Célian Ramis

LGBTIQ+ : le droit d'exister

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50 ans après les émeutes de Stonewall, où en sommes-nous des droits LGBTIQ+ ? Quelles sont les revendications de la Marche des Fiertés 2019 ?
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« Est-ce que, cinquante ans après Stonewall, ce n’est pas le moment de demander à l’État français la réparation pour la répression, la pénalisation et la psychiatrisation des homos et des trans ? », interroge la militante Giovanna Rincon, fondatrice de l’association Acceptess-T, dans Libération le 28 juin dernier.

Une date clé dans l’histoire des luttes LGBTIQ+. Le 27 juin 1969, à New York, la police fait une descente dans le bar Stonewall Inn, situé dans le quartier de Greenwich Village. À cette époque, la législation interdit la vente d’alcool aux homosexuel-le-s, la danse entre hommes et le port de vêtements (soi-disant) destinés aux personnes du sexe opposé.

Les arrestations sont fréquentes. Mais cette nuit-là, les client-e-s du bar vont refuser la répression et engager plusieurs jours d’émeutes désormais célèbres et célébrées lors des Marches des Fiertés, dont la première a eu lieu aux Etats-Unis en 1970. Cinquante ans plus tard, où en sommes-nous ?

Ce n’est un secret pour personne : en 2013, la haine propagée par la Manif pour tous a entrainé une recrudescence de violences LGBTIphobes qui continuent de se répandre. En 2018, la lâcheté politique du gouvernement de Macron sur l’extension de la PMA pour tou-te-s, semblable à celle du gouvernement de Hollande, ne vient pas contrecarrer les attaques.

Loin de là puisque les actes lesbophobes ont drastiquement augmenté. Le rapport annuel de SOS Homophobie est accablant : la structure reçoit de plus en plus de témoignages de la part des personnes ayant subies des violences (15% de plus en 2018 qu’en 2017).

Les persécutions rythment les vies des personnes LGBTIQ+ dont on nie les droits à être libres d’être ce qu’iels sont. Autodétermination, consentement, reconnaissance, respect… Iels prônent le droit de choisir librement et d’exister, tout simplement, sans discriminations. Le 8 juin 2019, Iskis, le centre LGBT de Rennes, organisait comme chaque année, avec ses partenaires, la Marche des Fiertés, réunissant pas moins de 4 000 personnes. La thématique de cette édition : « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? »

Sur l’esplanade Charles de Gaulle, le cortège s’élance en direction de l’avenue Janvier, afin de rejoindre les quais. Dès les premières minutes de la Marche, une pluie de préservatifs s’abat sur la foule enjouée. Les pancartes Free Hugs affluent, à l’instar des drapeaux arc-en-ciel, trans, intersexes, bis et autres.

Les visages sont radieux, partout les couleurs sont vives, et autour des bus, la musique est forte et la danse, centrale et festive. La Marche des Fiertés défile joyeusement mais n’en oublie pas de battre le pavé à coup de propos politiques et revendicatifs. « Alors, on va avancer doucement mais un tout petit peu plus vite que l’égalité des droits… », glisse malicieusement au micro l’administrateur d’Iskis, Antonin Le Mée.

Il reprend, avec les militant-e-s qui trônent en tête de cortège, les slogans partisans : « On continue de mourir, on continue de l’ouvrir ! », « Ce sont nos vies, nos vies, qui valent plus que leurs frontières ! » ou encore « Rétention, expulsions, Macron, Macron, t’as un cœur en carton ! » et « Les trans en colère, les psys c’est l’enfer ! »

Les banderoles sont tout aussi expressives. « Abolition de la mention de genre à l’état civil », peut-on lire d’un côté, tandis que la pancarte se tourne, au gré du vent : « Mon corps, mon genre, ta gueule ». Simple. Efficace. Tout comme le très explicite panneau « Stop aux mutilations sur les intersexes » ou le piquant « Si vous ne votez pas la PMA, on épouse vos filles ! »

ARRACHER SES DROITS

Arrivée au niveau de la place de Bretagne, la Marche des Fiertés effectue un arrêt, le temps d’un die-in, pour commémorer les personnes LGBTIQ+ décédées. Parce qu’elles ont été assassinées en raison de leur orientation sexuelle, de leur orientation affective, de leur identité de genre, etc. Parce qu’elles sont mortes en fuyant le pays dans lequel elles étaient persécutées, torturées, menacées de mort. Parce qu’elles se sont suicidées.

Dans tous les cas, la non acceptation de la société envers elles leur a couté la vie. Calmement, les manifestant-e-s s’allongent sur la route. Les mots prononcés en amont de la Marche par Yann Goudard, président-e d’Iskis et administrateurice de la Fédération LGBT, résonnent dans les silences :

« La répression poursuit nos existences depuis longtemps. Nos vies font désordre, nous sommes discriminé-e-s, persécuté-e-s. Nous marchons pour nos vies, pour arracher nos droits. (…) Maintenant, soyons visiblement fier-e-s- et clamons notre colère. »

Reprenant la thématique de cette 25eédition rennaise « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? », Yann Goudard répond, en dressant la liste par la négative : « Pas au conseil des médecins, pas au ministère de la Santé, pas au ministère de l’Éducation nationale, pas au ministère de l’Intérieur, pas au secrétariat chargé de la lutte contre les discriminations, pas à Matignon, pas à l’Élysée… »

La liste des revendications est longue (et complète sur le site de l’association Iskis). Des revendications à prendre en compte de toute urgence, alors que les dirigeant-e-s font les autruches. Le Centre LGBT de Rennes, ainsi que les structures partenaires et les allié-e-s, se mobilisent ce jour-là – comme au quotidien – pour mettre en lumière les luttes « pour l’arrêt des opérations et médications d’assignation des personnes intersexes jusqu’au libre choix de la personne ; pour un accès effectif et gratuit aux différents moyens de prévention des IST, du VIH et des hépatites ; pour le libre choix de son parcours de transition et ses médecins, conformément à la loi, et l’abolition des protocoles inhumains encore existants, notamment ceux de la SoFECT ; pour accorder systématiquement le droit d’asile aux personnes LGBTI exilées fuyant leur pays en raison de leur sexe, orientation sexuelle ou identité de genre ; pour l’ouverture de la PMA à tou-te-s sans discriminations et dans les mêmes conditions ; l’intégration des différentes sexualités, sexes et identités de genre dans les programmes de formations initiale et continue (enseignement, santé, administrations, forces de l’ordre, etc.). »

AMOURS HEUREUX

Dans le cortège, cette année, on ne peut rater les étonnantes nonnes qui défilent aux côtés des manifestant-e-s. Elles ont 40 ans les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Elles sont apparues pour la première fois en 1979 dans le quartier du célèbre Harvey Milk, le quartier Castro de San Francisco.

Engagées pour récolter des fonds au profit des malades du cancer et dans des manifestations contre le nucléaire, elles ont répondu et répondent encore à un besoin d’écoute sans jugement et de bienveillance. Pour cela, elles prônent l’expiation de la culpabilité stigmatisante et la promulgation de la joie universelle.

Lorsqu’au début des années 80, le sida apparaît et ravage un nombre incalculable de vies, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence choisissent de promouvoir l’amour heureux et l’amour libre, le respect de soi et de ses partenaires. En France, plusieurs couvents ont été fondés dès 1989 et œuvrent, comme dans le reste du monde, à l’organisation des séjours de ressourcement désormais appelés Jouvences. Un moment, de trois à quatre jours, dédié aux personnes concernées par le VIH (les personnes touchées, les proches, les personnes ayant une activité en rapport avec le VIH…).

Les Sœurs sont formelles : les Jouvences ne sont pas médicalisées, ni accompagnées par des psychologues. L’idée étant de proposer des espaces de liberté à chacun-e dans lesquels seuls sont imposés le respect de soi, le respect des autres et le respect des heures de repas. Tout peut être exprimé et partagé dès lors que la personne y consent.

« Nous sommes là pour vous écouter, parler de vos peines de cœur, vos peines de cul. Pour vous expliquer comment utiliser des capotes ou vous faire un câlin. »
s’exclame une des Sœurs sur l’esplanade Charles de Gaulle.

Ce qu’elles réclament ? « L’intégrité physique, la reconnaissance de nos identités, de nos amours… Les droits humains pour tou-te-s ! Nous avons un devoir de mémoire envers nos frères, nos sœurs, nos adelphes, celles et ceux qui fuit les zones de guerre pour trouver ici un accueil indigne ! Nous ne les oublions pas. »

Ce jour-là, elles sont présentes pour répandre « amour, joie et beurre salé » dans les cœurs. Comme toujours, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence s’affichent comme un soutien et dénoncent l’indifférence dans laquelle des personnes LGBTIQ+ meurent, la solitude également dans laquelle ces dernières et d’autres concernées se trouvent, ne serait-ce qu’au travers des difficultés rencontrées pour accéder aux soins et à la santé.

LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION

Et par soins et santé, nous entendons ceux de « tous les jours », pour un rhume ou une gastro, censés être basés sur le respect, le non jugement et la bienveillance, et non des protocoles visant à aliéner les individus que la société voudrait catégoriser de malades mentaux, d’anomalies. Dépénalisée en 1982 en France, l’homosexualité est restée inscrite au registre de la Classification Internationale des Maladies de l’OMS (à laquelle se réfère l’Hexagone) jusqu’en 1992. Avant hier, en somme.

La transidentité, quant à elle, n’a été retirée de la liste des maladies mentales qu’à partir de 2010, en France. Hier, en résumé. « Nous sommes encore considérés comme des individus malades même si aujourd’hui nos parcours sont moins psychiatrisés. », explique Élian Barcelo, vice-président d’Iskis et co-secrétaire du ReST.

Le Réseau Santé Trans (le ReST), c’est un réseau paritaire réunissant des personnes trans et des professionnel-le-s de la santé. Actif depuis trois ans et officiellement créé à Rennes il y a un an (en mars 2018, précisément), il favorise le partage d’expériences et « l’échange sur les protocoles de prise en charge, en concertation avec les personnes trans concernées. »

Aujourd’hui, il existe deux manières de prendre en charge la transidentité, comme le développe Élian Barcelo. Depuis 2010, le parcours – auto-proclamé – officiel est celui proposé par la Société Française d’Études et de prise en Charge de la Transidentité, qui « à côté de professions non médicales telles que les psychologues, sociologues ou juristes, rassemble de façon transversale tous les spécialistes médicaux concernés par la prise en charge de la transidentité, en particulier : psychiatres, endocrinologues, chirurgiens plasticiens, urologues et gynécologues. », peut-on lire sur le site de la structure, qui visiblement oublie de parler des personnes concernées.

« Ça ne convient pas à tout le monde car un suivi psychiatrique est obligatoire pendant deux ans, ce qui peut être stigmatisant et normalisant. Ce processus peut aussi mettre en danger les personnes trans à qui on demande de faire leur coming out auprès de leur entourage sans avoir accès à des hormones de transition. Ce qui veut dire qu’elles font leur coming out avec une apparence qui ne leur va pas. Ça n’aide pas. »
précise le co-secrétaire du ReST.

La deuxième manière, celle pour laquelle œuvre le Réseau, c’est le parcours libre : « La transidentité n’est pas une maladie mais nécessite un suivi médical. L’idée des parcours libres, c’est de pouvoir choisir librement son médecin, son endocrinologue,… Et d’avoir recours à un suivi psy selon le ressenti. Que ça reste un choix, une option. On travaille avec des médecins qui ne demandent pas de certificat psychiatrique et qui ne remettent pas en cause la manière dont la personne se sent, car c’est très personnel. Et on ne force pas le coming out. Et on ne se cantonne pas à l’approche visant à penser uniquement à travers le côté « je ne me sens pas bien dans mon corps », on peut aussi parler de bien-être, de mode de vie de qualité, de réflexion. »

Le ReST prône le principe d’autodétermination des personnes trans. La charte, signée déjà par une trentaine de personnes ainsi que des entités associatives adhérentes telles que Iskis, le Planning Familial 35, Ouest Trans ou encore les Planning Familiaux de Grenoble et de Clermont-Ferrand, repose d’ailleurs sur l’autodétermination et le point de vue non jugeant des professionnel-le-s de la santé.

En résumé, le Réseau milite pour la reconnaissance des personnes trans comme individus à part entière, pouvant ainsi agir et choisir librement, et non comme des personnes atteintes de troubles de la personnalité ne leur permettant pas de décider de leur corps et de leur vie. 

MAIN DANS LA MAIN

Cela devrait être acquis et pourtant l’accueil des personnes transgenres diffère dans la majorité des cas de l’accueil des personnes cisgenres.

« Les médecins ne sont pas formés et souvent, ils ne vont pas se sentir légitimes et/ou compétents pour les transitions mais cela n’empêche pas de suivre le quotidien. Mais ils ont souvent des appréhensions, peur de mal faire. Il y a des choses comme prendre le rythme cardiaque d’une personne transgenre et donc lui demander de soulever son t-shirt qui peuvent être gênantes pour elle. Autre exemple : quand on appelle un cabinet médical, le secrétariat ajoute toujours au téléphone ou en face à face la civilité supposée de la personne, par rapport à la voix ou l’apparence physique.

Dans le réseau, la totalité des médecins demandent uniquement le nom d’usage. Des problèmes peuvent subvenir aussi chez le médecin ou à la pharmacie, si la carte vitale n’a pas pu être changée. Ça les rend souvent surpris ou suspicieux. Les personnes trans constituent une population qui n’a pas un accès facile aux soins alors qu’elle en a besoin. Il est nécessaire d’être dans une démarche de réflexion, de formation. Des choses ont été très bien réfléchies au Planning Familial 35 qui a engagé une réflexion depuis quatre ans. L’accueil y est excellent aujourd’hui. Je préfère envoyer les gens vers le PF35 parce que c’est un endroit où les personnes LGBTIQ+ sont bien accueillies et où les professionnel-le-s peuvent envoyer vers des confrères et des consœurs plus compétent-e-s sur telle ou telle thématique. », détaille Élian Barcelo.

Travailler en collaboration continue avec les professionnel-le-s de la santé, les associations et les personnes trans permet la reconnaissance de l’expertise et l’expérience des concerné-e-s mais favorise aussi l’élaboration d’une réflexion commune convergeant vers l’accueil et l’accompagnement médical, intégrant dans le processus la notion de choix et de respect tant de l’expression de l’identité de genre que dans les parcours de santé. 

NE PAS LÂCHER LE LIBRE CHOIX

Ainsi, le ReST œuvre et participe à trois principes majeurs d’intervention : le travail avec et pour les personnes trans, l’amélioration de l’accès aux soins et la qualité des soins notamment  par l’information et la formation des professionnel-le-s de la santé, et la défense des droits des personnes trans en matière de santé. 

C’est dans le sillon de cette troisième mission que le Réseau s’active actuellement au soutien d’une professionnelle de la santé visée depuis le début de l’année par une plainte de la part du Conseil National de l’Ordre des Médecins, à la suite d’un signalement provenant de proches d’une patiente trans majeure.

« On la soutient, on lui a donné des noms d’avocat-e-s et on a lancé une cagnotte pour l’aider à financer les frais d’avocat car l’assurance professionnelle n’en couvre qu’une petite partie. », explique Élian Barcelo qui poursuit :

« La patiente est majeure et son entourage a porté plainte car elle a été mise sous hormonothérapie avec son accord. Dans un premier temps, l’ordre départemental des médecins a rendu un avis favorable à la professionnelle, invalidant les trois points soulevés par le CNOM qui a choisi de poursuivre la plainte malgré tout. »

Le vice-secrétaire démonte en toute logique les trois faits reprochés à la personne attaquée. Premier point : le non respect de son serment de gynécologue l’obligeant à ne recevoir en consultation que des femmes.

« C’est extrêmement déplacé et c’est insultant. Ce serment n’existe pas. Les gynécos peuvent suivre des hommes cisgenres pour différentes pathologies. C’est clairement de la transphobie. », balaye-t-il d’un revers de la main.

Deuxième point : les traitements hormonaux ne devraient être prescrits que par des endocrinologues. « Dans le Vidal, qui est une référence pour les médecins, il est bien marqué que les gynécologues et médecins généralistes peuvent les prescrire. », s’exclame-t-il.

Troisième point (et c’est là clairement que se niche le problème) : elle ne respecterait pas les recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2009 et les recommandations de 2015 concernant les équipes et praticien-ne-s affilié-e-s à la SoFECT.

« Le problème c’est le parcours libre. Que le parcours soit en dehors d’un parcours psychiatrique. C’est considérer la transidentité comme une maladie. La dépsychiatrisation auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) date de 2018 mais il y a certaines structures qui freinent des quatre fers. »
poursuit-il.

Ainsi, cette affaire pointe du doigt plusieurs problématiques majeures : les personnes trans n’auraient visiblement pas le droit de choisir librement leurs praticien-ne-s, les démarquant du reste de la population et le consentement d’un-e patient-e trans majeur-e pourrait être remis en cause par son entourage qui peut se saisir comme bon lui semble de l’Ordre.

Droits de base bafoués, personnes trans infantilisées, stigmatisation normalisée. Les enjeux qui en découlent sont importants : « Si la professionnelle attaquée perd, les parcours libres pourraient être amenés à disparaître et là, ça pose un problème en matière de politique de santé. On ne veut pas lâcher le libre choix. On ne veut surtout pas perdre du terrain là dessus. Dialoguer avec des médecins respectueux, c’est beaucoup pour nous ! »

Concrètement, en terme de politique nationale de santé, le ReST, hormis certains soutiens à l’Assemblée Nationale, au Sénat et du côté du Défenseur des droits, n’est pas aidé dans son combat, « la ministre de la Santé ayant été ambassadrice l’an dernier lors de l’AG de la SoFECT, on peut supposer qu’elle soutient les parcours officiels. »

En résumé, la France n’avance que très partiellement sur les questions de la transidentité : « Le gouvernement gonfle le torse en parlant de la PMA (dont l’extension à tou-te-s est sans cesse reportée depuis 6 ans, ndlr), mais publiquement, les personnes transgenres, on en parle pas beaucoup et on est très loin d’avoir avancé sur la santé. 

En 2016, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a permis de ne plus passer devant le tribunal pour effectuer le changement de prénom à l’état civil. Désormais, la démarche se fait à la mairie. La réforme a eu lieu parce que la France a été condamnée car elle demandait la stérilisation des personnes transgenres pour obtenir le changement des papiers d’identité. Il a fallu une condamnation !!! » 

L’importance des réseaux comme le ReST et des espaces sécurisés réservés aux personnes concernées n’est plus à démontrer. Face à la transphobie, institutionnalisée mais pas uniquement, l’information et la formation sont indispensables et pourtant, encore minoritaires, voire complètement absentes. Briser le rapport de domination sachant-e/patient-e, c’est un des combats des associations LGBTI.

« Depuis longtemps, depuis les années 90 ! », souligne Élian Barcelo. Les échanges avec les professionnel-le-s de la santé doivent mener à la reconnaissance de l’expertise des personnes trans en matière de transidentité. Là encore, logique…

« Pour le moment, la formation des futurs médecins et pharmaciens est encore verrouillée et il est très compliqué de faire irruption comme ça, dans les formations. En Bretagne, l’association Ouest Trans et le Planning Familial proposent des formations à destination des professionnel-le-s de la santé. Même des formations courtes, simplement pour faire germer la réflexion et apporter les bases théoriques autour de la transidentité. », conclut le vice-président d’Iskis et co-secrétaire du Réseau Santé Trans ponctuant la fin de notre rencontre par un « Voilà à quel point de connaissances on en est… » 

LA BINARITÉ CRÉE LES ANOMALIES…

Les réticences sont nombreuses, les avancées minoritaires. Parce que le système est encore binaire et les cases, essentielles au bon fonctionnement de ce système. Mais l’Homme ne se doit-il pas d’être plus nuancé et complexe que la machine ? Pourquoi s’octroie-t-on le droit d’étiqueter la transidentité à une pathologie et l’intersexuation à une anomalie ?

« Notre société est bornée et prétend que l’humain peut être classé d’une manière binaire. Elle prétend qu’il y a des femelles et des mâles et que ce qui ne rentre pas dans ces cases soi-disant naturelles est anormal et qu’il est donc légitime d’opérer. C’est absurde. Nous savons maintenant que le genre est une construction sociale. Le sexe, bien qu’il soit biologique, relève aussi d’une certaine construction sociale.

Nous avons décidé qu’un clitoris devait avoir maximum une certaine longueur et qu’un pénis devait avoir minimum une autre, qu’un vagin devait avoir une certaine profondeur et que les hormones d’une certaine personne devaient être dans un certain référentiel. Ces limites ont été décidées arbitrairement et légitiment des traitements inhumains. », explique Audrey Aegerter, créatrice de la chaine Audr XY disponible sur YouTube et présidente de l’association InterAction fondée en Suisse.

Elle précise : « En fait, on veut s’assurer que tout le monde puisse avoir un rapport hétérosexuel, que les organes génitaux externes ressemblent à ce qu’on s’attend d’une fille ou d’un garçon et que la puberté se fasse comme attendue en fonction du sexe assigné. Il y a donc une certaine transphobie et homophobie dans la prise en charge des personnes intersexes. Les opérations ont toujours été autorisées… ou du moins, n’ont jamais été interdites mais c’est dans les années 50 que la prise en charge a commencé à être protocolaire. »

Selon l’ONU, on estime à 1,7% de la population concernée par l’intersexuation qui est une variation du vivant, c’est-à-dire une variation des caractéristiques sexuelles, qui peut être de l’ordre chromosomique, hormonale ou des organes génitaux internes et/ou externes. On peut découvrir ces variations à la naissance ou à la puberté, ou même après.

« La plupart de ces variations sont saines et ne nécessitent aucune prise en charge médicale. Malgré cela, beaucoup se font opérer ou subissent des traitements hormonaux sans consentement éclairé et libre. »
souligne Audrey.  

NE PLUS SE SENTIR ISOLÉ-E

Sa chaine, lancée début 2018, et ses vidéos, dont « #Il y a une couille avec votre fille », est un véritable outils de transmission des savoirs autour de l’intersexuation. Et de partage. C’est en regardant les vidéos, sur cette thématique, de Pidgeon et Emilord, deux youtoubeureuses des Etats-Unis, qu’Audrey Aegerter a entendu des vécus similaires aux siens :

« Ces personnes qui semblaient si sûres d’elles, elles n’avaient pas honte de leur intersexuation et en parlaient ouvertement. Elles m’inspiraient et m’inspirent encore beaucoup. Je pensais que je n’assumerais jamais aussi publiquement mon intersexuation. »

Quand elle participe au film Ni d’Eve ni d’Adam : une histoire intersexe, réalisé par la documentariste Floriane Devigne (lire notre critique YEGG#74 – Novembre 2018), elle rencontre d’autres personnes intersexes qui, elles aussi, regardent les vidéos des deux youtoubeureuses :

« Elles autant que moi ne connaissions que les mots des médecins. Des mots qui pathologisaient nos corps. Grâce à ces rencontres et ce film, j’ai finalement pris confiance en moi et fais mon coming-out. Suite aux nombreux coming-out, l’intersexuation a gentiment pris une place chère dans ma vie et n’est plus une tare. Je suis aujourd’hui heureuse et fière d’être intersexe, car sans cela je n’aurais jamais rencontré des personnes que j’aime énormément. »

Personne, parmi la population concernée dans les pays francophones, ne publie de vidéos sur le sujet. Elle décide alors de se jeter dans le bain. Pour les personnes intersexes tout d’abord. Pour qu’elles ne se sentent pas ou plus isolées. Pour qu’elles puissent entendre des témoignages humains et non des paroles médicales visant à leur faire penser qu’elles sont malades.

Mais la chaine Audr XY s’adresse également aux personnes dyadiques, soit les personnes qui ne sont pas intersexes. Pour que les parents ou futurs parents d’enfants intersexe aient accès aux informations. Pour que les associations aient des ressources et des outils. Pour que le grand public sache et que l’intersexuation gagne en visibilité au sein de la société.

« Par le biais de mes vidéos, je suis également rentrée en contact avec d’autres personnes, qui sont dans la même situation que moi il y a quelques années, et qui m’écrivent pour me raconter leurs histoires ou me dire qu’elles se sentent un peu moins seules le temps d’une vidéo. J’espère que ça va avoir un effet d’empowerment et que nous serons plusieurs à faire des vidéos, à parler publiquement et que cela changera un peu les mentalités.

Imaginez si, dans quelques années, il y avait autant de vidéos sur l’intersexuation que sur le véganisme ? On en changerait des choses ! J’ai fait quelques vidéos où je parle avec d’autres activistes sur des sujets divers, comme le sentiment d’illégitimité, être trans et intersexe ou les discriminations structurelles. J’aimerais montrer la diversité des vécus et variations intersexes et ne pas uniquement parler « de moi » afin qu’une majorité de personnes puissent s’identifier à mes vidéos. », commente la présidente d’InterAction. 

DES CORPS SAINS

L’intersexuation n’est pas une nouveauté. Néanmoins, le sujet est tabou. Comme pour la transidentité, professionnel-le-s de la santé, enseignant-e-s, juristes, etc. ne reçoivent aucune formation (non pathologisantes) à ce propos. Les personnes concernées sont encore et toujours considérées comme malades et anormales. Victimes de malformations. Dans sa vidéo sur les opérations, Audrey Aegerter défend les droits de l’autodétermination, de l’enfant et de l’humain :

« Les corps intersexes sont sains. C’est la médecine qui rend les personnes intersexes malades. On considère que le fait d’être déterminé (fille ou garçon) sera bon pour le développement de l’enfant. »

Elle revient plus de 70 ans en arrière pour nous expliquer la cause de la grande perte des droits des enfants intersexes : « Suite à une circoncision particulièrement ratée, le sexologue John Money a créé un protocole particulièrement pathologisant envers les personnes intersexes. Il recommande d’opérer vite, dans le secret. Dans les années 80, les personnes intersexes ont commencé à se (re)construire et ont commencé à se battre pour leurs droits.

Notamment avec l’organisation américaine ISNA et les Hermaphrodites with attitude. L’ISNA a fait un travail exceptionnel. Depuis, les organisations ont des positions officielles et font du plaidoyer politique pour les droits humains. Grâce à cela, il y a eu de grandes avancées pour le mouvement qui adopte aujourd’hui une approche politique par les droits humains et condamne les institutions pour leurs pratiques médicales. Les unes après les autres. »

On est loin du monde qu’elle décrit dans « Une fable intersexe ». Un monde sans mutilations génitales, tortures et violations des droits des enfants. Un monde qu’elle sait non réaliste en l’état actuel mais en lequel elle croit à force de luttes permettant à terme de protéger les enfants intersexes et de les inclure dans la société, sans discriminations.

Pour l’heure, la France comme la Suisse ignorent les recommandations du comité d’éthique invitant les médecins à ne pas opérer les enfants sans consentement éclairé : « L’ONU a depuis 2015 fait plus de 40 réprimandes condamnant la prise en charge des personnes intersexes dans les pays européens. C’est énorme. » À sa connaissance, il n’y aurait qu’à Malte et en Californie qu’il existerait une interdiction formelle des mutilations génitales sur les enfants intersexes « mais la mise en place de nouveaux protocoles tarde… »

L’Occident condamne donc fermement l’excision pratiquée dans plusieurs régions du monde mais autorise et se donne même le droit de mutiler des enfants sur son territoire, en raison de la binarité. Cette dernière « est aujourd’hui la cause d’énormément de souffrance pour beaucoup de personnes. Les personnes LGBTIQ+ sont discriminées et n’ont pas accès aux mêmes droits que les personnes cisgenres, hétérosexuelles et dyadiques.

C’est incroyable qu’en 2019 nous devions toujours nous battre pour exister librement. Les jeunes LGBTIQ+ sont plus susceptibles que les autres de tenter de se suicider, arrêter l’école et/ou être précaires. » Incroyable également qu’il faille rappeler par voie de presse que « le droit des enfants à l’intégrité physique et sexuelle est un droit inaliénable. » (Tribune parue dans Libérationle 10 septembre 2018 revendiquant l’arrêt des mutilations des enfants intersexes). 

LA COMMUNAUTÉ AUX VERTUS GUÉRISSEUSES

Toutefois, les médias sont encore peu nombreux à s’intéresser aux revendications des personnes intersexes (interdiction des traitements et opérations altérant les caractéristiques sexuelles des personnes sans leur consentement libre et éclairé / suppression du genre à l’état civil / soutien psychosocial gratuit et choisi / formation complète et non pathologisante aux personnels soignants, aux enseignant-e-s, aux juristes…).

Ce sont les associations telles qu’InterAction, co-fondé par Audrey Aegerter le 26 octobre 2017 (journée de la visibilité intersexe), Zwischengeschlecht (toujours en Suisse) ou encore le Collectif Intersexes et Allié-e-s (en France) qui œuvrent à l’avancée des droits humains et au changement des mentalités.

Les structures agissent, malgré de faibles soutiens et moyens financiers, sur plusieurs fronts : à la fois politiques, sociétales et personnels. Elles sont à la fois porteuses d’informations et de formations, leviers de visibilité menant à la reconnaissance des personnes intersexes et de leurs droits et organisatrices d’espaces sécurisés.

Pour Audrey, « la communauté intersexe a d’énormes qualités guérisseuses. » Et peut être, en complément de l’entourage si celui-ci est bienveillant, un véritable soutien. Car il ne faut pas oublier la notion dont elle a parlé plus tôt : outre les opérations et les traitements hormonaux effectués dans l’urgence, le « secret » est également un facteur destructeur.

Pour briser le climat de honte, « en tant que personne concernée, il faut beaucoup de courage et de bienveillance. L’intersexuation est encore tellement taboue… Il n’y a malheureusement pas de règle d’or pour briser le tabou, à part parler et faire face aux questions mal-placées, aux remarques désobligeantes et à l’étonnement… Même si ce n’est pas facile tous les jours, briser le secret déjà dans sa propre vie est très émancipateur, à condition qu’on soit dans un environnement safe.

Pour moi, ne plus avoir besoin de mentir, être honnête avec les autres et moi-même quant à mon corps est exceptionnellement émancipateur. Ça me donne de la force et de l’énergie. Malheureusement, ce n’est pas encore sécure pour toutes les personnes et dans tous les milieux, c’est donc un privilège que j’ai de pouvoir parler aussi librement de l’intersexuation. »

BRISER LE CLIMAT DE HONTE

D’ailleurs, elle le dit clairement, s’exposer en tant que personne intersexe sur Internet constitue un danger. Elle craint les trolls et les micro-agressions en ligne mais aussi pour son avenir professionnel, et s’inquiète de transmettre des informations erronées qui pourraient aller à l’encontre du mouvement des intersexes.

Comme dans ses vidéos, Audrey Aegerter pointe des réalités douloureuses et injustes tout en distillant toujours une note de légèreté et d’optimisme : « Lorsque je fais face à des commentaires haineux, cela me prend aux tripes, je tremble et je me demande si c’est vraiment nécessaire de continuer. Mais les échos positifs sont heureusement plus nombreux.(…) J’ai peur que ma visibilité puisse faire peur à mon employeur… Les personnes LGBTIQ+ sont encore beaucoup discriminées à l’embauche et sur le lieu de travail. Cela n’a pas encore été le cas, heureusement ! (…) Grâce à la communauté, à mes ami-e-s et à un travail de recherche que je fais de mon côté, cette crainte (d’être néfaste au mouvement, ndlr) est bien moins présente qu’au début. »

Rompre le silence ne devrait pas s’apparenter à une prise de risque pour la santé physique et/ou mentale de la personne qui entreprend cette action. C’est toute la société qui est concernée par cet état de fait. Pour la présidente d’InterAction, les personnes dyadiques peuvent participer à la suppression du climat de honte et à la stigmatisation que subissent les personnes intersexes. En étant allié-e-s.

« Même si elles ne connaissent pas, a priori, de personnes intersexes. Elles peuvent corriger les personnes qui disent des choses clairement fausses sur l’intersexuation ou une pseudo binarité dans notre société, partager des articles et vidéos sur les réseaux, etc. C’est peut-être pas grand chose mais si une personne concernée le voit, ça peut faire beaucoup de bien et elle saura qu’elle peut s’adresser à elles.

Et en tant que parent, briser le tabou veut dire parler ouvertement à son enfant, lui expliquer de manière appropriée sa variation et l’aimer pour ce qu’il est. Lui donner la force de vivre comme il est et peut-être de changer le monde. », répond-elle, espérant pouvoir aider le plus grand nombre de personnes dyadiques et intersexes à travers ses vidéos, palliant ainsi le manque d’informations dans les médias, les écoles et les formations. 

LA HONTE DOIT CHANGER DE CAMP

Il y a urgence. Déconstruire les normes patriarcales - qui on le rappelle sont principalement binaires (avec la mention « Le masculin l’emporte sur le féminin »), hétéronormées et blanches, entre autre – s’apparente souvent dans l’imaginaire collectif à la perte de privilèges.

Résultat : on préfère ignorer les discriminations subies par les personnes que l’on qualifie de différentes et qu’on assimile pour certaines à des personnes souffrant d’une pathologie. On minimise les vécus, on ignore leurs existences. En somme, on nie véritablement leurs droits à la dignité et à l’humanité.

De temps en temps, de manière totalement aléatoire, on s’émeut. De l’assassinat de Marielle Franco, de l’agression de Julia, du passage à tabac d’un couple lesbien dans le bus. Par exemple, la presse n’hésitera pas à titrer en mai 2019 « Agression de Julia : la transphobie en procès à Paris ».

Vraiment ? Qu’a-t-on fait en août 2018 à la suite du meurtre de Vanesa Campos ? Combien de personnes, ne serait-ce qu’à Rennes, se rassemblent place de la Mairie le 20 novembre, à l’occasion du Jour du Souvenir Trans (TDoR, Transgender Day of Remembrance) afin de commémorer les personnes trans assassinées et poussées au suicide à cause de la transphobie vécue ?

Si quelques actes LGBTIphobes font couler de l’encre dans les médias, ils sont minoritaires face à la liste de prénoms dressés lors du TDoR, face aux chiffres révélés chaque année par le rapport de SOS Homophobie et face à toutes les discriminations tues et toutes celles encore qui ne sont pas dites car elles sont devenues banales, quotidiennes, intégrées.

On s’insurge de l’inhumanité de nos voisins européens (en Pologne, les commerçants ont depuis juillet 2019 le droit d refuser de servir des personnes LGBT) ou non qui persécutent, enferment, torturent, condamnent à mort les homosexuel-le-s. Qu’en est-il sur notre territoire ? Nous inquiétons-nous du sort des personnes étrangères LGBTIQ+, menacées de mort dans leur pays d’origine, à qui l’on n’accorde pas le droit d’asile ? Nous inquiétons-nous réellement de la sécurité de toutes les personnes LGBTIQ+ ? Notre indifférence, notre hypocrisie et notre non remise en cause par rapport à nos responsabilités mettent des vies en danger.

MANQUE DE REPRÉSENTATION

Seules les personnes concernées peuvent parler de leurs vécus. Les allié-e-s peuvent les écouter, sans chercher à minimiser leurs paroles, et peuvent aussi s’informer via les associations, les sites ressources, les articles, les documentaires, les livres, etc. Parce que nous ne manquons pas d’informations mais d’intérêt et ignorons souvent, par conséquent, les biais et canaux qui s’offrent à nous.

La difficulté résidant également dans le fait que les cinémas, chaines TV, médias, maisons d’éditions, librairies, programmateur-e-s artistiques et autres secteurs grand public sont souvent frileux (et LGBTIphobes) quant à ces sujets encore considérés « underground », marginaux.

« La politique est bien moins intéressante pour les médias que de savoir sur quelles toilettes nous allons… »
déclare Audrey Aegerter.

Et cela révèle le manque de représentation des personnes LGBTIQ+ dans la société actuelle qui, tant qu’elles ne déclarent pas publiquement leur homosexualité, transidentité ou intersexuation, sont considérées selon les normes hétérosexuelles, cisgenres et binaires.

« Le manque de représentation fait que nous ne savons pas comment parler d’intersexuation, nous n’avons pas accès à des terminologies bienveillantes et cela participe également au climat de honte. C’est justement afin d’éviter cela que je crée mes vidéos et que je suis aussi visible. Bien que la visibilité ne fasse pas le travail, j’espère qu’elle nous apportera des membres ou motivera d’autres à s’engager.

Le travail doit être fait de manière collective, hors il est très difficile d’atteindre les personnes intersexes. Le manque de représentation participe à cela. Le manque de représentation et d’information en général sur le sujet fait que pour beaucoup de parents, c’est le jour de la naissance de leur enfant qu’ils entendent parler d’intersexuation pour la première fois. Ils ignorent alors le non-fondé des traitements. Tout cela participe à leur détresse. Et c’est un des arguments que les médecins utilisent le plus souvent pour légitimer les traitements… La détresse des parents. », analyse Audrey.

Comme elle le souligne, le manque de représentation favorise la honte. Puisque sans représentation, on pense que la situation est unique, isolée, et rares sont les personnes qui arrivent à supporter d’être à l’écart de la société. À ce jour, peu de personnalités publiques ont révélé leur intersexuation, excepté la mannequin Hanne Gaby Odiele et la femme d’affaires Taylor Lianne Chandler (plusieurs articles supposent l’athlète Caster Semenya en tant que personne intersexe mais  elle n’en a jamais fait mention).

Présenter des profils et des parcours divers, c’est alors faire germer l’idée que ces derniers ne sont pas différents mais que la norme n’est tout simplement pas unique. C’est permettre à tout le monde de se construire grâce à la possibilité de s’identifier à des rôles modèles et ne pas penser que des domaines d’activités ou des métiers sont réservés à telle ou telle partie de la population, majoritairement des hommes blancs hétérosexuels (lire Encadré).

DES DROITS HUMAINS AU PINKWASHING… LA POLÉMIQUE

« Les droits humains sont ma fierté » revendique la grande banderole d’Amnesty International, visible le 8 juin dernier lors de la Marche des Fiertés. Cinquante ans après les émeutes de Stonewall, qui rappelons-le sont à l’origine des premières Marches américaines, on ne peut nier les avancées en terme de droits mais on ne peut également que constater la lenteur avec laquelle les différents gouvernements les ont accordés, peinant encore à reconnaître l’égalité de ces droits aux restants des fameux Droits de l’Homme.

Et le moins que l’on puisse observer également, c’est que les soutiens ne se bousculent pas au portillon. Les vrais soutiens. Pas ceux de Mastercard, Tinder, Google, Air France… dont la présence à Paris a créé la polémique, interrogeant le caractère politique ou commercial de la Marche.

« Le discours, très perceptible lors des débats sur le mariage pour tous, définissant les droits LGBT comme des droits humains est très favorable au pinkwashing, c’est-à-dire au fait pour les entreprises de se donner une image progressiste. », explique le militant queer et anthropologue Gianfranco Rebucini dans une interview accordée à Vice le 28 juin 2019. À New York, la « Reclaim Pride » a été organisée pour se réapproprier la Gay Pride, vidée de son propos revendicatif et contestataire, selon plusieurs milliers de manifestant-e-s.

À Paris, l’appel « Stop au pinkwashing » a été lancé quelques jours avant la Marche des Fiertés afin de souligner le désaccord avec l’organisation officielle. Début juillet, sur Twitter, on pouvait lire le message du Collectif Intersexes et Allié-e-s : « N’oubliez pas que nous, les personnes intersexes, en compagnie d’allié-e-s, avons ouvert la Marche des Fiertés de Paris 2019. Il était impossible de nous manquer, il y a eu des interviews en amont, et pourtant aucun média n’en parle : #IntersexesEnTêtePride2019 ».

Sur le site de Komitid, un article est consacré à une interview de Mischa, membre du Collectif Intersexes et Allié-e-s et co-initiateur des Délaissé-e-s des Fiertés qui ont pris la tête du cortège, juste derrière les Goudou-e-s sur Roues. Il explique :

« Le Mouvement est né d’une frustration, d’une urgence d’exister dans les luttes et les fiertés LGBTI, pour les personnes intersexes. Submergé de travail, le Collectif Intersexes et Allié-e-s, seule association par et pour les personnes intersexes en France, est à la fois très sollicité et ironiquement peu entendu dans les revendications générales de la communauté LGBTI. D’un côté on nous veut partout, et dans le même temps on ne nous donne pas du tout les moyens de l’être. C’est épuisant et frustrant pour nos militant-e-s. Cette année, l’organisation avec l’Inter-LGBT ne s’est pas bien passée.

On leur a fait une proposition de formation, essentielle dans le cadre de la Marche des Fiertés où nos revendications peinent à être portées correctement, dignement. Mais iels nous ont répondu trop tard – et s’en sont excusé-e-s – et nous n’avions plus du tout le temps de nous organiser. Ça ne s’était pas bien passé avec nos partenaires non plus, comme souvent. On était démoralisé-e-s. En parlant avec d’autres militant-e-s (dyadiques), en particulier des militant-e-s queer et antiracistes, j’ai repris espoir et on a fini par vraiment créer quelque chose. Ces militant-e-s, pour la plupart handis, racisé-e-s, queer, jeunes, ont remué ciel et terre pour nous donner un espace et une portée inespérée. »

UNE POSITION POLITIQUE

À Rennes, le 8 juin dernier, la thématique « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? » a rassemblé près de 4 000 personnes. Pas de chars de grandes entreprises mais des militant-e-s LGBTIQ+, des associations et des allié-e-s. La manifestation offre une large palette du militantisme : du slogan scandé en chœur avec fougue à une danse endiablée, en passant par les roulages de pelles, les tenues en cuir et les meufs aux seins à l’air, il nous semble que peu importe le moyen d’expression de chaque individu réuni dans le cortège, tout est politique.

Et au sein de la foule qui afflue dans les rues de la capitale bretonne, on aperçoit Faty. Elle rayonne. Vêtue de noir et de blanc en hommage aux couleurs du drapeau de la Bretagne, elle prône les droits humains : « C’est ce qui nous lie, le fait qu’on soit humains. On oublie facilement ça. »

Femme, noire, trans, rennaise d’adoption, brestoise d’origine, elle participe pour la première fois à la Marche des Fiertés. « J’en ai entendu parler par des ami-e-s et je me suis dit que ça pouvait être bien pour moi d’y aller. C’était le bon moment. Pour rencontrer d’autres personnes, d’autres associations. Et aussi pour marquer toutes les discriminations que j’ai pu subir. Une manière de porter plainte en quelque sorte. Je ne pouvais pas y aller sans être visible. », déclare-t-elle.

Challenge réussi, son message passe, elle veut que tous les humains soient libres et ce jour-là, elle s’est sentie libre.

« Je n’ai pas choisi d’être une femme, trans, noire. Encore aujourd’hui, j’essaye d’accepter. Ce n’est pas parce que j’ai le sourire que c’est la fête. Mais maintenant je me dis que si on sait que je suis trans, ce n’est pas grave si ça peut aider d’autres personnes. Plus on pense à ce que les autres pensent, plus on s’empêche de vivre. Je n’en pouvais plus de me dire que j’avais une maladie. Ça a été compliqué de passer le cap mais avec ma transition, j’ai pu mettre des mots. »
poursuit Faty.

Et ce qu’elle constate, c’est que toute sa vie, elle a été renvoyée à sa couleur de peau : « Ma transidentité est un problème dans l’intimité. Tant que ça ne se voit pas, ce n’est pas un problème. Quand ça se voit, souvent, il y a des réactions violentes. Ma couleur de peau en revanche, je ne pensais pas que c’était autant un problème. J’ai toujours grandi dans un milieu où il n’y avait que des blancs. Je savais qu’il fallait faire avec et en tant qu’enfant, je pensais que c’était normal qu’on me touche les cheveux, qu’on me tape. Dans les relations, c’est hyper compliqué.

L’objetisation de la femme noire, c’est lourd ! J’appartiens à un rêve mais je n’existe pas. C’est ça qu’on me renvoie. Moi, je rêve d’amour depuis que je suis jeune. Je rêve de quelque chose de beau, d’important. Et dans la société, c’est pareil, je rêve de melting pot. Ce n’est pas parce qu’on est noir-e qu’on doit trainer qu’avec des noir-e-s. On a besoin de toute la diversité. D’une culture avec des cultures. » 

AMOUR, TOLÉRANCE, RESPECT, JUSTICE ET ÉGALITÉ

Comme elle le dit, ce n’est pas le meilleur des mondes dans lequel nous vivons et dire qu’elle va bien serait une affirmation précoce et erronée. Elle travaille à son acceptation :

« Et ça prend toute la vie, cette thérapie avec moi-même. » Aujourd’hui, elle ne veut plus cautionner les faux semblants, ne veut plus se sentir moins importante que les meubles, ne veut pas s’empêcher de sortir et de vivre. Ce qui l’a aidée, c’est la photographie. Si elle avoue se sentir seule constamment, le medium favorise son évasion et transforme la haine qu’elle a envers les hommes, « enfin certains hommes, pas tous. »

Autodidacte, elle produit des images d’une grande puissance. De par la force des expressions qu’elle y met et de l’esthétique du noir et blanc parsemé de graphisme. Ses visuels sont à son image : riches, sensibles et engagés. Faty est profondément militante dans sa vie de tous les jours. Pour elle et pour les autres.

Même si c’est pesant « parfois, en soirée, de se sentir obligée de parler de ma transidentité et de faire de la pédagogie. » L’obligation de se justifier. C’est le prix minimum qu’a fixé la société pour ne pas être dans la norme imposée. Elle s’est rapidement armée mentalement, ce qui n’empêche ni ne guérit les blessures infligées par chaque discrimination subie :

« On ne peut pas oublier les mots, les gestes, les insultes. J’ai travaillé avec des personnes âgées qui ont refusé que je les touche ! Je suis déçue car ça m’a touchée en plein cœur. Moi, j’ai toujours mes yeux d’enfant mais on ne peut ignorer ou laisser passer certaines choses, comme les viols, les assassinats des personnes trans, etc. Stop ! Je prône l’amour, la tolérance, le respect, la justice et l’égalité. »

Quand on lui demande si désormais elle participera à toutes les Marches des Fiertés, elle nous répond très honnêtement qu’elle ne sait pas. Cette Marche qu’elle a entreprise à Rennes en juin 2019, elle en avait besoin. C’était un « challenge personnel, j’en avais même parlé avec mon médecin (qui est dans le Réseau Santé Trans). »

Elle ne peut pas dire par avance si elle y retournera. En revanche, elle conclut sur la certitude qui l’anime aujourd’hui : « L’envie d’être encore debout et de me battre. Il y a des belles choses dans la vie et ça vaut le coup. J’ai eu peur au début d’être dans la Marche des Fiertés. Je n’ai pas regretté. »

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La lutte pour les droits humains
LGBTIQ+ : Fièr-e-s et en colère !
Le droit d'exister pleinement

Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : L'urgence !

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Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019 puis de nouveau repoussé... Pourquoi ?
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C’est la thématique qu’ont choisi de développer le Collectif breton pour la PMA et l’association Georges Sand lors d’une conférence organisée le 29 janvier dernier, à l’IEP de Rennes. 

«J’avais 33 ans quand Najat Vallaud-Belkacem a annoncé que ça allait se faire. Moi qui ne voulait pas aller à l’étranger… J’en ai maintenant 40. C’est une urgence parce que je ne suis pas sûre qu’on ait réellement parlé de la PMA, de la technique médicale pour concevoir un enfant. On a entendu des discours pour beaucoup lesbophobes et transphobes. C’est un imaginaire extrêmement néfaste qui se construit en France depuis 2012. », déclare Alice Coffin, journaliste militante féministe lesbienne, qui dénonce la lesbophobie d’État nichée derrière le report systématique* d’un projet de loi encadrant l’extension de la PMA aux couples lesbiens, femmes célibataires et personnes trans.

Elle parle de « grande mythologie, grande fable, autour de la PMA ». Les politiques la promettent depuis maintenant 7 ans sans jamais tenir leurs engagements. Violences des non-actes, des discours relayés par les médias, invisibilisation des personnes concernées, manque de représentation…

Alice Coffin analyse un ensemble de faisceaux indiquant que les pouvoirs en place discriminent ardemment les lesbiennes. « Les mois à venir vont être durs. La Manif pour tous a eu des effets désastreux et il y a un vrai lien entre les propos relayés par les politiques et les agressions LGBTphobes. », conclut-elle, pessimiste mais toujours activiste.

Discriminations flagrantes, lâcheté politique, mauvais traitement médiatique, la liste des impunités est longue et toxique puisqu’elle conduit une partie de la population, privée de droits égaux à ceux des hétéros cisgenres, à l’asphyxie. Une liste à laquelle Florence Bertocchio, militante transgenre, ajoute la transphobie de la Justice et de la Santé.

La question de la conservation des gamètes est épineuse. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité, oui. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité dans le cas d’une transition, non.

« On nous dit ‘Vous n’avez qu’à adopter’ alors que c’est très compliqué d’obtenir l’agrément pour l’adoption quand on est une personne trans et ‘Vous n’avez qu’à avoir des enfants avant la transition’ mais jeune on ne pense pas toujours aux enfants qu’on voudra ou non plus tard. C’est important de pouvoir conserver ses gamètes pour pouvoir y avoir accès même après une transition. », déclare-t-elle, s’appuyant sur des décisions judiciaires clairement transphobes et un cas concret de contentieux opposant une femmes trans et un CECOS.

Les deux militantes démontrent l’urgence absolue qu’il y a à établir cette loi. Pour donner les mêmes droits à tou-te-s. Peu importe le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. 

* Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019.

Célian Ramis

"C'est quoi un bon parent ?", une campagne pour l'extension de la PMA !

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« PMA, L’égalité n’attend pas », conclut la nouvelle campagne lancée et largement diffusée sur les réseaux sociaux le 10 octobre par SOS Homophobie « C’est quoi un bon parent ? #BonsParents ».
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« PMA, L’égalité n’attend pas », conclut la nouvelle campagne lancée et largement diffusée sur les réseaux sociaux le 10 octobre par SOS Homophobie « C’est quoi un bon parent ? #BonsParents ». 

Plus de 70% des Français-es se déclarent en faveur de l’extension de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes célibataires. Tout comme le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes et le Défenseur des droits. Ou encore le Comité consultatif national d’éthique qui a renouvelé le 25 septembre dernier l’avis positif déjà émis en 2017.

« C’est un combat de près de 20 ans. Dix pays de l’Union Européenne ont déjà ouvert la PMA à tou-te-s sans que les conséquences énoncées par les opposants soient vérifiées. Il y a en France une grande hypocrisie car depuis longtemps, des enfants sont élevés par des couples de même sexe. En 2013, la promesse n’a pas été tenue. En 2018, elle doit l’être, c’est un engagement électoral, et la France doit entrer dans la liste des pays qui autorisent les couples lesbiens à accéder à la PMA. La reconnaissance de ces familles est essentielle et l’extension du droit existant doit se faire peu importe la situation maritale, l’orientation sexuelle, etc. ».

Elsa, membre des Effronté-e-s Rennes – association membre du Collectif breton pour la PMA, au même titre que Iskis – Centre LGBTI+ Rennes, SOS Homophobie Bretagne, Aedelphe et le Planning Familial 35 – dénonce la libération et l’impunité des discours homophobes portés par les élus au sein même des institutions et rappelle l’urgence à passer à l’action : « Les familles homoparentales existent déjà, il faut changer le regard sur ces familles. »

DONNER LA PAROLE AUX CONCERNÉES

Outre la propagande « Un papa, une maman, un enfant » de la Manif pour tous – et la grande responsabilité des médias qui leur donnent la parole sans modération, à l’instar des 4 pages que Libération leur a dédié début octobre – Dominique, membre du Planning Familial 35 soulève une différence importante de traitement et de point de vue : 

« On lit beaucoup qu’une PMA, dans le cadre d’un couple hétéro, c’est pour résoudre un problème médical. Et dans le cadre d’un couple homo, c’est pour résoudre un problème sociétal. Mais pourtant, on ne guérit pas la stérilité avec la PMA. Dans tous les cas, il s’agit de répondre à un désir d’enfant par des moyens médicaux. »

Le débat autour de l’extension de la PMA est souvent animé et agité. Parce que les opposants, minoritaires, sont trop souvent exposés dans les médias. L’absence des personnes concernées au sein même des échanges et des décisions, voilà ce que dénonce la tribune signée par 88 femmes lesbiennes et bies ayant eu recours à une PMA à l’étranger, diffusée sur FranceInfo :

« Pour cinq opposants, combien de lesbiennes avez-vous interrogées ? Le décalage est criant et le combat médiatique, inégal, dès le départ. Car, quand bien même vous nous donneriez la parole équitablement, nous ne viendrions qu’avec nos vécus, nos émotions, nos familles, auxquels vous n’accordez pas le dixième de l’attention que vous portez aux « spécialistes », « analystes » ou « éditorialistes » qui glosent sur nos situations de vie. »

DES FAMILLES COMME LES AUTRES

Principalement, ce qu’elles mettent en avant dans la tribune, c’est l’évidence de l’amour qu’elles portent à leurs enfants et leurs familles :

« Ne vous inquiétez pas pour nos enfants. Ils ont été désirés. Ils ont été attendus, parfois longtemps. Ils sont aimés. »

C’est là le propos de la nouvelle campagne, commandée par SOS Homophobie. Une famille normale. Deux femmes et un enfant. Une famille normale. Qui s’occupe de son enfant. Qui rit avec lui, le gronde, le somme de faire ses devoirs, le câline, partage des instants avec, etc.

« Ce n’est pas le fait d’être un homme ou une femme qui fait de nous un bon parent. Mais la question est déjà d’en avoir le droit. Dans cette campagne, on se bat contre les discours de haine et surtout on montre une famille normale avant tout. Avec de l’amour, du quotidien. La campagne sera déclinée pour tous les publics aussi longtemps qu’il le faudra. Nous exigeons un débat respectueux ! », souligne Véronique, coordinatrice régionale de SOS Homophobie Bretagne, précisant que la distribution de tracts continue et que prochainement, une conférence sur le sujet sera organisée à Rennes.

DES PARCOURS LOURDS

Le débat, en plus d’être inégalitaire de par la mauvaise répartition de la parole et la frilosité à dénoncer la lesbophobie existante, est sombrement teinté de méconnaissance vis-à-vis du sujet et des démarches.

« Nous nous sommes heurtées à plusieurs obstacles. Déjà : où aller procréer ? Il faut trouver un médecin en France qui accepte de nous suivre, il faut trouver le pays, trouver les moyens d’aller à l’étranger et le temps d’y aller en fonction des traitements et de nos emplois du temps. », signale Marion, membre de SOS Homophobie Bretagne, qui après 3 années environ de parcours PMA en Espagne, s’apprête à devenir mère d’une petite fille, portée par sa compagne Gladys. 

Puis à toutes ses difficultés, s’ajoute celle des finances : « Il faut compter entre 1000 et 1500 euros pour l’acte, mais ça dépend de chaque établissement. Puis, il faut prévoir aussi le budget pour le voyage et l’hébergement. Sans oublier que ça ne marche pas toujours du premier coup. Officieusement, on dit qu’en moyenne, il faut 4 inséminations. Nous, on a eu de la chance, ça a fonctionné à la 2einsémination. »

Le parcours PMA à l’étranger peut entrainer la précarisation du couple qui ne cesse d’avancer les frais pour les traitements en France et qui paye les trajets et les nuits sur place.

« Ça met dans la précarité des couples de personnes qui sont en général déjà discriminées à l’embauche… Sans oublier que pour les couples déjà précaires, c’est impossible d’envisager une PMA à l’étranger. »
précise Elsa.

Les femmes s’orienteront peut-être alors vers une PMA artisanale. Une procédure dangereuse dans les cas où le donneur n’est pas une personne proche, digne de confiance, et compliquée en terme juridique. Encore une fois, la société ferme les yeux. La lourdeur des parcours ne pèse que trop peu dans les mentalités des opposant-e-s.

Rarement dans les débats, on interroge des femmes concernées ayant eu recours à la PMA, avec succès ou non. Parce que l’insémination peut rater, parce que la grossesse peut ne pas être menée jusqu’au terme, parce que les femmes peuvent souffrir d’endométriose, etc.

Marion le confirme : « Le parcours a été très lourd. Gladys souffre d’une insuffisance ovarienne. Il fallait faire des injections, des échographies, prendre les traitements, etc. On a avancé quasiment 400 euros par mois pendant 3 ans. C’est très compliqué. Au boulot, il faut rester dans le secret, le stress s’installe, un infirmier allait sur son lieu de travail pour les injections, ça oblige à se justifier… Ensuite, il faut partir en 24/48h à l’étranger pour l’insémination. Je tiens un commerce, c’est une contrainte lourde de fermer le commerce comme ça.»

TOUJOURS PLUS D’INÉGALITÉS

Elle pointe des inégalités aberrantes à l’arrivée du bébé due au vide juridique qui régit la venue d’un enfant dans une famille homoparentale :  

« Gladys est la mère biologique de l’enfant. Moi, à la naissance de notre fille, je n’aurais aucun droit juridique sur l’enfant. S’il arrivait quelque chose à Gladys, l’enfant ne me reviendrait pas. Pourtant, cette petite fille, on l’a conçue toutes les deux. Il y a un vide juridique. Nous sommes mariées depuis 2 ans, ma femme porte mon nom de famille, nous avons un livret de famille. Mais notre fille aura le nom de jeune fille de Gladys. Il faudra un nouveau livret de famille puis lorsque l’adoption sera acceptée, il faudra faire un 3elivret de famille. »

Plusieurs différences donc différencient les familles hétéros et les familles homos. Pour pouvoir adopter l’enfant, le couple doit être marié, le droit obtenu lors du mariage pour tous devenant ainsi une injonction pour les couples lesbiens souhaitant fonder une famille avec un enfant.

Ensuite, la reconnaissance, comme le signale Véronique : « C’est quelque chose qui n’arrive pas à un couple hétérosexuel qui bénéficie d’une présomption de parentalité. Puis l’enfant peut être reconnu à la mairie par le père, sans qu’on lui demande un test ADN pour prouver qu’il est bien le père. Il y a urgence à agir pour l’extension de la PMA. »

Urgence, en effet, à établir l’égalité des droits pour les couples et les familles. Urgence également à changer les mentalités pour qu’enfin les couples lesbiens soient libres de procréer, sans y ajouter le poids du regard de la société :

« Surtout qu’à entendre toujours des messages de haine, ça devient encore plus compliqué de faire la démarche et d’aller jusqu’au bout. Personnellement, j’ai préféré être accompagnée par un psy. Je me posais plein de questions. Des questions que la plupart des gens ne se posent pas au moment d’avoir un enfant. C’est dur psychologiquement. Il faut beaucoup s’aimer dans le couple pour faire ça. Et nous, on s’aime énormément. »

 

Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : Mon choix de famille

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Revendication phare de la Marche des Fiertés 2018, l'ouverture de la PMA pour tou-te-s fait encore débat en 2018. Pourquoi ?
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La famille pour tou-te-s, ce n’est pas une injonction à fonder une famille, comme l’a souligné la présidente d’Iskis (association anciennement nommée Centre Gay Lesbien Bi et Trans) de Rennes, Selene Tonon, lors de la Marche des Fiertés 2018, qui a défilé le 16 juin dans les rues de la capitale bretonne.

C’est un droit qui doit (devrait déjà) être accordé à toutes les personnes souhaitant avoir un ou plusieurs enfants. Ce ne doit plus être une hypocrisie, un secret de polichinelle dont il faut discrétion garder parce qu’on est une femme lesbienne, obligée d’aller à l’étranger pour espérer avoir un bébé via la Procréation Médicalement Assistée.

Peu importe l’orientation sexuelle, Selene le rappelle, « c’est l’amour inconditionnel qui fait une famille ». On est bien d’accord, comme plus de la moitié de la population selon le dernier sondage IFOP. Alors, pourquoi l’accès à la PMA pour tou-te-s s’intègre-t-elle à la nouvelle loi bioéthique ? Et pourquoi a-t-on encore ce débat en 2018 ?

Ce n’est pas une question d’éthique mais une question d’égalité des droits. Égalité dans le choix de fonder une famille, d’élever un enfant au sein d’un foyer, si on le souhaite. Pourtant, aujourd’hui encore la PMA n’est autorisée, en France, qu’aux couples hétérosexuels. Par lâcheté politique, l’accès à la PMA pour tou-te-s a été sacrifié en 2013, lors de la loi sur le Mariage pour tous. Mais la lutte continue. L’Hexagone s’apprête-t-elle à revivre la même déception qu’il y a 5 ans alors que le candidat Macron promettait l’an dernier de faire face à cette discrimination ? Si l’optimisme prime, il a néanmoins un goût amèrement acide… 

De l’avenue Janvier à la place de la Mairie, en passant par le boulevard Laennec et le quai Chateaubriand, le 16 juin dernier, les rues de Rennes se sont égayées aux couleurs de l’arc-en-ciel. Manifestation festive, la Marche des Fiertés n’en oublie pas de porter avec détermination les revendications pour lesquelles les associations LGBTIQ+ se battent au quotidien.

Arrêt des mutilations sur les personnes intersexuées, changement de la mention du sexe et du prénom libre et gratuit à l’état civil sur simple déclaration en mairie (sans expertises et sans stérilisations forcées), éducation populaire à l’égalité et la diversité des sexes, identités de genre et relations amoureuses dès l’école, accord systématique du droit d’asile aux personnes LGBTI migrant-e-s fuyant leur pays à raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou encore campagnes régulières et adaptées sur les différents moyens de prévention des IST en direction des populations LGBTI… la liste est longue tant les inégalités et discriminations sont nombreuses. 

Si aucune hiérarchie n’est établie au sein des revendications, cette journée des Fiertés met en lumière chaque année un sujet sur lequel il y a particulièrement urgence. Ainsi, en juin, les différentes Marches ont scandé haut et fort le droit à la PMA pour tou-te-s en clamant à l’unisson : « PMA, on veut une loi, on veut des droits ! » ou encore « Mon papa est pour la PMA et ma maman, elle veut des petits-enfants ! ». 

PAS HOMOPHOBE MAIS…

Un sujet qui fait consensus auprès de la population, excepté pour une minorité qui s’oppose farouchement à une évolution qui ne devrait pas faire débat. « Ce soir, au conseil municipal de Rennes, je fais partie des élus qui refusent de voter l'une des deux subventions destinées au centre LGBT de Rennes, à savoir celle fléchée pour l'organisation de la marche des fiertés 2018. Cette édition a en effet été l'occasion de mettre en avant, dans les discours et les banderoles officielles, la revendication spécifique de l'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de même sexe. 

La lutte contre les discriminations, et notamment les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle, est un objectif louable qui fait consensus. Ce n'est pas le cas de l'extension de la PMA. Je ne pense pas que les impôts des Rennais aient vocation à financer une manifestation en ce sens. Je le réaffirme ici : je suis opposé à l'extension de la PMA aux couples de même sexe. Cautionner une mesure qui aurait pour conséquence de priver de père des enfants à venir, non pas du fait d’un quelconque accident de la vie, mais par un choix volontaire effectué sciemment, voilà l'obscurantisme. », écrit le conseiller municipal du groupe Rennes Alternance 2020, Gurval Guiguen sur sa page Facebook. Un commentaire terrifiant que l’on pourrait ajouter à la sordide catégorie « Je ne suis pas homophobe mais… / Je ne suis pas sexiste mais… ». 

Heureusement, le 16 juin, la Marche des Fiertés a réuni plus de 4500 personnes dans la capitale bretonne, là où les années précédentes en comptabilisaient environ 3000. Lors de la prise de parole, Selene Tonon, militante chevronnée du CGLBT, devenu Iskis (Queer en breton), envoie valdinguer ces idées reçues conservatrices en exigeant, à juste titre, que les populations LGBTI soient libres de maitriser leurs vies, de choisir leurs familles et que soient respecter toutes les familles, dans toutes leurs formes : « C’est le mot d’ordre sur les affiches. N’en déplaise à ceux qui ont milité contre nos droits ! » Après tout,« ce sont nos vies, nos amours, nos corps, nos identités et nos familles. »

RAPPEL DES FAITS

Le mariage pour tous figure en janvier 2012 parmi les engagements du candidat Hollande qui, une fois élu, concrétise par l’élaboration d’un projet de loi, porté par Christiane Taubira, alors Garde des Sceaux. Un projet de loi adopté par le Parlement le 23 avril 2013.

« Avec la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, la France est devenue le 9epays européen et le 14epays au monde à autoriser le mariage homosexuel. Cette loi a ouvert de nouveaux droits pour le mariage, l’adoption et la succession, au nom des principes d’égalité et de partage des libertés. », peut-on lire sur le site Gouvernement.fr. Une introduction suivie d’une citation de la ministre de la Justice de l’époque :

« Oui, c’est bien le mariage, avec toute sa charge symbolique et toutes ses règles d’ordre public, que le Gouvernement ouvre aux couples de même sexe, dans les mêmes conditions d’âge et de consentement de la part de chacun des conjoints, avec les mêmes interdits (…) avec les mêmes obligations pour chaque conjoint vis-à-vis l’un de l’autre, les mêmes devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents et des parents vis-à-vis de leurs enfants. Oui, c’est bien ce mariage que nous ouvrons aux couples de même sexe. »

En revanche, au nom de l’opposition réunie sous le drapeau de la manif pour tous - qui prend alors le monopole d’un non-débat et qui décomplexe majoritairement l’homophobie et la lesbophobie - on range au placard les prétendus « principes d’égalité et de partage des libertés. » D’un revers de la main, on balaie ce qui aurait dû découler de fait du mariage pour tous : la PMA pour tou-te-s et la filiation automatique, sans discrimination. 

QU’EST-CE QUI CLOCHE ? 

La technique de la PMA serait-elle différente selon que la femme est hétéro ou homo ? Non, bien évidemment que non et encore non. La problématique n’est donc pas médicale. Elle serait soi-disant éthique. D’où l’arrivée du sujet au sein des États généraux de la bioéthique, organisés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de janvier à avril 2018, en guise de phase préalable à la révision de la loi de bioéthique prévue pour la fin de l’année.

Pourquoi y intégrer l’ouverture de la PMA pour tou-te-s ? Et qu’attend-on puisque le candidat Macron en avril 2017 se disait « favorable à une loi qui ouvrira la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires » ? Un avis positif de la part de la CCNE ? C’est chose faite depuis bientôt un an. Le Comité juge que « L’ouverture de la PMA à des personnes sans stérilité pathologique peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles. »

Pourtant, depuis, aucun projet de loi n’a été déposé par le gouvernement en place. Au contraire, il semble même reculer ou au moins essayer de gagner du temps... Un temps qui laisse place aux LGBTIphobies dans toute leur ignominie. 

LE COLLECTIF, CONTRE L’HYPOCRISIE

C’est pourquoi en décembre 2017, à l’approche des Etats généraux, 5 associations LGBTI et/ou féministes – CGLBT Rennes, SOS Homophobie Bretagne, Commune Vision, Les Effronté-e-s Rennes et Le Planning Familial 35 – ont fondé le Collectif breton pour la PMA, « afin de se rassembler autour d’un avis commun, en local », souligne Véronique Madre, co-déléguée territoriale de SOS Homophobie Bretagne.

Ainsi, le Collectif a au fil des mois informé des actualités et des événements liés au Etats généraux et à la consultation du Comité, essayant de faire en sorte que les débats ne soient pas monopolisés par les opposant-e-s, organisé une manifestation le 21 avril pour revendiquer l’ouverture de la PMA pour tou-te-s (femmes lesbiennes, femmes célibataires, personnes trans, personnes non binaires) et s’est saisi de la fête des mères pour distribuer des cartes postales Faites des mères, envoyées également aux élu-e-s, députés, ministres et au Président de la République.

« J’aimerais être optimiste sur la future loi et le vote mais les signes montrent qu’il faut être prudent. Le résultat des Etats généraux fait craindre pour la suite, à cause de la mobilisation des opposant-e-s qui représentent pourtant qu’une minorité de la population, qui était la même à protester contre le mariage pour tous, l’ABCD de l’égalité, etc. mais qui est bruyante et fermée. Surtout que le gouvernement n’appuie pas totalement. Il se dit favorable dans son ensemble mais certains ministres s’affichent contre. », souligne Véronique Madre, mitigée face au rapport de synthèse publié début juin par le CCNE, qui rendra son avis complet et définitif à la rentrée.

A l’argument des « lois naturelles » visant à se baser uniquement sur le fait que pour procréer il faut l’accouplement d’un homme et d’une femme, s’oppose l’évolution des schémas familiaux, de plus en plus divers et réalistes. Contraindre les femmes lesbiennes à aller à l’étranger pour avoir le droit à la PMA puis à déposer une demande d’adoption – rendue possible uniquement si le couple est marié - auprès du Tribunal de Grande Instance – pour celle qui n’a pas porté physiquement l’enfant, définie comme la « mère sociale » – est hypocrite :

« Ce n’est pas une question d’éthique, c’est une question d’égalité. En quoi la société a son mot à dire sur nos vies ? En quoi la population devrait avoir une opinion sur les couples que l’on reconnaît ou pas, les familles que l’on reconnaît ou pas ? Les familles homoparentales existent déjà, c’est la réalité. Des études montrent que les enfants sont aussi heureux que dans des familles hétéros. C’est une hypocrisie de leur interdire l’accès à la PMA puis de reconnaître les familles, en autorisant les adoptions par les conjointes. Nous demandons l’ouverture de la PMA à toutes les personnes ayant un utérus, dans les mêmes conditions de couple et dans les mêmes conditions de remboursement. »

PARCOURS DES COMBATTANTES

Adeline et sa femme se sont rendues en Belgique, dans une clinique à Liège, pour avoir recours à la PMA et avoir leurs deux filles : « Ma compagne a porté la première et moi la deuxième. Ce sont globalement les mêmes procédures sauf que la deuxième fois nous n’avons pas eu l’entretien visant à expliquer notre projet. À la clinique, ils nous connaissaient déjà, on n’a pas refait le premier rendez-vous. »

Un premier rendez-vous suivi d’un délai légal de réflexion de deux mois. Puis vient le deuxième rendez-vous dédié aux examens médicaux. Jusque là, outre les déplacements à l’étranger, pas trop de difficultés. Les choses se compliquent lorsqu’il faut trouver un médecin qui accepte de suivre les couples lesbiens dans ce type de démarche.

« Ce n’est pas évident, certains disent non, il faut prendre le temps de trouver les bons médecins. Surtout que nous étions à Paris pour la première et que pour la deuxième nous avions déménagé en Bretagne, il fallait donc retrouver quelqu’un… Quelqu’un qui accepte de faire une prescription pour le traitement de stimulation ovarienne qui se fait par piqures. Certains médecins acceptent mais signalent « non remboursé » sur l’ordonnance. C’est une centaine d’euros, qu’il faut renouveler à chaque essai ! Et puis c’est important d’obtenir la compréhension médicale pour qu’on nous explique bien comment bien faire les piqures. Ce n’est pas très compliqué mais on le fait nous-mêmes et ce qui n’est pas évident, c’est que si on manque d’informations, on n’ose pas tellement demander par peur de la situation. », précise Adeline.

En parallèle, un donneur doit être choisi. Il peut être anonyme ou semi anonyme, signifiant que l’enfant pourra s’il le désire connaître l’identité du donneur, qui signe une convention pour renoncer à la reconnaissance de l’enfant. Les deux femmes ont fait ce choix-là : un donneur semi anonyme, dans une banque de sperme au Danemark. « On achète les paillettes (le terme utilisé pour le sperme) et la banque envoie directement à la clinique en Belgique. », souligne-t-elle.

Dernière étape avant de pouvoir réaliser l’insémination : trouver un laboratoire qui puisse définir un rendez-vous pour le matin d’une date précise – dépend évidemment du cycle - et qui accepte de donner les résultats avant midi pour les envoyer à la clinique, qui appelle ensuite les personnes :

« En fonction des ovocytes, ils te disent qu’il faut encore attendre un peu ou alors ils te disent de venir le lendemain pour procéder à l’insémination des paillettes dans l’utérus. C’est un-e gynéco qui le fait par cathéter, pas comme la PMA artisanale qui se fait avec une seringue… ça dure 10-15 minutes et puis on rentre à la maison. À partir de là, si ça fonctionne, la prise en charge de la grossesse se fait en France et là ce n’est plus du tout la même chose, on est cocoonées comme les autres, les infirmières et sages-femmes ne posent pas de questions intrusives, sont bienveillantes et sans jugement. » 

AVOIR UN « ENFANT LÉGITIME »

Malheureusement, le parcours de la combattante ne s’arrête pas à la naissance de l’enfant dont la filiation avec la mère sociale n’est pas automatique. Une demande d’adoption doit être déposée auprès du Tribunal de Grande Instance. Une demande qui ne peut se faire que si les femmes sont mariées.

« Quand j’ai fait mes enfants, je ne pouvais pas me marier en France. Maintenant, c’est devenu normal que les couples homos puissent se marier. Le problème, c’est que le mariage n’est pas un droit pour les lesbiennes, c’est un devoir. Nous sommes obligées de nous marier pour déposer un dossier d’adoption au tribunal. Tout le monde n’a pas envie de se marier ! »

s’insurge Céline Cester, présidente de l’association Les enfants d’arc-en-ciel, créée il y a 11 ans par un couple de femmes militant pour l’instauration du congé d’accueil de l’enfant, mis en place en 2012 pour le père ou la personne mariée à la mère biologique.

Pour Adeline, les 3 jours à la naissance et les 11 jours de congé ont été obtenus sans obstacle. Pas comme sa demande de congé parental à 80%, d’abord refusée par son employeur :

« Il m’a dit qu’il l’accorderait quand j’aurais reçu l’accord du tribunal pour l’adoption. Sauf que ça prend un an et demi – la durée du traitement des dossiers, comme la procédure de demande d’adoption (on peut par exemple être convoquées à la gendarmerie, au tribunal, pour une enquête de mœurs, une enquête sociale) dépend de chaque tribunal – et que la CAF donne l’allocation uniquement la première année de naissance de l’enfant. Je n’aurais donc pas pu l’obtenir si j’avais du attendre la décision du tribunal.

En fait, il jouait sur les termes de la loi qui sont assez flous et qui parlent des « enfants légitimes ». Mais c’est quoi un enfant légitime ? Bref, il a fini par accepter car on a réussi à faire valoir que l’adoption prend effet à la date du dépôt de la requête. Il a vraiment eu une posture discriminatoire ! Et surtout il m’a dit des choses ridicules disant que c’était comme donner un congé parental à une femme qui vit en colocation avec quelqu’un qui a des enfants… Ridicule ! »

Des situations complexes et douloureuses, il y en a un paquet à cause de la PMA non accessible aux couples lesbiens et de la non filiation automatique. Le blog de l’association Les enfants d’arc-en-ciel en témoigne, permettant ainsi de donner une visibilité à tous les parcours vécus et subis. 

SITUATIONS COMPLEXES ET DOULOUREUSES

« Le parcours de PMA est très lourd, y compris pour les hétéros. Mais pour les homos, il faut aller à l’étranger, sans pouvoir expliquer les raisons de son absence puisque c’est hors du cadre légal, il n’y a pas le droit aux congés médicaux. Sachant qu’en plus, on vous appelle un jour à 14h pour le lendemain 8h. C’est toute une organisation, selon là où on habite, c’est très compliqué. Et puis, il faut avoir les moyens financiers d’aller en Belgique ou en Espagne. Plusieurs fois. Surtout si ça ne marche pas au premier essai. Il y a aussi des différences de dosage pour le traitement entre la France et l’Espagne par exemple, ça peut créer des situations très difficiles. C’est compliqué au-delà des difficultés physiques et psychologiques de la PMA. », explique Céline Cester.

Des expériences dramatiques, on lui en a rendu compte à la pelle depuis 2 ans qu’elle est présidente de la structure. À cause du cadre légal qui aujourd’hui en France ne protège pas les liens familiaux en dehors de ceux du sang. En cas de séparation, lorsqu’elles ne sont pas mariées, les mères sociales n’ont pas de droits sur les enfants qu’elles pourront continuer à voir selon la volonté des mères biologiques.

« J’ai l’exemple d’une maman sociale de jumelles de 11 mois. Elle vient de se séparer de sa compagne qui ne veut plus lui laisser voir ses filles. Elle n’a pas de recours parce qu’elles n’étaient pas mariées, elle n’a donc pas pu adopter. Ce statut de hors-la-loi laisse des marques… », regrette Céline.

On sent dans les arguments adverses l’exigence de la famille parfaite. Parce qu’elles sont homosexuelles, elles devraient redoubler d’effort pour incarner cet idéal alors même que ce modèle hypocrite s’effondre depuis plusieurs décennies chez les hétéros. Obligation de se marier, obligation d’adopter l’enfant, obligation de s’aimer à vie…

« Ce n’est pas parce qu’on est homos qu’on est des couples parfaits. Ce n’est pas parce qu’on est homos qu’on doit s’aimer toute la vie ! Déjà quand tout se passe bien, cette sensation de manque de légitimité à fonder une famille laisse des traces alors vous imaginez quand ça se passe mal ?! », s’indigne la présidente.

Adeline pointe également l’appréhension de l’échec de l’insémination (sans parler des grossesses qui n’arriveront pas à terme, comme tel est le sujet de la bande-dessinée Écumes, d’Ingrid Chabbert et Carole Maurel). Ce qui a été son cas lors de son premier essai.

« C’est toute une organisation. Il y a les contraintes géographiques, financières, se rendre aux consultations, payer les soins non remboursés, le train, l’hôtel… Il faut s’absenter de son travail. Nous sommes toujours aller à 2 avec ma compagne donc il faut aussi que l’autre s’absente de son travail. Personnellement, je n’ai pas ressenti de découragement extrême mais c’était difficile. Je savais que j’avais l’énergie pour le faire mais je n’aurais peut-être pas tenu une 3e, 4e, 5etentative… Après, en Belgique, nous avons été très bien reçues. On avait préparé notre premier rendez-vous comme un entretien d’embauche et en fait nous avons simplement dit qu’on voulait fonder une famille. On nous répondu « Bienvenues ! ». C’est leur quotidien là-bas donc ça ne leur pose aucun souci. C’est très différent en France. », commente-t-elle. 

TRANSPARENCE ET ENTOURAGE

Au-delà de l’incompréhension face à la lâcheté politique et la souffrance endurée à cause de la contestation LGBTIphobe, elle s’inquiète de ce que peuvent entendre les enfants de familles homoparentales. Tout comme Céline Cester, Adeline prône la transparence, expliquant le schéma familial dès l’entrée à la crèche, aux adultes comme aux enfants :

« Et il n’y a aucun souci. Mais ça dépend toujours des gens sur qui on tombe. On doit encore un peu prouver qu’on est une famille « normale » alors qu’on ne devrait pas avoir à le faire, même si ce n’est pas une famille « normale » dans le sens où nous avons dû nous rendre à l’étranger pour la PMA et adopter nos enfants ensuite. Mais on sort, on se montre. »

Ne pas rester cachées. Ne pas rester isolées. Même si l’entourage est présent, Adeline et sa compagne se sont orientées vers l’association Les enfants d’arc-en-ciel pour obtenir des renseignements sur les démarches, les vécus et expériences, et pour partager des informations et des moments conviviaux. C’est là le cœur des actions de la structure : l’accompagnement des couples et des familles, l’accessibilité aux informations et le conseil adapté à chaque parcours.

« Lorsque l’on organise des rencontres – qui sont ouvertes à tout le monde – l’idée est de pouvoir échanger, dans un espace sécurisé et sans jugement, autour des situations et voir comment on peut les traiter. Et souvent, on se rend compte que tout n’est pas lié à l’homoparentalité. Loin de là. Ce sont des questions qui concernent le développement de l’enfant, la parentalité, etc. Ce sont des questions plus larges de société. », analyse Céline Cester qui prône la mise en avant des éléments positifs dans le débat public :

« Oui, c’est difficile. Oui, il y a des situations dramatiques. Oui, avec une loi, ça irait beaucoup mieux c’est vrai. Mais il faut aussi dire que nos enfants grandissent. Qu’ils grandissent bien, que ça va bien ! On vit des choses très positives avec nos familles. C’est important aussi de le voir sous cet angle-là. D’être maitre de sa vie et de ses choix. »

Dans toutes les paroles des concernées, que ce soit dans les discours militants, les débats, les témoignages ou sur le blog de l’association (qui a également un site fourni et complet en informations), il y a l’immense regret du manque de courage politique qui a autorisé un mariage au rabais, sacrifiant l’accès à la PMA et la reconnaissance de la filiation, « laissant ainsi des familles sur le bord du chemin » et menant dans certaines situations à des inséminations artisanales « non par choix mais bien par défaut ».

Mais il y a aussi et surtout une détermination à se battre jusqu’au bout pour faire reconnaître leurs droits. Leurs droits d’avoir des enfants si elles le désirent, quand elles le désirent et avec qui elles le désirent, de se marier uniquement par choix, d’être libres de vivre leurs vies et leurs désirs sans justification permanente. Comme le dit Adeline :

« Ça ne devrait pas être une question de chance de tomber sur les bonnes personnes, ça devrait juste être possible pour tout le monde ! »

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Un enfant, si je veux, quand je veux, AVEC QUI je veux !
Fonder une famille : Quand la société s’emmêle…
La PMA, pour qui, pour quoi ?

Célian Ramis

Crèche parentale : Une alternative propice à l'éveil

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Rennes
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Alors que les places en crèches municipales ne suffisent plus à satisfaire toutes les demandes, des solutions alternatives existent. Parmi elles, la crèche parentale, un modèle associatif décrypté à travers l'exemple de Ty Bugale.
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Pallier le manque de places en crèche est un enjeu de l’actuel mandat présidentiel. Mais si le gouvernement œuvre depuis 2013 à la mise en place d’une nouvelle réforme de politique familiale, prévoyant entre autre l’augmentation du nombre de places, la pénurie reste avérée et problématique.

Des modes de garde alternatifs existent et se développent. Parmi lesquels les établissement à gestion parentale, communément nommées crèches parentales. Un type de structure qui a particulièrement interpelé la rédaction de YEGG à travers l’exemple de la crèche Ty Bugale, qui a fêté cette année ces 30 ans.

En 2015, 2 296 demandes d’inscription en crèches municipales ont été soumises à la Ville de Rennes qui dispose de 17 structures (accueil collectif et accueil familial). Près de 42% environ, soit 962 demandes, ont été satisfaites. Quelles solutions s’offrent à celles et ceux qui n’obtiennent pas de réponse favorable ? Plusieurs alternatives leur sont proposées par le centre d’information petite enfance L’Étoile, chargée d’orienter les parents vers d’autres modes de garde. Parmi eux, on trouve les crèches parentales, établissement associatif géré par les génitrices et géniteurs, alors employeuses-eurs des professionnel-le-s de la petite enfance.

Obtenir une place en crèche est une problématique loin d’être nouvelle. Si le plan gouvernemental prévoit l’augmentation du nombre de places au cours du mandat présidentiel actuel, l’objectif de 100 000 places supplémentaires semble compromis pour ce quinquennat qui semble seulement avoir réalisé un tiers de cette mission, selon les chiffres indiqués en 2015. Rennes ne fait pas exception, malgré la création de nouvelles crèches prévues jusqu’en 2017.

Pour les futurs parents, l’inscription de l’enfant qui va arriver peut s’avérer angoissante, la pénurie de places étant avérée. Les solutions alternatives sont de plus en plus mises en lumière. Parmi les plus connues, on cite les assistantes maternelles, les crèches d’entreprise ou encore les haltes garderies qui offrent une aide d’urgence temporaire.

Plus confidentielles dans leur notoriété auprès du grand public, les crèches parentales se développent, trouvant un équilibre dans l’esprit « comme à la maison » puisque le parent fait partie intégrante de la vie quotidienne de la crèche, bénéficiant ainsi d’un accès privilégié à l’équipe éducative et au projet pédagogique. C’est ce que souligne l’exemple de la structure Ty Bugale, fondée en 1986 à Rennes.

ASSOCIATION PARENTALE

La particularité de ce type d’établissement réside principalement dans la gestion parentale. En effet, créé sous la forme associative, ce sont les parents qui en investissent le bureau et le conseil d’administration. Par conséquent, ils sont les employeurs directs des professionnel-le-s de la petite enfance et participent activement à la vie de la crèche.

« Nous sommes très investi-e-s au sein de l’association puisque chacun-e a un poste dans la structure. Et que nous devons remplir 4h30 de permanence par semaine. », explique Yohanna Millet, présidente de Ty Bugale depuis septembre 2015. Concrètement, le parent intervient durant les heures d’accueil, souvent à la demi journée, comme tel est le cas dans la majorité des crèches parentales, au nombre de 6 à Rennes (selon les structures, la durée de la permanence varie).

Et aide au bon fonctionnement de la journée en gérant plus spécifiquement les tâches domestiques comme mettre la table, débarrasser, aider au lever de la sieste, au goûter, ranger, etc.

« Il faut avoir le temps et l’envie de s’investir sinon ça ne peut pas fonctionner. Faut être conscient-e de ça car on ne peut pas entrer dans l’association si on ne peut pas assurer les 4h30 de permanence. »
précise la présidente, infirmière de métier.

Un point sur lequel insiste également Emilie Paillot, qui exerce la fonction de secrétaire au sein de l’établissement. « Je suis enseignante à temps partiel donc ça ne me posait pas de problème de donner une demi journée par semaine. Et ça ne me dérangeait pas d’entrer dans le bureau. Avant cela, j’étais au poste « Approvisionnement », ça tourne. Ma fille a terminé la crèche mais je suis enceinte de mon 3e enfant et je demanderais une place ici pour la rentrée 2017. Ça m’embêterait d’être moins investie en revenant. », s’enthousiasme-t-elle.

À la crèche parentale, elle a pris goût. Arrivée de Paris en 2012, elle pose ses valises à Rennes avec son compagnon et son fils. En cherchant un mode de garde, sans préférence particulière, ils apprennent qu’une place s’est libérée à Ty Bugale, alors implantée rue de l’Alma, avant de déménager dans les locaux temporaires du boulevard Albert 1er de Belgique (en octobre, la crèche déménagera à nouveau dans des locaux plus grands, rue Mauconseil). Rapidement, ils adhèrent à l’état d’esprit de l’établissement, qui accueillera par la suite leur fille.

Agréée par la Direction des Affaires Sociales du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, la crèche est une association de loi 1901 accueillant jusqu’en octobre prochain 16 enfants, les nouveaux locaux permettant de demander un agrément pour 4 enfants supplémentaires.

Les critères sont semblables aux autres crèches : accueil de 8h à 18h30 d’enfants rennais âgés de 2 mois ½ à 4 ans, d’1 à 5 journées par semaine, dispositif d’accueil d’urgence (à partir de 18 mois et en fonction des places disponibles), tarif établi selon les revenus du foyer.

Entre le bureau et les différents rôles (gestion des salaires, inscriptions, bricolage/jardinage, moyens généraux, informatique, archivage, planning, hygiène et sécurité, formation, remplacement, etc.), les parents des enfants inscrits se répartissent les rôles et tournent d’une année sur l’autre.

« On essaie de ne pas être toujours au même poste. On voit par rapport aux intérêts des un-e-s et des autres. Et puis on fait en sorte de ne pas mettre à la trésorerie par exemple quelqu’un qui arrive car ce n’est pas forcément évident au départ. Et puis rien n’est figé car il y a des gens qui sont là pour 6 mois, d’autres pour plusieurs années. On participe également au projet pédagogique puisqu’il faut instaurer un règlement intérieur à faire valider par le conseil général. Avec le déménagement, il devra être revu, signé et voté par le CA. Le projet éducatif, lui, évolue et est construit par les salariés, à qui on fait confiance. », indique Yohanna Millet.

UNE GRANDE FAMILLE

Ce qui lui plait : la possibilité pour les parents d’être acteurs de la crèche sans empiéter sur le territoire des professionnel-le-s. Ici, ils sont au nombre de 2 éducateurs de jeunes enfants à mi-temps, une femme et un homme, et de deux aides EJE. Si ils et elles se côtoient durant les permanences hebdomadaires, des temps plus formels sont organisés pour échanger à travers une réunion mensuelle dont une partie seulement se déroule en compagnie de l’équipe éducative.

« Ce qui est bien dans la formule, c’est qu’on peut avoir le côté parental en s’investissant dans la vie de la structure et en faisant les permanences. Mais c’est aussi que de cette manière, en aidant aux tâches ménagères, les salarié-e-s s’occupent exclusivement des enfants. »
poursuit la présidente.

Et avec un taux d’encadrement plus important que dans une crèche municipale - la législation prévoyant pour cette dernière 1 adulte pour 5 enfants « non marcheurs » et 1 adulte pour 8 enfants « marcheurs » et pour la crèche parentale 1 adulte pour 4 enfants « non marcheurs » - « les enfants ne sont pas du tout délaissés », signale Emilie Paillot.

Avec Yohanna, elles parlent de grande famille. Passer du temps au sein de la crèche, auprès des enfants, de l’équipe éducative, effectuer des réunions entre parents, organiser des événements avec tout le monde (à l’instar d’un moment convivial en juin dernier pour fêter les 30 ans de la structure) ou encore participer à des sorties avec les petit-e-s, tout cela représente « un chouette moyen de s’intégrer et de développer une grande solidarité entre les parents. »

Et Emilie d’ajouter : « J’apprécie cette opportunité de connaître tout le monde et que les enfants nous connaissent bien, qu’ils nous appellent par nos prénoms. »

TROUVER L’ÉQUILIBRE

Néanmoins une difficulté subsiste et les deux femmes ne s’en cachent pas. L’enfant doit apprendre à « partager » son parent présent lors de la permanence.

Ce à quoi les petit-es établi-e-s dans les autres modes de garde ne sont pas confronté-e-s, la distinction entre le cadre familial et le collectif « pédagogique » s’opérant de manière évidente.

Ici, ils/elles apprennent à voir leurs parents interagir avec le reste du groupe, faire des va-et-vient, déplacer leur centre d’attention sur l’ensemble de la crèche et non pas uniquement sur eux/elles comme cela pourrait être le cas à la maison. Emilie Paillot confie :

« Ce n’est pas toujours facile. Tilda était bébé en arrivant et très vite ça a été naturel mais il y a toujours des moments ou des phases où ils peuvent être pénibles car ils ne comprennent pas trop pourquoi on est là à s’occuper d’autres enfants ou la plupart du temps à faire les tâches ménagères au lieu d’être avec eux. »

Mais c’est aussi un challenge pour celles et ceux qui tiennent la permanence. Sans interférer avec les professionnel-le-s, il leur faut trouver un équilibre dans cette formule intégrant le parent à une garde extérieure au foyer. L’attention ne peut pas uniquement se porter sur son enfant mais doit être portée sur la globalité du groupe. Même si Yohanna et Emilie le confirment : chacun-e garde sa personnalité.

Pour Loïc Bernier, éducateur de jeunes enfants à Ty Bugale, « on accueille l’enfant et sa famille. Ce n’est pas évident de se confronter aux regards des parents, on n’est pas toujours très très à l’aise d’agir devant eux. Mais c’est une réelle richesse de travailler avec eux. En les voyant lors des permanences, on apprend à les connaître et donc à les comprendre plus facilement. Et ce qui est avantageux, c’est aussi qu’ils peuvent s’inspirer des pratiques des professionnel-le-s. »

Après avoir effectué sa formation à l’école Askoria de Rennes, il a toujours travaillé en crèche parentale. Pas forcément un choix mais son parcours, entre stages et remplacements, l’a mené à ce type de structure. L’expérience lui permet de ne plus appréhender de la même manière la présence du parent et la réaction de l’enfant.

Car lui, ainsi que l’ensemble de l’équipe éducative, est présent pour appliquer le projet pédagogique et éducatif, à savoir transmettre les valeurs et règles de vie définies avec le CA et selon les capacités et objectifs d’éveil cohérents à la petite enfance.

VALEURS PARTAGÉES

Et ce qu’il pointe en priorité – les parents également – c’est le respect. Respect des règles, respect des autres au sein de la collectivité et respect de son environnement.

À travers la socialisation de l’enfant, la vie en société, la politesse, etc. Ainsi que son éveil sur l’extérieur.

« On essaye de profiter de ce qui nous entoure, de faire des sorties. Au parc, au marché, à la gare, chez les pompiers, à l’aéroport… Et de ce que le quartier de l’Alma propose en terme de spectacles, etc. Par exemple, juste à côté de la crèche, il y a la structure Terre des arts qui les accueille pour des activités, pour l’éveil musical. Et puis si les parents ont des compétences particulières, ils peuvent aussi proposer des ateliers, s’ils en ont envie évidemment… », liste rapidement Yohanna Millet, sourire aux lèvres. Toujours en gardant la volonté de mélanger le groupe, sans le ciseler en petits comités établis par les catégories d’âge.

« Que les petit-e-s soient avec les grand-e-s et inversement provoquent une émulation entre eux/elles et plein de choses intéressantes se passent dans ces moments-là. Dans un climat serein et sécurisant. »
ajoute l’éducateur qui rappelle aussi l’importance du suivi personnel.

Au cours de la journée, l’équipe se veut donc attentive au développement de l’enfant en tant qu’individu en fonction de son propre rythme et ses besoins. En terme de sommeil, par exemple. Mais pas seulement.

ÉVEIL À L'ÉGALITÉ DES SEXES

Et c’est ce qui va éveiller le/la tout-e petit-e. La confrontation entre soi et les autres. L’équipe professionnelle couplée au turn over parental permet alors de conjuguer diversité des profils, des cultures et des approches.

Et c’est à ce moment-là que va se jouer, dans la petite enfance, l’intégration des assignations genrées. En observant et imitant les adultes référents, l’enfant développe inconsciemment les codes de la société selon son sexe.

Pas de raison a priori que la crèche parentale échappe à ce processus d’identification, tant le marketing genré est force d’accroissement et que les formations des professionnel-le-s résistent encore à inscrire de manière obligatoire des modules sur l’égalité des sexes. Du côté de Ty Bugale, rien à ce sujet n’est mentionné dans les projets pédagogique et éducatif, si ce n’est le principe global d’égalité. Néanmoins, Yohanna Millet et Emilie Paillot s’en défendent.

« Ici, nous avons tous les cas de figure mais en règle générale la parité est plutôt bien respectée. Que ce soit au niveau des enfants filles et enfants garçons. Ou que ce soit au niveau de la répartition des tâches entre les parents. Il n’y a pas a priori plus de femmes qui s’investissent que d’hommes. Après, évidemment, tout dépend du travail. Le papa de mes enfants est beaucoup en déplacement donc là c’est plus moi qui interviens mais pour notre fils il faisait les CA. », justifie la secrétaire.

Même son de cloche pour la présidente qui confirme qu’en prenant la liste des rôles et des personnes missionnées à chaque poste, on ne trouvera pas de différence significative entre l’implication des femmes et celle des hommes. Idem pour les permanences. Un argument important puisqu’il permet aux enfants de ne pas cataloguer la mère comme la préposée à l’éducation et aux tâches ménagères et ne pas associer le père au travail et au divertissement. Concrètement la femme gérant le foyer et l’homme le reste du monde.

Toutefois, Emilie aurait souhaité aller plus loin dans la réflexion en faisant intervenir une personne de l’association Questions d’égalité lors d’une réunion mensuelle.

« J’ai une amie qui était là-bas mais nous n’avons pas réussi à trouver de disponibilités communes et depuis elle a quitté son boulot. Mais je pense que c’est intéressant de pouvoir développer ces questions « philosophiques » et d’être aidé-e-s par des référents. Nous ne sommes pas des professionnel-le-s de la petite enfance, ni de l’égalité des sexes. Nous sommes des bénévoles, des parents, mais nous avons nos limites. Les temps de CA servent aussi à ça. On a déjà fait venir par exemple un médecin pour parler du sommeil des petit-e-s. Aborder l’égalité entre les filles et les garçons, ça me botte vraiment ! », explique Emilie Paillot qui avoue malgré tout qu’avec le déménagement prochain, il fallait bien établir des priorités.

LA DIVERSITÉ AVANT TOUT

Loïc Bernier, qui assurera dès octobre le poste de référent technique à mi-temps, en plus de son travail d’éducateur, apporte de son point de vue une autre approche.

Déjà, en tant qu’homme dans un secteur destiné très longtemps aux femmes de par la supposée fibre maternelle innée qu’elles possèderaient, il est conscient du regard que l’on peut porter sur ce type de stéréotype.

« Dans ma promo, sur 20 personnes, on était 2 garçons. Mais j’ai toujours été super bien accueilli, que ce soit à l’école ou sur le terrain. Aujourd’hui, la mixité est de plus en plus recherchée dans les équipes. », souligne-t-il.

Une avancée positive qui permet aux enfants d’être confrontés aux deux sexes. Loïc poursuit :

« C’est bien de sortir des grands clichés, des rôles attribués. Un homme peut être maternant aussi. Et je crois qu’il y a plein de façons d’être un homme et plein de façons d’être une femme. Et c’est bon pour le développement de l’enfant d’être face à des relations différentes, des imitations différentes, des références différentes. »

Il prône avant tout la diversité et l’humain dans son ensemble, dans ses complexités et nuances. Mais toujours en proposant les mêmes activités aux enfants sans le critère du sexe et surtout sans les orienter. « On ne joue pas qu’à un seul jeu, il n’y a pas qu’une seule lecture. C’est le mélange qui compte. Que les petits puissent jouer aux voitures tout comme aux poupées avec des présences masculines et des présences féminines. », conclut-il.

Sans revendiquer un modèle exemplaire, la crèche parentale offre une formule conviviale qui ne dissimule pas un côté contraignant pour celles et ceux qui ne pourraient adapter, selon leur travail et envies (sans jugement ou culpabilisation), leurs emplois du temps. Mais qui propose une alternative et peut-être une autre réflexion autour de la parentalité associée à l’éducation promue par les professionnel-le-s de la petite enfance et inversement.

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Crèche parentale, mode de garde alternatif
Une alternative familiale et participative
Faire autrement

Célian Ramis

Mythos 2016 : Fascinante figure de mère, bourgeoise et catho

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Théâtre de la Parcheminerie, Rennes
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Le 20 avril, à l’occasion du festival Mythos, Marine Bachelot Nguyen, David Gauchard et Emmanuelle Hiron dévoilaient une partie du cheminement invoqué dans la pièce Le fils, au théâtre de la Parcheminerie.
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Quand d’une idée originale de David Gauchard né un texte de Marine Bachelot Nguyen, sur la réflexion d’une mère bourgeoise et catholique, lu par Emmanuelle Hiron, la création avoisine le docu-fiction subtil et coup de poing. Le 20 avril, à l’occasion du festival Mythos, le trio dévoilait une partie du cheminement invoqué dans la pièce Le fils, au théâtre de la Parcheminerie.

David Gauchard, metteur en scène, collabore pour la première fois avec l’auteure et metteuse en scène Marine Bachelot Nguyen. Et l’avant-goût qu’ils nous proposent ce mercredi à la Parcheminerie est délicieux. Poignant, criant de vérités, original et intelligent. L’écriture est franche et sincère, teintée d’humour et d’émotions. Basée sur un fait d’actualité aussi terrible qu’intéressant, sociologiquement parlant, elle nous emporte dans une histoire qu’on voudrait être inventée de toute part.

Cette histoire, David Gauchard en est à l’initiative dans le processus de création. En 2011, en allant chercher sa fille à l’école, il est marqué par un événement. Dans la rue St Hélier à Rennes, l’accès est bloqué. Et pour cause, le 10 novembre se joue une pièce de Castellucci jugée blasphématoire par le mouvement Civitas qui manifeste son mécontentement de la place de Bretagne au TNB.

« De ce mouvement jusqu’à la Manif pour tous, j’avais envie de raconter ça. On discute donc avec Marine depuis 6-7 mois. La fin est encore à inventer. Mais on voudrait le présenter avant mai 2017 et les élections. », explique-t-il avant de laisser la parole à Marine Bachelot Nguyen, elle-même marquée par l’événement en question et engagée pour les droits des femmes et des LGBTI :

« Je suis intéressée par la socio-politique, le documentaire et la fiction. Et ça m’intéresse aussi la question du glissement idéologique et de la radicalisation dans les milieux de droite. Voir comment on raconte ça ensuite. »

Deux jours avant la présentation de la pièce Le fils, la comédienne Emmanuelle Hiron - dont le spectacle documentaire Les résidents était présenté l’an dernier lors du festival Mythos à l’Aire Libre - a eu connaissance du texte, qui devrait ensuite être accompagné en musique par une création d’Olivier Mellano.

UNE FEMME QUI SE RACONTE

Elle va se glisser, 35 minutes durant, dans la peau d’une femme mariée, pharmacienne, qui devient mère à 22 ans puis à 24 ans. Deux garçons, Olivier et Cyril. L’un est né par voie naturelle, l’autre par césarienne. Elle se souvient et raconte ses accouchements. Comment son mari a promis d’être un père moderne sans jamais oser de changer une couche.

La famille va à la messe, tous les dimanches « par tradition, par conviction, pour la représentation. » Ses enfants grandissent, deviennent des ados, s’éloignent. Elle questionne son rôle de mère, sa présence peut-être insuffisante dans leur éducation, à cause de son implication dans la pharmacie. Elle avoue l’ambivalence de son statut. Celle qui la fait aimer passionnément ses fils, en être fière, et celle qui la fait les détester en même temps.

Et elle s’interroge : comment a-t-elle glissé du perron de l’église au boulevard de la Liberté ? La suite de l’œuvre décortique les effets et les conséquences de sa présence à la manifestation, à la « prière de réparation ». Sur ses fils également. L’un étant présent dans le mouvement contestataire. L’autre étant à l’intérieur du TNB et assistant à la représentation. Et qui juge le spectacle chrétien, a contrario de ce qui est scandé dehors. « Le Christ est magnifié. Ça parle de la foi qui parfois nous abandonne mais le Christ lui est toujours là. (…) Va voir le spectacle, juge par toi-même. », dira-t-il à sa mère.

UNE FEMME QUI S’ÉLÈVE

Dès lors, la protagoniste sympathise avec la femme d’un médecin, qu’elle admire jusqu’alors. Une sorte d’élévation sociale dans sa vie et son quotidien de femme bourgeoise et commerçante. Elle fréquente un groupe de femmes qui discutent bioéthique, parlent IVG, de l’atrocité que subissent celles qui le vivent, elle admire « ces femmes et leur aisance » et fait retirer son stérilet, « geste d’ouverture à la vie ».

En parallèle, son fils ainé se radicalise et vote FN en 2012. Elle minimise, même si elle trouve ça un peu extrême, un peu choquant.

Un an après la procession de Civitas, elle intègre la Manif pour tous, s’investit dans ce mouvement qui prend de l’ampleur et qui prône la différence de droits entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Contre le mariage homosexuel et surtout contre l’accès de ces couples à la famille.

Elle s’exprime à la tribune, est transcendée par l’énergie du rassemblement, elle exulte, se sent belle, revigorée. Elle reprend vie dans le regard de son mari, avec qui la vie sexuelle s’était mise en veille. A présent, il la regarde, l’admire et ressent « une poussée de virilité provoquée par sa métamorphose. » Ils font l’amour, passionnément.

La suite est à écrire, à inventer. Mais l’essence de la pièce est posée. Et elle promet une création aboutie et passionnante. Le regard présenté à travers les yeux et les réflexions de cette mère est prenant et stimulant. Il invite à comprendre les mécanismes des glissements idéologiques et de la radicalisation.

UNE FEMME QUI S’ACCOMPLIT

Pour l’auteure, il était important « de regarder ce qui peut être à l’œuvre, ce qui se joue, car on est des êtres complexes. Cette femme, elle se réalise, elle vit un accomplissement. » Les discussions entre David Gauchard, Marine Bachelot Nguyen et maintenant Emmanuelle Hiron sont riches. De leurs histoires intimes et personnelles, leur ressenti sur les événements, les nombreux articles, recherches, entretiens trouvés et réalisés, résultent Le fils et l’envie d’en parler, de le mettre en mots et en scène.

A la demande du metteur en scène, la pièce est un monologue de mère, de femme. Marine Bachelot Nguyen s’en empare et en fait quelque chose de résolument engagé et politique. Ce projet auquel elle se met au service lui parle. Mais le cœur du sujet de la Manif pour tous lui reste incompréhensible. Un mouvement contre des droits, une communication extrêmement bien construite, grâce à des gros moyens financiers, une homophobie exacerbée, libérée, décomplexée.

Celle qui travaille sur l’intersectionalité des luttes, le féminisme et le racisme, se passionne pour les rapports de domination en tout genre, et ici pour le rapport de classes.

« Ce qui m’intéresse aussi, ce sont les monologues de femmes idéologiquement à l’opposé de moi. Comme j’avais fait pour un spectacle sur Cécilia Sarkozy. Il y a un truc qui m’intrigue chez ces femmes cathos. »
confie Marine Bachelot Nguyen.

Dans la Manif pour tous, elle observe des gens « extrêmement caricaturaux » mais également « des personnes qui nous ressemblent, des jeunes, des gens de 35-40 ans ». C’est cette figure « proche de nous » qui la saisit et qu’elle délivre dans cet extrait très bien écrit. Une femme pour qui on peut éprouver de l’empathie. Et une femme qui fait un effort d’introspective, de recul sur sa vie et qui ne nous épargne pas des passages que la norme a décidé tabous.

« On a tous des petites lâchetés au jour le jour. Des choses où on se dit « bof, c’est pas si grave ». Après il y a les conséquences. La pièce parle de sa réalisation à elle. De mère de famille à militante. Elle se réalise, s’épanouit. », explique Marine Bachelot Nguyen. Nous, on est séduit-e-s, subjugué-e-s, par l’ensemble du projet, on adhère illico.

Célian Ramis

Famille : un concept en pleine mutation

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Rennes
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Les mutations des schémas familiaux fascinent, inquiètent, voire dérangent. Pourquoi ? Une certitude : les femmes sont au cœur de ces évolutions. Enquête.
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La famille, cette institution, a volé en éclats et ses fragments essaimés aux quatre coins de notre société moderne ont pris racine, donnant naissance à de multiples formes familiales. Bien qu’il reste majoritaire, le modèle nucléaire n’est plus la seule norme, car « faire famille » aujourd’hui c’est créer du lien, au-delà de celui du sang.

Certes, tout n’est pas rose, mais le champ des possibles est incroyable et ces changements, sûrement déstabilisants, ne sont pas si récents. Émancipation de la femme et parité, autorité parentale partagée, assouplissement des procédures de divorce, promotion de l’individu et valorisation de l’enfant, droit absolu à l’enfant et progrès médicaux, pacs et mariage pour tous, matronyme, emploi et chômage… On doit donc à présent parler de familles, au pluriel.

Elles passionnent tout le monde, psychanalystes, sociologues, législateurs, réacs et progressistes… Si les intellectuels s’accordent sur la libération de la femme comme cause essentielle des évolutions familiales, leurs avis diffèrent quant aux autres raisons. L’ensemble de leurs analyses constitue une vue d’ensemble fascinante et réaliste.

À 40 ans à peine, Marie a créé, libre ou contrainte, plusieurs familles. Mariée, elle a dû renoncer à sa brillante carrière à la naissance de ses deux premiers fils. Le père les a quittés et Marie est devenue mère célibataire à la tête d’une famille monoparentale de quatre enfants. Aujourd’hui, elle a un nouveau fiancé, Pierre, lui-même père d'un garçon et d'une fille :

« On expérimente constamment. Quand je me suis retrouvée seule avec les enfants, ça a été très dur même si cela génère une solidarité inouïe autour de soi. J’ai même pensé me mettre en colocation avec une amie et son fils ».

Avec les enfants de Marie, Pierre « en fait parfois plus que leur père » et la jeune femme croit que l’altérité – la reconnaissance de l’autre dans sa différence - permet de trouver le bon équilibre, « qu’un tiers soit là de temps en temps, pour former un triangle. Ce n’est pas une question de sexe, mais de rôle : un autre adulte à côté de soi, différent avec son identité propre qui permet un équilibre, en l’occurrence familial, une complémentarité », explique-t-elle.

Benoît, lui, malgré la séparation d’avec sa seconde femme, continue de voir régulièrement le fils de celle-ci. « Il avait 2 ans quand j’ai rencontré sa mère et il a été mon beau fils pendant 10 ans, nous avons créé des liens forts », raconte-t-il. Marie et Benoît sont typiques de l’évolution des liens parentaux.

DES ARBRES GÉNÉALOGIQUES AUX MULTIPLES RAMIFICATIONS

Au sein même de la famille nucléaire les lignes bougent, puisque plus de 60 % des enfants naissent hors mariage (à Rennes, 64 % des enfants nés en 2014 sont issus de parents non mariés) autre institution en déclin. On compte 8 millions de famille en France et l’idée élargie du foyer permet de définir plusieurs archétypes : nucléaire ; monoparentale (1 famille sur 5 en France soit 20 %, dont 14 % ont un père à leur tête. 2,4 millions d’enfants sont élevés par 1 seul parent) ; décomposées en garde alternée ; recomposées (1 famille sur 10) ; homoparentale (A Rennes, de juin 2013 à novembre 2014, 64 mariages de couples de même sexe ont été célébrés) ; célibataire ayant adopté ; couple ayant adopté ; couple sans désir d’enfant.

Il y a également les Tanguy et les Boomerang, ou encore les non couples cohabitants identifiés par le sociologue rennais Claude Martin, et ses homologues américains Andrew Cherlin et Caitlin Cross-Barnet dans leur article « Living together apart : Vivre ensemble séparés ». Ils ne s’aiment plus mais sont financièrement dans l’impossibilité d’une séparation résidentielle. Enfin, les progrès de la procréation médicalement assistée (PMA) donne de plus en plus naissance à des fratries de jumeaux et triplés, en 40 ans leur nombre a doublé.

UN PEU D’HISTOIRE

De la fin du 18ème siècle et jusqu’à la Première guerre mondiale, le père a toute autorité, il gère le patrimoine qu’il lègue à son fils, auquel il a donné son nom. En 1914, la famille va se fonder sur l’amour conjugal. À partir de cette époque l’éducation des enfants devient la priorité, elle est basée sur la morale et a pour but la réussite sociale. Enfin, en 1965, prélude à mai 68, on établit l’égalité juridique entre le père et la mère, offrant un rôle inédit à chacun dans l’éducation des enfants. Celle-ci place alors l’épanouissement au centre.

En 1968, l’appétit d’égalité entre les sexes va permettre l’amélioration de la condition féminine : émancipation, indépendance, accès au travail, contrôle des naissances, puis la loi de réforme du divorce en 1975 qui permet la procédure amiable… Les changements se précipitent.

L’ANTHROPOLOGIE, POSTULAT DE BASE

Dans Les métamorphoses de la parenté, Maurice Godelier, l’un des plus grands anthropologues contemporains, met en avant trois mouvements précurseurs des mutations de la famille : l’émancipation de l’individu et l’apparition du libre choix du partenaire, l’égalité entre les sexes et la fin de la « toute puissance paternelle », et la valorisation de l’enfant. Une évolution irréversible de la société. Il ajoute que, contrairement à ce qu’on a longtemps cru, la famille n’est pas le fondement de la société.

Elle joue certes un rôle capital dans le développement de l’identité et de la personnalité des individus, et devient en ces temps où sévissent altération des liens sociaux, chômage et précarité, une zone de repli, mais ce sont les rapports politiques et religieux, et les rapports sociaux, qui font la structure d’une société. Il en va de même pour la filiation, qui n’est pas limitée au couple, et la reproduction qui n’est pas la parenté. Car le mariage n’est plus la condition sine qua non à la création d’une famille, le divorce et les familles recomposées développent la parenté non biologique, ou parenté sociale. Le rôle du beau-parent.

L’autorité n’est plus uniquement incarnée par le père biologique, et la mère n’est plus uniquement la référence protectrice. Ainsi, avec la valorisation de l’enfance, les progrès médicaux d’aide à la procréation, mais aussi le fait que l’homosexualité n’est plus considéré comme anormale, il est normal que les homosexuels désirent vivre leur sexualité librement et avoir des enfants. L’anthropologue aspire aussi à ce que l’on admette le recours aux mères porteuses, pour peu que l’encadrement juridique soit strict et réfléchi. Il s’agirait de reconnaître et d’encadrer une pratique existante.

Voilà longtemps déjà que les Françaises vont faire leurs enfants en Belgique et aux Etats-Unis. Pour appuyer ses propos, Maurice Godelier rappelle que ce sont dans les familles hétérosexuelles, dites traditionnelles, que l’on rencontre le plus d’enfants abandonnés, de femmes battues…

LE TRAVAIL ET L’EMPLOI AU CŒUR DU CHANGEMENT

Selon le sociologue Claude Martin - directeur de recherches au CNRS, spécialiste des politiques de l’enfance, de la famille et de la vieillesse, et de l’Etat social, auteur d’Etre un bon parent. Une injonction contemporaine, paru le 18 décembre aux Presses de l’EHESP (École des hautes études en santé publique) - penser qu’au sein de la famille on puisse trouver ce qui fait qu’elle bouge est faux, « elle est le miroir du monde dans lequel elle vit ».

Il considère que « dans le rapport entre famille et transformations de la société, le principal générateur de changements est l’évolution du travail et de ses conditions horaires, et de l’emploi ». Il insiste sur l’accès des femmes au salariat, puis sur la modification des heures de travail. Devenues atypiques, elles bouleversent la famille, dont les choix sont fonction des contraintes que cela génère, d’où découle également un affaissement du temps conjugal.

La famille est pilotée par des pressions, elle est le résultat des conditions qui l’environnent.

« Il faut observer les tableaux de bord familiaux sur les frigos, des planning faits avec dextérité, qui réclament des compromis conjugaux et génèrent des frictions ».
Claude Martin, sociologue.

Il convient selon lui de prendre également en compte deux variables, la trajectoire et la succession de générations.

LA FAMILLE N’EST PAS INVARIABLE

On remarque alors que les femmes ne veulent pas reproduire ce que leurs mères ont vécu. Entre 1900 et 1940, contrairement à ce que l’on croit, les femmes étaient malthusiennes (restriction démographique). À partir de 1945, il y a le fameux baby boom et son taux de fécondité aussi massif qu’inattendu. On note ensuite un taux de fécondité en chute au moment où les enfants du baby boom étaient en âge de procréer. Puis, de nouveau, la fécondité des françaises a augmenté.

Les femmes font à chaque génération l’inverse de leurs mères. On ne peut donc pas penser la famille comme invariable. Claude Martin ajoute une troisième variable, les idéologies et notamment celles qu’on entend actuellement, rétrogrades. « Le mariage pour tous est une loi conquise de haute lutte. Symboliquement c’est bien, c’est vertueux, mais statistiquement c’est epsilon. Nous avons affaire à une fiction de la part des conservateurs, ils évoquent une menace pour la civilisation en parlant d’une chose qui concerne très peu de gens. En revanche cela cache les vrais problèmes actuels de la famille, comme les conditions de vie et notamment celles des 18-25 ans. Ce mouvement réactionnaire confisque ainsi le débat sur les questions familiales », affirme-t-il.

Quant à PMA, on doit selon lui en avoir une approche juridique, éthique et philosophique, en faire une question de société, car ce sujet important ne concerne pas que les homosexuels. Enfin, l’expert souligne que la question de la famille doit se poser en fonction des âges de l’enfant, et tout au long de sa vie :

« La dépendance des personnes âgées est une question familiale ! Une vision des âges de la vie, intergénérationnelle, s’impose. Particulièrement avec le gain d’espérance de vie ».

L’ENFANT AU CENTRE DE LA PHOTO DE FAMILLE

L’idée de trajectoire de vie et de cerner la famille par rapport à chaque membre, et notamment l’enfant, Emilie Potin - maître de conférence, docteure en sociologie spécialiste de la protection de l’enfance et des liens construits au sein du placement, à Rennes – la défend aussi. L’enfant fait famille et toute cette famille bouge autour de lui. Avant il fallait se marier, aujourd’hui il faut avoir un enfant.

« La particularité dans le « faire famille » ce sont tous les possibles qui s’offrent à nous, la palette de modèles que l’on a, des outils dans nos trajectoires individuelles, c’est une liberté. Le seul lien que l’on ne peut pas défaire est la filiation, pourtant, le rôle de parents n’est pas inné, ce sont des rôles sociaux. C’est toute la question de l’égalité des sexes et du droit à l’enfant qui se concentre là ».
Emilie Potin, spécialiste de la protection de l'enfance.

Ainsi, on se leurre sur bien des modèles familiaux, comme la famille monoparentale, « Il faut arrêter avec les clichés qui voudraient, par exemple, qu’une famille monoparentale soit forcément en difficulté », argue-t-elle. Car il y a bien plusieurs parentés, biologique, d’accueil, spirituelle… et l’on doit alléger le poids des responsabilités que l’on fait porter aux parents, « il n’y a pas qu’eux ! D’autant plus qu’aujourd’hui où nous avons des espaces où l’on peut déléguer nos tâches parentales », note-t-elle.

Un enfant qui fait famille donc et qui peut être mobile, appartenir à plusieurs lignages et foyers, plus rien n’est figé. Les liens se construisent et se déconstruisent continuellement. Dans cette diversité des références il n’y a pas de bon modèle. C’est juste une question d’appropriation différente des archétypes.

« Avec ce très large éventail, il y a forcément intolérances. Mais la question principale ici est celle du droit à l’enfant. Les droits sociaux de la femme (travail, protection sociale, divorce, contraception, formation…) d’une part, et la place de l’enfant d’autre part. J’entends par là le fait qu’aujourd’hui on a le droit à la maîtrise du moment où l’on va avoir un enfant, voilà un débat intéressant »,
lance Emilie Potin.

L’ENFANT N’EST PLUS UNE ÉVIDENCE MAIS UN CHOIX

Et quand on fait le choix de ne pas avoir d’enfant, on bouscule toute la société. C’est ce qu’a observé Charlotte Debest - docteure en sociologie, auteure de « Le choix d’une vie sans enfant » aux PUR (Presses Universitaires Rennaises). « Il y a une grande tension entre deux valeurs fortes de la société contemporaine : les libertés individuelles et la famille. Chez la femme, la tension est prépondérante dans l’articulation des sphères familiale, professionnelle et personnelle. Elle choisit d’en prioriser une au détriment des autres », note la sociologue.

Selon elle, l’enfant est au cœur des différences entre femmes et hommes, dans nos représentations, puisqu’avec la contraception on déresponsabilise les hommes, et que lorsque l’on parle fécondité, on pense uniquement à la femme, comme si les hommes n’étaient pas féconds et donc mis hors jeu de la parentalité dès le début. De ce fait, tous les fantasmes par rapport à l’enfant se cristallisent autour de la femme.

« La femme est plus investie par la grossesse, elle assure 80 % des tâches domestiques, elle met sa carrière entre parenthèse, voire l’abandonne, car, elle est fatalement associée à l’instinct maternel. Pas les hommes. Alors, celle qui ne veut pas d’enfant perturbe l’ordre social, l’ordre des genres »,
raisonne la chercheuse.

La norme actuelle, très forte dans nos sociétés, est celle d’être parent, de faire famille en ayant un enfant. Cette famille est forcément associée au bien être, or c’est aussi le lieu où il y a des violences : « On n’imagine jamais que la famille est une zone de malheur, dans l’inconscient collectif c’est toujours le refuge, le bonheur ». Voilà pourquoi 95 % des gens annoncent vouloir des enfants. Et les 5 % restant ne sont jamais interrogés, notamment sur leurs motivations. « On ne leur donne certes pas la parole, mais on ne les nomme pas non plus. Aux Etats-Unis, on les appelle les « Child Free » », poursuit-elle.

Elles sont en France 4,2 %, et 60 % d’entre elles sont en couple et ont plus de 30 ans. Charlotte Debest a constaté qu’on ne prend jamais au sérieux ce qu’elles disent parce qu’il n’est pas possible de ne pas vouloir d’enfant. D’autant plus que la nouveauté de notre époque est la sacralisation de l’enfant, le droit absolu et le choix d’en avoir, oblige à les aime, d’où l’émergence d’une responsabilité parentale très prégnante, surtout pour la mère.

« Ce sont donc souvent les femmes qui sont un plus dures avec les « sans enfant », car cela les renvoie à leur propre choix et les pousse à réfléchir sur le fait que l’enfant n’est pas une évidence, mais un choix »,
continue Charlotte Debest.

Si parmi les premières raisons dans le désir de ne pas avoir d’enfant, il y a un triptyque liberté (être parent ce sont des contraintes qui briment la liberté en terme d’horaires notamment) - responsabilité (il est donc très compliqué de prendre la responsabilité de brimer sa liberté en prenant la responsabilité d’avoir un enfant, il s’agit là d’une responsabilité existentielle) - motivation (en terme de question sur le pourquoi on fait des enfants ? N’est-ce pas très narcissique ?), ces femmes « sans » ont une très haute idée du « être parent », une très haute estime de ce rôle.

Elles sont très altruistes, et pensent beaucoup à l’enfant à ne pas naître. « Pour être parent, il faut quitter un instant la rationalité pure, comme l’explique le démographe Henri Leridon dans son livre « Les enfants du désir » », conclut la sociologue.

LA FAMILLE PSYCHANALYSÉE

Que les puristes ne se méprennent pas et que les anti ne se scandalisent pas, il s’agit juste ici de tenter de décrypter ce que la psychanalyse nous apprend de la famille. Pour ce faire, Laurent Ottavi, professeur de Psychopathologie, directeur du Laboratoire Universitaire de Recherche et co-responsable du colloque « La Névrose et la famille moderne » - organisé le 20 novembre dernier, à l’hôpital Pontchaillou - nous a ouvert les portes de son cabinet.

« Dans l’émergence de ces nouveaux modèles familiaux, la psychanalyse a une responsabilité particulière. La grande surprise de Freud a été de découvrir qu’il y avait un rapport entre les névroses et les conditions de vie familiale. Les parents ne sont pas dans une position équivalente. C’est ce qui l’a mené à la découverte de l’Œdipe. Le vertige de Freud a été de croire que l’Œdipe était universel, dans les rapports tissés de désir, d’amour et de haine entre parents et enfants. Jacques Lacan, le seul à avoir pris Freud très au sérieux, a constaté qu’Œdipe n’était pas la panacée et que le modèle nucléaire n’était ni unique ni une vérité scientifique, les formes sociales évoluent. Tout dément l’épanouissement par le modèle papa-maman, et on ne peut pas entériner cela avec l’Œdipe, il faut aller au-delà », introduit le psychanalyste.

Selon Lacan, l’enfant doit se confronter à la fonction paternelle, qui est symbolique et va au-delà des seuls et simples liens du sang. Procréer n’est pas créer un lien de filiation, encore moins participer à « l’élevage » des enfants. Cette fonction peut être occupée par quelque d’autre. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que la science permet d’imaginer toutes sortes de configurations familiales. Dans la relation mère-enfant, pour que l’enfant se dégage, il faut une coupure, des interdits, des limites.

Quand l’enfant constate que la mère peut désirer, ailleurs, autre chose que lui, il prend conscience qu’il ne peut pas la combler, et il se détache. Et ce, qu’il y ait père ou non, car l’interdit peut venir du discours et de l’attitude de la mère. En s’appuyant sur l’Œdipe, Lacan va donc plus loin, en déclarant que dans la relation mère-enfant il faut l’intervention d’un tiers, qui n’est pas forcément le père physique.

LE PLAISIR INDIVIDUEL

Laurent Ottavi évoque que, depuis 1900, il y a eu modification des modalités de bien-être, de plaisir individuel, qui se sont précipitées dans les années 1960 et notamment avec mai 68. « Dans le discours psychanalytique, depuis les années 1960-1980, il y a cette revendication au bonheur individuel, puis à la nécessaire reconnaissance par l’autre », précise-t-il. L’idée repose sur le fait qu’auparavant on vivait bien avec sa différence, on l’admettait, on se moquait et on défiait le regard de l’autre. On a aujourd’hui besoin de lui.

Vivre son bonheur et le vivre bien ne suffit plus, il faut que cela soit reconnu et admit par la société, on est en recherche de cette reconnaissance sociale pour assumer son statut. C’est notamment vrai pour les homosexuels, les mères célibataires, les gens qui adoptent seuls… La souffrance de se sentir différent ou d’être montrer tel quel n’est plus supportable.

« La légitimation du bien être personnel est un produit de la psychanalyse », ponctue Laurent Ottavi. Quant à savoir ce que la psychanalyse entrevoit sur ce que ces nouveaux types de vie familiale génère de bonheur et de malheur, Laurant Ottavi est très serein :

« On manque encore de recul pour le savoir. Il est certain, que comme avec le modèle traditionnel, de nouvelles souffrances, des cas cliniques, émergeront. Ces modèles seront sans doute étouffants, comme l’a été le modèle traditionnel. Les nouvelles formes familiales ne font que révéler que les anciennes formes étaient arbitraires ».

LA FAMILLE ET LA LOI

« C’est la société qui a fait que le législateur légifère. Le droit n’est pas le générateur des changements de la famille et de la société », nous dit Claude Martin. Le législateur serait donc une sorte de chef d’orchestre. « Tout ce que le législatif permet pour se sentir bien, va dans le bon sens, mais sans cesse, et notamment à chaque fois que l’on défriche de nouveaux modes d’existence, nous assistons au surgissement d’oppressions. Il faut être vigilant. Pour les réacs, l’idée de bonheur individuel est immorale. Ils ont en commun avec les progressistes, l’idée que leur modèle est le meilleur, le seul valable », note Laurent Ottavi.

Pour Claude Martin, le trait culturel de La France est d’être un pays pessimiste et râleur. Cela engendre la peur du lendemain, or

« le discours de restauration d’un modèle traditionnel s’appuie là-dessus. Cette vision binaire du bien et du mal repose sur la peur. Les idéologies réactionnaires jouent là dessus et cela fonctionne avec l’amnésie générale ».

OUVRIR LE DÉBAT

Ces nouveaux modèles familiaux ont ceci de formidable, ils ouvrent un débat pluridisciplinaires, souvent houleux, et en leur sein même. Les choix éthiques et philosophiques corrélatifs sont précieux, ils doivent être discutés et encadrés. Et il convient de rester attentif pour qu’aucun retour en arrière ne soit commis ni même possible. Car, la famille restera ce lieu très intime dans lequel la société intervient sans cesse.

N’en déplaise à la minorité d’intolérants sectaires qui s’en offusque, la famille paternelle du Code Civil Napoléonien de 1804 n’est plus, vive les familles du XXIème siècle ! Sans doute sont-ils perturbés par le constat que le Pater Familias, en déclin depuis la Révolution Française, n’est pas un idéal ni achevé, ni relatif. Voilà 50 ans que les modèles familiaux ont commencé à muter sans mettre en péril notre civilisation.

En couple depuis plus de 10 ans, pacsées depuis 2004-2005, Mathilde et Caroline sont les premières femmes homosexuelles à s’être unies à la mairie de Rennes en juillet 2013. Aujourd’hui, elles sont mères de 4 enfants, conçus grâce à la PMA en Belgique. Témoignage.

Pourquoi avoir opté pour la PMA, et non la GPA par exemple, à l’étranger ?

Nous habitions en Champagne Ardenne et nous nous sentions proches de la Belgique. Pour la méthode, nous n’avions pas envie d’un tiers pour la grossesse. C’est notre famille que l’on voulait concevoir. Nous faisons appel à un donneur anonyme.

Comment ça s’est passé au niveau des démarches ?

Nous avons absolument tenu à passer par l’hôpital public. Nous avons été sur liste d’attente pendant 2 ans, c’est une procédure spécifique pour les femmes en couple. Il y a un accompagnement psy obligatoire, tout à fait pertinent d’ailleurs. Les professionnels doivent donner leur avis sur la recevabilité de notre demande. La Belgique pratique cela depuis 20 ans, l’accueil est très bon. Et il fallait trouver un suivi médical en France. On a cherché des noms de gynéco pratiquant cela pour les couples homosexuels. Il y en avait seulement 2, et les 2 avaient des dépassements d’honoraires ! Mais nous avions besoin d’un intermédiaire, c’était une relation gagnant-gagnant.

Vous avez alterné les grossesses entre vous ?

Non, c’est Caroline qui a fait toutes les grossesses. Elle en avait très envie. La finalité, c’est le bébé.

Comment a réagi votre entourage ?

Pour l’ainée, on ne l’a pas dit au début. D’une part, c’était notre projet. Et d’autre part, on ne savait pas si ça allait marcher. Une fois que le bébé est en route, c’est plus facile de l’annoncer. Pendant les démarches, déjà éprouvantes, on n’avait pas envie de rendre des comptes. Quand le bébé est né, évidemment on l’a crié à tout le monde ! (Rires)

Avoir recours à la PMA à l’étranger a-t-il une incidence sur la nationalité des enfants ?

Non, ce n’est pas comme la GPA, ça n’a pas d’incidence. La grossesse a eu lieu en France, avec un suivi gynéco normal et naturel.

Il faut quand même adopter l’enfant pour celle qui ne l’a pas porté…

Oui. Au niveau de l’état civil, l’enfant n’a qu’un seul parent. C’est Mathilde qui est allée faire toutes les déclarations de naissance. J’ai fait une tutelle testamentaire pour dire qu’elle était responsable également. Et nous avons demandé, et obtenu, auprès du tribunal de grande instance, l’autorité parentale. Elle pouvait donc tout faire avec eux, sauf les emmener à l’étranger sans mon accord.

Les démarches d’adoption sont-elles longues ?

Non, cela va très vite. Nous n’avons pas eu d’enquête sociale ou policière. Il s’agissait simplement d’un dossier administratif avec des photos, des attestations… On a plus dû se justifier lors de la demande d’autorité parentale…

Comment avez-vous vécu la protestation de la Manif pour tous ?

Très très mal ! Cela reste comme une cicatrice. Je pensais que le Pacs avait amoindri les choses mais le mouvement s’est déchainé. Ça ne fait pas de différence dans notre quotidien mais ils ont réussi à trouver de la visibilité et une écoute forte. Nous attendions de la gauche plus de droits, d’égalité. C’est comme si le gouvernement n’était pas à l’aise et nous considérait comme des sous-citoyens.

Le fait que le gouvernement n’ouvre pas la PMA en France pour les familles homoparentales n’a pas dû aider…

On n’imaginait pas que ça passerait comme une lettre à La Poste mais pas à ce point-là ! Ça a été une claque ! Ils ont autorisé la Manif pour tous a débordé.

Vos enfants ont-ils souffert de certaines critiques ?

Nous n’avons jamais eu de retours négatifs pour la plus grande, elle a 6 ans. Les jumeaux – fille/garçon – ont 3 ans et le dernier a 4 mois. La grande, nous l’avons déjà sentie gênée qu’on se présente comme ses 2 mamans. Mais à la maternelle, on les suit beaucoup pour expliquer car mieux vaut que tout soit clair dès le début. Des fois, les petits posent des questions mais ils n’ont pas encore de schéma pré-conçu alors il n’y a aucun problème. Notre fille est contente de sa famille. Après, elle a ses problèmes de petite fille, comme tout le monde.

Est-ce que vous avez eu accès toutes les 2 à un congé post-accouchement ?

J’ai eu le congé maternité et Mathilde a eu le congé de paternité ! Oui, c’est écrit comme ça. C’est au bon vouloir de l’employeur mais il a toujours accepté. Ce n’est pas le cas de tous les couples. Pour le premier congé, elle ne l’avait pas demandé, elle avait posé pas mal de congés.

Individuellement, vous vouliez avoir des enfants depuis longtemps ?

Mathilde voulait absolument avoir des enfants. Au moins 3 ! Moi, fondamentalement, je voulais en avoir. Mais je me demandais si c’était préjudiciable ou non pour l’enfant. Après ça, je n’ai pas eu d’hésitations.

Les associations, comme Arc-en-ciel, vous ont-elles aidé dans votre réflexion et vos démarches ?

Oui, un peu. Sur les parcours et les retours d’expérience. On va à quelques rencontres, 1 ou 2 fois par an. C’est sympa, surtout pour les enfants. C’est important qu’ils voient qu’il existe plusieurs schémas familiaux. Différents du leur et similaires aussi. C’est aussi pour ça qu’on explique clairement notre schéma à l’école ou en dehors. Et ça se passe plutôt bien. Même si c’est parfois fatiguant et que l’on aimerait ne pas se justifier en quelque sorte. Maintenant, c’est un peu différent, on est très investies dans la vie de l’école et ils nous connaissent bien.

Quelle est votre conception de la famille ?

Pour nous, elle n’est pas basée sur le biologique. Ce qui est important, c’est l’affectif, la responsabilité des parents, l’éducation que l’on donne à ses enfants, les valeurs qu’on leur transmet. En tout cas, il n’y a pas que le sang qui compte. Et l’argument de la nature, ça me hérisse les poils !

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Le jeu des 7 familles, et plus si affinités...
Familles, je vous aime
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Mariées, 4 enfants