Célian Ramis

Les suppliantes : l'appel à l'humanité

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ADEC, Rennes
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Le Théâtre du Tiroir fait du texte d'Eschyle, Les Suppliantes, un chantier citoyen, invitant sur les planches, des comédien-ne-s amateur-e-s français-es et étranger-es-s, demandeur-se-s d’asile, à prendre la parole. Celle, souvent, de leur propre histoire.
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Près de 2500 ans après son écriture, le texte d’Eschyle, poète de la Grèce antique, reste terriblement d’actualité. Mêlant menaces de mort, droit d’asile et liberté des femmes, la pièce Les Suppliantes est adaptée par le metteur en scène lavallois Jean-Luc Bansard, du Théâtre du Tiroir. Celui-ci en fait un chantier citoyen, invitant sur les planches, des comédien-ne-s amateur-e-s français-es et étranger-es-s, demandeur-se-s d’asile, à prendre la parole. Celle, souvent, de leur propre histoire. Le 23 novembre dernier, une quarantaine de personnes et une quinzaine de nationalités et de langues s’entremêlaient sur les planches de l’ADEC, à Rennes. 

« La mort plutôt que le viol ! » C’est le cri des Danaïdes. Cinquante femmes libyennes réfugiées dans le temple de Zeus, dans la cité d’Argos en Grèce, après avoir traversé la Méditerranée pour fuir leurs cousins les Egyptiades qui les pourchassent pour les épouser de force. Face au Prince, elles demandent asile tandis que leur père Danaos, part chercher de l’aide auprès du peuple.

« J’ai peur de l’ombre. Que la question des étrangers n’apporte pas le trouble ! », déclame le souverain, craignant une guerre causée par l’accueil de ces femmes. Elles qui tiennent le signe des suppliantes, dans ce lieu célébrant le dieu des demandeurs d’asile. Elles qui prouvent, par le récit du mythe d’Io, descendre des mêmes ancêtres. Elles qui devant les hommes s’affichent en guerrières, refusant la fatalité supposée de leur condition :

« Jamais nous n’accepterons de leur être soumises. Sois du côté de la Justice et décide ! »

Devant la détermination, le courage et l’appel à l’aide des Danaïdes, le Prince s’en remet à la démocratie : « Si la cité est en danger, c’est à la cité de trancher ! » À l’unanimité, les grecs se proclament en faveur de leur protection, décision qui déclenche la colère des Egyptiens, qui décident alors de rentrer en guerre. 

LA CRÉATION D’UN CHANTIER CITOYEN

« La fiction de Eschyle rejoint la réalité d’aujourd’hui », explique Jean-Luc Bansard, metteur en scène et créateur du Théâtre du Tiroir, à Laval, dans le documentaire Hospitalières et Suppliantes, diffusé sur France 3 Pays-de-la-Loire, le 12 novembre dernier (à revoir sur le site de la chaine).

C’est un passionné et un humaniste. Depuis 30 ans, il anime le Théâtre du Tiroir de sa curiosité pour les cultures du monde qu’il découvre au fil de ses nombreux voyages. Amoureux des littératures et des langues, le déclic opère lorsqu’il entend parler du texte d’Eschyle. Il l’intègre dans ses chantiers citoyens, conçus pour faire se rencontrer sur les plateaux de théâtre et dans les salles, le maximum de personnes d’origines et de cultures différentes.

« J’ai lancé un appel à toutes les femmes qui voulaient parler du sujet des mariages forcés. J’ai eu une douzaine de femmes. Ensuite, j’ai cherché des femmes réfugiées dans les centres d’alphabétisation, au 115, etc. Il y avait pas mal de difficultés car elles ne connaissaient pas toutes la culture et la langue française et le théâtre. Sont venues des femmes algériennes, albanaises, guinéennes… On a fait des duos : une femme française / une femme étrangère. Et à chaque fois, les françaises ont du apprendre au moins une phrase dans la langue de sa binôme. », s’enthousiasme-t-il.

Il peut parler des heures durant de ses rencontres et de ce qui l’anime dans le théâtre : « Le théâtre, c’est se tenir debout et dire quelque chose au monde. Et là, c’est formidable, un cordonnier d’Erythrée porte la parole d’Eschyle. Pour moi, c’est le meilleur résultat de ce spectacle. Un paysan de Guinée parle au monde entier à travers Eschyle. Une femme de ménage française qui travaille dans les écoles de Laval, elle dit une parole qui a 2500 ans. Que demande-t-on au théâtre, si ce n’est qu’il porte la parole des plus humbles d’entre nous ? » (extrait du documentaire de Pierre Guicheney). 

DES FEMMES LIBRES ET PUISSANTES

Sur scène, le chœur des femmes est beau et puissant. Combattives, elles implorent l’aide et le soutien d’une peuple frère et ami « contre le viol et l’esclavage ». Elles chantent, elles dansent, elles s’expriment. Dans une dizaine de langues différentes (auxquelles s’ajoutent également les langues des hommes, jouant les soldats). Et également dans une langue imaginaire, inventée par Olivier Messager, réunissant les sonorités du monde entier.

« Pour moi nous sommes combattives et guerrières. Et nous ne sommes pas des victimes. », souligne Florence, dans le documentaire, précisant : « Je me sens utile. Je n’ai jamais su comment militer réellement. Et là, c’est une forme de militantisme mais au travers de la culture. »

Pour Hélène, aussi comédienne dans la pièce : « Dès la première scène, j’ai vraiment l’impression qu’on est embarquées avec eux sur le bateau. Alors tous ne sont pas arrivés par la mer bien sûr. Et ça y est, l’aventure est là, on est ensemble. On va se battre pour ce droit d’asile, et en tant que femmes pour résister à la loi des hommes et ça devient presque vrai. » 

AU-DELÀ DU RÉCIT

Presque vrai. Voire vrai tout court. Walid a fui la Syrie avec Sana, sa femme, et leur fille. Parce qu’ils étaient menacés de mort « par les groupes terroristes, qui kidnappent et violent les femmes. » Mauri a « fui la mort » qui l’attendait en Côte d’Ivoire où il a été battu et torturé et a risqué sa vie en traversant la mer dans un bateau, entassé avec d’autres :

« Mon soucis, c’est d’obtenir des papiers français, sinon je ne peux rien faire. Et c’est très dur de ne rien faire de ta vie, tu tournes en rond alors que tu es dans un pays où tu te sens à l’aise. Je me bats pour le futur, pour mes enfants, pour ne pas qu’ils subissent les souffrances que j’ai connu. »

Jeannette s’est enfuie avant d’être excisée, quittant le Kenya la veille de son mariage forcé. Arrivée en Europe, on lui propose un mariage blanc en Belgique afin d’obtenir des papiers. Elle s’y oppose. Aujourd’hui, elle crie sa liberté sur les planches du théâtre :

« Ici, on s’entend comme si on était du même père. On ne calcule même pas la couleur de peau ici. Comme si c’était une seule personne qui nous a mis au monde. Parce que même si quelqu’un se met à déconner, on arrive à lui faire comprendre ‘ça c’est pas bien, c’est mieux comme ça’ et on accepte tout de suite, on comprend tout de suite. »

L’adaptation de cette pièce multilingue est une ode à l’humanisme et un rappel à tou-te-s que le droit à la dignité nous incombe à tou-te-s. Après la représentation, pas de débat mais une invitation en musique et en danse à venir se joindre à la joyeuse troupe à l’énergie débordante, insufflée par un metteur en scène engagé et amplifiée par les sourires de la quarantaine de comédien-ne-s qui font instantanément tomber les barrières et secouent les mentalités. Bouleversant.

Célian Ramis

Encrages, l'art solidaire

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Hôtel Pasteur, Rennes
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L'association Encrages organisera ce dimanche 12 mars à l'Hôtel Pasteur, une expo-vente solidaire au profit des réfugiés. Une action citoyenne naissante dont nous parle Andrée Prigent, illustratrice à l'initiative de l'événement.
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L'association Encrages organisera ce dimanche 12 mars à l'Hôtel Pasteur, une expo-vente solidaire au profit des réfugiés. Parmi les organisatrices de cet événement à Rennes, l'illustratrice Andrée Prigent, que nous avons rencontrée pour l'occasion, témoigne de cette action citoyenne naissante.

Face à une actualité de plus en plus préoccupante concernant les réfugiés en France, plusieurs initiatives citoyennes se mettent en place pour préparer leur accueil. C'est le cas de l'association Encrages, créée en novembre 2016 à Paris, par l'actuelle Présidente Judith Gueyfier.

Réunissant de nombreux illustrateur-trice-s et bénévoles, l'association organise des ventes d'illustrations solidaires, au profit de l'accueil des réfugiés, les sommes récoltées étant redistribuées aux associations locales. À Rennes, cette initiative a été reprise par l'illustratrice Andrée Prigent, désireuse de faire avancer les choses concernant l'accueil des réfugiés, qu'elle juge « catastrophique » à Paris.

« J'ai été confrontée à des choses qui n'existent pas à Rennes, comme par exemple des femmes et des gamins seul-e-s  qui dorment à même le sol. Ici [à Rennes], tout le monde est logé, décrit-elle. J'ai eu envie de reprendre l'idée des expo-ventes pour participer au mouvement»
explique Andrée Prigent.

Au départ seule organisatrice du projet, elle est rapidement rejointe par Laurence Coste, programmatrice culturelle, Katell Merrien, animatrice socio-linguistique auprès des réfugiés et Jessie Magana, auteure. Avec l'appui de l'association Encrages, près de 80 artistes ont répondu à l'appel en faisant don d'une ou plusieurs œuvres, qui seront vendues lors de cette journée.

L'expo-vente sera aussi animée par plusieurs ateliers artistiques, avec la présence des associations rennaises comme la Cimade, qui informeront les visiteurs de leurs actions. De plus, l’événement est soutenu par de nombreux partenaires, dont la librairie jeunesse, La Courte Échelle, qui s'occupe de réaliser la vente.

Souhaitant créer une forme d'entraide citoyenne, les quatre jeunes femmes veulent avant tout permettre un moment de partage et de rencontres, avec la présence de réfugiés accueillis à Rennes, et ainsi, créer du dialogue avec les habitants de Rennes. Des expo-ventes qui se développent de plus en plus, comme à Lyon ou Angoulême, et qui permettent d'insuffler un vent de résistance face à l'inertie de l’État français.

Célian Ramis

D'Agadez à Castel Volturno, qui sont ces migrants ?

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Champs Libres, Rennes
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En 2009, Fanny se rend à Agadez, au Niger, où elle rencontre ces africains qui s’apprêtent à faire le grand voyage migratoire. Un an plus tard, elle cherche à savoir ce que sont devenus ces migrants et part à leur rencontre en Italie.
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Fanny Bouyagui, plasticienne de 54 ans, née et installée à Roubaix, présente son exposition « Soyez les bienvenus » aux Champs Libres, jusqu’au 11 mai 2014. En 2009, Fanny se rend à Agadez, au Niger, où elle rencontre ces africains qui s’apprêtent à faire le grand voyage migratoire. Un an plus tard, elle cherche à savoir ce que sont devenus ces migrants et part à leur rencontre en Italie, plus précisément à Castel Volturno, petite ville étape située au nord de Naples, dirigée par la mafia italienne. Les interviews filmées et les nombreuses photos qu’elle ramène de son voyage font l’objet de ce poignant témoignage.

Fanny Bouyagui a eu l’idée de monter cette exposition alors qu’elle se trouvait à Anvers, chez une amie, discutant des sans-papiers et se demandant ce qui pousse ces Africains à tout quitter malgré les dangers dont ils ont conscience. Se remémorant l’histoire de son passé, et notamment celle de son père, sénégalais né à Dakar et arrivé en France en 1957, elle a eu envie de comparer cette époque, il y a 50 ans, où les migrants étaient les bienvenus, à celle d’aujourd’hui, plus précaire.

L’exposition retrace donc le chemin migratoire de ces africains qui rêvent d’accoster sur le continent européen, dans l’espoir d’une vie meilleure. Ainsi, on entre dans l’intimité de l’artiste dès le début de la visite. Un portrait en noir et blanc de son père, Baré Bouyagui, se jouxte à un cliché où il est accompagné de sa femme, une jolie blonde prénommée Odette Vanmeenen.

La joie de vivre du couple et leur existence paisible transparait au travers leurs visages souriants. Sont également exposés des dizaines de papiers officiels, tels qu’un certificat de nationalité, un certificat de résidence ou un contrat de travail. « Mon père n’a jamais rencontré de difficultés, que ce soit pour trouver du travail ou pour se loger. Il est arrivé en France puis s’est marié avec une très belle femme, il a eu des enfants. Il a vécu heureux, tout était beaucoup plus simple », déclare Fanny le visage souriant.

« Ils veulent continuer le chemin vers l’Europe. Il s’agit de tout sauf de rentrer chez eux »

Et pourtant, la situation aujourd’hui est bien différente. La première étape d’investigation se situe en Afrique, où les témoignages recueillis sont pleins d’espoirs. Les migrants sont prêts à tout pour arriver en Europe.

L’artiste a regroupé des milliers de photos, morceaux d’articles, cartes géographiques, où l’on peut lire : « Ils veulent continuer le chemin vers l’Europe. Il s’agit de tout sauf de rentrer chez eux », ou encore « Il existe un triptyque sur les routes clandestines : les transporteurs, les hébergeurs, les passeurs. » Par terre sont amassés des bidons en tas, enlacés dans la toile de coco.

Tout est très coloré, très chargé, saturé. Au fur et à mesure du parcours, on évolue inexorablement vers la dure réalité.

« Ici, tu meurs avant ton heure »

Seconde étape, à Castel Volturno. Les vidéos filmées bouleversent, nous livrant des témoignages touchants, reflétants la désillusion des africains installés en Europe : « Il n’y a rien ici, il n’y a que la souffrance. Si vous croisez des migrants qui veulent venir ici, dites leur bien que ce n’est pas la peine. Ici, tu meurs avant ton heure. » Les propos sont brutaux et amères. Très vite, un sentiment d’impuissance nous envahi, nous laissant simples spectateurs face à cette situation de précarité et de misère.

On ressent à cet instant même ce que l’artiste a voulu nous transmettre. Le message est passé. «Je n’ai pas de solution, et je pense qu’il n’y en a pas, conclu Fanny. Le but de l’exposition est de montrer aux gens ce qui se passe, point.  A Castel Volturno, près de 80% de la population est composée de migrants africains. C’est une zone de non-droits dirigée par la mafia. Ils vivent dans l’illégalité mais on leur fout la paix. Alors ils restent… »

Sans filtres ni retouches, Fanny Bouyagui nous livre la juste vérité à travers une mise en scène remarquable. Le point de vue personnel de l’artiste, optimiste, en noir et blanc, se heurte au point de vue collectif, coloré mais fataliste. Une expérience assurément humaine et bouleversante, sans aucun doute nécessaire à une vraie prise de conscience.

Célian Ramis

Parcours de migrantes à Rennes

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Reportage dans les squats rennais à la rencontre des migrantes qui nous racontent leurs parcours dans leur ville d'accueil.
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Chaque année, le nombre de demande d’asile augmente en France. En 2012, l’OFPRA enregistrait 61 468 demandes (réexamens et mineurs accompagnants compris), soit une progression de 7,2% par rapport à l’année précédente. Une forte hausse essentiellement concentrée sur le second semestre, imputable à l’augmentation de la demande d’asile en provenance des Balkans. Ce chiffre place donc la France au second rang des pays destinataires de demandeurs d’asile au niveau européen.

Récemment, les femmes étrangères sont devenues le nouveau visage de la migration internationale. Rappelons-nous cette déclaration de Babatunde Osotimehin, directeur exécutif du Fonds des Nations Unis pour la population : « La migration porte un visage humain, et c’est celui d’une femme ». Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à fuir leur pays d’origine et à prendre les routes de l’immigration depuis les années 1990. À cette époque, elles ne représentaient pas encore une majorité, n’étaient pas encore médiatisées. Aujourd’hui, le thème « Femmes et migration » est récurrent. Femmes isolées ou accompagnées de leur famille, elles constituent 49% des migrations mondiales et près d’un 1/3 des demandeurs d’asile en France. Qui sont ces femmes et comment vivent-elles ? YEGG est allé à leur rencontre. État de lieux de la situation rennaise.

  • Pour préserver l’anonymat des personnes interrogées, nous avons changé les prénoms.

À leur arrivée, les migrants déposent une demande d’asile auprès de la Préfecture d’Ille-et-Vilaine. En octobre, les militants d’associations et collectifs déploraient la dégradation des conditions d’accueil de cette institution, soulignant la réduction des horaires d’ouverture. Trois après-midis sont consacrées aux démarches administratives des migrants : lundi, mardi et jeudi de 13h30 à 16h30.

Sur les 800 dossiers déposés chaque année, seulement ¼ obtiennent une réponse favorable. Les autres disposeront d’un mois pour quitter le territoire français, après réception d’une OQTF (Obligation de quitter le territoire français).

UN LONG PARCOURS ADMINISTRATIF

Les démarches sont souvent longues et compliquées. « Il doivent prouver les pressions subies dans leur pays, rédiger leur récit de vie, aller à un entretien avec un officier de protection de l’OFPRA (établissement public chargé de l’application des textes français et des conventions européennes et internationales relatifs à la reconnaissance de la qualité de réfugié, d’apatride et à l’admission de la protection subsidiaire, ndlr) qui en principe connaît très bien la situation du pays concerné », explique Armelle, membre de l’association rennaise Un toit, c’est un droit.

En moyenne, les migrants doivent patienter 18 mois avant d’obtenir une réponse. Chaque année, l’OFPRA actualise la liste des pays d’origine sûrs « et les migrants de ces pays-là ont très peu de chance d’obtenir une réponse favorable ». Dans le rapport d’activités 2012, l’OFPRA déclare 20 pays sûrs au 1er janvier 2012. Après retrait de l’Albanie, du Kosovo, du Mali et du Bangladesh, la liste ne contient plus que 16 pays, en mars 2013.

Durant l’étude de leur dossier, les demandeurs d’asile perçoivent l’ATA (Allocation Temporaire d’Attente) à hauteur de 363 euros et peuvent, en théorie, accéder aux places d’hébergement en CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’asile), au nombre de 399 en Ille-et-Vilaine. « Mais seulement 10% gagnent au premier dossier », souligne Armelle, notant ainsi la difficulté de cette population à trouver un hébergement. Le 115, débordé par le nombre d’appels largement supérieurs au nombre de places, doit les diriger vers la Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile, en lien avec le Service d’Accueil et d’Orientation, qui eux se chargent de leur accompagnement.

« Les personnes sous OQTF, elles, sont assignés à résidence, mises à l’abri, avant d’être accompagnées vers une sortie du territoire », explique Claude Fleutiaux, secrétaire général de la Préfecture 35. Mais tous les déboutés du droit d’asile ne bénéficient pas de cette solution. Une partie est placée au Centre de rétention administrative, situé à Saint-Jacques-de-la-Lande. « Seulement les célibataires », souligne le secrétaire général. Pourtant, on se souvient de l’expulsion d’une famille tchéchène en juillet dernier : « C’était le seul cas cette année. On veille particulièrement à cela », assure-t-il.

Selon Charlotte Joyau, salariée de La Cimade, association intervenant au CRA chargée d’accompagner les retenus dans l’exercice effectif de leurs droits, trois familles y ont été placées en 2013 :

« À Rennes, il n’y en a pas beaucoup mais la structure est adaptée aux familles, avec du matériel de puériculture, un lit de bébé… ».

UN PARCOURS QUOTIDIEN

Dans le squat de l’église Saint-Marc, ouvert en mai près de la dalle Kennedy, les 130 occupants ont tous été déboutés et procèdent alors à un recours, ou sont actuellement sous OQTF. Ce lieu héberge majoritairement des familles. D’origine mongole, arménienne, géorgienne, congolaise, libyenne, tchadienne (nationalités très représentées à Rennes), albanaise, serbe ou encore tchéchène, ils vivent en communauté dans ce bâtiment. Certaines familles sont installées dans des petites pièces individuelles.

D’autres occupent des pièces de taille moyenne, voire de petite taille, et ont aménagé des cloisons avec des draps pour un espace de vie avec un minimum d’intimité. Des boxes, comme on nous dit. « Et dans chaque boxe, un drame passé », nous glisse Armelle. En novembre, la physionomie du squat a bien changé par rapport à la saison estivale. « On fait à manger dans la cuisine commune et après on rentre dans nos chambres pour le repas. Il fait très froid et dehors, il fait nuit », explique une jeune mongole, arrivée avec sa famille à Rennes depuis 2 ans – et scolarisée dans un collège rennais.

Les coupures d’électricité sont fréquentes, surtout entre 17h et 19h, à l’heure de la préparation des repas et des douches. Plusieurs femmes d’origine mongole sont réunies dans la cuisine, assises dans le canapé, jouant avec une enfant et un bébé.

Au fond du couloir, vit la famille de Mariame. Elle est kurde arménienne. Son mari, kurde géorgien. L’aîné de ses enfants est arménien et vit là-bas. Sa fille et son fils, tous deux d’origine géorgienne, sont à Rennes. Une situation complexe pour elle qui ne pouvait obtenir de papiers en Géorgie.

« En Arménie, pas de problèmes pour moi. Mais pour ma famille, ce n’était pas possible. Et en Géorgie, je ne peux pas avoir de titre. C’est vraiment très difficile »
explique Mariame.

En mars 2012, ils quittent leur pays pour des raisons économiques et souhaitent venir en France, en passant – en avion – par la Biélorussie. Puis de Minsk, ils traversent la Pologne, s’y arrêtent quelques heures, le temps du contrôle douanier. Les autorités polonaises prennent les empreintes « et leur font signer une demande d’asile sans qu’ils en aient conscience », dit Armelle. Elle poursuit : « Les migrants qui entrent par un pays de l’espace Schengen et qui sont contrôlés dans ce dernier avant de venir en France sont appelés les Dublin ».

En effet, le règlement de Dublin II vise à établir une base de données biométriques permettant ainsi aux autres États membres de vérifier qu’aucune demande d’asile n’a été effectuée par les ressortissants. En se présentant à la Préfecture, à Rennes, les empreintes de Mariame ont révélé la présence d’un dossier en cours en Pologne. « La France a 6 mois pour les renvoyer dans le premier pays. Ils sont convoqués à la Préfecture avec conjoint(e)s, enfants et bagages et sont déclarés en fuite s’ils ne se présentent pas », explique Armelle. Après 18 mois sur le territoire, une nouvelle demande d’asile peut être déposée en France.

Et depuis quelques jours, Mariame peut enfin remplir la sienne, ainsi que chaque membre de sa famille. Elle a maintenant trois semaines pour rédiger son récit de vie détaillé, un travail compliqué pour cette mère de famille. « Déjà, je ne parle pas bien le français. Là, je regarde mes cours. Et ça fait ressortir les mauvais souvenirs. Dur d’y repenser. Surtout pour mon fils, il est nerveux », confie-t-elle. D’autres mauvais souvenirs remontent aussi pour Mariame, qui n’ose pas sortir du squat. En juillet dernier, elle est contrôlée et arrêtée par la Police Aux Frontières (PAF), au niveau de la gare.

Après plusieurs heures en garde à vue, elle est emmenée au CRA, dans lequel elle restera 5 jours. « Elle a pu être libérée grâce à un point de la procédure, lors de la garde à vue, qui n’avait pas été respectée », commente Armelle. L’histoire est douloureuse. Elle reste traumatisée de « l’évacuation musclée » d’une famille tchéchène qu’elle a vécu lors de son enfermement.

Les différentes étapes de la procédure nécessitent à chaque fois une préparation mentale ardue et accroissent l’angoisse de l’après. De l’anxiété, les migrants en perçoivent au quotidien. Ce mercredi soir, une adolescente entre dans la chambre de Mariame, en pleurs. Sa petite sœur ne répond pas aux appels de sa mère. Il est environ 18h30 et la petite n’est pas encore rentrée. Des dizaines de minutes plus tard, la maman est avertie que sa cadette est revenue au squat.

Dans la pièce voisine, se trouve Réhane, elle aussi est arménienne. Sa famille est arrivée en France il y a un an et demi et vit dans le squat depuis six mois. Entre temps, elle a connu le 115 et les foyers d’accueil, du côté de Vitré. « Il faut appeler tous les matins le 115 à 9h. Il n’y a pas de places, on nous dit de rappeler le lendemain », se souvient-elle. Enceinte de plusieurs mois à son arrivée au squat, Réhane a accouché peu de temps après leur installation. David, le sourire jusqu’aux oreilles, est allongé sur le lit, entouré de ses peluches : « C’est un peu la mascotte d’ici ! ».

Elle revient du Secours populaire qui ce jour-là distribuait des cadeaux de Noël. Elle a pu ramener des jouets pour ses deux fils et a eu un chèque cadeau de 15 euros pour acheter un présent à sa fille de 7 ans, « qui veut absolument une robe de princesse ». Sa fille ainée est restée avec ses grands-parents, en Russie. Avec son mari, ils l’appellent fréquemment mais ne l’ont pas vu depuis leur départ. Réhane a fait une demande prioritaire, une procédure rapide qui ne permet de bénéficier de l’ATA que 3 mois seulement.

Déboutée depuis décembre dernier, elle est assignée à résidence pendant 45 jours dans un hôtel avec sa famille, une obligation qu’ils ont préféré fuir en espérant trouver une alternative avec leur avocate.

« Ils n’ont pas leurs papiers arméniens. Ils sont donc assignés pendant plus d’un mois, le temps pour les autorités compétentes françaises de contacter le consulat et d’obtenir l’accord du pays d’origine de les renvoyer là-bas ».
 Armelle, militante Un toit, c'est un droit.

Dans la cuisine, Alba, 21 ans, prépare des cookies. Cette jeune tchadienne est arrivée en France en 2009, après être passée par la Libye. À Angers dans un premier temps, au sein d’une communauté tchadienne, dans laquelle elle vit avec son conjoint, à la suite d’un mariage forcé à 15 ans.

« Là-bas, tout le monde trouve ça normal et moi, je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais supporté la violence de mon père envers ma mère. Jamais accepté non plus ce mode de vie. Les femmes ne peuvent rien faire », explique-t-elle. Elle décide de quitter son mari – parti du Tchad pour des raisons politiques, « son père étant impliqué dans la vie politique du pays » – et se retrouve confronter non seulement à la violence conjugale mais aussi aux pressions de l’entourage. « Ils ont réagi très violemment et m’ont menacé de mort. Je me battais contre une communauté », se remémore Alba.

Elle prend le bus jusqu’à Rennes, aidée par une amie rencontrée à Angers, et s’inscrit en CAP Cuisine, à Dinard. En internat la semaine, dans une famille d’accueil le week-end. Sa demande d’asile est compliquée : « j’avais déjà déposé un dossier avec mon mari. J’ai changé d’identité et j’en ai refait un à Rennes mais avec les empreintes, ils ont retrouvé ma première demande ». Plusieurs procédures plus tard, la jeune tchadienne pense obtenir des papiers. La Préfecture l’informe qu’elle recevra prochainement une OQTF :

« Je m’étais inscrite en septembre à Ker Lann pour poursuivre ma formation de Cuisine, et au final, je suis une clandestine, j’ai tout perdu ».

La journée, Alba reste au squat en attendant de trouver un potentiel recours avec son avocate. Une situation qu’elle trouve profondément injuste : « Je reste ici alors que je pourrais travailler. J’ai un diplôme ! Certains ont des papiers et ne font rien de leur journée… »

UN PARCOURS COMPLEXE

Le manque de travail, et la difficulté pour en trouver un en France, est un enjeu majeur pour les migrants. Fondamental pour certains. Comme pour les occupants du squat de Chantepie, ouvert depuis le mois d’août, dans une ancienne ferme. « Ici, ce sont des personnes d’origine roumaine. C’est une autre population, avec une autre problématique encore », explique Mihaela, militante pour l’association Un toit, c’est un droit, qui assure la traduction avec leurs divers interlocuteurs.

Une autre problématique, en effet, puisqu’ils sont européens et bénéficient du droit de résider sur le territoire français pendant 3 mois. « Pour avoir un titre de séjour, il faut avoir un contrat de travail. Pour le contrat de travail, il faut un titre de séjour », déclare Emilia, à Rennes depuis 4 mois. Maman de quatre enfants, dont deux encore en Roumanie, elle attend son cinquième enfant. « Je suis inquiète car je ne sais pas combien de temps on va pouvoir rester dans le squat. Et nous devons aussi faire des allers-retours en Roumanie », poursuit-elle.

Pour justifier leur résidence en France, ils doivent conserver les billets de cars en partance de la Roumanie datant de moins de 3 mois. Pour vivre, ils font la manche durant la journée. Insuffisant pour satisfaire un minimum de besoins vitaux. Les migrants trouvent alors des aides au Secours populaire, aux Restos du cœur et également avec le réseau Ville Hôpital 35 pour les problèmes de santé. « Les gens sont très accueillants et le corps médical très attentif, je suis très surprise, ça ne se passe pas du tout comme ça en Roumanie », souligne la jeune femme de 29 ans.

Ce lundi de novembre, c’est une journée particulière. Alina, sa fille, vient de faire sa rentrée en 6e, dans un collège de Rennes. L’émotion est grande pour la jeune demoiselle. Pour les parents, c’est également une étape importante. Ce soir-là, plusieurs occupants sont regroupés dans la pièce de vie d’Emilia. Une jeune maman allaite son bébé d’un mois seulement. « Il avait 15 jours quand elle est arrivée. Elle est toute seule avec lui », explique Mihaela.

Les hommes aussi sont présents et font part de leur condition de vie. Ils ont été restaurateurs, boulangers, cordonniers ou salariés dans des stations service et nous montrent leurs contrats de travail en Roumanie. « Mais les conditions de vie là-bas sont terribles. Les salaires sont trop faibles pour vivre et il n’y aucune sécurité d’emploi », disent-ils. Tous espèrent voir leur situation s’améliorer à partir de janvier 2014. Les ressortissants roumains et bulgares devraient, à cette date, pouvoir accéder à l’emploi dans les pays de l’Union européenne sans titre de séjour.

Une date qui inspire de l’espoir pour les uns, de l’inquiétude pour les autres. En effet, le squat de l’église Saint-Marc devrait être évacué dans cette période. L’accord passé avec le Secours catholique touche à sa fin mais pour l’instant, les solutions alternatives d’hébergement n’ont pas été trouvées. Pour Armelle, c’est une situation catastrophique : « Ils vont être isolés un peu partout dans le département. C’est ce que souhaite la Préfecture, ça rend le problème moins visible, moins médiatisé ».

En France, de quels droits peuvent bénéficier les personnes sans autorisation de séjour ?

Aucun. Et pour les femmes, c’est encore plus compliqué. Elles sont plus vulnérables et donc plus facilement exploitables. Elles ont uniquement le droit de se rendre aux urgences pour bénéficier de soins médicaux.

Parmi ces femmes, lesquelles sont les plus touchées ?

Les femmes célibataires sans enfants car elles ne sont pas considérées comme « public vulnérable ». Du coup, durant leur procédure en vue d’obtenir le droit d’asile, elles subissent très souvent des violences importantes. Le droit européen leur accorde, certes, le droit au logement, mais en pratique, par exemple, la préfecture d’Ille-et-Vilaine n’a pas élargi ses places d’hébergement. Faute de toit et avec un dispositif d’accueil d’urgence saturé, elles se retrouvent pour la plupart dans la rue. Elles fuient  leur pays d’origine parce que leurs droits sont bafoués mais vivent pourtant en France dans des conditions très dures.

Quelles solutions ont-elles ?

Il n’y a pas de solution. Certaines réussissent à obtenir un titre de séjour (si elles ont des problèmes de santé, par exemple), mais la plupart sont expulsées. Le droit d’asile est une peau de chagrin. Les décisions des juges sont injustes. Ils exigent de plus en plus de preuves et sont trop suspicieux. Malgré tout, les migrantes préfèrent rester dans la précarité en France que de retourner dans la violence de leur pays d’origine.

Infographie : © Sophie Barel

Laetitia est assistante familiale depuis plus de 7 ans. Elle loge et accompagne des migrants sans papiers. Portrait.

Laetitia est agrémentée depuis 1995. Elle accueille actuellement chez elle de jeunes étrangers, originaires d’Albanie, du Congo et de Guinée. « On constate une arrivée massive de mineurs isolés étrangers depuis 2 à 3 ans, explique cette femme de 53 ans. Certains se sont enfuis seuls de leur pays et d’autres ont payé des passeurs pour arriver en France ». Laetitia les accompagne au quotidien, les inscrit à l’école, leur apprend le français et les écoute. « Le choc des cultures est fort. Les règles de famille ne sont pas toujours respectées, mais cet échange me donne envie de continuer », confie-t-elle.

C’est en rencontrant une assistante familiale parisienne qu’elle a eu envie de faire ce métier. « Je lisais beaucoup sur la psychologie des enfants et la rencontre m’a bouleversé. Je me suis renseignée et j’ai été acceptée ». Un petit français de 11 ans est alors arrivé et est resté jusqu’à l’âge de 18 ans. Puis dès 2001, des nationalités différentes ont intégré le foyer. Une camerounaise pour commencer : « Elle avait 17 ans et était menacée par le milieu de la prostitution. Un jour, elle est partie de chez nous et n’est jamais revenue. J’ai déclaré sa disparition à la police mais je n’ai jamais eu de nouvelles ».

Depuis, d’autres ont pris sa place et le soutien de Laetitia n’a pas faibli. Et pour cause, cette mère de famille s’investit beaucoup. Malgré tout, elle a le sentiment que son rôle n’est pas assez reconnu. « En définitive, on travaille à domicile 24h/24, en lien avec le Conseil général et nous sommes pourtant considérés comme le dernier maillon de la chaîne. Il y a des évolutions, mais nous ne sommes pas assez écoutés». Son souhait ? : Obtenir le statut de fonctionnaire, « tout comme les éducateurs ».

Née au Maroc, Sarah a vécu en Espagne jusqu’à ce que son père décide de la forcer à se marier. Contrainte et terrifiée, elle s’enfuie avec une proche de la famille et s’installe dans la capitale bretonne.

Sarah, 22 ans, vit à Rennes depuis 2011. Elle habite chez la femme qui l’a aidé à s’échapper : « Ma mère ne voulait pas que j’épouse un inconnu. Elle m’a laissé partir avec cette femme ». En arrivant à destination, Sarah est inscrite dans un lycée privé, qu’elle quitte deux ans plus tard par manque de moyens financiers. Par la suite, elle fait des stages, du bénévolat, de la garde d’enfants et remplit les tâches quotidiennes de la maison. Malgré tout, elle souhaite « faire un bac professionnel Service à la personne pour travailler, être indépendante et passer le concours d’aide soignante ou d’éducateur spécialisé ».

Elle doit régulariser sa situation en France car son titre de séjour espagnol lui permet de circuler dans l’espace Schengen (et donc dans l’hexagone), mais pas d’y travailler. « En mars dernier, j’ai rempli une demande de nationalité espagnole pour obtenir le statut européen, mais la procédure est longue. Elle dure environ 3 ans », explique-t-elle. Aussi, elle compte déposer prochainement une demande de titre de séjour travail en France, avec le soutien de « La M.I.J.E.C » (Mission d’Insertion des Jeunes de l’Enseignement Catholique, à Rennes) et de Franck Pichot, conseillé général délégué à la jeunesse.

Sarah s’est habituée à Rennes. « J’ai longtemps fait des cauchemars et été traumatisée par le mariage forcé, mais mon moral s’est amélioré », avoue-t-elle. Aujourd’hui, elle est déterminée à prendre sa vie en main et se rappelle souvent  que « si elle s’était mariée avec cet homme, elle n’aurait jamais pu envisager tous ces projets ».

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Elles vivent à Rennes
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Une alternative : la famille d'accueil

Célian Ramis

Migrant'scène : Les voix féminines de la migration 2/2

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Les femmes étaient à l’honneur pour la 2e édition de Migrant’scène. Deux groupes ont répondu à la thématique imposée – la migration au féminin – au Bar’Hic de Rennes : le chœur de La tête à l’est et Mariana Caetano.
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Les femmes étaient à l’honneur pour la 2e édition de Migrant’scène, organisé par La Cimade, samedi 23 novembre. Deux groupes ont répondu à la thématique imposée – la migration au féminin – au Bar’Hic de Rennes : le chœur de La tête à l’est et Mariana Caetano.

Aux alentours de 21h, le Bar’Hic est déjà rempli de monde ce samedi soir. Beaucoup sont venus pour assister au concert de La tête à l’est. Créée en 2009, l’association a pour vocation de promouvoir la musique et la danse d’Europe de l’Est dans la région Bretagne. Elles sont sept femmes ce soir-là à unir leur voix qui résonnent dans le bar aux sons des Balkans.

En chœur, parfois à l’unisson, elles interprètent des chansons traditionnelles de Roumanie et de Bulgarie, accompagnées par deux accordéons, des percussions, du violon et parfois des voix de quatre hommes. Certains morceaux sont doux et légers, similaires à des berceuses. D’autres sont nuancés et naviguent sur les flots de plusieurs voix qui jouent sur les intensités, agitant le chœur qui oscille entre chuchotements et notes très fortes et puissantes, qui font danser les spectateurs, qui pour bon nombre d’entre eux prennent des cours de chants avec l’association Tête à l’Est, entrainés à plusieurs reprises dans des rondes traditionnelles.

Après une courte pause, c’est au tour de Mariana Caetano, entourée de ses musiciens, de prendre place sur la scène, située au fond du bar. La chanteuse qui vient « d’un pays du soleil, très loin d’ici », arrivée en France depuis 2004, inonde ce lieu festif de la place des Lices des sons brésiliens qui rythment son deuxième album « Mé Ô mond », sur fond de guitares et de percussions.

Plaisir, solitude, amour, consommation… autant de thèmes abordés que de mimiques développées sur scène avec humour et singularité. Sa voix est envoutante, douce et grave. Sa musique est poétique et décalée, avec des influences rock, chanson française et pop. Mariano Caetano joue avec les mouvements musicaux de son pays, alterne entre MPB (Musica popular brasileira) et tropicalismo (mouvement culturel de la fin des années 60 qui contestait la musique populaire brésilienne), ne prenant que les particularités de chaque genre, sans se préoccuper des étiquettes.

En moins d’une heure, cette artiste originale nous dépayse à travers un voyage expérimental unique, nous baladant tranquillement d’un pays à un autre, d’un continent à un autre.

Les deux concerts nous offrent chacun un instant musicalement opposé. Une invitation au voyage dans les deux cas qu’on aimerait concrétiser plus longuement, à la rencontre d’autres cultures qui s’expriment à travers les voix de ses femmes.

Célian Ramis

Migrant'scène : Les voix féminines de la migration 1/2

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Migrant’scène, organisé par La Cimade, revient pour la 2ème année consécutive à Rennes. Plusieurs événements ont eu lieu autour de la thématique suivante : la migration au féminin.
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Migrant’scène, organisé par La Cimade, revient pour la 2ème année consécutive à Rennes. Samedi 23 novembre, plusieurs événements ont eu lieu dans le centre ville de la capitale bretonne, autour de la thématique : migration au féminin.

« Nous avons choisi de parler de mobiles, de mobilité et de mobilisation, et non de migration ou d’immigration. Et ça, ça change déjà le regard », explique Marie Arlais, directrice artistique et membre du collectif nantais étrange miroir. Une quinzaine de personnes a participé à l’installation sonore, Mobiles illégitimes, exposée au café L’enchantée à Rennes, uniquement pour l’après-midi.

Pour Marie, « les témoignages sonores permettent de ne pas tomber dans la représentation stéréotypée avec des images de la femme victime, de la femme qu’il faut à tout prix aider ». En effectuant leurs recherches, les membres du collectif dégagent différents angles, décèlent les diverses thématiques liées au sujet, « y compris des choses auxquelles on ne pensait pas, comme le lien avec la mobilisation et le féminisme ou encore la sexualité des migrantes ».

Ils recueillent les histoires de plusieurs femmes venues d’Algérie, du Bénin, du Mozambique, d’Israël, d’Ecosse ou encore du Maroc, ainsi que des témoignages de sociologues, anthropologues, militantes, professeures, conseillère en insertion professionnelle.

De là est imaginée la structure qui voyage actuellement de ville en ville dans le cadre de Migrant’scène : une grande armoire en bois dont certains tiroirs demandent à être ouverts afin de libérer les paroles de toutes ces femmes. Dans les extraits, on peut entendre :

Luanda : « On appartient tous à quelque chose, on est tous nés quelque part »,

Maeva : « Si j’avais été un homme, ça aurait été plus facile. Mais j’ai osé (partir, ndlr), je suis allée au bout, j’ai relevé le défi et j’y suis arrivée » / « Je suis africaine, j’en suis fière et je ne serais jamais blanche. Je ne pourrais qu’être française d’adoption mais jamais de peau. Je peux modifier certaines choses pour l’intégration mais pas tout »,

Saïda : « La famille (dans laquelle elle travaillait, ndlr), je la respecte mais ils ont beaucoup abusé de ma situation. Ils n’ont fait aucun effort pour faire un courrier à la Préfecture alors que j’étais très utile pour leur fille handicapée »,

Sivan : « Quand tu vis dans un pays nouveau, il faut que tu changes ta langue, ça te fait changer ton rythme, tu vas plus lentement, tu cherches tes mots ».

La mobilité quotidienne

Le sujet est traité dans toute sa complexité et toute sa diversité avec l’objectif de mettre en avant des axes peu médiatisés. Avec les tiroirs, le collectif invite les visiteurs à aller chercher, fouiller, explorer par eux-mêmes les informations concernant la mobilité. « Ce thème illustre notre mode de penser actuel. Nous sommes une génération qui bouge beaucoup, se déplace pour des voyages ou le travail. Pour nous, c’est normal », explique Marie Arlais.

Les informations apportées au cours de cette exposition interactive sont appuyées et complétées par un éclairage avisé et alternatif. Pour la sociologue et anthropologue Nacira Guénif Souilamas, les femmes sont privées de toute capacité à se mouvoir : « Les différentes fonctions des femmes – religieuses, culturelles, familiales – les bloquent dans leur mobilité. C’est cette logique d’immobilisation qui renforce l’illégalité des mobilités des femmes ». De quoi faire réfléchir les auditeurs au-delà de la thématique. Jules Falquet est elle aussi sociologue et figure dans le kaléidoscope sonore proposé par étrange miroir. Dans un extrait, elle développe sa réflexion autour de la notion « To care », signifiant « prendre soin » en anglais.

Selon elle, les femmes seraient plus qualifiées pour s’occuper des personnes malades ou âgées, grâce à l’éducation reçue. « On appelle cela la crise du care ou la crise de la reproduction sociale car elles ne s’occupent pas uniquement des personnes âgées. On importe là aussi des femmes pour s’occuper des hommes valides. Il y a toujours moyen de se faire tailler une pipe pour pas cher. Tout ça, sans papiers, car sans papiers = sans droits », raconte l’experte.

Une installation sonore originale, interactive et riche de sens dont on voudrait pouvoir profiter plus longuement, dans un lieu plus propice et moins étroit.