Célian Ramis

Trans 2019 : Les tripes à l'air avec Lous and The Yakuza

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Après Jeanne Added et Aloïse Sauvage, c'était au tour de Lous and The Yakuza de monter sur la scène de l'Aire Libre, à l'occasion des TransMusicales 2019.
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Chaque année, aux Trans, c’est un peu le suspens : qui sera l’artiste en création à l’Aire Libre ? La réponse attise la curiosité, principalement parce que c’est sur cette scène que se propulsent certaines carrières, à l’instar par exemple de Jeanne Added ou Aloïse Sauvage. Du 4 au 8 décembre, c’est Lous and The Yakuza qui était en résidence et en concert tous les soirs à St-Jacques-de-la-Lande. 

En première partie, le duo d’Alber Jupiter nous hypnotise et nous transcende. Entièrement instrumental – guitare / batterie – et psychédélique, les musiciens renno-nantais nous envoient loin, très loin dans les étoiles en quelques morceaux post-rock.

La voix de Marie-Pierra Kakoma nous ramène directement sur notre fauteuil. « Une vie de merde, c’est juste une vie de merde. », chante-t-elle. Ce qui paraît être une évidence banale, ou une banale évidence, prend une autre tournure avec la chanteuse, autrice, compositrice de Lous and The Yakuza.

Les sujets abordés sont lourds de sens et parfois graves. Elle les interprète avec calme et légèreté. Sans jamais leur enlever cette substance sérieuse et pesante. Simplement, elle déplace le point d’impact. Capte l’attention de par son air naturellement joyeux et sa manière d’angliciser bon nombre de termes quand elle s’adresse au public. Et bam, elle frappe.

« Je sens comme un courant d’air entre les jambes de ta mère… », entame-t-elle rapidement dans son set. La prostitution ne sera pas l’unique et seul tabou qu’elle lèvera pendant le spectacle. Elle parle aussi de violences sexuelles, relatant dans une autre chanson l’histoire d’un viol, à travers le point de vue de l’agressée et le point de vue de l’agresseur. 

Et aborde également le problème du racisme. Dans le texte, elle souligne « Pourquoi le noir n’est-il pas une couleur de l’arc-en-ciel », précisant que les noir-e-s doivent sans cesse « se défendre, se taire, se débattre, se battre jusqu’à la muerte. » Face au public, elle explique : « Cette chanson, « Solo », je l’ai écrite pour les gens de ma communauté, c’est-à-dire les noir-e-s. Parce que quand on est noir-e en Europe, on fait face à beaucoup de racisme et on se sent seul-e. »

Comme un fil conducteur, la solitude traverse quasiment tous les morceaux qu’elle présente et qui figureront prochainement - au printemps 2020 - sur son premier album. Depuis quelques mois, l’artiste belge a dévoilé à plusieurs reprises son parcours de vie, relatant une période durant laquelle elle a vécu dans la rue.

Elle s’en inspire pour sa musique, qui mêle pop, r’n’b et chanson française, mais ne raconte pas précisément son vécu. Elle puise dedans, et ce qu’elle nous restitue semble plutôt appartenir à des choses de l’ordre de l’observation et du ressenti.  

Accompagnée de deux musiciens et de deux choristes, elle délivre une voix au service de ses récits. Sur le fil du rasoir, comme si elle allait dérailler. Et finalement, elle ne rompt jamais. On sent sa puissance mais la chanteuse de Lous and The Yakuza n’entre pas dans la performance vocale. Elle utilise sa voix comme instrument et moyen d’expression pour sortir le fond de ses tripes.

La proposition est sensible et joyeuse. Très entrainante, Marie-Pierra Kakuma n’hésitant pas à faire lever le public à plusieurs reprises pour le faire danser. N’hésitant pas non plus à directement aller dans le public « pour être là ensemble ».

Sa proximité surprend son audience, bousculée dans les habituelles conventions d’une salle de théâtre. Celle-ci s’en amuse et embarque même les plus sceptiques dans un spectacle basé sur le jeu de clair-obscur, autant dans la forme que dans le fond.

Célian Ramis

Jeanne Added ou l'exploration de l'hybride

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Retour sur le nouveau spectacle "Both sides" de Jeanne Added, présenté au MeM à Rennes, et rencontre avec l'artiste.
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Le 22 novembre, Jeanne Added présentait au MeM, à Rennes, son nouveau spectacle Both Sides dans lequel elle revisite son répertoire et propose une forme scénique inédite dont on ne dévoilera pas l’effet ici, médias et spectateurs-trices étant invité-e-s à ne pas tout révéler afin de conserver la surprise pour les suivant-e-s. Avant de monter sur scène, nous l’avons rencontrée. Reportage et interview.

Sous le chapiteau, la disposition particulière du spectacle Both Sidess’adapte à merveille. Au fond, la scène est transformée en gradin, le plateau étant disposé au centre de la structure, avec le public, assis autour. 

Aussi surprenant que la forme, l’artiste plonge le MeM dans une ambiance clubbing qui embarque son auditoire, incapable aux sons des notes synthétisées de rester vissé sur sa chaise. Le public se lève, s’emballe et remue son corps.

Jeanne Added aussi danse. Elle intègre les mouvements à sa musique, comme s’ils avaient été créés en véritable symbiose. Ça fonctionne. Les morceaux s’enchainent, les pistes voix se superposent et l’artiste apparaît en chalengeuse sur le ring du chapiteau, soutenue et acclamée par le public.

C’est comme si l’artiste repoussait ses propres limites. Elle joue avec les lumières, les ambiances, les rythmes et les gestes. Oui, c’est fort. Mais durant la première partie du spectacle, il vient rapidement à nous manquer un truc sans véritablement réussir à mettre le doigt sur le « quoi ». On se laisse prendre au jeu en entendant des chansons comme « Back to summer » ou « Mutate » en mode club mais une (petite) frustration s’installe.

C’est là, quand le concert prend son premier virage que la magie opère. Alors qu’on commençait un tantinet à trouver le temps long, Jeanne Added nous fait relever la tête, pile poil pour nous prendre la claque (musicale) que l’on attendait. Celle-là même qu’elle nous met quand elle déploie sa voix puissante, sublimée par son accompagnement à la basse.

Désormais, nos yeux sont rivés sur le plateau et notre corps est en tension. Parce qu’elle a dans sa manière de chanter, dans sa manière d’interpréter, quelque chose de viscéral. On sent une nécessité, une urgence, un besoin. Une force vitale.

Et ça, elle ne le lâchera pas jusqu’à la fin du spectacle. De « Radiate » à « Look at them » en passant par « War is coming », « Both sides » ou encore « Suddenly », Jeanne Added propose un mix de ces deux albums, Radiate et Be sensational.

Comme toujours, elle déclenche le frisson. Parce qu’elle fonce et se donne à fond. Elle s’engage dans son corps et dans sa voix, sur scène, et partage sa démarche, sa créativité, son art et son savoir faire avec le public qui l’entoure. C’est une réussite.

 

Jeanne Added : « Je cherche la proximité avec le public et surtout à ne pas être dans un rapport traditionnel, frontal. »

 

YEGG : On vous a vu plusieurs fois à Rennes entre les Trans Musicales et Mythos. Quel regard avez-vous sur le chemin parcouru entre les Trans Musicales et aujourd’hui ?

Jeanne Added : Je suis un peu extasiée. Après, ça m’arrive de temps en temps de regarder en arrière mais bon, je suis principalement en train de faire des choses, en train de travailler, en train d’imaginer la suite, etc. Revenir à Rennes, effectivement, ça fait un peu regarder en arrière car il y a des éléments clés de ma vie qui se sont passés ici. Mais sinon, je pense assez peu dans ces termes-là même si ça fait parti de ma joie de voir tout ce qui s’est passé, de la joie que je peux avoir à faire les choses maintenant. Ma vie est riche de tous ces moments-là, de tout ce développement qui a été incroyable.

Là, vous passez d’une tournée en groupe à une tournée en solo. Comment on travaille le rapport à l’espace scénique ?

En fait, c’est surtout une tournée qui s’est passée dans les salles de concert et une qui a été conçue pour les théâtres. Ma recherche, en terme d’espace scénique, elle est la même en concert et là. La question principale étant toujours de comment intégrer le public et faire qu’il soit actif et acteur de ce qu’il est en train de vivre. Et de déconnecter le côté consommation, organiser un espace qui permette au public d’être dans un état différent, dans un état de disponibilité, pour qu’on puisse créer quelque chose ensemble.

Quelle place vous donnez au public qui ici s’installe des deux côtés de la scène, comme si vous étiez le miroir, au centre ?

Le spectacle a été conçu pour qu’il soit en bifrontal, donc le public est de part et d’autre du plateau. Ça change un petit peu parce que les gens se voient les uns les autres. Après, chacun se raconte un peu ce qu’il veut par rapport à ça. Je pense que je cherchais de la proximité et surtout de ne pas être dans un rapport traditionnel, frontal. J’avais envie d’autre chose.

Comment vous vivez cette nouvelle disposition ? Quel regard cela apporte sur votre place d’artiste ? 

Je ne sais pas bien répondre à ça. J’y prends beaucoup de plaisir. C’est comme si le fait d’être entourée du public me permettait d’être encore plus présente à ce que je fais. C’est-à-dire que quand derrière moi, il y a les coulisses et le public juste en face, quelque part il y a une partie de moi-même qui peut ne pas exister. Comme si mon dos ne jouait pas, quoi. Là, mon dos il joue aussi. Donc je suis obligée d’être encore plus présente. Etre présente sur le moment étant la chose que je recherche, étant la sensation qui me donne le plus de plaisir quand je fais des concerts, j’avoue que c’est plutôt une réussite pour moi de ce point de vue là.

Vous pensez qu’on peut perdre du plaisir en restant dans un côté « traditionnel » de concert avec l’artiste sur scène et le public devant lui ? Il y a besoin de se renouveler ?

Se renouveler… pas forcément parce que c’est comme si ce qu’on avait fait avant ne suffisait plus ou que c’était moins intéressant. Non, c’est continuer en fait, aller plus loin, continuer à se poser des questions, trouver d’autres réponses. C’est sans fin.

Ça sort aussi de ce qu’on connaît, d’une zone de confort ?

Il y a ça avec le fait que je danse un peu plus dans ce spectacle-là. C’est un média que je connais moins, c’est un média qui n’est pas celui sur lequel je suis formée. Je ne vois pas ça autrement que de continuer à apprendre des choses. Et apprendre, c’est se mettre en danger de toute manière, la situation de l’apprentissage, c’est une mise en danger. C’est pour ça d’ailleurs que pour apprendre il faut être en confiance. Pour pouvoir accepter cette mise en danger. C’est sans doute pour ça que ça arrive maintenant, que je puisse me mettre en danger sur ce spectacle-là. J’ai un peu gagné en confiance et c’est tant mieux parce que ça permet de continuer de se poser des questions et avancer.

Comment vous avez travaillé le fait de revisiter votre répertoire ?

Ça allait avec la forme du spectacle qui est une sorte de grand decrescendo. J’ai donné la mission à Emiliano Turi qui est mon batteur depuis quelques années maintenant de réarranger les morceaux. L’idée étant qu’on soit dans une ambiance plutôt club au début du concert.

Merci ! 

Merci à vous.