Célian Ramis

Souad Massi, une musique propice à l'évasion

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Elle désigne le moment comme magique, un instant qui réchauffe le cœur et on approuve. Le concert de Souad Massi, à Mythos, est un délice, une ode à la beauté, au voyage et à l’amour.
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Elle désigne le moment comme magique, un instant qui réchauffe le cœur et on approuve. Son concert est un délice, une ode à la beauté, au voyage et à l’amour. Ce jeudi 13 avril, musicienne emblématique de la World music, Souad Massi a enchanté le magic mirror de Mythos, au parc du Thabor. 

Deux guitares, un violon et la voix grave de Souad Massi. Le frisson commence dans un cadre intimiste et enveloppant. On se love dans le creux de cette flamme qui crépite et s’épanouit dans la promesse tenue d’un moment suspendu. Dans le temps et dans l’espace. On se laisse embarquer dans la proposition d’un voyage sans destination précise et on s’évade. Sur les traces d’un poète égyptien ou d’un artiste chilien, sur la mélodie de Hurt de Johnny Cash ou sur les pas de ses souvenirs de cette Algérie quittée à la fin des années 90, Souad Massi chante l’amour, la trahison, « les gens qui changent » ou encore l’exil, la tolérance et les liens. En arabe, en français, en espagnol ou en langue berbère, la chanteuse, autrice et compositrice manie le métissage des cultures, des sonorités et des styles, et nous emporte dans une découverte sensorielle libératrice et cathartique.

Avec son dixième album, Sequana, l’artiste franco-algérienne, spécialiste des musiques classiques et arabo-andalouses, explore non seulement la musique folk et chaâbi mais aussi les musiques du monde sudaméricain et caraïbéen, avec un accent rock sur certaines chansons. Et la magie opère sur le fil des émotions. Il y a de la joie et du partage, de la légèreté aussi dans sa voix comme dans son approche scénographique tout en sobriété. C’est planant et entrainant. Porté-e-s par la musique de Souad Massi et des musiciens, on ne résiste pas à la proposition qui est faite ce soir-là de se reposer et de ressourcer nos esprits, de se laisser aller à une danse légère et profonde à la fois qui vient nous apaiser l’âme et nous réconforter. Et c’est dans cette seconde d’insouciance et d’abandon qu’elle déclenche l’assaut. Le rythme s’accélère et s’intensifie. L’instant est joyeux, l’énergie se déploie et se décuple. Les percussions et instruments à corde prennent l’espace et l’envahissent, saisissant nos corps qui se délient et se délassent. La mise en mouvement agit et accroit. On se régale et se délecte des envolées musicales qui se multiplient. C’est la sève de la musique de Souad Massi, cette part si belle et si riche donnée à l’instrumental. La guitare au centre du projet et l’ancrage dans l’alliance et l’ouverture aux autres. Tout résonne dans cette proposition et tout converge vers l’espoir. Un sentiment qui nous accompagne jusqu’au bout de la soirée.  

Célian Ramis

Écrire les luttes féministes algériennes au pluriel

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Le 13 mars, Amel Hadjadj, militante féministe et co-fondatrice du Journal Féministe Algérien, est revenue sur l'histoire des luttes des femmes, d'hier et d'aujourd'hui, en Algérie, à la Maison Internationale de Rennes.
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Le 13 mars, l’association de Jumelage Rennes-Sétif invitait Amel Hadjadj, co-fondatrice du Journal Féministe Algérien, à la Maison Internationale de Rennes pour une conférence sur les luttes féministes, d’hier et d’aujourd’hui, en Algérie. 

« L’Histoire a été écrite par les hommes, pour les hommes. », rappellent la militante féministe Amel Hadjadj. « On manque de ressources et d’archives. On retrouve toujours les mêmes figures féminines dans l’Histoire. Il y en a 6 ou 7 qui reviennent régulièrement. », précise-t-elle. Le matrimoine algérien est minimisé. Ainsi, dans le récit féministe que les militantes entreprennent de raconter, un grand travail est effectué à ce niveau-là. « Les femmes sont la moitié de la société. 44 millions de personnes en Algérie. 22 millions de femmes donc… », souligne-t-elle. Une moitié d’humanité qui a besoin de connaitre son héritage sans que celui-ci soit amputé d’une partie de son histoire et sans que celui-ci soit dénaturé par les stéréotypes de genre. « On décrit les femmes pendant la guerre comme infirmières. C’est très bien, il en fallait mais on minimise leur rôle. Pendant la guerre de libération, les femmes poseuses de bombes ont pris des risques énormes ! Certaines sont mortes, SDF, dans l’anonymat… Pour transporter les armes, il fallait des femmes car les hommes se faisaient fouiller. Si elles se faisaient prendre, elles étaient violées, emprisonnées, etc. », scande Amel Hadjadj. Aux détracteurs qui estiment que la réhabilitation des femmes à travers l’Histoire est un argument biaisé pour simplement se donner une légitimité, elle répond :

« Je veux qu’on rende justice à ces femmes ! » 

SCOLARISATION ET TRAVAIL 

C’est en 1947 qu’est créée la première association de femmes en Algérie - l’Association des femmes musulmanes algériennes – venant préciser ici la spécificité de la condition des femmes. Quelques années plus tard, l’indépendance est déclarée et l’Algérie organise sa première assemblée constituante. Les femmes y sont quasiment absentes. « Elles sont 5 ou 6 sur plus d’une centaine de personnes ! Même les progressistes disaient que les femmes devaient retourner en cuisine… », signale Amel Hadjadj. L’Union des femmes organise la première manifestation le 8 mars 1965. Les pancartes prônent le soutien à toutes les femmes dans le monde vivant encore sous l’oppression du colonialisme mais ce jour-là est aussi l’occasion de revendiquer leur droit de travailler. 

« Seulement 3% des algériennes travaillaient après l’indépendance. Le patriarcat et la mentalité algérienne acceptaient les enseignantes et les infirmières… » Elles se battent également pour la scolarisation des filles et des ainés, de manière générale, souvent envoyés tôt au travail pour aider le patriarche. À Alger, elles marchent du centre de la ville jusqu’à la baie où elles jettent leurs voiles : « C’est un acte éminemment politique mais cela n’a rien à voir avec le débat sur le port du voile. Il s’agit là d’un symbole : elles jettent le voile que portent les femmes au foyer. Les travailleuses, elles, ont une autre tenue. Elles luttent ici pour le travail. »

INSTAURATION DU CODE DE LA FAMILLE

Vont se multiplier les projets de loi concernant un code de la famille. Les codes français (civil, pénal, etc.) seront traduits. « Cela ne s’inscrivait pas du tout dans le reste des progressions du pays. Cela amenait la société vers quelque chose qu’elle n’avait jamais vécue ! », explique la militante. Après deux versions avortées – que les femmes des parlementaires ont faites fuiter auprès des étudiantes pour qu’elles les dénoncent – le code de la famille est promulgué en 1984. Dedans figure, entre autres, « le devoir d’obéissance à son mari et à la famille de son mari et tout un tralala… ». Amel Hadjadj réagit :

« C’est toute une idéologie qui opprimait les femmes des autres pays qu’on a importé ici. Aux luttes pour la scolarisation et le travail, s’ajoute l’abrogation du code de la famille. »

À cette époque, c’est un parti unique qui gouverne le pays. D’autres mouvances s’organisent en souterrain, dans la clandestinité, et font naitre à la fin des années 80 – à la création du multipartisme - des associations luttant contre cette répression politique à l’encontre des femmes. « Mais les années 90 arrivent et avec elles, le terrorisme. » Les féminicides se multiplient. Elles meurent parce qu’elles refusent de porter le voile. Elles meurent parce qu’elles s’assument féministes. Le mouvement est meurtri et entame les années 2000 fatigué. Les associations historiques des années 80/90 disparaissent quasiment toutes. 

UNE NOUVELLE DYNAMIQUE

La société algérienne n’est plus la même, signale Amel Hadjadj : « Il y a eu une rupture. On n’est plus dans l’organisation. Certains traumas de l’Histoire du pays n’arrivent pas à être dépassés. Beaucoup de féministes de ces années sont d’ailleurs venues vivre en France. Ma génération arrive et finalement, on revient inconsciemment à la clandestinité. Des associations naissent, les sujets ne sont plus les mêmes… » On y parle harcèlement, communauté LGBT, violences, etc. mais le contexte ne les rend ni visibles ni audibles. Un tournant s’opère en 2015 et, comme elle le dit, la force des réseaux sociaux met en lien des féministes d’hier et d’aujourd’hui et fait la lumière sur l’ampleur des féminicides. « On organise des rencontres intergénérationnelles féministes algériennes. Ce n’est pas simple de se comprendre et de comprendre les traumatismes des anciennes. », poursuit-elle.

En 2016, à Constantine, sa ville natale, un nouveau féminicide pousse les militantes à organiser un sit-in : « L’assassin était en cavale, il fallait qu’on diffuse partout sa photo. Des sit-in ont été organisés à Constantine, à Alger, à Oran et ailleurs. Le bruit incroyable que ça a suscité a permis d’arrêter l’assassin. Et ça nous a obligé à sortir du cocon des réseaux sociaux ! » En 2019, elles réalisent qu’un mouvement d’ampleur s’organise : « J’ai déménagé à Alger pour avoir plus de liberté et pour pouvoir lutter. Un mouvement grandiose se passe. Le collectif féministe d’Alger se cache toujours mais il y a une vraie volonté de rencontrer les autres. » Un besoin immense de reprendre en main l’histoire effacée de toutes les femmes dont le rôle a été minimisé, bafoué, méprisé, écarté, etc. Des carrés féministes s’instaurent dans la capitale mais aussi à Oran et en Kabylie. « Les survivantes des années 90 reprennent les associations qui avaient disparu. Ce qui n’a pas plu à tout le monde. Mais tant pis, le principal, c’est de s’organiser. », se réjouit la militante féministe. 

DES FÉMINISMES, AU PLURIEL !

Né ainsi le renouveau des dynamiques féministes. Elles sont de plus en plus dans l’espace public mais aussi dans les sports et d’autres secteurs de la société. Elles s’imposent. Mais cela n’est pas suffisant. De nombreuses revendications perdurent et les militantes sont sans cesse attaquées et décrédibilisées. « On a essayé de mettre les féministes dans les cases de tous les traumas, y compris ceux qui n’ont pas été traités. Pour moi, il y a une urgence à décoloniser les luttes. La peur des autres, de son passé et la violence sont encore présentes. En plus du patriarcat… La révolution, c’est pas les bisounours. Il faut continuer de sortir et de s’organiser malgré les divergences et les rejets. », commente Amel Hadjadj. Les médias et partis politiques adaptent leurs discours, intégrant de plus en plus les problématiques et revendications féministes. En parallèle, est créée l’association du Journal Féministe Algérien. « En 2015, on a ouvert une page sur les réseaux sociaux pour annoncer le sitting. On a eu de l’impact. On couvre tout ce qui se fait, les mouvements féministes, les lettres ouvertes, etc. Il faut continuer à s’organiser. », insiste-t-elle. Elle poursuit :

« Le vécu nous a poussé à réaliser qu’il n’y a pas un seul féminisme, mais plusieurs. C’est pour ça qu’on a fondé l’association. On veut rassembler toutes les femmes, qu’elles soient toutes représentées, qu’elles puissent toutes s’exprimer. »

L’idée : aller à la rencontre des groupes locaux, à travers tout le pays, afin de les accompagner dans leurs luttes. « On travaille à un manifeste des mouvements féministes algériens, pour créer le rapport de force. », signate-t-elle. Intrinsèquement liées aux territoires, les revendications diffèrent selon les zones : manque de gynéco, taux minime de travailleuses, absence de maternité… « Il y a des luttes qui sont plus visibles que d’autres. Notre association lutte pour qu’on ait toutes le même niveau d’informations. », insiste Amel Hadjadj. Visibiliser tous les combats sans les hiérarchiser et les prioriser. Valoriser les militantes, leur courage, leur diversité, leur pluralité, singularité et résilience. « En 2019, proche d’une des frontières Sud de l’Algérie, a lieu un viol collectif d’enseignantes dans leur logement de fonction. En mai 2021, une manifestation est organisée contre le viol. Des femmes sont venues de partout ! Elles n’ont pas simplement dénoncé les viols, les violences et l’insécurité, elles ont aussi réaffirmé leur volonté de travailler. Malgré le drame, elles ont dit : « On n’arrêtera pas de travailler ! » Il n’y a pas une seule région dans le pays où il n’y a pas de femmes en mouvement. », poursuit-elle avec hargne.

De nouvelles générations de militantes féministes émergent en Algérie et Amel Hadjadj témoigne de l’ampleur grandissant de l’engouement. Les revendications se multiplient. Les mouvements prônent la liberté d’être et d’agir, la pluralité des voix et des voies de l’émancipation, la diversité des identités et l’importance de la reconnaissance et de la prise en considération de toutes les personnes concernées, leurs spécificités, leurs trajectoires, traumatismes, souffrances et moyens d’organisation. 

Célian Ramis

De la Palestine au Liban, le voyage de Layla Darwiche

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La conteuse Layla Darwiche navigue sur les flots de la tradition familiale et de la tradition orale pour nous conter Le voyage de Messaouda, dans le cadre du festival Mythos, le 4 avril à bord de la Péniche Spectacle.
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La conteuse Layla Darwiche navigue sur les flots de la tradition familiale et de la tradition orale pour nous conter Le voyage de Messaouda, dans le cadre du festival Mythos, le 4 avril à bord de la Péniche Spectacle. 

Messaouda, c’est une vieille femme qui habite au bord de la mer, dans un village de pêcheurs, près de Jaffa, en Palestine. À l’origine, ce n’est pas une femme de la mer mais de la montagne, là où avec son père elle a appris tous les secrets et toutes les vertus des fleurs et des plantes. Et là où avec sa mère, elle a appris à faire du pain.

Lorsqu’elle partait, petite, avec son père pour cueillir de quoi soigner les petits et les grands maux, elle regardait à l’horizon et observait les bateaux voguer sur la mer. Intriguée, elle se demandait ce qui pouvait bien se trouver de l’autre côté de cette ligne aquatique.

À ses 16 ans, elle a épousé un pêcheur et a pu pour la première fois, glisser ses pieds dans la mer. Dans son jardin, elle a cultivé des plantes et des aromates, de quoi préparer des onguents pour soigner les malades et aider les femmes lors des accouchements. Elle a élevé ses 11 enfants et a accompagné son mari jusqu’à la fin.

Toute sa vie, elle a continué à faire du pain, avec le secret de sa mère qui ajoutait dans la pâte, de l’huile d’olive et des plantes qu’elle cueillait le matin même dans son jardin. Lorsque le pain était prêt, bien cuit sur le saj chaud, son odeur était le signal qui faisait venir les voisines qui se racontaient alors leurs rêves, leurs difficultés et leurs journées.

Un matin, attendant que sa pâte lève, Messaouda a pris ses chaussures et est partie, comme chaque jour, marcher sur la plage. Apercevant au loin le port, elle s’en approche et s’émerveille devant un grand voilier en partance pour Beyrouth.

Beyrouth. De l’autre côté. Le rêve de Messaouda. Son voyage commence à cet instant. Embarquée sur le voilier, elle part à la découverte de cette petite ville entourée de remparts qui sent bon le jasmin et l’oranger.

Dévoiler la suite serait une injure à l’imagination de Layla Darwiche, conteuse sur le tard mais conteuse dans l’âme depuis toujours. Elle tient ça de sa grand-mère, à la « bouche fleurie », cette femme illettrée qui a bercé son enfance de ses contes, chants et poèmes et dont la maison au Liban était un refuge, loin du bruit des bombes.

Cet univers dans lequel Layla baigne est aussi celui de son père, conteur, et plus tard de sa sœur, Najoua Darwiche qui le 15 septembre dernier croisait récits imaginaires et contes traditionnels au détour d’une promenade entre la Prévalaye et Cleunay lors de la 4eédition de la fête de la biodiversité « Du champ à l’assiette ». 

Ce soir du 4 avril, c’est sur l’eau, à bord de la Péniche Spectacle, que l’on embarque avec Messaouda qui prend la mer. Au cours de son périple et de ses rencontres viennent s’ajouter d’autres contes. Des histoires dans l’histoire. Et parfois même des histoires dans les histoires.

Toutes sont emplies de messages et de valeurs. Sur la sagesse, la confiance, l’amour de soi, le fait de profiter de la vie, les relations amoureuses, l’accomplissement personnel, l’amitié. Avec toujours beaucoup de malice et d’ingéniosité, les personnages, incarnés par des humains ou des animaux, tissent eux-mêmes la toile de leurs aventures et deviennent acteurs de leur quotidien et de leur destin.

Il y avait longtemps que l’on ne s’était pas laissé-e-s conter la vie d’images en métaphores, de personnifications en intrigues à Mythos. C’est un plaisir de revenir à l’essence du festival avec Layla Darwiche qui maitrise l’art de la parole juste.

Inspirée par sa grand-mère, tant dans l’envie de conter que dans la joie de partager des émotions avec le public aux yeux brillants, on peut même l’apercevoir à travers Messaouda. Chaque détail compte et participe à nous faire voyager. On vibre avec la protagoniste qui prend vie grâce à la précision époustouflante de la narratrice.

On se retrouve pour la première fois dans le marché de Beyrouth. On sent la cardamome, le café, l’odeur du café et des galettes. On voit les gâteaux au miel et à la pistache et la viande qui rôtie. On passe de souk en souk, on apprécie le travail du teinturier, de ce sculpteur sur bois de cèdre un peu plus loin et de ce souffleur de verre.

On s’émerveille devant la place entourée de cyprès sur laquelle les femmes discutent d’un côté et les hommes fument le narguilé de l’autre. Les enfants, eux, prennent l’espace central, en mangeant leurs graines de courges. Et puis, le vieux monsieur arrive et on prend part nous aussi au cercle qui se forme devant lui.

On sent la chaleur de l’instant et on aime la brise qui nous caresse le visage. De Jaffa à Beyrouth et de Beyrouth à Jaffa, on s’éprend tendrement de cette vieille dame, déterminée à réaliser son rêve. À vivre pleinement. Elle est douce et forte, sage et fougueuse. On l’admire, tout autant que celle qui, de par son talent à nous faire oublier le présent, nous emmène dans sa somptueuse imagination.

Célian Ramis

8 mars : En Algérie, la mobilisation des femmes pour l'environnement

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Maison Internationale de Rennes
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Le 16 mars, invitée à la MIR par l’association Rennes-Sétif, la sociolinguistic Dalila Morsly est revenue sur la mobilisation inédite des femmes d’In-Salah, opposées en 2014 à l’exploitation du gaz de schiste.
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Sociolinguiste à Alger jusqu’en 1995, Dalila Morsly quitte son pays natal avec son mari lors de la décennie noire et s’installe en France. À Paris. Puis à Angers, où elle enseigne à présent à l’université. Présidente de l’association Aicha durant les années 80 jusqu’à son départ, la sociolinguiste s’intéresse de près à la question de l’engagement féministe en Algérie. Le 16 mars, invitée à la Maison Internationale de Rennes par l’association de jumelage Rennes-Sétif, elle est revenue sur la mobilisation inédite des femmes d’In-Salah, opposées en 2014 à l’exploitation du gaz de schiste.

« Je ne suis pas allée à In-Salah directement mais je reviens de Tamanrasset. In-Salah se situe dans la wilaya (en Algérien, wilaya, ça veut dire la préfecture) de Tamanrasset. J’ai recueilli beaucoup de documents dans la presse et des contacts avec des associations investies dans le soutien à ce combat, à savoir la lutte contre l’exploitation du gaz de schiste. Je ne vais pas parler technique, je ne suis pas experte dans ce domaine là, mais du combat des femmes et en quoi il est singulier, dans le contexte algérien. », explique Dalila Morsly en introduction de sa conférence.

Pour bien comprendre, elle commence par situer In-Salah, ville – en partie berbère - de 35 000 habitant-e-s environ, à 1 000 kms d’Alger. Dans le désert du Sahara. C’est une des villes où les températures sont les plus chaudes d’Algérie. Entre 30° et 46°, avec des pics jusqu’à 50° et en moyenne avec 2 jours de pluie par an.

Dans cette ville à l’inspiration soudanaise, construite en argile – « l’argile est traditionnellement pour la poterie, c’est un de mes dadas d’ailleurs, la poterie féminine en particulier » - la verdure n’est pas absente, en raison d’une importante nappe phréatique qui alimente Tamanrasset en eau.

LE DÉBUT DU MOUVEMENT

La présence d’hydrocarbures est importante, les sols sont riches en gaz, en pétrole et en gaz de schiste : « En 2012, le constat est établi que le gaz de schiste est exploité à In-Salah. Né alors un mouvement important anti gaz de schiste. Au début, c’est surtout le fait d’experts avant de devenir ce que les médias vont qualifier de ‘contestation populaire, citoyenne et pacifique’ qui s’étend en 2014, avec le soutien de villes du sud et du nord. Ça dépasse In-Salah. »

C’est un forage, fin 2014, à une quarantaine de kilomètres de la ville, qui va mettre le feu aux poudres. Les étudiants manifestent pour l’arrêt de l’exploitation. S’en suit la création d’un collectif pour un moratoire sur le gaz de schiste, qui rejoint les collectifs nationaux. La population locale a conservé en mémoire les essais nucléaires aériens et souterrains réalisés par l’armée française dans la région, dans les années 60.

« C’est une explication possible de la contestation partie de cette ville qui est jusque là perçue comme silencieuse et peu contestataire justement. »
souligne la sociolinguiste.

Ce qui explique encore davantage l’aspect inédit de la mobilisation des femmes. Parce qu’à In-Salah, elles n’avaient pas particulièrement réagi aux luttes menées dans le nord du pays contre le Code de la Famille et pour l’égalité femmes-hommes. Au contraire, elles étaient restées silencieuses.

Là, elles réclament l’écoute et l’attention du président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika – qui a obtenu dans le coin un excellent score aux élections - en déclarant : « Nous avons voté pour lui, nous lui demandons de nous écouter et de répondre à nos demandes. »

LES FEMMES EN ACTION

La mobilisation des femmes va prendre différentes formes. Celle du sit in tout d’abord. Quatre mois durant, chaque matin, elles vont se retrouver au centre de la ville et s’asseoir, ensemble. « J’aime beaucoup ce mélange de tenues touaregs et de tenues avec le voile islamique. Et voyez, le drapeau de l’Algérie est constamment présent. C’est pour défendre leur pays et pas uniquement leur ville. », s’enthousiasme Dalila.

Ensuite, elles vont participer aux marches et déambuler avec le cortège. Séparées des hommes toutefois : « Ce sont les habitudes traditionnelles mais je trouve que ce n’est pas ça le sujet. Elles ont voulu dire qu’elles étaient là et qu’elles voulaient faire nombre. Elles affirmaient leur position : « Non à la fracturation hydraulique » ! Elles avaient des banderoles, des pancartes, faisaient des graffitis, trouvaient des slogans comme « Résistance, résistance contre le gaz de schiste », parce que les manifestations se déroulaient sur la place de la Résistance. »

De cette mobilisation émergent des figures emblématiques. Comme celle de Hacina Zegzeg, porte parole anti gaz de schiste :

« Personne n’a le droit d’expérimenter sur nous. Le problème est que tout le monde sait que l’eau est polluée par la fracturation et on continue à polluer et à fracturer sans que ça ne dérange personne. Le pire, c’est le mensonge autour de cette communication ! »

Les femmes s’engagent pour la préservation de l’environnement et des ressources naturelles, comme l’eau par exemple, dont elles sont responsables. Elles sont sourcières mais aussi nourricières (pendant la contestation, les hommes font les courses et les femmes font les repas) et citoyennes.

Elles transmettent. À l’instar de Fatiha Touni, professeure d’anglais au lycée d’In-Salah. Elle consacre certaines de ses leçons au gaz de schiste et à ce « soulèvement populaire contre ce projet nuisible à l’environnement qui a opéré un bouleversement total à In-Salah. »

De là, d’autres projets environnementaux vont éclore : SMART Sahara, par exemple, dont l’objectif est de faire d’In-Salah une ville verte aux jardins entretenus par les femmes, ou encore un projet basé sur l’aquaculture. « L’eau est un élément vital dans le désert. In-Salah a pris son destin en main. », soulignera Hacina Zegzeg, dans la presse.

À QUOI DOIT-ON L’ÉMERGENCE DE CE MOUVEMENT ?

Pour Dalila Morsly, deux aspects sont à creuser et à retenir. Le premier : « La mobilisation montre les effets de la scolarisation massive dans la construction d’une prise de conscience citoyenne. Les femmes ont acquis une expertise technique de l’exploitation du gaz de schiste mais aussi une expertise politique du combat qu’elles mènent. Si la scolarisation de la population ne donne pas encore toutes les satisfactions que l’on attend, elle est massive et c’est un signe positif quand on se dit que 90% de la population était analphabète lors de l’indépendance. »

Ainsi, il est démontré que la scolarisation désorganise le système en place. On assiste alors à une diminution du nombre de mariages précoces, une baisse de la fécondité, l’apparition d’un célibat prolongé chez les femmes algériennes qui marquent là la contestation envers l’ordre établi ou encore une diminution de la polygamie et de la répudiation. La société se transforme et les femmes accèdent à une plus forte autonomie financière.

Le deuxième aspect concerne la charge de l’eau qui leur revient à elles. « On peut se dire que la responsabilité de l’eau cantonne les femmes à un rôle traditionnel. Mais on peut aussi considérer que passe par là la possibilité pour elles de mobiliser les femmes de la ville. C’est justement une réappropriation du rôle traditionnel des femmes pour lieux sensibiliser les femmes au combat qu’elles sont en train de mener. Surtout pour sensibiliser les plus anciennes, qui elles n’ont pas eu accès à la scolarité. », analyse la sociolinguiste.

La mobilisation des femmes marque une nouvelle forme de militantisme. Proche de la mouvance féministe écolo. Dans les années 80 et 90, les associations luttaient pour l’égalité entre les femmes et les hommes et attaquaient les écrits du Code de la Famille. Si aujourd’hui, le combat continue pour les droits des femmes, il se poursuit également dans des revendications environnementales.

« Ici, l’enjeu n’est pas les droits des femmes directement mais la mobilisation a installé une nouvelle sensibilité des droits des femmes. C’est ça qui pour moi est important à signaler. »
poursuit Dalila Morsly.

Les femmes sont de plus en plus nombreuses à être cultivatrices, par volonté et non obligation, et se constituent en associations de femmes rurales, la question de l’environnement est davantage portée aussi par les structures, comme certaines associations en Kabylie qui se mobilisent pour le tri sélectif et la propreté des villages.

La conférencière insiste : les sociologues constatent que les femmes sont porteuses de dynamiques qui amènent des évolutions dans le pays. Parce qu’aujourd’hui, les femmes sont dans tous les domaines. « Pas comme dans certains quartiers de Rennes que je ne nommerais pas ici. », lance une personne du public. La remarque passe mal. Difficile à partir de ce moment-là de recentrer le débat sur le sujet.

Si c’est un aspect précis qui est pointé durant l’exposé de Dalila Morsly, l’événement se détourne de son fond premier pour virer au jugement sur le port du voile. On a du mal à comprendre, si ce n’est que l’instant est révélateur d’un problème majeur : on ne peut pas parler des femmes arabes sans les associer à la religion et à une opinion jugeante et moralisatrice. Navrant.  

 

Célian Ramis

Femmes du monde, militantes de la paix

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Maison des Associations de Rennes
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité, lancé le 23 mars dernier.
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Shura Dumanic, journaliste d’origine bosniaque et militante pacifiste pour les droits des femmes, lance un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité. Le 23 mars dernier, elle figurait parmi les intervenantes, féministes et citoyennes du monde, venues défendre des espaces publics de paix et de non-violence, lors d’une conférence organisée par Mouvement de la Paix, à la Maison des Associations de Rennes.

Au mois de mars, les luttes des femmes pour l’accès aux droits et à l’égalité des sexes sont chaque année mises en avant dans la capitale bretonne. En 2016, le contexte de tensions internationales résonne dans la programmation et les diverses conférences destinées à aborder la condition des femmes à l’étranger et rompre les tabous et stéréotypes alimentés par les Occidentaux-tales.

Plusieurs voyages en cultures connues et/ou inconnues nous ont mené en Inde, en Afrique, au Proche et au Moyen Orient, au Maghreb, au Mexique ou encore au Québec, multipliant les visions et les points de vue autour des femmes dans le monde et démontrant l’importance de la lutte pour les droits des femmes et l’égalité des sexes. La conférence du 23 mars venait alors comme une synthèse à tous les événements organisés durant ce mois de mars. Loin d’une conclusion, elle brise les frontières et ouvre la réflexion sur tous les aspects des féminismes.

FEMMES KURDES ET TURQUES CONTRE LA RÉPRESSION

En France depuis 2 mois, Miral souhaite apprendre le français. À la Maison des Associations, elle parle en turc, traduite par son amie, Hayral. Elle milite au sein du parti pro kurde et au congrès des femmes libres, et dénonce la politique répressive d’Erdogan président de la République de Turquie, qui a récemment rappelé – à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes – que les femmes restent avant tout des mères.

Pour elle, la situation en Turquie est alarmante. La mentalité islamiste et répressive atteint tous les mécanismes de l’état turc et la place au même niveau que la pratique terroriste de Daesh.

« Erdogan tient des propos sexistes et empêche l’émancipation des femmes donnant lieu à des réalités atroces. »
scande-t-elle.

Et ces réalités, elle les liste : recrudescence des violences faites aux femmes, culpabilisation des femmes en cas de viol, augmentation des mariages forcés d’enfants et d’adolescentes… « Une femme enceinte ne peut pas se promener dehors, une femme ne peut pas rigoler sans risquer de donner envie à un homme, un père a le droit d’avoir envie de sa fille. Sans oublier la réduction de peine dans un cas de violence sexuelle si le coupable a éjaculé rapidement ou si sa victime est une femme handicapée… Récemment, il y a eu une affaire de viols sur 45 enfants. Le gouvernement ne veut pas en parler, minimisant les faits car ‘’les viols n’ont été faits qu’une seule fois’’. »

Mais la militante transmet aussi dans son discours la volonté, détermination et force des femmes kurdes et turques, qui manifestent main dans la main le 8 mars dans les rues d’Istanbul. « Elles ne se laissent pas faire, elles n’acceptent pas, elles se battent et elles résistent. », affirme Miral qui rappelle toutefois que les guerres, comme celle qui oppose les kurdes aux turques ou comme celles que mènent Daesh, notamment envers les femmes, kidnappant les femmes yézidies, les forçant à se marier et à se convertir à l’Islam, font des enfants et des femmes leurs premières victimes.

« Nous demandons à l’état turc de cesser les violences envers les femmes. Il est important de comprendre le rôle attribué aux femmes, la situation des kurdes, et de comprendre que la paix ne pourra s’obtenir qu’en libérant les femmes dans tous les domaines de la vie. »
insiste Miral.

FEMMES MEXICAINES CONTRE LES FÉMINICIDES

De son côté, la militante mexicaine Elena Espinosa attire l’attention sur les féminicides en Amérique latine. « Quand je suis arrivée en France, je me suis intéressée à l’image que les gens avaient concernant le Mexique. J’ai entendu « narco, pauvre, tequila, fajitas, machos… » mais personne ne parlait des féminicides. », déplore-t-elle avant de donner des chiffres effarants sur la situation mexicaine : 6 femmes sont assassinées chaque jour, 1014 féminicides ont eu lieu ces dix dernières années, toutes les 9 minutes une femme est victime de violences sexuelles.

Au Mexique, l’Observatoire National Citoyen des Féminicides reconnaît l’horreur de la situation et la dénonce. Tout comme les Argentin-e-s se mobilisent contre ce crime, consistant à assassiner des femmes en raison de leur sexe. Une lutte qui a suscité la curiosité de l’auteure Selva Almada qui a mené une enquête sur 3 meurtres de jeunes femmes, survenus dans les années 80 dans la province Argentine et jamais élucidés. En octobre 2015, son livre Les jeunes mortes est un coup de poing engagé et nécessaire au réveil des consciences.

« Motivés par la misogynie, les violences extrêmes, ils ont recours à l’humiliation, l’abandon, les abus sexuels, les incestes, le harcèlement… Cela révèle un rapport inégal entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. »
rappelle Elena.

Pour elle, une des solutions réside dans la dénonciation des faits par le biais des arts et de l’humour. « Avec le collectif Les Puta, on identifie les éléments culturels et on réfléchit ensemble à comment le mettre en scène dans une pièce de théâtre par exemple. Avortement, diversité culturelle, homosexualité, violences de genre… Il faut ouvrir des espaces publics pour créer la paix. », conclut-elle.

FEMMES SOLIDAIRES POUR LA PAIX

Shura Dumanic, militante pacifiste et journaliste bosniaque, réfugiée en Croatie, et Fathia Saidi, militante féministe et présentatrice radio et télé en Tunisie, insistent sur la solidarité internationale. Encore marquée par les guerres des Balkans, Shura Dumanic explique : « La guerre divise les gens et empêche la reconstruction et le développement d’un pays. Il n’y a plus d’esprit de construction, de confiance, plus de volonté de reconstruire la vie. »

Pour elle, sans la solidarité de la France et de l’Italie, la situation n’aurait pas été supportable. « Les femmes témoignent d’une grande force, d’une force terrible, qui doit vivre ! Entre nous et à l’extérieur. Avec le réseau des femmes de la Croatie, nous avons réussi à changer 3 lois sur les violences, sur la participation des femmes à la vie politique et sur la famille. Ça nous a pris 15 ans mais c’est possible ! Nous devons changer notre culture, changer la culture de la violence et aller vers la culture de la non-violence. Interdire la guerre, liée à la violence domestique, et surtout résister contre la division ! », scande-t-elle, fatiguée mais emprise d’espoir.

Fathia Saidi revient sur l’importance de la lutte contre la culture patriarcale du père, du mari, du frère et du fils. Casser la représentation de la femme objet. Voir enfin la femme comme un sujet. Dans le monde arabe, la Tunisie figure comme une exception, un symbole de la lutte féministe acharnée et qui ne lâche rien. Les lois pour les droits des femmes se multiplient, mais ne s’appliquent pas forcément. Les femmes manifestent, luttent, défilent, aident à l’avancée du pays en temps de révoltes et de révolutions, puis disparaissent de la circulation.

« Dans la Constitution, l’article 21 stipule la non discrimination entre les sexes mais le combat reste permanent et doit se faire davantage. », souligne-t-elle. Pour la militante tunisienne, l’avancée des droits des femmes est le meilleur indicateur d’une société en progrès :

« L’avenir de la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités. »

La solidarité doit alors servir à créer des réseaux au sein d’un même pays mais également entre les pays, comme tel est déjà le cas entre les pays du Maghreb par exemple : « Il faut combattre les violences pour changer les mentalités, faire participer les femmes aux politiques publiques, éduquer nos jeunes à la culture de la paix et apprendre le respect de la différence. Et là peut-être qu’on arrivera à des sociétés moins violentes. » Le chemin est long mais pas impraticable. Aux femmes de prendre leur liberté, comme le conseillait Nadia Aït-Zaï, à la MIR le 15 mars dernier.

Célian Ramis

Que les femmes arabes arrachent leur liberté !

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Maison Internationale de Rennes
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prônait l’avocate Nadia Aït Zaï, le 15 mars dernier, à la MIR, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie.
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prône l’avocate Nadia Aït Zaï, également professeure à la faculté de droit d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme. Le 15 mars dernier, à la MIR, la militante pour les droits des femmes abordait les conditions de vie des femmes algériennes mais aussi tunisiennes et marocaines, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie, organisée par l’association de jumelage Rennes-Sétif.

« Les images qui vous viennent en France, de par les faits divers, les journaux, les journalistes, etc. donnent une image de la femme algérienne sans aucun droit. La situation est encore inégalitaire et discriminatoire mais elle évolue favorablement. Je fais partie d’un mouvement féminin, je ne sais pas si je suis féministe mais il faut toujours essayer de défendre les droits des femmes, considérer la femme comme un individu, un sujet de droit. Car tout tourne autour de ça. », lance Nadia Aït Zaï au commencement de sa conférence.

Tout comme le précise Fatimata Warou, présidente de l’association Mata, à Rennes, dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, « on considère souvent que la femme n’a pas de valeur, elle est chosifiée ». Et cette image colle à la peau des femmes du continent africain, du Moyen Orient et du Proche Orient. En témoignent toutes les intervenantes invitées à s’exprimer dans le cadre de la programmation du 8 mars à Rennes. Une explication pour l’avocate algérienne : les guerres d’indépendance et les périodes post libération.

BAISSER LES ARMES

Pourtant, les femmes du monde arabe – Maghreb et Egypte – ont participé à ces luttes. « Elles ont bravé la tradition pour la guerre d’indépendance (1954 à 1962, en Algérie, ndlr), certaines ont fait le maquis, ont pris les armes, ont brisé la digue des interdits ! », scande Nadia Aït Zaï. Mais, poursuit-elle, une fois l’indépendance déclarée, la digue a été refermée sur les femmes, lâchées par les hommes :

« Elles ont été éloignées du vrai combat, de la vie politique. C’est à partir de là que va se nourrir l’image qu’ont les politiques, les sociétés sur nous. »

Malgré le droit de vote (droit d’être éligibles et électrices) obtenu en 1944, elles n’ont pourtant pas un réel accès à la représentativité, une petite dizaine d’élues seulement accédant au Parlement dans les années 60 et 70. Le droit au travail n’est pas non plus saisi comme élément libérateur, seul 18% de la population féminine travaillant en Algérie.

« C’est le taux le plus bas du Maghreb. Il a été libérateur à un moment mais il n’est plus considéré tel quel. Selon une enquête de 2013, 18% des célibataires travaillent, 11% des femmes mariées, 30% des femmes divorcées et 6% des veuves. En fait, quand les femmes trouvent des maris, elles quittent leur emploi. Elles travaillent pour se faire un trousseau comme on dit ! Pour le jour du mariage…, ironise Nadia Aït Zaï. Il y a eu tout un travail insidieux de la part des islamistes dans les années 90. »

En effet, quelques années plus tôt, le Code de la famille est voté. En 1984, précisément. Et sur ce point, les femmes n’ont pas voix au chapitre, malgré les manifestations et contestations de la part des féministes, y compris de Zohra Drif, sénatrice et épouse de Rabah Drif, alors président de l’Assemblée populaire nationale. Le Code de la famille réinstaure des éléments de la charia, instaure une tutelle pour diminuer les droits juridiques des femmes, maintenues sous la coupe masculine et patriarcale, et légalise entre autre la polygamie. Sans oublier qu’il vient contredire et rompre les articles et principes de la Constitution de 1976 signifiant l’égalité de tous les citoyens.

Une double dualité s’instaure : être des citoyennes dans la sphère publique et être considérées comme mineures dans la sphère privée.

50 ANS DE MOBILISATION

« Pourtant, il y a 50 ans déjà, la liberté et l’émancipation semblaient promises aux femmes arabes. Alors que leurs pays accédaient à l’indépendance, certaines d’entre elles, comme les actrices et danseuses égyptiennes exposaient fièrement un corps libre et sensuel. Et les leaders politiques de l’époque, libérateurs des peuples, déclaraient tous aussi vouloir libérer les femmes. 50 ans plus tard, les femmes arabes doivent pourtant lutter plus que jamais pour conquérir ou défendre leurs droits chèrement acquis. Et leur condition ne s’est pas vraiment améliorée. Ou si peu. Que s’est-il passé ? Et comment les femmes arabes parviendront-elles à bousculer des sociétés cadenassées par le sexisme et le patriarcat ? »

C’est l’introduction et les questions que pose la réalisatrice Feriel Ben Mahmoud en 2014 dans le documentaire La révolution des femmes – Un siècle de féminisme arabe. Un film qui raconte leurs luttes et leur histoire. Et montre surtout la détermination de ces femmes à acquérir leur liberté et l’égalité des sexes. Pour la présidente du Ciddef, « l’égalité est virtuelle, elle est à construire. Mais des efforts ont été faits. »

Dès le début du XXe siècle, des hommes, comme le penseur tunisien Tahar Haddad, et des femmes, comme la militante égyptienne Huda Sharawi – désignée dans le documentaire comme la première femme féministe arabe, elle a retiré son voile en public en 1923, créé l’Union féministe égyptienne et lutté pour la coopération entre militantes arabes et militantes européennes – se mobilisent pour défendre les droits des femmes et affirmer l’idée que la libération des pays arabo-musulmans ne peut passer que par l’acquisition de l’égalité des sexes, la modernité d’une société se mesurant sur ce point-là, comme le précise l’historienne Sophie Bessis en parlant de « pensées réformistes, modernistes », concernant l’Egypte, le Liban, la Syrie et la Tunisie.

Un discours que tiendra également la présentatrice radio et télé, et militante féministe Fathia Saidi, le 23 mars lors de son intervention à la conférence "La lutte des femmes à travers le monde pour un espace public de paix et de non-violence", organisée à la Maison des Associations de Rennes : "C'est à travers les droits des femmes que l'on mesure les progrès d'une société. L'avenir pour la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités."

C’est dans cet esprit que le penseur égyptien Kassem Amin, en 1899, affronte l’idéologie religieuse interprétée par des hommes. Il ne s’oppose pas à l’Islam mais bel et bien à l’interprétation des traditions et des textes, considérant que la libération des femmes permettrait de lutter contre le déclin d’un pays. « Imposer le voile à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage. C’est quand même étonnant, pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile, de dérober leur visage au regard des femmes s’ils craignent de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle de la femme ? », s’interroge-t-il.

L’INSPIRATION DE LA TUNISIE

Habib Bourguiba, en 1956, devient le premier Président de la république en Tunisie. Il proclame le Code du statut personnel, qui abolit la polygamie et la répudiation, instaure le divorce et fixe l’âge légal du mariage à 17 ans. Il dévoilera même plusieurs femmes en public et, sans aller jusqu’à l’égalité entre les femmes et les hommes, inaugurera le féminisme d’Etat. Education gratuite, droit au travail, création du planning familial, accès à la contraception dès la deuxième moitié des années 60, légalisation de l’avortement, sans condition et pour toutes les tunisiennes, en 1973… La Tunisie est et reste une exception au sein du monde arabe.

Car si certains pays ont essayé de promouvoir une autre image de la femme, notamment en Egypte, qui dans les années 50 sera le centre du cinéma arabe et montrera des figures féminines modernes, le colonel Nasser, au pouvoir depuis 1956, ne pourra s’opposer très longtemps aux conservateurs que sont les membres de la Société des frères musulmans.

Malgré la marginalisation du combat des femmes dans la plupart des pays arabes après l’obtention de leur indépendance, les mouvements féministes ne vont pas se contenter des quelques droits obtenus et vont créer une cohésion entre pays maghrébins. Pour l’Algérie, ce sont de longues années de lutte profonde qui voient le jour dans les années 90.

CHANGER LES LOIS ET LES MENTALITÉS

Le Ciddef, créé en 2002, ne lâche rien et travaille constamment sur des actions et des plaidoyers permettant de faire évoluer les lois. Pendant 12 ans, la structure a lutté pour obtenir une loi instaurant des quotas (2012), permettant ainsi aux femmes d’accéder aux fonctions électives et administratives. Ainsi, 147 femmes ont été élues au Parlement lors des dernières élections législatives.

Mais si les lois évoluent, les mentalités sont quant à elles extrêmement difficiles à changer. Et les femmes que Charlotte Bienaimé, auteure de documentaires sur France Culture et Arte Radio, a rencontrées et interviewées - en sillonnant à partir de 2011 divers pays arabes – l’affirment. Elles s’insurgent, critiquent, analysent, décryptent, observent et témoignent de leurs vécus dans le livre de la journaliste, Féministes du monde arabe, publié aux éditions Les Arènes en janvier 2016.

Madja est algérienne. Elle a 27 ans au moment de l’échange avec Charlotte Bienaimé et vit à Alger. Elle explique, page 76 : « Les gens estiment que pour que les femmes sortent, il faut qu’elles aient une bonne raison. Et après 18h, il n’y a plus de bonnes raisons. On n’est pas censées travailler, ni avoir cours. Pour eux, le soir, si les femmes sont dehors, c’est qu’elles veulent être agressées ou c’est qu’elles se prostituent. La nuit, tout est permis. Les mecs, on dirait des loups-garous. Ça devient très agressif. Les agressions sont verbales et physiques. »

LES LUTTES RÉCENTES ET EN COURS

Actuellement, les militantes œuvrent pour l’égalité sur l’héritage. « Nous y travaillons depuis 2010 et nous n’avons pas encore eu de réactions violentes… Il faut savoir qu’il y a des discriminations sur l’héritage, les femmes n’ont pas les mêmes parts. Et il y a des familles avec que des filles. Là, un cousin mâle éloigné peut se pointer pour hériter avec elles. C’est injuste. La Tunisie a déjà exclu cette possibilité et nous souhaitons l’exclure également. », explique Nadia Aït Zai.  

Si le gouvernement a abrogé la notion du chef de famille en Algérie (un combat actuellement mené par les tunisiennes et les marocaines) et par conséquent le devoir d’obéissance au chef de famille, la tutelle est, elle, toujours effective lors de la conclusion du contrat de mariage. Un point devant lequel le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas voulu fléchir en 2005 lors de la réforme du Code de la famille. Il impose néanmoins le consentement comme élément essentiel de l’acte matrimonial, notamment en ce qui concerne la polygamie.

Côté divorce, l’homme peut toujours répudier sa femme. « Elles en souffrent depuis 1985 ! Et le ministère ne donne pas les vrais chiffres de la répudiation », précise la présidente du Ciddef. Pour les femmes, le divorce par compensation financière est autorisé. L’ex-épouse doit alors restituer la dot.

« Elles utilisent toutes ça ! Pendant un temps, la pension alimentaire était dérisoire, voire pas versée du tout. Aujourd’hui, on vient juste de créer un fonds de pension, une garantie pour la pension. », souligne-t-elle.

Autres avancées récentes en faveur des femmes : la transmission de la nationalité de la mère à son enfant et la garde prioritaire de l’enfant à sa mère en cas de divorce. Rien n’est à noter cependant concernant le fait que l’homme conserve tous les biens matrimoniaux, comme le logement conjugal par exemple, après la séparation. Mais si des progrès permettent à la société d’évoluer vers des conditions de vie moins critiquables, les féministes algériennes réclament l’abolition complète et totale du Code de la famille.

CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

En mars 2015, les députés votent une nouvelle loi contre les violences faites aux femmes, durcissant les peines de réclusion mais permettant aussi à l’auteur du crime de s’en sortir indemne si son épouse lui pardonne. Les élus islamistes s’insurgent contre cette nouvelle mesure. Disant que cela déstructure la famille :

« Pour eux, il ne faut pas toucher à ce qui se passe dans l’espace privé. Mais c’est là que les violences ont lieu. C’est bien la preuve que la femme ne peut pas être libre. »

Dans son enquête, Charlotte Bienaimé aborde la question des violences sexuelles dans un sous-chapitre intitulé « Terrorisme sexuel ». Tandis que les tentatives d’explications se multiplient, la plus avancée nous informe-t-elle subsiste celle de la frustration due à l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage. Amina, militante en Algérie, s’offusque, pages 98 et 99 :

« Nous aussi, les femmes, nous sommes frustrées et on n’agit pas comme ça. Alors, on se dit que c’est peut-être l’âge, mais les gamins et les vieux le font aussi. Ou alors, ce sont les vêtements qu’on porte, mais les filles voilées aussi sont agressées. Ce n’est pas non plus le milieu social parce qu’il y a des hommes aisés harceleurs alors qu’ils ont fait de grandes études. C’est pour ça que maintenant, on identifie le patriarcat en tant que tel comme cause principale. »

Elle explique alors que c’est le terrorisme qui a amené le pays à parler des viols, en reconnaissant aux femmes violées le statut de victime du terrorisme. De là, le ministère de la Santé a souhaité lancer une enquête sur les violences conjugales.

« Il en va de la responsabilité de l’Etat de protéger les femmes de la violence conjugale. Mais c’est une question de contrôle du corps de la femme aussi. »
interpelle Nadia Aït-Zaï.

Pour la militante, les politiques publiques doivent redoubler d’effort et donner aux femmes, depuis trop longtemps enfermées dans des carcans traditionnalistes, le droit de prendre part au développement économique du pays.

« Les textes ont suivi dans le Code civil, le Code du travail, la Constitution avec le principe de l’égalité, l’accès à la santé et à l’éducation. Aujourd’hui, 62% de filles sortent de l’université, c’est plus que les hommes. On atteint presque la parité en matière de scolarisation. Pareil pour la santé. Avec une politique de planning familial repensant le nombre d’enfants par famille à 3 ou 4. Le Planning familial travaille actuellement à la dépénalisation de l’IVG. Il y a la possibilité de l’avortement thérapeutique mais certains médecins refusent de le faire. Les Algériennes vont en Tunisie pour avorter. Tout prend du temps car il faut que les politiques publiques se mettent en place. Mais les droits, nous les arrachons ! », développe-t-elle.

ARRACHER LEURS DROITS, LEUR LIBERTÉ

Son leitmotiv : la liberté, c’est à la femme de s’en saisir, de la prendre. « Mais certaines n’ont pas le courage de faire une rupture avec la tradition. Elles se disent modernes mais en public elles parlent de Dieu », regrette-t-elle. La question du voile ressurgit. La liberté serait-elle acquise par le voile ? Serait-ce une forme de libération ? Ce n’est pas un débat qu’elle souhaite avoir. Néanmoins, elle se permet de donner son point de vue, sans s’étaler :

«  Le foulard ne libère pas mais celles qui le portent pensent que ça libère. Car il les libère d’une interdiction. Celle d’aller dans l’espace public. Elles le pensent alors comme une protection. À Alger, j’ai constaté qu’elles l’enlevaient de plus en plus. Mais à l’intérieur du pays, toutes les femmes sont voilées. » Pour elle, pas de secret. C’est l’indépendance économique qui permettra la libération des femmes.

En décembre 2013, comme dans tous les numéros de la revue, elle signe l’édito du magazine du Ciddef et termine ainsi : « Ne soyons pas en dehors de cette histoire qui doit se faire avec nous. Sans nous il n’y aura pas de société saine et équilibrée ni de politique appropriée. » Elle le répète jusqu’à la fin de la conférence :

« C’est la femme qui doit arracher sa liberté ! ».

Un discours qui concorde avec celui de l’ancienne journaliste algérienne Irane, révélé dans l’enquête et ouvrage Féministes du monde arabe. Charlotte Bienaimé met en perspective la révolte, lutte du quotidien, à travers l’expérience d’Irane, dans une société de communication, page 39.

« On parle souvent des femmes victimes, des femmes violées, des femmes battues, du harcèlement sexuel dans la rue, etc. Mais on ne parle jamais de ces femmes algériennes actives qui sont violentées, mais extrêmement violentées tous les jours à la maison, au travail, parce qu’elles sont tout simplement des femmes. Si les femmes reprennent la parole, si elles disent ce qu’elles pensent, si elles le balancent comme ça, ça va choquer, mais ça va faire, disons, un équilibre, un contre-pouvoir. Les femmes doivent avoir accès à la parole. » (…)

« Chaque fois, on me renvoie à ma position de femme. ‘’Tu es une femme, on devrait pas t’écouter, d’ailleurs tu ne sais pas.’’ Donc, quand je fais des réunions, je dis, ‘’écoutez, vous la bande de machos là-bas’’, je dis ça comme ça, ouvertement, je les secoue, et je leur dis : ‘’Je sais, ça vous fait très mal parce que je suis une femme mais vous devez changer votre mentalité, le monde ne marche plus comme ça, il faudra se remettre en cause. Je sais, vous n’êtes pas d’accord parce que je suis une femme et ce n’est pas ma place, mais malheureusement, je suis là et c’est ma place et je suis votre responsable et vous devez m’écouter.’’ Donc, quand on voit que je suis assez forte, je le dis d’une manière assez directe, je leur laisse pas trop le choix, ça marche. Pas tout le temps, mais ça marche. »

Célian Ramis

Waed Bouhassoun, Amour en terres syriennes

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Opéra de Rennes
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Entre émotions personnelles fortes et poésie de grands auteurs arabes d’antan, l’Opéra de Rennes accueillait mardi 23 février la chanteuse et oudiste syrienne Waed Bouhassoun.
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Dans le cadre des Divas du monde, l’Opéra de Rennes accueillait mardi 23 février la chanteuse et oudiste syrienne Waed Bouhassoun. En toute simplicité, l’artiste a livré émotions personnelles fortes alliées à la poésie de grands auteurs arabes d’antan.

La Syrie a marqué de son empreinte la musique arabe, notamment grâce à sa tradition de poésie écrite et orale. Waed Bouhassoun s’en saisit pour son deuxième disque et premier projet solo. La configuration du seule en scène, avec son oud ou a cappella, assise devant son micro, instaure une relation intimiste.

Du oud, elle en joue depuis ses 7 ans. Initiée à cet instrument par son père, elle commence les concerts en Syrie dès l’âge de 10 ans. « Quand je fais des concerts, c’est pour chanter pour le plaisir. Et pour le partage de moments de plaisir entre nous tous. Mais j’ai toujours 2 personnes à l’esprit. Mon père déjà. Malgré la situation difficile en Syrie, il me demande toujours comment va l’oud. Et je lui réponds que ça va, je travaille avec lui. Mon père, c’est celui qui me donne le courage de continuer. », raconte-t-elle à la fin du spectacle, en français.

Si la jeune syrienne maitrise la langue française, c’est qu’elle connaît bien le pays,  la capitale bretonne notamment qu’elle a découvert pour répéter une pièce de théâtre, puis Paris là où elle a poursuivi ses études en ethnomusicologie. Au sein de l’Opéra de Rennes, c’est à sa terre natale qu’elle songe et à qui elle dédie ses chansons, composées autour de textes de grands poètes, dont Adonis, un des plus célèbres auteurs de son pays.

MAITRISE DE SES INSTRUMENTS

Avec le oud, elle joue sur les rythmes et les ambiances. Douce et sereine dans sa première intro, elle va ensuite accélérer le tempo pour faire ressurgir l’urgence ressentie et développer la tension dramatique. Et de sa voix grave et chaude, elle maitrise les moindres recoins. Variant l’intensité de son organe vocal avec beaucoup de simplicité et d’authenticité.

Waed Bouhassoun manie sans artifice les modulations du chant arabe, ce qui lui vaut d’être assimilée à des grands noms de la chanson arabe des années 30, comme l’artiste égyptienne Oum Kalthoum. Et de sa musique, la chanteuse syrienne dégage émotions vives et blessures profondes. Parmi lesquelles s’entremêlent nostalgie, douleurs, souffrances, pureté et profondeurs de l’âme.

PARTITION SENSIBLE

Elle chante la passion, extraite d’un poème de l’andalou Ibn Arabi (XIIe – XIIIe siècles), met en musique l’esprit mystique du persan Djalâl ad-Dîn Rûmî (XIIIe siècle) et incarne la poésie libératrice de l’andalouse Wallada Bint al-Mustakfi (Xe et XIe siècles). Et s’inspire également du poète bédouin Qays Ibn al-Mulawwah dit « le fou de Layla » (VIIe siècle) pour déclamer son amour à Damas, ville qu’elle chérit pour y avoir vécu sa jeunesse.

L’atmosphère intimiste de ce concert renforce la transmission des émotions. Le public, attentif, est suspendu aux lèvres de la musicienne. L’instant est intense, la concentration est de mise. Et le tout se décuple lorsque l’artiste se détache de son oud. Les silences, les respirations et les souffles haletants qui surviennent à la fin d’une phrase, deviennent des éléments musicaux à part entière de la partition a cappella, les corps se crispent, tendus par les expressions faciales de la chanteuse et se délassent.

VOYAGE SENSORIEL

Elle marque solennellement des temps de pause entre les chansons. Mais ne parle pas. L’échange briserait l’instant cristallin qui semble ne tenir qu’à un fil. La tension est palpable, fragile. Waed Bouhassoun nous happe et nous enveloppe dans un cocon chaleureux dans lequel on ressent tous les frémissements d’un voyage mouvementé. Si la frustration de ne comprendre les paroles nait au début du concert, elle en fait son alliée pour nous guider de ses émotions pures. Comme une découverte sensorielle, les yeux bandés.

On s’imprègne alors d’ambiances, de sensations et de sons. On s’enivre de la musicalité d’une langue syrienne ancienne, modernisée par la jeunesse de son interprète. Les vibrations des cordes résonnent dans tout le corps et la voix qui joue d’intensités diverses provoque une bulle qui vient nous entourer le crâne et les oreilles.

Lorsque sonne la fin du concert, Waed Bouhassoun salue également, après avoir parlé de son père, un couple rencontré à Rennes. « J’ai ma famille en Syrie et ma famille ici », déclare-t-elle avant d’entamer sa première chanson en français en demandant au public de fredonner le refrain.

La langue française s’associe aux rythmiques arabes, formant deux âmes qui s’entrelacent et virevoltent dans les airs. Les fredonnements montent et s’élèvent pour aller côtoyer les cieux bretons de l’Opéra. La chanteuse et oudiste conclut sur une dernière composition qui braque les pensées vers les terres syriennes à qui elle chante son amour et l’Amour.