Célian Ramis

TransMusicales 2017 : Un jeudi bien groovy

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Parc Expo, Rennes
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Premier soir des Transmusicales au Parc Expo, ce jeudi 7 décembre. Retour sur les concerts de Tanika Charles et de Lakuta.
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Premier soir des Transmusicales au Parc Expo, ce jeudi 7 décembre. Si peu de femmes figurent dans la programmation, celles qui étaient sur scène ont assuré des performances soul et groovy. Retour sur les concerts de Tanika Charles et de Lakuta.

TANIKA CHARLES – HALL 3 – 22H05

La puissante voix soul de Tanika Charles met une première claque. Puis vient la deuxième avec la dynamique portée par l’ensemble des musiciens et la choriste. Le groupe, venu tout droit du Canada, compte bien transmettre son énergie communicative, aux accents rétro mais dans un langage résolument moderne.

Les musiciens entament les chœurs en mode pop des années 60 et la chanteuse dévoile une soul classique née dans ces années-là. Elle raconte sa relation passée. Une relation toxique durant laquelle elle ne cessera de faire des va-et-vient entre la rupture et le retour vers une situation confortable aux côtés de l’être aimé. Jusqu’à ce que ce soit lui qui coupe le contact. Et qu’elle lui court après, désespérément.

Pourquoi ce comportement ? C’est ce qu’elle analyse dans un des titres de son album, Soul run. Son thème de prédilection : chanter l’amour. Les rapports de couple, complexes et compliqués. Imparfaits. Sur des rythmes lents, du fond de sa voix grave.

Si on laisse aisément bercer par la pureté du style, le rythme s’essouffle cependant rapidement et on trépigne d’impatience à l’idée de passer la seconde.

Mais l’énergie, elle, ne faiblit pas. La batterie tient en éveil et en haleine, soutenant implacablement les propos de la chanteuse, qui se voit offrir un « joyeux anniversaire » de la part du public. Et comme si tout cela avait été orchestré, le concert prend un tournant plus jazzy, avec la mise en avant du clavier et des sonorités plus tropicales.

La machine est lancée et avec, un regain de modernité. Celle-là même qui avait embarqué le hall 3 au début du set. Des décennies de soul s’entrecroisent, Lauryn Hill rencontre Tina Turner dans le corps de Tanika Charles et le mélange avec le r’n’b, s’il n’est pas surprenant, est tout du moins détonant.

Les récits se corsent aussi, on sent plus d’affirmation de la protagoniste dans ses histoires d’amour, plus de force dans le discours. Une évolution crescendo qui nous fait presque rougir d’avoir pensé quelques instants à un début mal engagé et qui nous ravit. D’autant plus lorsque le groupe entame le titre phare de l’album, au nom éponyme, le fameux « Soul run ».

« Vous savez la personne de tout à l’heure que j’ai quittée… puis je suis revenue, puis je suis partie, puis je suis revenue, puis je suis partie, puis je suis revenue. Et ben, un jour, j’ai vraiment décidé de partir. Et maintenant, vous savez quoi ? Je suis heureuse ! Here we go ! », scande l’artiste.

Sa voix déploie alors encore plus de puissance et son corps suit le mouvement. C’est une explosion de groove qui assaille la scène des Transmusicales. Une explosion que l’on doit également aux guitaristes, qui prennent désormais le pas sur la batterie et le clavier. La bonne humeur et le second degré envahissent la salle et entrainent la foule sans difficulté.

L’ensemble se veut plus rock, plus électrique et plus électronique. Comme s’il suivait le fil de l’évolution du registre de la soul, tout comme celle des mentalités.Tanika Charles « et les Wonderful » terminent le concert avec la grosse patate et nous aussi.

 

LAKUTA – HALL 3 – 1H05

S’il nous faut garder qu’un seul nom de cette première soirée au Parc Expo, ce sera sans hésiter Lakuta. En swahili – langue maternelle de la chanteuse Kenyanne-Tanzanienne Siggi Mwasote – il signifie « trouver, rencontrer, partager ou être comblé ».

Et il ne faut pas très longtemps pour s’apercevoir que c’est une évidence pour ce collectif composé de neuf artistes, basés au Royaume-Uni mais provenant d’origines diverses (Kenya, Tanzanie, Ghana, Malaisie, Espagne, Royaume-Uni).

On voyage et on danse en permanence. On parcourt le monde du jazz, du funk, de la soul, du zouk ou encore de l’afrobeat et pour ce faire, on effectue quelques escales en Afrique, dans les Caraïbes ou en Amérique du Sud. Et ça balance du groove, sans relâche.

Lakuta dynamite la scène et envoie une énergie totalement dingue. On est suspendu-e-s à chaque sonorité, à chaque registre, à chaque rythmique et à chaque phrase.

La moindre paillette – qui se loge jusque sur les chaussures de la chanteuse – nous éblouit et nous embarque dans cette aventure ensoleillée et diversifiée.

Pourtant, les thèmes abordés dans les chansons ne sont pas des plus positifs et réjouissants. « Nos mots sont importants et nos musiques sont belles, j’espère que vous pouvez percevoir les deux. », lance Siggi Mwasote qui entame « Afromama », un titre sur la condition des filles et des femmes en Afrique.

Elle y réclame la liberté des femmes et proclame que ces dernières ne sont pas des propriétés à posséder. Et au fil des chansons suivantes, elle poursuit son action en diffusant le message auquel tient le collectif : l’unité dans la diversité et l’humanité. Dire non à la brutalité, non aux enfanticides, non aux féminicides. Et non au Brexit.

Parce qu’il est synonyme de fermeture. Tout ce que refuse Lakuta qui prône le vivre-ensemble – l’album s’intitule Brothers & sisters – et qui démontre la beauté et la richesse des références et influences différentes.

La world music prend le contrôle de la scène, mêlant à la fois du reggae et du jazz, du zouk et de la soul, de l’afrobeat et du funk, grâce aux talents des cuivres (saxophone, trombone, trompette), des percussions (congas, bongos, shékérés,…), des cordes (guitare, basse, cora) et de la batterie. Sans oublier le coffre et la puissance de la chanteuse, à l’énergie débordante et au sourire communicatif.

Passant d’un flow impressionnant de par sa rapidité à des envolées plus soul, le phrasé de Siggi, soutenu et accompagné par l’ensemble des musicien-ne-s, renforce le sentiment d’urgence et d’exigence qui émane des textes, toujours en lien avec l’actualité (une chanson aborde également les violences sexuelles et la communauté LGBTI).

Une force incroyable se dégage de sa voix, de son corps mouvant, de sa manière de bouger, de croiser ou de lever les poings en l’air mais aussi de chaque rythmique, de chaque mélodie et de chaque sonorité. Le collectif envoie la sauce sans vaciller un seul instant et sans jamais perdre le fil de cette énergie débordante et explosive, qui monte en puissance tout au long du set. Eblouissant, dans le fond et dans la forme.

Célian Ramis

Inspiration Riot Grrrls

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De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.
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De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.

Au début des années 90, Internet n’existe pas. Le grunge s’apprête à exploser mais il n’est pas encore délimité. Sur la côte Ouest des Etats-Unis, la ville d’Olympia est en pleine émanation musicale. Et les femmes sont partie prenante de la production.

« Elles vont se rendre compte que le personnel est politique, que ce qu’elles ressentent est politique, qu’elles ont envie de prendre des instruments et faire de la musique : elles s’interrogent alors sur la place des femmes dans la société underground et plus largement dans la société. », explique Manon Labry, docteure en civilisation nord-américaine, dont la thèse a porté sur les relations entre culture mainstream et sous-cultures underground, à travers l’étude du cas de la sous-culture punk-féministe.

FAIRE ENTENDRE LEURS VOIX ET LEURS IDÉES

Le 28 juin dernier, au Jardin moderne, elle racontait la naissance du mouvement Riot Grrrls. Un récit qu’elle publie en avril 2016 dans son ouvrage Riot Grrrls, chronique d’une révolution punk-féministe. Newsletters, fanzines féministes, concerts, esprit DIY, la création est en pleine ébullition. Et prend d’autant plus d’ampleur quand la scène olympienne rencontre la scène washingtonienne, « plus politique, plus organisée ».

Les musiciennes féministes de l’underground étatsunien vont révolutionner le paysage musical punk et porter des revendications encore tristement d’actualité en 2017. Les groupes emblématiques tels que Bikini Kill (qui comptabilise dans ses rangs Kathleen Hanna et Toby Vail), Bratmobile ou encore Heavens To Betsy font entendre leurs voix et dénoncent des pratiques qu’elles trouvent inacceptables.

« Les féministes s’emparent de la scène underground et produisent des choses qui n’ont encore jamais été entendues, même si le terrain avait déjà été tâté par L7 », précise Manon Labry. En effet, L7 abordait déjà la question du plaisir féminin et de la masturbation, entre autres. Pourtant, elles ne prendront pas part au mouvement.

« Pour autant, elles ont beaucoup influencé les Riot Grrrls, ont collaboré et se sont entraidées. Elles étaient, si on peut dire ça comme ça, des collègues de lutte. Les Riot Grrrls ont continué sur la lancée, en ajoutant les violences faites aux femmes, les viols, les incestes. », souligne-t-elle.

SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE

Entre 1990 et 1995 – période sur laquelle Manon Labry focalise son récit, correspondant alors à la naissance du courant – les groupes émergent, tout comme les fanzines féministes se répandent, comme Jigsaw ou Riot Grrrls. On prône alors l’esprit DIY, l’émancipation (sans jalousie entre meufs) mais aussi le retour aux idéaux premiers du punk :

« À cette époque, on déchante un peu du punk qui se veut horizontal mais les scènes masculines sont majoritaires et les comportements machos sont pléthores. « Girls to the front » (réclamer que les femmes accèdent aux devants des scènes et faire reculer les hommes) est alors une stratégie, que Bikini Kill explique lors des concerts mais aussi sur des tracts, pour que l’espace ne soit pas dominé par des hommes. »

Le mouvement est inspirant, puissant, contagieux. Et controversé. Pas au goût de tout le monde. Elles sont régulièrement la cible des médias mainstream qui les décrédibilise, les faisant passer pour des hystériques criant dans leurs micros. Dans son ouvrage, la spécialiste détaille l’ampleur que prendra cette médiatisation de la haine, allant des menaces (de viol, de mort…) jusqu’à l’exécution de ces dernières.

Si le mouvement a disparu de sa forme originelle, il a fait des émules – comme par exemple avec l’ovni Le Tigre, groupe dans lequel on retrouve Kathleen Hanna - et a poursuivi son chemin en souterrain.

À l’instar du collectif dont les dessins, manifestes et photos étaient à découvrir au Jardin Moderne jusqu’au 31 juillet dans l’exposition « Desde Buenos Aires, Contra Ataque Femininja Mutante » mais aussi du groupe punk féministe Nanda Devi (trio rennais), « qui compte parmi les 12% du Jardin moderne », qui jouait le 28 juin, après la conférence, et portrait fièrement l’inscription « No, no, no »  (du nom d’une de leurs chansons) sur leurs t-shirt :

« Parce que c’est important de se positionner en tant que meufs et de savoir dire non ! »

Célian Ramis

Mythos 2017 : Calypso Rose, reine de l'humanité

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Parc du Thabor, Rennes
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Calypso Rose, c’est un vent chaud de liberté et l’expression joyeuse d’un monde empreint d’inégalités. Rien de mieux pour clôturer la 21e édition du festival Mythos, dimanche 9 avril, dans le cabaret botanique.
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Calypso Rose, c’est un vent chaud de liberté et l’expression joyeuse d’un monde empreint d’inégalités. Rien de mieux pour clôturer la 21e édition du festival Mythos, dimanche 9 avril, dans le cabaret botanique.

Elle aura 80 ans en 2020. Si en entrant dans le magic mirror, ses pas sont lents, Calypso Rose, une fois le pied sur la scène et la musique dans les oreilles, place son énergie au service d’un spectacle aussi enflammé que sa carrière – initiée en 1955 - et que la ferveur de son engagement.  

À 23 ans, elle est la première femme dans l’histoire à remporter le concours Calypso King. Son titre lui colle encore à la peau, à une exception de langage près.

Elle est la « Calypso Queen » comme elle le chante sur une reprise travaillée de « Clandestino », clin d’œil à Manu Chao, producteur artistique de son dernier disque, Far from home.

Elle est loin de chez elle, loin de Trinité-et-Tobago, où elle est née, loin des Etats-Unis, où elle habite, loin de l’Afrique, où elle puise ses racines.

C’est avec « I’m an african » qu’elle débute son concert dans le magic mirror. Son sourire est aussi communicatif que son énergie. Des deux, elle en déborde.

Pourtant, les sujets qu’elle traite dans ses chansons ne prêtent pas à rire ou à se réjouir. Avec « No Madame », elle aborde la condition de travail, en 1974, des domestiques de son archipel natal et appelle à la désobéissance parce qu’elle se souvient des pleurs de ces derniers qui travaillent pour un salaire de misère.

Elle qui a toujours cru au pouvoir de la musique pour renverser les choses est servie : avec cette chanson, le gouvernement se voit voter une loi pour une augmentation significative des salaires des domestiques.

Elle dénonce la situation de son arrière-grand-mère kidnappée et vendue tout comme elle s’insurge contre les violences conjugales, dans « Abatina » par exemple. Elle s’engage pour les droits des femmes, pour l’égalité entre les sexes. Les applaudissements retentissent quand elle invite les femmes à ne pas épouser des hommes riches :

« N’épousez jamais un homme comme Donald Trump. Sa femme est toujours derrière, avec l’air triste. Lui, il est à la Maison blanche. Elle, elle est dans la tour Trump à New-York. N’épousez jamais un homme qui a de l’argent ! »

La Miriam Makeba des Caraïbes, comme certain-e-s la surnomment, fait passer ses messages avec un sourire large et chaleureux. Elle est solaire et sa bonne humeur est contagieuse. Tout comme son sens de l’humour et sa manière de bouger le bassin et le ventre, qu’elle nous montre à plusieurs reprises soulevant son haut d’un air malicieux, avant de donner plusieurs baisers à un homme du public auprès de qui elle déclare sa fougue : « J’adore ton sourire et j’adore ta barbe ! »

Calypso Rose transpire la liberté et l’indépendance. Elle qui a du s’affirmer contre son père pasteur convaincu que le calypso était la musique de l’enfer a choisi de briser ses chaines et les tabous sur des airs fortement endiablés. Mélange de jazz, blues, soca et ska, l’alliance des percussions, cuivres et cordes se marie à son énergie et son envie d’en découdre joyeusement.

Et si la chanteuse quitte deux fois la scène pour recharger les batteries, son groupe composé de musiciens et de choristes assure l’intérim sans problème, maintenant la dynamique généreuse et colorée de l’esprit Calypso Rose. Un instant gravé dans les mémoires qu’il est bon de se remémorer lorsque la pression devient trop forte, pour se laisser chalouper sur les rythmes enjoués de sa musique, son sourire imprimé devant nos yeux illuminés.

Célian Ramis

Mythos 2017 : The Pirouettes, joyeux brassage dans la pop française

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Parc du Thabor, Rennes
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Samedi 8 avril, le duo hype de la pop synthé française, The Pirouettes, répandait leur feel good musique dans le parc du Thabor, au cabaret botanique précisément, à l’occasion du festival Mythos.
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Samedi 8 avril, le duo hype de la pop synthétisante française, The Pirouettes, répandait leur feel good musique dans le parc du Thabor, au cabaret botanique précisément, à l’occasion du festival Mythos.

Au lycée, Léo écrit une chanson d’amour à Vickie. Depuis, le couple a donné naissance à un duo musical prénommé The Pirouettes. Sur scène comme sur leur premier album, Carrément carrément, Vickie Chérie et Léo Bear Creek naviguent à travers les époques et entre les styles.

Dès les premières chansons, les inspirations sautent à la tronche. Il y a là la vague sur laquelle surfe La Femme, repêchant les sonorités pop synthé des abysses des années 80 en les mélangeant à un rap des années 90. Ainsi, The Pirouettes convoquent leurs multiples et éclectiques influences, allant de Michel Berger à Booba, en passant par Jacno. Large.

Mais on croise aussi Etienne Daho – qui les a d’ailleurs pris sous son aile -, Lio, Oxmo Puccino et bien d’autres. Et on s’amuse de cette vive effervescence, alliée à une écriture faussement naïve et expressément second degré. Ils chantent l’amour, le couple, le quotidien, le succès, l’ailleurs et la fête.

Le Magic Mirror, ce soir là, ressemble à une boom pour adultes, ou grands ados, sans les slow et le quart d’heure américain. Ou devrait-on dire le quart d’heure français puisque le duo prône la langue de Molière, honorant leur génération, leurs idoles et la nouvelle catégorie d’électro pop hexagonale.

Ça fonctionne plutôt bien. L’ambiance est bonne, les attaques instrumentales permettent de lâcher la pression, les accords répétitifs défoulent, le flow est rapide et efficace, et le tout file la patate. On se voit « chanter sous les cocotiers », avec « Un mec en or » avant de se jeter dans le « Grand bassin ».

Pourtant, on n’est pas carrément carrément conquis-es par la prestation live. Après 5 ou 6 chansons, on se lasse de la redondance musicale. Malgré leur énergie communicative, on sait que la scène n’est pas leur domaine de prédilection. Peut-être leur retenue apparente mériterait le lâcher prise auquel leurs chansons nous incitent pour dépasser le stade du concert « sympa ».

 

Célian Ramis

Mythos 2017 : Claire Diterzi, dans les coulisses de son inspiration

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Parc du Thabor, Rennes
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Raconter la genèse de son album, « ce n’est pas ce qu’on attend d’une chanteuse », proclame Claire Diterzi, qui était vendredi 7 avril sur la scène de Mythos, au cabaret botanique, pour partager avec le public son Journal d’une création.
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Raconter la genèse de son album, « ce n’est pas ce qu’on attend d’une chanteuse », proclame Claire Diterzi, qui était vendredi 7 avril sur la scène de Mythos, au cabaret botanique, pour partager avec le public son Journal d’une création.

En mars 2015, l’ovni Diterzi sort un nouvel album. 69 battements par minute. La chanteuse-compositrice-auteure a décidé pour de prendre des chemins de traverse pour sa carrière. Elle veut faire de la chanson contemporaine. Mais ça n’existe pas dans les cases étriquées de l’art en général.

« Aujourd’hui, c’est la consécration des chanteuses avec des histoires d’amour archi connues qui rassurent les ménagères de plus de 50 ans. Mais je n’veux pas, moi, rassurer les ménagères de plus de 50 ans, je n’vois pas l’intérêt ! », s’exclame-t-elle. Alors Claire Diterzi fabrique son univers, résolument rock et extravagant, et impose son style.

Tenant un journal de bord durant la création de son disque, elle s’extirpe des cases étroites et explose les codes en proposant au public une manière originale de découvrir les sources de son inspiration. Concrètement, l’artiste dématérialise l’objet musical l’incluant dans une démarche globale, réunissant photos, collages, vidéos, théâtre, littérature et live au ukulélé.

Si ses chansons sont des extraits métaphoriques d’instants de vie vécus, sur scène, elle en donne les clés, pour décrypter les messages, comprendre les sens cachés. Des réflexions alambiquées, des jeux de mots, des private joke, des références, etc. Derrière les filtres de l’humour et l’esprit punk qu’on lui connaît, elle livre son histoire personnelle.

Elle, la fille d’Abdel, père kabyle tuberculeux obsédé par l’envie d’avoir un fils qui l’appellerait Sauveur. Elle, la fille d’une mère qui avait la main lourde sur ses filles parce qu’elle avait été abandonnée par son mari. Elle qui a grandi en cité HLM près de Tours, qui a été interpellée par le nombre de molosses – souvent des bergers allemands – tabassés par leurs propriétaires.

Elle qui ne veut pas d’enfant a eu deux filles et qui a divorcé de son époux metteur en scène après 10 ans de mariage. Elle qui a vécu dans le rue Poulet. Elle qui a une amie prénommée Kaka. Elle qui n’a annulé qu’une seule fois un concert pour cause de pneumonie et qui en passant une radio des poumons a aimé voir écrit « cul de sac pleuraux libres ».

Elle raconte des souvenirs, les couleurs et les motifs des papiers peints de son enfance, qu’elle alimentera de dessins de pénis, des passions, comme celle qu’elle entretient pour Rodrigo Garcia, des anecdotes qui semblent sans intérêt mais que tout le monde a vécu en observant les gens dans le métro, des faits médicaux en passant la visite médicale obligatoire au renouvellement de son statut d’intermittente du spectacle…

Elle a des troubles du sommeil, parce qu’elle a essuyé « un bon gros coup de pute cet hiver mais elle en a vu d’autres », elle a un penchant – et un déni pour celui-ci – pour l’alcool, elle considère que vieillir n’est pas nécessaire, n’a plus peur de la mort et a vécu pendant deux ans avec un homme impuissant. Du gâchis selon elle, puisqu’elle boxe dans la catégorie « bonnasse ».

De tous ces détails jaillissent des raisonnements parfois absurdes, parfois tirés par les cheveux, parfois poétiques et parfois trash. Et finalement, comme les mille pièces d’un puzzle, tous ces fragments de vie et de pensées s’emboitent pour devenir « Un pédé refoulé », « Infiniment petit », « L’avantage avec les animaux c’est qu’ils t’aiment sans se poser de questions », « 69 battements par minute »…

Libre, rebelle et indépendante, elle affiche sa transgression et son esprit irrévérencieux dans un seule en scène qui semble de temps en temps manquer de naturel et de spontanéité mais qui démontre une manière nouvelle d’exprimer l’art et la musique. Une forme intéressante et intrigante.

 

Célian Ramis

Mythos 2017 : PJ Harvey, vision poétique d'un monde en berne

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Parc du Thabor, Rennes
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PJ Harvey a publié, en amont de son dernier album, un recueil de poésies, The hollow of the hand dont elle proposait une lecture, vendredi 7 avril, au cabaret botanique, à l’occasion du festival Mythos.
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Connue pour son rock abrasif et alternatif, la chanteuse-compositrice-auteure britannique PJ Harvey a publié en amont de son dernier album, The hope six demolition project (mai 2016), un recueil de poésies, The hollow of the hand dont elle proposait une lecture, vendredi 7 avril, au cabaret botanique, à l’occasion du festival Mythos.

Elle cherchait quelqu’un pour faire des photos. En découvrant l’exposition de Seamus Murphy à Londres, elle reste sans voix face à son travail. À partir de ce moment-là, elle fera tout pour le rencontrer. « Il ne me connaissait pas, on est devenus amis. », explique-t-elle en cette fin d’après-midi ensoleillée.

Il est photojournaliste et affiche au compteur des années d’expérience dans des zones de conflit. Elle lui propose alors de collaborer sur son projet et de voyager ensemble. Le duo se rendra tout d’abord au Kosovo :

« j’ai toujours été fascinée par ce pays, été intéressée et horrifiée par la guerre là-bas. C’est là qu’on commence. »

Debout sur la scène, elle déclame ses poèmes dans la langue de Shakespeare, traduits en français sur l’écran installé derrière elle. C’est un autre univers que propose PJ Harvey qui dans The hope six demolition project distille un rock saturé, un rock incisif et un blues viscéral, sous-tendus par des sonorités orientales et des effets vocaux aigus et enfantins.

Mais c’est le même voyage dans lequel elle nous invite. Nous embarquant dans un monde qui part à vau-l’eau. Elle nous guide, à travers sa voix et sa plume, dans les villages abandonnés aux maisons en ruines, dans les sols poussiéreux auxquels les derniers espoirs se confondent, avant de visiter, de ses yeux ébahis, l’Afghanistan.

« Je vouais y aller depuis plusieurs années. Et Seamus connaissait très bien le pays. On y est allés, moi j’avais seulement un carnet dans lequel je notais tout ce que je voyais. On a vécu plusieurs situations difficiles et être poète, ça aide beaucoup. Seamus disait tout le temps que j’étais poète, ça nous a sorti de ces situations, car c’est très respecté en Afghanistan. », souligne-t-elle, précisant qu’elle a tenté, autant que possible, de se détacher d’idées préconçues, observant son environnement avec des yeux d’enfant, simplement en notant ce qu’elle voyait, « de manière naïve ».

On traverse avec elle les paysages dont les reliefs cachent des millions d’années de douleurs, dont les vallées s’illuminent et dont les montagnes voilées dominent tout ce qui a trait à l’humanité. On croise un singe orange dans la peau sage, une colombe grise qui surplombe les ruines, un garçon orphelin de maison qui n’oublie pas ses valeurs d’hospitalité en offrant du thé et du pain aux voyageurs, une main ignorée qui mendie.

La salle est suspendue à ses lèvres. À la manière d’une Cate Blanchett, elle perçoit l’entière attention de son auditoire. Elle narre une infime partie de la noirceur du monde qu’elle nuance de douceurs et de poésie sensible. La pauvreté résonne comme un thème majeur et central de son œuvre, contrecarrée par des onces de beauté qui ne peuvent avoir valeur pécuniaire.

Son voyage s’achève à Washington DC, point névralgique des hautes décisions politiques prises par les Etats-Unis en direction du Kosovo et de l’Afghanistan, entre autre.

« Nous avons gardé la même démarche : observer autour de nous. Et on a retrouvé une similitude dans la pauvreté. »
précise PJ Harvey.

La grande et longue Histoire, les migrations, la mendicité… et toujours, pour les exprimer, les refléter et les mettre en perspective, des Hommes et des animaux, des colombes en particulier. Et c’est dans un climat apaisé qu’elle entame la lecture de certains poèmes de sa nouvelle collection. Captivant.

Célian Ramis

Mythos 2017 : Olivia Ruiz, chanteuse vénéneuse

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Parc du Thabor, Rennes
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Son énergie est communicative et libératrice. La chanteuse Olivia Ruiz était en concert à Rennes, dimanche 2 avril, au parc du Thabor. À l’occasion du festival Mythos, elle présentait son nouvel album, À nos corps aimants.
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Son énergie est communicative et libératrice. La chanteuse Olivia Ruiz était en concert à Rennes, dimanche 2 avril, au parc du Thabor. À l’occasion du festival Mythos, elle présentait son nouvel album, À nos corps aimants.

Elle se tient droite, chignon serré sur la tête et regard franc. Elle a la rigidité et la tête haute d’une danseuse de flamenco. Elle interprète « La dame-oiselle », chanson figurant sur son dernier album en date, À nos corps aimants. Le désir en est le fil rouge et elle chante en ouverture son envie d’être mère.

Le frisson parcourt le magic Mirror, suspendu aux lèvres de la chanteuse qui enchaine rapidement sur des sonorités plus rock, quittant sensuellement son haut, dévoilant la robe choisie par les internautes.

Avec ses cheveux qu’elle détache, elle lâche les chevaux. L’énergie est explosive, sa voix maitrisée à souhait, sans surprise.

Elle a ce talent que possèdent les grandes chanteuses de cabaret, qui proposent un show parfaitement rythmé. On ne la quitte pas des yeux et on la laisse nous embarquer dans ces folles histoires qui s’avèrent teintées de sombre extravagance.

Une manière de conter la société et la condition des individus, qui n'est pas sans rappeler Thomas Fersen (qui sera en concert à Mythos le dimanche 9 avril, au parc du Thabor également). Mais Olivia Ruiz a un univers et un style propre et singulier.

Elle s’affiche en femme dangereuse, flirte avec le mystère et envoute son public. Le genre de personne qui vous hypnotise pour pouvoir vous manipuler selon ses désirs et intentions, avant de doucement vous empoisonner.

Elle joue sur les facettes multiples qui se dévoilent une fois la nuit tombée, parle des instincts primitifs que la noirceur nocturne provoque et des retours à la norme une fois le jour levé.

Et sa manière de mettre en perspective le décalage entre sa voix, son parlé franc et bobo-populaire et son camaïeu de sensualité en est presque jouissive.

Elle oscille entre poésie, candeur et assurance mature. Et dégage un sentiment d’épanouissement et d’accomplissement. Elle aborde dans ses textes le désir.

Le désir de réaliser des choses, de fantasmer librement, de ressentir son corps et la chaleur de l’Autre, de s’exprimer sans détour. Et surtout sans tomber dans les travers des clichés.

Interprétant aussi bien ces nouvelles chansons comme ces classiques, dont « La femme chocolat », « Les crêpes aux champignons » ou encore « Elle panique », Olivia Ruiz se montre multiple à l’instar de son titre « Le tango du qui », véritable défilé de personnalités diverses, aussi loufoques que fantasques.

« Je suis qui bon me semble », chante-t-elle. Mère depuis l’année dernière, elle fait part de son vertige face à ce petit être et entame avec le public une berceuse pour Nino « qui dort juste à côté » en espagnol avant de nous emmener dans « les rues de Barcelone, de La Havane ou de Bogota, avec une fiole de rhum pour se lâcher parce que c’est comme ça que ça se passe ! »

Femme fatale aussi, ou encore femme fragile, femme en prise à la peur d’être oubliée, femme déjantée, femme posée, femme forte, avec un penchant pour le cannibalisme… Elle est une femme libre sur scène, généreuse et entrainante. Son venin est mortel et dans ces conditions, on aime se faire piquer.

Célian Ramis

Lumières sur Ellie James

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Tambour, Rennes 2, Villejean
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Elle s’était fixée l’objectif d’un concert seule-en-scène avant ses 25 ans. C’est chose faite depuis le 13 février dernier, date à laquelle elle a donné sa première représentation de Lumières, un ciné-concert dévoilé lors du festival Travelling, au Tambour à Rennes.
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Elle s’était fixée l’objectif d’un concert seule-en-scène avant ses 25 ans. C’est chose faite depuis le 13 février dernier, date à laquelle elle a donné sa toute première représentation de Lumières, un ciné-concert dévoilé lors du festival Travelling, au Tambour à Rennes.

De son museau le loup fait rouler la lune dans la forêt, les plaines et les montagnes pour qu’enfin jaillisse la lumière. À Buenos Aires, un homme tente d’avoir une idée bien éclairée pour que la vie ne soit plus rythmée uniquement par la lumière du jour. Et tandis que quelque part sur la planète bleue, un petit bonhomme astique le soleil tâché, un écureuil et une chauve-souris se disputent une luciole dans les entrailles de la terre, là où s’activent les rouages du jour et de la nuit.

Durant l’été 2016, la chanteuse et musicienne Ellie James s’est attelée à la sélection de quatre courts-métrages destinés à sa première création solo, proposée par L’Armada productions. Un projet qui a ensuite rejoint l’envie de l’association Clair-Obscur de présenter un ciné-concert au jeune public, à l’occasion de leur festival annuel, Travelling.  

« J’aime beaucoup le cinéma mais l’animation, j’avais plus de mal. Donc j’ai été un peu pénible, plaisante Ellie James. Mais j’étais trop excitée, je n’ai jamais fait un concert toute seule, sur des films en plus. Clair Obscur m’a passé des DVD des films jeune public qui ont concouru les années précédentes à Travelling. Et j’en ai cherché plein de mon côté. Fin septembre, début octobre, on a choisi définitivement, et le thème de la lumière est venu comme une évidence. »

LA MUSIQUE EN INTRAVEINEUSE

Si le cinéma d’animation n’est pas sa spécialité, en revanche la musique oui. Elle baigne dedans depuis toujours. Parce que sa mère est chanteuse et musicienne et son père, ingénieur du son et fabricant de cool drum. Parce qu’elle a été nourrie à la maison par les chansons des Beatles, des Who ou encore des Beach Boys.

Petite, elle a pris des cours de chant et de piano. Puis a arrêté. Avant de s’y remettre au lycée avec des amis de son frère (membre du groupe rennais Totorro). « On a joué à la fête de la musique de Saint-Brieuc et c’est là que j’ai été repérée par les gars de Bumpkin Island qui cherchaient une chanteuse. C’était intimidant car ils avaient 10 ans de plus que moi, je devais réussir à prendre ma place, tout en rentrant dans le moule mais en gardant mon univers ! », se souvient-elle.

Elle intègre le groupe en 2011, en parallèle de sa licence en génétique et de ses cours de chant lyrique au Conservatoire de Rennes. Quelques années plus tard, elle entre dans la formation de Mermonte qui a alors besoin de voix. Et participe également au projet de Florian Jamelot, Mha. Prendre la route pour partir en tournée, enregistrer en studio (Bumpkin Island vient de sortir son nouvel album, début février, et Mermonte devrait en faire autant au début de l’automne 2017), assurer au micro, au clavier et aux percussions, elle gère.

À LA DÉCOUVERTE D’UN UNIVERS MULTIPLE

Face au projet de ciné-concert, la musicienne ne recule pas devant le défi d’une composition intégrale à réaliser seule. Et dans un temps plutôt court. « Fallait que j’utilise la MAO ce dont je n’ai pas l’habitude, que j’achète du matériel et que je fasse la musique. J’ai passé des journées entières à tester des choses et c’est marrant à quel point les différentes versions musicales créent des lectures très différentes du film. Finalement, je me rendais compte que je revenais souvent à mes premières versions. Tant mieux, ça m’a montré que je pouvais me faire confiance. », s’enthousiasme-t-elle.

Ellie James, elle est pétillante. Pleine d’entrain. Sur scène devant ses instruments comme autour d’une table de café, elle transmet une joie de vivre, d’expérimenter et de partager. Parmi les courts-métrages projetés dans Lumières, elle démontre sa sensibilité, son humour et sa poésie. Un univers qu’elle retranscrit en musique, à travers des ambiances planantes, mêlant de la pop à de l’électro, des percussions à des sonorités organiques.

Et évidemment, sa voix. Qu’elle considère comme un instrument à part entière. Qu’elle sample et boucle. Qu’elle répète et harmonise. Qu’elle libère en anglais et en français. C’est rond et chaleureux. Hypnotisant et doux. Une invitation à s’envoler et à voyager au fil des animations, dessinées ou réalisées en stop motion, mais aussi à travers son histoire familiale.

« Je voulais absolument avoir un hang drum, instrument qui a fasciné mon père lorsqu’il l’a découvert, et d’un cool drum. Et puis j’ai un harmonium indien aussi que ma mère m’a ramené d’Inde. Je voulais faire profiter les autres de cet instrument et trouver des manières de le faire sonner autrement. », commente Ellie James.

L’ABOUTISSEMENT PERSONNEL

Mais ce n’est pas uniquement pour des raisons intimes qu’elle s’entoure de tous ces instruments et de ces baguettes lumineuses. Elle évoque également leur aspect ludique à regarder et instinctif à jouer. Des arguments importants pour la création d’un spectacle jeune public (à partir de 3 ans) : « Il fallait penser à attirer l’attention et l’œil, surtout pour les plus petits. Et surtout qu’entre les films, il y a un écran noir. Il faut alors pouvoir leur dire « coucou, je suis là, c’est pas fini ». »

De cette expérience, elle tire une grande satisfaction. Celle d’avoir osé et d’être aller au bout du processus : « Ça me faisait peur mais ça me trottait dans la tête. Je m’étais fixée de faire un concert seule avec mes 25 ans. Je n’avais encore jamais été complètement moi ! Être seule sur scène, c’est un réel apprentissage. C’est comme une chorégraphie, faut que ça devienne mécanique et avoir des roues de secours en cas de problème. »

Elle est déterminée, bosseuse et passionnée. Talentueuse, solaire et tenace. Lumineuse et créative. La preuve que les femmes ont leur place sur scène, ça, elle en est convaincue, elle qui a souvent pu constater qu’en festival, elle était souvent une des rares artistes femmes.

« Vous n’avez pas vu cette affiche sur laquelle les noms des hommes étaient enlevés ? Il ne reste plus grand chose… », scande-t-elle (dans un registre plus global au niveau des arts, HF Bretagne révélera les chiffres 2016/2017 concernant la place des femmes dans le spectacle vivant en Bretagne, le 3 mars, à la Maison Internationale de Rennes, à 17h45).

Pour la suite, elle jouera Lumières le 30 avril à Bruz et le 15 juin à Paris. Et espère qu’en septembre, d’autres dates s’ajouteront à son agenda déjà bien rempli (à noter également que Bumpkin Island sera aux Embellies, à Rennes, le 10 mars) : « Tout foisonne en ce moment, je suis trop contente ! »

 

Les courts-métrages présentés lors du ciné-concert Lumières :

  • Lunette de Phoebe Warries
  • Luminaris de Juan Pablo Zaramella
  • Le trop petit prince de Zoïa Trofimova
  • Tôt ou tard de Jadwiga Kowalska

Célian Ramis

#Trans2016 : Convocation d’artistes engagé-e-s

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Parc expo, Rennes
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La légende des Trans Musicales voudrait que le vendredi soit le meilleur soir du Parc expo. C’est pourtant la programmation de ce samedi 3 décembre qui a révélé les sensations les plus puissantes.
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La légende des Trans Musicales voudrait que le vendredi soit le meilleur soir du Parc expo. Pour la rédaction, c’est pourtant la programmation de ce samedi 3 décembre qui a révélé les sensations les plus puissantes.

AISHA DEVI – HALL 9 – 23H

Après une dizaine d’années à se produire sous le nom de Kate Wax, la voilà de retour sous son vrai nom, Aïsha Devi. Dans le hall 9, devant ses platines et son ordinateur, elle est plongée dans le noir. Seul un grand écran l’éclaire, diffusant images et vidéos à l’esthétique psychédélique subjuguante.

La programmation parle même de « créations psychédéliques et transhumanistes du photographe et vidéaste Emile Barret ». On ne savait pas réellement à quoi s’attendre, on se réservait la surprise pour le live. À l’écran, ce sont des images détourées de statuettes égyptiennes et incas et des gravures bibliques qui défilent avec en fond un homme au visage entièrement maquillé et au look tribal, qui danse une sorte de trans.

Au fur et à mesure du concert, les clips évoluent. On voit alors passer des têtes de mort, des dessins d’hommes éventrés, des dessins anatomiques ou encore des formes démultipliées à la manière d’un kaléidoscope. Aucun doute, l’œil est accroché.

Il est même fait prisonnier de cet étrange dispositif qui tend à dévoiler des images de plus en plus trash, laissant apparaître des scènes de domination, d’asservissement, quasiment de torture, ainsi que des corps déchiquetés et mangés par des humains avant de laisser place à des images de nains indiens.

Et malgré la violence de certains visuels, il est difficile d’en détourner le regard. Comme s’il s’agissait là d’un acte volontaire pour se laisser guider vers une hypnose certaine, clef d’un état de transe à venir. Car la musique que produit Aïsha Devi est plus qu’une incantation. Elle est un rite initiatique au chant chamanique.

Ces influences népalaises et orientales, qu’elle puise dans ses origines, résonnent dans les percussions mais aussi dans sa voix. Une belle voix amplifiée qui inonde par vagues récurrentes le hall 9. Ce sont surtout des vocalises qu’elle développe et qu’elle enveloppe de quelques paroles qui sonnent comme une langue ancienne et morte.  

Les modulations de sa voix impressionnent. Et viennent se fondre dans les sonorités techno et robotiques. Aïsha Devi nous plonge dans un univers plutôt angoissant dans lequel on avance très lentement, prudemment, face à une lumière aveuglante. On est comme happé-e-s par ce halo imaginaire hypnotisant et intriguant.

On est pris-es dans la toile de cette chimère envoutante. Notre esprit voudrait changer d’air mais notre corps s’y refuse. Il faut affronter les notes stridentes qui déraillent comme des cris. Des sons insupportables et intenables, comme si on nous cisaillait les tympans. Mais le hall 9, pas encore bondé, semble suspendu. En attente d’une explosion électro et post dubstep, qui arrive sans trop languir.

La foule se met doucement en mouvement, synchronisé et cadencé. Elle répond présente et partante à l’univers infernal et chaotique d’Aïsha Devi qui finit ces morceaux en atteignant le sublime à travers des a cappella surnaturels et purs, bruts. L’artiste soprano crée la déroute et on accepte rapidement cette expérience insolite.

Sa voix puissante et magnifiée nous hisse au sommet d’une chaine de montagnes népalaise, où la neige et la roche, divines, s’entrelacent, comme les mandalas et les dessins d’enfants qui s’enlacent sur le grand écran qui trône sur la scène du hall 9.

 

REYKJAVIKURDAETUR – HALL 8 – 2h10

On les attendait avec impatience depuis la découverte de la programmation. Les filles de Reykjavik – traduction littérale de Reykjavikurdaetur – sont nombreuses. Plus d’une dizaine foulent la scène du hall 8 pour y mettre le feu nourri de leur talent de rappeuses et leur féminisme exacerbé.

Elles arrivent vêtues chacune d’une chemise blanche et d’un dessous type body ou t-shirt et shorty et donnent le ton d’entrée de jeu. Elles assument tout. Elles ont la pêche, des choses à dire, des messages à faire passer et du plaisir à (se) procurer. Et surtout, elles affichent une véritable envie de faire ce que bon leur semble.

S’allonger, vapoter, danser ou autre, tout est permis pour ces Islandaises qui alternent entre l’anglais et leur langue maternelle. Leur rap est métissé. À la fois tranchant, il peut être également langoureux comme festif et joyeux, bestial comme combattif et cru.

Si elles chantent en solo, en duo ou en trio, les autres restent présentes. Ensemble, elles font poids, elles font corps, et cette unité massive donne la sensation que les membres du collectif possèdent la scène et la maitrisent.

Autant que les discours qu’elles diffusent. « Cette chanson parlait de moi et mon mec, qui est un naze. Donc appelez-moi ! », lance l’une à la fin d’une chanson. « Celle-là est dédiée à mon ex : FUCK YOU ! », scande une autre quelques minutes plus tard, ajoutant en conclusion : « Il va brûler en enfer, je vous le jure. »

Armées de leurs voix et de leurs textes cinglants, elles optent également pour une attitude terriblement rafraichissante. Une attitude rap parée de grands sourires qu’elles conserveront jusqu’au bout du concert. Sans oublier la fraicheur de leur jeunesse revigorante qui claque sur leurs visages enjoués.

Elles font rapidement tomber la chemise, mais pas forcément la serviette que certaines ont sur leurs épaules, telles des boxeuses prêtes à mettre leurs adversaires KO, à coups de palabres bien senties. Elles assument leur corps, leurs formes, leur féminité, leur masculinité, leur humanité, leur sensualité, etc. Elles sont inspirantes.

La musique, travaillée par la DJ derrière ses platines au fond de la scène, est rythmée, puissante, changeante et évolutive. Elle peut être déstructurée par moments, ronde sur d’autres temps mais toujours pleine de vibrations et de profondeurs. À cela s’ajoute une diversité des voix qui tirent parfois sur de la soul et du r’n’b.

Elles s’affichent libérées, n’hésitent pas à mimer des branlettes, faire des gros doigts d’honneur, se mettre la main sur le sexe ou encore à onduler le corps. Affranchies des assignations qu’elles combattent dans leurs chansons, elles se font du bien et nous font du bien. Nous donnent la hargne tout en nous apaisant l’esprit.

Et quand elles demandent qui a envie d’un doigt dans le cul, tout en interprétant une chorégraphie lascive en mode « chevaucheuses », le public s’emballe. Leurs sourires ne les quittent pas. Au contraire, ils s’agrandissent. Tout comme leur énergie mordante et enthousiaste. Elles parlent de sexualité, de sodomie, de plaisir. Car le droit de parler de sexe n’est pas l’apanage des hommes.

« Nous pouvons faire ce que nous voulons. Je peux porter ce que je veux porter, boire autant que je veux et ne pas demander l’autorisation. », lâchent-elles vers la fin du set. Reykjavikurdaetur a quelque chose de contagieux. Et on espère que le message girl power, d’émancipation, pour le droit à disposer de nos corps et de nos vies, sera entendu de tou-te-s.

 

SAUROPOD – HALL 3 – 2H30

C’est sur les chapeaux de roue donc que l’on déboule dans le hall 3, pour la deuxième moitié du concert de Sauropod. Le trio norvégien a déjà bien réchauffé le public de son rock saisissant qui nous embarque instantanément dans son univers, qui n’est pas sans rappeler celui de Nirvana.

Ou du moins le temps d’une chanson. Car lorsque Jonas Royeng (guitare et chant) et Kamilla Waal Larsen (basse et chant) donnent de la voix en chœur, l’ensemble fait davantage écho aux Pixies. Leurs influences rock alternatif des années 90 ne sont pas dissimulées.

Elles planent au dessus du groupe, sans toutefois tomber dans des imitations caricaturales ou lassantes. Au contraire, Sauropod propose une énergie nouvelle, renforcée par un jeu de batterie puissant et la rapidité du guitariste dans l’exécution des notes et accords, produisant un rock déjanté.

Les chansons passent comme des éclairs. L’effet est fulgurant. On n’en a jamais assez et on ne s’ennuie pas une seconde.

Le trio fait naitre un sentiment d’urgence. De celui que l’on aime voir aux Trans Musicales. De celui qui puise dans des guitares saturées et des chants viscéraux.

On se laisse alors complètement subjuguer par les créations de Sauropod, qui nous bringuebalent à toute berzingue dans des courses poursuites psychotiques. Lui a la mâchoire serrée, une voix nasale et la gorge striée de veines prêtes à éclater. Elle, a une voix aérienne, sécurisante et marquée de simplicité. Sans artifices.

Et quand ils allient leurs voix, l’osmose de leurs contrastes est sublime. Le trio renvoie le sentiment d’un besoin vital de s’exprimer. Une nécessité à être là et envoyer ce rock acidulé, qui ne manque pas de piquant, et s’emplit au fil des chansons d’émotions authentiques et communicatives.

C’est une évidence. Un plaisir qu’ils partagent entre la scène et le public et qui se voit sur leurs visages. Dans un bien autre style que les rappeuses islandaises, les punks rockeurs norvégiens apportent une touche rafraichissante à la musique et à la soirée, à travers une proposition forte et joviale.

L’opportunité de terminer la 38e édition des Trans Musicales par deux véritables coups de cœur. Dommage que les deux projets aient été superposés dans la programmation. Quoi qu’il en soit, on retiendra ces artistes parmi les révélations du cru 2016.  

Célian Ramis

#Trans2016 : Invitation à des voyages expérimentaux

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Parc expo, Rennes
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Deuxième soir au Parc expo pour les Trans Musicales. Retours sur les concerts de The Barberettes, Nova Twins et No Zu, trois propositions riches et intéressantes, néanmoins pas toujours à la hauteur de nos espérances.
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Deuxième soir au Parc expo pour cette 38e édition des Trans Musicales. Retours sur les concerts de The Barberettes, Nova Twins et No Zu, trois propositions riches et intéressantes, néanmoins pas toujours à la hauteur de nos espérances.

THE BARBERETTES – HALL 8 – 00h10

Toutes les trois alignées, bandeaux de couleur dans les cheveux et robes pastel avec petit col Claudine blanc, pas de doute, le trio venu de Corée du Sud entend nous faire voyager dans le temps. Et nous plonger dans les années 40 à 60.

Et même un peu avant puisqu’elles puisent la base de leur formation sur le style barbershop, issu du début du siècle dernier, reposant sur des harmonies vocales a cappella. Ici, elles sont accompagnées par des instruments mais conservent l’esprit d’un style né chez les barbiers qui influencera par la suite le doo-wop.

Les Barberettes ont un air malicieux, une tenue et une coiffure impeccables et un sourire large. Leur manière de chanter et d’exécuter quelques mouvements synchronisés de danse n’est pas sans rappeler les trios ou quatuors féminins de la première moitié du 19e siècle, à l’instar des Ronettes qu’elles reprennent parmi les premières chansons du set.

Et Be my baby est d’office un succès. Le public n’hésite pas à joyeusement le reprendre en chœur avec les trois vocalistes qui s’inspirent également des Chordettes, de The Andrew Sisters ou des Kim Sisters pour ne citer que quelques unes de leurs influences. Dans la foule, ça danse et ça twiste même à certains moments.

La musique choisie pour les reprises coïncide évidemment avec l’univers choisi. L’univers de la culture populaire des années 50 et 60.

Les chanteuses coréennes alternent entre titres pop venus des Etats-Unis et de Corée. Et c’est là sans doute leur atout, de nous faire voyager et découvrir une culture peu connue en France (et même de nous faire découvrir notre propre répertoire en reprenant la chanson française Pop art de Tienou).

Car en dépit du fait qu’il est fortement appréciable de bouger son corps sur des morceaux aussi identifiés à une époque ou à des films pour certains, il est parfois difficile de comprendre ce que le trio apporte de différent et de singulier par rapport aux versions originales.

Les reprises sont parfois trop fidèles aux morceaux que l’on connaît déjà bien et on finit par se lasser.

Le trio garde malgré tout l’attention du public grâce à l’esthétique sonore des harmonies vocales qui s’adaptent parfaitement à leur voix soul, leur musique jazzy et leur côté un peu gospel.

On aimerait entendre leurs arrangements, leurs adaptations personnelles. Heureusement, la fin du concert laisse place à des compositions du trio qui semble alors plus à l’aise et ose davantage se lâcher. Les trois membres des Barberettes se révèlent alors dans une plus grande liberté que celle qui les confinait jusqu’ici dans l’ombre de leurs idoles.

Les sonorités, naturellement, sont plus modernes en cela qu’elles échappent au mimétisme de l’époque adulée et correspond plus à une réalité actuelle.

Le plaisir est présent et on se sent embarqué-e-s dans un univers simplement créé et non recréé. Dommage qu’il ait fallu attendre les dernières minutes du concert.

 

NOVA TWINS – HALL 3 – 1H10

Amy Love et Georgia South ne sont pas réellement sœurs mais peut-être âmes sœurs de cœur. À la manière de Thelma et Louise, à qui elles font référence dans une de leurs chansons. De véritables acolytes dans la musique et dans le besoin d’exprimer leur intériorité.

Et ça, elles ne s’éterniseront pas à nous le faire comprendre. Arrivées sur scène, munies d’une guitare et d’une basse, elles envoient dès les premières notes, soutenues par la puissance de la batterie, un avertissement : ici pas de chiqué, ce sera féroce et viscéral ou ça ne sera pas.

Le flow est lancé et il se déverse à vive allure, signe d’une contestation depuis longtemps nourrie de hargne et de volonté.

La volonté de ne pas se taire. Au contraire, de se battre, la tête haute et le bras en l’air. Le phrasé hip hop de la chanteuse impressionne, se confrontant frontalement à une musique agressive et puissante.

Cinglante et rock. Les britanniques de Nova Twins qualifient leur style de punk urbain. Et ça fonctionne.

Pas étonnant donc pour ce duo avide d’explorations et d’expérimentations de puiser dans différents genres composant l’underground londonien. Et de se laisser glisser par conséquent vers le grime, qui mêle au garage de la dance et de l’électro.

Le public est instantanément séduit et se fait embarquer dans des lignes électro avec un panache incroyable.

Leur énergie paraît sans limite. Des deux musiciennes se dégage un esprit rebelle, provocateur et guerrier. Sans forcer. Sans bouger dans tous les sens, elles captent l’attention, intègrent leur dynamisme et leur message à leur corporalité et savent les partager.

Le hall est rapidement blindé et de tous les côtés, ça danse, ça bouge, ça scrute. Personne ne semble rester indifférent à la proposition.

La performance des Nova Twins est sans faille. Elles démontrent toutes les deux, dans leur domaine, que ce soit par le chant ou à la basse, une maitrise totale de leur instrument. Elles savent où elles vont et savent où elles veulent en venir.

L’envie d’y aller et la verve combattive apparaissent comme l’essence même du projet musical et cet esprit se propage comme une trainée de poudre entre les rangs serrés et bouillonnants de la fosse.

Quarante minutes ne suffiront pas à les rassasier et nous non plus. On aurait voulu continuer une partie de la soirée à les regarder contrôler la scène.

Mais on se contentera d’un show dément complètement subjuguant dont la musique et l’attitude des Nova Twins résonneront dans notre tête et notre corps encore plusieurs heures après leur passage dans le hall 3.

 

NO ZU – HALL 9 – 2H

C’est donc l’esprit prêt à recevoir de nouvelles sensations et énergies que l’on se dirige vers le hall 9 qui accueille alors l’octuor australien No Zu. Un enthousiasme qui retombera comme un soufflet.

Pourtant, leur projet serait plutôt du genre intéressant et carrément transcendant s’il n’était pas répétitif et interminable…

Dès leur installation, le groupe s’affiche en tribu déjantée prise entre sonorités orientales, percussions, cuivres et chant ou incantation, peut-être plus. Ils appellent ça du heat beat et à ce niveau-là on leur fait confiance.

La scène est alors assiégée de sonorités très riches et mouvements incessants des musiciens qui bougent et dansent de manière viscérale.

Ça sonne jazzy et ça groove pas mal. Mais les morceaux sont longs et tournent en boucle. Les vocalises syncopées de la chanteuse, alliées à la voix samplée d’un des percussionnistes, dérangent l’oreille et percent les tympans.

On est alors assailli-e-s d’un sentiment de malaise, d’insécurité. Un sentiment désagréable qui nous donne envie de prendre la poudre d’escampette.

Malgré tout, on reste le cul vissé dans notre fauteuil. Car No Zu propose quelque chose d’unique, d’intriguant. Une techno tribale, un funk chamanique.

Sur le papier, on adhère aisément au projet. Mais en live, l’effet est perturbant.

Et au-delà de la déroute, la répétition des boucles, le peu de présence au micro de la chanteuse - qui passera plus de temps à se dandiner derrière - et la voix d’outre-tombe interfèrent avec notre enthousiasme initial. On aurait voulu apprécier l’instant mais au lieu de sauter au milieu de la foule, on reste hermétique aux créations présentées.

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