enjeu fondamental pourtant jamais abordé en matière d’écologie sous l’angle des quartiers populaires. Le surnombre de verbalisations en période de confinement dans ces espaces aura fait la fierté de Castaner, tandis que 2020 deviendra l’année record pour les crimes policiers. Les jardins partagés dans les sols pollués de la Seine-Saint-Denis, les fermes urbaines dans lesquelles des enfants entravés par les contrôles policiers font face à des animaux en cage, elle le dit : ça ne fait pas rêver ! Dans son manifeste pour une écologie pirate, elle exige non seulement la liberté de circuler sans condition mais aussi de poser cette revendication au centre d’une alliance globale. « Face au système colonial-capitaliste, il faut mettre en place un truc costaud ! », lance-t-elle. Réunir les féministes, dont la tradition du mouvement prône la libre circulation des femmes, les militant-e-s LGBTIQ+, les luttes pour les droits des personnes migrantes, les combats contre les violences policières, pour faire front commun et inventer ensemble les termes de leur libération et de leur liberté. « On ne va pas se retrouver sur tous les points mais la liberté de circulation peut mettre beaucoup de monde autour de la table ! », se réjouit-elle. Et pas uniquement des personnes blanches. Parce que comme elle le dit en rigolant : « Les marches pour le climat sont encore plus blanches CSP+ que les marches féministes ! »

S’inspirer des mouvements existants et des victoires obtenues apparait essentiel dans l’œuvre de Fatima Ouassak qui lie par cette logique d’appartenance à la terre les luttes de Plogoff, d’Algérie et de Palestine : « S’il y a bien un endroit où la terre est spoliée, c’est bien en Palestine ! C’est une lutte de personnes qui veulent retrouver leur terre et circuler librement ! » Revendiquer l’écologie pirate « pour que les enfants puissent prendre la mer et être libres », comme ce vieux monsieur qui dans son livre clame : « Je ne respire un peu que sur le bateau qui navigue entre la côte espagnole et la côte marocaine. (…) Sur le bateau, je suis libre ! » Au fil des pages, l’autrice nous livre son amour pour le manga le plus vendu au monde One Pieced’Eiichiro Oda. Pour elle, inutile d’invoquer Gaïa pour motiver les troupes à la cause écologiste quand une œuvre comme celle du mangaka existe et infuse la culture des quartiers populaires depuis plus de 20 ans :

« Dans One piece, il y a un trésor à retrouver. Mon hypothèse, c’est que ce trésor c’est la liberté de circuler. En gros, on n’est pas libre si tout le monde n’est pas libre. »

Cela traduit, pour elle, « la soif de prendre la mer pour les populations qui sont emmurées, le pouvoir de s’échapper dans les imaginaires. » Tout y est, précise-t-elle. La violence de la piraterie. Le bateau comme espace autonome. L’infinité de la mer. Le pouvoir de la mère. Se battre pour voir et prendre la mer. Prendre la mer pour se sentir libre. Respirer. Et vivre.  

Célian Ramis (ouverture avec Maryse Berthelot)

Féminismes : Révolution !

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Vivons-nous actuellement une révolution féministe ? Enquête sur les enjeux des féminismes d'aujourd'hui.
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À l’occasion du 8 mars, le célèbre magazine féminin Marie Claire publie un numéro collector. Huit couvertures, réalisées par la photographe Charlotte Abramow – réalisatrice du clip « Balance ton quoi », d’Angèle – et huit femmes, choisies pour représenter « Les visages de l’espoir ».

Avec Leïla Bekhti, Juliette Binoche, Lous and the Yakuza, Grace Ly, Annie Ernaux, Elisa Rojas, Aïssa Maïga et Odile Gautreau, nous sommes loin des 8 femmes de François Ozon. Presque 20 ans plus tard, l’histoire féministe a encore évolué. Désormais, elle s’écrit au pluriel. Il était temps. Petite histoire d’une grande révolution ! 

Aujourd’hui, les femmes comptent. Elles comptent leurs mortes, assassinées par leur compagnon ou ex compagnon. Elles comptent leurs mortes, tuées ou poussées au suicide parce qu’elles sont trans. Elles comptent le nombre de personnes sexisées victimes de harcèlement de rue, harcèlement sexuel, harcèlement moral, d’agression-s sexuelle-s, viol-s, de violences conjugales.

Elles comptent les écarts de salaire. Elles comptent la répartition sexuée des métiers et des fonctions, dans les institutions, les lieux de pouvoir et de décision, dans les lieux de représentation. Elle compte le nombre de personnes noires dans la salle lors de la cérémonie des César (mais ça, en France, on n’aime pas du tout, sauf si c’est une personne blanche ou un homme racisé - et encore - qui le fait). L’heure est à la prise en compte. De tou-te-s. Malgré les résistances, on avance.

Cette révolution, elle est colossale. Parce que oui, il s’agit bien d’une révolution. Pas de suspens. Au début de cette enquête, une interrogation : vivons-nous actuellement une révolution féministe ? Autour de nous, dans les manifestations, sur les réseaux sociaux, les mots associés au féminisme se multiplient et se croisent.

Riposte, vague, révolution… Les termes claquent. Ils sont forts et puissants et ils s’embrasent ainsi alliés à la détermination des militant-e-s, toujours plus nombreux-euses dans leurs actions. Ils interpellent, également.

RIPOSTE ET VAGUES FÉMINISTES

Le 6 juillet 2020, Gérald Darmanin est nommé ministre de l’Intérieur et Eric Dupont-Moretti, ministre de la Justice. Le duo renforce l’affront : le gouvernement nie clairement et explicitement les droits des femmes en nommant grand manitou de la police un homme accusé de viols et garde des sots, un antiféministe notoire.

Quelques jours plus tard, des mobilisations féministes occupent l’espace public pour dénoncer l’hypocrisie du président Macron et de sa (fausse) grande cause du quinquennat. Les militantes brandissent des pancartes, prônant « la riposte féministe », expression largement reprise lors des manifestations autour du 25 novembre, journée internationale de lutte pour l’élimination des violences sexistes et sexuelles à l’encontre des personnes sexisées.

Au-delà du débat que cela génère sur la présomption d’innocence – quid de celle des victimes que l’on positionne d’office en vilaines menteuses ? – on se questionne sur le terme « riposte ». La définition nous indiquant qu’il s’agit d’une action vigoureuse de défense, une réponse instantanée faite à un interlocuteur agressif, son usage dans un tel contexte nous apparaît très à propos.

C’est un volet de l’histoire du féminisme. Une histoire que l’on décompose en « vagues ». Un terme qui provoque un malaise chez Mathilde Larrère, historienne, spécialisée dans les mouvements révolutionnaires du XIXe siècle. Ainsi, en introduction de son ouvrage Rage against the machisme, elle décortique cette notion de vague, partant du postulat que nous en sommes, dans le monde entier, à la troisième avec des mobilisations et manifestations importantes dans le monde pour le droit à l’IVG (Irlande, Argentine, Pologne…) et contre les violences sexistes et sexuelles et leur impunité, avec #NiUnaMenos, repris dans de nombreuses langues. On fait de l’hymne des Chiliennes « Un violador en tu camino » un chant contestataire international. 

« « Troisième vague », donc… La « seconde » étant celle des années 1970, et la « première », celle des Suffragettes de la fin du XIXe siècle. Mais avant ? Il n’y aurait rien ? Pas de vague ? Calme plat ? Toutes ces femmes qui ont lutté pour leurs droits avant la fin du XIXe siècle, on les oublie ? Voilà bien ce qui me gêne dans cette terminologie : l’effacement de décennies de combats et de bataillons de combattantes. », analyse-t-elle.

Elle poursuit un peu plus loin : « L’autre défaut de cette image des vagues est de tendre à associer une vague à une lutte – le droit de vote pour la première, l’IVG pour la seconde, et la bataille du corps et de l’intime pour la troisième. Une lecture qui, déjà, ne laisse pas de place aux combats féministes pour le travail, pour le droit au travail, pour les droits des travailleuses ; lesquels s’inscrivent pleinement sur la longue durée et suivant un calendrier qui leur est propre.

Donc une lecture qui évacue le prisme de la classe et de la lutte des classes, pourtant menée aussi au féminin, et parfois même contre le mouvement ouvrier. Les ouvrières ne sont pas les seules invisibilisées par cette lecture : les femmes racisées, les homosexuelles, peinent aussi à trouver place dans le roman national féministe. Qui plus est, à trop associer une vague à une lutte, on en oublierait que tout au long de l’histoire des luttes des femmes, presque toutes les revendications ont été portées ensemble. (…)

Les luttes se croisent, se répondent et tendent donc la main dans le temps. Finalement, la discontinuité des luttes féministes est plus à chercher dans l’écoute sélective des revendications des femmes, et la mémoire plus sélective encore qu’on en a, que dans le contenu de leurs revendications. »

UNE RÉVOLUTION LENTE ET PROGRESSIVE

Si on schématise rapidement, il y a des moments de fortes mobilisations donnant lieu à des avancées, toujours accompagnées de leur retour de bâton, le fameuxbacklashdont parle Susan Faludi dans son livre éponyme paru au début des années 90, et des moments de creux, durant lesquels on pense le féminisme en sommeil.

C’est alors penser que les personnes oppressées peuvent s’octroyer le loisir de stopper leurs luttes pour leurs droits et leur dignité. Néanmoins, il y a bel et bien des périodes plus fédératrices que d’autres. Ainsi, Mathilde Larrère explique :

« Les vagues ne correspondent finalement pas à des moments où des femmes prennent la parole (ce qu’elles tentent toujours de faire) mais plutôt aux rares moments où l’on daigne les écouter, les entendre – pour assez vite tenter de les faire taire et les renvoyer aux fourneaux. Les femmes profitent souvent des séquences révolutionnaires qui, généralement, permettent à d’autres voix que celles des dominants de s’exprimer. C’est vrai tout au long du XIXe siècle mais aussi après 1968. »

De là nait notre interrogation initiale : qu’est-ce qui caractérise précisément ce mouvement global de luttes ? La révolution ? Pas celle de 1789, non, même si l’historienne la place en point de départ des luttes des femmes, qu’elle différencie des luttes de femmes qui avaient déjà lieu en amont :

« Parce que la Révolution accouche de la citoyenneté, de l’espace public, des libertés publiques, parce que des femmes commencent en tant que femmes, entre femmes, un processus d’organisation, d’association dans leur lutte, et, ce faisant, deviennent un mouvement. »

Une révolution féministe de longue haleine a bel et bien lieu. Avec des hauts et des bas. Avec des victoires et des échecs. Une révolution qui comme le disait la poétesse afro-féministe Pat Parker en 1980 n’est « ni propre, ni jolie, ni rapide ». Lors d’une conférence à Oakland, elle déclarait :

« Je suis féministe révolutionnaire parce que je veux être libre. Et il est absolument crucial que, vous qui êtes ici présentes, vous vous impliquiez dans la révolution en partant du principe que c’est pour vous que vous faites la révolution. »

Cette révolution, elle est culturelle, nous précise Mathilde Larrère, dans le sens où les féminismes influent sur les changements profonds des mentalités. 

Dans nos imaginaires et dans les dictionnaires, l’association révolution et violences opère instantanément. La spécialiste nous indique que c’est là une idée reçue :

« Elle est construite par le discours anti-révolutionnaire justement. La violence n’est pas systématique. Si on prend la révolution des Œillets, ce n’est pas violent. Dans une révolution, il y a renversement d’un ordre établi. Dans les luttes féministes, il s’agit par exemple non pas de renverser l’ordre des sexes mais de l’équilibrer. La violence qui peut survenir émane de l’ordre qui se défend. Si l’ordre se laisse renverser, il n’y a pas de violence. Il faut faire attention : on pense violences et révolution comme un couple alors qu’on n’associe pas colonisation et violences… »

Parfois galvaudé, parfois remis en cause, parfois admis parce que tombé dans le langage commun, il y a des indicateurs auxquels se fier pour pouvoir qualifier un mouvement de révolutionnaire. La masse en est un, l’impression de soulèvement « parce qu’on ne fait pas une révolution à 10. » La fusion est essentielle également :

« Des groupes qui ne sont pas forcément d’accord en général s’allient pour renverser l’ordre. Ça on le retrouve dans les féminismes, le côté polyvoque, à plusieurs voix. Tout comme la nécessité d’une masse interclassiste : dans une révolution, il n’y a jamais que les bourgeois-es ou que les prolétaires… C’est le cas aussi des révolutions féministes. »

Et puis l’objectif de renverser un ordre, en l’occurrence ici l’ordre patriarcal afin d’équilibrer les rapports entre les femmes et les hommes. 

AFFRONTER L’ORDRE PATRIARCAL

C’est un ordre terriblement enraciné. Dans toutes les sphères de la société. Des siècles de domination masculine ont entravé les droits des femmes. Les combats pour rétablir l’équilibre sont nombreux. Ils sont même gigantesques et exigent une volonté et une détermination solides, minutieuses, de tous les instants. Fatiguant. Être sur tous les fronts. Impossible.

Les luttes des femmes s’inscrivent dans une (r)évolution progressive et se heurtent à la fois à l’obscurantisme religieux, à la force du capitalisme – qui aime à faire penser qu’il œuvre pour le confort et l’émancipation des femmes – ainsi qu’aux sceptiques, aux privilégié-e-s qui résistent et aux faux semblants d’un monde qui grâce à son siècle des Lumières, aux progrès scientifiques et à l’industrialisation des territoires se réclame moderne et revendique fièrement « Liberté, Égalité, Fraternité ».

Voilà, Fraternité. Droits de l’Homme. Patrimoine. Vous l’entendez, là, l’invisibilisation des femmes ? Vous la sentez venir l’uniformisation du langage vers un neutre parfaitement inexistant dans la langue (binaire) française ? On connaît bien la chanson : ces termes englobent autant le masculin que le féminin mais on ajoute une nuance pas du tout anodine : le masculin l’emporte sur le féminin.

C’est ce qu’on nous a appris à l’école. Tout comme le fait que ce sont les hommes qui ont marqué l’Histoire. Des hommes, blancs, cisgenres, hétérosexuels, bien placés dans l’échelle sociale. Ainsi, la norme est instaurée. Si vous en êtes exclu-e-s, sortez les rames, vous allez galérer à trouver votre place dans la société !

Engagée en faveur des droits civils et politiques des femmes et l’abolition de l’esclavage, Olympe de Gouges s’offusque de ce processus en 1791 et rédige la désormais célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle s’indigne que les femmes aient été écartées de la rédaction de la Constitution et appelle celles-ci à s’unir et faire corps avec la société.

Ainsi, elle pointe l’isolement de la gent féminine et cela rejoint le propos de Mathilde Larrère : à la suite de la Révolution, les femmes constatant qu’elles ne sont ni écoutées, ni entendues, ni prises en compte, vont s’organiser en non mixité. La bande dessinée Histoire(s) de femmes – 150 ans de lutte pour leur liberté et leurs droits, réalisée par Marta Breen et Jenny Jordahl, prend comme point de départ - sur un plan international - le congrès antiesclavagiste qui a lieu en Angleterre en 1840.

Dans la délégation américaine, des femmes sont présentes, embarrassant fortement les hommes qui les autorisent, grands seigneurs, à assister au rassemblement. Cachées derrière un rideau... Scandalisées par cette injustice, plusieurs femmes rédigent elles aussi une déclaration sur l’égalité des sexes sur le modèle de la déclaration d’indépendance américaine, qui fut présentée à la convention abolitionniste de Seneca Falls, état de New York, en 1848.

« Ce rassemblement est considéré comme l’acte fondateur du mouvement féministe », nous indique la BD qui enchaine la page suivante sur la lutte des femmes contre l’esclavage. 

FAIRE CORPS AVEC (UNE PARTIE DE) LA SOCIÉTÉ

Elles y ont participé, notamment avec Harriet Tubman, qui s’est libérée de sa condition d’esclave et a aidé de nombreux-euses autres à s’enfuir. À la fin de la guerre civile en 1865, les noirs obtiennent le droit de vote. Les femmes, non. Harriet Tubman prend part à la première association américaine pour le droit de vote des femmes, l’ancienne esclave Sojourner Truth prononce un discours dans lequel elle pointe les inégalités entre les droits des hommes et les femmes de couleur, et pourtant ce que l’on retient et que l’on montre de cette période historique outre-Atlantique mais aussi européenne, notamment en Angleterre avec le mouvement des Suffragettes, est entièrement blanche.

Si antiesclavagisme et antisexisme se sont côtoyés dans cette moitié du XIXe siècle, distinction est ensuite faite entre les femmes non blanches, laissées sur le bas côté, et les femmes blanches. Ces dernières accèdent à l’éducation, réduite certes et principalement destinée à les préparer aux assignations de genre et aux métiers manuels précaires, à la pénibilité incontestablement néfaste.

Elles militent pour l’obtention de droits sociaux et l’accès à la citoyenneté, et cela passe par le droit de s’exprimer et donc par le droit de voter. Faiblement écoutées, voire inconsidérées dans leur demande, elles passent à l’action, se forment pour certaines à l’auto-défense, comme le montre notamment la BD Jujitsuffragettes de Clément Xavier et Lisa Lugrin, et prennent les armes.

Explosions, incendies, manifestations, grève de la faim… les militantes finiront, non sans polémique, par se faire entendre et obtenir gain de cause. Victoire marquante. Les dates diffèrent d’un pays à l’autre : en France, c’est 1944. Pour autant, elles sont loin d’être libres puisqu’elles sont encore sous la tutelle des pères, des maris ou des frères.

Mais les travailleuses, et notamment les ouvrières, prennent petit à petit part au mouvement et œuvrent pour des revalorisations salariales et des conditions décentes de travail. En Bretagne, l’histoire régionale est marquée par les mouvements des Penn Sardin, par exemple. Elles ne seront pas les seules.

CHOISIR OU SUBIR ?

Elles ont fourni l’effort de guerre, démontré leurs capacités à gérer de front travail et gestion du foyer, maintenant elles veulent choisir. Dans la deuxième partie du XXe siècle, c’est la sexualité et la maternité qui sont visées. « Un enfant, si je veux, quand je veux ! »

Le slogan retentit dans les années 70. Les femmes veulent maitriser leur contraception. Depuis 1920, la publicité anticonceptionnelle est interdite, tout comme il est interdit aux médecins de divulguer des informations à ce sujet à l’égard de leurs patientes.

En 1942, le gouvernement de Pétain, définit l’avortement comme un crime à l’encontre de l’Etat. Il est passible de la peine de mort. Ce n’est qu’en 1967 que la loi Neuwirth sur la contraception est adoptée mais il faudra attendre encore 5 ans avant qu’elle ne soit remboursée par la Sécurité sociale, ce qui obligatoirement crée des inégalités entre les femmes.

Tout comme la loi Veil de 1975 autorisant l’IVG d’abord pour 5 ans, puis reconduite définitivement en 1979 – et depuis elle est constamment menacée. Il faudra attendre la loi Roudy de 1988 pour que l’avortement soit remboursé par la Sécurité sociale. 

Ce sont là des droits conquis, des droits arrachés. Par des longues luttes acharnées. À la sueur du front. De très nombreuses femmes sont mortes à la suite d’avortements clandestins, d’autres sont mortes condamnées parce qu’elles avaient aidé des consœurs à interrompre leur grossesse, à l’instar de Marie-Louise Giraud, faiseuse d’anges dénoncée par son mari et guillotinée en 1943, incarnée par Isabelle Huppert dans le film Une affaire de femmes, de Claude Chabrol.

Depuis les militantes ne cessent de défendre ce droit, particulièrement menacé aujourd’hui encore et terriblement inégal selon les pays qui décident des conditions dans lesquelles une femme peut y accéder (danger pour la santé ou la vie de la mère, grossesse après un viol, nombre de semaines légales d’aménorrhées…).

Sans parler de la double clause de conscience, spécifiquement inscrite dans la loi d’une part et celle accordée aux médecins d’autre part. Intrinsèque à ce droit, c’est la liberté du corps que les féministes défendent. Le droit de disposer de leur corps comme elles le souhaitent. Le droit de choisir. L’histoire des luttes des femmes ne s’arrête pas là, évidemment.

En parallèle, les combats pour l’émancipation se poursuivent. Pouvoir travailler sans autorisation du mari, posséder un chéquier sans autorisation du mari, obtenir à travail égal un salaire égal… L’autonomie est le maitre mot de cet énorme coup de pied dans la fourmilière.

Le capitalisme l’entend et se fait un plaisir de répondre aux besoins des femmes en leur concevant des appareils électroménagers sur mesure, taillés pour leur confort. Merci Moulinex ! Le leurre est de courte durée mais participe à faire accepter la double journée des femmes, désormais présentées comme des Super Femmes, capables d’entreprendre travail, courses, ménage, éducation des enfants, repas, tout ça en n’oubliant pas de répondre aux injonctions à la beauté parce qu’avec tout ça, il ne s’agirait pas de « se laisser aller »...

Parce que oui, la femme parfaite et unique, est mince, hétéro, cisgenre, blanche, mère accomplie, épouse comblée, travailleuse épanouie et amie fidèle. Ça y est, l’égalité est là, elle est acquise. Celles qui poursuivent le combat sont des hystériques, rabat joie, surement lesbiennes parce que mal baisées. Waw, pause. Interruption des programmes. La réalité proposée est un écran de fumée. Nocive. Réductrice et oppressante. 

UN RÉCIT PARTIEL

A force d’être bercé-e-s à l’ambiance Disney et aux rayons bleus pour les garçons et roses pour les filles, on se serait laissé-e-s berner ? Pas tout le monde. Pas tout le temps. Il existe des périodes durant lesquelles les causes féministes mobilisent moins, voire beaucoup moins. Le terme est carrément diabolisé, rejeté.

Cependant, il y a toujours des militantes pour rompre l’ordre patriarcal. Pour dénoncer les travers capitalistes, sexistes et racistes. Pourtant, des années 70, on ne retient qu’un récit partiel. L’avortement est illégal et on se bat pour le rendre légal. En métropole. Parce qu’au même moment, à La Réunion, des milliers d’avortements et de stérilisations sont pratiqué-e-s par des médecins blancs sans le consentement des femmes, stigmatisées en raison de leur couleur de peau comme l’analyse Françoise Vergès dans Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme.

Et puis, on a oublié les réflexions sur l’hétéronormativité. Dans les années 60-70, l’identité lesbienne devient une identité collective, portée politiquement, signale Mathilde Larrère dans Rage against the machisme :

« On leur doit alors une grande partie de la production théorique et pratique. Les lesbiennes ne s’en sont pas moins retrouvées marginalisées, à l’intérieur du mouvement LGBT, qui reproduisait la domination masculine des gays, et à l’intérieur du mouvement féministe, les obligeant à construire des espaces d’autonomie entre les deux. C’est ainsi que nait, en avril 1971, le mouvement des Gouines rouges autour, notamment, de Marie-Jo Bonnet, Christine Delphy et Monique Wittig. Ce sont elles qui ont permis de comprendre à quel point la domination masculine repose sur l’hétérosexualité obligatoire et sur les contraintes qui pèsent sur le corps et la sexualité des femmes. »

On a aussi sans doute oublié que le célèbre procès survenu dans les années 70 à l’issue duquel le viol deviendra enfin un crime, on le doit à la lutte acharnée d’Anne Tonglet et Araceli Castellano pour que les viols qu’elles ont subi près de Marseille ne soient pas correctionnalisés mais bel et bien jugés devant une cour d’assise. Le couple lesbien sera défendu par l’avocate féministe franco-tunisienne Gisèle Halimi. 

Les chemins semblent séparés, divisés. Impossibles à réconcilier ? Rien n’est moins sûr. Le renouveau déboule et accrochez-vous, ça va souffler fort. Le mouvement ne ronronne pas, il hurle ! S’il y a parfois incompréhension entre les générations, ce sont bel et bien les combats de nos ainées que l’on poursuit.

Malgré les dissensions et les tentatives pour éteindre le feu, le flambeau est passé. Le féminisme est appelé à se renouveler et à ne plus s’écrire et se retenir au singulier. Cette histoire est plurielle, tout autant que les militantes sont plurielles. Les femmes ne sont pas une masse homogène. Et ça, il va falloir en tenir compte.

Parce que des femmes aiment des femmes, parce que des femmes naissent assignées hommes, parce que des personnes ne se reconnaissent pas dans la binarité du genre, parce que des femmes sont handicapées, parce que des femmes sont non blanches, parce que des femmes sont mutilées à la naissance pour être définies comme femmes, parce que des femmes vivent des oppressions multiples, parce que des femmes sont voilées, parce que des femmes ne veulent pas d’enfant, etc.

Refuser les injonctions. Accepter les paradoxes. Écouter les personnes concernées. S’affranchir des normes. Sortir de la domination. Penser d’autres rapports sociaux. S’approprier son corps. Le revendiquer. Voilà les enjeux des féminismes actuels. Un idéal aujourd’hui accessible pour demain parce que les luttes d’hier ont eu lieu. Mais bien souvent, on les oublie, en partie. Et l’histoire des luttes féministes n’est pas enseignée à l’école. Ne ferait-elle pas partie de l’Histoire ?

S’il y a des féminismes, c’est parce que comme le dit Priscilla Zamord, « il n’y a pas un féminisme qui prend en compte toutes les formes d’oppression. » Vice-présidente en charge des Solidarités, de l’Égalité et de la Politique de la ville au sein de Rennes Métropole et conseillère municipale à la ville de Rennes, elle figurait dans le binôme tête de liste des écologistes lors de la campagne électorale en 2020.

Engagée dans l’économie sociale et solidaire, elle a notamment co-fondé l’association d’insertion par la culture La Distillerie, à Fort-de-France en Martinique, et la ressourcerie La Belle Déchette à Rennes. Priscilla Zamord se présente comme bretonne d’outre mer, militante écologiste, anticapitaliste, antiraciste et féministe.

« C’est important de pouvoir se situer. Ces engagements, nourris par mon expérience personnelle et les vécus des femmes, je les rassemble sous la grande bannière de l’écologie politique. J’ai vécu des discriminations en tant que femme métisse perçue comme noire qui se revendique queer. C’est une identité hybride et je n’ai pas envie de choisir mon identité selon le jour de la semaine, ni ma lettre LGBTI… »
explique-t-elle.

Ses propos rejoignent ceux d’Aurélia Décordé Gonzalez, fondatrice et directrice de déCONSTRUIRE, association rennaise d’éducation populaire travaillant sur l’articulation des rapports de domination raciste et sexiste. Elle ne peut pas choisir le lundi d’être noire, le mardi d’être femme, le mercredi directrice, etc.

Elle est un tout et ne peut scinder son identité en fragments. L’absence d’imbrication des luttes, et plus particulièrement l’absence de prise en compte des oppressions au croisement des questions raciales et du genre, c’est ce qu’elle a non seulement ressenti mais surtout constaté en s’investissant dans des associations féministes puis des associations antiracistes.

Ainsi, poursuit Priscilla Zamord : « Il est nécessaire de déconstruire ces oppressions qui sont liées. Tout est lié ! »

TOUT EST LIÉ

Si des mobilisations et événements militant-e-s ont lieu toute l’année, il y a tout de même deux dates qui s’inscrivent depuis longtemps dans le calendrier : le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, et le 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. La première provient des luttes ouvrières et suffragistes.

Dans ce contexte, Clara Zetkin propose la création d’une journée internationale des femmes, en 1910 lors de la conférence des femmes socialistes. En 1917, la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg ancre le 8 mars comme la date traditionnelle reconnue officiellement par l’ONU en 1977 et instaurée en France en 1982. La seconde provient de l’assassinat - commandité par le dictateur Rafael Trujillo – des militantes politiques dominicaines Patria, Minerva et Maria Teresa Mirabal, le 25 novembre 1960.

Ainsi, la République Dominicaine propose en leur honneur une journée de lutte contre les violences faites aux femmes. En décembre 1999, l’assemblée générale de l’ONU reconnaît officiellement cette date comme la Journée internationale pour l’élimination des violences contre les femmes.

Elles sont emblématiques ces dates et marquent désormais les nombreuses luttes contre les violences sexistes et sexuelles à l’égard des personnes sexisées. Une évolution qui prône l’inclusion des personnes trans, intersexes et non binaires dans le combat global. En quelques décennies, les manifestations organisées par les associations et structures militantes ont vu les rangs se grossir. Drastiquement même ces dernières années.

C’est l’ère des mouvements #MeToo avec en France, la naissance du collectif Nous Toutes et l’appel à la politisation et l’inclusion - lors de la marche du 24 novembre 2018 - de plusieurs autres regroupés sous l’intitulé Nous Aussi, soulignant le caractère collectif de l’oppression patriarcale.

L’IMPACT DE METOO

#MeToo, c’est une explosion. Une déferlante. Les réseaux sociaux éclatent magistralement les murs invisibles qui empêchent les femmes du monde entier de démontrer que certains de leurs vécus sont communs. Là où avant, on pouvait se réfugier derrière une parole isolée et la stigmatiser, on est désormais obligé-e-s de reconnaître l’existence d’une problématique globale. 2017 marque un tournant vertigineux dans la grande histoire des féminismes.

A moins qu’on ait encore négligé une partie de cette histoire… ? Il suffit de taper « mouvement metoo » sur un moteur de recherche pour découvrir qu’il a été lancé 10 ans auparavant. Par Tarana Burke. Travailleuse sociale afro-américaine, elle se définit comme survivante d’une agression sexuelle et crée en 2007 le « Me Too Movement » en soutien aux victimes d’agressions sexuelles dans les quartiers défavorisés.

L’actrice Alyssa Milano, le 15 octobre 2017, soit quelques jours après les révélations édifiantes visant le producteur Harvey Weinstein – condamné en mars 2020 à 23 ans de réclusion pour viols et agressions sexuelles – écrit sur Twitter : « Si vous avez été harcelé-e-s ou agressé-e-s sexuellement, écrivez « me too » en réponse à ce tweet. » Un cataclysme planétaire s’en suit, inondant les réseaux sociaux et l’actualité médiatique.

Des millions de messages, en moins de 24h, témoignent du caractère systémique et genré des violences sexuelles. Le lendemain, Alyssa Milano tweete à nouveau : elle vient de découvrir un précédent mouvement #MeToo et partage alors le combat de Tarana Burke. Pourtant, on retiendra que c’est l’actrice qui en est à l’initiative. Nouvelle invisibilisation des femmes racisées.

Le mouvement poursuit sa route et essuie de nombreuses polémiques. En France, le lancement du #BalanceTonPorc par la journaliste Sandra Muller crée un débat virulent et touche un enjeu central : on tolère que les femmes témoignent des faits subis mais on s’insurge si elles dénoncent publiquement et nommément leurs agresseurs.

Rage et panique se lisent dans les discours de celleux qui argumentent « que cela nuirait à la vie de ceux qui sont visés » par des accusations systématiquement prônées comme mensongères. Servant simplement à assouvir une vengeance personnelle. Un discours que l’on retrouve du côté des forces de l’ordre quand une personne sexisée tente de porter plainte.

Si le hashtag MeToo est davantage usité, car beaucoup plus politiquement correct et sans lien avec les animaux et donc une quelconque volonté spéciste (oui, critique est faite aussi sur cet aspect), les militantes font front. Elles ne lâcheront pas, elles ne lâcheront rien.

On brandit la présomption d’innocence à chaque fois qu’un homme – de pouvoir – est visé ? Elles brandissent la présomption de sincérité des victimes. Elles hurlent leurs colères et combattent d’une main le mythe de la virilité et de l’autre le mythe du prédateur. La masculinité toxique et hégémonique doit être déconstruite en parallèle des réflexions sur la féminité unique, instituées par le patriarcat et le capitalisme.

Rien de vraiment nouveau dans les rangs militants. C’est du côté de l’opinion publique que les choses commencent à bouger. Doucement. Très doucement. Et pourtant, il s’agit là de la grande cause du quinquennat ! Emmanuel Macron s’engage pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

De la réduction du ministère des Droits des Femmes, transformé en secrétariat d’État, à la nomination de Gérald Darmanin comme ministre de l’Intérieur, alors qu’il est accusé et visé par une enquête judiciaire pour viols et harcèlement sexuel, en passant par la volonté de mettre en concurrence le 3919, service dédié à l’aide et l’écoute des victimes de violences sexistes, il ne cesse de prouver ses engagements en la matière…

DÉCONSTRUCTION DES MYTHES ET DU LANGAGE

Heureusement, des actions concrètes sont mises en place et elles sont nombreuses sur le territoire. Fruits d’une course de fond entamée avant le coup d’accélérateur MeToo. Harcèlement de rue, extension de la PMA pour tou-te-s, taxe rose, question de la parité (et du sexisme) en politique, lutte contre les violences…

À chaque fois, les militantes procèdent à un travail de pédagogie, souvent fixé à tort par la population comme une injonction, tentant d’expliquer les causes profondes de ces conséquences. Soit une société patriarcale dans laquelle on grandit tou-te-s en s’imprégnant des stéréotypes et assignations de genre, produits de constructions sociales qui perdurent au fil des générations. On essentialise le féminin et le masculin.

Le premier se rapportant à tout ce qui attrait aux soins, à la douceur et la maternité. Le second à tout ce qui est en lien avec la force, le courage, la réflexion, la stratégie… Bref tout le reste, en somme, excepté le domaine du sensible. En parallèle, travail est fait sur le langage comme vecteur des inégalités : il y a certes la question de la neutralité, et par là même de l’invisibilisation de toutes les personnes qui se genrent au féminin, mais aussi des images véhiculées quand la presse parle de « drames passionnels » ou de « femmes battues ».

Ces images, on les intègre. On réduit les assassinats de centaines de femmes par an en France à une dispute qui aurait mal tourné. On réduit les milliers de femmes par an qui subissent coups et blessures certes mais aussi insultes, crachats, pressions économiques, affectives, intimidations, menaces, agressions sexuelles et/ou viols de la part de leur partenaire.

On répand l’idée que l’espace public, principalement de nuit, est dangereux pour les femmes qui ne devraient pas rentrer seules chez elles car là, tapis dans l’ombre d’une ruelle mal éclairée ou d’un parking délabré, attend un prédateur. Alors que dans plus de 80% d’agressions sexuelles et viols, les victimes connaissent leur agresseur. On exclut les personnes trans du sujet du cycle utérin lorsqu’on le relie uniquement aux femmes et non aux personnes sexisées.  

Les militantes œuvrent donc pour l’emploi de termes précis : menstruations ou règles, protections périodiques plutôt qu’hygiéniques, vulve, vagin, clitoris, féminicides, violences conjugales, harcèlement sexuel, agressions sexuelles, viols plutôt que rapports non désirés, consentement.

Dans les manifestations féministes, on remplace petit à petit certains passages de « L’hymne des femmes » des années 70 - « Nous sommes le continent noir » et « Levons-nous femmes esclaves » - jusqu’à ne plus le chanter du tout. À la place, on préférera entonner en chœur « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! » et danser sur « Un violador en tu camino » du collectif féministe chilien Las Tesis.

On nomme les actes et on nomme les agresseurs présumés ou reconnus coupables. Gérald Darmanin, Luc Besson, Roman Polanski, Gérard Depardieu, Patrick Poivre d’Arvor, Alain Duhamel, Georges Tron, Richard Berry, François Asselineau, Denis Baupin, Dominique Strauss-Kahn, Dominique Boutonnat, Christophe Ruggia, David Hamilton, Gabriel Matzneff et bien d’autres sont visés par des accusations de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles, de viols, d’abus de pouvoir et d’autorité, sur des enfants et/ou sur des adultes.

Ils ont en commun d’être des hommes blancs, de pouvoir, bénéficiant majoritairement d’une impunité totale. On est là bien loin de l’image stéréotypée du prédateur qui dans le mythe décrit l’agresseur type comme étant racisé, pauvre, migrant, peu éduqué, à la dérive, livré à ses pulsions bestiales…

Au gratin, en revanche, on trouvera des excuses et on retournera la culpabilité directement sur la victime. On pourra toujours prétendre à la vénalité de la femme vengeresse ou inventer des formules toutes faites, comme (au hasard) : « Séparer l’homme de l’artiste ». Une bien belle phrase qui nous fait perdre du temps de cerveau pendant que ces Messieurs profitent de leur liberté…

Petit à petit, le mur s’effrite et on déconstruit progressivement les profils type des agresseurs mais aussi des victimes. La mauvaise victime, celle qui avait peut-être bu ou pris de la drogue, celle qui était en mini jupe, celle qui a dragué le mec, a accepté d’aller chez lui puis a dit non, celle qui ne se souvient plus précisément des faits, celle qui poursuit sa vie sans traumatisme apparent, celle qui ne s’est pas débattue face à l’agresseur, celle qui vient porter plainte dix ans plus tard, celle qui ne pleure pas durant sa déposition.

La bonne victime, celle qui a subi un viol dans le parking ou la ruelle sombres, a identifié son agresseur, établi malgré les pleurs en continu une plainte aux forces de l’ordre qui n’ont qu’à cueillir le pauvre mec qui avec un peu de chance est déjà fiché, celle qui ensuite n’arrivera plus à trouver goût à la vie.

Celle qui est blanche, celle qui est cisgenre, celle qui est hétérosexuelle. Celle qui est valide. Alors que selon Mémoire Traumatique et Victimologie, les enfants en situation de handicap ont près de 3 fois plus de risques d’être victimes de violences sexuelles que les enfants dans leur ensemble et que selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 35% des femmes handicapées subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19% des femmes dites valides.

LES HANDIFÉMINISTES DÉBOULONNENT LE VALIDISME

Pourtant, lors de la première marche organisée par Nous Toutes, Céline Extenso scrute les images de la manifestation : la question du handicap et du genre échappe aux revendications. Nous sommes en 2019, l’actrice Adèle Haenel brise le tabou des violences sexistes et sexuelles dans le milieu du cinéma.

Elle témoigne de son vécu dans Médiapart et accuse le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel. Elle était alors âgée de 12 à 15 ans. Elle fait état de la honte qu’elle a ressenti, puis de la colère qui s’est installée, jusqu’à ce qu’elle rompe le silence comme un acte viscéral.

Si #MeToo peinait au démarrage en France, Adèle Haenel vient de l’ancrer dans l’hexagone et d’ouvrir la voie, grâce à sa voix, à de nombreuses autres femmes qui vont à leur tour dénoncer les violences subies et les agresseurs l’année suivante, à l’instar de la patineuse Sarah Abitol qui un an plus tard sort du silence quant aux violences commises par son entraineur Gilles Beyer, accusé également par Hélène Godard, ou encore de l’actrice Nadège Beausson-Diagne, violée à plusieurs reprises à l’âge de 9 ans par un ami de la famille.

À l’époque, en 2019, les propos d’Adèle Haenel secouent les mentalités et quelques semaines plus tard, le 23 novembre, elles sont des dizaines de milliers à envahir et occuper l’espace public dans une manifestation historique. Toutefois, Céline Extenso constate la sous représentation des femmes handicapées dans la rue, sur les pancartes ou dans les slogans, comme dans la presse.

« C’est un énorme problème puisqu’au contraire, les femmes handicapées sont beaucoup plus victimes de violences que les valides, mais notre absence connaît sans doute plusieurs raisons. Il y a d’abord les freins concrets à la présence des personnes handicapées dans les milieux militants (ce manque d’inclusivité n’est évidemment pas spécifique au féminisme). Le manque d’accessibilité physique des rassemblements, les entraves communicationnelles, la fatigue chronique et le manque de disponibilité générale consécutifs à nos handicaps compliquent énormément notre activité militante. », analyse-t-elle. 

Elle poursuit : « En France, le discours sur le handicap a historiquement été capté par les grosses associations gestionnaires. Elles sont principalement portées par des personnes valides et véhiculent donc de lourds relents validistes, empreints de médicalisation et d’institutionnalisation dans des établissements spécialisés. Après un mouvement handi radical mais trop éphémère dans les années 70 (le Comité de Lutte des Handicapés, auteur entre autres du journal Les handicapés méchants) une voix militante a peiné à se faire entendre. Timidement d’abord dans les années 2000, mais principalement depuis environ 5 ans. Il est évident que l’avènement des réseaux sociaux a été un formidable outil facilitateur pour nous rassembler malgré nos handicaps et leurs contraintes ! »

Et c’est justement sur Twitter qu’elle lance un appel pour rassembler les motivées et ensemble déboulonner le validisme. Un an plus tard, né le collectif handiféministe Les Dévalideuses, reconnu depuis mars 2021 association officielle. Le but : donner de la visibilité aux femmes handicapées dans le féminisme.

« Je suis tétraplégique, myopathe, mais nous tenons à la diversité de notre collectif. Les Dévalideuses vivent tous types de handicap, physiques, sensoriels, cognitifs, psys, maladies chroniques, visibles ou invisibles, de naissance ou acquis sur le tard… Chacun implique une expérience différente, parfois très différente, mais nous faisons front contre un ennemi commun : le validisme. »
explique Céline Extenso.

Le validisme, comme elle nous l’explique précisément, c’est l’oppression que subissent spécifiquement les personnes handicapées et qui repose sur l’idée que leur vie vaut moins que celle des personnes valides, parce que l’on se figure qu’elles possèdent moins de capacités. 

« Le validisme peut pendre la forme d’un rejet franc, mais peut aussi se cacher sous la forme d’un « validisme gentil », entre pitié, héroïsation et infantilisation, qui fait malheureusement tout autant de dégâts. La psychophobie ou la grossophobie sont des formes de validisme. », précise-t-elle.

Dans un communiqué récent, les Dévalideuses soulignent que leur objectif est triple : informer le grand public autour du validisme pour lui faire comprendre de quoi il s’agit mais aussi quels sont les vécus des femmes handicapées, bousculer les institutions pour créer un impact politique concret et durable sur la société et aussi visibiliser les femmes handicapées, valoriser l’histoire de la communauté handie et revendiquer la fierté de cette identité.

Entre féminisme et anti-validisme, les points communs sont clairs et nombreux : « décrédibilisation, infantilisation (le validsplaining vaut bien le mansplaining), contrôle de nos corps, de nos sexualités, injonction ou au contraire pour nous interdiction de procréer, difficulté d’accéder à une indépendance financière, violences sexistes et sexuelles exacerbées pour les femmes handicapées… On se rejoint sur un besoin d’émancipation, d’autonomie, d’auto-détermination, contre une classe qui voudrait nous contrôler. »

Mais aussi dans le syndrome de l’imposteur, note-t-elle plus tard. Construire des ponts avec d’autres luttes, cela apparaît évident : il faut croiser les thématiques du handicap avec le féminisme mais aussi les questions de « racisme, des LGBTIphobies, de la grossophobie, putophobie ou encore du capitalisme. »

Ce dernier évaluant « les êtres selon leur utilité, leur capacité à produire de la richesse, dans une course toujours plus standardisée, où nos spécificités et nos lenteurs ne trouvent pas leur place. Et sur l’autre versant du capitalisme, puisqu’on n’est pas jugés assez rentables, nous ne sommes même pas considérés comme des consommateurs à part entière. » 

Il est urgent de questionner la place des personnes handicapées dans la société tout comme la place des femmes handicapées au sein des luttes féministes. « Ne reléguez plus le validisme en fin de liste… dans le meilleur des cas. », signale Céline Extenso qui appelle les milieux militants à être des alliés « à la hauteur ».

Elle établit deux façons complémentaires de les aider sur le terrain. D’une part, en rendant les lieux de rendez-vous accessibles aux personnes en fauteuil mais en réfléchissant également à des dispositifs pour les personnes ayant des difficultés de communication, de compréhension, de fatigue ou de douleurs diverses.

Et d’autre part, en allant à leur rencontre quand cela ne leur est pas possible de se mobiliser physiquement, en amplifiant leurs voix et leurs actions, comme cela a par exemple été le cas à plusieurs reprises dans les manifestations 25 novembre et 8 mars à Rennes, où leurs témoignages ont pu être enregistrés à distance et diffusés lors de la mobilisation.

« Oui, c’est exigeant, bien sûr ça demande pas mal d’anticipation et de réflexion, mais il est impensable qu’un mouvement se dise inclusif sans penser systématiquement à tout ça, en amont de ses événements publics ou même réunions internes.» 
affirme-t-elle.

RENDRE VISIBLES LES COMBATS

La militante handiféministe le dit : la lutte contre le validisme devient de plus en plus connue dans les milieux militants mais est encore loin d’être bien ancrée dans les mentalités : « Nous n’avons plus le temps d’attendre qu’on nous fasse une place. Les réseaux sociaux nous permettent une meilleure inclusion, mais en même temps, les militants handis sont régulièrement critiqués : militer en ligne serait tout juste du spectacle, pas du « vrai activisme ». »

Et pourtant, aujourd’hui, les réseaux sociaux détiennent un pouvoir faramineux. Aussi dangereux qu’utiles, ils permettent la prise de parole de toutes les personnes n’ayant pas accès aux médias et peuvent transformer cette expression individuelle en mouvement collectif. Ils donnent à voir et à entendre et permettent également de bouleverser les représentations.

De montrer une population bien plus variée et plurielle que celle que l’on réduit trop souvent dans les médias mais aussi les arts et la culture à un noyau d’élite de gens extraordinaires érigés en modèles pas tellement accessibles au commun des mortel-le-s. Non ou trop peu représentatifs de ce qui se joue là, au quotidien, dans les foyers, les entreprises, l’environnement, en somme dans les vies de celles et ceux qui vivent la réalité et avec elle, les inégalités et discriminations. 

« Il y a encore beaucoup de travail pour faire comprendre la nécessité de rendre visibles et légitimes les spécificités des un-e-s et des autres. Il y a des spécificités de la part des minorités qui subissent des discriminations et il y a des mécanismes globaux : on connaît les mécanismes de la stigmatisation, de la marginalisation, des stéréotypes, de l’invisibilisation… Mais on ne peut pas mettre tout le monde dans le pot commun. On ne vit pas tous et toutes la même chose et le combat est spécifique en fonction de sa situation. », analyse la sociologue des médias, Marie-France Malonga.

Les femmes noires ne vivent pas toutes les mêmes sexisme et racisme, en fonction de la carnation de leur peau mais aussi en fonction de leur orientation sexuelle, identité de genre, handicap, tout comme les femmes blanches ne vivent pas le même sexisme entre elles et avec les femmes racisées.

Une femme noire à la peau foncée ne vit pas le même racisme et sexisme qu’une femme perçue comme asiatique. Une femme perçue comme arabe ne vit pas le même racisme et sexisme qu’une femme voilée perçue comme arabe. Le podcast Kiffe ta race, produit et animé par Rokhaya Diallo et Grace Ly en fait état à travers des discussions, questionnements et analyses basé-e-s sur une approche et une histoire intersectionnelles. 

« C’est très très long de changer les représentations médiatiques. C’est plus simple de changer le quantitatif que le qualitatif. », nous dit Marie-France Malonga. Elle a fait sa thèse en Science de l’information et de la communication sur les liens entre public et télévision à travers la question de la place des minorités ethniques – et particulièrement noires – à l’antenne.

Avant cela, lors de son master, elle a été à l’initiative et a dirigé l’étude historique qui a ouvert le Baromètre de la diversité au sein du Conseil Supérieur Audivisuel. Plus de 800 programmes analysés, soit plus de 250 heures de visionnage des propositions diffusées sur TF1, France 2, France 3, Canal + et M6 durant une semaine du mois d’octobre 1999. Elle constate, sans surprise, une sous représentation nette des populations non blanches.

« Elles sont peu représentées aux postes de premier plan. Ça ne voulait pas dire qu’elles n’existaient pas mais elles étaient marginalisées, invisibilisées. Parmi les minorités, les plus représentées étaient les populations noires, surtout du fait des productions américaines, dans la fiction notamment. On voyait très peu de magrébins, d’arabes, encore moins d’asiatiques ! »
souligne-t-elle.

Même si elle ne plait pas à tout le monde, cette étude, que certains journalistes vont qualifier de profilage raciste, crée une première prise de conscience de la part des chaines publiques mais aussi privées qui commencent alors à modifier leurs cahiers des charges. En 2009, l’étude est systématisée, elle devient un Baromètre de la diversité, aux critères élargis prenant désormais en compte les catégories socioprofessionnelles, le handicap, le sexe, l’âge, l’origine perçue ou encore les territoires (ruraux, urbains, banlieues, etc.).

En janvier 2020, le CSA a lancé l’Observatoire de l’égalité, de l’éducation et de la cohésion sociale en adéquation avec sa volonté de s’intéresser aux questions intersectionnelles, qui jusque là n’étaient pas mesurées. « Ce sont dans les intentions d’amélioration de l’institution mais c’est encore très confidentiel. », précise Marie-France Malonga.

Lier féminisme et questions raciales, c’est une évidence pour la professionnelle : « Les médias ont un rôle à jouer pour sortir les femmes et les minorités de l’essentialisation. C’est très long et complexe de lutter contre les visions stéréotypées dans les médias. Parce qu’il n’y a pas toujours la conscience de ce qu’est un stéréotype. On reproduit certaines choses inconsciemment. Il y a des avancées de la part de l’institution mais ça reste très compliqué. Avec la représentation des femmes issues des minorités non blanches, on est dans une impasse car il n’y a pas de statistiques ethniques. Pas d’outils pour lutter contre les stéréotypes diffusés. »

Et pour que les minorités elles-mêmes puissent proposer des solutions, encore faut-il qu’elles puissent s’exprimer ! Dans des mouvements collectifs, ajoute Marie-France Malonga. Dans le milieu du petit écran, les années 90 et 2000 marquent une époque durant laquelle émerge la parole individuelle des anonymes qui peuvent témoigner dans des émissions type « Ça se discute », « Vie privée vie publique » ou encore « C’est mon choix ».

On entre dans l’intimité des gens et à travers la télévision, cette intimité entre dans les foyers des français-es. Avec l’émergence des réseaux sociaux, cette parole est amplifiée et facilitée dans le processus collectif, la rendant légitime et visible partout dans le monde.

« C’est très intéressant je trouve ce qui se passe dans cette façon de se mobiliser collectivement. Ça va en parallèle avec le mouvement MeToo. On décrie les réseaux sociaux, avec ses dérives de haine en ligne et de déshumanisation de la société, mais en terme de visibilité donnée aux personnes qui n’arrivent pas à avoir des représentations médiatiques, c’est très important. Ils rendent la mobilisation plus grande, plus rapide et connectent des individus qui peuvent se regrouper et se rendre visibles.

On voit aussi émerger des médias alternatifs qui apportent un éclairage particulier sur ces questions d’égalité. Ils cohabitent avec les médias mainstream, ce qui ne veut pas dire que les médias mainstream doivent se dédouaner de ces thématiques. Les deux peuvent cohabiter, ce n’est pas contradictoire. Il y a de la place pour tout le monde et ce qui est important c’est de montrer un autre type de paroles ! », s’enthousiasme la sociologue.

UNE SOCIÉTÉ À DEUX, TROIS, QUATRE VITESSES…

Cantonnées à leur rôle reproducteur et sexuel, les femmes sont rarement présentées comme des expertes. Quand les femmes sont racisées, la société ajoutent sur elles des stéréotypes liées à leur couleur de peau, leurs origines réelles ou supposées et leur sexe.

Les clichés peuvent changer également selon l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le handicap, la classe sociale. Nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer ces oppressions et leurs spécificités. En 2018, par exemple, paraît Noire n’est pas mon métier, un ouvrage collectif initié par l’actrice Aïssa Maïga. Seize professionnelles du cinéma témoignent et analysent les vécus communs et conjoints du sexisme et du racisme.

Ensemble, elles dénoncent le manque de personnes noires dans les films et la représentation stéréotypée qui s’en dégage les rares fois où elles apparaissent à l’écran. Mamas africaines, prostituées ou mères célibataires dépassées, les rôles ne proposent pas de choix, n’offrent pas une palette réaliste, ne cassent pas les stéréotypes, au contraire, ils les renforcent.

« Il y a eu une visibilité assez grande autour de ce livre et de ces artistes qui ont pu exprimer le problème de la représentation des femmes noires. Il y a eu beaucoup de retombées médiatiques, ça a eu un impact mondial (elles marquent les esprits également lors de la montée collective des marches du festival de Cannes, la même année, ndlr) ! Mais quand on voit les réactions face au discours d’Aïssa Maïga à la cérémonie des César, on voit bien que le problème n’est pas réglé du tout. », commente Marie-France Malonga.

Nous sommes le 28 février 2020 et la question des droits des femmes est au centre de la cérémonie à l’issue de laquelle Roman Polanski se verra décerner le prix du meilleur réalisateur et Adèle Haenel, criant « La honte », partira avec Céline Sciamma... Avant cela, dans la salle Pleyel, tout le monde se marre à chaque vanne de Florence Foresti, et tout à coup, tout le monde regarde ses pieds.

Ambiance pesante. Aïssa Maïga est en train de prononcer son discours. Face à la grande famille du cinéma, elle n’hésite pas à partager un geste qu’elle exécute depuis deux décennies : « Compter lors des réunions du métier. » Et c’est sur les doigts d’une main généralement qu’elle compte le nombre de personnes non blanches présentes. Les mots sont puissants et ce soir-là, comme à de nombreuses reprises, l’actrice sait s’en servir pour briser le silence et les tabous.

« On a survécu au whitewashing, au blackface, aux tonnes de rôles de dealers, de femmes de ménages à l’accent bwana, on a survécu aux rôles de terroristes, à tous les rôles de filles hypersexualisées… Et en fait, on voudrait vous dire, on ne va pas laisser le cinéma français tranquille. (…) On est une famille, on se dit tout non ? Vous tous qui n’êtes pas impactés par les questions liées à l’invisibilité, aux stéréotypes ou à la question de la couleur de peau… la bonne nouvelle, c’est que ça ne va pas se faire sans vous. Pensez inclusion. Ce qui se joue dans le cinéma français ne concerne pas que notre milieu hyper privilégié, cela concerne toute la société, n’est-ce pas monsieur qui est sur votre téléphone portable là ? », clame-t-elle.

Un discours d’une telle force, c’est intense et hypnotisant. Galvanisant en même temps. Ce n’est pas une autre parole qui doit être portée, diffusée, entendue. Ce sont toutes les paroles reléguées à la marge - parce que comme elles viennent chatouiller nos privilèges de personnes blanches, cisgenres, hétérosexuelles, valides, elles dérangent - qu’il faut écouter et prendre en compte. Véritablement.

Égaliser la réception des paroles. Pas simplement s’en servir de levier à l’occasion avant de les replacer dans les oubliettes de l’Histoire.

« On ne laissera rien passer ! Fini d’aller au casse-pipe pour être récupérées ! On ne peut pas être juste des défricheuses puis ensuite être mises sur le côté. C’est de la marge que viennent de nombreuses avancées politiques. C’est vrai avec les personnes racisées comme avec le mouvement queer. C’est le même mécanisme. Le mouvement a été récupéré, vidé de son sens avec des étapes ultra violentes de rejet total ! »
s’indigne l’élue écologiste Priscilla Zamord. 

RECONQUÉRIR LA PRISE DE PAROLE

En mars 2019, Arrêt sur images analyse l’opposition féministes universalistes contre féministes intersectionnelles dans un article qui révèle que les premières se sentent lésées dans les médias là où les deuxièmes y sont en vérité moins invitées. Le média amène la preuve scientifique par un comptage, processus qui encore une fois permet de mieux rendre compte de la réalité et de prendre conscience que certaines voix sont souvent laissées en marge du débat public.

Nadiya Lazzouni est journaliste, productrice et fondatrice de Speak up channel, média sur YouTube dans lequel elle pense, crée et développe des contenus et des concepts d’émission comme actuellement « The Nadiya Lazzouni Show » ou prochainement « Droit de cité ».

L’objectif : reconquérir la prise de parole. Elle prend la parole mais aussi, elle la donne. À celles et ceux qui trop souvent sont invisibilisé-e-s. Juriste de formation en droit des affaires, elle a par la suite repris ses études pour travailler dans des ONG en sciences politiques.

« Entre temps, j’ai porté le hijab, ce qui réduit le champ des possibles… En 2012, j’ai 27 ans quand je décide de le porter. C’est l’aboutissement pour moi d’un cheminement et d’une réflexion spirituelle. Je mène mes choix et j’essaye d’aller au bout. Pas question de renoncer à une de mes identités ! Ce n’est pas le voile qui m’a fermé les portes mais les racistes. J’ai galéré à trouver un job. », explique-t-elle.

Elle a des spécificités et pour ces spécificités, elle est discriminée. C’est pour cela que des années plus tard, elle crée son propre média. Même combat pour Priscilla Zamord : « Au fil de l’eau, j’ai trouvé des leviers pour m’émanciper. Très jeune, je me suis rendu compte que ça allait être compliqué au niveau de l’emploi. Comme je suis une machine à projets, j’ai décidé de créer mes activités. »

Enfant, la normande Nadiya Lazzouni réalise qu’au travers de la télévision, elle n’existe pas. Elle n’est pas représentée en tant que française musulmane racisée. Ce qui lui donne le sentiment d’être exclue de la société.

« Pour une ado, c’est hyper compliqué pour construire un être apaisé. Pour être apaisé-e, on a besoin de reconnaissance. Et cette société, elle ne nous montre pas de manière reluisante. Je me suis lancée le défi de reconquérir cet espace dont on est absents sans s’enfermer dans un ghetto intellectuel visant à dire que quand on est musulmanes, on doit parler de ça et pas d’autre chose. Dans « The Nadiya Lazzouni Show », les questions sont beaucoup plus inclusives. Pour inviter tout le monde à s’intéresser aux expertes et aux experts. »

Elle place au cœur de sa pratique journalistique bienveillance, reconnaissance et représentations plurielles :

« C’est important de pouvoir s’identifier physiquement à une femme musulmane, voilée, qui porte un message bienveillant et inclusif. Ça casse l’image de la femme soumise, aliénée, analphabète que l’on fait porter à la femme musulmane. Alors notre présence dérange mais elle a le mérite de déconstruire les idées reçues. On peut alors se rendre compte que les musulmans que l’on dit séparatistes ne s’inscrivent pas dans un mouvement communautariste. C’est un leurre, un mensonge. »

La journaliste dénonce l’hypocrisie d’une société qui prône la singularité des êtres et qui cultive l’idée qu’il est important de se distinguer mais qui ne tolère pas que la masse soit polymorphe. Marie-France Malonga approuve :

« Il y a une forme de diabolisation des mouvements des minorités. On a peur d’individus qui ont des petites armes, beaucoup plus infimes que les armes des dominants. On accuse les minorités de diviser le corps social alors que non. Elles n’ont pas de volonté d’exclusion mais au contraire, elles ont une volonté d’inclusion. Il faut s’organiser, se rassembler, nommer. Comment faire du féminisme si on ne parle pas des femmes ? »

Entre temps, le projet de loi « Séparatisme » se durcit – parce qu’apparemment, c’est toujours possible de faire pire - au Sénat début avril.

Au cœur du texte, l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices de sortie scolaire et les mineures dans l’espace public, ainsi que la volonté de dissoudre les associations « qui interdisent à une personne ou un groupe de personnes à raison de leur couleur, leur origine ou leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée de participer à une réunion. »

Les réunions en non mixité rassemblant uniquement des hommes sont donc à l’abri. Pareil pour les réunions en non mixité rassemblant uniquement les femmes.

« Au lieu de s’offusquer sur les réunions non mixtes, on devrait s’offusquer de l’absence de diversité et de mélange sur l’ensemble des sphères de la société depuis très longtemps ! Ce serait beaucoup plus intéressant. Même chose avec « la discrimination positive » (je n’aime pas ce terme, je préfère parler d’action positive ou volontariste). On s’en offusque alors que la discrimination négative, non, là, tout va bien ! C’est un déni face à la question des inégalités que vivent certaines citoyennes et certains citoyens de notre société ! », réagit la sociologue des médias.

Ainsi, on nie les spécificités de certains groupes à qui on confisque la parole. Le parallèle est établi avec le féminisme universaliste brandi en France et qui prône une voix universelle – et par là unique - de l’émancipation des femmes à travers le monde entier.

« On ne se reconnaît pas dans ce féminisme, qui est un féminisme occidental et ethnocentré. Il est important de redéfinir le féminisme et établir un rapport égalitaire entre toutes les femmes. Parce que là, la lutte est commune tant qu’on remet en question l’ordre établi du patriarcat mais quand on remet en question les privilèges des personnes blanches, là, on assiste à la reproduction des travers qu’on reproche au système. »
analyse Nadiya Lazzouni.

Elle l’exprime clairement : aujourd’hui, la parole se libère et des réseaux sociaux émergent des voix singulières et différentes. Nait aussi la solidarité entre les féminismes minoritaires : LGBTI, afroféministes, féministes musulmanes, féministes décoloniales. « Pour s’organiser vers un féminisme plus inclusif et bienveillant. », précise-t-elle.

Elle poursuit : « On devient de plus en plus des sujets, on nous invite un peu plus qu’avant, on nous permet d’amener de la nuance. Et c’est important que l’on soit représenté-e-s car la France du quotidien n’a rien à voir avec l’image qu’on nous donne à voir. On est beaucoup à vouloir créer une société plus inclusive mais la télévision a un pouvoir sacré, elle s’impose chez nous. »

Les médias sont pour elle des lieux privilégiés pour changer les mentalités. Elle croit en l’impact de la visibilisation des minorités dans les lieux de reconnaissance. Et elle a raison d’y croire. Le 18 septembre 2020, la ville de Caen a inauguré la rue Nadiya Lazzouni : « Une reconnaissance personnelle et familiale ! Une première en France ! Je ne peux que rester positive ! » 

REDONNER DU POUVOIR

Partir du vécu. En juin 2019, le site Reporterre publie un entretient avec Fatima Ouassak. Elle est politologue, co-fondatrice de Front de mères, premier syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires, présidente du réseau Classe/Genre/Race et autrice du livre La puissance des mères.

Elle explique : « Je ne lutte jamais sur des questions idéologiques en fait. Par exemple, je n’ai jamais milité sur la Palestine, même si je suis profondément pro-palestinienne. Il faut que cela parte d’un vécu. »

Elle défend depuis longtemps la lutte locale, notamment au sein des quartiers. Elle découvre, à travers sa fille, qu’un-e enfant de deux ans et demi peut subir du racisme. Elle co-écrit avec Diaratou Kebe le texte « l’école, c’est la guerre ». Elle raconte alors à Reporterre :

« Il est très très dur, très antiraciste. Politiquement, le texte se tient. Mais après quand on conduit sa fille à l’école, on se retrouve face aux enseignantes qu’on a démontées dans le texte. Stratégiquement, on ne peut pas faire cela, cela ne mène à rien sinon à pourrir sa vie quotidienne. Par ailleurs, tenir un discours politique localement est plus compliqué pour les habitants des quartiers populaires.

Dans une ville comme Bagnolet, qui ne compte que 30 000 habitants, une grande partie de la population est ce que l’on appelle « municipalisée » : il y a toujours dans la famille ou parmi les amis quelqu’un qui travaille à la mairie ou qui a une demande de logement social en cours. Quand vous voulez mobiliser les gens des quartiers populaires, c’est difficile, non pas parce qu’ils ne sont pas courageux mais parce qu’ils se disent que s’ils vont trop loin, leur mère, leur frère ou leur sœur va perdre son boulot, que la demande de logement ne va pas aboutir. Cela limite largement la politisation du discours. » 

Partir du vécu. Elle l’applique dans le syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires qu’elle a créé, Front de mères. Elle se positionne en tant que mère :

« J’ai eu cette impression d’avoir été dépossédée de l’accouchement, de mon rôle de mère en fait. Le mouvement féministe a tendance – ce que je comprends – à dire qu’il faut arrêter de renvoyer systématiquement les femmes à leur rôle de reproductrices. Mais est-ce que cela ne nous a pas dépossédées du pouvoir que l’on a sur l’éducation et la reproduction ? Le Front de mères sert à voir comment on se réapproprie notre pouvoir de mère, pas en tant que mère au foyer mais en tant que mère comme sujet politique qui gère l’éducation, la transmission, la parole publique. Réinvestir cette question peut révolutionner l’ensemble des questions politiques. »

Elle est une militante inspirante pour de nombreuses personnes, dont Priscilla Zamord qui adhère non seulement à l’idée d’alliances dans les luttes comme celle d’Assa Traoré et d’Alternatiba mais aussi au syndicat Front de mères.

« La politisation des mères dans les quartiers prioritaires est un mouvement impensé, voire malmené dans les questions de féminismes et de politique. On voit « les mamans des cités » comme bonnes à faire des gâteaux mais pas à débattre. Là, il y a un espace safe où on peut être soi. Sans compartimenter son identité.

Les femmes sont un vrai sujet politique, que ce soit dans les questions de parentalité heureuse, dans l’égalité des traitements, les questions de violences sexuelles sur les adultes comme sur les enfants et sur l’histoire et la transmission. L’expérience de la marge doit être prise en compte. Je me souviens quand j’étais enfant, j’allais aux Antilles l’été et cette expérience de la mobilité n’a jamais été valorisée dans ma scolarité. », souligne l’élue pour qui il est nécessaire de regarder la vérité en face dans le cadre de la lutte contre les discriminations.

Cela passe, en local, par l’Observatoire métropolitain de lutte contre les discriminations mais aussi l’élaboration d’un vrai plan sur l’égalité femmes-hommes, à l’instar de celui qui est mis en place déjà sur la ville de Rennes, pour embarquer les 43 communes de Rennes Métropole dans ce combat. 

Partir du vécu. Pour faire jaillir des sujets et des enjeux parfois oubliés ou négligés par les militant-e-s. Autre exemple de politisation de la maternité : le compte instagram Matergouinité, lancé par Elsa et Lisa, deux femmes lesbiennes en colocation à Bagnolet, visant à mettre en valeur des maternités, comme l’homoparentalité, la monoparentalité ou la transparentalité, trop peu visibles dans les médias.

L’objectif : déconstruire le regard marginalisé que l’on se figure à ce sujet. Rendre visibles ces familles et les rendre légitimes. Parce que leur invisibilisation crée des stéréotypes et du tabou avec lesquels il est pourtant urgent de rompre, l’extension de la PMA pour tou-te-s se heurtant trop souvent à des idéologies conservatrices et dangereuses.

Régulièrement, à Rennes, les militant-e-s féministes et LGBTIQ+ sont invité-e-s à contre-manifester contre les mobilisations revendiquant encore et toujours « Un papa, une maman, un enfant »… On remet en question la capacité des femmes lesbiennes, célibataires et des personnes trans à investir la fonction parentale et dénie complètement leur droit au choix de fonder ou non une famille.

On met un mouchoir sur le sujet tout comme sur toutes les questions également d’accompagnement et de reconnaissance de toutes les personnes ayant des difficultés à concevoir, ayant vécu fausse-s couche-s ou perte-s d’un enfant à la naissance, post partum, etc.

LES HOMMES NE SONT PAS LA NORME

Alice Coffin est journaliste, activiste féministe et LGBTIQ+, co-fondatrice de la Conférence lesbienne* européenne (* : pour les femmes qui aiment au moins les femmes, inclusif de la transidentité, de la non binarité et de la bisexualité), co-fondatrice de l’Association des Journalistes LGBT, élue écologiste au conseil de Paris et autrice de l’ouvrage Le génie lesbien. Elle y explique qu’elle est parfois invitée sur les plateaux télé des chaines d’info en continu :

« Pour parler féminisme. Ou de la PMA. Ce sont rarement des sollicitations directes. Souvent, c’est une copine féministe hétéro, initialement conviée, qui fait savoir à la chaine qu’il serait préférable, pour aborder un sujet concernant les lesbiennes, de faire appel à une lesbienne. Il m’est arrivé de patienter dans une loge, avant d’entrer en studio, en compagnie de plusieurs hommes. Je suis alors dans cette pièce la seule femme, la seule lesbienne, la seule à plancher, jour après jour, depuis des années, sur la PMA. Je suis aussi, pendant ce temps d’attente, la seule à bosser, à réviser mes chiffres, à préparer des notes. Certains, parmi les hommes invités, n’y connaissent rien mais cela ne les affole pas. Ils devisent, balancent une idiotie sexiste. »

Plusieurs pages plus tard, elle explique qu’elle a à plusieurs reprises été bâillonnée en tant que journaliste féministe et lesbienne. Alors qu’elle travaille pour 20 Minutes, elle doit faire un article sur la manière dont vivent et travaillent les journalistes depuis le 7 janvier 2015. Elle interviewe des reporters de BFMTV, de L’Express, de France 4, de France 3 Picardie, de La voix du nord, de La Provenceet Isabelle Germain, la rédactrice en chef des Nouvelles News, site d’info féministe.

Celle-ci souligne à juste titre qu’après les attentats survenus à la rédaction de Charlie Hebdo, les hommes étaient encore plus nombreux à être invités sur les plateaux télé. « La solliciter m’avait été reproché par ma hiérarchie. Elle y percevait un signe de mon « militantisme féministe et pro-LGBT ». Attester qu’en temps d’attentats ou de coronavirus les hommes saturent l’espace médiatique relève pourtant de l’information. », écrit-elle.

Tout comme Nadiya Lazzouni en a témoigné, Alice Coffin a elle aussi subi le manque de représentation, la coupant d’une partie de son identité. « Je suis passée à côté de dix ans de ma vie parce que je n’avais pas d’exemples de lesbiennes auxquels m’identifier. À cause de ceux qui confinent l’homosexualité à la sphère privée. Un quart des ados LGBT a déjà fait une tentative de suicide. L’absence de personnalités out en France a un lien direct avec l’écho donné à la haine de la Manif pour tous, le suicide des adolescents LGBT, le report systématique du vote de la PMA, les discriminations qui visent l’ensemble des minorités françaises et pas juste les homosexuels. « Familiarity breeds acceptance », disent les Américains. La familiarité engendre l’acceptation. Quand des politiques ont pour collègue un député gay, quand des journalistes ont pour consœur une reporter lesbienne, quand des sportifs ont un coéquipier homo, ils, elles hésitent avant de balancer une insulte homophobe. », analyse la journaliste.

Aujourd’hui, la question des représentations est essentielle. Et ça, les productions télévisées l’ont (plutôt) bien compris, proposant des contenus qui valorisent la pluralité et la complexité de chaque identité et qui tendent à distribuer les paroles restées jusque là sous les radars, à l’instar par exemple de francetv.slash, alors qu’elles soulignent et symbolisent les préoccupations et les enjeux actuels.

Pas uniquement de la nouvelle génération, même si forcément le renouveau militant impacte davantage la jeunesse. Qui s’en saisit comme le signalent Mathilde Larrère et Marie-France Malonga qui voient leur cours sur leur matière au prisme du genre se remplir au fil des années, surtout depuis MeToo. Toutes les deux le disent, le féminisme est de moins en moins perçu comme un gros mot, au contraire, aujourd’hui, il devient revendiqué par de nombreuses personnes.

Toutefois, la sociologue des médias le rappelle : « Militer ne doit pas être une injonction ! » À chacun-e son féminisme. Tout comme la femme guerrière et combattive ne doit pas être une injonction. À chacun-e ses forces et ses failles. Ne pas tomber dans une autre image unique. Il n’y a pas non plus de profil type de la militante féministe. Ça n’existe pas.

LES LIEUX DE POUVOIR ET DE DÉCISION, ENCORE DES BASTIONS MASCULINS

Du côté des pouvoirs politiques, ça rame encore cependant. Parce que la politique ainsi que le reste des lieux de pouvoir sont toujours pensé-e-s comme étant des mondes d’hommes, blancs, hétéros, cisgenres. Souvenons-nous la Une du Parisienlors du premier confinement, s’interrogeant sur le monde d’après, avec en photo 4 hommes blancs et vieux.

Ce n’est pas le seul exemple, malheureusement. Et ça, Alice Coffin en parle merveilleusement bien. Au début de son livre Le génie lesbien, elle raconte :

« « À poil ! » Ils sont députés, directeurs de théâtre ou de journal, ministres, grands intellectuels, grands artistes, grands savants, chefs d’entreprise, présidents de fédération. « Salopes ! » Dans les augustes salles de l’Assemblée nationale, du palais Brongniart, de la Maison de la Chimie, sous la coupole des Académies, ils déambulent, se tapent dans le dos, « Salut mon vieux, ça va mon vieux ? ». « Connasses ! » Les imprécations qu’ils lancent lorsque nous interrompons leurs tables rondes, leurs conférences, les racontent. « On veut voir vos seins ! » Ils hurlent, ils éructent. Ils sont furieux, hors d’eux. Ils ne sont plus entre eux. »

Cela fait maintenant 11 ans qu’elle a rejoint le collectif La Barbe, un groupe d’activistes déboulant dans les lieux de pouvoir où les hommes se réunissent en non-mixité, sans que personne n’y voit aucun mal, sans que personne ne hurle au communautarisme.

« Pendant nos interventions, nous posons, face au public, comme les hommes politiques des débuts de la IIIe République. Le regard fier, la barbe frémissante, avec, à la main, des écriteaux ornés des mots « Splendide », « Épatant » ou « Merveilleux », et un tract de félicitations dont le titre, très ironique, varie selon les circonstances. « Les substantifiques mâles » pour congratuler ces messieurs de la gastronomie, « Je veux que l’on soit homme », emprunté au Misanthrope, pour célébrer les quatorze auteurs et quatorze metteurs en scène au programme du théâtre de l’Odéon, « Citizen Ken » pour encenser les dirigeants de la presse quotidienne régionale. », poursuit la militante qui témoigne également des brutalités dont elles font parfois l’objet lors de leurs actions.

Malgré des avancées, les personnes sexisées ne sont pas encore prises en considération dans leur entièreté. Oui, la nomination de Kamala Harris en tant que vice-présidente des Etats-Unis est une heureuse nouvelle. Tout comme la réélection de Jacinda Ardem au poste de Première ministre de la Nouvelle-Zélande. Pareil pour Rose Christiane Ossouka au Gabon (premier mandat) et bien d’autres, à l’instar des pays nordiques par exemple. Ce sont là des exemples démontrant qu’elles peuvent accéder aux sphères de décision. Mais pour l’instant, elles restent minoritaires. 

TEMPÊTE DE MACHOS

En 1981, Yvette Roudy devient la première ministre des Droits des Femmes. On lui doit entre autre le remboursement de l’IVG et des lois concernant l’égalité professionnelle. Dans son livre Lutter toujours, elle explique « qu’un ciel de machos lui est tombé sur la tête ».

Elle se souvient : « Sans doute, dans l’ivresse heureuse des débuts de mon mandat, ai-je oublié un moment la puissance du machisme que nous affrontions. Une nouvelle loi, mon dernier grand chantier, allait pourtant me le rappeler. Et faire basculer notre ministère dans la partie la plus sombre de son histoire. (…)

La loi antisexiste devait permettre aux associations féministes de déposer plainte lorsqu’elles jugeaient qu’une publicité affichée sur la voie publique portait atteinte à la dignité de la femme. Raconter la vague de haine qui s’est abattue sur moi ne servirait à rien, mais il convient d’en prendre la mesure. Si tous, soutiens et opposants à la loi, étaient d’accord pour reconnaître l’image dégradante de la femme dans la publicité, sous couvert d’humour et de désir, le droit de réponse et les répressions qui pourraient s’ensuivre ont provoqué une levée de boucliers et de violences que je n’avais pas anticipée. »

Aujourd’hui, le combat du corps se poursuit et rejoint celui qu’Yvette Roudy avait commencé : « Je proposais d’arrêter d’utiliser le corps des femmes pour vendre des produits qui n’avaient rien à voir avec lui, et on me traitait de tyran qui menaçait la liberté d’expression, de puritaine réactionnaire. Et tout cela principalement depuis mes propres rangs idéologiques. (…)

Et le gouvernement qui me soutenait au départ m’a lâchée quand son électorat masculin s’est dressé vent debout contre moi. Il fallait abandonner la loi. Simone de Beauvoir m’a soutenue, les femmes de mon ministère aussi. Mais le Parti socialiste, à l’heure qu’il est, n’a toujours pas fait son mea culpa. »

Un regret pour celle qui croit en l’association féminisme et socialisme de Clara Zetkin. Priscilla Zamord le dit sans détour, rares sont les élu-e-s qui s’assument et s’affirment féministes, encore moins antiracistes. Sans doute de peur d’être étiqueté-e-s, jugé-e-s, réduit-e-s à leur militantisme. Ou aussi parce que : « On pense que c’est censé être inné quand on est de gauche. Mais non, en fait. » 

Pour l’ancienne ministre des Droits des Femmes, « il faut repartir de la base, repenser la politique autrement, dès ses fondements. Pour cela, je conseille aux jeunes générations non pas de faire du féminisme avec les outils traditionnels, pensés et créés par des hommes, mais plutôt de créer leurs propres outils. Le premier et le plus fondamental : un parti politique. » Une piste peut-être pour une révolution politique qui a pour le moment encore un peu de mal à décoller. 

« La plupart des révolutions sont ratées. Ce n’est pas grave. Il y a des choses qui restent mais il faut remettre des couches pour ne plus retourner en arrière. Peut-être qu’en politique, ça n’a pas encore fonctionné mais au niveau des mentalités, ça bouge. Les jeunes générations bénéficient d’une plus grande conscientisation féministe (et écologiste, ndlr). La brèche est ouverte. Autour de la bataille de l’intime, de l’égalité salariale, de la réflexion intersectionnelle… MeToo est devenu révolutionnaire.

Pas juste autour des violences sexistes et sexuelles, même si cela engage une réflexion profonde autour des problématiques salariales notamment (si on a autant de patronnes que de patrons, il y aura beaucoup moins de harcèlement, etc.), on prend conscience que les inégalités sont sociales et économiques. Durant la loi retraite, les femmes ont montré que cette loi serait plus catastrophique pour elles. Toutes les mesures ont des conséquences en terme de genre. C’est net. », analyse l’historienne, spécialiste des mouvements révolutionnaires, Mathilde Larrère.

Pour autant, les choses bougent. En novembre 2019, 250 acteur-ice-s du monde politique, associatif, artistique et militant appelaient à l’occasion des élections municipales un #MeToo des territoires. Sous cette appellation transparait la volonté de dénoncer les violences sexistes et sexuelles qui sévissent dans les sphères de pouvoir. Au sein des partis politiques, l’omerta subsiste.

En mars 2021, 150 élu-e-s, militant-e-s, collaborateur-ice-s, candidat-e-s aux élections régionales, parlementaires, responsables d’association et artistes ont à nouveau signé un manifeste sur le sujet, demandant la mise à l’écart des candidats accusés de violences à l’encontre des personnes sexisées. 

L’INTIME EST POLITIQUE

Si les lieux de décision et de pouvoir restent, aujourd’hui encore, des bastions de la virilité masculine, les féminismes sont éminemment politiques. Depuis plusieurs décennies, les militantes le disent : l’intime est politique. Le passage du privé au public, c’est ça qui brise les tabous, qui délie les langues, qui transforme l’expérience individuelle en vécu collectif.

Et celui des femmes, et plus largement des personnes sexisées, il se vit dans la chair. Dans le corps. Que ce soit à cause de la précarité et la pénibilité du travail, professionnel et domestique, et/ou que ce soit à cause des violences sexistes et sexuelles. On a relégué les femmes à la sphère privée et le corps, à l’intimité.

Non dans une volonté de pudeur, certainement pas. Il s’agit plutôt de dissimuler, cacher, taire tout ce qui attrait au corps. Le sang des menstruations, c’est dégoutant ! Les poils sous les aisselles et sur les jambes des femmes, c’est répugnant ! L’accouchement, gerbant ! Les tétons qui pointent sous le tee-shirt, provoquant ! Les vergetures sur les seins, les hanches et les cuisses ou encore la cellulite, c’est ragoutant !

Le corps des femmes est contrôlé. Épié. Scruté. Jugé. En permanence. Soumis au regard masculin qui soit le sexualise, soit le réduit à sa capacité reproductive. Et ce regard masculin est intégré aussi bien par les hommes que par les femmes, qui sont dépossédées de leur corps et de leurs connaissances à propos de celui-ci.

Se le réapproprier, ou se l’approprier tout court, est une bataille de longue haleine qui nécessite de déconstruire les injonctions qui pèsent lourdement sur nos épaules, nos bourrelets et nos capitons graisseux.

Ne pas porter de soutien-gorge. Tous les jours, de temps en temps ou dans certaines situations spécifiques. Ne pas s’épiler. Ne pas se maquiller. Ou ne pas se lisser les cheveux. Ou ne jamais mettre de jupe et de robe. Ne pas cacher son tampon dans sa main ou sa poche quand on va changer de protection périodique. O

ser dire « J’ai mes règles ». Exiger des professionnel-le-s de la santé des explications sur chaque examen effectué. Dire que non, ce n’est pas normal d’avoir mal avant ou pendant les menstruations. Explorer son corps et son sexe. Les caresser, les regarder dans un miroir (accompagné d’une lampe torche pour observer l’intérieur du vagin), tester, expérimenter. Pour savoir ce que l’on aime et ce que l’on n’aime pas. Nommer les différentes parties de notre sexe. Connaître nos cycles.

Ce sont là des exemples d’actions qui paraissent aujourd’hui plus abordables parce que les militantes féministes portent publiquement ces sujets-là depuis plusieurs décennies, incitant à réfléchir autour des taches assignées par le combot patriarcat-capitalisme et les moyens de nous en affranchir.

Cela ne veut pas dire que toutes les personnes sexisées doivent arrêter de s’épiler, de porter un soutien-gorge, se masturber, jouir, aimer le sexe, parler de leurs règles à table, ne pas désirer d’enfant, etc. Cela veut dire qu’en partageant, à travers les témoignages, les actions collectives, les débats, les expériences de cette féminité normative mais aussi les vécus et ressentis de féminités alternatives, les un-e-s et les autres peuvent s’en saisir pour rompre l’isolement, constater la pluralité des possibilités et s’émanciper de ces oppressions, si on le souhaite et de la manière dont on le souhaite.

L’espace privé et l’intimité sont des sujets politiques. Qui permettent de briser les tabous et de réfléchir individuellement et collectivement aux tenants et aboutissants des silences placés sur ces thématiques. Chacun-e peut s’en saisir. À son rythme. Mais il est important qu’on accède aux informations, que les paroles puissent circuler librement et que le choix soit donné et respecté.

Avoir la possibilité d’exprimer ce que l’on vit dans son corps (et dans sa tête) qu’il s’agisse des bouleversements du temps, des cycles menstruels, de l’endométriose, du cancer du sein, des conséquences et traumatismes de violences sexuelles, de fausses couches, de stress à l’idée que le fœtus ne soit pas viable, de la grossesse, dans les rapports sexuels, la ménopause, etc.

Ne pas se dire que sans soutien-gorge et avec mini-jupe un soir en ville, on prend des risques. Ne pas penser que parce qu’on ne veut pas d’enfant, parce qu’on n’allaite pas un enfant, parce qu’on ne prend pas de plaisir en faisant l’amour, parce qu’on n’a jamais joui, etc. on n’est pas normales…

Nos corps nous appartiennent mais un contrôle social a été imposé dessus. Nos désirs font désordre et court-circuitent parfois les assignations de genre. Aucune femme ne doit se sentir obligée de témoigner de son vécu. Aucune personne transgenre ne doit se justifier du sexe qu’elle a entre les jambes. Personne ne doit être entravée dans son corps et sa manière de vivre dedans et avec. L’intime est politique.

REPENSER LE MILITANTISME FÉMINISTE

Le renouveau féministe, Aurore Koechlin en fait état dans le livre La révolution féministe. Elle milite dans des collectifs depuis les années 2010, a effectué un master en Etudes de genre à Paris 8 puis en sociologie du genre et fait une thèse sur la gynécologie. Elle commence par intégrer un syndicat étudiant avant de se tourner vers des collectifs non mixtes.

Ce qui au départ devait être un article sur son parcours militant et autour de l’émergence d’une réflexion liant les questions de genre à celles de classe, de race, d’orientation sexuelle, et d’identité de genre est devenu un livre qui dresse un panorama politique et sociologique des années 70 à aujourd’hui, dans une dimension internationale et le contexte MeToo.

« C’est un ouvrage dans lequel j’interroge les stratégies à mettre en place pour ce mouvement naissant. C’est quoi le féminisme ? Pourquoi on se bat ? Et comment on se bat ? La difficulté, c’est que le féminisme s’est construit comme un mouvement très unifié dans lequel l’axe « Femme » était le plus important. Plus important que la classe, la race, etc. Aujourd’hui, il faut imposer ces questions dans l’agenda féministe. Il faut qu’on ait ce débat, qu’on pose ces questions. C’est important, notamment face à une loi comme celle sur le séparatisme. On ne doit pas laisser le féminisme être instrumentalisé. Féminisme et antiracisme sont au centre de ce débat. », nous explique-t-elle.

Dans le fait que le gouvernement s’approprie ce mouvement, elle y voit la puissance contestatrice : « C’est une façon de le pacifier que de l’intégrer au sommet de l’Etat. Après, pour obtenir concrètement l’application de certaines revendications, on ne peut pas totalement se détourner de lui. C’est là où pour moi il faut faire émerger clairement les revendications militantes. Le mouvement est actuellement très fort, c’est une lame de fond qui bouscule tout et qui pour cela est attaqué de toute part. Il est important de continuer ce mouvement et de le faire converger avec d’autres mouvements comme l’antiracisme, l’antivalidisme, etc. et les mouvements sociaux. »

Ce qu’elle défend, c’est de repenser notamment le travail reproductif et d’imaginer d’autres manières de s’organiser. Par les cantines collectives, les crèches collectives, par exemple. Pour faire sortir le travail domestique de son cadre genré et privé. Là aussi, les militantes le disent et le répètent : le privé est politique.

Parce que dans la sphère privée, on enferme les femmes, laissant penser que leur rôle consiste à faire et éduquer les enfants et à entretenir le foyer. Dans cette sphère-là, on tait les violences conjugales et familiales. Le privé est politique : on dénonce de plus en plus les blessures, les insultes, les viols, les menaces au sein du couple et dans les familles mais aussi l’enfermement domestique et maternel.

Toutefois, comme expliqué précédemment, chaque personne a le droit de souhaiter rester à la maison pour s’occuper des enfants, de la vaisselle, du ménage, etc. Le problème pointé dans le débat résidant dans le fait que cette personne est majoritairement et depuis longtemps de sexe et de genre féminin.

« Le premier confinement a démontré que le travail reproductif (domestique, éducatif, soins, etc.) est extrêmement dévalorisé dans la sphère privée comme dans le cadre du service public. Il est relégué au bas de l’échelle… Et là, il est apparu comme essentiel. C’est-à-dire comme un travail qui ne peut pas être confiné, qui ne peut pas être mis en pause.

On a pu constater que ce travail essentiel, il est majoritairement occupé par des femmes, racisées. Mais ça n’a duré que quelques semaines. Depuis, il n’y a pas eu de changement dans notre organisation sociale, pas de revalorisation malgré les promesses gouvernementales. Mais on ne repart pas de 0. Je crois malgré tout qu’il va en rester des traces. »

Et encore une fois, il est nécessaire d’investir les espaces de pouvoir. Sinon, on le voit, ces questions sont établies comme non prioritaires et c’est encore aux militantes de redoubler d’acharnement. Pour que la PMA soit enfin ouverte à tou-te-s sans laisser sur le côté les lesbiennes, les personnes trans, les femmes célibataires. Pour que le congé paternité soit une vraie mesure satisfaisante et appliquée et pas uniquement sur 7 jours obligatoires.

Pour que le délai légal d’avortement soit allongé de 12 à 14 semaines de grossesse. Pour que l’on fixe un âge décent au consentement sexuel. Pour que l’allocation aux adultes handicapés soit individualisée. Pour que les réunions en non mixité soient reconnues comme utiles aux personnes concernées. Pour l’autodétermination des personnes trans. Pour la gratuité des protections périodiques. Pour la dignité et le respect de toutes les personnes. 

UN POINT DE BASCULEMENT

Si Aurore Koechlin n’envisage pas que la révolution féministe soit encore advenue, elle précise néanmoins : « On pourra dire qu’il y a révolution, quand les bases plus profondes seront réorganisées. Les féminismes ont un aspect profondément révolutionnaire car ils touchent à tous les aspects de nos vies que ce soit vies privées ou vies publiques. Parler de ce que vivent les femmes, des minorités de genre, du système hétéro, de la masculinité hégémonique, etc. C’est là le pouvoir créateur du féminisme : développer d’autres possibles. On le voit par exemple dans la littérature SF (science fiction, ndlr)que les femmes investissent. Ça nous pousse à penser un autre monde ! »

Un monde dans lequel le « male gaze » n’est pas au centre… Pour Céline Extenso qui nous répond avec une note d’humour, pareil, nous sommes aux portes d’une révolution à venir :

« Je crois qu’elle n’a jamais été aussi proche. Nous sommes de plus en plus nombreuses à la rêver, avec la ferme intention de ne pas nous complaire dans le seul « rêve ». J’ai l’impression qu’on s’organise, qu’on s’entraide, qu’on fourbit nos armes comme jamais. Évidemment, on ne peut pas dévoiler tous les détails du plan maintenant, il faut garder un peu de surprise ! »

On parle là d’une révolution plus globale. Parce que la révolution féministe a bel et bien déjà commencé. Depuis plus de 150 ans, elle progresse et participe au changement des mentalités. Avec des flux et des reflux comme on l’a vu. Avec des périodes d’ébullition, des retours de bâton, des phases d’écoute, des phases de rejet. La société a affronté des crises qui ont à chaque fois impacté les droits des femmes.

 

Toujours le féminisme a rebondi et a permis des mobilisations aux ampleurs toujours plus grandes. Le mouvement avance et s’il demande une prise en compte des femmes à part entière, il doit aussi entendre la critique qui parvient des militantes racisées, handicapées, LGBTIQ+, etc. Pour que les spécificités des un-e-s et des autres ne soient plus vécues comme marginales et hors-normes et ne soient pas victimes de la reproduction des mécanismes de domination que le féminisme combat. 

Dans une interview accordée au magazine Antidote en octobre 2020, Lauren Bastide, journaliste féministe, créatrice et animatrice du podcast La poudre explique :

« Je pense que non seulement une révolution féministe va avoir lieu, mais aussi une révolution écologique, antiraciste, anticapitaliste et une révolution du genre, tout est intrinsèquement lié. J’ai l’impression que toute cette prise de conscience est en train d’avoir lieu.

Je pense qu’il y a de plus en plus de personnes qui comprennent que le combat d’Assa Traoré contre les violences policières rejoint le combat des féministes contre les violences faites aux femmes et contre le viol, rejoint le combat anticapitaliste contre la mainmise de 1% des êtres humains sur 99% des ressources mondiales, rejoint le combat écologique de Greta Thunberg. Tout ça, c’est la même histoire, une histoire d’oppression d’un tout petit nombre de dominant-e-s sur un nombre écrasant de dominé-e-s. Pour moi, si la révolution féministe a lieu demain, elle se fera par cette convergence-là. »

TROUVER NOS POINTS D’ALLIANCE

Combattre ce qui nous divise. Cela ne veut pas dire que nous devons penser tou-te-s de la même manière. Ou même ressentir de la même manière. Le rapport au corps diffère, tout comme la pression face aux injonctions diverge également. On ne place pas tou-te-s le curseur de la liberté au même endroit et ne vivons pas la même urgence à s’affranchir et s’émanciper de telle ou telle assignation.

En revanche, nous devons nous accorder pour fonder une société basée sur la dignité et le respect des êtres humains, autant que sur l’environnement. On a beau parler de solidarité féminine, la sororité est loin d’être innée chez les personnes sexisées. Tout simplement, parce qu’on ne l’a pas appris.

On nous a peut-être même bien inculqué le contraire. Les filles aiment les commérages et les coups dans le dos. Elles se jalousent et se critiquent. Meilleures rivales pour la vie. Un tas de conneries difficiles à contrer malgré tout. C’est sans doute là un enjeu crucial des féminismes. Briser les injonctions. Sans les remplacer par d’autres injonctions.

Briser le cercle de victimisation dans lequel on nous enferme régulièrement. Sans nier les inégalités, discriminations et violences que nous vivons spécifiquement. Briser la hiérarchisation des souffrances. Sans prendre la place et la parole de celles qui vivent des expériences différentes des nôtres.

C’est inspirant tout ce qui se passe actuellement au sein des féminismes. Fatiguant parfois mais surtout stimulant et enrichissant. Le 8 mars dernier, Rachida du Collectif Sans Papiers de Rennes rappelait :

« Nous migrantes, réfugiées, sans papiers, demandeuses d’asile, nous les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bis, trans, nous sommes parmi vous à l’appel international pour une grève féministe. Nous avons l’interdiction formelle de travailler pour survivre et pourtant nous sommes ici avec vous. » 

Son discours est puissant. Elle démontre l’importance de l’inclusion de tou-te-s dans les luttes féministes. Parce que nombreuses sont celles qui ont été oubliées, négligées, méprisées. Rachida demande aux militantes de les soutenir et d’être à leurs côtés dans leurs combats :

« Il ne nous suffit pas d’avoir une place parmi vous sur vos estrades militantes. Nous féministes prolétaires que notre courage de survivre a amené ici pour trouver refuge, nous nous sommes échappées des guerres produites par le patriarcat et le capitalisme de nos pays. Nos pays maintenus dans la misère. Nous venons chercher parmi vous solidarité et refuge. Quelque soit les barrières qui nous opposent, il est en notre pouvoir de les affranchir. (…) Tant que l’imbrication de la violence patriarcale et raciste ne sera pas vaincue, nous ne pourrons pas triompher ensemble.

Tant que la liberté des migrantes n’est pas prise de partout comme un combat général, nous ne pourrons pas être ensemble sur la place mais resterons divisées dans les maisons, les villes, les lieux de travail. C’est pourquoi le 8 mars nous nous joignons à vous, à la lutte des femmes, contre les violences, l’exploitation patriarcale, c’est pourquoi le 8 mars, nous demandons un permis de séjour illimité et sans conditions. Nous appelons tout le monde à soutenir cette demande. Faire du 8 mars un point de départ pour continuer cette lutte ensemble. De la force transnationale et la grève un instrument général ! Soutenez-nous, nous avons besoin de vous. »

Se soutenir. Avancer ensemble. Construire réflexions et stratégies à partir des récits et expériences des personnes concernées. Sans prendre leur place. Sans parler à leur place. Doris, travailleuse du sexe et trésorière du STRASS dont elle est la référente en Bretagne, et créatrice des Pétrolettes, association de développement communautaire, le formule parfaitement : 

« Nous vous donnons rendez-vous pour poursuivre ensemble la réflexion et les luttes et trouver ensemble des solutions à notre émancipation. La libération des travailleuses du sexe sera l’œuvre des travailleuses du sexe elles-mêmes. » 

Son discours analyse les rapports de domination hommes – femmes depuis le système féodal jusqu’à aujourd’hui. Le contrôle des femmes par les hommes. La protection offerte par les hommes aux femmes qui en échange offriront du travail gratuitement. Le viol comme arme de guerre pour détruire la crédibilité du protecteur. Le couple hétérosexuel et la famille comme seule garante de la sécurité des femmes, « alors même que la famille et le couple sont une des plus dangereuses (structures, ndlr) pour elles. »

SOMMES-NOUS DE MAUVAISES FÉMINISTES ?

Au quotidien, à chaque étape de la rédaction de ce dossier, à chaque point de vue controversé que l’on retransmet et diffuse, à chaque critique que l’on établit dans une réflexion globale de comment avancer ensemble, on se demande si nous sommes de mauvaises féministes. Pas que dans le cadre professionnel, d’ailleurs.

On se pose la question régulièrement dans nos vies privées. On ne sent pas toujours légitimes, on ne sent pas assez féministes. Et puis, un jour, Roxane Gay écrit et publie Bad feminist. Ça nous interpelle, on le lit et on respire.

« Le féminisme est imparfait, mais quand il est au meilleur de sa forme, il donne les moyens de naviguer dans les remous du changement de climat culturel. Le féminisme m’a certainement aidée à trouver ma propre voix. Le féminisme m’a aidée à me convaincre que ma voix avait de l’importance, même dans un monde où tant d’autres voix exigent qu’on les entende. Comment réconcilier les imperfections du féminisme avec tout le bien qu’il peut faire ?

À la vérité, ce mouvement est imparfait parce qu’il est dirigé par des gens, et que les gens sont imparfaits par nature. Pour une raison quelconque, en matière de féminisme, nous plaçons la barre à une hauteur déraisonnable, nous voulons qu’il remplisse toutes nos exigences et qu’il fasse toujours les meilleurs choix. », analyse-t-elle.

Elle poursuit un peu plus loin : « Le féminisme m’a apporté la paix. Le féminisme m’a donné des principes qui me guident dans mon écriture, mais je sais aussi que ce n’est pas dramatique quand je ne suis pas à la hauteur de la féministe idéale qui est en moi. Les femmes de couleur, les femmes queer et les femmes transgenres devraient être mieux intégrées dans le projet féministe. Les femmes de ces groupes ont été honteusement abandonnées par le Féminisme avec un grand F, et à de nombreuses reprises. C’est une vérité crue, et douloureuse. (…)

Mais on ne répare par une injustice par une autre. Les erreurs du féminisme n’impliquent pas que l’on doive le rejeter totalement. Nous ne sommes pas tous obligés de croire au même féminisme. Le mouvement peut être pluriel, à condition que nous respections les différents féminismes que nous portons en nous, à condition que nous nous en souciions assez pour tenter de réduire les fractures qui nous séparent. »

Et ce n’est là que l’introduction d’un ouvrage authentique, construit et libérateur. Comme il y en a plein, à l’instar des ouvrages de Mona Chollet et notamment Sorcières – la puissance invaincue des femmes mais aussi de la littérature féministe qui émerge dénonçant la charge mentale comme l’a si bien fait Emma ainsi que les violences gynécologiques et obstétricales, entre autres, et de nombreuses autres thématiques indispensables à l’évolution des mentalités. Et c’est pourquoi le travail sur le matrimoine et la valorisation des œuvres réalisées par des personnes sexisées, racisées, handicapées, trans, etc. est fondamental.

La thématique de l’éducation à l’égalité n’est pas un détail. Depuis les années 90, le marketing genré a envahit les rayons des magasins mais aussi les esprits. Le rose pour les filles, le bleu pour les garçons. On a beau lutter, les stéréotypes résistent. Dans Éduquer sans préjugés, Manuela Spinelli et Amandine Hancewicz, co-autrices et co-fondatrices de Parents & Féministes, décryptent les différences de traitement des filles et des garçons dans une société encore largement imprégnée de croyances et de constructions sociales patriarcales.

Dès la naissance, les pleurs des bébés sont analysés à l’aune du sexe de l’enfant, auquel on attribue toute une série d’assignations et d’attentes qui vont de pair. L’influence de ces injonctions est connue : elles entrainent des choix que ce soit dans les activités artistiques, sportives, dans les loisirs, dans la manière de s’habiller, d’interagir avec son environnement mais aussi dans le cursus scolaire et l’orientation professionnelle. 

DES EXISTENCES EFFACÉES, NÉGLIGÉES

Sans oublier qu’en occultant plus de la moitié de l’humanité de l’Histoire, on l’invisibilise. Quelle place dans la société peut-on s’octroyer quand dès les premières années de construction personnelle, on ne se voit pas à la télévision, dans les émissions d’actu et de débat mais aussi dans les films et les séries, dans les récits littéraires, les BD, les peintures exposées dans les musées, etc. ?

Quelle histoire nous est donnée à voir et à entendre lorsque l’on aborde les périodes de colonisation ? De quels points de vue situe-t-on ces récits, notamment en matière de décolonisation ? Dans les manuels scolaires, aucune place n’est attribuée aux groupes oppressés.

Depuis 2001, une loi oblige les établissements scolaires à dispenser des cours autour de la vie sexuelle et affective dans sa globalité, et sa pluralité, chaque année. Pourtant, ils sont majoritaires à ne pas le faire. Depuis 2017 seulement, on représente dans son anatomie complète le clitoris pour les classes de seconde.

Dans un seul manuel de SVT. Deux ans plus tard, cinq manuels sur sept le représentent. Entre temps, en 2018, Mme de Lafayette devient la première femme de lettres, décrite comme « la première plume féminine » dans certains médias, à être étudiée au programme de Terminale L en vue des épreuves du baccalauréat.

Dans les livres d’histoire, on parle rapidement d’Olympe de Gouges et de Simone Veil. Qu’en est-il de toutes les autres ? De toutes celles qui ont marqué les arts et la culture, les sports, la politique, les sciences, etc. ? N’ont-elles pas mérité d’être étudiées ?

Depuis plusieurs années, des livres entiers s’écrivent sur toutes ces femmes et elles sont nombreuses. Elles sont citoyennes, avocates, chirurgiennes, navigatrices, pilotes, footballeuses, étudiantes, militantes, lesbiennes, transgenres, intersexes, atteintes d’endométriose, grosses, minces, maigres, anorexiques, boulimiques, handicapées mentales, en fauteuil roulant, au chômage, mères de famille, juives, musulmanes, catholiques, athées, criminelles, violentes, cuisinières, artistes, journalistes, scientifiques, noires, arabes, asiatiques, non binaires, apatrides, orphelines, bourgeoises, prolétaires, ouvrières, femmes de ménage, caissières, diplomates, élues, ministres, polyamoureuses, dessinatrices, travailleuses du sexe, enseignantes… Elles sont plurielles.

Elles ont des parcours atypiques, des parcours dits classiques et linéaires. Elles ont fait des découvertes scientifiques, dont elles ont été dépossédées, elles n’ont pas voulu d’enfant, elles ont subi des violences, elles ont combattu les discriminations, elles ont été incarcérées pour des crimes qu’elles ont commis, elles n’ont jamais obtenu justice, elles ont fait de leur corps une arme de déconstruction, elles ont des tatouages, iels ne se reconnaissent pas dans le pronom féminin, iels veulent un langage plus inclusif, iels exigent un enseignement incluant des modèles variés et réalistes, mêlant les origines, les couleurs de peau, les points de vue, les handicaps, les orientations sexuelles, les identités de genre, les possibles.

Parce qu’il s’agit là de l’histoire d’une évolution. D’une évolution des mentalités face à des personnes qui ont toujours existé mais n’ont pas toujours eu l’espace nécessaire pour parler en toute sécurité et encore moins l’écoute adéquate. 

Il y a le besoin de s’identifier mais aussi le besoin de découvrir. Dans un cadre sécurisé et bienveillant. Pas dans un contexte où on exclut les personnes handicapées du cursus dit classique, où les enfants découvrent qu’ils/elles sont noir-e-s parce que les autres se moquent et les insultent, où les mères qui portent le voile n’ont pas le droit d’accompagner les sorties scolaires, où on interdit aux filles l’accès à l’établissement parce que leurs tenues sont considérées comme « non républicaines » et où une fille transgenre a peur de porter des robes parce que l’école ne la reconnaît pas dans son genre.

C’est le cas de Sasha, 7 ans, dont le combat qu’elle porte avec sa famille a été filmé dans le documentaire Petite fille, de Sébastien Lifshitz. Elle est bouleversante, cette enfant qui doit vivre le déni de l’institution face à sa transidentité et le rejet du conservatoire qui refuse qu’elle s’habille comme les autres petites filles.

Accompagnée et soutenue par ses parents et ses frères, ainsi que la pédopsychiatre, Sasha fait bouger les lignes et heureusement, obtient des avancées. De cette diffusion - sur Arte en début d’année et désormais sur Netflix – émerge une nouvelle prise de conscience. 

Petite fille constitue un témoignage, une lutte familiale qui mérite d’être portée par le collectif. C’est une partie du récit concernant la transidentité. Car là encore, les parcours diffèrent et les difficultés montrées dans le film ne sont pas exhaustives et ne sont pas les mêmes d’un-e individu à l’autre.

L’histoire racontée dans la BD Appelez-moi Nathan, signée Catherine Castro et Quentin Zuttion, n’est pas la même que celle relatée dans Je suis Sofia, de Céline Gandner et Maël Nahon. L’éducation à l’égalité est fondamentale pour favoriser l’inclusion sans effacer les différences. Pour que chacun-e trouve sa voix et sa place. Son chemin d’émancipation.

Et pour cela, l’information - et son accès, surtout - est un enjeu capital dans la transmission. On peut par exemple suivre le compte instagram de la militante Lexie, agressively_trans, dont le livre Une histoire de genres – Guide pour comprendre et défendre les transidentités a été publié en février dernier. 

NE PAS HIÉRARCHISER LES VÉCUS ET LES COMBATS

Nous ne portons pas tou-te-s les mêmes combats au sein de la lutte contre les inégalités et les discriminations. Les féminismes ne sont pas une exception. À l’intérieur de ce mouvement polymorphe, il est important de s’écouter et de se respecter. Sans hiérarchiser.

Comme le disent Mathilde Larrère et Aurore Koechlin, il est plutôt sain que les différents sujets portés soient débattus, rabattant parfois les cartes des luttes et des stratégies à mener. Tant que les critiques sont constructives et qu’elles amènent à faire évoluer les réflexions. On aime le discours d’Alice Coffin à ce sujet.

Dans une interview accordée à National Geographic, elle répond à la question « Quel est le plus grand défi pour les femmes aujourd’hui ? » :

« Se Soutenir. Faire bloc face à l’adversité. Cela requiert de se battre pour les femmes de minorités particulièrement opprimées. Les femmes migrantes, racisées, lesbiennes, précaires, toutes celles qui, en plus du sexisme structurel et quotidien, affrontent d’autres violences et discriminations. Mais cela implique, aussi, d’éviter toute critique publique envers d’autres femmes en position de pouvoir. C’est un exercice difficile, car certaines n’agissent pas en féministes, mais il me semble indispensable, si nous ne voulons pas entretenir la misogynie. Concentrons, en public, nos attaques contre les hommes. »

On sait, on voit déjà de nombreuses personnes grimacer à la lecture de cette dernière phrase. « #NotAllMen », peut-on souvent lire en commentaire des articles ou post qui parlent des féminismes. Elles sont perçues comme radicales celles qui parlent des hommes et des violences masculines. Tout comme les militant-e-s antiracistes qui brandissent #BlackMatterLives et qui se voient rétorquer que TOUTES les vies comptent. Encore une fois, on nie le côté systémique des violences sexistes et sexuelles et des violences racistes. 

Les féminismes regorgent de force, de détermination, font place à des cheminements individuels et collectifs, amènent à repenser ce que nous voulons pour nous et celles et ceux qui nous entourent. Les féminismes mènent des révolutions multiples qui ne concernent pas uniquement les femmes mais globalement le monde dans lequel on vit.

Les rapports sociaux, environnementaux, économiques, politiques, et la manière dont ils sont traités dans toutes les sphères de la société. À présent, le mouvement même se renouvelle à travers les critiques qui lui sont faites dans la façon de prendre en considération les voix et les points de vues des groupes dits minoritaires. Une révolution dans la révolution. 

Se libérer de l’universalisme est un enjeu féministe du XXIe siècle. Ecouter, prendre en compte, agir ensemble mais sans prendre la place des concernées. Sororité avec les femmes sans papiers, les femmes sans domicile, les femmes travailleuses du sexe, les femmes racisées, les femmes voilées, les femmes détenues, les femmes handicapées, les personnes non binaires, les personnes trans, les lesbiennes, les personnes intersexes, les femmes qui ne veulent pas d’enfant…

Il reste encore de nombreux sujets qui cristallisent encore les divisions et les impensés au sein du mouvement féministe. Poser des questions, interroger la famille traditionnelle, repenser les rapports au corps et leur monétisation, mettre au travail la question des privilèges, oui, des discussions peuvent avoir lieu, des débats sont nécessaires.

Mais ce qui est inenvisageable, c’est de laisser ces personnes sur le côté sous prétexte qu’elles ne conviennent pas à nos modes de pensée, à nos idéologies militantes. Sinon, on reproduit les mécanismes de domination que le patriarcat a instauré, tout comme le capitalisme, le racisme, etc.

On peut ne pas être d’accord mais on doit s’unir dans l’adversité malgré les dissensions, sans se juger et se lyncher. Le 8 mars dernier, l’association déCONSTRUIRE partageait sur sa page Facebook un extrait de La parole aux négresses, écrit par Awa Thiam en 1978 et qui résonne encore aujourd’hui :

« La solution aux problèmes des femmes sera collective et internationale. Le changement de leur statut sera à ce prix ou ne sera pas. Que l’on veuille bien jeter un coup d’œil sur l’histoire de la condition féminine. Parcourue ou illustrée de luttes, elle n’a guère cessé d’évoluer, mais à une allure telle qu’il apparaît que les femmes qui luttent pour leur libération et corrélativement pour celle de leurs sociétés entreprennent une lutte de longe haleine. En d’autres termes, nous dirons qu’il s’agit non d’une course de vitesse mais d’une course de fond. Que les femmes s’arment en conséquence pour la mener à bien. »

NOUS SOMMES FORTES, NOUS SOMMES FIÈRES…

La révolution féministe a lieu depuis longtemps. Elle est plurielle. Il nous faut reconnecter les histoires du passé aux luttes actuelles. Comprendre l’impact de ces histoires erronées, partielles. Parce qu’elles ont été écrites par les hommes pour les hommes, nous avons besoin de les explorer pour savoir d’où nous venons et d’où viennent les autres. Nous avons besoin d’entendre les voix des groupes oppressés pour pouvoir davantage appréhender leurs vécus et leurs ressentis.

Et prendre en compte les besoins. Considérer les personnes sexisées dans toute leur complexité. Parce que les assignations nous divisent, nous opposent et nous blessent. Les féminismes sont des outils individuels et collectifs pour construire un projet de société affranchi des systèmes de domination. Une utopie ? Peut-être ! Pas tant que ça…

Quand on voit les avancées sur quelques dizaines d’années, à l’échelle de l’humanité, c’est un tour de force magistrale. Ce sont des personnes sexisées et racisées que toutes ces victoires sont survenues. Avec les réseaux sociaux, on assiste à une explosion des initiatives, comptes, chaines proposant d’autres discours, d’autres façons de penser, d’autres modèles.

Les militantes prennent leur place et prennent la parole, à travers les podcasts notamment, outil incontournable de la reconquête de l’espace médiatique et de la déconstruction des codes et des normes. De plus en plus, elles occupent l’espace public, et elles sont de plus en plus nombreuses.

Elles appellent à combattre les féminicides mais aussi les violences policières et les lois rétrogrades. Les mots résonnent dans le mégaphone mais pas seulement. Ils sont aussi pochés sur les trottoirs, tagués sur les ponts, collés sur les murs des villes. Impossible de passer à côté.

On peut toujours détourner le regard, tourner la tête, nos yeux ont balayé les mots du regard et ils ne sont pas faciles à effacer. Et tandis que l’on rentre chez nous, à la lumière déclinante du jour, les ombres du patriarcat surgissent sous nos pas nous murmurant de raser les murs et de presser nos foulées. Alors, dans la tête, on entonne une ritournelle qui nous accompagne et nous donne le sourire :

« Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… NOUS SOMMES FORTES, NOUS SOMMES FIÈRES, ET FÉMINISTES ET RADICALES ET EN COLÈRE… Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère… »

Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’on fait ce qu’on peut. Ça veut dire qu’on fait ce qu’on veut. Et que allié-e-s à nos adelphes d’hier, d’aujourd’hui et de demain, à travers le monde entier, nous allons compter ! Nous comptons déjà ! 

Tab title: 
La révolution sera féministe ou ne sera pas !
Féministes, tant qu'il le faudra !
Déferlante médiatique
Ça secoue !
Misandrie, vous dites ?

Célian Ramis

Consentement : ras la vulve

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En 2020, la notion de consentement n'est toujours pas claire et ce trouble alimente la culture du viol. Le consentement est pourtant le garant de la liberté individuelle et du partage entre individus. Enquête.
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Il y a énormément d’éléments de nos quotidiens que l’on peut interroger à l’aune du consentement. Car cette question concerne tout le monde. N’importe qui peut ressentir à un moment donné que son consentement n’a pas été respecté.

Mais majoritairement, il apparaît que les femmes, les personnes LGBTIQ+, les personnes racisées ou encore les personnes handicapées subissent l’absence carrément de la prise en considération de leur consentement. Celui-ci est totalement bafoué. Nous avons donc décidé dans ce dossier de décrypter le consentement à travers le prisme des féminismes.

Dire à une femme qu’elle est frigide, qu’elle est trop grosse, pas très désirable. Lui répéter. Pour obtenir un rapport sexuel avec elle. C’est un concept… Et pourtant, les remarques dévalorisantes et les pressions dans l’intimité d’un couple hétérosexuel ne sont pas si inhabituelles que ça. En témoigne l’enquête #JaiPasDitOui sur le consentement sexuel, réalisée par le collectif Nous Toutes.

Quand on tire le fil du consentement, pour essayer de trouver la source d’une telle problématique, on se retrouve enseveli-e-s sous les bobines de laine (de verre). Le consentement face aux médecins et aux gynécos, le consentement face aux figures d’autorité, le consentement social, le consentement sexuel… le consentement des femmes.

Il résonne comme un acquis au sein d’un vase clos : les femmes sont objets plutôt que sujets. Et aux objets, on ne demande pas leur avis, ni leur consentement. Inutile de préciser qu’à l’intérieur, ça bouillonne et que le bouchon s’apprête à sauter. 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Cette phrase, on l’entend parfois de nos parent-e-s, de nos professeur-e-s, de nos patron-ne-s, etc. Des personnes qui ont autorité, pour nous contraindre à faire quelque chose qu’on n’avait pas prévu, pas spécialement envie non plus, de faire. Passer le week-end chez tante Ursule, préparer un exposé sur Nietzsche, envoyez les cartes de vœux aux partenaires de l’entreprise… On se conforme. Même si sur le coup, c’est douloureux et qu’on préférerait faire autre chose et être ailleurs, on ne reste pas traumatisé-e-s à vie (excepté peut-être pour l’exposé sur Nietzsche). 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Sortir boire des verres avec des potes alors que ce soir-là, on est crevé-e-s, on n’a pas la force. Mais c’est l’anniversaire de Gaby. C’est pour la bonne cause. Passer sa journée de congé à s’occuper de son petit neveu parce que la nounou est malade et que ses parents travaillent alors qu’on rêvait de ce jour pour glander à la plage. Ça dépanne. Aller en vacances en Asie plutôt qu’en Amérique du Sud parce que cette fois c’est l’autre qui choisit, l’an dernier c’était vous. On fait des compromis, par politesse, par envie de faire plaisir, par équilibre. Et les conséquences n’en sont a priori pas désastreuses. 

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Sucer son mec parce qu’il insiste à coup de « allez, nan mais allez stp, tu vas pas me laisser comme ça quand même ?! Ça fait un mois qu’on n’a rien fait. ». Aller chez l’esthéticienne tous les mois pour se faire épiler parce que sinon on va attirer les regards et des remarques de dégoût. Amener les mômes à l’école, aller au boulot, aller faire les courses, ramener les mômes de l’école, vérifier que leurs devoirs sont faits, les mettre dans le bain, préparer à manger, coucher les mômes, prendre son téléphone et voir le message « T’es dispo ce soir ? On va boire un verre pour l’anniversaire de Gaby », penser « Je veux y aller », répondre « Désolée pas ce soir, je suis vannée, je me lève tôt demain, j’ai les cartes de vœux à envoyer aux partenaires de la boite. Une autre fois. », recevoir en réponse « Allez, mais viens ! Allez ! », s’endormir en culpabilisant.

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». Aller porter plainte au commissariat pour agression sexuelle. « Vous portiez une jupe dans ce style ? Aviez-vous bu ? Combien de verres ? Êtes-vous allée chez lui de votre plein gré ? Vous êtes-vous débattue ? Oui, non, c’est simple quand même, vous devez bien savoir si vous avez dit oui ou non. » Rentrer chez soi, honteuse, en culpabilisant. Au supermarché, à la caisse, la personne derrière vous vous aborde : « Vous voulez de l’aide ?» Vous répondez non. La personne prend quand même votre panier et place vos achats sur le tapis. Vous soufflez d’énervement. Tout le monde vous regarde, étonné-e-s que vous n’acceptiez pas l’aide d’autrui alors que vous êtes en fauteuil roulant.

« On ne fait pas toujours ce qu’on veut dans la vie ». À l’hôpital, on vous parle d’une opération bénigne. Vous ressortez le soir même, on vous a avorté et stérilisé pendant votre sommeil, sans information ni accord au préalable. Vous étiez enceinte de 5 mois. Lors du séminaire à Paimpol, J-B se glisse dans votre lit, vous faites semblant de dormir, il vous caresse la poitrine, la vulve et vous pénètre. 

Ne pas dire oui. Ne pas dire non. Ne pas avoir la possibilité de dire oui ou non. Ne même pas savoir que l’on a la possibilité de dire oui ou non. Dire non et ne pas être respectée dans de ce non, qu’il ait été dit d’une voix franche ou fluette, d’un geste de la main ou d’un silence. Qui ne dit mot consent, c’est une énorme connerie. Le consentement libre et éclairé, c’est un apprentissage. Toutefois, celui-ci n’est pas inculqué aux filles et aux femmes. Elles doivent être consentantes, comprendre ici passives. Point. Fin du débat. Faire plaisir, c’est leur truc.

PREMIÈRE ÉTAPE : CHIFFRER

9 femmes sur 10 déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel. Dans 88% des cas, ça s’est produit plusieurs fois. Pour 1 femme sur 6, l’entrée dans la sexualité se fait par un rapport non consenti et désiré. Pour 36% de ces répondantes, ce rapport a eu lieu avant leurs 15 ans. 74,6% des répondantes ont déjà demandé à arrêter un rapport sexuel en cours.

Pour 38,2% de ces répondantes, il est arrivé que le rapport se poursuive malgré leur demande d’arrêter. Au total, cela représente 27% des répondantes. Plus d’une répondante sur deux (53,2%) déclare avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’un rapport sexuel avec pénétration non consenti. 2 femmes sur 3 déclarent avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’actes sexuels non consentis, avec ou sans pénétration. Pour 64,8% d’entre elles, c’est arrivé plusieurs fois au cours de leur vie.

Déjà, ça brûle les yeux et ça fait disjoncter le compteur. On voudrait s’arrêter là, fermer à tout jamais cette synthèse des résultats publiée par Nous Toutes. Mais la prise de conscience est essentielle à la déconstruction des idées préconçues néfastes et nauséabondes.

Le 7 février dernier, le collectif féministe lançait une grande enquête, composée de 30 questions, sur le consentement dans les rapports hétérosexuels. En dix jours, ce sont plus de 100 000 personnes qui y ont répondu. L’analyse, basée sur 96 600 femmes répondantes, indique des chiffres effarants.

Nous en avons cité quelques-uns précédemment. Ils sont parlants. Ils sont effrayants. On poursuit la lecture. 49,1% des répondantes déclarent avoir déjà entendu des remarques dévalorisantes sur le fait qu’elles n’avaient pas envie d’avoir des rapports sexuels. 81,2% des femmes rapportent des faits de violences psychologiques, physiques ou sexuelles au cours de rapports sexuels avec un ou plusieurs partenaires.

« Les réponses à l’enquête #NousToutes montrent également que les femmes qui commencent leur vie sexuelle par un rapport non désiré et consenti sont bien plus souvent confrontées à des violences dans leur vie sexuelle. »
indique la synthèse. 

UN ENJEU FONDAMENTAL

Le consentement. Ce merdier. Ce truc rabat-joie. Cette notion anti-plaisir. Et puis, cette confusion. Les femmes disent « non » mais pensent « oui ». Elles disent « pas ce soir » mais en insistant un peu, elles disent « ok ». Elles aiment bien se faire désirer. Parfois même, elles en profitent. Elles allument les gars et puis, elles les plantent au dernier moment. C’est pas fair play du tout, ça. On ne peut pas laisser un mec en rade, merde !

La moindre des choses, c’est au moins une petite pipe dans les chiottes du bar et voilà, ça détend, ça met bien. Parce que s’il reste comme ça le gars, la queue bien dressée entre les jambes et la frustration au maximum, il risque de s’en prendre à une autre femme, qui elle n’aura rien demandé. Ce serait pas juste, hein. Faut pas laisser un mec en branle. Un mec, ça a des besoins que les femmes n’ont pas. 

Ça fait froid dans le dos mais ce raisonnement, ou des bribes de ce raisonnement, est monnaie courante dans la société. Le consentement, ça emmerde les gens. Particulièrement quand on le regarde à travers le prisme de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le mot en lui-même semble chargé. Parce qu’il demande une réflexion profonde autour de l’identification et l’affirmation de nos propres désirs, face à nous-mêmes tout d’abord et ensuite face à autrui (un-e patron-ne, un-e collègue, un-e ami-e, un-e membre de la famille, un-e partenaire, etc.) mais aussi une réflexion profonde autour du contexte dans lequel on se trouve lors de l’expression de ce consentement.

La notion est bien plus complexe que dire oui ou dire non dès lors que des rapports de domination s’immiscent dans le processus. Et c’est là que la problématique prend sa source. Dans une société où s’expriment très ouvertement et où gouvernent les pensées patriarcales, capitalistes, racistes et post coloniales, comment pouvons-nous parvenir à faire entendre nos voix ?

C’EST QUOI LE CONSENTEMENT ?

Le collectif Nous Toutes reprend la définition de Nathalie Bajos, chercheuse à l’Inserm : « Consentir, c’est s’engager dans une relation ou des pratiques sexuelles lorsqu’on en a véritablement envie soi-même. » Sans oublier l’enthousiasme dont parle la journaliste Maïa Mazaurette.

« Au lieu de demander après la relation sexuelle (donc trop tard) si l’autre a aimé, il s’agirait de demander avant et pendant, si l’autre aime encore et va continuer à aimer (car rappelons-le, on peut changer d’avis au milieu d’un rapport – en sexualité, personne ne vous oblige à finir notre assiette) », écrit-elle dans une chronique en 2017. 

Marie est engagée dans le mouvement Nous Toutes et a participé à l’élaboration et l’analyse de l’enquête. Dans la notion de consentement, elle évoque plusieurs éléments à prendre en compte :

« Pour moi, le consentement, c’est avoir envie d’avoir le rapport dans lequel on s’engage. D’être enthousiaste par rapport à ça. Pas de le faire par défaut. Il faut une vraie envie, un vrai désir. Et pas de l’abnégation. C’est un premier point important. L’autre point très important également, c’est que le consentement vaut pour un instant T. Ce n’est pas parce que j’ai consenti à un rapport sexuel il y a 15 jours que je suis encore consentante aujourd’hui. On peut dire oui pour une chose mais pas pour une autre. Et on peut interrompre l’acte.»

Sans oublier l’importance de la pleine conscience et la pleine connaissance. Et de la liberté :

« Pas sous alcool par exemple ou sous la pression, sous la menace, sous la contrainte. Une femme victime de violences conjugales, elle va peut-être dire oui à son conjoint mais elle n’est pas dans un contexte de liberté. »

Dans La belle au bois dormant, la princesse Aurore ne dit pas non au baiser du prince. Elle dort. Et ça ne choque pas la majorité de la population. 

C’EST COMME UNE TASSE DE THÉ

Voyons cela sous un autre angle. Obligeriez-vous quelqu’un-e à boire une tasse de thé ? Analysons les possibilités. Vous proposez à une personne du thé. Celle-ci est trop contente, elle accepte avec plaisir et enthousiasme. Vous lui préparez donc du thé. Elle en veut toujours, parfait, elle boit son thé. Elle n’en veut plus, c’est peut-être frustrant pour vous mais la forcez-vous à boire sa tasse ?

Si au départ, elle répond qu’elle ne sait pas. Vous pouvez peut-être préparer le thé en ayant bien en tête que la personne choisira elle-même si oui ou non, elle boit sa tasse. Et si elle vous dit non dès le début, la forcez-vous à boire son thé ? Si elle est inconsciente, la forcez-vous à boire son thé ? Si avant d’être inconsciente, elle vous a dit qu’elle en voulait mais que le temps de préparer, elle s’est endormie, la forcez-vous à boire ? Si avant de s’endormir, elle a commencé à boire son thé, la forcez-vous à continuer alors qu’elle est inconsciente ?

Ça ne veut pas dire qu’elle en veut tous les jours. Ça ne veut pas dire qu’elle n’en veut jamais. Ça veut juste dire qu’à ce moment-là, elle en a voulu ou pas voulu. « Si vous arrivez à comprendre à quel point c’est complètement ridicule de forcer quelqu’un à boire du thé quand il ne veut pas, alors pourquoi ce serait si dur de comprendre ça quand il s’agit de sexe ? Que l’on parle de thé ou de sexe, c’est pareil, le consentement est clé. », conclut l’excellente vidéo Tea consent, réalisée par Blue Seat Studios, diffusée par Nous Toutes lors des nombreuses formations dispensées à des dizaines de milliers de personnes en France pendant et à la sortie du confinement.

L’analogie est simple, accessible, efficace. Ne pas comprendre relève d’un niveau supérieur de mauvaise foi. On pourrait s’arrêter là. Pourtant, il n’est pas si évident dans nos vies d’identifier et d’affirmer nos envies et désirs. Dans le livre La charge sexuelle, écrit par Caroline Michel et Clémentine Gallot, les deux journalistes rapportent les résultats parus en octobre 2019 de l’étude du chatbot Jam, effectuée auprès de jeunes français-es âgé-e-s entre 15 et 25 ans :

« Seul-e-s 10% se considèrent suffisamment sensibilisé-e-s au consentement et 68% reconnaissent que « les limites du consentement ne sont pas assez précises et claires. » » Elles ajoutent à la fin de l’encadré : « Un doute ? Mieux vaut vérifier et poser directement la question. Non, le consentement n’est pas un frein au désir (surtout s’il est murmuré à l’oreille). C’est une affaire de politesse, et surtout c’est la loi. »

PAS DE SURPRISE…

La définition du consentement est simple dans la théorie mais son application indique que dans les faits, ça ne l’est pas du tout. Le décalage interroge. « Il y a des éléments d’informations qui commencent à sortir. Mais surtout, en discutant avec des militantes, en écoutant certains témoignages au sein du collectif, on s’est dit qu’il y avait un enjeu assez fort. Mais le sujet est encore tabou, il n’est pas très chiffré, il n’y a pas beaucoup de données encore. Alors, on a décidé de lancer une enquête. », explique Marie, du mouvement Nous Toutes.

Elle poursuit : « On savait qu’il y avait un gros sujet. Quand on arrive au chiffre de 9 femmes sur 10 (qui déclarent avoir fait l’expérience d’une pression pour avoir un rapport sexuel, ndlr), on voudrait se dire qu’on est surprises, mais malheureusement non. Entre nous, on le savait mais là, l’enquête permet de parler de ce constat terrible dans les médias. Elle permet de mettre le sujet sur la table. »

Et d’élargir le sujet du premier symptôme à la propagation exponentielle de cette abomination qu’est la culture du viol. Parce que tout est lié. La femme est un objet, son rôle est de satisfaire les besoins de son mari et d’enfanter. Un réceptacle à pénis et à sperme, en somme, comme nous dira la journaliste Giulia Foïs.

La vision est archaïque mais nous en sommes encore là. La preuve, s’il en faut encore, avec la nomination de Gérald Darmanin en juillet 2020 au ministère de l’Intérieur. Accusé de viols, il fait l’objet d’une enquête judiciaire en cours, ce qui n’est visiblement pas incompatible avec la fonction de chef de la police. Pour un tout autre motif, il n’aurait jamais été un candidat potentiel ou aurait été démis de ses fonctions. 

Le paradoxe est assommant : d’un côté, l’égalité femmes - hommes soi-disant grande cause du quinquennat, de l’autre, la défense d’un homme accusé de viol qui « au demeurant est un bon ministre », tout comme Roman Polanski est un artiste de génie, voilà pourquoi malgré les nombreuses accusations de pédophilie, il reçoit le 28 février 2020 le César du meilleur réalisateur.

Le 30 janvier de cette même année, la journaliste Giulia Foïs se fend d’une chronique sur les ondes de France Inter, à la suite de la publication d’un sondage IFOP, révélant que 1 français sur 5 pense encore qu’un non veut dire oui. Elle rappelle alors que « hocher la tête, ce n’est pas forcément oui » et interroge :

« Qu’est-ce que le consentement, quand il n’est ni libre, ni éclairé ? Il ne l’est pas quand on est soûle ou droguée, il ne l’est pas quand on est une gamine, face à un adulte, il ne l’est pas face à son entraineur, quand on est un espoir du patinage artistique. Il ne l’est pas non plus face à un réalisateur, quand on est une actrice en devenir, et toujours pas face à un baron d’Hollywood entouré de ses molosses. »

Les références à l’actualité sont nombreuses, elle parle Vanessa Springora qui dans son livre Consentement décrit minutieusement comment à 14 ans, elle a dit oui à l’écrivain quinquagénaire Gabriel Matzneff, pourtant rongée par le non et le dégout.

Mais aussi de Sarah Abitbol, d’Adèle Haenel, de toutes celles qui ont dénoncé les violences sexuelles infligées par Harvey Weinstein et de toutes les autres. Les centaines de milliers de femmes qui chaque année subissent des violences sexistes et sexuelles, comme le harcèlement, l’outrage sexiste, les agressions sexuels ou encore le viol.

Parce qu’elles sont des femmes, parce qu’elles sont handicapées, parce qu’elles sont racisées, parce qu’elles sont lesbiennes, parce qu’elles sont trans, parce qu’elles sont tout ça à la fois, parce qu’elles étaient à cet endroit à ce moment-là. Ça peut être un membre de leur famille, un ami, un collègue, un médecin, un partenaire, un mec rencontré en soirée, un patron, ça peut aussi être un inconnu, plus rarement.

Giulia Foïs continue : « Parce qu’une femme qui dit non, en fait, elle veut juste dire non… (…) ça n’est pas très compliqué, on pourra se faire des nœuds au cerveau sur la valeur d’un oui ou la force d’un non mais chut… Il suffit d’écouter, et d’écouter vraiment ce corps, qui parle. Celui de l’autre. Celui qui nous dit qu’il existe et qu’il veut, ou pas, de nous. L’entendre est une sexualité, le nier est une violence. Point. Pas besoin d’appli pour ça. Des cuisses qui se ferment, un souffle qui se tend, une bouche qui se crispe, ça n’est pas tout à fait le signe d’un plaisir partagé. » 

JUGÉES COUPABLES… 

Le corps. Celui qui nous dit qu’il existe. Depuis longtemps, on contraint les femmes à penser que leur corps ne leur appartient pas. Pas tout à fait. Si désormais les femmes ne sont plus sous la tutelle du père ou du mari, le devoir conjugal lui en revanche est toujours présent, bien ancré dans nos imaginaires.

En 2017, c’est même un juge à Nanterre qui fait remarquer à une femme menacée de mort par son mari qu’elle se soustrait à son devoir conjugal en faisant chambre à part. Voilà qui légitimerait presque la brutalité de son époux ! Plus largement, on pense encore que le corps des femmes est à disposition et quand une victime de violences sexuelles porte plainte, la situation finit très souvent par se retourner contre elle.

On passera du viol à l’agression sexuelle, histoire d’aller en correctionnel plutôt qu’aux assises, mais surtout, seules 10% des plaintes aboutiront à une condamnation (sur le faible pourcentage d’affaires portées devant la justice). Entre le dépôt de plainte et le procès, la victime sera devenue coupable.

Coupable de ne pas pouvoir prouver son non consentement avec des marques de coups ou de strangulation par exemple, coupable d’être sortie de chez elle, coupable d’avoir été dans l’espace public, coupable d’avoir été souriante face à cet homme, coupable d’avoir été polie, coupable d’avoir entamé une conversation avec cet homme, coupable d’avoir dragué cet homme, coupable d’avoir porté une jupe, coupable d’être montée dans cette bagnole, coupable de ne pas avoir dit non assez tôt (on se rappelle pourtant que le consentement n’est pas immuable…), coupable d’avoir porté un string.

En 2018, en Irlande, un homme de 27 ans, accusé de viol par une jeune femme de 17 ans, est acquitté par le tribunal. Parce qu’il a apporté la preuve du consentement de celle qui l’accuse : elle portait un string. Tollé général, l’affaire provoque l’indignation et lance le #ThisIsNotConsent.

Pour autant, les mentalités n’évoluent vraisemblablement pas. « Les habits ne sont pas un consentement. Traduction : je peux, NE PAS porter de ceinture de chasteté avec serrure cinq points et NE PAS forcément avoir envie de sexe. Je peux dire NON, sans que ça veuille dire OUI. Pardon, je ne prends pas les auditeurs pour des débiles, mais visiblement, certains messages ont du mal à passer. Pour preuve, cet acquittement, dans une affaire de viol, à la cour d’assises des mineurs de l’Aveyron, il y a quelques jours. Le non consentement de la victime a été jugée difficile à établir. Elle avait 13 ans. Elle était déficiente mentale… Comme elle, une femme sur trois subira des violences sexuelles et/ou physiques au cours de sa vie – ce sont les chiffres de l’OMS. », scande Giulia Foïs dans sa chronique.

La question est latente : pourquoi dans les affaires de violences sexuelles, les victimes sont sans cesse retoquées au motif que leur non consentement est difficile à prouver ?

FORTES PRESSIONS

Dans l’enquête réalisée par Nous Toutes, on constate qu’elles sont nombreuses à subir, au cours de leurs vies sexuelles et affectives, de la pression et des violences. D’ordre psychologique notamment puisque 49% des femmes déclarent qu’elles ont déjà subi des propos dévalorisants de leur partenaire sur le fait qu’elles n’avaient pas envie d’avoir des rapports sexuels.

Mais aussi des violences sexuelles : 53% des femmes déclarent avoir fait l’expérience avec un ou plusieurs partenaires d’un rapport sexuel avec pénétration non consenti. Beaucoup de femmes ont adressé des commentaires à Nous Toutes à la suite du questionnaire.

« Ce questionnaire a montré à quel point ce que nous pensions être normal ne l’était vraiment pas. », « En répondant « oui » à certaines questions, j’ai pris conscience qu’elles ne m’avaient jamais été posées… Que j’ai vécu, pendant les 50 premières années de ma vie (!!!) des faits sans avoir dit « oui », en totale inconscience que j’étais en situation d’avoir un avis. » ou encore « J’ai répondu en me disant être exempte de tout ça et pas concernée vraiment, et bien non, j’ai subi maintenant je m’en aperçois, sur des choses que je croyais normales et c’était moi qui n’était pas à la hauteur. »

Parce qu’à force d’entendre qu’on est coincées, qu’on est frigides, qu’on est répugnantes avec notre gros ventre, nos grosses cuisses et notre cellulite et qu’on devrait s’estimer heureuse qu’un homme veuille bien nous baiser, on finit par s’en convaincre et par se dévaloriser.

En tant que femmes, nous avons intégré que nous étions au service de l’autre, que l’homme avait des besoins et des désirs bien supérieurs aux nôtres et qu’il était normal de se forcer un peu pour faire plaisir à l’autre, en s’oubliant soi-même. Leurs besoins sont colossaux, nous ne pouvons les satisfaire entièrement. Nous culpabilisons. Nous craignons qu’ils aillent voir ailleurs car nous ne sommes pas assez bien pour eux.

Nous avons intégré la charge mentale, la charge émotionnelle, toutes les deux superbement expliquées en BD par Emma, et la charge sexuelle, également, à découvrir dans le livre de Caroline Michel et Clémentine Gallot. Elles en résument la définition (qu’elles développent évidemment tout au long du bouquin) :

« Prenez une grosse dose de pression sexuelle qui empuantit l’air ambiant, agrémentez de stéréotypes solides rabâchés dès l’enfance et vous obtiendrez la charge sexuelle. » Plus loin, elles expliquent : « Les femmes, dès l’enfance, font l’apprentissage de la dépossession de leur désir. La voracité, l’animalité, la sensualité sont tolérées chez les nourrissons de sexe masculin mais pas chez les filles. »

Elles citent la pédagogue et autrice féministe Elena Gianini Belotti qui écrit en 1994 dans Du côté des petites filles qu’à l’adolescence, « la femme doit être asexuée, passive et consentante. » Sans oublier la sociologue Marie Duru-Bellat :

« Les femmes sont imprégnées de signification hétéronomes : dès l’adolescence, elles calent leurs désirs et comportement sur ce qui est anticipé du partenaire masculin pour répondre à ses attentes (…). La définition de la sexualité « normale » reste le fait des garçons et leur marge de manœuvre demeure très limitée, que ce soit pour choisir elles-mêmes ce qui leur ferait plaisir ou refuser la sexualité qu’on leur impose comme une évidence (…). La sexualité hétérosexuelle est avant tout une sexualité masculine, régie par ce que le désir masculin exige pour son excitation et sa satisfaction. » 

C’EST NORMAL, C’EST COMME ÇA

Résultat : on intègre notre rôle, on se convainc que c’est normal, poussées au cul par la culture du viol. Juridiquement, un viol est caractérisé par un acte de pénétration sexuelle commis sur une victime avec violence, contrainte, menace ou surprise. Inconsciemment, le viol est caractérisé par le mythe du prédateur, la barbarie, la douleur, l’envie d’en finir, la peur de la mort si on ne se soumet pas, l’incapacité à vivre avec ce qui est arrivé.

La victime ne s’est pas débattue ? La victime ne pleure pas ? La victime n’a pas envie de se suicider ? C’est suspect, ce n’est pas une bonne victime, ce n’était sans doute pas un viol. Une part d’elle devait être consentante. La culture du viol est pernicieuse car elle ne se résume pas au viol, elle envahit chaque parcelle de nos quotidiens, se glisse dans les arts et la culture, annihile notre perception de nos désirs en priorisant ceux des autres avant soi-même et s’immisce dans nos intimités.

Elle va même jusqu’à nous faire penser que ce n’est pas problématique de laisser un homme de 50 ans exprimer qu’il éprouve du désir pour les jeunes femmes et qu’il entretient d’ailleurs des relations sexuelles avec des mineur-e-s. On débat de temps en temps de l’âge du consentement sexuel, sans doute lorsque l’agenda politique traverse un petit désert, et on évacue la question si une actualité plus croustillante déboule sur la scène médiatique ou que l’on commence à ne plus vouloir séparer l’homme de l’artiste.

Au début de l’année 2020, paraît le livre de Vanessa Springora, Le consentement. Elle y décrit sa relation amoureuse avec l’écrivain Gabriel Matzneff et vient bouleverser toutes les idées préconçues autour de ce fameux consentement quand un homme de 50 ans abuse d’une fille de 14 ans et la délaisse quand à 15/16 ans, elle devient trop vieille pour lui, plus assez exaltante, plus assez excitante.

De sa plume, elle signe un texte poignant qui pousse à la réflexion profonde : « En réalité, cet exceptionnel talent se borne à ne pas faire souffrir sa partenaire. Et lorsqu’il n’y a ni souffrance, ni contrainte, c’est bien connu, il n’y a pas viol. Toute la difficulté de l’entreprise consiste à respecter cette règle d’or, sans jamais y déroger. Une violence physique laisse un souvenir contre lequel se révolter. C’est atroce, mais solide. L’abus sexuel, au contraire, se présente de façon insidieuse et détournée, sans qu’on en ait clairement conscience. On ne parle d’ailleurs jamais d’abus sexuel entre adultes. D’abus de « faiblesse », oui, envers une personne âgée, par exemple, une personne dite « vulnérable ».

La vulnérabilité, c’est précisément cet infime interstice par lequel des profils psy tel que celui de G. peuvent s’immiscer. C’est l’élément qui rend la notion de consentement si tangente. » Plusieurs pages plus tard, l’autrice met le doigt sur un point fondamental : « Comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître. »

Du déni, de la culpabilité, de la colère. Des sentiments forts qui sont partagés par de nombreuses femmes ayant subi ce genre de situation. Les hommes, eux, ne sont rarement inquiétés, rarement punis. Gabriel Matzneff ne se cachait pas et a été célébré toute sa carrière durant comme brillant intellectuel. Roman Polanski a reçu le César du meilleur réalisateur le 28 février 2020. La liste est longue. 

LA SEXUALITÉ, REFLET DE LA SOCIÉTÉ ?

La culture du viol ravage tout sur son passage. Elle s’étend du fantasme de la fraicheur et de l’innocence des jeunes filles en fleur au matraquage à outrance de corps féminins sexualisés, et de l’hypersexualisation des corps féminins racisés, sur des diktats de la beauté unique (corps blanc, mince, valide), des stéréotypes genrés et invente des mythes comme celle citée précédemment, le mythe du prédateur, ou encore le mythe de la zone grise. Nous y reviendrons.

Elle est étendue, elle infuse en permanence dans les esprits et sème le doute : si elle ne s’est pas débattue, c’est qu’elle en avait un peu envie. La paralysie n’est même pas envisagée. Si elle n’a pas porté plainte, tout de suite, c’est qu’elle avait un doute sur la nature du rapport. Elle le voulait peut-être un peu.

Le choc post-traumatique n’est même pas envisagé. Si elle a eu un orgasme pendant le viol, là, c’est terminé, plié, merci au revoir, c’est limpide : elle ne voulait peut-être pas au départ mais elle a fini par aimer ça. La réponse mécanique du corps n’est même pas envisagée.

En 2020, époque des femmes libres, époque des femmes émancipées, époque des femmes qui jouissent grâce à leur clitoris, on remet sans cesse en cause la perception, le ressenti et la parole des femmes, en brouillant les informations concernant le consentement.

Au micro d’Europe 1, Caroline de Haas, militante au sein du collectif Nous Toutes, expliquait en mars, à propos de l’enquête sur le consentement sexuel, effectuée auprès de femmes hétérosexuelles :

« Le rapport à la sexualité n’est pas à l’abri de ce qui se passe dans la société. Lorsqu’on discute avec ces femmes, en particulier ces jeunes femmes, on se rend compte qu’elles connaissent peu leur corps, qu’elles connaissent peu leurs désirs, elles n’ont pas forcément l’impression qu’elles peuvent les exprimer et qu’elles ont en face d’elles des partenaires qui connaissent peu le corps de leur-s compagne-s et qui n’ont pas forcément le souhait, l’idée, de leur demander ce qu’elles veulent, comment elles voudraient faire. »

Elle précisait également : « Ce qu’on a voulu mesurer, avant de parler de viols et d’agressions sexuelles, c’est tout ce qui concerne la pression. C’est-à-dire soit quand des femmes vont se forcer, soit quand elles vont subir une pression de leur-s partenaire-s. Et ce qui est intéressant, c’est que pour nous c’est assez représentatif du fait que le couple, l’intimité, n’est pas à l’abri des inégalités qui existent dans la société. Ces inégalités qui existent dans nos intimités, elles ont comme conséquence le plaisir des femmes, le désir des femmes, les envies des femmes qui sont souvent niées, minimisées, ignorées. »

OFFRIR UN ESPACE DE POSSIBILITÉS

En matière de consentement, on manque cruellement de ressources. Antonin Le Mée, membre du conseil d’administration d’Iskis, centre LGBTI de Rennes, le confirme :

« Hors milieux de recherches ou militants, on ne théorise pas dessus. Sur le consentement en tant que tel, on n’a pas de ressources infinies. Les violences conjugales sont un sujet satellite du consentement. En fait, plus on est fragilisé-e socialement, plus on est vulnérables. Et plus c’est difficile de faire respecter son consentement. Par exemple, les personnes transgenres vont avoir plus de mal à trouver des partenaires sexuels parce que les partenaires respectueux ne courent pas les rues. Ça va être difficile également de faire respecter son consentement quant à son nom et son apparence. Ces questions ne sont pas toujours pensées. Si on prend l’exemple de la culture gay mainstream, il y a peu de prise de conscience sur le sujet du consentement, peu de remise en question des comportements dits toxiques. »

Au sein de l’association, la question se veut transversale, permettant ainsi d’avoir une réflexion dans toutes les pratiques de la structure. Antonin Le Mée prend l’exemple de la bise. Faire la bise, cela semble acquis. On pense que c’est de la politesse. On ne s’inquiète pas de savoir comment la personne en face le vit, obligée d’éprouver à ce moment-là un contact physique pas toujours consenti, que ce soit avec un-e inconnu-e ou non.

« À Iskis, on demande à la personne, on propose de faire la bise ou pas, il est important que la personne ait toujours le choix de faire ou non. Au-delà de ça, on peut partir quand on veut d’une permanence ou autre, on n’a pas besoin de demander pour aller aux toilettes. On essaye d’offrir la possibilité à chacun-e de poser ses limites. Avec les enfants, c’est pareil, on veille à ne pas reproduire des pratiques de non respect de leur consentement. On n’impose pas de faire la bise. On ne leur ferme pas l’horizon, c’est-à-dire qu’on ne les catalogue pas dans une identité car sinon c’est déjà décider à leur place. C’est important de mettre en place une culture disant que forcer à faire la bise, toucher les cheveux crépus, etc. c’est inacceptable. On ne vit pas en dehors de la société. », explique-t-il.

Des temps privilégiés de discussion peuvent être proposés autour du consentement, permettant ainsi de faire dialoguer tout le monde « car le sujet concerne tout le monde, même ceux qui pensent n’avoir rien à dire là-dessus. » 

LUTTER CONTRE L’INVISIBILISATION DES PERSONNES LGBTIQ+

Le travail est colossal mais indispensable. Il en va là de la déconstruction de stéréotypes sexistes et de transmission d’une information déconstruite, à laquelle il est très rare d’accéder. Déjà, la loi de 2001 rendant obligatoire les cours d’éducation sexuelle dans les écoles, collèges et lycées n’est pas respectée et trop peu appliquée. Et quand les séances ont lieu, c’est souvent le règne de l’hétérosexualité.

Ainsi, le magazine TÊTU relate qu’en réponse à leur interrogation « Les questions LGBT sont-elles abordées lors de ces fameux ? » posée directement au ministère de l’Education nationale leur a été envoyée « une batterie de documents en tout genre, dont des liens vers des « ressources thématiques » à destination des enseignants. Il ne s’agit pas d’un programme à suivre à la lettre, mais plus de recommandations ou de bonnes pratiques. »

Dans l’article, le média souligne que les exercices sont souvent basés sur la dualité fille/garçon et sur l’hétérosexualité. Les élèves LGBTIQ+ ne peuvent pas s’identifier. 

« Comment les élèves se sentaient-ils par rapport à leur identité et leur orientation sexuelle pendant ces classes ? « Oublié », « frustré », « invisibilisé », « honteux », « anormal », « mise de côté », « transparente », « exclu », répondent-ils dans l’enquête(réalisée par le MAG jeunes LGBT entre novembre 2017 et janvier 2018 auprès de 335 personnes de 13 à 31 ans s’identifiant comme LGBPQ ou comme trans, intersexe, non binaire ou agenre, précise l’article, ndlr). Et la liste est longue. Le témoignage d’une élève cisgenre homosexuelle de 17 ans résume bien la grande majorité des avis : « J’ai eu l’impression que je n’avais pas le droit au même traitement que les autres. J’ai ressenti une sorte d’homophobie non dite. Cela m’a vraiment fait sentir comme si ma sexualité n’était pas aussi valide, importante et à sécuriser que celle des autres. » », peut-on lire.

Le discours enseigné et transmis est profondément hétéronormé. Les sexualités ne reposant pas uniquement sur la binarité cisgenre sont tues, invisibilisées. Les élèves intègrent. 

« Et ça s’ajoute aux questions d’estime de soi. Faire respecter son consentement, c’est déjà penser qu’on mérite d’être respecté-e. C’est se dire « J’ai le droit de vouloir ». Il faut attaquer le problème à la racine pour qu’on subisse moins d’attaques en grandissant et que l’on gagne en capacité à être autonome. On tient beaucoup chez Iskis à la culture de la valorisation des personnes. C’est pour ça qu’on donne la place à l’expérimentation : on a droit de se tromper, on a droit d’essayer, etc. Ça permet de redonner du pouvoir aux gens. Mais l’estime de soi se fait à travers soi. Nous, on peut aider et accompagner. Leur dire que c’est injuste de ne pas se faire respecter face à l’institution, aux administrations. Leur dire que face au milieu médical, on a le droit de poser des questions, de partir, de dire non à un acte.

On peut leur donner des adresses et des noms de professionnel-le-s bienveillant-e-s. On fait aussi un travail de fond avec les administrations, on milite pour l’auto-détermination pour que les personnes trans soient autonomes dans leur parcours médical. Là aussi c’est important en terme de consentement. Ça avance car collectivement, on a décidé que ce n’était plus acceptable. On avance aussi grâce à tout ce qui a émergé avec les sujets féministes sur le plan gynéco, etc. Je trouve que ça crée un environnement qui s’améliore. Mais c’est fragile, il faut être vigilant-e. », détaille Antonin Le Mée. 

LE CONSENTEMENT, DANS UNE SOCIÉTÉ SEXISTE, RACISTE ET POST-COLONIALISTE

Le consentement dans le milieu médical. « C’est un sujet en soi », nous répond Bianca Brienza, co-fondatrice de l’association Parents & Féministes. Elle a raison, c’est un sujet à part entière. Dans lequel le consentement a une place centrale. Et dans lequel les mécanismes de domination sont omniprésents. Les militantes féministes les dénoncent depuis plusieurs décennies. Avec le droit à la contraception, le droit à l’avortement, le droit à une information claire, l’extension de la PMA pour tou-te-s…

En clair, le droit à disposer de son propre corps. Le droit d’avoir le choix. Le droit de ne pas être dépositaire du savoir médical, ce tout-puissant, qui en résumé ne serait soi-disant pas à notre portée. Le droit de savoir et de comprendre le sens de chaque examen que l’on passe, de chaque opération réalisée sur nos corps. Et ça, ce n’est toujours pas respecté.

En 2017, Françoise Vergès écrit Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme, sur le scandale qui éclate dans les années 70 sur l’île de La Réunion. Des milliers d’avortements sans consentement ont été pratiqués par des médecins, qui auraient prétexté des opérations bénignes pour se faire ensuite rembourser par la Sécurité sociale.

La politologue le dit : « Le ventre des femmes a été racialisé. » Rappelons qu’en France, à cette même époque, les femmes n’ont pas le droit d’avorter. En parallèle, à La Réunion, « les journaux révèlent que des avortements auraient été pratiqués non seulement sans consentement, mais sur des femmes enceintes de trois à six mois, et qu’ils auraient souvent été suivis de ligature des trompes, toujours sans consentement. »

L’affaire ne s’arrête pas à une escroquerie médicale et financière. Elle est politique. Profondément politique. C’est un contrôle des naissances orchestré par les gouvernants. L’autrice analyse les événements sous le prisme du féminisme décolonial. Parce que là aussi rappelons qu’en France, les femmes militent pour le droit à l’avortement et à la libre disposition du corps. Quand le scandale se répand dans la presse, les militantes du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) ne s’en saisissent pourtant pas.

« On ne peut pas comprendre la politique de contrôle des naissances des années 1960 – 1970 dans les DOM si on ne tient pas compte de la longue histoire de la gestion du ventre des femmes dans les colonies esclavagistes et post-esclavagistes, si on n’aborde pas les politiques de l’Etat, du capital et du patriarcat, et les liens qui existent entre administration de la reproduction, migrations et force de travail. », souligne Françoise Vergès.

Elle poursuit quelques pages plus loin : « C’est en ayant organisé de manière industrielle une ponction sur les sociétés africaines pendant plusieurs siècles que le capitalisme a pu se construire. Et la source invisible de cette ponction n’est autre que le ventre des femmes africaines, dont les enfants sont capturés pour être déportés. La reproduction de la main d’œuvre sera donc assurée par des millions de femmes africaines dont le travail ne sera pas reconnu dans l’analyse de la reproduction et de la division internationale du travail.

La focalisation, tout à fait légitime, sur les conditions de vie et de travail de femmes esclaves et sur la reproduction des corps esclavagisés dans les colonies où l’enfant était automatiquement propriété du maitre a contribué à l’effacement de ce premier acte de dépossession du ventre des femmes. C’est sur ces liens entre reproduction, division internationale du travail, organisation de la traite et des migrations et viol que je veux revenir dans ce chapitre pour comprendre l’héritage de la gestion des naissances dans les DOM au XXe siècle. »

Le patriarcat est racialisé. On a hiérarchisé les sexes mais aussi les couleurs de peau. Et cela continue. Les femmes blanches ont quitté leur rôle de mères au foyer pour aller travailler. Elles ont confié leurs enfants aux femmes racisées, qui occupent désormais les postes les plus précarisés financièrement et socialement (aides soignantes, femmes de ménage…). Côté sexualité, on érotise et on fantasme les corps des femmes racisées que l’on qualifie « d’exotiques ».

On nourrit autour de leurs sexualités des stéréotypes racistes et sexistes, toujours très empreints de pensées colonialistes. Les non blanc-he-s sont inférieur-e-s, on possède l’intelligence, on possède l’argent, on possède les corps des femmes non blanches. Dans ce contexte, il est impossible d’imaginer que leur consentement soit respecté. En 2020, des avortements et stérilisations sans consentement sont toujours pratiqué-e-s à travers le monde, notamment sur les femmes vivant avec le VIH.

Les femmes sont toujours réduites à une fonction d’objet, dénué d’esprit, d’intelligence et de curiosité. Et donc d’avis et de ressenti. L’idée de l’esclave noir qui ne ressent pas la douleur des coups de fouet n’est jamais bien loin…

C’EST POUR VOTRE BIEN, MADAME, LAISSEZ-NOUS FAIRE

Par là, nous nions encore et toujours l’existence du corps des femmes et leur capacité à choisir. L’IVG, la contraception, la grossesse, les poils, le sexe des femmes, la sexualité… Il faut livrer bataille en permanence. Sur tout et notamment sur tout ce qui touche au corps des femmes. On considère que les femmes ne savent pas et c’est très bien comme ça.

Et face au secteur médical, les témoignages dénonçant des violences à l’encontre des femmes se multiplient. Ainsi, lors du confinement, l’association Parents & Féministes et le collectif Tou-te-s contre les violences obstétricales et gynécologiques alertent les médias et la population sur les conditions d’accouchement et d’hospitalisation à la maternité.

Le communiqué relate des maltraitances, violences gynécologiques, actes médicaux pratiqués sans consentement ni information, négligences, propos culpabilisants et sexistes « des faits intolérables, inhumains, qui ont été rapportés en grand nombre. » Les deux structures précisent :

« Cela s’est passé en France, en 2020, dans des maternités. Ces actes ont été déjà dénoncés par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport du 29 juin 2018. Force est de constater que rien n’a changé depuis. Pire encore, l’épidémie a peut-être accentué l’usage de ces pratiques. »

Sur le site de Parents & Féministes, les témoignages sont édifiants, comme celui de Lilou par exemple qui explique n’avoir reçu aucune demande de consentement pour la péridurale et avoir été endormie là encore sans son consentement (l’équipe médicale dira le contraire à son mari).

Nombreuses sont celles qui ont entendu les médecins leur dire qu’ils agissent pour leurs intérêts à elles, leur santé à elles, la santé de leur bébé. Certes, on ne remet pas en cause le professionnalisme. On dénonce en revanche le paternalisme. Cet air de dire « vous ne savez rien, moi je sais, arrêtez de poser des questions, j’ai autre chose à foutre », accompagné d’un « et puis vous êtes une femme, vous exagérez, c’est normal d’avoir mal, ne soyez pas douillette, laissez-vous faire, on n’a pas toute la journée bordel ! »

Bianca Brienza s’insurge du quasi systématique non respect de la loi Kouchner, obligeant les professionnel-le-s de la santé à informer les patient-e-s des examens et opérations requis-es et à demander et respecter leur consentement :

« C’est dramatique. Et alors dès qu’il s’agit de femmes et particulièrement de femmes en situation de vulnérabilité, la loi n’est pas respectée. Et on atteint un summum de non respect du consentement pendant les accouchements. Parce qu’autour des femmes enceintes, on cumule les stéréotypes ! Le corps des femmes est à disposition et on a tendance à ne pas respecter leur-s volonté-s. »

Tendance également à ne pas les prévenir et demander leur accord avant d’insérer un speculum ou une sonde dans leur vagin. La co-fondatrice de Parents & Féministes établit très rapidement le lien avec l’éducation genrée :

« Il y a des stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge. Avec les garçons, on est dans l’assouvissement de leurs désirs, on leur apprend à prendre l’espace vocal et physique et à faire passer leurs intérêts avant tout. Avec les filles, on est dans quelque chose de plus passif, on leur apprend à être altruiste, sage, polie, à faire plaisir. À votre avis, plus tard, qui va faire primer ses intérêts sur qui dans la vie ? Et forcément, ça a un impact sur la vie sexuelle et sur les violences sexistes et sexuelles. On doit apprendre le respect du  consentement à nos garçons, ça c’est certain.

Mais c’est un peu facile et un peu pénible aussi d’entendre toujours ça pour les parents. Et si l’État le faisait aussi ? L’éducation au consentement, au respect, aux limites, à la confiance, c’est aussi à l’État de le faire. Parce que quand on dit que c’est aux parents de le faire, vous pensez que c’est qui le parent ? Ce sont majoritairement les femmes qui sont chargées de l’éducation des enfants. »

RAMASSER LA CHAUSSETTE OU NE PAS RAMASSER LA CHAUSSETTE ?

Les femmes s’occupent plus des enfants et plus des taches ménagères dont la répartition est encore sacrément déséquilibrée. Près de 80% de ces taches sont encore effectuées par les femmes. Et non, ce n’est pas dans leur nature. Là aussi on pourrait interroger le niveau de consentement dans lequel on se trouve…

Il n’y a qu’à lire le livre Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale de Titiou Lecoq pour avoir un bon début d’idée. La chaussette qui traine sur le sol ne va pas se ramasser toute seule et sauter d’elle-même dans le panier à linge ou la machine à laver.

Plusieurs options : la laisser trainer en attendant que son propriétaire daigne ranger ses affaires, dire à son propriétaire de ranger ses affaires et de participer à la vie du foyer à laquelle est intégrée la joyeuse liste des taches ménagères (en général, ça marche sur le coup et ça retombe comme un soufflé, il faudra donc le répéter, répéter, répéter, s’épuiser à le répéter pour un résultat quasi nul…) ou la ramasser soi-même et l’amener directement dans la machine à laver. Pas de suspense, en général, on opte pour la dernière option.

On choisit de ramasser plutôt que de laisser trainer et plutôt que de s’éreinter à éduquer son compagnon à l’égalité. La question du choix est tout à fait discutable puisqu’aucune option n’est reluisante. En revanche, ce qui est intéressant, c’est de creuser le sujet et comprendre pourquoi les femmes vont en général se diriger vers cette option. Là encore, on se retrouve face aux injonctions et assignations de genre intégrées par les femmes et les hommes que l’on éduque différemment depuis la petite enfance, et face à la pression mise sur les femmes dans le cadre du couple.

L’épée de Damoclès pèse au dessus des têtes des femmes, à qui l’on met en tête que si elles n’anticipent pas et ne satisfont pas les besoins sexuels de leur partenaire, il pourrait se tirer avec une autre. Il en va de même très insidieusement avec les taches domestiques. Dans ce contexte, qu’est-ce que l’on transmet aux enfants ? Sachant que les stéréotypes perdurent dans la société et qu’on fait souvent de la sexualité un tabou. 

ZONE GRISE QUAND TU NOUS TIENS

Le récit de Loulou Robert, Zone grise, devrait paraître le 16 septembre prochain. Elle y raconte son « histoire » avec D, un photographe de mode très influent dans le métier. Elle a 18 ans, elle débute dans le mannequinat. Si le mot histoire trône entre guillemets, c’est bien évidemment parce qu’elle n’a pas dit oui, n’a pas dit non. Elle n’a pas consenti, elle n’a alors pas conscience du prédateur qu’il est.

Son témoignage est édifiant car elle le place en perspective d’une sexualité construite sur la répétition de viols et d’agressions sexuelles. Ce qui par conséquent n’est pas une sexualité mais un continuum de violences. Elle ne sait pas à ce moment-là que ce n’est pas normal. Que les violences sexuelles ne constituent pas une sexualité. Mais la société ne nous dit pas, ne nous apprend pas.

Parce que rappelons-nous, nous sommes consentantes quoi qu’il advienne. Et que quand on ne dit pas oui, quand on ne dit pas non, qu’on n’a pas un couteau sous la gorge ou un flingue sur la tempe, quand on a continué de vivre, quand on a été pénétrée à d’autres reprises par ce même homme « au demeurant » sympathique et apprécié de tou-te-s, on se trouve dans la fameuse zone grise.

« Mais il n’y a pas de zone grise, ça n’existe pas. En général, c’est que la femme ne s’est pas sentie autorisée à dire non. Il faut de la volonté, de l’enthousiasme, de la liberté dans la forme du consentement. »
s’insurge Marie, du collectif Nous Toutes.

Loulou Robert en arrive à la même conclusion. De nombreux extraits sont parlants et bien argumentés, nous ne pouvons les exposer ici, le livre étant actuellement en relecture et corrections. La maison d’édition accepte que nous en choisissions un seul, court : « Non, rien n’est gris. Le viol n’est pas gris. Le sperme n’est pas gris. Le sang n’est pas pris. La douleur n’est pas grise. La culpabilité n’est pas grise. La manipulation n’est pas grise. Les prédateurs ne sont pas gris. »

Elle explique qu’au départ, la zone grise lui était confortable. Une manière de la soulager quelque peu de sa honte. Une façon de déformer la réalité. Elle fait éclater les barreaux de cette zone grise qui n’aide pas les victimes. Non, cette zone grise, elle protège les agresseurs, les violeurs. Elle est une invention, un schéma, un outil de la culture du viol. 

APPRENDRE AUX ENFANTS À RESPECTER LEUR CORPS ET CELUI DES AUTRES

« Ce n’est pas un petit sujet, le consentement. Quand on ne l’apprend pas, ça peut avoir des répercussions dramatiques. On peut en parler dès le plus jeune âge. La planche dessinée d’Elise Gravel qui explique le consentement aux enfants est parfaite, elle est super bien adaptée. », signale Biance Brienza.

En effet, l’autrice et illustratrice canadienne propose en neuf cases dessinées d’aborder le consentement à destination des enfants. Ainsi, on peut lire : « Si l’autre personne ne te répond pas oui, ne lui fais pas de câlin. Elle est peut-être trop gênée pour te dire non. Elle a peut-être peur de te faire de la peine. Ça ne veut pas dire qu’elle veut un câlin ! Pas de oui = pas de câlin. C’est la même chose pour les bisous, les caresses, donner la main et cette règle s’applique aussi aux grandes personnes. Les adultes non plus ne devraient pas te toucher sans ta permission. Ton corps t’appartient et le corps des autres leur appartient. Tu ne peux pas toucher les autres sans leur permission et les autres ne peuvent pas te toucher sans la tienne. »

En lisant cette courte bande dessinée avec des enfants ou en leur diffusant la vidéo Le consentement expliqué aux enfants, réalisée par Blue Seat Studios, des discussions peuvent s’amorcer, ou non. Aucune obligation. Simplement, oui, il est possible d’en parler avec des enfants. 

« Il n’y a pas besoin d’attendre l’adolescence. On peut leur apprendre à respecter leur corps, qu’il est à eux. Bien sûr, ce sont des enfants alors on se heurte parfois à des limites comme mon fils qui me dit « C’est mon corps, mes besoins donc je ne prends pas de bain. » Après ça, c’est dur d’expliquer que là non en l’occurrence, il n’a pas le choix il va aller se laver… Mais bon, le message passe. Et on peut en parallèle leur apprendre à respecter le consentement de l’autre. Le oui, le non, c’est important. Et ça vaut aussi pour le corps des parents, moi je n’aime pas que mes enfants pensent que mon corps est un arbre. Je n’ai pas envie qu’ils m’escaladent ! Attention, là, je donne juste des pistes, il n’y a pas de recettes miracles. », s’exclame Bianca Brienza. 

Elle insiste, elle ne veut pas rajouter d’injonctions aux parents. La réponse parfaite n’existe pas. C’est un cheminement et chacun-e fait à sa façon.

« Se renseigner pour comprendre les injustices, c’est déjà un pas pour y remédier. Il y a pas mal d’infos maintenant sur les inégalités entre les femmes et les hommes, pas mal de podcasts qui font du bien, des illustrations du quotidien. Et c’est important. Et les inégalités commencent dès le plus jeune âge. La socialisation différenciée, les stéréotypes de genre, etc. On remarque que généralement les filles manquent de confiance et qu’elles sont socialisées à faire plaisir aux autres. Rien que de dire non, ça leur coûte. Et ça implique de connaître ses limites et de les respecter. Par notre socialisation, on ne nous met pas dans des situations favorables pour nous protéger. Si on veut faire bouger les lignes, je pense que ça passe non pas par de nouvelles injonctions à faire peser sur les femmes, mais par l’information. En se renseignant sur les stéréotypes. », conclut-elle. 

LA VOIE DE L’ÉMANCIPATION

Le savoir est empouvoirant. Mais il n’est pas suffisant. Aujourd’hui, l’émancipation des femmes est abordée à toutes les sauces. Mais pouvons-nous réellement parler d’émancipation quand nous ne percevons pas ce qui fonde la base de notre consentement ? Bien sûr, sur certains points, on peut parler d’émancipation et ce serait violent de penser le contraire. Mais dans quelle mesure est-ce que l’on s’affranchit des normes et injonctions dues à notre sexe et à notre genre ?

Dans La charge sexuelle, Caroline Michel et Clémentine Gallot signalent : « Dépasser le souci de soi pour passer d’objet désiré à sujet désirant, c’est d’abord cesser de se voir uniquement à travers le regard de l’autre, mais aussi s’interroger sur ses besoins, ses désirs, ses limites et surtout, parvenir à les formuler. Cela revient aussi à questionner ses fantasmes, par exemple, l’érotisation de la violence, au lieu de les considérer comme immuables. Un obstacle supplémentaire, quand le soin de l’autre passe, nous le verrons, parfois avant le reste. » 

La journaliste Giulia Foïs affirme que l’on peut être actrice de sa vie. « Je ne veux plus rien subir. Jamais. Quand on subit réellement, c’est très rare. Ayant vécu un viol, je sais ce que c’est de subir à 300%. Dans chaque situation où j’ai l’impression de subir, je récupère de l’air quand je comprends quelle est ma part de responsabilité. », nous dit-elle.

Sa responsabilité dans le viol subi lorsqu’elle avait 17 ans ? Aucune. Mais ça, elle ne l’a pas intégré sur le coup. Ni même le lendemain ou le surlendemain. Le viol, le procès, l’accusé acquitté, l’après. Elle n’a pas consenti au viol, elle n’a pas consenti à l’après. Elle relate cela dans Je suis une sur deux, dont la quatrième de couverture commence justement en offrant le choix au lectorat. On peut lire le livre. On peut ne pas lire le livre.

« Un oui n’a de valeur que si on peut dire non. Face à une figure d’autorité, il vaut quoi le oui ? », répond Giulia Foïs. Le violeur en face d’elle cette nuit-là à Avignon, il l’asperge de lacrymo et la menace avec un cutter.

« Ma vie a pris un chemin de traverse et je ne l’ai pas décidé. Longtemps, je suis restée sur l’itinéraire bis et ça c’était sans mon consentement. Aujourd’hui, j’ai une vie que je ne changerais pour rien au monde. Au détail près que je ne prends plus le métro après 22h. On a toutes intégrées la peur des espaces publics. Je ne veux plus avoir l’estomac noué, je ne prends plus le métro. Oui, c’est injuste, quelle énergie, quelle créativité, quelle fatigue… pour avoir la vie qui nous plait. On a rien fait de mal et on doit sortir une énergie de dingue pour avoir une vie « normale », douce et légère. Une vie qui ne coûte pas à chaque pas. Je n’ai pas consenti au viol et à la suite. Mais ma vie d’après, je l’ai eu, je l’ai et elle est chouette. », argumente la journaliste qui un jour, en tant que journaliste, réalise pour Marianne une enquête sur les violences sexuelles.

Les témoignages, les interviews, les rencontres vont l’aider à comprendre ce qui lui est arrivé : « Ça m’a sauvée. De comprendre que dans le viol, ce n’est pas vous le problème. Et là, vous déplacez la colère contre ce monde qui autorise, voire encourage, le viol. » Pendant son travail sur cette thématique, elle croise la route de Me Katz. Il lui dit alors : céder, ce n’est pas consentir. « Je pesais alors 10 tonnes de moins. Oui, j’ai cédé mais je n’ai pas consenti. Je ne voulais pas du viol, je voulais vivre. Et pour pouvoir vivre, je devais lâcher mon corps. Ça, ça a tout changé. Tout ! Je me suis alors démerdée pour vivre avec un minimum de contraintes. Je fais ce que je veux. Tant que je ne fais de mal à personne bien sûr.

Ça donne que je suis freelance à vie. Je ne veux pas de la vie de bureau, je veux aller au travail quand je veux, je ne veux pas me retrouver à passer la journée avec des gens que je ne supporte pas. Ce qui ne veut pas dire que je ne sais pas travailler en équipe. Je sais le faire. Dans mes contrats, je demande systématiquement une période d’essai. J’ai besoin d’avoir une porte de sortie. J’ai refusé longtemps d’être propriétaire. En fait, je ne veux pas me retrouver dans des situations dans lesquels je ne peux pas me barrer. Pour autant, je suis fidèle en amitié, fiable au travail. Je n’en fais pas qu’à ma tête, je ne suis pas capricieuse. Je crée un cadre de vie qui fait que je peux me barrer. Plus jamais personne ne me coince dans un lieu. Je ne veux pas dépendre d’un mec, je ne veux pas dépendre d’une rédaction. », déballe Giulia Foïs.

La gouaille de ces chroniques, sa verve littéraire, on la retrouve dans ses propos. La société organise notre dépendance. Hommes et femmes. Mais principalement les femmes. Elles élèvent les gosses et rêvent de mariage :

« Ça nous fragilise et ça nous fait croire qu’on n’a pas le choix. Je pense que c’est primordial d’avoir des espaces à soi. Moi, j’ai bossé comme une tordue pendant 10 – 15 ans pour assurer ma sécurité financière. J’organise mon indépendance. Mais les filles, on nous apprend à fermer nos gueules. Ma survie psychique, je la dois à choisir et de ne plus subir. Tant qu’on ne nommera pas les choses, on n’avancera pas. La réalité, c’est celle-là. « Je voulais pas mais bon c’est pas un viol », si, c’est un viol. Le viol, c’est le crime dont tout le monde sait qu’il est répandu à tous les étages de la société mais qu’on ne veut pas voir, y compris les femmes. »

Elle nous confie une anecdote survenue lorsque son fils a eu un accident :

«Après ça, on me dit ‘ahlala les gênes du donneur, ils sont bons’ (je suis passée par PMA). Et moi ? Et ma contribution ? On est des réceptacles à pénis et à sperme. Et un réceptacle, ça ne consent pas, ça n’a pas de désir. »

LE CONSENTEMENT DES FEMMES DOIT DEVENIR UN SUJET POLITIQUE

Eduquer au consentement et à l’égalité les garçons et les filles dès la maternelle, il le faut, elle en est convaincue. Il est essentiel de conscientiser la population à tous les étages de la société.

« On a une responsabilité, les adultes. Notre responsabilité est gigantesque. Encore faut-il que pour nous cette notion soit claire. Et puis, c’est important d’en parler dans les médias, de vulgariser, de rendre visible cette question. Le problème est ultra vaste et chacun-e a quelque chose à faire à son étage. On commence par où ? Moi, je dis, on fait tout en même temps. Il n’y a pas de priorité. De l’écriture inclusive jusqu’au consentement, c’est au fond le même combat. »

Vient évidemment la question de la formation (forces de l’ordre, membres de la justice, professionnel-le-s de la santé, du social, professeur-e-s, journalistes, etc.). Mais pour cela, il faut des moyens et par conséquent une forte volonté politique. Ce qui actuellement n’est toujours pas le cas. C’est encore et toujours aux associations, aux militantes, de faire le travail de fond.

« Des annonces sont faites, des éléments sont présentés comme des avancées par le gouvernement mais en vrai, il n’y a pas le budget suffisant pour faire avancer les choses. Pour la grande cause du quinquennat, on est en bien en dessous… Depuis le grenelle en septembre dernier, on attend toujours les avancées. Il n’y en a pas suffisamment du côté de la formation, des places d’hébergement d’urgence, la sensibilisation, etc. », souligne Marie, du collectif Nous Toutes.

Dans l’enquête, les militantes n’hésitent pas à interpeller le gouvernement « à nouveau » pour que celui-ci crée et applique un module obligatoire dans la scolarité sur la question de l’égalité et sur la prévention des violences sexistes et sexuelles et de fixer un seuil d’âge de non consentement pour les enfants : 

« Nos corps sont politiques. Nos désirs sont politiques. Nos sexualités sont politiques. Le consentement des femmes doit devenir un sujet politique (…) Nous appelons toutes celles qui veulent témoigner à le faire avec le #JaiPasDitOui sur les réseaux sociaux pour rappeler qu’un rapport intime doit être basé sur un accord réciproque, sur le désir, le respect et le plaisir. »

Dans la vie de tous les jours également, on peut se saisir de ce sujet comme le rappelle Marie à la fin de notre entretien : « On peut s’autoriser à en parler. On peut s’autoriser à assumer nos désirs. On peut en parler, expliquer ce qu’est le consentement, ce qu’est un viol, ce qu’est une agression sexuelle, etc. Plus on en parlera, plus la parole sera écoutée et plus on pourra construire quelque chose de plus égalitaire dans nos sexualités. »

Provoquer la discussion, organiser des temps spécifiques autour du sujet du consentement. C’est ce que fait Iskis, le centre LGBTI de Rennes, qui a également développé tout un questionnaire très détaillé, traduit de l’anglais et retravaillé par leurs soins, afin d’interroger, permettre la réflexion et l’expression de ses vécus et ressentis.

Ce qui peut amener également au déclic. Car même lorsque l’on emprunte le chemin de la déconstruction, on peut encore être influencé par certaines idées et stéréotypes tout comme on peut encore être dans le déni face à certains comportements et agissements.

« On a aussi fait deux sessions d’ateliers consentement. Ce sont des formations qui vont entre 12h et 2 jours et c’est vraiment chouette. Ça permet à la parole d’émerger différemment et aussi de poser noir sur blanc la réflexion autour de la culture de l’association. »
s’enthousiasme Antonin Le Mée. 

Visibiliser cette majorité de la population largement sous-représentée dans la société. Non, on ne parle pas des photos de pénis (dick pics) envoyés par texto sans le consentement de la destinataire.

On parle bien évidemment des femmes, qu’elles soient blanches, racisées, handicapées, valides, transgenres, hétérosexuelles, voilées, lesbiennes, bis, cisgenres, en jupe, en talon, etc. Les rendre visibles, dans leur pluralité, dans leurs singularités, leur donner la parole (sans la couper), les écouter, les entendre.

Respecter leurs expériences, leurs ressentis, ce qu’elles sont, ce qu’elles aspirent à être. Libres. Libres de décider, libres de choisir, libre de dire oui, libres de dire non. Pour en finir avec le trouble dans la notion de consentement. Un trouble garant de la culture du viol et des violences sexistes et sexuelles. Stop.

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Consentement : existences niées
(Non) consentement : partout, tout le temps
Et le polyamour ?

Célian Ramis

Pilosité : être en accord avec son corps !

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Avoir du poil aux pattes, c’est la honte. Une touffe sous les bras, c’est dégueu. Et quand c’est l’anarchie sur le pubis, n’en parlons pas. Alors, on enlève tout. Par culpabilité inculquée par une vision patriarcale du corps des femmes.
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Avoir du poil aux pattes, c’est la honte. Une touffe sous les bras, c’est dégueu. Et quand c’est l’anarchie sur le pubis, n’en parlons pas. Alors, on enlève tout. Par culpabilité inculquée par une vision patriarcale du corps des femmes.

La pilosité féminine, c’est le sujet qu’a choisi d’analyser la comédienne et clown Estelle Brochard dans sa conférence gesticulée Le poil incarné, présentée le 7 juin à 20h à la Maison de quartier Villejean. 

« Pourquoi se torturer le corps alors qu’on n’en a pas envie ? C’est psychologiquement tordu ! », s’exclame-t-elle, aussi amusée qu’indignée. Si c’est psychologiquement tordu, c’est parce que l’injonction à s’épiler n’est pas exprimée de manière explicite. Elle est insidieuse : 

« Dès l’adolescence, c’est terrible, on sent le regard des hommes sur notre corps, on sent les jugements sur ce qu’on porte, sur nos poils. Sans qu’on nous oblige à nous épiler, on sent qu’il ne faut pas qu’on les garde. »

Il suffit d’observer les photos dans les médias, la représentation des femmes dans les publicités, les personnages féminins dans les dessins animés, les films, les séries, etc. pour s’apercevoir que toutes les images dévoilent des corps dépourvus de poils. Ainsi, la gent féminine intègre cette information dès le plus jeune âge.

« Ça nous incite à avoir une image négative sur nos corps. On en vient à faire quasi des triples journées. Entre la vie perso, le travail, les taches domestiques et l’épilation, qui prend du temps, qui fait mal, etc. Faut souffrir pour être belle, ça devient normal. Je suis venue à parler de ce sujet-là parce que ça devenait oppressant. J’ai fait le défi de garder mes poils pendant un an. Et là, ça fait un an et 5 mois. C’est devenu un acte politique car je ne peux pas les trouver beaux puisque je n’ai aucune référence de beauté avec des poils. », commente Estelle Brochard qui a depuis rejoint Liberté, pilosité, sororité, un collectif féministe non-mixte luttant en faveur de l’acceptation de la pilosité féminine. 

#ENQUÊTE ÉPILATION

L’enquête Épilation, réalisée par le collectif auprès de 6000 femmes, vient corroborer son propos : environ ¾ des femmes trouvent que leur pilosité est – au moins un peu – laide et près de 8 femmes sur 10 déclarent que leur pilosité leur inspire au moins une émotion négative ; la honte étant l’émotion négative la plus fréquemment éprouvée (par au moins la moitié des femmes).

Le reste des résultats est tout aussi effarant puisqu’il apparaît que seulement 2,7% des répondantes déclarent ne jamais avoir rencontré d’effets secondaires ou de blessures en retirant leur pilosité. Ce qui implique que plus de 7 femmes sur 10 se blessent ou rencontrent des effets secondaires dus à l’épilation ou au rasage.

Si les femmes se torturent donc en se triturant les poils, c’est par injonction confirme l’étude : « Sur une échelle allant de 1 à 10, les répondantes devaient évaluer l’intensité de l’injonction au glabre (1 = Nulle, aucune injonction ; 10 = Très forte ; il est quasi impossible d’échapper à l’injonction). Près de 8 femmes sur 10 ont mis une note égale ou supérieure à 7. »

Le collectif Liberté, Pilosité, Sororité précise en début d’article, à lire sur le site collectiflps.wordpress.com, que leur échantillon surreprésente les femmes âgées entre 20 et 39 ans, féministes, élèves, étudiantes ou appartenant à la classe socio-professionnelle des cadres et professions intellectuelles supérieures.

Et également que « plus une répondante se dit féministe, plus il y a de chance qu’elle ait arrêté de s’épiler ou de se raser ; aussi il est moins probable qu’elle soit épilée ou rasée tout au long de l’année. Les femmes féministes sont par ailleurs moins nombreuses à trouver leur pilosité laide. »

OÙ SE SITUER ? COMMENT SE POSITIONNER ?

Pour Estelle Brochard, la conférence gesticulée permet de se positionner sur un sujet encore méconnu et tabou, sans toutefois culpabiliser le public. Témoigner de ses expériences, qui souvent « parlent aux femmes, et font découvrir la problématiques aux hommes », interroger cette injonction qui participe au contrôle du corps des femmes, réfléchir ensemble et surtout « redonner du sens à nos quotidiens » sont les objectifs de la comédienne, pour libérer la parole et agir ensemble vers l’émancipation de chaque individu. 

Issue d’une famille « tranquille et silencieuse » qui transmet, comme la plupart des familles et des professionnel-le-s, une éducation genrée dans laquelle « les filles sont sages et ne font pas de vagues », la conférence lui a donc permise de prendre la parole et d’oser mettre un positionnement sur cette thématique si importante car « totalement invisibilisée ».

Et c’est aussi un moyen pour elle de ne plus être derrière un personnage. « Je suis comédienne et clown. Et avec le clown, j’ai un solo à partir de 3 ans mais je n’arrivais pas à atteindre ce que je voulais car avec le clown, les gens attendent de rire. Moi, ce que je veux, c’est questionner, débattre ensemble. Avec la conférence gesticulée, je peux me mettre à nu de manière personnelle. Ce que je faisais dire à mon clown, forcément ça ne sortait pas de la même manière. », souligne-t-elle. 

Elle a grandi sans entendre prononcée la fameuse injonction à s’épiler. Et pourtant, elle l’a intégrée. Comme la majorité des jeunes filles : « Au collège, j’étais timide, avec de l’acné… On m’a pas forcé à m’épiler mais j’ai senti, et c’est en ça que c’est insidieux, qu’il ne fallait pas en plus que je garde mes poils… »

Elle poursuit :

« J’ai développé un sentiment d’injustice. Pourquoi les femmes sont-elles obligées alors que les hommes non ? C’est de l’auto-mutilation. On en vient à faire des actes qui nous font mal alors qu’on n’a pas envie de le faire ! C’est tordu ! »

Les médias se régalent de cette culpabilité et jette de l’huile sur le feu en déversant tous les jours des images de femme unique. Blanche, mince, hétéro, sexy. Sans poil. D’où la difficulté à se distancer de la prétendue norme et de la pression.

Estelle Brochard commente les réactions, souvent gênées, des personnes qui découvrent qu’elle ne s’épile pas. Il y a des rires de gêne et des regards surtout. Mais peu de remarques désobligeantes (hors lâcheté numérique bien entendu). Et parfois, des phrases débiles :

« J’ai commencé par laisser pousser juste sous les aisselles au début. On m’a dit que c’était sale et que j’allais repousser les hommes. », rigole-t-elle. « Il y a plein d’idées préconçues en fait, notamment avec l’argument de l’hygiène alors que les poils constituent des barrières naturelles. En fait, ce qui me fait rire, c’est que je me suis découverte féministe à ce moment-là. La question des poils n’est pas isolée, elle fait parti de la réappropriation du corps. Je suis beaucoup plus en accord avec mon corps depuis que j’ai arrêté de m’épiler. »

LE POIDS DU POIL

Il y a le poil de la virilité et le sans poil de la féminité. Raser le pubis des sorcières, tondre les cheveux de celles qui ont couché avec l’ennemi. Cheveux et poils ont des connotations très fortes dans l’histoire du corps des femmes.

La conférence gesticulée « Le poil incarné » entend humblement rendre cette question visible. Sans amener de la culpabilité du côté de celles qui s’épilent :

« L’objectif ici est de pouvoir en parler, de poursuivre la réflexion petit à petit, d’y réfléchir et de ramener du sens dans nos actes.  Que le poil soit plus visible dans le collectif et dans le collectif artistique. »

Elle le dit et le redit, l’injonction est très insidieuse dans l’éducation et « le poids est tellement lourd ! » Sortir en jupe la première fois sans être épilée ? « Pas évident ! » La deuxième et la troisième ? « Pas évident non plus mais on s’y fait, petit à petit. »

Ce spectacle d’éducation populaire, elle espère le faire tourner dans les collèges et les lycées. Pour « requestionner la pub, le rapport aux médias, la pornographie, les violences de genre. » Parce qu’à travers cette question, « on peut parler de plein de choses à propos du corps des femmes ! C’est une déconstruction totale et pour les hommes, c’est déroutant, ils ne voient ça nulle part et ils ne voient pas le temps qu’on y passe, la douleur, l’organisation, etc. Pour nous, c’est du quotidien mais pour eux, c’est invisible. »

Estelle Brochard veut aborder ce sujet de manière légère et drôle. Sans dramatiser mais sans pour autant ignorer les constats. Alors ça perturbe, ça choque, ça alimente les discussions à la terrasse d’un café, les poils font partis de nous, femmes et hommes. Ce qui change, c’est le regard qu’on leur porte.

Célian Ramis

Audrey Chenu, son combat de femme vers l'émancipation

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Rennes
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Ex-dealeuse de shit, ex-taularde, féministe, lesbienne, instit’, boxeuse, slameuse… Audrey Chenu signe en 2013 le livre Girlfight. Portrait.
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Ex-dealeuse de shit, ex-taularde, féministe, lesbienne, instit’, boxeuse, slameuse… Audrey Chenu peut être qualifiée de bien des choses que l’on pourrait s’amuser à lister ou à classer par ordre de pseudo importance. Mais finalement, ce n’est pas ce qui compte. L’important, c’est ce qu’elle véhicule, à travers son histoire, couchée sur papier dans son livre Girlfight – accompagnée de la journaliste et scénariste Catherine Monroy -  dont elle nous confie la trame lors de notre rencontre, mi-novembre. À l’occasion d’un après-midi slam et d’un apéro-discussion autour de son bouquin, les membres de La Bibliothèque Féministe de Rennes l’ont invitée à partager son expérience de vie à travers les arts de la parole.

L’éditeur, Presses de la Cité, le résume joliment : « C’est la belle histoire d’une fleur poussée au milieu du béton, celle d’une rédemption… »

Née à Caen, Audrey Chenu évolue dans un contexte familial « étouffant et mortifère ». Un père atteint de maladie mentale, donc « absent de mon éducation », une mère dépassée, 4 enfants. Elle est la deuxième de la fratrie, la première fille. « C’est sûr que ça apprend la force et l’indépendance. Je suis devenue la seconde maman, à 7 ans, il fallait savoir tenir la maison », explique-t-elle. L’ambiance n’est pas au partage des sentiments, elle se réfugie dans la lecture, « son échappatoire, son plaisir dans la solitude ».

Elle cherche sa place, elle se débat contre l’idée d’être enfermée dans la case « fille », se vénère et boude. « J’avais pas les armes pour répondre. Pour exister, j’étais insolente », précise la jeune trentenaire. Elle explique alors que c’est à l’adolescence que sa révolte va prendre de l’ampleur. Au lycée, elle fume du shit, pratique pour « aller vers les autres, ça anesthésie les émotions ». Le manque d’argent, l’envie de s’émanciper de sa famille et de s’en sortir seule. Elle a alors 16 ans, bonne élève, quitte le foyer parental et deale du shit, d’abord pour en fumer, puis pour le business. « Les fournisseurs étaient à Paris, mes potes avaient des contacts en banlieue parisienne, car à Caen il n’y en avait plus assez », se souvient-elle.

PRISON ET CAUSE FÉMININE/ISTE

Mais son réseau tombe et la jeune fille se fait balancer et arrêter. Direction la prison de Versailles.

« Le mythe des mecs durs s’est effondré à ce moment-là. Les couilles et le courage, c’est pas que du côté des mecs ! »
 lâche Audrey, d’un ton sec.

Elle découvre le milieu carcéral féminin: « Il y a, entre autre, un partage des oppressions masculines. La plupart des femmes étaient là à cause des hommes. On se rend compte là-bas que l’on est aussi fortes qu’eux. Le mythe de la complémentarité peut être dangereux ! » Autonomie, solidarité, combats menés entre prisonnières, tout cela la mène à percevoir les femmes d’une manière différente « et mène au féminisme ! »

Durant son incarcération, elle trouve également du soutien auprès de François Chouquet, un enseignant donnant des conférences au sein de la prison. « Les cours en prison concernent souvent l’alphabétisation des personnes incarcérées. Avec l’Université Paris 7, il y avait un dispositif pour prendre des cours. J’ai étudié la sociologie, mais il fallait acheter une vingtaine de bouquins. C’est François Chouquet qui me faisait passer les livres lorsqu’il venait, pour que je puisse faire mes fiches de lecture. Cela m’a permis de mettre des mots sur ce que je ne comprenais pas. Il ne s’agissait pas de juste subir et purger ma peine », explique Audrey.

La jeune femme noue des amitiés fortes avec des détenues, « beaucoup de complicité ». À sa sortie, l’une d’elles la recontacte. Elles tombent amoureuses :

« J’ai d’abord été bi, puis lesbienne mais jamais d’histoire en prison ! »

 Audrey travaille à McDo, ne s’investit pas trop et « continue le business » jusqu’à retourner une seconde fois en prison. À Fresnes, cette fois pour 12 mois. « J’ai jamais fait autant de mitard que cette fois là ! », se remémore-t-elle.

SLAM ET ÉDUCATION

Une fois à l’extérieur, deux gros sacs Tati dans les mains, elle ne sait où aller, elle va alors partager les galères et les plans boulots avec des amies ex-détenues. Elle commence l’animation et les scènes slam, elle a déjà touché à l’écriture en prison. Elle rencontre Nina, « une femme incroyable qui anime des ateliers dans une maison de quartier. J’ai fait ça 2 ans, le milieu socio-culturel, c’est précaire mais j’aimais ça ! Être avec les jeunes, avec les enfants ! » Audrey se lance dans un nouveau combat, celui de faire effacer ses peines figurant sur l’extrait de son casier judiciaire.

Elle a choisi d’être institutrice. Il lui faudra un an pour obtenir gain de cause, non sans mal :

« Je me rappelle qu’un des juges m’a dit : « La loi du casier existe pour que les gens comme vous n’accédiez pas à l’Éducation Nationale. » »

 Et c’est en Seine Saint-Denis que l’auteure de Girlfight exerce sa profession d’instit’, depuis 8 ans. Elle n’a pas dit dès le départ, à ses collègues, qu’elle trainait la valise d’ex-taularde dans ses affaires, mais tous le savaient avant publication du bouquin :

« J’ai toujours reçu de la compréhension. Quand les élèves l’ont su, ils étaient étonnés car ils ont l’image de la maitresse douce et gentille. (Rires) Quand le livre est sorti et qu’il a été médiatisé, je ne pensais pas faire l’unanimité par contre ».

Pour elle, il est important de libérer la parole autour de ce type de parcours, briser la honte de la prison, se battre contre les préjugés, et ça avec les enfants : « Je travaille dans un quartier populaire. Certains élèves ont quelqu’un de leur famille ou quelqu’un qu’ils connaissent en prison. C’est important par exemple de travailler ensemble sur l’écriture d’une lettre à quelqu’un qui est en prison. »

BOXE ET ÉMANCIPATION

Si pour l’éditeur, il s’agit d’une histoire de rédemption, Audrey, elle, parle d’émancipation. Les femmes ne sont pas libres. Un constat qu’elle a pu tirer en prison mais également en dehors, lors de sa réinsertion.

« On demande toujours « t’es mariée ? t’as des enfants ? », les femmes sont enfermées dans des rôles ! Mais ça peut tuer et voler des vies. Le sexisme dans l’éducation, l’homophobie, tout ça me révolte ! »
scande celle qui s’est mise à la boxe il y a 5 ans et l’enseigne aux petites filles.

Pour elle, la société ne bouge pas, elle régresse, et la jeunesse le vit mal. Elle voit ce mutisme des femmes comme si ces dernières étaient amputées : « Il faut prendre l’espace, il y a plein de choses à déconstruire ! » Et la boxe se révèle alors comme un des sports les plus complets et exigeants, qui permet de prendre confiance en soi et de se forger un mental d’acier. « On nous fait croire qu’on n’est pas capables. Qu’on est faibles. Quand on regarde dans le métro, les femmes sont recroquevillées. La boxe libère l’agressivité, dresse le corps des femmes et développe la force musculaire. Ça aide à s’affirmer et c’est un sport qui a plein de choses à apporter ! », déclare-t-elle, passionnée et engagée.

L’L’égalité des sexes, acquise ?

« C’est des conneries ! Et quand on voit les réac’ de la Manif pour tous, les réac’ au féminisme… Pour moi, le féminisme, c’est le progrès, c’est une avancée que l’on veut renvoyer dans l’obscurantisme fanatique. Mais l’histoire se répète et nous devons continuer de lutter »

L’écriture, son travail, la boxe et le slam sont donc autant de sources d’inspiration pour Audrey que de moyens pour éduquer à l’égalité et espérer faire passer le message. Le cinéma pourrait bien être un autre biais. Un chemin envisagé par l’institutrice qui pourrait voir son histoire adaptée sur grand écran. Pas dans l’immédiat, faute de temps – elle demande un mi-temps qu’elle n’obtient pour le moment pas – mais elle déjà été approchée dans cette optique précise.

Côté livre, « j’ai dit ce que j’avais à dire. Je ne veux pas écrire un livre pour écrire un livre. Et je me consacre aussi au slam et à l’écriture des autres, pour se libérer ». Se libérer, s’émanciper, le parcours et le combat d’Audrey marchent dans ce sens. Souhaitons que le message soit entendu et se diffuse.

Célian Ramis

Droit à l'avortement : Désirée ou l'art du court-métrage rennais

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Rennes
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Et si en France l’avortement n’était pas complètement légalisé ? Et si en France, il fallait avoir été violée pour avoir accès à l’IVG ?
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Et si en France l’avortement n’était pas complètement légalisé ? Et si en France, il fallait avoir été violée pour avoir accès à l’IVG ? Deux jeunes rennais, Mathilde Joubaud et Paul Marques Duarte, ont décidé de transposer l’actualité espagnole à la France, dans leur court-métrage Désirée.

Une production rennaise – le collectif informel HCBS Productions – des acteurs rennais, des réalisateurs rennais, en quelques mots un court métrage 100% rennais. Mais le message transgresse les frontières et va au-delà de la capitale bretonne.

En janvier 2014, Mathilde Joubaud, lycéenne à Saint-Martin en option Cinéma, et Paul Marques Duarte, étudiant en Arts du spectacle à Rennes 2 – qui se sont rencontrés au lycée Saint-Martin et sur le tournage d’un court-métrage, réalisé par Paul, sur les effets de l’alcool au volant – décident de travailler ensemble sur le projet Désirée, en réaction à la loi espagnole restreignant l’accès à l’IVG à deux cas seulement : en cas de viol (avec dépôt de plainte obligatoire) ou en cas de danger pour la santé de la mère.

« J’avais entendu parler de cette loi et je voulais réagir. J’ai fait beaucoup de recherches pour comprendre les modifications de cette loi et le timing qu’on avait pour faire le film », explique Mathilde. Âgée de 17 ans, elle est touchée par la violence de cette actualité : « En tant que femme, je me sens concernée. Mais j’ai aussi une amie espagnole, que j’ai vu perturbée par les événements. C’est inadmissible ce qu’il se passe ! »

Dans ce très court-métrage, de 2 minutes, Paul et Mathilde ont choisi parmi plusieurs scénarios de présenter le cas d’une jeune femme de 18 ans – interprétée par Sydney Massicot, élève au lycée Saint-Martin – qui, enceinte, décide d’aller consulter son médecin – interprété par Eddy Del Pino, fondateur du collectif Un film, un jour – pour avorter. Ce dernier, ravi que la patiente attende un enfant – « c’est formidable » lui dira-t-il d’emblée – s’assombrit en découvrant qu’elle ne souhaite pas le garder. « Pas violée, pas d’IVG », la phrase est cinglante, le message brutal, l’impact percutant.

Une réalité peu probable dans l’Hexagone, qui a renforcé le 20 janvier 2014 sa position sur le droit à l’avortement en supprimant le caractère d’urgence inscrit dans la loi Veil, mais qui deviendra celle de l’Espagne puisque le 20 décembre dernier le gouvernement de Mariano Rajoy a approuvé le projet de loi – qui devrait être voté par le Parlement après les élections européennes, fin mai. C’est alors un choix des réalisateurs de transposer la situation espagnole à un cas français en flirtant avec le registre de la comédie :

« Elle n’est pas faite uniquement pour divertir mais également pour faire passer le message. Désirée n’est pas tellement une comédie au fond, on tire sur l’humour noir à fond ».

La comédie, un genre sérieux. Un argument défendu par de nombreux réalisateurs, tels qu’Alexandre Astier ou tel que l’avait expliqué Bertrand Tavernier, lors de son passage à Rennes le 8 octobre 2013 pour l’avant-première de son dernier film Quai d’Orsay.

Un impact important

La tendance actuelle est à la transposition. À l’occasion de la journée internationale des femmes, la réalisatrice française Lisa Azuelos (qui avait écrit un scénario pour la cause gay féminine dans les années 90, sous son nom d’épouse à l’époque, Lisa Alessandrin) utilisait ce principe dans un court-métrage de 4 minutes, 14 millions de cris, avec Julie Gayet, Alexandre Astier, Adèle Gasparov et Philippe Nahon. Un mini film dont l’objectif était de dénoncer les 14 millions de filles mineures mariées de force dans le monde.

Ici, Paul Marques Duarte et Mathilde Joubaud n’ont pas la prétention de « faire bouger les choses mais de faire réfléchir, en touchant un public large, et jeune. C’est important que les jeunes comprennent la situation ». En le projetant au lycée Saint-Martin, l’idée fait son chemin. Désirée provoque les rires dus à la situation, à la réaction naïve et spontanée – à première interprétation – du médecin, qui se transforment peu à peu en rires nerveux pour ensuite se figer sur place. Peut-on rire de tout ? La question est posée à demi-mots de manière à ne pas empiéter sur le sujet principal et les réactions des un(e)s et des autres. Vient ensuite le temps de la réflexion et des premiers ressentis.

« Étonnamment, nous avons eu pas mal de réactions masculines qui, une fois le rire passé, trouvaient ça intéressant et juste dans le traitement, pas dans la loi. Et pour les filles, certaines ont trouvé ça abusé »
confie Mathilde, interpellée.

Dérangées par le message ? Pourtant, en France, les Marches pour la vie ont envahi les rues de Paris, en janvier 2014, afin de défendre « le respect envers toute vie humaine ». Sans oublier que début décembre 2013, le Parlement européen (dont des députés UMP français) a rejeté le rapport Estrela sur la santé et les droits sexuels et génésiques, refusant ainsi de faire de l’avortement un droit européen. Une grande « bêtise de la part des héritiers de Simone Veil », nous confie l’ancienne adjointe au maire de Rennes, Nicole Kiil-Nielsen, actuellement eurodéputée écologiste.

Une suite engagée et envisagée

Pour Mathilde Joubaud, il est inacceptable de voir bafoués des droits obtenus après plusieurs décennies (lire notre article Rennes : un lieu de rassemblement pour le droit à l’avortement – 24 mars 2014). « Pourquoi régresse-t-on de cette façon ? On sait que par temps de crise, les droits sont menacés. Il suffit de peu de chose : les droits ne sont jamais acquis », s’insurge-t-elle.

Un point sur lequel la rejoint Paul Marques Duarte, qui aime s’attaquer à des sujets de société et marquer les esprits, comme il l’avait déjà fait auparavant avec son court-métrage Reflet, sur le harcèlement scolaire. Un très court-métrage réutilisé par l’État pour lutter contre ce type de harcèlement. Ou encore avec Fruit qu’on fit, dans lequel il aborde le divorce du point de vue de l’enfant, sélectionné en hors-compétition (short film corner) au festival de Cannes, l’an dernier. Tous deux ont conscience de l’impact des arts et notamment celui du cinéma sur le public et l’opinion publique.

« Plus c’est percutant, mieux c’est. Et plus c’est court, plus les jeunes regardent. En deux minutes le message passe, c’est efficace », explique Paul.

Du haut de ses 18 ans, il signe le scénario de Désirée et co-réalise le mini film en une après-midi à Laillé, près de Rennes. Il opte également pour des plans fixes « afin de montrer que les choses ne bougent pas, et surtout que personne ne bouge ». Un choix qui sera certainement réemployé dans leur deuxième court-métrage, sur le même thème mais avec un scénario différent, cette fois signé Mathilde Joubaud.

« On se placera sans doute du point de vue de la femme dans le prochain. Là, on expliquait la situation. Maintenant, on montrera le ressenti de la femme. Dans cette loi, on prend plus en compte la valeur du bébé que celui de la mère. Cette dernière doit s’effacer au profit de son enfant, ce n’est pas normal », précise la jeune réalisatrice. Toujours dans l’objectif de transmettre que l’avortement est un droit : « On peut garder l’enfant. On peut ne pas garder l’enfant. C’est un choix. Un droit. »

Pour l’heure, le duo pense d’abord à réenregistrer le son de Désirée en le post-synchronisant dans les studios rennais, Nomades productions – et peut-être modifier le titre de ce court-métrage à la suite de réactions sensibles au fait que c’était un nom mixte employé ici au féminin – puisque le film pâtit actuellement d’une mauvaise qualité nuisible à son efficacité. Des projets de diffusion sont en cours – notamment pour une projection au festival Court en Betton si le film est retenu parmi la sélection – et le tournage du deuxième volet devrait suivre dans les semaines à venir. Pour visionner la première partie de leur travail, cliquez ici.

Célian Ramis

Accoucher chez soi, une liberté remise en cause

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Rennes
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L’accouchement assisté à domicile est menacé et il devient difficile de trouver des sages femmes qui le pratiquent.
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Depuis plus de cinq mois les sages femmes sont en grève et poursuivent les manifestations, à Rennes. Elles revendiquent le statut de praticien hospitalier. En parallèle, l’accouchement assisté à domicile est menacé et il devient difficile de trouver des sages femmes qui le pratiquent.

80 à 90% des naissances ont lieu à domicile, dans le monde. C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que l’accouchement à l’hôpital s’est peu à peu généralisé dans les pays occidentaux. Les progrès techniques et médicaux ont été tels, notamment depuis les années 70, que la grossesse et la naissance sont devenus aujourd’hui surmédicalisées, surtout en France. Simultanément, l’accouchement assisté à domicile (AAD), encore assez répandu en Europe du Nord – aux Pays Bas, en Grande-Bretagne, en Belgique ou encore en Allemagne – est mal perçu dans notre pays, considéré comme archaïque, dangereux, inconscient.

Aucune étude n’a pourtant prouvé qu’il augmente les risques. « Dans le cas d’une grossesse normale, dite physiologique, sans mauvaise position du bébé ou du placenta, sans diabète gestationnel, avec une bonne préparation, l’AAD offre plus de confort, de confiance et de liberté à la femme et les suites de couches sont vraiment mieux vécues », confie Katell Chantreau, 37 ans. Elle a mis au monde ses trois enfants chez elle, à Rennes, et a réalisé le documentaire Fait Maison qui suit la grossesse et l’accouchement à domicile de son amie Kate Fletcher (http://film.fait.maison.free.fr/).

Au début des années 2000, l’AAD a connu un regain d’intérêt dans notre pays, « C’est une réaction logique face aux excès. Les femmes ne veulent plus de cette surmédicalisation. Elles ont pris conscience qu’elles pouvaient « consommer mieux » leurs grossesses et leurs accouchements, elles ont plus de discernement de ce côté là, plus de réflexion, elles ne subissent plus. Souvent, elles ont eu un premier mauvais vécu, elles ont été déçues, frustrées voire traumatisées », confie Emmanuelle Oudin, une des deux sages-femmes qui pratiquent l’AAD en Ille-et-Vilaine.

Liberté de choix

« À la maison, si on est bien préparé, si la sage-femme connaît bien le couple, cela supprime un tas d’éventuelles complications. On peut prendre un bain, se détendre, ça change beaucoup de choses. On choisit sa position ! Et cette liberté posturale n’est pas négligeable. Si je devais militer pour quelque chose, ça serait pour ça ! En outre, les pères sont plus impliqués. Et puis il y a moins de baby blues ! », insiste Katell pour défendre l’AAD tant décrié.

La jeune femme pense que son documentaire a le mérite d’alimenter la réflexion et le débat sur les différents modes d’accouchement et surtout de poser cette question : « Est-ce un droit d’avoir le choix ? ». Or, aujourd’hui, selon elle, on n’a, en France, de l’accouchement et de la grossesse qu’une vision pathologique. Un sentiment fortement partagé par la professionnelle brétillienne :

« Nous sommes formatées à l’école, on ne nous apprend que le culte de la peur, le principe de risque, alors que partout ailleurs en Europe l’AAD fait partie de la formation ». Pas étudié, mal vu, l’AAD est aujourd’hui remis en cause par une loi datant de 2002.

L’AAD remis en cause

La loi Kouchner de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé prévoit que les sages-femmes pratiquant l’AAD soient assurées. Jusqu’ici rien d’anormal. En 2011, un rapport de la Cour des Comptes, d’autre part élogieux pour les sages-femmes, a mis le doigt sur le fait que sur les 72 sages-femmes pratiquant l’AAD en France à l’époque, seulement 4 étaient assurées.

« Oui, car les assureurs nous demandent des sommes exorbitantes ! 20 000 euros en moyenne par an. Impossible », explique la sage-femme.

Ces primes sont en effet calquées sur les accouchements à risque, or l’accouchement à domicile est physiologique pas pathologique. « Nous ne prenons aucune risque, l’AAD n’est possible que si la grossesse est normale », ajoute-t-elle. Une situation incompréhensible et inextricable pour les adeptes de l’AAD. Résultat ? « Déjà critiquées, beaucoup de sages-femmes vont arrêter. Sauf que les mères qui ont eu un enfant chez elles ne vont pas aller en maternité pour leur(s) futur(s) bébé(s), elles accoucheront seules, et là il y a danger », avance Katell Chantreau.

Peu nombreuses à l’heure actuelle – entre 70 et 80 au total en France – les professionnelles risquent donc de voir encore leur nombre diminuer et ne pourront pas répondre à la demande qui elle, augmente. La France pourrait alors se faire taper sur les doigts par l’Europe, car l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme prévoit que la femme a le droit de choisir où elle accouche.