Célian Ramis

Black Palabres : la Négritude transcendée par Bilor

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Librairie Planète Io, Rennes
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En avril, elle invitait les Rennais-es à la librairie Planète Io pour son cabaret poétique Black Palabres. Prennent corps les poèmes d’Aimé Césaire, de Léon-Gontran Damas ou encore de Léopold Sédar Senghor, grands poètes de la Négritude.
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L’exil, l’esclavagisme, l’héritage. Marie-Laure Thimotée – alias Bilor – aborde ces sujets avec le soupçon d’humour qui brise les tabous mais n’enlève rien à leur profondeur. Du 5 au 7 avril dernier, elle invitait les Rennais-es à la librairie Planète Io pour son cabaret poétique Black Palabres. Pendant une heure, prennent corps les poèmes d’Aimé Césaire, de Léon-Gontran Damas ou encore de Léopold Sédar Senghor, grands poètes de la Négritude.

Elle s’accompagne d’un piano et de quelques instruments africains comme un Kalimba - qu’elle appelle “Piano à pouces”. Tantôt en musique, tantôt en narration, la comédienne Bilor – Marie-Laure Thimothée, de son nom civil - met en scène les poèmes de la Négritude. Un mot inventé en 1935 par Aimé Césaire, poète et homme politique martiniquais, en réaction à l’assimilation culturelle imposée par la France dans ses colonies.

Suivi par Léon-Gontran Damas, Léopold Sédar Senghor ou encore Bigaro Diop - tous hommes de lettres - le mouvement devient un outil politique de défense des cultures et identités noires. Poèmes, essais, livres, théâtre, la Négritude condamne le colonialisme avec force par le biais culturel. Léon-Gontran Damas - poète guyanais - le décrivait comme :

“Le mouvement tendant à rattacher les noir-e-s de nationalité et de statut français, à leur histoire, leurs traditions et aux langues exprimant leurs âmes”.

C’est d’ailleurs autour du texte de Damas, Black-Label, que Bilor construit son spectacle joué à la librairie rennaise Planète Io du 5 au 7 avril. S’ajoutent à cette discussion en 12 poèmes, les grands poètes Edouard Glissant, Abdourahman Waberi et la seule femme Ananda Devi, poétesse et romancière mauricienne. Dans les textes résonnent le déchirement de l’exil et la colère de l’oppression rythmée par la citation de Damas « Black Label à boire, pour ne pas changer. Black Label à boire, à quoi bon changer » que Bilor intègre avant chaque nouveau poème.

HÉRITAGE

Et quand l’artiste ne chante pas, elle tient le recueil de Damas, et transcende le texte à coup de pas de danse, perchée sur une chaise ou clamant près de la porte de la librairie des vers durs et rugueux sans jamais tomber dans la victimisation. Son but : rendre hommage à la Négritude avec bienveillance, sans victimiser les personnes noires ni culpabiliser les personnes blanches :

Je pense qu’il faut à tout prix sortir du système de complainte. J’ai envie d’y lire ça [dans ces poèmes]. C’est un appel à la vigilance car tous les jours on a le choix de faire l’animal ou de faire appel à notre humanité : ma colère j’en suis maître”.

Elle utilise alors l’humour et ses talents d’actrice affûtés au Cours Florent dans les années 90 pour rendre le sujet moins difficile. Pourtant, l’arrachement à la terre, à la tradition et cette errance qui en résulte font écho à l’histoire de l’artiste. Elle-même née à Paris d’un père martiniquais et d’une mère algérienne :

“J’ai toujours eu le sentiment d’avoir le cul entre deux chaises. J’ai grandi en France et c’était important que j’aille du côté de mes racines […] Il y a quelques années, j’ai découvert le livre Du Crime d’être Noir de l’auteur Bassidiky Coulibaly et ça a résonné en moi ».

RACISME ORDINAIRE

Aujourd’hui, elle se réapproprie un héritage qu’elle remet au goût du jour dans une société où sévit encore le racisme ordinaire. En décembre 2017, le célèbre footballeur français Antoine Griezmann se trouve au cœur d’une polémique. A l’occasion d’une soirée déguisée, il arbore une “Black Face” - visage noir - afin de se grimer en joueur de basket des Harlem Globetrotters (célèbre équipe américaine).

Cette pratique, qui servait à caricaturer et stéréotyper les personnes noires dans les théâtres jusqu’aux années 1960, semble être ignorée du sportif. Il s’excuse aussitôt. Mais le constat est le même : le manque criant d’éducation. La faute à l’Histoire mal enseignée dans les manuels scolaires ? La faute aux “C’était de l’humour !”, argument donné par Anne-Sophie Leclère en 2013 après avoir comparé Christiane Taubira - alors Garde des Sceaux et Ministre de la Justice du gouvernement François Hollande – à un singe ?

ASSUMER SES RESPONSABILITÉS

Bilor apporte un début de réponse : “Dans tous les génocides, le point commun entre bourreaux et victimes est qu’ils/elles sont déshumanisé.e.s”. Et sans humanité derrière l’Histoire, les erreurs se répètent, même si la France assume petit à petit ses responsabilités. En 2012, la ville de Nantes a finalement inauguré Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage. Un grand pas bien tardif pour la ville au “premier port négrier de France au 18ème siècle” comme on peut lire sur le site internet du monument.

Loin de tous préjugés, Bilor réussit avec Black Palabres à faire (re)découvrir les poètes de la Négritude. Un mouvement que l’artiste désormais installée à Douarnenez dans le Finistère étend à toute forme d’injustice en citant Aimé Césaire :

"La Négritude, c'est le rejet de la domination et de l'oppression dans le monde."   

Célian Ramis

Agnès Varda et JR, visages d'une humanité sensible

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Ciné TNB, Rennes
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Agnès Varda et JR ont sillonné les routes de France, à la recherche de visages et surtout d’histoires à partager. Le duo fantasque présentait Visages, Villages, le 20 juin dernier au Ciné-TNB de Rennes.
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À la manière de Raymond Depardon, Agnès Varda et JR ont sillonné les routes de France, à la recherche de visages et surtout d’histoires à partager. Le duo fantasque présentait en avant-première le documentaire Visages, Villages, le 20 juin dernier au Ciné-TNB de Rennes.

« Il fait toujours ça. Il croit qu’il va me casser le moral mais ‘faut se lever de bonne heure pour ça ! » Au Ciné-TNB, Agnès Varda et JR s’amusent à se taquiner. Surtout lui. Que ce soit à propos de ses couleurs de cheveux, sa petite taille ou son grand âge, le photographe - âgé de 55 ans de moins qu’elle - charrie la célèbre réalisatrice au doux franc parler qui elle, préfère transmettre ce qui lui tient à cœur et qui a motivé et animé tout le film, à l’instar de toute sa filmographie.

Ils se rencontrent en 2015, grâce à Rosalie Varda, et instantanément, décident de travailler ensemble. Comment ? Sur quoi ? Ils ne savent pas mais ne vont pas tarder à le découvrir. « JR est un artiste urbain, j’avais envie de lui faire faire la campagne. On ne savait pas qui on rencontrerait. On était dans l’attente, dans l’écoute. Et on a eu de la chance, le hasard nous a fait rencontrer des gens formidables. Certains nous ont été portés sur un plateau d’argent. », explique Agnès Varda.

Ainsi, tous les deux ont embarqué à bord du « camion magique » de JR – dans lequel un photomaton est installé et imprime les portraits en taille affiche – et ont sillonné les routes de France, de village en village, partageant ensemble leur passion pour les images « et l’amour des gens », souligne-t-elle.

Sans chercher à établir une cartographie exhaustive des cœurs des villages français, le duo part à la rencontre de Jeannine, Daniel et Yves à Bruay-la-Buissière dans le Pas-de-Calais, de Vincent, Nathalie, Jacky, Marie et Jean-Paul à Bonnieux dans le Vaucluse, de Claude, Didier et Amaury entre autre à Château-Amoux-Saint-Auban dans les Alpes-de-Haute-Provence ou encore d’une partie des habitants de Pirou-Plage dans la Manche. Et de plein d’autres.

Les souvenirs d’enfance remontent et défilent jusqu’au moment présent. Le quotidien des familles de mineurs dans le Nord, l’histoire d’amour d’un arrière grand-père et d’une arrière grand-mère, le dernier jour de travail d’un employé de l’usine Arkéma, la transmission du carillon de père en fils, l’évolution du métier de facteur ou encore l’engagement d’une agricultrice résolument décidée à laisser leurs cornes aux chèvres – là où certains les brûlent à la naissance pour éviter les bagarres et ainsi augmenter la productivité des bêtes -, les récits sont passionnants.

Sobres et simples. Voilà ce qui en fait l’extraordinarité du résultat. Comme lorsque les deux co-réalisateurs provoquent le destin en organisant une fête des voisins dans un village fantôme ou en introduisant les épouses des dockers du port du Havre parmi les containers qui d’habitude ne fréquentent que des hommes.

« On n’a jamais pris au sérieux l’aspect sociologique. On a juste voulu rencontrer des personnes qui parlent de ce qu’ils connaissent, aiment, veulent. Et c’est ce qu’on voit. Des gens très variés. On avait envie de vous mettre de bonne humeur. Que vous ayez une curiosité pour toutes ces personnes, que vous les rencontriez à votre tour. Ils sont en situation de vous intéresser et que vous ne les oubliez pas. Alors on l’a fait de manière un peu fantaisiste avec quelques broderies autour mais ce sont surtout des visages et des surprises. », s’émeut la réalisatrice des Glaneurs et la Glaneuse, plusieurs fois primée pour l’ensemble de son œuvre.

La fantaisie dont elle parle, et les quelques broderies, résident dans leur écriture d’un documentaire qui s’amuse à les mettre en scène. Eux qui apprennent à se connaître, se découvrent, se jaugent et se lient au fur et à mesure. Ainsi, leurs voix et leurs visages accompagnent le long-métrage, faisant éclater leur complicité, leur complémentarité et leurs différences.

Varda, qui s’était dévoilée il y a quelques années dans son documentaire Les plages d’Agnès, laisse JR l’observer de près, elle qui commence à voir flou. Sa vue baisse mais son regard sur ce qui l’entoure et sa soif de voir l’âme humaine ne diminuent pas quant à eux.

Et tout cela, elle l’offre au jeune photographe. Ses yeux, ses rides, ses mains, ses pieds… Agnès Varda en fait des modèles pour ces photos à lui, qu’il aime tant coller en format géant sur tous les supports extérieurs et parfois éphémères, tels que les façades de maison, les trains, les châteaux d’eau ou encore les hangars de ferme ou un blockhaus écrasé sur la plage.

Et partant de cette plage, elle partage avec lui, mais aussi avec nous par extension, ses souvenirs d’une shooting. Quand elle a pris Guy Bourdin en photo en 1954. Ses souvenirs aussi pour des artistes qu’elle admirait beaucoup, comme l’écrivaine Nathalie Sarraute, dont on aperçoit la maison, ou encore les photographes Henri Cartier-Bresson et Martine Cartier-Bresson, dont elle évoque la mémoire au pied de leurs tombes.

L’émotion est vive. Agnès Varda ne cache pas sa sensibilité. Que ce soit face aux personnes rencontrées ou face à ces instants vécus pas encore tombés dans les trous de sa mémoire, comme elle le dit dans le documentaire. Celle qui dit attendre la mort avec impatience, « comme ça, ce sera fini », va même jusqu’à raviver des sentiments profonds et douloureux en emmenant JR chez son ami de longue date, Jean-Luc Godard.

Parce qu’en 1961, dans son court-métrage extrait de Cléo de 5 à 7 intitulé Les fiancés du pont Mac Donald ou (Méfiez-vous des lunettes noires), elle avait fait retirer ses lunettes au cinéaste de la Nouvelle Vague. Un défi qu’elle se lance à nouveau avec ce nouvel ami de route et de cœur. « Lui, il a observé la vieillesse. Moi, je n’avais pas besoin de m’occuper de sa santé. Mais dès que je l’ai vu, j’ai vu qu’il ne voulait pas enlever ses lunettes qui me rappelaient Godard. », précise-t-elle.

La poésie et l'humour dominent Visages, Villages, autant que la majestueuse beauté des paysages. Accompagnés d’une infinie douceur. Le duo est bouleversant. Elle, particulièrement. Le film fait du bien de par sa capacité à montrer la particularité simple de chaque individu. Et parce qu’on peut toujours compter sur la réalisatrice, photographe et artiste plasticienne, pour mettre en valeur les femmes autant que les hommes, elle nous apaise et rend l’humain beau à travers son art.

 

Sortie au Ciné-TNB prévue le 28 juin.

Célian Ramis

Mythos 2017 : PJ Harvey, vision poétique d'un monde en berne

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Parc du Thabor, Rennes
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PJ Harvey a publié, en amont de son dernier album, un recueil de poésies, The hollow of the hand dont elle proposait une lecture, vendredi 7 avril, au cabaret botanique, à l’occasion du festival Mythos.
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Connue pour son rock abrasif et alternatif, la chanteuse-compositrice-auteure britannique PJ Harvey a publié en amont de son dernier album, The hope six demolition project (mai 2016), un recueil de poésies, The hollow of the hand dont elle proposait une lecture, vendredi 7 avril, au cabaret botanique, à l’occasion du festival Mythos.

Elle cherchait quelqu’un pour faire des photos. En découvrant l’exposition de Seamus Murphy à Londres, elle reste sans voix face à son travail. À partir de ce moment-là, elle fera tout pour le rencontrer. « Il ne me connaissait pas, on est devenus amis. », explique-t-elle en cette fin d’après-midi ensoleillée.

Il est photojournaliste et affiche au compteur des années d’expérience dans des zones de conflit. Elle lui propose alors de collaborer sur son projet et de voyager ensemble. Le duo se rendra tout d’abord au Kosovo :

« j’ai toujours été fascinée par ce pays, été intéressée et horrifiée par la guerre là-bas. C’est là qu’on commence. »

Debout sur la scène, elle déclame ses poèmes dans la langue de Shakespeare, traduits en français sur l’écran installé derrière elle. C’est un autre univers que propose PJ Harvey qui dans The hope six demolition project distille un rock saturé, un rock incisif et un blues viscéral, sous-tendus par des sonorités orientales et des effets vocaux aigus et enfantins.

Mais c’est le même voyage dans lequel elle nous invite. Nous embarquant dans un monde qui part à vau-l’eau. Elle nous guide, à travers sa voix et sa plume, dans les villages abandonnés aux maisons en ruines, dans les sols poussiéreux auxquels les derniers espoirs se confondent, avant de visiter, de ses yeux ébahis, l’Afghanistan.

« Je vouais y aller depuis plusieurs années. Et Seamus connaissait très bien le pays. On y est allés, moi j’avais seulement un carnet dans lequel je notais tout ce que je voyais. On a vécu plusieurs situations difficiles et être poète, ça aide beaucoup. Seamus disait tout le temps que j’étais poète, ça nous a sorti de ces situations, car c’est très respecté en Afghanistan. », souligne-t-elle, précisant qu’elle a tenté, autant que possible, de se détacher d’idées préconçues, observant son environnement avec des yeux d’enfant, simplement en notant ce qu’elle voyait, « de manière naïve ».

On traverse avec elle les paysages dont les reliefs cachent des millions d’années de douleurs, dont les vallées s’illuminent et dont les montagnes voilées dominent tout ce qui a trait à l’humanité. On croise un singe orange dans la peau sage, une colombe grise qui surplombe les ruines, un garçon orphelin de maison qui n’oublie pas ses valeurs d’hospitalité en offrant du thé et du pain aux voyageurs, une main ignorée qui mendie.

La salle est suspendue à ses lèvres. À la manière d’une Cate Blanchett, elle perçoit l’entière attention de son auditoire. Elle narre une infime partie de la noirceur du monde qu’elle nuance de douceurs et de poésie sensible. La pauvreté résonne comme un thème majeur et central de son œuvre, contrecarrée par des onces de beauté qui ne peuvent avoir valeur pécuniaire.

Son voyage s’achève à Washington DC, point névralgique des hautes décisions politiques prises par les Etats-Unis en direction du Kosovo et de l’Afghanistan, entre autre.

« Nous avons gardé la même démarche : observer autour de nous. Et on a retrouvé une similitude dans la pauvreté. »
précise PJ Harvey.

La grande et longue Histoire, les migrations, la mendicité… et toujours, pour les exprimer, les refléter et les mettre en perspective, des Hommes et des animaux, des colombes en particulier. Et c’est dans un climat apaisé qu’elle entame la lecture de certains poèmes de sa nouvelle collection. Captivant.

Célian Ramis

8 mars : D'ici ou d'ailleurs, les voix des femmes en exil

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Maison Internationale de Rennes
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Le 10 mars, à la MIR, l’ethnologue et docteure en sciences de l’éducation Françoise Sérandour contait la conception de l’ouvrage Femmes voix de libertés d’ici et Ailleurs, né de plusieurs ateliers d’écriture collective.
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Vendredi 10 mars,  à la Maison internationale de Rennes, l’ethnologue et docteure en sciences de l’éducation Françoise Sérandour contait la conception de l’ouvrage Femmes voix de libertés d’ici et Ailleurs, né de plusieurs ateliers d’écriture collective.

Évoquer les femmes, leurs souffrances, leurs droits et leurs désirs de libertés à travers un livre de littérature et de poésie, objet de plaisir, de jouissance, d’interrogations et de bouleversements personnels, c’est de cette volonté que Françoise Sérandour s’est parée pour construire son ouvrage, publié aux éditions L’Harmattan, en juillet 2016.

Ethnologue, docteure en sciences de l’éducation, enseignante, conteuse, elle évoque les deux raisons principales qui lui ont donné envie de le faire publier : la promesse de transmission et la passion de l’écriture. Pour partager les sentiments des sœurs en lutte, continuer la lutte pour les droits des femmes et « transmettre la force extraordinaire, inouïe, des femmes – et d’un homme dans le livre – pour moi mais aussi pour elles-mêmes. »

Au fil des ateliers d’écriture collective, que ce soit à Agadir avec des femmes analphabètes et une sociologue ou à la MIR (d’où sortira Femmes sans frontières, voix en exil, en 2013) à l’occasion du projet Marrainage – porté par Eva Roué dans l’objectif d’accompagner des personnes étrangères ou se sentant comme étrangères dans l’aboutissement de leurs projets – il en ressort des récits de vie dans lesquels s’imbriquent réalité, poésie, langues d’ici et d’ailleurs et fiction.

Elles sont de différentes nationalités, de différents continents, ont été contraintes ou non à l’exil – un exil plus ou moins proche -, explorent leur(s) identités et leurs voix résonnent dans les mots qu’elles ont pris le temps et le soin de penser, dans le silence dans un premier temps, puis d’écrire, voire de lire par la suite. Elles y couchent leurs mémoires, souvenirs, ressentis et sentiments. Et au son de leur prose, on voyage, on frissonne, on sourit et on en ressort bouleversé-e-s.

Les textes livrent des vécus et pénètrent l’intimité de toutes les créatrices qui ouvrent la porte de leur lieu. Comme Virginia Woolf parle d’Une chambre à soi et Marie Darrieussecq d’Un lieu à soi (traduction d’un livre de Virginia Woolf), Françoise Sérandour appelle cela « la chambre de lumière. »

L’écrivaine conte la construction de Femmes voix de libertés d’ici ou Ailleurs comme une aventure en soi, qu’elle entrecoupe de flash back, de lecture d’extraits et d’explications autour de la méthode.

« On part de la réalité et on travaille avec son imaginaire. Pour en arriver à la symbolique, la nuance, le sensible, la distance. Les images aident aussi car il est difficile de travailler un texte en français alors qu’on parle une langue différente. Moi je ne travaille jamais seule, je suis toujours entourée d’auteur-e-s, poète-sse-s, écrivain-e-s, musicien-ne-s…»
souligne-t-elle.

Pour encadrer les récits collectifs poétiques et les récits de vie entrecroisés, Françoise Sérandour relate une légende et une nouvelle qu’elle affectionne particulièrement, La fille du grand serpent et la nuit et Parfum de jasmin blanc. Elle convoque Roland Barthes, quand ce n’est pas Virginia Woolf, pour expliquer le sens des paroles et l’importance de l’oralité qui, toujours, disent une réalité ou livrent une compréhension du monde.

Et parce que la liberté est chantée par les poètes depuis la nuit des temps, comme l’écrira Ghania Bouccekine, présidente de la MIR, dans la préface du bouquin, la conteuse a choisi d’y inscrire la légende de La fille au grand serpent et la nuit. Une légende de sagesse, selon elle, « qui est le premier texte où il est dit et montré que les femmes savent autant s’adapter. Quand elles doivent ou décident de partir, elles retrouvent leur capacité d’adaptation et de création ».

Une histoire qui ne peut qu’illustrer parfaitement les propos suivants à mesure que l’on tourne les pages jusqu’à saisir l’introspection finale. Et rien de mieux pour clôturer cette soirée, aussi bien que le bouquin, qu’avec la lecture d’un témoignage du seul homme participant au projet de la MIR, de certains poèmes sensibles et émouvants et de chants arméniens.

 

Célian Ramis

Waed Bouhassoun, Amour en terres syriennes

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Opéra de Rennes
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Entre émotions personnelles fortes et poésie de grands auteurs arabes d’antan, l’Opéra de Rennes accueillait mardi 23 février la chanteuse et oudiste syrienne Waed Bouhassoun.
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Dans le cadre des Divas du monde, l’Opéra de Rennes accueillait mardi 23 février la chanteuse et oudiste syrienne Waed Bouhassoun. En toute simplicité, l’artiste a livré émotions personnelles fortes alliées à la poésie de grands auteurs arabes d’antan.

La Syrie a marqué de son empreinte la musique arabe, notamment grâce à sa tradition de poésie écrite et orale. Waed Bouhassoun s’en saisit pour son deuxième disque et premier projet solo. La configuration du seule en scène, avec son oud ou a cappella, assise devant son micro, instaure une relation intimiste.

Du oud, elle en joue depuis ses 7 ans. Initiée à cet instrument par son père, elle commence les concerts en Syrie dès l’âge de 10 ans. « Quand je fais des concerts, c’est pour chanter pour le plaisir. Et pour le partage de moments de plaisir entre nous tous. Mais j’ai toujours 2 personnes à l’esprit. Mon père déjà. Malgré la situation difficile en Syrie, il me demande toujours comment va l’oud. Et je lui réponds que ça va, je travaille avec lui. Mon père, c’est celui qui me donne le courage de continuer. », raconte-t-elle à la fin du spectacle, en français.

Si la jeune syrienne maitrise la langue française, c’est qu’elle connaît bien le pays,  la capitale bretonne notamment qu’elle a découvert pour répéter une pièce de théâtre, puis Paris là où elle a poursuivi ses études en ethnomusicologie. Au sein de l’Opéra de Rennes, c’est à sa terre natale qu’elle songe et à qui elle dédie ses chansons, composées autour de textes de grands poètes, dont Adonis, un des plus célèbres auteurs de son pays.

MAITRISE DE SES INSTRUMENTS

Avec le oud, elle joue sur les rythmes et les ambiances. Douce et sereine dans sa première intro, elle va ensuite accélérer le tempo pour faire ressurgir l’urgence ressentie et développer la tension dramatique. Et de sa voix grave et chaude, elle maitrise les moindres recoins. Variant l’intensité de son organe vocal avec beaucoup de simplicité et d’authenticité.

Waed Bouhassoun manie sans artifice les modulations du chant arabe, ce qui lui vaut d’être assimilée à des grands noms de la chanson arabe des années 30, comme l’artiste égyptienne Oum Kalthoum. Et de sa musique, la chanteuse syrienne dégage émotions vives et blessures profondes. Parmi lesquelles s’entremêlent nostalgie, douleurs, souffrances, pureté et profondeurs de l’âme.

PARTITION SENSIBLE

Elle chante la passion, extraite d’un poème de l’andalou Ibn Arabi (XIIe – XIIIe siècles), met en musique l’esprit mystique du persan Djalâl ad-Dîn Rûmî (XIIIe siècle) et incarne la poésie libératrice de l’andalouse Wallada Bint al-Mustakfi (Xe et XIe siècles). Et s’inspire également du poète bédouin Qays Ibn al-Mulawwah dit « le fou de Layla » (VIIe siècle) pour déclamer son amour à Damas, ville qu’elle chérit pour y avoir vécu sa jeunesse.

L’atmosphère intimiste de ce concert renforce la transmission des émotions. Le public, attentif, est suspendu aux lèvres de la musicienne. L’instant est intense, la concentration est de mise. Et le tout se décuple lorsque l’artiste se détache de son oud. Les silences, les respirations et les souffles haletants qui surviennent à la fin d’une phrase, deviennent des éléments musicaux à part entière de la partition a cappella, les corps se crispent, tendus par les expressions faciales de la chanteuse et se délassent.

VOYAGE SENSORIEL

Elle marque solennellement des temps de pause entre les chansons. Mais ne parle pas. L’échange briserait l’instant cristallin qui semble ne tenir qu’à un fil. La tension est palpable, fragile. Waed Bouhassoun nous happe et nous enveloppe dans un cocon chaleureux dans lequel on ressent tous les frémissements d’un voyage mouvementé. Si la frustration de ne comprendre les paroles nait au début du concert, elle en fait son alliée pour nous guider de ses émotions pures. Comme une découverte sensorielle, les yeux bandés.

On s’imprègne alors d’ambiances, de sensations et de sons. On s’enivre de la musicalité d’une langue syrienne ancienne, modernisée par la jeunesse de son interprète. Les vibrations des cordes résonnent dans tout le corps et la voix qui joue d’intensités diverses provoque une bulle qui vient nous entourer le crâne et les oreilles.

Lorsque sonne la fin du concert, Waed Bouhassoun salue également, après avoir parlé de son père, un couple rencontré à Rennes. « J’ai ma famille en Syrie et ma famille ici », déclare-t-elle avant d’entamer sa première chanson en français en demandant au public de fredonner le refrain.

La langue française s’associe aux rythmiques arabes, formant deux âmes qui s’entrelacent et virevoltent dans les airs. Les fredonnements montent et s’élèvent pour aller côtoyer les cieux bretons de l’Opéra. La chanteuse et oudiste conclut sur une dernière composition qui braque les pensées vers les terres syriennes à qui elle chante son amour et l’Amour.

Célian Ramis

Mythos 2015 : Dans l'intimité, la liberté et la féminité d'Arhur H

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Thabor, Rennes
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Imaginaire débordant, poésie déjantée, énergie communicative et liberté accrue... Arthur H était au Cabaret botanique, à l'occasion de Mythos, le 8 avril. Une exception à notre ligne éditoriale s'imposait.
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Mythos, 19e édition. Mercredi 8 avril, Arthur H, profil idéal, était l’invité du festival des arts de la parole. Pour l’occasion, le fils Higelin à l’identité bien marquée se produisait dans le Cabaret botanique, pour présenter son dernier album, Soleil dedans (2014), mais pas que.

Plus qu’emportée par les textes, la musique et son imaginaire, la rédaction de YEGG fait une exception à sa ligne éditoriale et se saisit du passage de cet artiste masculin – qui assume pleinement sa féminité (lire l’interview ci-dessous) – en terre bretonne pour profiter de son concert et le rencontrer, dans les jardins du Thabor.

Dans l’imaginaire collectif, Arthur H, c’est une voix grave, chaude, du mystère, du détachement, un univers poétique, du romantisme, de la mélancolie… Il n’est pas seulement fils de, on le sait depuis longtemps, il est lui, chanteur-musicien-poète-déjanté à l’univers extra-terrestre, intimiste et sauvage. Une identité de plus en plus assumée. Et qui ne cesse de se montrer et de s’affirmer, dans sa globalité et au travers de toutes ses facettes, du voyageur solitaire au chercheur d’or…

Avec son charisme, sa sensualité, sa manière de bouger son corps, de s’habiller – il se présente ce soir-là sans chapeau et avec une veste pour le moins lumineuse – sa voix maitrisée, son habileté à nous faire voyager, sa capacité à se renouveler dans sa musique tout en gardant son extravagance, sa poésie et sa sensibilité propre… le chanteur, qui entame le concert au piano dans l’intimité des lumières brumeuses, conserve sa hargne scénique et nous transporte avec lui dans un tunnel intergalactique et spatio-temporel.

UN ARTHUR H COSMIQUE

Dire de lui qu’il est un ovni serait un abus de facilité. Arthur H est là où on ne l’attend pas tout en restant fidèle et loyal à son public. Ce soir-là, il oscille entre chansons lunaires, solaires et cosmiques de son nouvel album, Soleil dedans, qu’il chante avec une voix parfois aérienne, libérée et libératrice – on pense notamment à « Femme qui pleure » - qui met les poils à toute la salle – et chansons plus anciennes (entre Adieu tristesse, 2005, et Baba Love, 2011 principalement) sans trop puiser dans ses premiers disques.

C’est un voyage dans l’univers d’Arthur H, autant dans son imaginaire que dans sa carrière, dans lequel il nous plonge pendant 2h avec simplicité et générosité. Taquinerie parfois même lorsqu’il titille le côté « chauviniste » des Rennais qui se laissent volontiers voguer dans les grands espaces naturels, alambiqués ou même absurdes, dans lesquels il nous invite.

Dans la lune, dans un western, dans un supermarché, dans New-York City, Arthur H ne cesse de planer, avec ou sans son costume de Super H ou de H-Man, à la découverte des cultures et des éléments, à la rencontre de la femme étoile, des papous ou encore des clandestins. La chaleur nous entoure, l’énergie déborde des sourires et des corps qui s’animent au fil des chansons et du concert. « C’est explosif », murmure-t-on dans les rangs, « Toujours aussi incroyable ! ».

UN ARTHUR H LIBRE

L’artiste navigue avec aisance sur des musiques mélodieusement pop, jazzy et rock, avec parfois des sonorités 70’s et notes rétro futuristes, qui nous électrisent instantanément, en nous faisant danser, rêver, virevolter au firmament des envolées lyriques, ou en nous apaisant au son de la voix grave et berçante du musicien. Les émotions règnent au pays d’Arthur H qui exprime toujours autant d’attachement à l’intime liberté qu’il couve amoureusement et qu’il partage doucement et prudemment, avant d’enfourcher son Cheval de feu.

« Quelque chose dans le vent / Me dit qu’il est temps » Ses paroles résonnent dans nos songes jusqu’à ce que Morphée nous emporte vers d’autres contrées lointaines. C’est certain, à chacun de ses passages, Arthur H nous rend Baba love.

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Arthur H : « J’ai parfois une sensibilité extrêmement féminine »

Rencontre avec Arthur H, dans les jardins du Thabor, qui nous parle de ses inspirations, des femmes et de sa sensibilité artistique. Interview.

YEGG : On vous entend souvent parler de vous en disant que vous vous sentez vilain petit canard. Qu’est-ce qui vous fait ressentir vilain petit canard dans la musique française et est-ce que ce sentiment évolue avec le temps ?

Arthur H : (Rires) Je ne le dis pas souvent. Je retire ce que j’ai dit, je suis un très joli petit canard (Rires). Pourquoi je suis un vilain petit canard ? (Silence) Malheureusement, ce n’est pas parce que je suis entouré de cygnes. Non, je ne me sens plus vilain petit canard, je ne suis plus dans cet état d’esprit là, je suis un joli petit cygne maintenant.

Vous parlez de deux marraines, en référence à Barbara et Brigitte Fontaine. Expliquez-nous l’importance de ces deux artistes dans votre travail et dans votre carrière. Est-ce qu’elles vous ont aidé ?

Elles ne m’ont pas aidé directement mais inspiré, beaucoup. Par cette espèce de rapport très direct, très cru à leur sensibilité, comme s’il n’y avait presque pas de filtre. C’est deux femmes qui avaient de la tendresse pour moi quand j’étais petit mais ça, ça n’a pas forcément influencé mon parcours artistique. Mais du coup moi-même j’ai développé beaucoup de tendresse pour elles.

Vous évoquez aussi la liberté artistique de Brigitte Fontaine. Un point important pour vous, qui êtes reconnu pour votre capacité à vous renouveler au fil des albums, vous prenez des risques. Le rapport entre Brigitte Fontaine et vous, il est là, non ?

Ouais ! Ouais ! Je suis clairement influencé par le courage de Brigitte Fontaine, cette espèce de façon qu’elle a de se jeter dans le vide et de ne pas avoir peur de qui elle est. Et elle a aussi un rapport à l’inspiration très particulier. Elle considère que l’inspiration est un flux naturel. Tu demandes à Brigitte d’écrire une chanson, tu lui donnes une feuille blanche et un stylo, elle s’enferme pendant une demi heure et elle écrit une chanson. Et la plupart du temps ce sera une très belle chanson. Parce qu’elle a décidé qu’écrire, c’était facile. Ça, c’est une idée très efficace je trouve.

Vous arrivez à faire la même chose ?

Maintenant oui. Ça ne veut pas dire que ce que je fais est intéressant ou plus intéressant que si c’était difficile à faire, ça je ne sais pas. Mais par contre je ne me pose pas la question de la difficulté d’écrire, de l’inspiration. Après, l’enregistrement, ça, c’est différent. Là, je suis toujours dans une forme de difficulté. Mais être connecté à quelque chose qui nous dépasse, ça c’est facile.

Vous dites que l’enregistrement est plus difficile pour vous. Pour votre album, vous avez enregistré à Montréal. Est-ce que d’être dans des contrées lointaines, avec des grands espaces, c’est plus facile pour vous qui avez un imaginaire débordant, qui nous embarquez dans des voyages et parlez aussi de voyage initiatique…

Oui, y a quelque chose de plus facile parce qu’à Montréal, il y a énormément d’énergie donc je suis porté par ça. C’est aussi pour ça que j’aime y aller. Évidemment, il y a plus d’espace mais ce n’est pas que ça. Il y a aussi plus d’énergie positive chez les gens en général. Une espèce d’enthousiasme qui est un peu intact et qui du coup fait du bien. Dès qu’on arrive là-bas, on le ressent. Après, changer d’équipe, partir à l’aventure avec des gens que je ne connaissais pas, ça ce n’est pas de tout repos non plus.

Est-ce que, en enregistrant à Montréal, l’esprit de Lhasa règne sur cet album ?

Complètement ! C’est grâce à elle que j’ai rencontré tous ces gens, ces musiciens. Les musiciens de Patrick Watson, Patrick Watson. C’est grâce à elle que j’ai eu envie de faire un album à Montréal. C’est grâce à elle que j’aime Montréal, donc j’ai beaucoup pensé à Lhasa en faisant ce disque.

En écrivant aussi ?

En écrivant, pas spécialement mais en enregistrant oui.

Tendresse pour Barbara, admiration pour Brigitte Fontaine, découvertes avec Lhasa… Elles alimentent votre sensibilité pour parler des femmes dans vos textes ? Est-ce que vous pensez aux femmes de votre entourage personnel et professionnel, ou est-ce totalement imaginaire ? Les figures féminines dans vos chansons étant tellement variées, cosmiques, charnelles, sensuelles… Vous vous mettez même à la place de la femme qui pleure, dans la chanson du même nom…

C’est un phénomène très naturel je pense, pour tous ceux qui écrivent, racontent des histoires. De partir de quelque chose que l’on a vécu très précisément et le transcender. Quelque chose peut-être même que l’on a ressenti mais sans l’expliquer. Et ça ressort sous forme d’histoires, de paraboles, d’images. Donc ça part toujours du réel, bien sûr.

Quand vous écrivez des textes sur les femmes, est-ce que vous vous posez la question de l’interprétation du public, s’il va se dire que c’est du cliché ou que vous prônez l’égalité femmes-hommes ?

Pas du tout. On parle de rapport social, là, dans la société. Moi, je ne suis pas trop là dedans. Je suis plutôt dans quelque chose de beaucoup plus intime en fait. Où du coup les rapports - y a pas de question d’égalité - ils sont très ouverts, ou libres, ou poignants, vivants. Pas enfermés par les codes de la société. Je peux même aller jusqu’à dire que je suis une femme qui pleure car à l’intérieur de moi, il y a toute l’histoire des femmes, non seulement que j’ai connu mais celle de ma famille aussi, et je le sens en moi, c’est en moi.

C’est votre héritage…

Ouais, ça vit en moi. En plus, j’ai parfois une sensibilité extrêmement féminine. Et encore en plus, mes amies de cœur, avec qui j’ai l’impression de me livrer, de vraiment communiquer, sont exclusivement des femmes. Et si je rajoute encore un « en plus », je trouve que la sensibilité artistique, le rapport artistique au monde, il est très très féminin aussi. En grande partie. Pas que féminin mais en grande partie.

Quand vous parlez de rapport social, qui n’est pas votre truc à la base, vous faites une espèce d’ode aux caissières. Là, il y a un rapport social. Profiter des caissières maintenant, avant qu’elles ne soient remplacées par des machines…

Ouais. Ce n’est pas vraiment ça le message mais on peut dire ça effectivement que malgré, disons, la dureté de la condition, il y a la possibilité d’un rapport humain, qui un jour n’existera plus. C’est plus un rapport poétique sur les caissières et sur les supermarchés. Ce n’est pas un brulot pour dénoncer les supermarchés, même si, je pense, que ce n’est pas des situations normales ni pour la nourriture, ni pour les gens, ni pour rien… Mais je trouve qu’on doit parler de tout et qu’on peut parler de tout dans une chanson.

Parler de tout. Ça tombe bien, vous êtes dans un festival des arts de la parole, vous y êtes déjà venu, il y a de la proximité avec le public, avec vos textes par conséquence. En tant qu’artiste, quel ressenti par rapport à ce type de proposition, comme celle de ce festival rennais ?

J’aime beaucoup ça car, de par l’espace qui est créé, il y a une vraie volonté de rencontre, que les gens se rencontrent. C’est le Magic Mirror, c’est facile de parler à ton voisin, après tout le monde va boire des coups ensemble, c’est extrêmement convivial. Donc ça, c’est assez rare les endroits comme ça. Il y en a quelques uns en France, c’est extrêmement agréable.

Au niveau de la thématique, les arts de la parole. Cette édition, forcément, invite à parler de la liberté d’expression. En regardant votre carrière, dans vos textes et votre musique, vous parlez de liberté d’expression ou de liberté artistique globale ?

De liberté tout court. La liberté pour moi, c’est de ne pas être enfermé dans une identité. C’est se rendre compte que l’on peut être plusieurs personnes à la fois, ne pas avoir honte de soi, ne pas trop se limiter, s’auto-limiter, ne pas faire trop attention au regard des autres. La liberté, c’est quelque chose d’intime, que l’on a en soi et qui est important de développer. Ce n’est pas forcément dans les grandes déclarations. Encore une fois, pour moi, c’est plutôt dans l’intime que ça se joue.

Dans cet album, on voit beaucoup de liberté, de chaleur humaine, de soleil dedans justement, de joyeusetés intérieures, qui se voient à l’extérieur. On parle de libération de votre voix. Est-ce que vous atteignez le chemin de cette liberté dont vous parlez tant ? Est-ce qu’avec cet album, vous décollez ?

Le disque, je ne sais pas, parce que j’ai toujours l’impression de rater complètement mes disques donc je fais toujours une dépression après (Rires). Je ne sais donc pas si c’est vraiment la liberté mais par contre sur scène, je me sens complètement relié aux gens, sans trop de barrières. Cœur à cœur. Ça danse, ça parle, ça rêve… Je dois constater que c’est vraiment les femmes qui s’amusent le plus dans un concert. Qui ont vraiment une capacité de se lâcher, de se donner du plaisir avec la musique, qui pour nous quand on est sur scène est indispensable ! Quand tu vois une ou deux filles qui s’éclatent, c’est bon, ça nous permet d’être dans la musique. Si tu n’as que des mecs devant toi qui font la gueule, c’est plus difficile de rentrer dans le son. Je ne suis pas du tout anti mecs mais on a toujours besoin de filles, quelque soit leur âge, leur beauté, peu importe… Faut juste qu’on sente qu’elles soient dans la musique. C’est ça qui change la vibration d’un concert.

Merci beaucoup Arthur H.

Merci à vous.