Célian Ramis

Marine Turchi et Anne Bouillon : la parole des femmes dans les médias et la Justice

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A gauche, Marine Turchi, journaliste à Mediapart, et à droite, Anne Bouillon, avocate nantaise spécialisée en droits des femmes
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Marine Turchi, journaliste à Mediapart, et Anne Bouillon, avocate spécialisée en droits des femmes, Anne Bouillon, ont échangé autour des enjeux que constituent la parole des femmes dans les médias et la Justice.
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Rencontre croisée entre Marine Turchi (au milieu) et Anne Bouillon (à droite), animée par Frédérique Minant (à gauche)

À l’invitation d’HF+ Bretagne, la journaliste de Mediapart spécialisée dans les affaires de violences sexistes et sexuelles, Marine Turchi, et l’avocate spécialisée en droits des femmes, Anne Bouillon, ont échangé le 14 mars dernier aux Ateliers du Vent, autour de la parole des femmes face aux médias et à la Justice.

D’un côté, elle enquête et révèle dans la presse les affaires de violences sexistes et sexuelles. De l’autre, elle défend et plaide en faveur des personnes ayant subi des faits de violences sexistes et sexuelles. Marine Turchi et Anne Bouillon ont toutes les deux été marquées par la prise de parole d’Adèle Haenel en 2019. Au micro de la journaliste de Mediapart cette année-là, l’actrice accuse publiquement le réalisateur Christophe Ruggia d’agressions sexuelles à son encontre alors qu’elle était âgée de 12 à 14 ans. En février 2025, le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement : le cinéaste est coupable et condamné à 4 ans de prison, dont deux ans ferme (aménageables sous bracelet électronique). 

Six ans plus tôt, ce soir-là de 2019, la comédienne témoignait de son vécu et justifiait son choix, à l’époque, de ne pas avoir porté plainte : « La justice nous ignore. On ignore la justice. » Cette phrase reste marquée dans les esprits et résonne, depuis, avec le quotidien de centaines de milliers de victimes de VSS. Parce que leurs paroles sont encore minimisées, banalisées, déformées voire maltraitées lors du dépôt de plainte en commissariat ou gendarmerie. Parce que 86% des plaintes sont classées sans suite. Parce que les auteurs de violences sont peu condamnés, face au nombre de faits : chaque année, en France, on estime à 230 000 le nombre de femmes victimes de viols, tentatives de viol et/ou agressions sexuelles (un viol ou une tentative de viols toutes les 2 ’30 minutes), à 271 000 le nombre de victimes de violences commises par leur partenaire ou ex-partenaire, entre 100 et 150 femmes tuées par leur partenaire ou ex-partenaire (un homme assassine sa conjointe ou ex-conjointe tous les 3 jours environ), et à 160 000 le nombre d’enfants victimes de violences sexuelles.

Entravées dans le processus de paroles, de reconnaissance des violences subies et parfois de reconstruction post-traumatique, elles éprouvent une méfiance envers l’institution judiciaire. Cette défiance, Anne Bouillon et Marine Turchi la ressentent et la constatent tous les jours sur le terrain. Chacune, dans sa fonction, son métier et sa déontologie, œuvre à la libération, l’écoute et la diffusion des récits pour faire émerger la prise de conscience dans la société et favoriser l’évolution des mentalités en faveur de l’égalité. 

VIVRE EN ABSURDIE

Couverture du livre "Faute de preuves" de Marine TurchiC’est l’affaire Denis Baupin, révélée par Mediapart grâce au travail de sa consœur Lénaïg Bredoux, qui va l’inviter à investiguer sur les violences sexistes et sexuelles. « On est en mai 2016 et c’est la première enquête de ce genre qui sort dans la presse sur le sujet. Durant les mois d’enquête – en partenariat avec France Inter, ce qui aide à diffuser plus largement – on a reçu énormément de témoignages de VSS, pas uniquement sur Denis Baupin. Il a fallu du renfort, je me suis portée volontaire », se remémore-t-elle. À cette époque, les VSS et les féminicides sont encore cantonnés et réduits aux pages faits divers dans les médias au lieu d’être traités comme « un phénomène systémique sur lequel il faut enquêter ». Un an plus tard, MeToo explose et la société écoute davantage les militantes féministes qui participent au changement de paradigme, imposant l’usage d’un terme désignant la spécificité de ces meurtres, en raison du genre des victimes et des criminels.

Pour Anne Bouillon, c’est Natacha – prénom modifié par l’avocate - qui a opéré ce rôle de bascule. Parce qu’elle lui a dépeint « un système absurde et une situation qui ressemblait à une prise d’otage ». Elle le dit : le mari obligeait sa cliente et leurs enfants « à vivre en absurdie », n’autorisant par exemple qu’un seul assaisonnement par repas ou contrôlant le nombre de verres d’eau de chacun-e à l’aide d’une installation vidéo dans la maison. Ce que l’on désigne aujourd’hui par le contrôle coercitif, abordé par Laurène Daycard dans son essai Nos absentes : à l’origine des féminicides, mais aussi Isild Le Besco dans le podcast Nos idées larges (épisodes « Sous contrôle coercitif ») d’Arte Radio : « Mais il y a 16 ans, on n’avait pas ce langage. » Sans compter la difficulté à le qualifier pénalement. Exfiltrée par ses parents, Natacha trouve une issue avec ses enfants. Lui, se suicide.

« Mais il aurait pu la tuer je pense. Cette situation-là est venue marquer des choses que j’ai beaucoup retrouvé ensuite dans les affaires de VSS et de violences intrafamiliales »
poursuit Anne Bouillon.

L’AVANT « ELLE LE QUITTE, IL LA TUE »

Longtemps, les violences exercées à l’encontre des femmes ont été reléguées, dans les médias, à des faits isolés plutôt que d’être analysées sous le prisme d’une problématique systémique. A propos des féminicides, les journalistes titraient et écrivaient sur des situations qualifiées de « drames passionnels », « crimes passionnels » et de « crimes d’amour », se faisant le relai des dires et manipulations des assassins, à l’instar de Jonathann Daval et de sa stratégie de culpabilité inversée. Une mécanique récurrente dans les affaires de féminicides. Si l’assassin finit par être condamné et emprisonné, la population entre en empathie avec celui-ci, étouffé et émasculé par sa campagne. L’esprit retient que quelque part, la victime l’avait peut-être cherché. En réponse, les féministes brandissent et martèlent le slogan : elle le quitte, il la tue. De quoi remettre les pendules à l’heure. 

Dans les affaires de violences sexuelles, en revanche, les accusés sont souvent acquittés. Faute de preuves, comme s’intitule le livre de Marine Turchi, ou parce que les faits sont prescrits. Des signaux, entre autres, qui viennent renforcer les stéréotypes de genre et les idées reçues. Et surtout qui envoient un message fort aux victimes : parler a un coût, celui de ne pas être crédibles et crues, encore moins reconnues aux yeux de la société. La multiplicité des témoignages démontrant le mauvais accueil et traitement des plaintes par les forces de l’ordre s’ajoute à l’expérience collective et à la défiance envers une réponse judiciaire. 

D’autres moyens existent pour poser et porter la parole des personnes ayant subi des violences. « Mais celles qui veulent prendre la parole devant la Justice doivent pouvoir le faire et doivent pouvoir trouver un espace secure et bienveillant pour le faire », souligne Anne Bouillon. Toutefois, « accueillir la parole qui vient gripper et dénoncer le système » a là aussi un prix : celui d’être « renvoyée face à sa propre responsabilité ». Une pirouette patriarcale que l’avocate estime « trop facile ». Il est donc important et essentiel de trouver des espaces avec des professionnel-les formé-es. Et d’être prêt-es pour une longue et parfois douloureuse procédure : « Personne n’est obligé de déposer plainte mais si on décide de saisir la justice pénale et de déposer plainte, ça se prépare. Il y a des associations, des assistantes sociales en commissariat et gendarmerie, des avocat-es qui le font en amont. À force d’expérience, on repère les interlocuteur-ices de qualité au sein des forces de l’ordre mais c’est encore très aléatoire et très disparate. »

OUVRIR LE DÉBAT ET AMÉLIORER LES PRATIQUES

A gauche, Marine Turchi, et à droite, Anne Bouillon Aujourd’hui encore, l’accueil de la parole des victimes de VSS dépend des conditions de formation des agents de police (ou gendarmes) et des membres de la Justice. Si la voie de presse ne se substitue pas à cette dernière, elle apparait comme une alternative pour exprimer un vécu violent et mettre en évidence, par une enquête journalistique rigoureuse, la substance et les enjeux de la domination masculine. « À l’époque de l’enquête sur Denis Baupin, on a ouvert une boite mail dédiée aux témoignages de VSS et on a vu l’étendue du problème... Elle ne désemplit pas. C’est de l’ordre des milliers de messages », signale Marine Turchi, qui précise : « Il y a dans les mails, des personnes coincées dans des procédures interminables et espèrent que la voie médiatique leur permettra de sortir de cette impasse. Les personnes qui ne portent pas plainte, ça doit interroger la Justice… »

Dans ce qu’elle lit au quotidien, elle perçoit l’idée d’alerter l’opinion publique, qui vient contredire l’image de la femme vengeresse qui dénoncerait un innocent pour le faire tomber pour motif personnel. « C’est pas ce que je vois dans les mails qu’on reçoit. Beaucoup veulent alerter dans la presse pour que la personne citée s’arrête. Et pour ne pas porter la culpabilité de n’avoir rien dit », poursuit-elle. Parler a un impact fort, confirme la journaliste de Mediapart : « Baupin, Depardieu, Miller…. Il y a un afflux de témoignages qui continue d’arriver. Nous ne sommes pas auxiliaires de justice ni de police. Notre rôle, c’est l’information et nous estimons que les citoyen-nes ont le droit de savoir. Les VSS, c’est pas de la drague. Ce sont des crimes et des délits et c’est normal que la presse enquête. » Son travail : réaliser une investigation à la hauteur des paroles des victimes et témoins. La difficulté majeure : « On ne peut pas faire d’enquête pour tout le monde. Mais les affaires traitées agissent comme un révélateur dans la société parce qu’elles parlent à beaucoup de gens. »

Anne Bouillon acquiesce le rôle citoyen de cette parole. Elle reconnait ne pas avoir compris instantanément le propos d’Adèle Haenel ce soir-là de 2019, expliquant son choix de ne pas saisir la Justice. Elle lui écrit d’ailleurs une tribune dans la presse défendant l’importance du dépôt de plainte et de la procédure judiciaire. Puis prend la mesure de l’impact du discours de la comédienne. Après cela, « la justice s’est auto-saisie de cette situation. » Un procès accepté et assumé par Haenel non pour elle seule mais pour l’ensemble de la société. « Ça a mis la justice au défi. C’est un travail citoyen qui nous permet d’améliorer les pratiques judiciaires », confirme l’avocate. « Elle a ouvert la porte un peu fort, sourit Marine Turchi. Mais ce discours de la justice qui ignore les femmes victimes, les associations féministes l’entendent depuis très longtemps. Elle a permis de poser le débat. Elle a porté plainte pour continuer à porter ce débat. »

UN INTÉRÊT PUBLIC

L’évolution est lente mais évidente. Toutefois, des résistances se font entendre et des conflits se constatent. Lors de l’écriture de son livre Faute de preuves, Marine Turchi rencontrent et interrogent tou-tes les acteur-ices du chainon judiciaire. « J’étais interloquée que dès la première minute de certains entretiens, une partie des personnes me parle de tribunal médiatique. Je pose une question sur la Justice et on me répond ‘et vous, les médias ?’… », analyse-t-elle, rappelant que « sans la presse, pas d’affaire Ruggia, PPDA, Depardieu, etc. ». La multiplication des témoignages dans les médias ayant favorisé le recours à la justice : « La presse fait son travail et une partie du monde judiciaire ne le comprend pas. » 

Elle parle d’intérêt public de relater que dans le cadre de son travail et de sa fonction de maire, Gérald Darmanin aide des femmes en situation de précarité en échange de relations sexuelles qu’il estime consenties, a contrario des concernées. Il est d’intérêt public d’informer les citoyen-nes que leur journaliste favori, ex-présentateur du JT de TF1 a fait défilé des filles mineures, souvent stagiaires, dans son bureau, usant de sa fonction ou les menaçant pour obtenir des relations sexuelles. « Ce sont des crimes de propriété et de domination. Pourquoi on mettrait ça sous le tapis ? », s’insurge-t-elle. « Il faut que la presse et la justice se parlent et se comprennent mieux. Nous avons des rôles différents dans lesquels chacun-e est à sa place », commente-t-elle.

Comme le souligne Anne Bouillon, « l’institution n’aime pas qu’on la renvoie à ces carences et ces défauts, et n’aime pas de ne pas avoir la primeur sur les investigations. » Nommer permet de faire exister. Parler de féminicides renvoie au caractère spécifique et systémique des meurtres de femmes parce qu’elles sont des femmes. Révéler au grand jour, dans la presse ou par le refus du huis clos comme l’a fait Gisèle Pelicot l’an dernier, c’est rompre le silence et briser les murs de l’intime que confinerait potentiellement et symboliquement l’enceinte du tribunal. Les violences exercées au sein d’un couple ne sont pas de l’ordre du privé. C’est politique, tout autant que la prise de paroles des femmes victimes.

UNE VOLONTÉ FORTE DE FAIRE TAIRE LES CONCERNÉ-ES

Couverture de la BD "Les femmes ne meurent pas par hasard" sur Anne BouillonToutes les deux défendent la liberté de la presse et les principes fondamentaux de la Justice, parmi lesquels figurent le droit de la défense, le procès équitable ou encore la présomption d’innocence. Pourtant, ce dernier est souvent opposé aux journalistes et militant-es féministes qui dénoncent les auteurs de VSS. « On entend des voix judiciaires, relayées par certains médias, se demander si le tout victimaire n’aurait pas pris le dessus ? Comme si nous étions dans une société vengeresse qui voudrait immoler des hommes innocents… », plaisante, à demi-mots, Anne Bouillon. La résurgence massive des mouvements masculinistes et réactionnaires l’inquiète profondément. Elle y voit là une stratégie pour détourner le propos : « On doit repartir au combat ! Pour moi, ce backlash est fait pour déplacer la focale sur une question qui n’est pas notre sujet ! » 

La pédagogie apparait incontournable en réponse au discours persistant et large des opposant-es, visant à silencier les femmes et les personnes minorisées. « Il est important que les médias expliquent ce qu’est la présomption d’innocence, qui s’applique dans le cadre de la procédure pénale. Quand Adèle Haenel parle, il n’y a pas d’enquête pénale à ce moment-là. Ce qui n’annule pas le droit du contradictoire parce que nous avons un codé éthique et déontologique », précise Marine Turchi, précisant les jours et les semaines où elle s’est attelée à contacter Christophe Ruggia pour lui donner la parole. En vain. Elle évoque également les procédures bâillon que les accusés utilisent pour riposter : « Hulot, Darmanin et les autres, ils mettent une plainte contre la personne qui les accuse, qu’ils retirent discrètement ensuite. » Le but : faire croire publiquement à leur indignation, et donc innocence, vis-à-vis des faits qui leur sont acculés, et tenter de décourager la ou les femmes victimes de leurs délits et/ou crimes. 

« C’est utilisé à toutes les sauces dans le cadre des violences sexistes et sexuelles et c’est pour dire ‘Taisez-vous'. C’est marrant parce que sur les fraudes fiscales, on n’oppose jamais la présomption d’innocence. Avec Cahuzac par exemple, la question ne s’est pas posée. C’est parlant… », insiste-t-elle. Son message : ne pas confondre présomption d’innocence et liberté d’expression.

« La parole est possible même quand une affaire est en cours. La présomption d’innocence n’empêche pas le contradictoire et le témoignage. Elle sert surtout à clore le débat public »
déplore-t-elle.

DANS LES ARTS ET LA CULTURE, UNE INTROSPECTION MOUVEMENTÉE…

La conversation poursuit son cours, jusqu’à aborder la question épineuse des VSS dans le secteur des arts et de la culture. Un sujet qui cristallise des tensions vives dans le milieu, comme dans la société, avec la fameuse réflexion autour de la séparation de l’homme et de l’artiste mais aussi de la cancelled culture. Là encore des stratégies de détournement pour ne pas creuser dans l’introspection et la remise en question, comme l’impose Adèle Haenel quand elle quitte la salle Pleyel et plus largement le cinéma, en criant « La honte », au même titre que Judith Godrèche quand elle prend la parole pour dénoncer les violences sexuelles et pédocriminelles des réalisateurs Jacques Doillon et Benoit Jacquot à son encontre. À son initiative d’ailleurs, une commission parlementaire relative aux « violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité » a été votée et mise en place par l’Assemblée nationale en 2024.

« Partout où les rapports de domination s’exercent, il y a un risque d’en abuser. L’art étant un secteur dans lequel il est essentiel et permanent de repousser les limites pour pouvoir créer… Les conditions sont réunies !  Sous couvert de la puissance créatrice, toutes les limites s’affaissent », signale Anne Bouillon. Réflexion que l’on retrouve également chez l’humoriste Hannah Gadsby dans son spectacle Nanetteautour de la figure de l’artiste comme Picasso ou Gauguin, et que l’on peut transposer à nos contemporains, à l’instar de Polanski ou Depardieu, soutenus par la société – jusqu’au chef de l’État – pour leur « génie créateur et créatif ». Une carte privilégiée pour justifier l’impunité. « C’est un concentré pur de ce que le patriarcat peut produire. Leur position dominante légitime leurs abus de pouvoir. Ce sont les mêmes rapports que dans les familles patriarcales où la figure du père prend le dessus. C’est encadré et institutionnalisé comme tel, et donc admis par la société », poursuit l’avocate. 

Si les mouvements MeToo bouleversent le cinéma et le théâtre, entre autres, ce n’est pas un hasard, selon Marine Turchi : « Ça raconte quelque chose. Ce sont des affaires impactantes parce que le cinéma, par exemple, produit des images et s’installe dans les foyers. Il y a dans ces secteurs l’alibi artistique. Si on dénonce, on nous répond que ce ne sont pas des violences mais de l’art. La puissance du réalisateur, l’idée du génie créateur, etc. sont encore à l’œuvre. D’où le besoin d’ouvrir à la parité et à la diversité. Pour que la parole circule. Heureusement, ça évolue. » 

L’année 2017 – année de l’affaire Weinstein – marque un tournant mondial dans la prise de conscience de l’ampleur et des mécanismes des violences sexistes et sexuelles. Huit ans plus tard, le mouvement MeToo – lancé bien plus tôt, en 2007 par l’afroaméricaine Tarana Burke – remue tous les secteurs et toutes les sphères de la société, dont le milieu des arts et de la culture, longtemps pensé comme hors du monde, n’est pas exempt. Les voix s’élèvent et les discours et actions féministes gagnent du terrain, et comme le dit Marine Turchi essaiment partout. En démontre les multiples accusations contre Gérard Depardieu, Nicolas Bedos, Franck Gastambide, Gérard Darmon, Ary Abittan et bien d’autres - par plusieurs femmes à chaque fois - mettant en lumière non seulement le caractère systémique de celles-ci mais aussi l’influence et l’impact de l’impunité qui protège les artistes (en général, hommes, blancs, valides, reconnus et soutenus par leurs pairs et une grande partie de la population…).

A gauche, Marine Turchi, et à droite, Anne BouillonDe par la médiatisation de ces affaires, venant étayer les propos des victimes et des militantes, les représentations évoluent, exigeant des prises de position et de responsabilités claires et précises. Ainsi, l’an dernier, la sortie du film CE2, réalisé par Jacques Doillon, a été reportée à un mois dans sa diffusion en salles et le cinéaste a même été décommandé par le festival Viva II Cinéma, à Tours, en raison de l’ouverture d’une enquête pénale pour viols sur mineur-es. Cette année, c’est la sortie de Je le jure qui met l’industrie du cinéma dans l’embarras. En effet, le réalisateur Samuel Theis est accusé de viol par un technicien du film, tourné en 2023, et une enquête est en cours. La production, inquiète face aux enjeux financiers et sociétaux que l’affaire soulève, a opté pour un protocole de confinement jusqu’à la fin du tournage (absent du plateau pour « prendre acte d’une souffrance », le réalisateur a dirigé les scènes à distance) et la sortie du film est accompagnée d’un dispositif de « non mise en lumière du réalisateur » qui ne donne pas d’interview et ne participe à aucune avant-première. Des précautions, et des motivations, peut-être discutables mais qui ont le mérite d’interroger les alternatives possibles dans les situations d’accusations de VSS et de mettre en lumière que tout reste désormais à inventer. Un défi qui s’applique à tous les pans de la société.

BACKLASH : L’EXTRÊME-DROITE ET LES MASCULINISTES SE FONT ENTENDRE

L’accumulation de témoignages reçue par la rédaction, la révélation d’un grand nombre d’affaires de VSS dans la presse, l’évolution du langage permettant de nommer et affirmer la spécificité des féminicides, quittant alors la rubrique des faits divers pour caractériser la dimension systémique de ceux-ci… constituent des avancées majeures au cours des dernières années pour les droits des femmes et la lutte pour l’égalité. Ombre non négligeable au tableau : le retour de bâton « dans un paysage gangréné par l’extrême-droite et les masculinistes. » Poursuivre le travail de pédagogie, par l’information et sa large diffusion, est essentiel pour la journaliste de Mediapart qui démontre l’importance des enquêtes et révélations médiatiques :

« Quand on sort le papier sur Depardieu, ça essaime dans la société. Pareil pour PPDA. Le récit d’une femme dans l’émission a été un détonateur pour plein d’autres femmes. »

Déminer et déconstruire les stéréotypes, décrypter la mécanique sexiste, interroger la posture de la victime pour anéantir la vision manichéenne de la société. Pour que les femmes se sentent légitimes de parler, de raconter leurs vécus même si celui-ci ne correspond pas aux représentations et fantasmes que l’on se fait autour des VSS. « Elles ont souvent honte et culpabilisent. Dans l’affaire PPDA, on a reçu des messages de femmes qui pensaient qu’elles ne pouvaient venir témoigner dans notre émission parce qu’elles l’avaient suivi dans sa chambre d’hôtel », précise Marine Turchi. S’il n’est pas simple de déboulonner les idées reçues en matière d’égalité femmes-hommes, la journaliste souhaite rester optimiste et croire en l’évolution positive des mentalités.

Une vision à laquelle Anne Bouillon aimerait adhérer. Pourtant, elle affirme son pessimisme. Sans nier les changements : « Je ne fais pas le même métier qu’avant MeToo. Ça a provoqué une bascule et donné une attention accrue aux VSS. C’était tellement difficile avant en fait ! » Face aux juges quotidiennement, elle constate qu’aujourd’hui les femmes ont davantage voix au chapitre dans l’enceinte des tribunaux. Et constate également le nombre d’affaires pour viols, le nombre d’affaires pour féminicides et le nombre d’affaires pour inceste... La souffrance et la peur habitent toujours le quotidien d’un grand nombre de femmes violentées et persécutées, sans oublier les mineur-es, victimes directes et indirectes des violences intrafamiliales :

« La violence n’en finit pas. La violence, c’est ce qui ne change pas. Les corps des femmes et des enfants sont toujours des réceptacles des violences »

Anne Bouillon appelle à la mobilisation massive et générale. Plus que ça. À la révolution féministe. « Les forces obscures se profilent à l’horizon et la culture réelle de l’égalité ne vient toujours pas. N’oublions pas que face à une crise, la cause des femmes passe à l’as en premier ! Il ne faut rien lâcher ! Gardons notre vigilance et envie de combats intactes parce qu’il va falloir s’en servir ! », insiste-t-elle, largement applaudie par le public conquis par cette rencontre croisée qui met l’accent sur des difficultés réelles et des enjeux majeurs de la société actuelle : l’information, la qualité de son traitement, sa diffusion et son accessibilité, que ce soit pour la presse ou la Justice. En ayant toujours à l’esprit la lutte pour les droits des femmes, des personnes sexisées et minorisées, et plus largement l’égalité entre les individus, en portant avec respect et sororité la parole des concerné-es.

 

Dans le cadre des événements proposés par la Ville de Rennes à l'occasion du 8 mars.

  • Pour découvrir le travail de l'association, HF+ Bretagne, dédiée à l'égalité réelle entre les genres dans les arts et la culture, c'est par ici : HF+ Bretagne

Célian Ramis

Viols de Mazan : les coulisses d'un procès historique

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La journaliste de RTL Cindy Hubert sur scène pour le spectacle d'informations autour du procès des viols de Mazan
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La journaliste Cindy Hubert revient sur son quotidien de chroniqueuse judiciaire lors du procès des viols de Mazan, intégralement couvert sur le terrain pour RTL, durant les 4 mois de cette affaire hors-norme.
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La journaliste de RTL Cindy Hubert sur scène revient sur son quotidien de chroniqueuse judiciaire durant le procès des viols de MazanL’idée de faire monter l’information sur scène, le temps d’une soirée, vient de Louise Katz, Julie Lallouet-Geffroy et Nathanaël Simon, co-fondateur-ices du nouveau média intitulé Les 3 ours. Le 24 janvier, c’est la journaliste Cindy Hubert qui revenait sur son quotidien de chroniqueuse judiciaire lors du procès des viols de Mazan qu’elle a couvert sur le terrain pour RTL, durant les 4 mois de cette affaire hors-norme.

Premier numéro d’une forme « Journal intime », il offre la possibilité aux spectateur-ices de se rassembler autour d’une actualité qui a saturé l’espace médiatique pendant toute la durée de l’affaire judiciaire. C’est là la volonté et l’innovation des 3 ours : prendre « le contrepied de l’infobésité ». Julie Lallouet-Geffroy commente : « Au lieu d’être seul-e derrière son écran de téléphone, dans son lit à écouter la radio, là, on est ensemble en 100% réel. » À la manière d’un magazine, la rédaction sélectionne une thématique, des rubriques et des angles, et commande à un-e journaliste pigiste – spécialiste de la question – le traitement du sujet ayant été l’objet de polémique et de sidération. Tout ça, sur scène, devant un public. 

LES PRÉMICES D’UNE AFFAIRE HORS-NORME

La journaliste de RTL Cindy Hubert sur scène revient sur son quotidien de chroniqueuse judiciaire lors du procès des viols de MazanÀ la salle de la Cité, c’est Cindy Hubert la première professionnelle à se lancer dans un spectacle d’informations de 45 minutes, environ, avant d’échanger avec la salle. Devant elle, une table, des chaises, un verre d’eau. Et ses carnets. Dans lesquels elle va compter les jours - « une habitude prise lors du procès du 13 novembre » - durant ces « quatre mois en apnée ». Cette fois, ce seront huit cahiers noircis de ses souvenirs, de ses impressions, ce qu’elle voit, ce qu’elle entend, de ce qui ne se voit pas mais se ressent… « Je vais les garder car il y a des procès qui ne nous quittent jamais tout à fait », commente-t-elle. 

L’affaire qui va inonder l’actualité en septembre 2024, elle la découvre deux ans plus tôt : « En 2022, on dit ‘l’affaire Dominique Pelicot’ ou ‘l’affaire de la soumission chimique’. On ne connait pas encore Gisèle Pelicot. On connait Caroline Darian, sa fille, qui vient de sortir un livre et qui vient chez nous, sur RTL. » Rapidement, elle se passionne pour cette affaire qui inclut un homme ayant fait venir des inconnus chez lui pour violer sa femme, droguée à son insu pendant, au moins, une dizaine d’années. 

Au total, 51 hommes sont accusés, aux côtés de Dominique Pelicot. Il y a, dit-elle, « toute la France dans un box ». Les prémices d’un procès hors norme dans lequel les vidéos des viols vont être diffusés. « C’est très rare d’avoir des preuves matérielles dans les affaires de viols », souligne-t-elle. Impossible de passer à côté, elle tanne sa rédaction et se prépare pour le procès qui se déroulera quelques mois plus tard. 

PRENDRE LE TEMPS DE REVENIR AUX FAITS, COLLECTIVEMENT

« Autour de ce procès, il y a eu beaucoup de productions mais au final, est-ce qu’on a vraiment écouté ? Qu’est-ce que l’on sait vraiment de cette affaire ? Même en étant sensible à ces sujets, on n’avait pas envie de se plonger dedans, on avait peur… Parfois les articles étaient pointus et détaillés, le cerveau bloquait. Les médias ont fourni beaucoup d’analyse mais peu de faits », explique la co-fondatrice des 3 ours. Chroniqueuse judiciaire, Cindy Hubert a couvert l’intégralité de l’affaire, a passé quatre mois dans le tribunal d’Avignon à écouter les interrogatoires et les plaidoiries, à côtoyer Gisèle Pelicot, les 52 accusés, les avocat-es, les journalistes du monde entier, les militantes féministes… et à assister à un procès historique.

Seule en scène, empruntant les codes du théâtre par un jeu de sons et de lumières, elle relate l’actualité à travers son vécu et son quotidien de journaliste. Pour Julie Lallouet-Geffroy, « l’idée, c’est de revenir aux faits avec les journalistes qui sont sur le terrain et montrent la réalité. Cindy Hubert parle du rapport qui se crée avec les accusés, qui sont assis à côté d’elle tous les jours. Elle relate l’ambivalence qui se joue là, on est dans l’humain. » Et on découvre la pratique d’un métier qu’on pense connaitre mais dont on ignore tout.

DÉCOUVERTE DU SUJET

La journaliste de RTL Cindy Hubert sur scène revient sur son quotidien de chroniqueuse judiciaire lors du procès des viols de MazanC’est par un acte illégal que le travail débute : obtenir le dossier d’instruction. « Ça appartient au secret de l’instruction. Je n’ai pas le droit de l’avoir. Je finis par l’avoir », signale Cindy Hubert, précisant l’importance de ce document pour les chroniqueur-euses judiciaires. Noms, faits, interrogatoires… Elle se plonge dans les 371 pages, durant 2 journées entières, stabilotant les passages intéressants, marquants, essentiels, incontournables. « Plus j’avance, plus c’est atroce. Il y a cet homme qui est venu 6 fois, ce pompier qui a gardé son uniforme, ce gamin de 20 ans… On comprend que sur les vidéos, on entend explicitement les ronflements de Gisèle Pelicot du début à la fin des viols. Ce que je vais finir par entendre plus tard au procès… », déplore-t-elle.

Nous sommes juste avant l’été. Paris se prépare à recevoir les Jeux Olympiques, Cindy croule sous le travail. En contact avec l’avocate de Dominique Pelicot, elle découvre une géante du barreau. Une avocate du diable « qui assume de vouloir défendre tout le monde ». Puis en interviewant l’avocat adverse et Gisèle Pelicot elle-même, elle découvre « la femme derrière la victime ». Au départ, elle la nomme Françoise, « à sa demande », pour préserver l’anonymat. La veille, Gisèle souhaite que son nom soit révélé dans la presse. La journaliste change tous ses papiers, se rend à Avignon, enchaine les directs dès le premier jour sur le parvis du tribunal. « Gisèle arrive, elle parle, il n’y aura pas de huis clos », lâche-t-elle, comme si elle entendait cette annonce pour la première fois. Là où nous avions, à distance, observé l’affaire par la lucarne, Cindy Hubert nous ouvre les portes du palais de justice et nous offre la possibilité de nous installer à ses côtés, sur les bancs du tribunal. Et au-delà. Dans son quotidien. Dans son travail. 

UN QUOTIDIEN MARQUÉ DE REPÈRES

Son hôtel avec vue sur les rails, sa routine (partir tôt, croiser Gisèle Pelicot et ses avocats au feu rouge, apercevoir Jacques et Joseph les deux accusés les plus matinaux au café, passer la sécurité), ses rituels qui la rassurent (la sonnerie du tribunal qui retentit, la cour qui entre dans la salle qui se lève puis se rassoit), la foule qui l’entoure... Il y a les journalistes, de plus en plus nombreux, de plus en plus internationaux. Il y a les accusés, « qui prennent toute la salle ». Il y a les habitudes : les accusés qui mangent d’un côté de la rue, à la brasserie rapidement baptisée « la brasserie des accusés » d’où ils seront ensuite priés de ne plus venir, l’écriture des papiers peu avant 18h avant de réaliser sa chronique en direct, la musique qu’elle écoute pour se concentrer ou au contraire pour lâcher prise, les lectures pour se vider la tête, les repas après le boulot avec les autres journalistes. Des femmes majoritairement : « Les gars font la police, les filles la Justice »

Elle témoigne du besoin de débriefer à la fin de la journée, de lâcher ce qu’elle a sur le cœur. « On parlait, on s’engueulait, on rigolait. Un procès, c’est impudique. On connait toute la vie des accusés au fil du procès. On a l’impression de les connaitre, on refaisait le procès, on refaisait le match », se souvient-elle. Elle partage avec la salle l’ambivalence de la relation avec les accusés, assis à côté d’elle. Le mouchoir de l’un tombe, on le ramasse et lui donne. Un geste anodin. Un geste humain. « Et puis, il y a des accusés qui comparaissent libres, il y a des échanges avec eux aussi. Une proximité se crée. » 

La journaliste de RTL Cindy Hubert sur scène revient sur son quotidien de chroniqueuse judiciaire lors du procès des viols de MazanFACE À LA DÉFIANCE, LA TRANSPARENCE !

Malgré l’ignominie de l’affaire, l’exigence de la neutralité, imposée par le fantasme de la figure journalistique, est irréelle et impossible à atteindre. Certains éléments du procès la bouleversent particulièrement. Elle se rappelle du 18 septembre. Gisèle Pelicot prend la parole pour la 2e fois et bluffe l’audience « par ses mots et sa détermination ». Quatre heures durant, elle est interrogée, suspectée, engueulée. « Je sors pour pleurer. Pleurer d’impuissance. Je me dis qu’il faut que je fasse mon papier et je le fais, voilà. Les meilleurs papiers sont souvent ceux qu’on écrit avec les tripes, en quelques minutes », analyse la journaliste, qui va également suivre son instinct en entendant l’avocat de la défense déclarer « qu’il y a viol et viol ». Convaincue avec sa consœur de l’importance de cette phrase – de ce qu’elle dit de l’époque, de la défense, de la loi, du procès – elles vont, après l’audience, tendre le micro à Me de Palma afin qu’il répète à nouveau son propos : « Très calmement, il y va, il le redit. Cette phrase est devenue virale, elle a envahi les murs d’Avignon sur des collages. » 

C’est aussi ça la sève des 3 ours : apporter de la transparence sur le métier de journaliste. « Il ne s’agit pas juste de faire le buzz, les journalistes sont des acteur-ices du monde, pas simplement des observateur-ices, des témoins », signale Julie Lallouet-Geffroy. Parler du travail journalistique, décomposer la manière dont la journaliste a appréhendé l’affaire et investi sa mission, comment elle a composé avec la déontologie, les choix qui ont été opérés… Tout cela participe à remettre de la confiance entre la presse et la population, à une époque de grande défiance envers les journalistes (d’où l’importance et l’enjeu fondamental de l’éducation aux médias et à l’information !).

« Montrer l’arrière-cuisine, avec les choix, les bons comme les mauvais, qui sont faits par les journalistes qui restent des êtres humains ! On fait des erreurs, on est des humains »
insiste Julie Lallouet-Geffroy.

C’est ce que transmet Cindy Hubert, ce soir-là sur scène. En partageant son rôle, son vécu et ses ressentis, elle rend le travail journalistique humain et accessible. 

« IL Y A DES CHOSES QU’ON PRÉFÈRE TAIRE »

La journaliste de RTL Cindy Hubert sur scène revient sur son quotidien de chroniqueuse judiciaire lors du procès des viols de MazanEt puis, il y a aussi ce que les journalistes ne relatent pas. Ce qu’ils choisissent de ne pas retranscrire dans leurs papiers et leurs chroniques. Pas uniquement parce que les calibres ou les durées imposées ne le permettent pas. Car en 1’10, soit deux pages de texte à écrire avant le direct, rodée à l’exercice, elle peut dire 1000 choses, choisir un angle d’attaque pour parler de l’enjeu de la journée ou d’un moment en particulier (qu’elle qualifie de « frissons d’assises »). « Dans un procès, on ne peut pas tout dire, tout raconter. Il y a des choses qu’on préfère taire », dit-elle, avant de partager quelques éléments avec nous.

A notre tour, nous décidons de les garder à la discrétion de notre carnet. Parce qu’il s’agit de ne pas ajouter « du sordide sur du sordide » et de respecter une part d’intimité de Gisèle Pelicot qui n’a pas été dévoilée dans la presse durant le procès. « Ça lui appartient », précise Cindy Hubert. Alors, elle enchaine avec le moment le plus marquant des quatre mois : le verdict. « Du jamais vu ! Il n’y a pas un mais 32 mandats de dépôt, c’est fou ! La majorité des accusés sont libres. Il faut se rendre compte que quelqu’un comparait libre et va être incarcéré devant nous ! », s’écrie-t-elle. La circulation est coupée, il y a des directs dans toutes les langues du monde, les féministes sont nombreuses, à l’instar des soutiens à Gisèle Pelicot. Et jusque dans la salle, résonne L’hymne des femmes entamé hors de l’enceinte du tribunal.

Elle montre le document qu’elle a établi pour se préparer à cette journée particulière : un tableau Excel listant tous les accusés et des annotations dont elle se sert pour les identifier et les reconnaitre. « Les directs vont aller très vite, je dois être capable d’expliquer les peines prononcées, être à la hauteur. Les peines tombent, elles sont lourdes, mais plus basses que les peines requises, on est surtout sur du 8-10 ans, et tout se passe dans un calme relatif. Les familles sont dans une autre salle… », décrit-elle. Dehors, les militantes féministes scandent « Honte à la Justice ». Gisèle Pelicot sort « devant une forêt de micros avec son petit-fils » David, qui acceptera de venir en studio à RTL grâce à Cindy Hubert : « Pour moi, c’est la plus belle récompense ! »

REPRENDRE LE COURS DE SA VIE

Le 24 janvier, lors du spectacle d’informations, le procès est terminé depuis plus d’un mois. Pourtant, elle le dit, rien n’est jamais vraiment fini. Restent les mots et les images. Les mots de Gisèle Pelicot. Les images des viols qui imprègnent la rétine. Il faut désormais gérer l’après. Celui où après un tel tumulte, tout parait fade : « Après un procès, on tombe dans un trou d’air. C’est une sorte de décompensation. On connait bien ça en tant que chroniqueurs judiciaires. On parle de traumatisme vicariant, un traumatisme par procuration (subi par les professionnels exposé-es quotidiennement à des situations émotionnellement chargées, ndlr). » Faire avec, retrouver sa vie, se réinvestir dans son quotidien. « Dans ces moments-là, on est content-es d’aller au procès Sarkozy. Les infractions financières, ça détend », rigole-t-elle, consciente que dans quelques mois s’ouvrira, dans le cadre de l’affaire des viols de Mazan, un nouveau procès en appel. À la fin de l’année 2025, à Nîmes, face à des jurés. De nouveaux cahiers à annoter pour Cindy Hubert :

« Je sais que je vais retrouver Gisèle Pelicot. »

« UNE AUTRE MANIÈRE D’ACCÉDER AU RÉCIT JOURNALISTIQUE » 

La journaliste de RTL Cindy Hubert sur scène revient sur son quotidien de chroniqueuse judiciaire lors du procès des viols de MazanSon récit nous captive. Fluide et impactant. Avec professionnalisme, loin d’une description voyeuriste, Cindy Hubert documente des aspects clés et essentiels à la compréhension de son métier mais aussi du procès. Ce qui en a fait son caractère hors-norme, ce qui a alimenté la machine médiatique durant toute sa durée. Elle nous donne les faits, elle partage son vécu, nous raconte le travail quotidien d’une chroniqueuse judiciaire, la spécificité de son métier et comment elle le vit. C’est fascinant et apaisant. Loin du tumulte de l’infobésité, un souffle pour réfléchir ensemble aux informations livrées. « C’est une autre manière d’accéder au récit journalistique. Ensemble, on respire, on écoute et on débriefe ensuite », s’enthousiasme Julie Lallouet-Geffroy.

D’autres formes de spectacle d’informations sont en construction. Toujours dans une dynamique de réflexion journalistique au service de l’information et de sa diffusion collective : « Le prochain aura lieu fin avril au théâtre du Vieux St-Etienne. Ce sera une enquête avec un-e journaliste sur scène, accompagné-e de ses sources. Comme on ferait des citations dans un article. Et bien sûr, on fera varier les sujets mais ce sera toujours une actualité clivante. Tout le bruit que ça fait dans la société empêche de raisonner. Les gens se cabrent vite, le dialogue est difficile. Là, on se pose, on souffle, on en parle ensemble. »

Célian Ramis

Procès des viols de Mazan : un miroir grossissant de la société patriarcale

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Partout en France, les militantes féministes et allié-es se sont retrouvées pour se mobiliser, ensemble, en soutien à Gisèle Pélicot et Caroline Darian, et en soutien à tou-tes les victimes de violences sexistes et sexuelles.
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Prises de parole des militantes et victimes de VSS lors du rassemblement en soutien à Gisèle Pelicot« Ras le viol », « Face aux violences, notre silence les arrange, notre colère les dérange », « Le scandale, c’est le viol »… Les pancartes trônent dans l’espace public, les slogans retentissent, la foule scande « Le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule ! ». Il y a de la colère, il y a de la sidération et puis, il y a aussi de la sororité, de l’adelphité et de la solidarité. Et surtout, beaucoup de courage et d’émotions, ce jour-là, samedi 14 septembre. Partout en France, les militantes féministes et allié-es se sont retrouvées pour se mobiliser, ensemble, en soutien à Gisèle Pélicot et Caroline Darian, et en soutien à tou-tes les victimes de violences sexistes et sexuelles. 

Depuis deux semaines, une affaire judiciaire de grande ampleur agite la France, qui braque alors son regard sur Avignon. On parle d’un procès hors norme. Le procès dit des viols de Mazan. Sur le banc des accusés de la cour criminelle du Vaucluse : 51 hommes. La victime : Gisèle Pelicot, que son mari, Dominique Pelicot, a violé et drogué pendant une dizaine d’années afin de la faire violer par plusieurs dizaines d’hommes inconnus. Nous sommes en 2020 et le prévenu est interpellé pour avoir photographié sous les jupes des clientes dans un supermarché. L’événement entraine la découverte – par la fouille du téléphone et de l’ordinateur - d’une partie des viols subis par Gisèle Pelicot par des hommes recrutés en ligne par son époux. Caroline Darian, leur fille, apparait également parmi les photos, endormie et dénudée, comprenant ainsi qu’elle aussi a été victime de son père, droguée à son insu. Depuis, elle a créé l’association « M’endors pas : stop à la soumission chimique ».

LA SOUMISSION CHIMIQUE, UN PHÉNOMÈNE PAS SI RARE

L’affaire met l’accent sur la notion de soumission chimique, soit le fait de sédater ou droguer une personne à son insu (ou sous la menace) dans le but de commettre à son encontre un délit ou un crime (agression sexuelle ou viol par exemple). « C’est un phénomène qui touche massivement les femmes dans les contextes conjugaux mais aussi dans les boites de nuits et les bars. La peur de la subir, on est très nombreu-ses à l’avoir et à la subir constamment en soirée. Surveiller nos verres, toujours les commander nous-mêmes… C’est une vigilance permanente qui nous empêche de profiter librement de nos vies », souligne le collectif Nous Toutes 35. L’affaire dévoile l’impact, l’ampleur et l’enjeu de la culture du viol, dans un procès médiatisé et rendu public par Gisèle Pelicot et Caroline Darian (qui en avril dernier a publié le livre Et j’ai cessé de t’appeler papa dans lequel elle fait état d’un climat incestueux existant), refusant le huis clos afin que l’on connaisse le nom et le visage de la victime principale. Et que l’on regarde en face la réalité de la situation, loin d’être isolée. 

Au rassemblement en soutien à Gisèle Pelicot et aux victimes de VSS, une jeune militante blanche tient une pancarte "Il y a viol et viol et ma main dans ta gueule"Depuis l’ouverture de l’affaire judiciaire, début septembre à Avignon, Gisèle Pelicot affiche avec force sa détermination à briser le tabou et le silence et, surtout, à ne pas se taire face à une atrocité si banalisée et répandue dans la société. Elle devient, quelques mois après Judith Godrèche, le symbole de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et une figure emblématique qui fédère et permet à d’autres concerné-es de livrer leurs vécus. Elle envoie un message puissant et essentiel : la honte doit changer de camp. « Les enquêtes de la Ciivise nous rappellent clairement que ce phénomène, qui existe dans de très nombreuses familles, est caché la plupart du temps pendant des dizaines d’années. Et lorsque les victimes parlent, elles ne sont pas crues ni par leur famille, ni par les flics, ni par la Justice. Cette situation doit changer pour que les enfants puissent grandir sainement et en sécurité. Pour que nos vies soient apaisées et nos traumatismes soignés ! », déclarent les militantes de Nous Toutes 35 lors du rassemblement du 14 septembre.

Elles ont répondu à l’appel national ce jour-là « pour sortir dans la rue visibiliser notre colère et notre soutien à Gisèle Pelicot mais également à tou-tes les victimes de VSS. Nous saluons le courage de ces deux femmes tout comme nous saluons le courage de tou-tes celleux qui ont subi des violences sexistes et sexuelles. » Et elles seront nombreu-ses à prendre le micro pour exprimer leurs vécus (notamment autour de l’inceste), transmettre et partager leur force à poursuivre le combat et mettre le courage, l’adelphité et la puissance du collectif au cœur de la lutte. C’est le cas de cette jeune fille, victime d’inceste à l’âge de 9 ans : « C’est un combat que j’ai commencé à mener il y a un an seulement et c’est un combat que je ne veux pas arrêter. C’est un combat que je veux vous inviter à prendre vous aussi, parce que je sais que, malheureusement, il y a beaucoup de personnes qui ont vécu la même chose que moi. Il y a beaucoup de personnes qui ont vécu l’inceste, qui ont vécu des violences, et dans l’affaire en cours, on parle de Gisèle Pelicot mais aussi de sa fille, qui a été victime de son propre père. »

L’effroi traverse la foule. Elle poursuit : « L’inceste, c’est quelque chose qui est très tabou. C’est quelque chose dont personne ne parle. C’est quelque chose qui parait être normal dans certaines familles parce que le schéma incestueux, c’est le système, c’est comme ça. » De tout son bagage et enthousiasme, elle encourage les personnes présentes à se soulever contre le système, à rompre le silence et à le visibiliser, massivement : « Moi, je veux vous inviter surtout à prendre l’espace public, à écrire si vous êtes une victime ou une proche de victime, si vous vous en sentez capable, écrivez sur les murs de Rennes, écrivez de quoi vous avez été victime, écrivez ce que vous avez vécu, écrivez l’inceste ! » Transformer le cataclysme.

EN FACE, DES ARGUMENTAIRES BORDÉLIQUES…

Du côté de la défense, la stratégie démontre un manque d’arguments solides et, surtout, un manque de dignité total. Mardi 10 septembre, l’avocat Guillaume de Palma met le feu aux poudres, en déclarant : « Il y a viol et viol, et sans intention de le commettre, il n’y a pas viol ». Les mots pèsent lourd, misant sur des arguments clairement empreints de la culture du viol. Une phrase et une intention qui ne passent pas. Pour les militantes, il est inadmissible de mettre au centre « le fait que ces hommes n’étaient pas conscients de violer, n’avaient pas l’intention de commettre un viol alors même qu’ils étaient face à une femme inanimée. » Pour elles, « la notion d’absence de consentement devrait de toute façon primer sur l’intention de violer. » Elles poursuivent :

« Ce système a conduit à ce qu’aucun homme - contacté par Dominique Pelicot sur le forum où il recrutait – ne donne l’alerte, ne se préoccupe du destin de Gisèle Pelicot, faisant d’eux des complices silencieux. »

Elles rappellent, en parlant des 50 autres hommes accusés : « Ils disent qu’ils pensaient participer aux fantasmes d’un couple échangiste alors que les règles étaient claires : pas de parfum, pas d’odeur de tabac, être propre, pas de trace pour qu’elle ne sache pas. Et le salon d’Internet sur lequel se préparaient les viols s’appelait ‘À son insu’ ! » L’affaire transparait comme un miroir grossissant de la société patriarcale et de son pilier, la culture du viol. À tous les niveaux : la situation en elle-même, les argumentaires des avocats et des accusés mais aussi les réactions instantanées d’une partie de la société souhaitant nuancer les propos du fameux « Pas tous les hommes » (#NotAllMen). Un discours qui tend à minimiser l’aspect systémique des inégalités de genre, à perpétuer les VSS et à assurer la non dénonciation des faits et de leurs auteurs, tout en garantissant leur impunité.

« On entend dire que le premier malentendu à lever, c’est quand même qu’il y a des hommes bien, qui n’agressent pas, plutôt que de rappeler que 93000 viols ont lieu par an (et qu’un-e français-e sur 10 confie avoir été victime d’inceste, majoritairement commis par des hommes, ndlr). Que les femmes et minorités de genre ne se sentent pas en sécurité et à très juste titre. Ce qui compte le plus, ce sont les vécus des hommes plutôt que du reste du monde ! », scandent les militantes. 

« UN SYSTÈME PATRIARCAL ORGANISÉ »

Cet homme, Dominique Pelicot, a d’ailleurs brillé de par son absence au tribunal, forçant la suspension du procès dans l’attente d’une expertise médicale visant à définir de sa capacité ou non à venir à la barre, jusqu’au 17 septembre (et faisant entre temps peser l’éventualité d’un report du procès à une date ultérieure) où il confesse être un violeur au même titre que les autres hommes, minimisant par là sa propre responsabilité. Le procès dit des viols de Mazan marque un nouveau tournant dans le combat féministe, éclairant de toute part les conséquences de la domination masculine, permise et cautionnée par et dans une société patriarcale, réfractaire à remettre en question les agissements qui en découlent ainsi que l’ensemble des tenants et des aboutissants de tels comportements (quasiment toujours impunis). Les prises de parole, engagées « pour un féminisme révolutionnaire et un renversement de ce système patriarcal », résonnent dans toute la France et délivrent toute la violence du quotidien :

Au rassemblement en soutien à Gisèle Pelicot et aux victimes de VSS, des militantes blanches fabriquent des pancartes« Que ce soit la violence d’un avocat qui dit qu’il y a ‘viol et viol’, que ce soit la violence d’une Justice qui ne joue aucun rôle dans la protection des victimes, la violence d’une police qui demande si on était bien habillé-es et si on a apprécié, la violence économique puisque la précarité empêche les femmes et les minorités de genre de quitter les foyers violents, la violence d’un État qui aujourd’hui a Darmanin comme ministre de l’Intérieur, qui fait semblant de se préoccuper des VSS pour enfermer des personnes issues de l’immigration et les expulser alors que lui-même est accusé de viol, la violence d’un Macron qui fait semblant de s’intéresser à la constitutionnalisation de l’IVG pendant qu’il soutient Depardieu, qui nous dit qu’on doit réarmer démographiquement le pays, etc. » 

Au micro, la jeune femme poursuit son argumentaire, démontrant « la violence d’un système patriarcal organisé » dont les conséquences restent largement impunies. « Comme le dit Gisèle Pelicot, la honte doit changer de camp. Et moi, je dis qu’on doit commencer à faire payer toutes les entreprises qui font semblant d’être féministes pendant qu’elles virent des victimes de VSS, toutes nos facs qui font semblant d’être préoccupées alors que des profs accusés de VSS par des étudiant-es peuvent continuer à enseigner en toute impunité, tous nos gouvernements de merde qui font semblant d’être de notre côté tandis qu’ils renforcent la police, les prisons, et s’attaquent aux immigré-es et aux sans-papiers ! », scande-t-elle, avant d’affirmer tout son espoir et sa détermination : « La réalité, les ami-es, c’est que ces rassemblements, ils nous montrent qu’on a une force et une force fondamentale ! On doit s’organiser par nous-mêmes. Pour qu’un jour, on puisse être libres, marcher dans la rue, vivre les vies qu’on entend de vivre, sans qu’il y ait aucun danger nulle part et qu’on puisse vivre de manière la plus émancipée possible ! »

DES MILITANT-ES FÉMINISTES UNI-ES ET DÉTERMINÉ-ES

C’est pourquoi ce samedi 14 septembre, les militant-es appelaient aux rassemblements aux quatre coins de la France. Dans de nombreuses villes, la gronde s’est faite entendre. La colère, la rage, le ras-le-bol, la révolte. Mais aussi l’émotion vive que les violences sexistes et sexuelles, leur impunité et leur cautionnement par une grande partie de la société, suscitent. Des frissons ont parcouru les foules unies et soudées pour dire stop, pour revendiquer le droit des femmes et minorités de genre à être libres dans la dignité et le respect de leurs êtres, de leurs corps et de leurs vies, pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles subies par des centaines de milliers de femmes et d’enfants chaque année en France et pour témoigner des vécus traumatisants des personnes concernées. C’est une onde de choc à Rennes qui a saisi les personnes mobilisées à République dans le cadre du rassemblement de soutien à Gisèle Pelicot. Une quinzaine de prise de paroles ont personnalisé et rendu concrète la culture du viol et les impacts sur les victimes, nombreuses, ici et partout ailleurs, à avoir saisi le micro pour faire entendre leurs voix et leurs parcours de violences.

Le courage et la résilience, c’est cette femme qui cite Gisèle Halimi : « Le scandale, ce n’est pas la dénonciation du viol, c’est le viol en tant que tel. Elle avait sacrément raison ! Moi-même j’ai été victime d’inceste et j’espérais aujourd’hui voir des hommes parce qu’ils sont concernés. Il faut écouter les victimes, les protéger, les soutenir et dire non au viol. Toute sa vie durant, il faut lutter contre ces formes de violences sexistes et sexuelles qui agissent trop à notre encontre ! » C’est aussi cette femme qui confie avoir subi des violences sexuelles de la part de son dernier compagnon, puis des violences de la part des forces de l’ordre : « Il a invité chez moi des hommes et m’a forcée à coucher avec eux devant lui. J’étais tellement amoureuse et manipulée par mes sentiments que je l’ai laissé faire et j’ai occulté. Quand j’ai voulu aller porter plainte, on m’a demandé si c’était bon. Je me suis barrée du commissariat. »

Les personnes qui témoignent ce jour-là démontrent encore une fois les parcours de combattant-es endurés. Ne pas être cru-e, être maltraité-e lors du dépôt de plainte, être exposé-e à des commentaires et comportements nocifs lors de l’enquête préliminaire, ne pas avoir le droit à un procès, être rendu-e coupable et responsable des faits… Les procédures engagent les victimes dans des processus longs, pénibles et souvent douloureux, sans que celleux-ci n’obtiennent réellement justice et réparation. Une militante relate son vécu traumatique : « Pendant l’enquête, les flics ont demandé à mes parents des photos de moi avec l’air triste pendant la période des viols pour bien montrer que j’étais pas bien dans ma peau à ce moment-là. Je suis peut-être bizarre mais à 14 ans, je ne prenais pas de photo de moi en pleurs… Pendant le procès, mon avocat m’a demandé de couper mes cheveux bleus parce qu’ils sont synonymes de quelqu’un qui se laisse aller et pourrait ne pas avoir été violé-e… »

La liste s’allonge : « Les flics ont alerté tout le monde dans mon village, sont venus chercher une amie à moi dans le collège directement et ont convaincue une autre amie à moi que j’étais partiellement responsable du fait qu’elle se retrouve mise dans l’affaire elle aussi. » Son procès, elle l’a gagné. Et pourtant :

« C’est extrêmement rare de remporter un procès pour inceste et pédocriminalité. Mais le violeur a pris 18 mois de prison aménageables. Donc il n’a jamais été en prison, il a eu un bracelet électronique, il est resté chez lui et actuellement, il est en liberté totale, il vit sa meilleure life ! »

DES VIOLENCES DÉCRYPTÉES AU TRAVERS DES VÉCUS

Forts, glaçants, les témoignages saisissent d’émotion la foule qui vacille un peu plus à chaque nouvelle prise de parole tant la violence transparait, devient réelle et palpable, tant elle s’expose dans chaque récit. Les victimes délivrent, avec courage, les faits subis et déconstruisent, avec hargne, les stéréotypes, clichés et mécanismes ancrés et intégrés par tou-tes dans la culture du viol. L’isolement des victimes : « C’était mon cousin. Jusqu’à aujourd’hui, je me croyais seule donc je voulais remercier toutes les personnes qui ont pris la parole. » Le silence : « J’avais 4, 6 et 10 ans et je n’en ai pas parlé car j’ai vécu ce qu’on appelle une amnésie traumatique. Quand j’en ai parlé, ma maman m’a dit que c’était pas bien de mentir sur ce genre de choses. Je ne la juge pas, c’est compliqué parfois de réaliser que son enfant a pu subir ça. »

Au rassemblement en soutien à Gisèle Pelicot et aux victimes de VSS, une femme retraitée blanche tient une pancarte "Gisèle Pelicot, le courage face aux viols et à la soumission chimique. la honte doit changer de camp"Le profil de l’agresseur :« Mon agresseur était blanc. J’en ai marre d’entendre les gens dire que les étrangers sont les personnes qui violent dans les rues. C’est pas vrai. Moi, j’ai peur de sortir de chez moi, parce que j’ai peur des hommes blancs. » / « On est dans un système où malheureusement quand on a du pouvoir, on garde notre rang, on n’est pas dénoncé… » / « C’était mon beau-père, un homme de confiance, apprécié de tout le monde évidemment, quelqu’un dont on ne pouvait pas penser ça de lui » et « Ces hommes (à propos des 50 accusés au procès, ndlr), leurs CV tournent beaucoup dans la presse. Ce qui choque, c’est que leurs vies sont ordinaires. Ils occupent des tafs ordinaires. Ça pourrait être n’importe quel homme. » La victimisation des hommes face au sujet : « C’est important que tout le monde comprenne que ce n’est pas l’individu en tant que tel qu’on dénonce mais le groupe social – homme – que vous représentez, la masse que vous êtes, l’énergie qui s’en dégage et qui peut être effrayante. » 

Et puis la culpabilité, le sentiment d’être responsable des violences subies : « J’ai longtemps cru que c’était de ma faute parce que c’était des petits jeux, des chatouilles, pas grand-chose. J’ai cru que c’était de ma faute, que j’avais fait quelque chose de mal. J’en ai pas parlé pendant 9 ans. Il a récidivé sur sa nièce. Ça aussi, j’ai cru que c’était de ma faute, parce que je n’en avais pas parlé. Aujourd’hui, j’ai porté plainte ! ». Le temps long de la compréhension des faits et de la potentielle reconstruction : « À 13-14 ans, c’est le moment où le corps d’une femme se développe, et du coup, on devient une proie pour certaines personnes. On a vraiment l’impression que c’est de notre faute ce qui se passe et, en fait, j’ai mis du temps avant de comprendre que ce n’était pas ma faute. J’avais 13 ans, j’étais tiraillée par plein d’émotions différentes, c’est l’époque de la découverte de la sexualité, on se pose des questions, on se demande comment fonctionne son corps et les parents n’en parlent pas. »

DES MESSAGES DE FORCE ET D’ESPOIR

Dans une société patriarcale, c’est à la victime de s’entourer – avocat, psychologue, association d’aide aux victimes, accompagnement juridique, médical, social, etc. – pour démontrer sa motivation à aller au bout d’une procédure, seul moyen à l’heure actuelle prouvant ainsi la véracité de ce qu’elle dénonce et la légitimité à être reconnue dans son statut de victime et pour pouvoir se départir d’un sentiment de culpabilité mise au fil de ce long et fastidieux parcours. Éduquer à l’égalité, à la sexualité (libre, joyeuse, éclairée, consentie et partagée), à la vie affective (hors schéma de domination dans le couple), au consentement. Encadrer cette notion même dans la définition du viol. Ecouter les victimes, les prendre en charge et les accompagner. Les croire. Déconstruire nos représentations hétéronormées basées sur les violences, les mécanismes d’emprise et de domination. Déboulonner la masculinité hégémonique et la virilité. En finir avec la culture du viol. 

« On est des humain-es. On a des questionnements, on peut avoir des envies, on peut avoir des curiosités mais cela n’excuse absolument pas le comportement d’un adulte qui va venir vers vous, va venir vous rejoindre et vous demander des choses, et s’investir dans une relation avec un-e mineur-e. Même si parfois, c’est vous qui vous êtes rapproché-e par curiosité, ou pour n’importe quelle raison, c’est vraiment hyper important de comprendre que vous n’êtes pas responsable des agissements de cette personne qui est consciente, qui a été construite psychologiquement, qui a eu le temps de vivre, qui a eu le temps de faire des expériences, et qui abuse de vous. C’est un abus ! » Les témoignages affluent, transmettant des messages d’encouragement et de solidarité : « Sachez qu’il n’est jamais trop tard pour faire entendre votre voix, que ce soit 5, 10 ou 15 ans après ! Parlez, osez dire les choses, parce que c’est pas votre faute. Vraiment, c’est eux le problème ! C’est vous qu’on doit entendre, c’est vous qu’on doit voir ! C’est pas eux qui doivent continuer à vivre normalement pendant que vous, vous devez vous cacher ! » Alors, des centaines de voix s’unissent pour scander en chœur : « Tu n’es pas seule ! Tu n’es pas seule ! Tu n’es pas seule ! » Un collectif, un espoir, une force considérable.

 

Célian Ramis

Violences sexistes et sexuelles : en finir avec la honte et la domination

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Une femme apeurée dans le bus par un homme qui l'agresse verbalement mais aussi de sa présence invasive
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Comment endiguer le fléau des violences sexistes et sexuelles dans ces espaces semi-publics qui touchent une grande partie de la population lui assénant un sentiment d’illégitimité et d’insécurité ?
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En 2020, les services de police et de gendarmerie enregistraient 57000 plaintes en France pour violences sexuelles, dont 3% commises dans les transports en commun. Un pourcentage non représentatif de toutes les agressions, la plupart des victimes ne portant pas plainte ensuite. Comment endiguer le fléau des violences sexistes et sexuelles dans ces espaces semi-publics qui touchent une grande partie de la population lui assénant un sentiment d’illégitimité et d’insécurité ?

Dans le bus, une femme se tient, debout, main sur la barre. Juste à côté d’elle, un homme. Lui aussi debout, lui aussi main sur la barre. Il approche sa main de la sienne. Elle se décale. Il la suit pour toujours ramener sa main sur la sienne. « Vous pouvez arrêter ? », assène-t-elle, sèchement. Il fait l’innocent, nie les faits, occupe l’espace en élevant la voix. « Tarée ! », « Nan mais pour qui elle se prend ?! », « Tu t’es crue à Cannes ? », scande-t-il bruyamment avant de descendre du bus. Les passager-es la regardent, immobiles. Son visage est figé par la peur et la honte. Personne ne bouge, tout le monde la scrute. Fin de la scène. 

Parce qu’il s’agit là d’une scène interprétée par deux comédien-ne-s de la troupe Echappées belles afin de sensibiliser les passant-es aux violences sexistes et sexuelles dans les transports en commun. Et malheureusement, la saynète s’inspire de faits réels et de situations identiques à celle qui vient de se dérouler sous nos yeux, dans laquelle les témoins n'interviennent pas, laissant la victime seule avec le traumatisme de l’agression vécue et ses émotions à vif. 

SENSIBILISER LES USAGER-ES

Cet après-midi du mois de mars, les passager-es du bus sont interrogé-es sur ce qu’ils et elles viennent de vivre. « Une agression verbale », définit un monsieur. « Il n’a pas touché votre main… En tout cas, je crois qu’il n’a pas touché votre main ». Mais pour les deux jeunes filles, installées bien en face de la scène et certainement conscientes – par expérience – des potentiels dangers de l’espace public, aucun doute, l’homme collait expressément la main de la femme agressée. « Est-ce que vous avez eu envie d’intervenir ? Qu’est-ce qui a fait que vous ne l’avez pas fait ? », interpelle la comédienne, à l’ensemble du bus. Le stress, la peur de prendre un coup, l’angoisse que la violence ne se retourne contre nous… constituent des freins à l’intervention. 

La saynète est effectuée au ralenti, démontrant qu’il s’agit bien là d’une agression, la dame ne consentant pas à ce que son corps soit touché. « On ne comprenait pas trop d’où c’était parti mais maintenant oui, on voit bien qu’il fait exprès », signalent les témoins. Dans la situation proposée, l’opposition de la personne concernée attire l’attention sur l’agresseur qui se replie et décide rapidement d’humilier la victime. Le volume sonore utilisé, les remarques rabaissantes et la gestuelle intimidante dans un espace clos tendent à imposer le silence. De la part de tout le monde. 

ŒUVRER POUR LA CAPACITÉ D’AGIR

« Le fait que personne n’intervienne, ni même ne vienne me voir une fois qu’il est descendu, agit comme une deuxième agression. Comme si ce qui venait de se passer était validé. Personne ne réagit, j’ai honte. N’hésitez pas à aller voir les personnes ! », commente la comédienne. Le discours s’enclenche, sans vocation à être jugeant, moralisateur ou culpabilisant. 

Simplement, ouvrir la discussion et donner des clés de compréhension et d’action. Du pôle prévention, Diane précise : « Vous pouvez donner l’alerte auprès du conducteur qui lui va prévenir et faire intervenir les services de police ou les contrôleurs. Dans le métro, il y a également des boutons d’appel d’urgence. » D’autres conseils sont donnés comme celui de faire diversion en demandant l’heure ou la direction du bus à l’agresseur, en invitant la victime à venir discuter avec nous. Elle poursuit : « Dans les transports, il y a des caméras. Vous pouvez le préciser à la victime quand vous aller la voir, pour la rassurer, lui dire que la scène a été filmée et qu’en cas de dépôt de plainte, la police pourra réquisitionner les archivages vidéos. » 

UNE DOMINATION INTÉGRÉE DÈS LA PETITE ENFANCE

Face à la violence, difficile d’agir. L’instant est souvent bref, la réflexion rapide mais la peur de mal faire et la sidération prennent (majoritairement) le dessus, sans nier la banalisation des faits de harcèlement (moral, sexuel) à l’encontre des femmes. « Il y a aujourd’hui des infractions reconnaissant les outrages sexistes et il existe des mesures de poursuite pour les agressions de ce type », indique le pôle prévention. Le manque d’informations juridiques se confrontent au continuum des violences sexistes et sexuelles. 

Le spectre est large et l’éducation genrée, reçue dès la petite enfance, marque et appuie les stéréotypes visant à diviser les hommes et les femmes, définies dans deux catégories bien distinctes dont l’une viendra rapidement dominer l’autre sur le long cours de la construction sociale. Les hommes actifs et forts. Les femmes passives et vulnérables. La honte du côté des femmes, majoritairement victimes des VSS, tandis que les hommes sont valorisés pour leur virilité toxique.

« J’ai honte que tout le monde me regarde pendant la scène, c’est lui qui devrait avoir honte ! »
fustige la comédienne.

La domination des hommes dans l’espace public appelle les femmes à l’hypervigilance et malgré la médiatisation du sujet, nombreuses sont encore les voix qui s’élèvent pour minimiser les violences sexistes et sexuelles et leurs effets et conséquences sur les victimes qui bien souvent intègrent et endossent la responsabilité de l’agression subie. D’où l’importance, comme le signale la troupe Echappées belles de rejoindre la personne concernée, de lui parler et de l’accompagner : « Rien que de dire que non, ce n’est pas normal ce qui vient de se passer, ça fait que la victime va être rassurée et va éviter le sentiment de honte. »

UN PHÉNOMÈNE DE GRANDE AMPLEUR

En 2015, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes remettait un rapport édifiant à Pascale Boistard, alors secrétaire d’État chargée des Droits des Femmes. Il était question de violences sexistes et sexuelles dans les transports en commun et le bilan était accablant : 100% des femmes y avaient subi du harcèlement ou des agressions, que ce soit dans le métro, le bus, le tram ou le train. 

De la remarque à l’agression sexuelle, en passant par le viol, les insultes et la (fameuse) « drague » insistante, les comportements et agissements qui constituent le spectre des violences à l’encontre des femmes sont larges. Dans ce contexte nait l’association Stop au harcèlement de rue et le projet Crocodiles, de Juliette Boutant et Thomas Mathieu, des planches illustrées relayant les récits de harcèlement et de sexisme ordinaire permettant à de nombreuses personnes concernées de s’identifier aux situations, de se sentir moins seules et de sensibiliser les potentiels témoins à réagir en cas de violences.

UN PAVÉ DANS LA MARE

Ainsi, le rapport du HCE bouscule les mentalités, mettant en évidence l’ampleur de la problématique. L’espace public appartient aux hommes et les femmes développent un sentiment d’illégimité et d’insécurité, les amenant à développer des stratégies d’évitement, dans la rue comme dans les transports en commun. Un constat établi par l’architecte-urbaniste Lysa Allegrini ou encore la journaliste Rebekka Endler, autrice de l’essai Le patriarcat des objets, dans le cadre du 8 mars. L’hypervigilance est leur quotidien, dès lors qu’elles mettent un pied dehors, le phénomène s’accentuant une fois la nuit tombée. L’instance consultative préconise un plan d’action national intitulé « Stop au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles sur toute la ligne ». La campagne d’affichage « Stop ça suffit » est déployée la même année dans toute la France et dans les stations du métro rennais, on dévoile ce plan de ligne avec ses stations « Mademoiselle », « Vous êtes charmante », « C’est pour moi cette petite jupe ? », « Tu sais que t’es bonne ? », « Je vais te serrer », « Réponds sale chienne », et son terminus « Stop ça suffit ». Et avec, l’instauration de l’arrêt à la demande sur les lignes de bus, notamment la nuit. 

Depuis, la sensibilisation de la population et la formation des agent-es des réseaux de transports se poursuit et c’est dans cette lignée que le réseau STAR et Rennes Métropole ont lancé, en novembre 2023, la campagne de prévention « #NON sur toutes les lignes », élargissant le propos à la lutte globale contre les discriminations : sexisme, racisme, LGBTIphobie, validisme, etc. Elle appelle à faire réagir, victimes et témoins, dans une dynamique collective, intégrant les agent-es, les controleur-euses, les services de police, les associations d’aide aux victimes (En parler, SOS Victimes 35, CIDFF 35), etc. 

APRÈS LE DÉBRIEFING

Dans le bus, une femme se fait interpeler par un homme. Il lui parle d’une voix plutôt basse, on ne saisit pas les propos exacts mais on comprend rapidement qu’il s’agit d’un homme malaisant. Elle change de côté, il la suit, elle lui demande de la laisser tranquille. Une femme assise, à quelques mètres, assiste à la scène et bondit de sa place pour intervenir. L’homme s’énerve. Tout se passe très rapidement, les voix s’élèvent, le ton monte, la pression aussi. Les passager-es observent. Un homme s’avance en direction du harceleur : « Je te connais, on était en boite ensemble, tu te souviens plus de moi ? » Un autre vient lui prêter main forte, le temps que les deux femmes réclament l’arrêt à la demande et descendent du bus. Ce qui a fonctionné, c’est la cohésion et la solidarité. Intervenir à plusieurs. Une fois le débriefing passé avec les équipes mobilisées sur l’action de sensibilisation, les passager-es ont à cœur de refaire la saynète.

« Il faut que les citoyen-nes s’entraident ! »
signale Diane, du pôle prévention. 

En parler, échanger, visibiliser les vécus et les ressentis, accompagner les victimes, diffuser les informations, sensibiliser l’intégralité de la population aux violences sexistes et sexuelles, réagir en tant que témoins, alerter les passager-es, conducteur-ices, contrôleur-euses, forces de l’ordre, interpeler l’opinion publique, déconstruire les prégujés sexistes, racistes, LGBTiphobes, validistes, etc. Un effort quotidien, constant. Une énergie indispensable pour bâtir une société égalitaire, inclusive, dans laquelle tout le monde profite et bénéficie d’un confort mental et physique. Parce que la charge qui pèse sur les femmes, les personnes sexisées et les minorités dans l’espace public est bien trop lourde et exige d’être l’affaire de tou-tes. 

Célian Ramis

Visibiliser les silencié-e-s

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Sookie, femme noire qui danse sur la scène à l'occasion de l'événement Visibles
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Elles prennent la parole, tendent le micro, montent sur scène, écrivent, transmettent et partagent. Pour rendre les femmes visibles et briser le schéma oppressif imposé par leur absence.
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Réduire la moitié de l’humanité au silence porte à conséquence. Effacer une partie de la société à travers les siècles porte à conséquence. Celle de croire en la légitimité de son invisibilité. Celle de penser que les personnes concernées n’ont ni histoires passées, ni récits à relater. Alors, elles prennent la parole, tendent le micro, montent sur scène, écrivent, transmettent et partagent. Pour rendre les femmes visibles et briser le schéma oppressif imposé par leur absence.

« Ce qu’il y a de plus redoutable dans l’invisibilisation des femmes, c’est qu’elle est invisible. », écrit la journaliste Lauren Bastide dans Présentes. Quelques pages et de nombreux chiffres plus loin, elle récapitule : « Les femmes sont invisibilisées partout où l’on produit de la connaissance, partout où l’on contribue à modeler l’inconscient collectif de la société. Et il ne peut pas y avoir de société juste si les représentations collectives se construisent en oubliant la moitié de l’humanité. » Ainsi, fin 2016, elle crée le célèbre podcast La Poudre pour faire entendre les voix, les discours, les réflexions, les engagements, les expertises, les revendications, les vécus, les analyses et les parcours des femmes. 

« Je les ai interviewées, détail important, sans les interrompre, ni leur expliquer la vie, ce qui est reposant dans un espace médiatique où tout être féminin doit composer, en permanence, avec les aléas du manterrupting (dû à ces hommes qui interrompent systématiquement les femmes) et du mansplaining (dû à ces hommes qui expliquent la vie aux femmes). Ces femmes à qui j’ai donné la parole, je les ai choisies extraordinaires, guerrières, créatrices, inspirées. Je voulais graver dans le marbre leurs accomplissements actuels pour que personne ne puisse les effacer ensuite. » 

MANQUE DE (RE)CONNAISSANCE

La question de la visibilité des femmes, à l’instar de la visibilité de toutes les personnes oppressées et marginalisées, constitue un enjeu majeur dans la lutte pour l’égalité entre les genres. L’Histoire est écrite par des hommes blancs hétéros cisgenres bourgeois valides, pour des hommes blancs hétéros cisgenres bourgeois valides. Elle exclut plus de la moitié de la population, la réduisant au silence, aux rôles secondaires, voire à la figuration. Les récits, qu’ils soient littéraires, cinématographiques ou encore médiatiques, sont articulés autour des hommes qui sont également experts sur les plateaux télévisés, dirigeants des grandes et moyennes entreprises, élus dans les lieux de décisions et de pouvoir… 

L’incidence entre l’apprentissage d’une Histoire à laquelle les femmes ne participent pas ou peu, le manque de représentations féminines dans les instances politiques, la presse, les arts et la culture ou encore le sport et l’absence de parité dans les événements publics, les comités de direction, les scènes conventionnées, les médias ou encore dans l’hémicycle, n’est ni anecdotique ni pure coïncidence. Loin de là.

« Les femmes ne sont pas suffisamment visibles et ne se sentent pas suffisamment légitimes. Elles manquent parfois de rôles modèles. »
souligne Fanny Dufour, fondatrice des Nouvelles Oratrices, entreprise de formations dédiées à la prise de parole des femmes. 

Et elles manquent souvent de reconnaissance. Si de nombreux films ne passent pas le test de Bechdel-Wallace (qui requiert d’avoir au moins 2 personnages féminins, nommés de la même manière que les personnages masculins, qui parlent entre elles d’un sujet autre que des hommes…), les articles de journaux sont des champions de cette invisibilisation. La spécialité : mentionner « Une femme », dans les titres, sans la nommer. L’outil de veille Meltwater révèle ainsi qu’en un mois – juin 2020 - 39 titres d’articles y ont eu recours. On lit par exemple que « Une femme (est) nommée à la Direction des missions d’exploration et d’opérations humaines à la Nasa », qu’il y a désormais « Une femme à la tête de l’École de l’air » et que « Pour la première fois de l’Histoire, le PDG le mieux payé du monde est une femme ». 

Kathryn Lueders, Dominique Arbiol et Lisa Su ne sont pas des cas isolés du processus de minimisation et d’effacement. Une page Wikipédia parodique a été créée en l’honneur d’Une femme, décrite comme « journaliste, dirigeante d’entreprise, chimiste, diplomate, économiste, évêque, rabbin, imam, physicienne, sportive de haut niveau, directrice sportive, pilote de chasse, brasseuse, ouvrière, autrice de bande dessinée, footballeuse, handballeuse, cheffe d’orchestre, DJ, directrice de musée, astronaute et femme politique possédant au moins une vingtaine de nationalités. » 

OÙ SONT LES FEMMES ?

Les hommes laissent leurs empreintes. Dans les exploits de guerre, la gouvernance des pays, la musique, la peinture, la littérature, les découvertes scientifiques, le cinéma. En couverture des médias, ils sont le monde d’après le Covid 19 (tout comme ils étaient le monde d’avant le Covid 19) et ils sont l’espoir de la Reconquête du cinéma français (tout comme ils étaient l’espoir de la Conquête du cinéma français). Ils représentent et symbolisent toute notre culture et nos références collectives. Ils sont le liant de toutes les civilisations passées et sociétés actuelles. 

« Où sont les femmes ? », interroge la comédienne Catherine Bossard, en projetant les photos de classe post conseil des ministres, post G20, post comité de direction d’une entreprise du CAC40… Réponse : « Derrière, sur les côtés ou absentes ! » Dans la Halle de la Brasserie, sur le mail Louise Bourgeois à Rennes, elle donne le ton à la première édition de Visibles, l’événement organisé en 2022 par Les Nouvelles Oratrices qui en avril 2023 a renouvelé l’expérience et reviendra en avril 2024, à l’Antipode. Ici, elles ont des prénoms, des noms, des visages, des corps, des émotions, des choses à dire, à raconter, à partager. Ici, elles montent sur scène et prennent la parole. 

Pour parler d’elles, pour parler d’autres femmes. Pour créer la rencontre, provoquer les discussions et les échanges, favoriser la prise de conscience. « Avoir un plateau composé exclusivement de femmes, c’est possible. La non mixité, ça interroge les gens alors que quand il s’agit de plateaux composés uniquement d’hommes, on ne se pose pas la question… À un moment, il faut faire des efforts pour tendre vers une parité systématique dans les événements et ça passe par des événements comme Visibles. », analyse Fanny Dufour, faisant référence, entre autres, aux conférences TedX, qu’elle a présidé à Rennes pendant plusieurs années. Prendre la licence TedX Women, elle y a pensé. 

« C’est une marque puissante mais enfermante. Je voulais qu’on puisse bouger les formats. Qu’il y ait des prises de paroles en solo, des interviews, des duos, etc. Parce que l’idée, c’est qu’elles se sentent à l’aise sur scène, c’est ça qui servira au mieux leurs propos. On veut faire notre événement. Avec des femmes invisibilisées dans la société et des femmes qui œuvrent pour visibiliser les femmes. », souligne la directrice des Nouvelles Oratrices. Elle part de ses intérêts personnels et élargit ensuite le champ d’action : 

« Pour montrer que les femmes sont partout. Ça concerne le monde de l’entreprise mais aussi de l’éducation, la politique, les médias, les réseaux sociaux, etc. Ce que j’espère, c’est que les gens repartent en ayant saisi ce qui a déclenché chez les unes et les autres l’envie de se rendre visible. Ou de rendre d’autres femmes visibles. C’est cette émulation-là que je veux. Et que l’on prenne conscience de la diversité des déclencheurs. Qu’est-ce qui fait franchir le pas à un moment donné ? Comment se sentir une femme forte et oser se lancer ? »

ÉNERGIE ET DÉTERMINATION

Dix femmes montent sur scène pour se raconter. La première, c’est Clothilde Penet, 34 ans, elle vit à Marseille et, depuis 2 ans, elle fait du krump, une danse qu’elle a choisie et pour laquelle elle a passé des mois et des mois à observer les danseurs. Elle relate son parcours, son obstination, sa persévérance. Le rituel de la cage, le regard des danseurs, la colère qui monte, le lâcher prise, la transcendance. Elle ressent l’énergie. Elle ne baissera jamais les bras. Elle intègre sa famille de krump. Les questions qu’elle pose résonnent en chacun-e : 

« Comment tu es toi-même dans une discipline qui a déjà plein de codes ? Comment tu deviens visible alors que tu as peur jusqu’au bout des doigts ? » 

Elle tape du pied, plie les genoux, fixe un point d’horizon, elle recommence, elle tape du pied, de l’autre pied, elle envoie un uppercut, elle percute nos viscères de sa volonté et détermination, elle répète les pas de bases. Sans cesse. Elle ajoute des mouvements de bras, elle active son corps avec maitrise. Elle teste, expérimente. Elle n’abandonne jamais. « Dans le krump, je peux être moche, monstrueuse, faire des grimaces. Ça change des endroits où il fallait être sage et fermer sa gueule. J’ai peur de ne pas être à la hauteur, j’ai peur de vos regards sur moi. J’ai peur de ma vulnérabilité comme de ma puissance, j’ai peur d’être essoufflée quand j’ai des choses à dire. » Silence. 

Elle nous coupe le souffle, elle nous bouleverse. Son vécu, on le transpose. Son vécu, il résonne. Il diffère de celui d’Aicha et pourtant, il le croise. Algérienne âgée de 55 ans, elle se dit traversée par 3 choix essentiels dans sa vie : être autonome financièrement, divorcer, quitter son pays pour s’installer en France. Son bac S en poche, elle se marie à 18 ans pour satisfaire ses parents. Son époux refuse sa poursuite d’études, elle devient mère l’année suivante. Elle apprend la couture et en cachette, gagne de l’argent grâce à ça. Deux accouchements plus tard, elle ouvre son atelier et embauche des ouvrières. Elle divorce. Tant pis si c’est mal vu ! 

En 2017, elle rencontre son mari et l’année d’après, quitte l’Algérie. Aicha s’installe à son compte en 2020, juste avant le confinement. « J’ai un handicap, je marche avec une canne. En mars 2022, j’ai dû trouver un travail après une formation. J’ai choisi d’accompagner les personnes en situation de handicap dans la recherche d’un emploi. Ce qui m’a aidée, c’est mon ambition et le soutien de mes proches. Sans oublier les stages pratiques que j’ai fait en insertion. » Elle le dit, elle n’avait pas confiance en elle au départ mais avec le temps, la motivation et la formation, elle a développé et acquis les compétences nécessaires. « Je me suis reconvertie. Je me suis ouverte et intéressée aux autres. On a toutes des capacités à quitter, recommencer à zéro et choisir sa vie. »

RENDRE VISIBLE L’INVISIBLE

Sur la scène, les intervenantes brisent le silence et les tabous. Brisent l’absence de pluralité des modèles et des trajectoires. C’est ainsi qu’Hélène Pouille, facilitatrice graphique depuis 9 ans, et Anne-Cécile Estève, photographe depuis 15 ans, partagent l’espace. La première a lancé un blog féministe. La seconde, une association nommée Diapositive, autour de la photographie thérapeutique. Elle réalise à travers l’exposition Mue – pour laquelle elle a photographié les corps de femmes atteintes du cancer du sein – que cela participe à leur réparation et contribue à changer leur regard sur leur propre corps. 

Hélène Pouille aussi s’intéresse à une maladie qui touche principalement les femmes : le cancer du col de l’utérus. Son projet s’intitule Frottis chéri à la suite du diagnostic posé, en sortant d’un banal rendez-vous gynéco, du papillomavirus. « C’est un nom limite mignon. », rigole-t-elle. De l’humour et du dessin mais surtout beaucoup d’informations composent le fascicule illustré qu’elle a créé : « Parce que ce n’est pas naturel encore aujourd’hui de parler de ça et de rendre visible le fait qu’on a une IST… Et d’ailleurs, le prochain sujet que je veux traiter de cette manière-là, c’est la vie sexuelle et affective des personnes âgées. » Chacune trouve sa place au croisement de ses qualités professionnelles et de ses engagements. Et ça fait du bien. Beaucoup de bien. 

« La légitimité, ça a été le problème de toute ma vie. J’ai mis beaucoup de temps à me sentir légitime. Déjà j’ai mis 20 ans à me sentir photographe. Je m’approprie enfin le terme d’artiste. Je suis tellement à ma place aujourd’hui ! », scande, soulagée, Anne-Cécile Estève. Fière et puissante. 

ALTÉRITÉ ET RENCONTRE

Sans se connaître, des ponts se construisent. Quitterie et Myriam, elles, se côtoient depuis plusieurs années déjà et partagent ici leur rencontre. Celle de deux femmes qui n’ont a priori rien en commun. Myriam est de nationalité indéterminée, très probablement palestinienne. Elle vit dans un orphelinat jusqu’à ses 3 ans environ et a « la chance d’être adoptée par ses parents de cœur ». Quitterie est née en France « avec une cuillère en argent dans la bouche » et est adoptée elle aussi par des familles de cœur, au pluriel, car au total, elle compte 6 parents autour d’elle. Myriam subit le racisme à l’école puis les violences conjugales. Elle est une « femme violée et battue » mais surtout « pas abattue ». Quitterie n’a pas vécu ou subi les mêmes violences. 

Être femmes les réunit. Chacune poursuit le récit de ce qui l’a amenée en résistance. « Je suis devenue une guerrière grâce aux paroles de Jacques Prévert et aux récits de ma mère. », signale Myriam. « Aimer une femme m’a sorti de la tyrannie de la norme. », poursuit Quitterie. Résist-tente est le nom de la pièce que joue Myriam, dans laquelle elle raconte sa vie dans la rue. Quitterie assiste à la représentation : « En la rencontrant, les préjugés que j’avais sont tombés. Les SDF sont soudain devenu-e-s visibles à mon regard. » Elles sont toutes les deux engagées dans l’action pour la dignité et le respect de tous les êtres humains. Elles sont toutes les deux engagées dans la lutte contre le patriarcat. 

« Notre rencontre nous a transformées. L’altérité et la rencontre enrichissent la vie. », concluent-elles, avant que Sookie ne vienne secouer les corps légèrement ensuqués au contact des chaises. L’idée qu’elle met en pratique dans ses stages : danser comme dans les clips. Celui de Britney Spears, en l’occurrence. De quoi se sentir reine du dancefloor et des fantasmes.

Autant que Judith Duportail qui rêve d’une vie de glamour et de cocktails et qui télécharge Tinder, réfléchissant à sa phrase de présentation : « 5 étoiles sur Blablacar ». Elle annonce la couleur : « Je ne m’étais jamais sentie aussi désirable. Ça n’a pas duré. » Elle est journaliste et va mener une enquête très approfondie sur l’algorithme de l’application : « Nous avons tous une note secrète de désirabilité sur Tinder. J’ai décidé de partir en quête de ma note. » Elle accède ainsi à toutes les informations collectées à son sujet par le site de rencontre : 804 pages précisément. Ses données personnelles, toutes les conversations, les matchs, la manière de s’exprimer, les sujets évoqués… Tout contribue à ce que Tinder catégorise les participant-e-s, bien évidemment, en fonction du sexe et du genre. 

« La communication de Tinder se base sur une prétendue libération des femmes alors que leurs algorithmes créent des couples où l’homme est toujours supérieur à la femme soit en matière d’âge, soit en matière de catégorie socio-professionnelle et donc supérieur financièrement… Exactement pareil que dans la société hétérosexuelle… », lâche Judith Duportail, hypnotisante de vitalité. 

FAVORISER L’EXPRESSION DES FILLES ET DES FEMMES

Elle aussi citoyenne engagée, Marie Blandin plante le décor de son plaidoyer : « Imaginons un diner chez des amis, l’ambiance est excellente. Vous avez envie de partager une expérience personnelle… sur un cambriolage dont vous avez été victime. Tout le monde vous comprend. Imaginons le même diner mais vous avez envie de partager une expérience personnelle… sur un inceste dont vous avez été victime. Cela crée un malaise. » En tant qu’avocate, quand elle parle à son entourage d’une affaire de divorce, on raffole des détails. Mais quand il s’agit d’une affaire de violences à l’encontre d’une femme ou d’un enfant, on lui dit qu’elle plombe l’ambiance. 

« En 2022, il y a encore des choses qu’on peut dire ou pas. »
constate Marie Blandin, avocate.

Pourtant, deux élèves par classe, en moyenne, sont victimes de violences. Le plus souvent, dans le cadre familial. « Difficile d’en parler, le fléau perdure ! », scande-t-elle, avant d’impulser son discours vers le collectif. Tout le monde peut agir en apprenant à un enfant que la politesse consiste à dire bonjour et non obligatoirement à faire un bisou ou un câlin, en apprenant à un enfant les mots exacts qui désignent les différentes parties de son corps et en apprenant à un enfant que son corps lui appartient, à lui et à lui seul. 

Quasiment deux heures se sont écoulées et c’est à la marraine de Visibles de conclure. Najat Vallaud-Belkacem, ex ministre des Droits des femmes, de l’Education Nationale et actuelle directrice de l’ONG One, fait un tour d’horizon qui n’est pas sans rappeler celui de Catherine Bossard. Dans les conseils de défense, des hommes ! Sur les couvertures de magazines, des hommes ! Sur les plateaux télévisés et débats entre experts, des hommes ! Dans les métiers essentiels, des femmes ! Elle parle d’un « choc » de ne jamais leur donner la parole et dénonce « l’invisibilisation et l’absence des femmes dans les lieux de décisions. » Il n’y a pourtant « rien de mieux que de les mettre autour de la table pour les prendre en considération. » Néanmoins, elle pointe les conséquences sous-jacentes à la visibilité des femmes : 

« Même quand les femmes prennent la parole et se rendent visibles, elles se prennent la violence des réseaux sociaux. Souvent, elles se retirent de la scène, de la visibilité et de l’oralité qu’elles avaient en étant sur la scène. Et ça, c’est particulièrement dangereux car les droits à l’expression des femmes reculent ! »

LA PUISSANCE DES PODCASTS

Faire entendre les voix des concernées devient un enjeu majeur dans l’égalité des sexes et des genres. Une urgence. Depuis plusieurs années, les podcasts se multiplient. Facilité d’accès, simplicité technique, gratuité de l’écoute… Les ingrédients sont réunis pour tendre le micro et diffuser massivement, à travers les réseaux sociaux, les témoignages des personnes sexisées et plus largement des personnes oppressées et minorées. Des outils dont se saisissent Aminata Bléas Sangaré et Suzanne Jolys qui le 1er octobre 2022 ont organisé la première édition du festival Haut Parleuses, à l’Hôtel Pasteur à Rennes, et se sont ensuite attelées à la construction d’une deuxième édition, à l’automne 2023. 

L’occasion de valoriser toutes celles qui l’ouvrent, toutes celles qui disent et toutes celles qui permettent de parler. Et c’est ainsi que dans l’espace Lauren Bastide a lieu la conférence réunissant Marine Beccarelli, historienne et co-créatrice de la série radiophonique Laisse parler les femmes, diffusée sur France Culture, et Aurélie Fontaine, journaliste et fondatrice du podcast Breton-nes et féministes. Toutes les deux expriment « l’aspect parisiano-centré » des médias. Et évoquent « le manque de parole de l’ordinaire. » Alors, Marine Beccarelli et 3 consœurs sont parties à travers la France, en milieu urbain comme en milieu rural, à la rencontre des femmes du quotidien : 

« Pour les 8 épisodes, on a décidé de ne pas choisir nos interlocutrices en amont. L’idée, c’était d’aller dans des lieux et de donner la parole à des femmes de milieux différents, d’âges différents, etc. » 

Aurélie Fontaine acquiesce. De retour il y a quelques années dans le Finistère, elle souhaite explorer son territoire sous l’angle du féminisme et « laisser la parole et faire entendre des femmes qui n’ont pas forcément conscientisé ou intellectualisé le féminisme. » Croiser les voix, multiplier les regards, rendre compte de la diversité des profils, de la pluralité des parcours. Transmettre des vécus et des récits peu relatés dans la presse. « Il y a un problème au niveau de la formation des journalistes. Dans les rédactions, on manque de pluralisme social. Ce sont majoritairement des hommes blancs, hétéros, parisiens, de 40 – 50 ans… Ils ont des biais de genre, des visions et des formations élitistes. La formation en alternance permet d’amener des étudiant-e-s qui n’ont pas les moyens financiers pour les écoles de journalisme… », analyse Aurélie, rejointe par Marine : 

« Dans les représentations, il y a peu de diversité. Dans l’animation des émissions, comme dans les invité-e-s. » 

Alors, oui, la puissance des podcasts retentit du côté des personnes silenciées. Tout comme les réseaux sociaux offrent un medium immense de visibilité et de diffusion rapide et massive de cette visibilité. « Pouvoir rencontrer ces femmes, les écouter et les faire entendre à la radio, ça nous a bouleversées et émues. Cette expérience m’a transformée et a eu un impact fort dans ma vie et dans mon sentiment de légitimité. Les retours qu’on a eu nous donnent envie de continuer ! », s’enthousiasme Marine Beccarelli. La journaliste, Aurélie Fontaine, partage son émotion : « En fait, ça me procure des sensations opposées. Je ressens de la colère car on constate à quel point on est encore loin de l’égalité. Mais je ressens aussi beaucoup de joie de rendre visibles ces femmes, de donner de la représentativité à cette parole dans l’espace public. »

Pour parvenir à l’égalité, la société a besoin d’entendre les voix et les parcours de celles qu’on a intimé de taire, de celles que l’on a réduit au silence, de celles que l’on a enfermé dans l’espace privé, relégué à la maternité, conditionné à l’infériorité… « Le vent souffle dans les branches et toutes les feuilles de la forêt émettent des sons différents, des froissements soyeux, des crissements secs. Et si je tends l’oreille, il y a parmi les bruits du vent des histoires qui, un temps, ont été jamais-dites mais qui ont fini par venir à la parole. Parce que Toni Morrison. Parce que Maya Angelou, Monique Wittig. Parce que Maryse Condé, Sarah Kane, Virginie Despentes, Leonora Miano, Zoe Leonard, Rosa Montero, Zadie Smith, Anne Carson, Chimamanda Ngozi Adichie… Leurs noms et leurs voix, un peu partout au milieu des arbres, une assemblée de Guérillères, comme une autre forêt, mouvante, que je peux emporter avec moi sur le chemin du retour… jusqu’à la table où je me remets à écrire. », conclut Alice Zeniter dans son livre Je suis une fille sans histoire, adapté par l’autrice également sur les scènes des théâtres. Raconter, donner à entendre, visibiliser. Pour que toutes aient une histoire.  

 

Célian Ramis

La résilience, entre rage, rap et paillette

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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. Trou témoigne du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience.
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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. On pourrait s’y perdre mais pas du tout. Mathilde Paillette et Lauren Sobler nous ont guidé, le 15 mars dernier, à la MJC Bréquigny, avec agilité dans Trou, témoignant du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience. 

« Je ne ferme pas ma gueule ! Je suis une enfant tombée du nid… Je ne ferme pas ma gueule ! » Elle chante de plus en plus fort. Avec ses samples, les voix et rythmiques prennent l’espace. Elles amplifient l’effet et donnent le ton : Paillette est une jeune femme libre, qui conduit des poids lourds, n’est pas biodégradable et est « méga giga indestructible. » Elle brille à l’infini et scintille, partout. Liberté, grain de folie, jovialité, légèreté… Paillette cultive tout ça en elle. Elle ne ferme pas sa gueule et elle a bien raison. Il y a chez elle cette insouciance et cette candeur de l’enfance. Et puis il y a aussi cette pression et ces injonctions de l’âge adulte, en particulier quand on est une femme. Elle passe beaucoup de temps sur les chantiers avec sa chatte, Cindy, qui adore regarder les grues et flirter avec. Mais ce jour-là, aux abords des travaux près de la gare, une grue écrabouille sa chatte et se barre, laissant Cindy meurtrie…

UNE QUÊTE COMPLEXE

Point de départ de l’histoire, le viol n’est pas directement au centre du spectacle qui s’attache, avec rage et panache, à valoriser la quête de Paillette vers la résilience. Pour cela, elle sera accompagnée de la resplendissante sirène, aux gros jambons, à l’allure décapante et aux airs de diva. Dans l’océan de larmes, le trou, le chemin qui pue, le pays magique… Paillette le dit : « Il ne faut pas mourir, je ne courberais pas l’échine. » Annihiler la souffrance. La faire disparaitre. La nier pour ne plus y penser. La colère, contre la culture du viol. L’ivresse, pour s’en échapper et ne plus étouffer. Mais même dans un pays enchanté, sans grues et sans mort-e-s, Paillette est hantée par les questions incessantes et culpabilisantes. Se justifier. Sans arrêt. Elle, la femme qui jouit sans honte et sans détour, la femme qui prend le mic’ face à un gang de mecs qui rappent, la femme qui n’a pas peur de se lancer à l’aventure, d’assouvir ses désirs et de l’ouvrir… Elle se perd. Ne sait plus ce qu’elle veut. Assaillie par la dureté des jugements, elle manque de souffle dans un univers qu’elle croyait bon mais qu’elle découvre nauséabond. Dès lors, une seule obsession : retrouver Cindy.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

Cabossée, apathique… Sa chatte est abîmée. Comme les bras de Paillette et son cœur paillasson. Alors, face à la grue, elle se confronte et affronte sa colère, qu’elle libère dans un flot de paroles assassines. Elle renverse le stigmate et lui jette à la figure. Le propos est cinglant et cathartique. Empouvoirant. La sirène peut s’en aller désormais : « Tu sais la défendre maintenant et elle, elle te guide partout ». Cindy et Paillette ne font plus qu’une et avancent, conjointement, sur le chemin de la résilience. Puisqu’il est là le sujet principal de l’histoire de Trou qui déploie humour, poésie, rap et rage dans une pièce musicale contée qui nous happe et nous saisit avec force et finesse. Au fil de ses concerts, spectacles et travaux d’écriture, Mathilde Paillette a fini par réunir tous les morceaux en un seul, Trou en est l’aboutissement. Avec Lauren Sobler, dans le rôle de la sirène, la comédienne et musicienne nous propose une exploration d’émotions diverses et contradictoires qui mènent tout droit à l’explosion et l’apaisement. C’est riche, intense et éblouissant. Parce que le duo s’autorise à puiser dans l’imaginaire enfantin, à tirer les fils de l’insouciance et de l’innocence, à dire, hurler, mimer, danser, rapper… à entremêler le rire et l’horreur, à affirmer que non c’est non et à assumer de continuer à dire oui. Parce que le duo touche au cœur, sans user la corde sensible ni les cordes vocales. Là où le bât blesse, elles trouvent les mots pour renforcer le propos. Dans des situations pourtant si difficiles à décrire, elles parviennent à doser le témoignage tout en poésie, réalisme et en ressenti. 

PLONGER SANS FILET AVEC UN DUO DE TALENT

Paillette, protagoniste et artiste créatrice, s’affranchit des codes et des étiquettes. Elle convoque les émotions, les paroles, les styles, les notions et les concepts, les secoue et se les approprie. Ne pas déranger. Ne pas faire de bruit. Ne pas bouleverser l’ordre établi. Ne pas baigner dans la vulgarité. Ne pas déborder. Paillette et Sirène envoient tout péter. Elles prennent leur place et leur espace, elles vont trop loin, elles sombrent dans la caricature, elles crient, elles tapent des pieds, elles éclatent les carcans de leur condition de femmes, elles ne revendiquent pas un engagement en particulier. Elles disent, elles font, elles cherchent, elles questionnent, elles avancent, elles s’aident, elles expérimentent et ressentent, elles s’accompagnent, elles nous embarquent avec elles, dans leurs peurs, angoisses, combats, forces, singularités, univers artistiques, succès, etc. Et on plonge. On plonge avec elles dans le trou. On tombe dans le désarroi et la solitude et on comble le vide et le trauma. On remonte à la surface, avec la puissance de l’espoir et la force de la sororité. On se délecte de cette proposition sensible qui explore les recoins d’une âme en souffrance sur le chemin de la résilience. Avec son lot de doutes, de contradictions, de faiblesses, de déni mais aussi de forces, de capacités à rebondir, à s’adapter et à sublimer et à nuancer la noirceur de la réalité. Sans la renier. Ne pas juste survivre. Remonter à la surface, respirer et vivre.

Célian Ramis

Front de Mères, pour une lutte écolo, féministe et antiraciste

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Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents ! À Maurepas, à Rennes, s'est implantée une antenne locale du syndicat national de parents, lancé à Bagnolet par Fatima Ouassak.
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Pour une lutte féministe, antiraciste et écologiste. Pour une lutte auto-organisée dans les quartiers populaires. Mais surtout pour le respect et la dignité des enfants et des parents. Ce sont là les engagements de l’organisation politique Front de mères, fondée à Bagnolet et implantée dans diverses villes de France, en Belgique et bientôt en Espagne. A Rennes, Priscilla Zamord et Aurélie Macé en sont membres. 

 

YEGG : Comment est né Front de mères à Rennes ?

Priscilla Zamord : Front de mères est né en 2021 à Rennes avec l’idée de voir comment on pouvait essayer de mener des luttes adaptées à notre territoire sur le droit des enfants, les parentalités, par rapport à des constats qu’on a pu faire sur des discriminations renforcées et une désenfantisation (c’est-à-dire considérer les jeunes mineurs parfois comme des adultes) de la part des institutions. Historiquement, on a fait venir Fatima Ouassak (fondatrice en 2016 du syndicat national, basé à Bagnolet, ndlr)pour une rencontre en 2021 à la Cohue qui nous a permis de faire le lien autour de son livre (La puissance des mères, ndlr),de rassembler, de commencer à se poser des questions et à monter un petit groupe en regardant les enjeux et les grosses problématiques des quartiers populaires concernant les enfants et les parents. On s’est mis au travail. 

Aurélie Macé : C’est très récent. C’était à l’automne 2021.

 

YEGG : Quelles sont les discriminations constatées ? 

Aurélie Macé : En tant que parent et parent délégué, c’est de se rendre compte que dans une école de quartier populaire ou une école de centre ville – ça dépend des écoles – il y a beaucoup de familles issues des diasporas ou de l’immigration post coloniale. Du coup, comment est-ce qu’entre parents, on peut faire réseau pour accompagner ces familles qui n’ont pas forcément accès à toutes les informations. Ce n’est pas que par rapport à l’action de la ville de Rennes ou de l’école, c’est comment est-ce que le quotidien est vécu quand tu te retrouves dans une situation d’OQTF (Obligation de quitter le territoire français, ndlr) ? Où est-ce que tu es hébergée quand tu es violentée par ton mari et qu’il se trouve à la sortie de l’école ? L’idée, c’est de se poser les questions de « Moi, j’emmène mon enfant à l’école là mais voilà ce qui se passe autour… »

Priscilla Zamord : Vous avez organisé un groupe de travail à ce propos. Pas en lien avec Front de mères mais vous avez eu quelques victoires.

Aurélie Macé : On s’est organisés entre parents, on s’est réuni-e-s en lien avec la ville pour voir comment on pouvait améliorer l’école et comment on pouvait être plus proches des parents en créant du contact et en traduisant ces contacts pour qu’ils soient accessibles. En étant disponibles auprès des assos d’accompagnement des migrants pour accompagner sur l’aspect de la vie quotidienne. En fait, c’est être à l’écoute des demandes et se rendre disponibles, essentiellement.

Priscilla Zamord : Le constat, c’est de se dire que dans les quartiers populaires, notamment à Maurepas, il y a eu des amendes discriminatoires pendant la période de confinement, avec des familles qui se retrouvent avec des sommes astronomiques à régler. C’était extrêmement compliqué le rapport police – population. Il y a aussi une problématique autour de la transmission et de la valorisation des mémoires des familles. Quelle est la place et la reconnaissance des langues des familles ? Quelle est la place et la reconnaissance des histoires, des mobilités aussi qu’ont pu vivre les enfants (le fait d’aller à l’étranger, de se déplacer pendant les vacances, pour moi c’était aux Antilles, pour d’autres ça va être au Maroc, en Algérie, etc.) et comment ces trajectoires-là, elles ne sont pas du tout suffisamment valorisées dans l’institution qu’est l’Education nationale ? Et puis il y a aussi des questions qui sont plutôt liées à la parentalité LGBT, aux enfants trans, par exemple. On a eu plusieurs exemples au niveau national d’enfants trans qui se sont suicidés ou qui ont vécu du harcèlement. Donc c’est aussi de voir comment on traite cette question-là. On pourrait se dire que dans les quartiers populaires, il n’y a pas d’enfants trans ou plus largement de jeunes LGBT, mais c’est qu’en fait, on ne les voit pas, ils sont invisibilisés. Il faut qu’on puisse créer des espaces safe pour accompagner les parents et les enfants. Qu’on soit en quartier populaire ou pas. Après, on ne peut pas nier les violences inter-quartiers à Rennes et c’est aussi comment on accompagne les mamans qui peuvent se retrouver dans des procédures judiciaires vis-à-vis de leurs enfants qui sont aussi stigmatisés, qui peuvent aussi être démunies en terme de ressources de droits, etc. Il y a tout un tas de chantiers. Il y a plein de constats, on ne va pas tout faire. Aujourd’hui, notre question, c’est comment on arrive à mobiliser, à rendre notre démarche accessible et fédératrice et surtout hyper simple. Et quand je dis simple, ça veut dire ambitieuse dans les objectifs mais simple dans la façon de faire. Il y a du génie politique dans les quartiers populaires mais ce n’est pas toujours évident de rendre visible et de faire de l’aller vers. Donc c’est aussi à nous de faire différemment, de se mettre dans l’action et d’organiser des choses.

Aurélie Macé : On a déjà eu des temps d’échanges entre nous.

Priscilla Zamord : Pour écouter les situations. On se contacte toutes les semaines mais après pour se rassembler, c’est un peu soumis aux conditions sanitaires. On fait des visios, on se voit, beaucoup à La Cohue. Et puis il y a des actions qu’on essaye de faire en alliance avec d’autres organisations. Je ne pouvais pas être là mais Aurélie, tu as participé à la Marche pour la vérité et la justice pour Babacar. Ça crée du lien avec d’autres collectifs.

Aurélie Macé : On était plusieurs de Front de Mères à être présent-e-s. À la fois pour montrer notre solidarité par rapport à Awa, la sœur de Babacar, dans sa démarche mais aussi pour faire le lien avec les collectifs Vérité et Justice, plus issus de Paris et de la région parisienne mais qui étaient tous présents. Et puis échanger sur les situations qu’on peut avoir à Rennes, notamment d’accompagner une des mamans pour faire le lien avec ce réseau et se rendre compte des réalités mais aussi de l’accompagnement qui peut être fait. Un des moments forts, c’était avec Assa Traoré, qui était présente, qui est d’origine malienne, et Lalla, elle-même d’origine malienne et membre de Front de Mères. C’était une rencontre forte parce qu’elles sont toutes les deux confrontées à la question de violences policières, à des degrés différents mais on est bien sur une échelle et un parcours malheureusement.

Priscilla Zamord : On parle des discriminations qui peuvent être liées à l’origine ethnique. On a eu les cas très concrets des amendes discriminatoires. On a parlé des LGBT. Mais il y a aussi l’engagement pour l’écologie. Ça c’est un peu le dénominateur commun : l’écologie sociale, populaire. Qui répond à des choses très pratico-pratiques mais qui met aussi en lumière des luttes qui ont été menées dans les quartiers populaires ou par des personnes racisées, invisibilisées. Le 10 mars, on a organisé une projection au Pôle Associatif de la Marbaudais avec Keur Eskemm et Extinction Rebellion sur l’écologie décoloniale, un film documentaire réalisé par deux jeunes citoyens qui se sont auto-organisés avec un financement participatif et qui ont fait un documentaire hyper bien sur le chlordécone aux Antilles. Il s’agit de valoriser des démarches auto-organisées sur des questions d’écologie et de s’approprier le combat, les luttes, etc. Keur Eskemm, ils sont à Maurepas, ils font un travail magnifique je trouve avec les jeunes. Et puis Exctinction Rebellion qu’on connaît aussi pour sa lutte écologique. Autant Front de Mères et Keur Eskemm, ça aurait peut-être été évident parce que c’est un peu le même territoire. Autant rencontrer Exctinction Rebellion, ce n’était pas une évidence en soi donc c’est vraiment chouette, cette alliance-là. Comme je l’ai dit, on commence avec beaucoup d’humilité dans les façons de faire mais avec une volonté très forte. On fait des actions simples, on y va, on s’y met, on voit ce que ça produit… C’est pour ça que c’est aussi un choix de commencer à Maurepas. À la base, on a été sollicité-e-s pour faire un projet « transquartierspopulaires » mais en fait, ça, ça vient après. Il faut d’abord qu’on consolide bien notre base, qu’on soit bien ancré-e-s dans un territoire, qu’on fasse des choses pratiques, qui servent aux gens, immédiates, avant de vouloir éventuellement travailler dans d’autres territoires. Et puis comme on a déjà à gérer la relation avec le national… Parce qu’aujourd’hui, il y a le QG à Bagnolet qui est ultra puissant avec Vertdragon qui est la première maison d’écologie populaire en France (avec l’alliance avec Alternatiba). C’est sur que c’est un peu les paillettes, parce qu’ils ont un super lieu, des moyens, un QG… Et puis Fatima et les autres militantes de Front de Mères, elles sont quand même bien ancrées à Bagnolet depuis des années et des années… Les habitants les connaissent et les identifient donc pour fédérer et faire venir des gens, c’est un peu plus simple. Parce qu’elles ont une histoire là-bas.

Aurélie Macé : Elles sont fédérées en tant que mamans d’élèves.

Priscilla Zamord : Donc le QG est à Bagnolet et autour il y a une antenne à Rennes, à Strasbourg, une en construction à Toulouse, en région parisienne, Pantin en cours aussi… Et puis il y a les alliances au-delà de la France. Il y a un Front de Mères très chouette et très puissant et dynamique à Bruxelles, co-créé par deux femmes dont une qui travaille dans les quartiers et une qui est avocate spécialisée dans la lutte contre les violences policières et qui a suivi des gros dossiers médiatiques en Belgique. Et puis il y a Front de Mères à Barcelone - inauguré publiquement au mois de mai - qui existe déjà. Et puis, il y a aussi des prémices à Rome. C’est chouette parce qu’on arrive à fleurir et à s’adapter aux territoires.

 

YEGG : Ce n’est pas une problématique nationale.

Priscilla Zamord : Non, la lutte contre les discriminations, l’écologie, la lutte contre les violences policières et la question de la transmission des mémoires et des héritages culturels, c’est un combat universel !

Aurélie Macé : Front de Mères est en structuration nationale et européenne et locale. C’est un syndicat. Il s’agit de trouver la forme qui correspond le mieux au fil du temps.

Priscilla Zamord : En étant dans l’auto-organisation ! Parce que pour l’instant, on n’a pas de fonds publics. Ce sont des adhésions et le financement d’une fondation. Et puis on est dans une logique de gouvernance partagée. Aurélie, toi, tu as cette expertise associative et jeunesse, et moi, c’est plutôt le champ ESS (Economie sociale et solidaire) donc on apporte cette volonté aussi de gouvernance partagée, vraiment une gouvernance démocratique, et d’être dans quelque chose de respectueux du territoire et de la forme que ça prend dans chaque ville. Ça n’a jamais été un plaquage de l’Île de France car les réalités sont différentes.

 

YEGG : Comment est-ce reçu par les familles, à Rennes ? 

Aurélie Macé : À Maurepas, du coup. Quand on en parle, quand on a pu être présentes et qu’on a pu échanger, il y a un écho positif et intéressé sur la démarche et les valeurs qui sont portées. Après de là à se réunir et s’engager, c’est une autre démarche. C’est pour ça qu’on ne veut pas multiplier les réunions mais vraiment être dans l’action et faire des choses concrètes pour réunir et fédérer des gens.

Priscilla Zamord : Nos réunions, c’est pour préparer les actions concrètes et sortir du discours. On est très au clair et aligné-e-s sur nos valeurs, sur la ligne politique qu’on défend, et c’est aussi grâce à tout le travail déjà fait par Bagnolet, avec le site, le manifeste, tout est au clair. On sait qui on est, où est-ce qu’on se situe et surtout où est-ce qu’on veut aller et qui sont les personnes/structures toxiques qu’il faut un peu dépolluer, on va dire.

Aurélie Macé : La rencontre avec Fatima Ouassak, qui avait eu lieu en septembre, a réuni toutes les personnes qui avaient pu lire son ouvrage et qui s’y reconnaissaient. Comme par exemple une des mamans que j’ai accompagnée, qui porte le voile, qui est hyper présente auprès de ses enfants, qui a poursuivi ses études, etc. Ça lui a redonné de la force de venir à cette rencontre. Et elle a vu comment elle pouvait s’engager à nos côtés mais aussi suivre un réseau.

Priscilla Zamord : On invite à nous rejoindre toutes les personnes qui se sentent concernées par le présent et l’avenir des générations actuelles et futures dans les quartiers populaires et qui sont outrées par les discriminations que peuvent vivre des enfants et cette déshumanisation qu’il y a parfois. On peut être papa, maman, ni maman, ni papa, tata, etc… Il n’y a pas d’obligation à avoir eu un enfant.

Aurélie Macé : Ça peut être aussi des personnes qui bossent dans l’Education nationale.

Priscilla Zamord : Oui, et c’est le cas d’ailleurs. Encore une fois, on est outré-e-s par les discriminations que peuvent générer l’Education nationale mais on n’est pas contre le corps enseignant. Bien au contraire, on les considère comme des allié-e-s et on est pour une meilleure reconnaissance de leur travail et de leurs conditions de travail. Il y a énormément d’autres professionnel-le-s de l’éducation nationale et populaire, parce que l’éducation, ce n’est pas que l’Education nationale, c’est aussi les médiateurs, éducateurs, animateurs, etc. qui veulent faire des choses pour être exemplaires mais qui n’ont pas forcément les outils et les ressources pour. Ils se confrontent à des murs. Et ces murs, ce sont bien ceux de l’institution. On fait bien la distinction entre les personnes et l’institution. A titre d’exemple, Goundo Diawara, historiquement secrétaire de Front de Mères, elle est CPE en banlieue parisienne, on a aussi une adhérente enseignante à Rennes… Il y a une diversité de profession au sein de Front de Mères, dont des demandeurs d’emplois, moi qui suis à côté élue, Aurélie qui est animatrice… Le dénominateur commun, c’est la dignité des enfants. Et la dignité des parents, particulièrement ceux issus de la diaspora, mais aussi de tous les parents. Les attaques haineuses de l’extrême droite consistent à dire qu’on n’est pas dans l’universalisme français, bah en fait pour nous, c’est tout le contraire. Moi ce que je trouverais universel, c’est que tout le monde se sente concerné par une discrimination ou une violence qu’a pu vivre un enfant.

 

YEGG : Certes l’organisation accueille tout le monde au-delà du genre, mais quelle dimension politique donne-t-on à ce terme de « mères » qui figure dans l’intitulé Front de Mères ?

Priscilla Zamord : En fait, c’est la mère dragon (rires). C’est la figure du dragon, de la dragonne, qui est parfaitement bien expliquée dans le livre de Fatima Ouassak : on veut absolument mettre à distance, déconstruire, et même éradiquer cette image de la mère tampon dans les quartiers populaires et cette somation de la part du gouvernement et de l’État qui en fait impose aux mères issues de l’immigration de « tenir leurs gamins », donc de les tenir à la maison, ce qui pose la question du droit à l’espace public, et de les tenir comme il faut pour qu’ils parlent bien français et puis éventuellement d’être présentes quand il s’agit d’apporter des loukoums, des accras de morue, du couscous dans les fêtes d’école ou les réunions. Alors, oui, il y a la convivialité, aucun souci mais par contre il est hors de question d’être assignées à ce rôle de mères tampons. C’est pour ça qu’on parle de mères dragons, on ne rigole pas du tout en fait. Il y a eu tellement de dinguerie ces derniers temps, je ne peux pas m’enlever de la tête cette image de collégiens ou lycéens, agenouillés par la police, c’est hyper violent.

Aurélie Macé : C’est une image forte et extrême et on ne veut pas de ça en France (et on ne s’arrête pas à la métropole) et dans nos quartiers.

Priscilla Zamord : Nous savons, et je vais rester vague parce que je fais attention, qu’il y a des forces de l’ordre qui se sont moquées de jeunes qui étaient en chantiers collectifs sur l’espace public, en présence d’éducateurs. Ils ont été humiliés et moqués et ce sont des situations qui sont inacceptables. On parlait des amendes discriminatoires pendant les périodes de confinement et encore maintenant. La semaine dernière, je participais à un débat au musée de l’histoire de l’immigration à Paris qui s’appelait « Banlieues en lutte : quel héritage et quel combat actuels ? » et en fait on voit bien que l’urgence, c’est de faire un inventaire – je ne sais pas si on peut dire comme ça – ou une démarche un peu archéologique pour mettre en évidence toutes les luttes qui ont émergé dans les quartiers populaires et qui ont abouti à des victoires. Ces victoires-là sont trop invisibilisées alors qu’elles sont inspirantes pour les habitants et les jeunes qui ont besoin de figures et d’être inspiré-e-s par des personnes. Et faire aussi l’inventaire des échecs. Et j’en viens à un sujet politique : la gauche a fait énormément de mal aux luttes des quartiers populaires et on l’a bien vu avec la Marche de l’égalité dont on fêtait les 40 ans qui a abouti à une instrumentalisation pour créer SOS Racisme et mettre sous cloche l’urgence de déconstruction et de mesures fortes. Ils ont créé SOS racisme et cette logique de Touche pas à mon pote comme si les gens n’étaient pas capables de s’auto-défendre et s’auto-organiser. Donc une approche un peu malsaine entre du caritatif et de l’instrumentalisation… Ça, évidemment, c’est hyper violent. C’est pour ça que je trouve que depuis 40 ans la gauche (dans son entièreté), elle a plutôt mis la lutte antiraciste sous le tapis et donc il y a une rupture de confiance de la part de certains habitants vis-à-vis de l’engagement politique parce qu’on a l’impression tout le temps d’être disqualifié-e ou d’être récupéré-e quand on a de la belle matière grise et qu’on fait de belles actions… On manque d’allié-e-s à gauche et on est attaqué-e-s à la jugulaire par l’extrême droite avec la néofascisation de la France et la monopolisation de l’espace médiatique par des ambassadeurs des ténèbres (de la droite extrême à l’extrême droite). Du coup, dès qu’on a une démarche qui revendique nos droits et tout simplement l’égalité, on est taxé-e-s d’indigénistes, de communautaristes, de wokistes, d’amish aussi. Et comme ça, c’est matraqué, ça ne donne pas envie de s’engager. Parce que ça fait peur. Il faut pouvoir gérer déjà au quotidien les habitants des quartiers populaires, l’impact des discriminations sur la santé, et en plus il faut s’engager en ayant une forme de courage et de solidité morale… Et physique et émotionnelle… pour faire face à ça. Donc quand on est en distorsion comme ça, entre plusieurs choses, soit on est dans l’abandon, soit on est dans le combat. Nous, ce qu’on essaye de faire avec Front de Mères, c’est de détricoter un peu les choses et d’essayer de montrer aux gens que par des choses très simples, on peut s’engager et essayer de trouver de la ressource collective pour essayer de mieux vivre son quotidien, mieux accompagner son gamin quand il a vécu une inégalité, une injustice ou une violence, changer les habitudes et valoriser les pratiques écologistes qui existent depuis super longtemps dans les quartiers populaires, comme le réemploi par exemple même si c’est parfois lié à la précarité… Il faut faire commun et se retrouver autour de moments joyeux.

Aurélie Macé : Je pense que c’est une des forces de Front de Mères. Cette image des mères qui s’occupent des enfants, qui font à manger, etc. Mais être femme, ce n’est pas cantonné à ça. C’est aussi se réunir ensemble et créer de la force dans ce qui est collectif. Et dans le livre de Fatima Ouassak, elle rappelle les autres mouvements de femmes, et ça redonne le pouvoir d’agir.

Priscilla Zamord : C’est très politique. Et dans la diversité des luttes, par exemple, Fatima, elle me parle toujours de Plogoff. Enfin, elle l’évoque souvent, l’importance du combat des femmes à Plogoff et je trouve ça génial. Voilà, Bagnolet-Finistère, même combat ! (Rires) Les alliances sont possibles à partir du moment où on est dans le respect et la non instrumentalisation des luttes. C’est pour ça que je ne parle pas de convergence des luttes. Je préfère alliance. Chacun est soi-même mais on travaille ensemble sur des projets qui nous réunissent de temps en temps, pour faire force.

 

YEGG : Et avec les forces féministes rennaises ? 

Priscilla Zamord : On a participé à la Coordination féministe qui a eu lieu en janvier à Rennes. Je suis intervenue le matin, j’ai co-animé un atelier sur l’écologie et le féminisme. Et Front de Mères a animé un atelier dans le cadre des événements organisés les 12 et 13 mars, à Maurepas(festival Big up, à la Maison de quartier de Villejean, ndlr).D’autres projets sont envisagés avec d’autres structures, je pense aux Marie Rose par exemple. Il y a des choses en perspective.

Aurélie Macé : Il y a du lien par exemple sur le quartier avec le GRPAS.

Priscilla Zamord : Je reviens sur les modalités d’engagement, de manière générale, pas que dans les quartiers populaires, le covid a produit des changements de pratique. On a vu plein de solidarités informelles inspirantes dans les quartiers. Je pense que c’était très très dur ce qu’ils vivaient et j’ai vu plus de solidarité dans le quartier à Maurepas que quand j’ai habité dans le quartier sud gare (où je vivais lors du premier confinement) et où mes voisins ne m’adressaient jamais la parole. Quand je disais bonjour, on ne me répondait pas. Ce n’est pas la seule raison mais ça a participé à me faire revenir à Maurepas. Il y a aussi une forme de bénévolat ou d’engagement qui peut être en pointillé et c’est pas grave. Selon les modes de garde, les temps de travail, etc. on peut venir en one shot, c’est pas grave en fait.

Aurélie Macé : On a envie de montrer qu’on est présentes et c’est pour ça qu’on ne peut pas être sur tous les quartiers aujourd’hui. On veut être bien à Maurepas et être présentes le jour où il y a besoin. C’est important d’être repérées comme ça le jour où il y a besoin, la maman puisse venir pour nous alerter sur une situation de discrimination.

Priscilla Zamord : Et nous, on essaye d’activer tous les réseaux ou de la ressource. Typiquement de l’accompagnement juridique, identifier le bon avocat, faire de la collecte de témoignages, etc.

Aurélie Macé : Et la maman n’a pas besoin d’être adhérente. Simplement savoir qu’elle peut interpeler un réseau de proximité.

Priscilla Zamord : On peut être militant ou activiste de manière ponctuelle. Chacun fait comme il peut. On peut avoir le pied dans plusieurs structures. L’hybridation du militantisme, il n’y a aucun souci avec !

 

YEGG : Concernant les alliances avec d’autres groupes, quand on regarde l’histoire par du féminisme, on voit cette alliance avec les femmes racisées, les personnes LGBTIQ+. Mais aujourd’hui, de cette histoire, on ne retient quasiment que des femmes blanches, hétéros, etc. Quand on pense aux années 70, on parle contraception, avortement, tout en blanc. Comment appréhendez-vous ces alliances pour que ça ne reste pas anecdotique ? Comment fait-on pour ne pas répéter l’histoire ?

Priscilla Zamord : La question de comment faire alliance pour ne pas être invisibilisées après, c’est une très bonne question. Qui résonne à plusieurs titres. Sans entrer dans les détails… je pense que Front de Mères a été tellement observatrice ou en connaissance de phénomènes comme ça de récupération – qui sont une forme de violences – qu’on repère assez vite les groupes mal intentionnés. On ne rigole pas du tout, je ne sais pas comment le dire autrement. Donc oui à l’alliance mais pas à n’importe quel prix. Pour moi, il y a un vrai contrat de réciprocité qu’il faut établir avec les autres organisations. Être dans quelque chose de coopératif mais pas dans quelque chose de l’ordre de la récupération. On est hyper au taquet là dessus. On a une expertise et des héritages où il y a eu tellement d’extorsion qu’on fait attention. Sur la lutte féministe, c’est pareil. On a une telle expertise d’usage au quotidien dans les quartiers populaires qu’on ne peut plus nous la faire à l’envers. Ce n’est plus possible. C’est plus sur la théorie où parfois je vois des glissements. Comme sur l’intersectionnalité par exemple. Y a moyen à un moment de juste revenir sur la genèse ? Kimberlé Crenshaw, juriste afroaméricaine, qui a définit l’intersectionnalité par l’origine ethnique et les discriminations qui venaient autour se compléter. Et aujourd’hui, je vois parfois des féministes qui ont complètement évacué la question de la discrimination raciale et qui se disent « tiens on va y mettre un peu de LGBT, de handicap, etc. ». Non, ça ne marche pas comme ça. Un peu de respect pour celles qui ont conçu, conscientisé, lutté… MeToo, c’est pareil. On dit que c’est Alyssa Milano qui l’a lancé aux Etats-Unis alors que non c’est une afroaméricaine, Tarana Burke, qui a lancé le hashtag. Elle a été complètement invisibilisée.

Aurélie Macé : Et justement le but de Front de Mères, c’est de rendre visibles les invisibles. Par les premières concernées. Ça fait partie des discussions dans le groupe sur la place des un-e-s et des autres. C’est important !

Priscilla Zamord : Et puis, un travail qu’il faudra qu’on fasse à un moment donné sur Front de Mères, localement, c’est de rendre visibles les personnes qui ont participé à des changements, des luttes, issues des minorités qui ont été invisibilisées, ou des personnes actuelles qui ne sont pas forcément dans des luttes mais qui sont des figures culturelles de cette diversité à Rennes et qu’on ne voit pas.

 

YEGG Magazine : Merci à vous.

Célian Ramis

Lumières sur les féminicides à l'encontre des personnes sexisées

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C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
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C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. À Rennes, à l’appel du collectif NousToutes35, plusieurs centaines de personnes se sont réunies pour une manifestation en femmage aux victimes de féminicides.

ON NE NAIT PAS FEMME MAIS ON EN MEURT - Chaque année, plus d’une centaine de femmes meurent en France, tuées par leur conjoint ou ex conjoint. Le 24 novembre, le compte Féminicides par compagnons ou ex indiquait que ce nombre était porté à 103 depuis le 1erjanvier 2021. Depuis, 2 autres féminicides ont été recensés.

Samedi 20 novembre, l’association Ouest Trans organisait un rassemblement dans la capitale bretonne pour la Journée du Souvenir Trans – Trans Day of Remembrance (TDoR) – afin de commémorer la mémoire des personnes trans assassinées ou poussées au suicide. Cette année, selon les chiffres du Trans Murder Monitoring, ce sont 375 personnes trans tuées, soit 7% de plus que l’an dernier.

La structure rappelle : « Ce que ce chiffre nous montre c’est que certaines personnes trans sont plus touchées par cette violence que d’autres. Dans ces chiffres, on trouve quasiment exclusivement des femmes trans, une grande partie d’entre elles sont aussi travailleuses du sexe, racisées ou migrantes. L’intersection entre les différentes oppressions, la transmisogynie, la putophobie, le racisme, la xénophobie est d’autant plus dangereuse. Le climat actuel ouvertement islamophobe et raciste et les politiques visant à criminaliser les travailleuses du sexe vont dans ce sens-là et ce sont donc sur ces points que nous devons lutter. »

En effet, à la suite de la marche de ce 25 novembre et de la projection du filmEmpower au 4 Bis à Rennes, Doris, secrétaire du Strass (Syndicat du travail sexuel en France) et fondatrice des Pétrolettes (Association de développement communautaire pour lutter contre les violences faites aux femmes et autres minorités avec et pour les travailleur.ses du sexe) souligne que les assassinats de travailleuses du sexe ne sont pas pris en compte au même titre que les meurtres de femmes dans le cadre des violences conjugales. 

VOUS N’AUREZ PLUS JAMAIS LE CONFORT DE NOS SILENCES

La banderole trône en tête du cortège qui s’élance de République jusqu’à l’esplanade Charles de Gaulle, en passant par l’avenue Janvier et la gare. À 18h, bougies et flambeaux s’embrasent parmi la foule qui brandit lumières, drapeaux syndicaux et militants et pancartes, rappelant que « Céder n’est pas consentir » ou encore la lutte « contre les violences sexistes et sexuelles au travail ». 

La sono laisse entendre des chants partisans, contre les féminicides. Pas de prise de paroles militantes ce soir-là, le collectif NousToutes35 souhaitant les réserver pour la grande marche organisée ce samedi 27 novembre, mais la foule fait tout de même entendre sa voix et entame l’hymne qui rythme les manifestations féministes. « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! »

Une autre manifestation a réuni plusieurs milliers de personnes ce samedi 27 novembre pour dénoncer l’ensemble des violences sexistes et sexuelles subies par les personnes sexisées. Un départ était donné à 14h de Kennedy, Henri Fréville et Joliot-Curie, en direction de l’esplanade Charles de Gaulle, d’où est parti le cortège à 15h. Prochainement, on en (re)parle sur yeggmag.fr !

Célian Ramis

Artistes : un parcours semé d'embûches pour elles

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Quel lien peut-on établir entre précarité des intermittent-e-s et invisibilisation des femmes artistes ?
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En mars 2021, le collectif Les Matermittentes publie un communiqué demandant des mesures d’urgence pour les salarié-e-s discontinu-e-s qui ne perçoivent plus de congé maternité et maladie indemnisé. En juillet 2021, HF Bretagne publie un diagnostic sur la représentation des femmes dans les arts. Mais quel lien peut-on établir entre précarité des intermittent-e-s et invisibilisation des femmes artistes ?  

Aujourd’hui encore, des femmes salariées ne sont pas indemnisées pour leurs congés maternités. Ou très faiblement. Amandine Thiriet, comédienne et chanteuse, co-fondatrice du collectif Les Matermittentes explique :

« C’est encore possible, même en étant salariée. Ca concerne surtout les emplois discontinus, c'est-à-dire les intermittentes du spectacle mais pas que : cela concerne toutes les intermittentes de l'emploi ».

En somme, toutes les personnes qui alternent des périodes de contrat et de chômage. Le problème, c’est que, pendant longtemps, atteindre le seuil nécessaire était complexe : le système d’indemnisation privait des femmes du congé maternité. Et comme l’explique la bénévole, les conséquences peuvent être graves :

« Une femme qui a un enfant peut être condamnée à n’avoir pas de revenu ou un revenu de misère le temps de son congé maternité et donc, en terme d’indépendance financière, d’autonomie et d’engrenage de précarisation, c’est assez grave et c’est cela qu’on dénonce. »

Quand le collectif est créé en 2009, les membres sont directement concernées : initialement appelées Les recalculées, elles dénoncent un mauvais calcul de Pôle Emploi, pénalisant lourdement les intermittentes. Elles occupent les CPAM, les agences Pôle Emploi, font du bruit et obtiennent partiellement gain de cause.

L’expertise qu’elles acquièrent pendant leur combat leur permet d’analyser le système d’indemnisation et les inégalités qui en découlent. En effet, le système d’équivalence avec Pôle Emploi est défaillant : des femmes perdent leur intermittence car elles ont un enfant, les indemnisations sont trop basses et mettent les concernées dans des situations de précarité importante.

Rebaptisé Les Matermittentes, le collectif saisit le Défenseur des Droits et c’est seulement deux ans plus tard, en 2012 que les politiques se saisissent du sujet, constatant une inégalité. En 2015, elles obtiennent un abaissement des seuils, jusque-là démesurés, pour l’accès au congé maternité et en 2016 avec les syndicats, elles réussissent à faire changer la manière dont celui-ci est pris en compte dans l’assurance chômage pour que ce ne soit plus discriminant. 

NE RIEN LÂCHER

Malgré ces évolutions encourageantes, le travail du collectif ne s’arrête pas là. Depuis 2017, les Matermittentes sont très - trop - souvent sollicitées pour des cas d’erreur de calculs, des refus d’indemnisations et des refus de congés maternités. En cause ? Des mesures insuffisantes et le risque d’un retour en arrière important avec la réforme de l’assurance-chômage actuellement en débat.

La méthode de calcul imaginée va en effet très lourdement pénaliser les personnes qui alternent des petits contrats. La crise sanitaire et sa gestion ont également accentué ces inégalités. Plus généralement, ce sont les discriminations et le manque de reconnaissance liées aux emplois discontinus que le collectif dénonce :

« Quand on écoute Elisabeth Borne (Ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, ndlr) au Sénat, elle parle comme si les professions discontinues choisissaient leur manière de travailler : si on ne travaille qu’un jour sur deux, c’est de notre faute, on a qu’à trouver un CDI ! Mais ce n’est pas vrai, (...) il faut reconnaître qu’il existe des pratiques de travail. On ne peut pas être tous les jours en représentation ou en tournage ! »

UN MANQUE DE REPRÉSENTATION 

En juillet, HF Bretagne publie un diagnostic sur la représentation des femmes dans les arts. En portant des valeurs de féminisme, collégialité et de transversalité, il souhaite agir pour faire avancer l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Avec cette étude, qui existe depuis 2014, publiée tous les deux ans, l’objectif est de compter, révélant ainsi cet écart majeur en défaveur des femmes, à la fois dans les équipes artistiques, les équipes permanentes et de direction. Lucile Linard, coordinatrice de l’association explique :

« Le diagnostic légitime notre action, c’est dire “voilà la photographie de la réalité” mais c’est aussi pour responsabiliser les structures et faire prendre conscience que même si on a l’impression que ca avance, en fait, pas vraiment, ca avance très très lentement. C’est pour ça qu'on compte. »

Cette année le collectif a fait le choix de changer sa méthodologie permettant de mettre en lumière de nouvelles informations et de nouveaux indicateurs, comme les budgets, la communication, l'accueil de résidence, etc. Le diagnostic permet de rendre compte d’une situation qui évolue, mais encore trop doucement.

Dans les arts visuels, on constate par exemple des chiffres encourageants avec une hausse de 6 points de pourcentage entre 2014 et 2019 : les femmes représentaient 29% des artistes exposées contre 35% en 2019. Mais le combat est loin d’être fini ! De plus, les femmes, si elles sont plus exposées, c’est surtout dans les expositions collectives que monographiques. Elles sont donc davantage invisibilisées …

Dans les musiques actuelles et les musiques traditionnelles, on retrouve les plus grosses inégalités avec des chiffres choquants : sur 562 concerts étudiés, 3 se sont déroulés sans aucun homme et 71 sans aucune femme. Soit 12,5% des concerts sans femmes.

Lucile s’indigne « Comment se projeter quand on est habitué-e à ça ? Il y a un mouvement de dénonciation avec Music too, mais on est encore trop habitué-e à ne pas voir de femmes sur scène. » 

UN PROCESSUS D'ÉVAPORATION DES FEMMES ?

On le sait, les diplômées sont là. Pourtant, elles sont moins exposées. Dans le focus sur les arts visuels, elles comptent : aux écoles d’art sur l’année 2019-2020, ce sont 72% de femmes diplômées. Et déjà, sur les bancs de l’école, les étudiantes ne peuvent pas se projeter : ce sont 53% d'enseignants, 62% d’artistes masculins intervenants.

Mathilde Dumontet, chargée d’étude pour le diagnostic, souligne : « Quand on leur enseigne, quand elles vont voir des expositions, il y a un manque de représentativité, elles ne voient que des hommes. La figure de l’artiste est masculine. Ça limite le “oui, moi aussi, je peux le faire”. »

De plus, les violences sexistes et sexuelles ainsi que les discriminations vécues dès l’école participent à écarter les femmes des parcours artistiques à la fin de leurs études. Les mots de trop, un projet mené par 3 étudiantes de l'EESAB de Rennes fin 2019, met en lumière ces discriminations.

Sous forme d’une enquête et d’un projet graphique, elles ont récolté au total 343 témoignages d’élèves. Le sexisme est une des formes de discriminations le plus vécu parmi toutes les expériences citées : racisme, validisme, homophobie, etc. Notons qu'elles sont toutes cumulables et prennent des formes variées, allant de l’humour oppressif au harcèlement. En tête des attitudes discriminantes : l’équipe pédagogique. Lucile Linard explique :

« Régulièrement on se demande pourquoi cet écart entre les diplômées et les femmes actives ? On parle d’un processus d’évaporation. Pourquoi est-ce qu'elles s’évaporent après leurs études ? Peut-être que ces violences, ces discriminations vécues dès l’école, ce sont des pistes de réflexion. » 

TALENT, NOM MASCULIN ? 

Sur le site d’HF Bretagne est écrit en gros “Talent = Moyens + Travail + Visibilité". La coordinatrice explique l'importance de ce slogan : encore aujourd’hui, trop de personnes pensent que le manque de représentation des femmes dans les milieux artistiques est dû à un manque de talent. Sans moyens, comment rendre le travail des femmes artistes visibles ?

Le collectif Les Matermittentes et sa mission d’accompagnement permettent de révéler les inégalités et les risques de précarité importants pour les femmes. Une étude publiée en mai 2021 par la DARES « Emploi discontinu et indemnisation du chômage : Quels usages des contrats courts ? » montre que les femmes sont surreprésentées dans les emplois discontinus.

Elles seront donc les premières touchées par la réforme d’assurance-chômage. Amandine Thiriet dénonce une stratégie : « C’est hypocrite car ils font comme si c’était de la faute des employé-e-s alors qu’ils encouragent en même temps cette économie de la précarité : ils voudraient que ces gens ne soient pas salarié-e-s mais indépendant-e-s, la stratégie c’est d’enlever les indemnités. C’est un combat pour une protection sociale qui touche surtout les femmes. »

Les violences sexistes et sexuelles, l’expérience des discriminations mais aussi les violences matérielles et le manque de moyens qui touchent les femmes participent et accentuent le phénomène d'évaporation des femmes artistes après leurs études. Dans les équipes permanentes se sont majoritairement des femmes.

Une évolution partiellement victorieuse, car si les femmes sont plus présentes, on constate toutefois que leur présence diminue quand les moyens et les budgets augmentent. Plus il y a d’argent dans les structures, plus il y a d’hommes. Mathilde Dumontet commente :

« On parle d’évaporation des femmes mais on constate aussi un phénomène d’apparition des hommes. »

Des différences de moyens, qui entraînent aussi des visibilités inégales. 

Les actions des associations et collectifs comme les Matermittentes et HF Bretagne sont colossales et encourageantes. Le travail pour l’égalité est immense et les avancées encore fragiles. HF Bretagne prévoit ainsi déjà un autre diagnostic sur l’impact de la crise sanitaire dans les arts. Comme les Matermittentes, le collectif s'inquiète des conséquences dans le milieu artistique. Ainsi, compter, analyser, se mobiliser et se soutenir permet de faire face et de faire avancer l’égalité, la visibilité et les représentations des femmes artistes. 

Célian Ramis

Violences sexuelles : Les voix de la colère

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Action publique – L’association Prendre le droit a fait entendre les voix de 55 victimes de violences sexistes et sexuelles qui ont témoigné d’un mauvais accueil de la part des forces de l’ordre et de la Justice, dans le cadre d’un dépôt de plainte ou d’une enquête judiciaire.
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Action publique – Samedi 20 mars, l’association Prendre le droit a fait entendre les voix de 55 victimes de violences sexistes et sexuelles qui ont témoigné d’un mauvais accueil de la part des forces de l’ordre et de la Justice, dans le cadre d’un dépôt de plainte ou d’une enquête judiciaire.

« Vous avez eu des menaces ? Des coups ? Non ? Alors, ce n’est pas un viol… » Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol. « Ce sont des choses qui arrivent dans un couple. » Un procureur, dans le cadre d’un procès pour viol conjugal. « Si c’était aussi dur que vous le décrivez, pourquoi êtes-vous restée 3 ans ½ avec lui ? Il fallait partir. » Même situation. « L’amnésie traumatique, c’est des conneries. À 12 ans, on se souvient de ce genre de choses. »

Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour inceste. « Vous êtes sure que vous ne l’avez pas un peu provoqué ? Un peu chauffé ? ». Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol digital. « Vous comprenez, il y a trop d’agressions sexuelles ici, faut pas s’attendre à quoi que ce soit. » Un gendarme, lors d’un dépôt de plainte pour viol. « Mais c’est quoi cette mode de porter plainte pour viol ? Depuis BalanceTonPorc, c’est devenu du n’importe quoi ! » Un policier, lors d’un dépôt de plainte pour viol. 

LA DOUBLE PEINE

Ce samedi de mars, à République, 55 témoignages recueillis par l’association rennaise Prendre le droit sur les réseaux sociaux via les hashtags #PayeTaJustice, #PayeTaPlainte et #PayeTaPolice sont déclamés à plusieurs voix par les bénévoles de la structure. Ce qu’elles dénoncent : le mauvais accueil des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles par les forces de l’ordre et la Justice.

« Il y a une vraie double peine à être victime et à chercher une protection qui n’arrive pas. Et même qui broie les femmes car on leur dit que ce n’est pas si grave. C’est ce mécanisme qu’on dénonce. Le fait qu’on demande aux femmes de fournir la preuve qu’elles se sont débattues, qu’elles n’étaient pas consentantes, etc. »
nous explique Gabrielle Jarrier, militante féministe investie dans l’association depuis 2 ans.

Banalisation des faits, remise en cause des propos et de la sincérité des victimes, sexisme, découragement pour le dépôt de plainte… Les premiers contacts avec celles et ceux chargé-e-s d’enquêter et de rendre justice sont encore majoritairement problématiques, malgré les annonces du ministère de l’Intérieur qui début 2021 défendait que « 90% des femmes ayant porté plainte en 2020 pour des faits de violences conjugales étaient satisfaites de l’accueil en commissariats et gendarmeries. »

Peu convaincues par la réalité de ce pourcentage, considéré comme décalé par rapport à ce qui est constaté sur le terrain par le tissu associatif et militant, le collectif #NousToutes a lancé une enquête auprès de personnes ayant tenté de porter plainte ou ayant porté plainte pour des faits de violences conjugales, violences sexistes ou sexuelles. En 15 jours, 3 500 témoignages, venant majoritairement de femmes ainsi que de personnes non binaires, principalement majeures, ont été récoltés. Sur l’ensemble, 66% des répondantes font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des faits de violences sexuelles. 

CULTURE DU VIOL

« C’est un problème de société. Si on a choisi de faire cet événement dans l’espace public, c’est parce que ce n’est pas un problème individuel. Il faut que les femmes s’organisent et que les hommes, socialisés en tant qu’hommes, entendent toutes ces choses. », souligne Gabrielle Jarrier.

Elle pointe là la culture du viol dont toutes les sphères de la société sont imprégnées. Et les phrases entendues par les victimes de violences sexistes et sexuelles, que ce soit dans les commissariats, les gendarmeries ou les tribunaux le prouvent régulièrement. Le mythe du prédateur est établi depuis longtemps, laissant penser que les agresseurs sont généralement racisés et tapis dans l’ombre d’une ruelle ou d’un parking, prêts à bondir sur les femmes qui rentrent seules le soir et la nuit.

Pourtant, 80% des agressions sexuelles et viols sont commis par des proches, membres de l’entourage ou de la famille, des victimes. Toutefois, la parole des personnes sexisées est banalisée, mise en doute, voire en accusation quant à sa tenue et son comportement. On condamne finalement celles qui franchissent les portes des forces de l’ordre et des parquets et on retourne le processus contre elles : elles sont culpabilisées, elles sont rendues coupables. Tout du moins, suspectes.

« Pourquoi n’avez-vous pas crié ? Pourquoi êtes-vous restée passive ? », « Allez, oubliez, ça arrive pendant les vacances de faire un faux pas. », « Comment était votre pyjama ? Parce que l’agresseur a surement eu des idées en vous regardant dormir ! », « Si vous n’aviez pas consommé d’alcool, il ne vous serait rien arrivé. », « On ne va pas fouiller à toutes les portes sous prétexte que vous êtes imprudente… ».

Et puis, dans certains cas, on défend l’accusé : « Vous savez, c’est sérieux, il risque la prison. Sa vie ne sera plus jamais la même. Vous êtes sure de vouloir continuer ? » ou encore « Il va se marier dans deux mois. Vous voulez lui gâcher la vie ou quoi ? Vous avez une idée du prix du traiteur ? » 

UN TRAITEMENT À LA RACINE, PAS UN PANSEMENT !

Pour la membre de Prendre le droit – Féministes pour un monde sans viol(s), il est urgent de faire évoluer les mentalités et de former tou-te-s les agent-e-s de la chaine policière et judiciaire, accueillant des victimes de violences sexistes et sexuelles. Elle rappelle les chiffres du ministère de l’Intérieur – là où à sa tête, Gérald Darmanin est visé par des enquêtes pour harcèlement et viol – ainsi que de l’enquête VIRAGE, réalisée en 2014, autour des violences : 80% des plaintes pour viols et agressions sexuelles sont classées sans suite, 1% des viols aboutit à une condamnation « et souvent, les peines ne sont pas bien lourdes » et 95% des affaires de violences sexistes et sexuelles sont perpétrées par des hommes.

Sans parler de tous les crimes de viols correctionnalisés, c’est-à-dire renvoyés vers le tribunal correctionnel qui requalifie l’acte ou les actes en agression-s sexuelle-s. « On ne peut pas comprendre les viols conjugaux sans formation. Ni même les différentes réactions qui peuvent survenir lors d’une agression, l’amnésie traumatique, etc. Ça touche aussi la santé mentale des femmes, c’est une question de santé publique : comment les traumas mettent les femmes au banc de la société quand elles pètent les plombs parce que la mémoire leur revient des années après sans que personne comprenne ! Souvent, on nous demande des formations. On n’est pas ultra d’accord sur le fait que ce soit encore une fois aux forces associatives de faire ça ! Ça devrait être une mission de service public. », commente Gabrielle Jarrier.

A la suite de leur rencontre avec le procureur Philippe Astruc, elle le dit clairement : « Il y a des avancées. Il veut renforcer le pré accueil car il le dit, tous les agents ne pourront pas être formés. En gros, il y a peu de moyens et des affaires, il y en a trop. Sur le pré accueil au commissariat de Rennes, on a des témoignages très différents. À la brigade des mœurs, il semble que ça s’arrange un peu. Mais ça manque toujours de bienveillance… Il faut un positionnement politique fort par rapport à tout ça. On ne veut pas des mesures pansements, on ne veut pas mieux vivre les violences : on veut les éradiquer à la racine ! Il y a beaucoup de chemin à parcourir. »

Alors pour l’association, qui à l’année accompagne de très nombreuses femmes victimes de violences dans les procédures juridiques mais aussi dans le conseil et l’orientation en vue d’une prise en charge, il est important de porter ces paroles dans l’espace public. Pour changer l’imaginaire collectif mais aussi pour aider celles qui se sentiraient isolées après avoir subi agression-s sexuelle-s, viol-s, violences conjugales, insultes, menaces, etc.

« Ça aide aussi dans la réparation de poser un discours féministe et de savoir qu’on n’est pas seules. Que ce n’est pas un coup de pas de bol, ça dépasse les cas individuels. »
explique la militante. 

Informer. Autour des lois mais aussi de ce qui régit les inégalités entre les hommes et femmes et permet à la domination masculine, mais aussi au racisme, des LGBTIphobies, du validisme, etc. de perdurer. Écouter les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Sans remettre en cause son témoignage. En commençant par une parole toute simple : « Je te crois ». Prendre la parole et le droit, libérer l’écoute, des actions qui paraissent banales, et qui pourtant ont été confisquées aux personnes sexisées et racisées.

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