Célian Ramis
#Trans2016 : Invocation des énergies transcendantes

La nouvelle édition des Trans Musicales a investi le Parc expo de Rennes pour le premier des trois soirs, jeudi 1er décembre. Deux groupes ont retenu notre attention : Anna Meredith et Marta Ren & The Groovelvets.
ANNA MEREDITH – 22H45 – HALL 8

Les notes graves du violoncelle viennent rejoindre la mélodie entamée par le tuba et accentuer l’ambiance angoissante du début de concert. Et lorsque la batterie et les percussions s’y ajoutent, l’ensemble sonne puissant et annonce un spectacle saisissant. Et surtout ne laisse pas entrevoir ce qui attend les festivalier-e-s.
Rapidement éclatent les sonorités électro qui rythmeront quasiment l’intégralité du set de Anna Meredith. Compositrice et musicienne, elle est avant tout une créatrice. Elle raconte que la révélation fut le jour où elle relia une pédale à distorsion à un basson. Depuis, elle ne cesse d’expérimenter et de jouer des styles pour les modeler à sa manière et les affranchir de toute étiquette.
Et c’est une musique classique réinventée qu’elle nous propose, avec son premier album Varmints, sorti au premier trimestre 2016, après avoir écrit un opéra au final électro, Tarentula in Blue Petrol, un concerto pour un beatboxer et un piano et enregistré plusieurs EP. En véritable touche-à-tout, la britannique Anna Meredith se livre à de nombreuses expérimentations et les partage avec le public sur scène.
La magie opère. De la grandeur s’en dégage. Et du sublime s’installe. C’est un spectacle instrumental que nous proposent les cinq membres du groupe qui ne chanteront que très rarement. Les symphonies se marient à des lignes groovy et des sonorités rétro, quasi robotiques avant de croiser des beats rock et puissants, et plus tard des notes disco.
Le tout est un joyeux bordel, minutieusement organisé en boucan incessant qui devient presque essentiel et psychédélique par moment. Le rythme est rapide, et la puissance des morceaux se veut en permanence crescendo. L’accélération uni à l’augmentation de l’intensité de la musique nous embarquent dans un tourbillon fracassant qui finit par s’éclater dans les applaudissements déchainés des spectatrices et spectateurs.
Puis, le calme après la tempête. La violoncelliste se fait plus romantique, la mélodie plus paisible. Mais avec Anna Meredith, on apprend rapidement à se méfier de l’eau qui dort.
Car en parallèle, elle convoque à l’aide du xylophone ou d’instruments à vent des sonorités plus expérimentales qui viennent souffler sur les cordes du violoncelle comme pour les amplifier et les déformer, et l’on pense distinguer en tendant l’oreille comme un bruit sourd d’aspirateur.
Le set est pensé pour explorer toutes les facettes de l’univers du groupe, soutenu par un écran diffusant l’apparition de plusieurs animaux dessinés à l’aquarelle dans des tons clairs et des traits incertains, oscillant entre un côté enfantin et un côté abstrait.
Anna Meredith nous plonge hors du temps et nous capte entièrement de par son esprit accrocheur et stimulant.
On s’accroche à des appuis imaginaires en attendant avec un mélange d’impatience et d’appréhension le décollage. L’implosion. Ou l’explosion. On ne distingue plus. On passe par tous les états, baladés entre l’électronique très poussé, le rock, les percussions et les respirations contemplatives.
D’une chanson à l’autre, qui semble toujours reprendre la dernière partie de la précédente pour la poursuivre et lui donner une nouvelle direction, un nouveau souffle, plane toujours dans le hall une once d’angoisse. Qui sait ce qui va nous arriver.
Sur scène, l’ambiance est détendue, les musicien-ne-s souples et souriants. Ce sont les instruments qui prennent le contrôle du concert, inversant les rôles, utilisant les moyens humains dont ils disposent pour raconter leur propre histoire à travers l’extension de leur propre musique et de leur propre mélodie. Avec toujours, le soutien de la surpuissance de la batterie et des percussions.
On aurait pu attendre un final digne de l’apothéose et là encore Anna Meredith en a décidé autrement. La polyphonie dont elle use avec son petit orchestre est cette fois mise au service du chant dans leur « morceau disco de Noël ». Alors que le groupe explorait les chemins d’un style indie singulier, il prend un tournant inattendu et aborde une pop très vaste qui nous projette tout à coup à la fin d’un film de Noël des années 90.
Un virage détonnant qui ne colle pas au reste du concert mais s’affiche finalement en parfaite adéquation avec les capacités du groupe anglais à nous trimbaler d’un genre à un autre, ou dans un genre nouveau de musique classique expérimentale et rock qui du côté de Rennes pourrait ressembler au terrain escarpé et brillant du musicien et compositeur Olivier Mellano.
MARTA REN & THE GROOVELVETS – 1h05 – HALL 3

C’est ensuite au tour de l’ancienne chanteuse de The Bombazines de nous enchanter lors de cette première soirée au Parc Expo. Marta Ren envoie une énergie qui nous cloue sur place mais ne nous empêche pas de danser au rythme de sa soul/funk rafraichissante et fascinante.
Sur scène, elle n’est pas seule. Elle est accompagnée de ceux qui vont rendre son groove percutant grâce au talent du saxophoniste, du trompettiste, du pianiste, du batteur, du guitariste et du bassiste.
Ensemble, ils balancent une musique entrainante, dansante et explosive. Le groupe portugais dépoussière la soul et d'une performance vocale ils en font un véritable spectacle hypnotisant.
Elle, elle attire le regard. Difficile de la quitter des yeux tant son dynamisme est envoutant. Marta Ren s’affiche combattante, conquérante, nourrie d’une énergie rock, limite punk. En tout cas, bestiale. Sa voix puissante, perchée, parfois nasillarde, est parfaitement maitrisée et assumée.
Elle chante l’amour, la déception et la désillusion mais sans fatalisme. Elle invoque les grands noms de la soul et flirte parfois avec l’esprit d’Amy Winehouse, sans pour autant essayer de l’imiter ou dénaturer son œuvre, et prend sa place, bien méritée auprès de ces talents. La chanteuse portugaise démontre dans son attitude et les textes qu’elle interprète une personnalité entière.
Elle réclame le respect et la dignité. Chanter les histoires d’amour et les sentiments, oui, mais pas à n’importe quel prix. Elle n’est peut-être pas la « regular woman » de l’homme dont elle parle mais elle n’est pas prête à tout accepter. Et elle sait faire la différence entre les « two kinds of men ». Elle a l’esprit vaillant, le sourire et l’énergie positive des grandes femmes. De celles qui assument la globalité de leur être et explorent toutes les facettes d’un être humain. Sans barrière.
Marta Ren & The Groovelvets font de la soul en 2016 mais ne renient rien ni personne. Et adaptent même « Light my fire » des Doors, que la chanteuse admire depuis longtemps. Le regard frétillant, elle se tourne vers ses musiciens : « Light my fire babies » et entame avec eux une version arrangée très jazzy, sensuelle et langoureuse.
Elle délivre son instinct félin et derrière son faux air de Jane Birkin jeune dévoile une dark lolita un peu rock qui ne tombe pas dans le travers d’une diva soul. Au contraire, elle joue avec le public d’attitudes aguicheuses et provocatrices et joue avec ses musiciens pour qu’ils l’émoustillent de touches très funk, mélangés à un côté rétro, type années 50 et 60.
Et ça groove dans le hall 3 pendant plus d’une heure, envoyant sur la fin une énergie sauvage et animale. L’effet est fulgurant et transcendant. Marta Ren & The Groovelvets laisse le souvenir d’une expérience bouleversante et nous marque de son empreinte de guerrière de la soul.


Elle fait référence au XIXe siècle, période durant laquelle l’Argentine connut d’importantes vagues d’immigration donnant lieu à un grand métissage.
Elle joue les clichés, force l’accent et outrepasse les limites du social. Elle n’a pas de filtres, est impulsive, bavarde, envahissante et séductrice. Elle nous conte ses histoires d’amour et de sexe avec candeur, fraicheur et liberté. Maria Dolores aime les hommes.
Pour preuve que le tango fait perdre la tête, le quintet se lance dans des reprises surprenantes et farfelues, voulant prouver que cette musique serait à l’origine de toutes les autres. Ainsi, Sabine Paturel (Les bêtises), Mickael Jackson (Billie Jean), Madonna (Like a Virgin) et la Compagnie Créole (Au bal masqué) s’en seraient inspiré-e-s.

Ensemble, ils sortent un EP en septembre 2015, Minuit, dans lequel ils perpétuent le son d’un des couples mythiques du rock français. Mais sans la prétention de reproduire les chansons des Rita Mitsouko. Non.
À présent, tout est envisageable. On peut passer d’une nuit de défonce avec « Caféine » à une résolution psychique vitale dans « Recule ». La chanteuse conte le quotidien, réaliste ou psychédélique, et nous invite à l’évasion mentale.
La musique est alors plus lascive, les rythmes lancinants, les accords plus tendus. Une passion électrique, un charme évident. On est séduit-e-s instantanément et pendu-e-s aux lèvres de l’interprète qui se glisse avec talent dans la peau de cette femme fatale. Elle a un côté théâtral, Simone Ringer, une lueur de folie dans le regard. Mais elle aborde sa théâtralité et sa sauvagerie avec justesse, finesse et retenue.

Sur la pochette de son disque, Jain s’affiche dans sa robe noire au col blanc en déesse indienne à six bras. C’est au moins ce qui lui faut pour assurer le show qu’elle propose.
Ces musiques, très rythmiques entre les percussions et le synthé, sont faites pour danser. Son énergie est communicative et son partage avec le public, généreux.
C’est certain, elle est une figure émergente de la nouvelle scène électro et s’impose comme une force douce. Elle invente son style qu’elle compose de ses influences internationales, principalement situées autour du continent africain, de sa voix soul et jazz et de là créé une ébullition des genres musicaux.

Elle entre dans une ère plus pop, qui se détache de la poésie enfantine qu’elle avait l’habitude de proposer, devenue sa marque de fabrique, et qui lui permet de prendre de la hauteur.
Et le live donne de l’amplitude et de la volupté à sa musique. Elle n’en oublie pas les classiques comme « Golden baby », « Pour un infidèle », « Adieu » ou encore « Comme des enfants », dont le refrain est repris en chœur par le public lors du rappel.
On ressent encore de la timidité, qui s’entend particulièrement dans sa voix après la soirée de la veille réunissant sous le chapiteau d’abord Mansfield.TYA puis Jeanne Added, dont les organes vocaux sont majestueux, magnifiés, bruts. On la sent encore coincée, Béatrice Martin, dans une pudeur et des complexes dont elle commence tout juste à se délivrer.

D’entrée de jeu, l’artiste rémoise entame « Be sensational », également titre de son album. De par sa voix, elle impose la fascination. De par l’ensemble instrumental, composé d’une batterie, de percussions, d’un clavier et d’une basse, elle fabrique un climat sombre et inquiétant. Le tout résonne profondément dans tout l’espace du lieu.
On passe alors d’une impression de flotter dans les airs sans avoir jamais envie de remettre un pied à terre à une sensation de danger imminent.
YEGG : Vous avez étudié au Conservatoire de Paris puis à la Royal Academy de Londres. Vous avez toujours eu cette envie de musique ?
YEGG : Votre album Be sensational est composé d’électro dark et d’espoir. Quel message souhaitez-vous faire passer ? Le titre est très parlant…

Dès la première chanson, introduite par une partie instrumentale qui unit le violon à une puissante électro anxiogène, les deux artistes donnent le ton. Ce qui se traduit par une grosse claque dans la gueule.
Et au-delà de l’écriture onirique et franche d’écorchée vive de Julia Lanoë mise en perspective et valorisée par les compositions musicales et les arrangements live, elles laissent transparaitre entre elles des regards profonds qui dénotent une complicité véritablement émouvante et puissante. Et imposent une présence scénique magnifique.
YEGG : Est-ce que c’est un sujet qui vous inspire pour vos chansons ?

Avec « Cherry Blossom » et « Ol’ fashioned kiss », elle donne tout de suite le ton de son univers si singulier et inattendu. Sa voix, limpide et soprano, sonne jazz et blues. Elle qui admire Billie Holiday et vénère son défunt grand-oncle chanteur de cabaret dans l’entre-deux-guerres, s’inscrit aujourd’hui dans la lignée des figures jazz des années 40. Et va même jusqu’à cacher de moitié son visage derrière un micro allemand des années 30, dont elle ne se sépare jamais en tournée.
Elle impose le silence dès lors qu’elle délivre les premières notes des chansons. Seul un léger filet de voix transperce ce silence apaisant. Elle ne suspend pas le temps, elle le rend supportable, gai et mémorable. Même quand elle entame la partie plus sombre et néfaste du sentiment amoureux et du romantisme mutilant.

Sans jugement ni leçon de morale, il raconte leurs modes de vie, leurs états d’esprit et des bribes de leurs parcours. Loin de l’image de l’être monstrueux qu’a pu attribuer la philosophie à la misanthropie, Nicolas Bonneau apporte un discours nuancé de gris dans cette vision manichéenne de la société et de l’humanité. Et on ne peut résister à dire que son spectacle est grisant.
Waed Bouhassoun manie sans artifice les modulations du chant arabe, ce qui lui vaut d’être assimilée à des grands noms de la chanson arabe des années 30, comme l’artiste égyptienne Oum Kalthoum. Et de sa musique, la chanteuse syrienne dégage émotions vives et blessures profondes. Parmi lesquelles s’entremêlent nostalgie, douleurs, souffrances, pureté et profondeurs de l’âme.