Célian Ramis
Le Grand Soufflet : L'histoire du tango en musique et en burlesque


Maria Dolores n’aime pas seulement le tango… Elle aime également se donner en spectacle et divaguer entre une milonga et une reprise surprenante de la Compagnie Créole, façon Argentine. Accompagnée de l’Amapola Quartet, elle était sous le chapiteau du Grand Soufflet, au parc du Thabor, mercredi 12 octobre.
Elle avait juré de ne plus jamais chanter le tango. À cause des relations douloureuses qu’elle a vécu avec des musiciens argentins. Pourquoi ? « Parce que l’homme argentin est un condensé de tous les hommes de la terre ! », lâche-t-elle naturellement en arrivant sur la scène, vêtue d’une longue robe moulante noire et parée de ses longs gants et hauts talons rouges.
Elle fait référence au XIXe siècle, période durant laquelle l’Argentine connut d’importantes vagues d’immigration donnant lieu à un grand métissage.
« Il faut remettre les choses dans le contexte : ce sont des hommes seuls, sans femmes et enfants, qui ont débarqué dans le port de Buenos Aires. Résultat de ce métissage ? Le tango ! Et c’est un joyeux bordel car là où commence le tango, c’est dans les bars à puputes ! », s’exclame Maria Dolores, provoquant les rires du public.
Car à l’essor du tango entre 1890 et 1930, elle associe celui de la prostitution. Une manière d’introduire la chanson suivante, un hommage vibrant aux « femmes que l’on paye », « ces virtuoses de la cuisse ». Avant d’aller s’installer sur le côté de la scène se préparer un sandwich, nourrir son chien et se servir - au cubis - un verre de vin blanc.
C’est certain, Maria Dolores est un sacré personnage. Échappée de la compagnie Femmes à barbe, avec laquelle elle a remporté le Molière de la Comédie en 2016 pour la pièce Les faux british, Lula Hugot incarne aux côtés des musicien-ne-s de l’Amapola Quartet, une diva excentrique et délurée, « espagnole de souche, argentine de couche et rennoise de cœur ce soir », biberonnée au tango et aux joies de l’amour par une tante pleine de dictons, phrases toutes faites et théories plus ou moins fumeuses.
Elle joue les clichés, force l’accent et outrepasse les limites du social. Elle n’a pas de filtres, est impulsive, bavarde, envahissante et séductrice. Elle nous conte ses histoires d’amour et de sexe avec candeur, fraicheur et liberté. Maria Dolores aime les hommes.
De tous les âges, de toutes les tailles, de toutes les morphologies, de tous les pays, de tous les milieux sociaux. Et chante aux femmes son admiration et son féminisme qui s’écarte légèrement de celui de sa tante qui disait : « Quand on est une femme, on apprend à conjuguer le verbe supporter ».
Épaulée par Sandrine Roche au piano, Ariane Lysimaque au violon, Michel Capelier au bandonéon et Christophe Dorémus à la contrebasse, la chanteuse nous traine dans les caniveaux et sur les trottoirs de Buenos Aires, jusque dans les bars et salons de la capitale argentine.
La voix de la diva alliée à la musique et aux talents des musicien-ne-s de l’Amapola Quartet nous transportent et démontrent l’universalité du tango, en interprétant un Besame mucho aux couleurs internationales.
Emblématique de l’amour et de la sensualité, le tango s’illustre à travers une large palette de rythmiques et de variations d’intensité. Maria Dolores chante les liens indéfectibles entre deux amant-e-s, l’infidélité, les filles de joie ou encore les drames de la vie, qu’elle voit bien en couleurs. Et par plusieurs stratagèmes – aller chercher un cornichon en loge ou encore partir au milieu d’une chanson – s’extirpe de la scène pour la laisser au quartet.
Une alternance qui donne à découvrir cette musique métissée, plurielle et riche, en cassant par l’humour la tension dramatique qu’on lui attribue, notamment à travers sa danse envoûtante et poignante. « Mais ça rend fou le tango ! Après l’initiation que vous avez fait en début de soirée, vous êtes foutu-e-s. Maintenant, ça va être tango et toilettes sèches à toutes les fêtes ! », s’esclaffe Maria Dolores, qui ironisera régulièrement lors de la représentation sur l’installation des toilettes sèches sur le lieu du festival.
Pour preuve que le tango fait perdre la tête, le quintet se lance dans des reprises surprenantes et farfelues, voulant prouver que cette musique serait à l’origine de toutes les autres. Ainsi, Sabine Paturel (Les bêtises), Mickael Jackson (Billie Jean), Madonna (Like a Virgin) et la Compagnie Créole (Au bal masqué) s’en seraient inspiré-e-s.
Avec beaucoup de dérision, et d’auto-dérision, Maria Dolores recoud dans nos esprits l’histoire de la musique tango ainsi que de sa danse.
« L’homme est au bar et regarde la femme avec qui il veut danser. La femme, elle, est assise et attend. Forcément, c’est une femme. L’homme lui fait un signe de la tête. Elle acquiesce, ils se rejoignent au milieu de la piste, ou elle fait mine de ne pas le voir. Je trouve ça bien. Ça offre le choix à la femme de refuser ou d’accepter. Et à l’homme de ne pas se prendre un râteau, comme vous dites en France, avec vos expressions agricoles. », plaisante-t-elle.
Pour autant, l’humour n’envahit pas la quintessence du propos. Il le sublime, lui donnant une toute nouvelle dimension. Musique et danse de caractère, de passion, d’amour, de sensualité, de tension, d’agitation, de nostalgie et de solitude, le tango vibre et résonne comme une essence vitale.


Ensemble, ils sortent un EP en septembre 2015, Minuit, dans lequel ils perpétuent le son d’un des couples mythiques du rock français. Mais sans la prétention de reproduire les chansons des Rita Mitsouko. Non.
À présent, tout est envisageable. On peut passer d’une nuit de défonce avec « Caféine » à une résolution psychique vitale dans « Recule ». La chanteuse conte le quotidien, réaliste ou psychédélique, et nous invite à l’évasion mentale.
La musique est alors plus lascive, les rythmes lancinants, les accords plus tendus. Une passion électrique, un charme évident. On est séduit-e-s instantanément et pendu-e-s aux lèvres de l’interprète qui se glisse avec talent dans la peau de cette femme fatale. Elle a un côté théâtral, Simone Ringer, une lueur de folie dans le regard. Mais elle aborde sa théâtralité et sa sauvagerie avec justesse, finesse et retenue.

En arrivant sur scène, elle attaque directement par d’anciennes chansons en anglais. Pleines d’énergie et chargées d’esprit rock. Les chevaux qu’elle lâche se cabrent, hennissent et partent au galop en écrasant tout sur leur passage. Plus redoutable qu’une éruption volcanique, Izia est une déferlante magistrale de coups de tonnerre.
Syndrome de l’électron libre, elle bouscule son environnement avec brutalité et tombe parfois dans le too much.
Izia joue de sa sensualité et de la tension animale qu’elle dégage. Il y a de la férocité dans son regard de prédatrice qui observe sa proie et s’amuse à l’épuiser avant de la dévorer.

Sur la pochette de son disque, Jain s’affiche dans sa robe noire au col blanc en déesse indienne à six bras. C’est au moins ce qui lui faut pour assurer le show qu’elle propose.
Ces musiques, très rythmiques entre les percussions et le synthé, sont faites pour danser. Son énergie est communicative et son partage avec le public, généreux.
C’est certain, elle est une figure émergente de la nouvelle scène électro et s’impose comme une force douce. Elle invente son style qu’elle compose de ses influences internationales, principalement situées autour du continent africain, de sa voix soul et jazz et de là créé une ébullition des genres musicaux.

Elle entre dans une ère plus pop, qui se détache de la poésie enfantine qu’elle avait l’habitude de proposer, devenue sa marque de fabrique, et qui lui permet de prendre de la hauteur.
Et le live donne de l’amplitude et de la volupté à sa musique. Elle n’en oublie pas les classiques comme « Golden baby », « Pour un infidèle », « Adieu » ou encore « Comme des enfants », dont le refrain est repris en chœur par le public lors du rappel.
On ressent encore de la timidité, qui s’entend particulièrement dans sa voix après la soirée de la veille réunissant sous le chapiteau d’abord Mansfield.TYA puis Jeanne Added, dont les organes vocaux sont majestueux, magnifiés, bruts. On la sent encore coincée, Béatrice Martin, dans une pudeur et des complexes dont elle commence tout juste à se délivrer.

D’entrée de jeu, l’artiste rémoise entame « Be sensational », également titre de son album. De par sa voix, elle impose la fascination. De par l’ensemble instrumental, composé d’une batterie, de percussions, d’un clavier et d’une basse, elle fabrique un climat sombre et inquiétant. Le tout résonne profondément dans tout l’espace du lieu.
On passe alors d’une impression de flotter dans les airs sans avoir jamais envie de remettre un pied à terre à une sensation de danger imminent.
YEGG : Vous avez étudié au Conservatoire de Paris puis à la Royal Academy de Londres. Vous avez toujours eu cette envie de musique ?
YEGG : Votre album Be sensational est composé d’électro dark et d’espoir. Quel message souhaitez-vous faire passer ? Le titre est très parlant…

Dès la première chanson, introduite par une partie instrumentale qui unit le violon à une puissante électro anxiogène, les deux artistes donnent le ton. Ce qui se traduit par une grosse claque dans la gueule.
Et au-delà de l’écriture onirique et franche d’écorchée vive de Julia Lanoë mise en perspective et valorisée par les compositions musicales et les arrangements live, elles laissent transparaitre entre elles des regards profonds qui dénotent une complicité véritablement émouvante et puissante. Et imposent une présence scénique magnifique.
YEGG : Est-ce que c’est un sujet qui vous inspire pour vos chansons ?

Avec « Cherry Blossom » et « Ol’ fashioned kiss », elle donne tout de suite le ton de son univers si singulier et inattendu. Sa voix, limpide et soprano, sonne jazz et blues. Elle qui admire Billie Holiday et vénère son défunt grand-oncle chanteur de cabaret dans l’entre-deux-guerres, s’inscrit aujourd’hui dans la lignée des figures jazz des années 40. Et va même jusqu’à cacher de moitié son visage derrière un micro allemand des années 30, dont elle ne se sépare jamais en tournée.
Elle impose le silence dès lors qu’elle délivre les premières notes des chansons. Seul un léger filet de voix transperce ce silence apaisant. Elle ne suspend pas le temps, elle le rend supportable, gai et mémorable. Même quand elle entame la partie plus sombre et néfaste du sentiment amoureux et du romantisme mutilant.

Sans jugement ni leçon de morale, il raconte leurs modes de vie, leurs états d’esprit et des bribes de leurs parcours. Loin de l’image de l’être monstrueux qu’a pu attribuer la philosophie à la misanthropie, Nicolas Bonneau apporte un discours nuancé de gris dans cette vision manichéenne de la société et de l’humanité. Et on ne peut résister à dire que son spectacle est grisant.
Waed Bouhassoun manie sans artifice les modulations du chant arabe, ce qui lui vaut d’être assimilée à des grands noms de la chanson arabe des années 30, comme l’artiste égyptienne Oum Kalthoum. Et de sa musique, la chanteuse syrienne dégage émotions vives et blessures profondes. Parmi lesquelles s’entremêlent nostalgie, douleurs, souffrances, pureté et profondeurs de l’âme.