Célian Ramis

Militantisme : visibiliser les lesbiennes

Posts section: 
List image: 
Summary: 
C’est une histoire d’alliances. Toujours. Mais c’est aussi une histoire d’invisibilisation. Toujours. Les lesbiennes ont sans cesse lutté pour les droits des femmes, pour la dignité et le respect des individus, pour la défense des biens communs et sociaux. Pour tou-te-s.
Text: 

C’est une histoire d’alliances. Toujours. Mais c’est aussi une histoire d’invisibilisation. Toujours. Les lesbiennes ont sans cesse lutté pour les droits des femmes, pour la dignité et le respect des individus, pour la défense des biens communs et sociaux. Pour tou-te-s. Et pourtant, elles ont toujours été écartées de l’Histoire. Silenciées, méprisées, infériorisées, stéréotypées, stigmatisées… Elles sont souvent réduites à une série de clichés, quand elles ne sont pas ignorées par la société et ses représentations médiatiques, militantes, culturelles, artistiques ou encore sportives. 

Quand on pense homosexualité, on pense au masculin. Et dans les rares cas où on l’envisage au féminin, notre regard est biaisé par les clichés sexualisants et pornographiques. Par le fantasme de deux femmes hétéros se donnant du plaisir pour satisfaire les désirs des hommes. Et si elles affirment leur lesbianisme hors des codes hétéropatriarcaux, alors on les insulte en les traitant de mal baisées, d’aigries et on les réduit à l’image unique du « garçon manqué », d’une femme tentant de correspondre aux caractéristiques de la virilité hégémonique… Ces stéréotypes sexistes et lesbophobes encore très ancrés dans les mentalités accompagnent et participent significativement aux mécanismes d’invisibilisation des lesbiennes, de leur pluralité, de leur culture, de leurs trajectoires vécues, des difficultés subies, de leur histoire militante… Alors même qu’elles ont toujours été impliquées dans les mouvements féministes et LGBTIQ+, profitant à l’ensemble de la société. 

En mars dernier, tempête chez Disney-Pixar. Le géant de l’animation américaine s’apprête à sortir Buzz l’éclair sur les écrans et éclate alors la polémique autour d’une scène censurée montrant un baiser lesbien. Cela n’a rien d’anecdotique. Bien plus obscures que les salles dans lesquelles le dessin animé est projeté, les raisons de ce retrait résident dans une lesbophobie ambiante et insidieuse. Scandalisé-e-s par la découpe de la scène, des employé-e-s de Pixar ont décidé de dénoncer l’action publiquement afin de mettre les studios face à leurs responsabilités. Dans une lettre ouverte, iels déclarent que « presque tous les passages ouvertement gay sont coupés à la demande de Disney, sans prendre en considération les protestations des équipes créatives et exécutives de Pixar. »

La presse s’empare de l’information mais n’en analyse pas la profondeur et la spécificité. Certes, l’homophobie est incontestable du côté de la célèbre firme dont les films d’animation de ces dernières années ne sont teintés que de rumeurs autour d’un hypothétique progressisme (dans Luca, il est possible que les deux garçons s’aiment mais la ligne officielle défend qu’il ne s’agit là que d’amitié, et dans La reine des neiges, on suppose qu’Elsa pourrait être lesbienne, simplement parce qu’elle est célibataire du début à la fin du film et qu’elle ne se jette pas comme sa sœur sur le premier mec venu…). Mais surtout, elle est pensée quasi exclusivement au masculin.

NE PAS DIRE…

Et même lorsque la thématique lesbienne est abordée dans le film d’animation En avant, les articles ne mentionnent jamais le terme… On parle alors « du premier personnage homosexuel », tout comme on parle d’un « passage gay » censuré dans Buzz l’éclair, et on explique que le film est interdit de diffusion dans les pays du Moyen Orient en raison de ce « personnage homosexuel » qui explique « son homosexualité ». Ce personnage, c’est une policière. Si on ne le sait pas, on se figure une relation homosexuelle entre deux hommes. Parce que la lesbophobie s’exprime au croisement de l’homophobie et du sexisme. 

Au delà de l’élément de langage, qui lui non plus ne relève pas du détail, la polémique pointe le problème éducatif. Dans Le screen, à écouter sur Mouv’, Manon Mariani évoque, en parallèle de ce scandale, le vote de la loi – entrée en vigueur depuis le 1er juillet 2022 - en Floride interdisant d’enseigner à l’école des sujets en lien avec l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Cette loi nommée « Don’t say gay » par les opposant-e-s choque et suscite rapidement des réactions dénonçant la haine LGBTIphobe. De son côté, The Walt Disney Company reste, elle, silencieuse, puis finit par se positionner contre le projet, après avoir été sollicitée par des employé-e-s LGBTIQ+.

Plus qu’une histoire de puritanisme, le problème n’est pas isolé et propre à certains territoires uniquement. La lesbophobie dépasse les frontières de la Floride et du Moyen Orient. En France, la loi sur l’éducation à la vie sexuelle et affective existe depuis 2001 et son non respect ne choque personne. Si un rappel à l’obligation de dispenser au moins 3 cours par an dans les écoles, collèges et lycées a été tout de même effectué en 2018, le magazine Têtu souligne à juste titre que lorsque les sessions sont menées autour du consentement, de la contraception, des rapports femmes-hommes et de la sexualité, elles omettent « quasi-systématiquement l’aspect LGBT de ces sujets. » Et même dans des articles dédiés à la question, il est rare de voir apparaître le terme lesbienne, le terme homosexuelle étant plus largement répandu.

Comme s’il s’agissait de ne le dire qu’à demi mots. Comme s’il s’agissait de s’en excuser. Comme s’il s’agissait de préserver nos représentations bien hétéronormées de la femme soumise à l’homme. L’homosexualité au féminin serait-elle plus douce, plus rassurante, que le lesbianisme qui affirme et revendique une orientation sexuelle et affective en dehors des schémas patriarcaux ? Ce qui est certain, c’est qu’elles dérangent, les lesbiennes…

LES HOMMES D’ABORD

C’est toujours la même rengaine. Y compris dans les milieux LGBTIQ+ qui ne sont pas exempts de l’intégration et l’imprégnation des stéréotypes sexistes et des mécaniques d’oppression. En juin 2021, lorsque la FEERIE – Féministe Équipe de Recherche Insolente et Erudite – présente une partie de ses travaux à la Maison des Associations de Rennes, Alice Picard, Clémentine Comer et Françoise Bagnaud le disent : les engagements homos des années 70 et 80 commencent à peine à être étudiés. Surtout à Paris et surtout orientés gays. Elles ouvrent alors « la boite noire du militantisme rennais grâce aux archives de l’association Femmes Entre Elles et des militantes de A Tire d’elles. »

À cette époque, l’homosexualité figure sur la liste des maladies mentales. Elle se vit cachée. Beaucoup de femmes découvre le milieu LGBT par l’intermédiaire d’un homme, comme le précise ce jour-là la chercheuse et militante Clémentine Comer : « Les femmes que nous avons interviewées ont toutes à plusieurs reprises mentionné l’importance dans leur jeunesse, au lycée ou au travail, de la rencontre avec un homme gay qui a pu avoir la fonction de facilitateur d’une entrée dans le monde de l’homosexualité. » Dans la capitale bretonne, les lesbiennes militent au sein du Groupe de Libération Homosexuelle et tiennent, à l’occasion d’une semaine homosexuelle organisée à la MJC La Paillette, un stand dans le hall pour que les femmes puissent s’y retrouver. De là nait le Groupe Lesbien. Les rapports de force des hommes font obstacle à l’expression des femmes. Rapidement, des tensions apparaissent entre militantes lesbiennes et militants gays, scindant finalement le groupe en deux collectifs. 

Quatre ans plus tard, le Groupe Lesbien existe toujours et c’est dans son sillon que se lance l’association Femmes Entre Elles à l’ambition similaire : faire se rencontrer des femmes lesbiennes, leur permettant de vivre librement leur sexualité mais aussi de rompre l’isolement, de s’épanouir dans leurs vies, d’accepter et de comprendre leur homosexualité. La FEERIE livre des témoignages édifiants et joyeux. « Avant je ne comprenais pas ce que je vivais. C’est seulement quand on était ensemble que cela devenait réalité. », confie Chris. « C’est aussi le fait d’avoir pu vivre une relation amoureuse par le biais de l’association dans un milieu favorable et de ne plus être obligée de me cacher et de pouvoir enfin en parler ouvertement. », relate Laurence.

La non mixité, le rassemblement entre lesbiennes, apparaît comme essentiel et fondateur dans la construction de bon nombre de militantes de cette période. Car en dehors, nombreuses sont celles qui taisent leur orientation affective et sexuelle dans leurs familles, entourages et au travail. Certaines même la découvrent, comme Martine par exemple : « L’élément déclencheur, c’est dans ma vie d’adulte plus tard avec le wendo. C’était une ouverture vers un autre monde, des rencontres, une ouverture d’espace. J’avais un compagnon à l’époque, je l’ai quitté assez rapidement en 84/85. La séparation est liée au wendo et la rencontre des lesbiennes. C’est avec la création de cette association que je suis devenue lesbienne. »

LESBIANISME & FÉMINISME

C’est là que le militantisme lesbien et le militantisme féministe se rejoignent, à Rennes. Au début des années 80. L’association Femmes Entre Elles met en place des stages de wendo, une pratique d’auto-défense féministe adaptant les techniques des arts martiaux et de la self défense aux vécus spécifiques des femmes. Ces dernières « prennent collectivement conscience des violences qu’elles ont vécues » et partagent « un moment où elles acquièrent confiance en elles. » Se protéger lors d’une agression, apprivoiser sa peur dans une situation de tension pour ne pas céder à la panique, découvrir et valoriser sa force et sa puissance, voilà ce que le wendo propose.

En 1983, des adeptes de la pratique fondent l’association La Cité d’Elles qui se revendique féministe et se démarque de FEE, en donnant accès au wendo à des femmes hétérosexuelles. C’est alors un espace de rencontre entre le lesbianisme et le féminisme, des relations amoureuses émergent, l’homosexualité de certaines se découvre et se nourrit au fil des rencontres, ateliers et activités organisées. Les deux structures prônent le Do It Yourself et explorent les domaines menant à l’autonomisation des femmes, en se réappropriant des savoirs que l’on attribuait aux hommes, y compris ceux concernant le corps des femmes.

Les groupes lesbiens mènent de front défense des droits des femmes et reconnaissance des sexualités. Et surtout respect de celles-ci. Elles investissent La Paillette, proposent des activités, se mobilisent dans le cadre du 8 mars, nouent des relations avec les associations féministes, intègrent des réseaux féministes régionaux, nationaux et internationaux et participent à des rencontres avec d’autres groupes lesbiens, qui déboucheront sur la création d’une Coordination lesbiennes de l’ouest, en 1983. Si l’homosexualité et le wendo se pratiquent dans l’illégalité et dans le secret, les militantes s’épanouissent dans le cadre associatif qui permet un entresoi lesbien, portant un côté empouvoirant, facilitateur de rencontres et créateur d’opportunités. Ce dont témoignent Ulli et Nicole dont les voix résonnent à travers les travaux de la FEERIE.

« On avait des adresses. Une lesbienne donnait l’adresse d’une autre, comme ça, on pouvait voyager un peu partout, on était toujours hébergées. », dit la première. « Il y avait sans arrêt des femmes nouvelles, d’ouverture à d’autres choses et puis de nouvelles histoires d’amour qui commençaient et qui s’arrêtaient. », souligne la seconde. Là encore, les témoignages démontrent le côté structurant, social et militant de Femmes Entre Elles. « Le militantisme lesbien a forgé des apprentissages sociaux à l’international. Et pour certaines femmes, dans les milieux les plus modestes, ça a constitué un capital culturel de substitution. », analyse Françoise Bagnaud, membre de la FEERIE, militante féministe et lesbienne, et autrice d’un ouvrage à venir sur l’histoire de Femmes Entre Elles, dont elle est membre.

À cette époque, elles s’abreuvent des écrits lesbiens, fruits de réflexions émergentes, inspirantes et fondatrices dans l’histoire du féminisme des années 70 et 80. Monique Wittig, Christine Delphy, Marie-Jo Bonnet… toutes marquent le mouvement de luttes pour les droits des femmes, au sein du Mouvement de Libération des Femmes notamment, et l’enrichissent de théories d’émancipation, en particulier face à l’hétéronorme patriarcale. 

RETOUR DE L’INVISIBILISATION

C’est à cet endroit de la pensée féministe que les divergences et tensions apparaissent. Nous sommes au début des années 70 et les Gouines rouges naissent au croisement de la misogynie ambiante et la marginalisation ressenties par les lesbiennes dans le Front homosexuel d’action révolutionnaire et la volonté d’investir ces questions-là au sein des mouvements féministes, en particulier le MLF. Mais bientôt le processus d’invisibilisation se remet à l’œuvre. Il faudra attendre les années 2001 par exemple pour que le livre La pensée straight de Monique Wittig – publié en 1992 en anglais - soit traduit en français. Elle y présente l’hétérosexualité comme un système politique, basé sur la binarité des sexes auxquels sont attribués des genres – féminin et masculin – comportant des caractéristiques qui expliqueraient la répartition des rôles et des fonctions entre les femmes et les hommes dans la société (le travail reproductif pour les premières, le travail productif pour les seconds).

Elle appartient à un courant féministe dit matérialiste, soit un courant de pensée visant à réfuter les arguments biologiques comme moyens d’expliquer la supériorité d’un sexe sur l’autre. Elle défend l’idée que les hommes et les femmes sont des catégories politiques, produits d’une construction sociale visant à la domination masculine. Avec sa phrase, qui scandalisera de nombreuses militantes, « Les lesbiennes ne sont pas des femmes », elle affirme qu’en n’adhérant pas au modèle hétérosexuel en tant que système politique, les lesbiennes échappent au fait d’être femmes dans le sens de cette fameuse construction sociale. Adrienne Rich également théorise dans le même sens dans son livre La contrainte à l’hétérosexualité, critiquant par là même l’hétéronorme et ce qui en découle avec le mariage et la famille traditionnelle. Taxées de radicales, elles sont aujourd’hui seulement réhabilitées dans les milieux féministes, et encore, elles continuent de déranger comme le prouvent les réactions haineuses envers la journaliste et activiste Alice Coffin, autrice du brillant essai Le génie lesbien… 

Puisqu’elles ne couchent pas avec les représentants du patriarcat et de son sbire, le système hétéro, les lesbiennes sont-elles les seules véritables féministes ? La question bouscule et a le mérite d’entrer en profondeur dans le vif du sujet. Le féminisme serait la théorie et le lesbianisme, la pratique, selon Ti-Grace Atkinson, grande figure du féminisme radical et du militantisme lesbien. Dans les travaux présentés par FEERIE, on retrouve à Rennes ce climat de tensions, cette peur au sein de la Cité d’Elles « d’être définies comme moins féministes si on n’a pas de vécus lesbiens », indique un compte rendu de réunion. Un sentiment « que le lesbianisme peut être ressenti comme un jugement de valeur envers les femmes qui ne le sont pas. » Les points de vue divergent et toutes les militantes, féministes comme lesbiennes, ne s’identifient pas dans ce courant de pensée.

Les relations avec Femmes Entre Elles se dégradent alors que l’association défend certes la promotion de l’identité lesbienne, questionne les contraintes de l’hétérosexualité et de la binarité de genre, mais défend également l’expression plurielle des voix du lesbianisme. D’autres événements entachent la bonne entente et malgré l’action conjointe des deux associations contre la publicité sexiste (et notamment contre l’affiche d’une discothèque qui prône « Violer la nuit »), la communication leur fait défaut. Les militantes féministes « discréditent l’engagement de FEE » en parlant de « sous-culture lesbienne » et participent « encore une fois à invisibiliser les lesbiennes. »

AVANCÉES MAJEURES !

Et pourtant, elles ont œuvré et œuvrent toujours pour l’égalité. Elles fêtent cette année les 40 ans de l’association rennaise. Début juillet, FEE organisait un grand week-end festif à la MJC Bréquigny et revenait pour l’occasion sur les événements majeurs de sa création à aujourd’hui. On y constate une véritable volonté de créer un lieu convivial et militant, dans lequel les identités peuvent s’exprimer librement et dans lequel la visibilité et la reconnaissance sont des enjeux essentiels. Dans les années 80, la structure investit la radio en présentant une émission sur Radio Savane, devient le siège de l’association nationale Les Goudus télématiques, un service minitel créé par et pour les lesbiennes, participe aux stages de wendo et aux ateliers lecture, en invitant des pointures de la littérature et du militantisme féministe et lesbien comme Catherine Gonnard, Geneviève Pastre ou encore Suzette Robichon (dite Suzette Triton).

Le 17 mai 1990 marque un tournant hautement important : l’OMS retire l’homosexualité de la classification internationale des maladies mentales. Ce jour-là devient une journée mondiale de lutte contre les LGBTIphobies et FEE s’investit dans les actions orchestrées par le Centre LGBT de Rennes (devenu aujourd’hui Iskis), tout en poursuivant de nombreuses activités, comme l’organisation d’un rallye automobile, la réalisation d’un « Conte de FEE », une feuille d’informations mensuelle envoyée aux adhérentes, l’envoi d’une plaquette sur la visibilité lesbienne à plus de 150 médecins spécialisés (psys, gynécos, etc.) de Rennes et distribution de mini plaquettes à l’entrée du resto U. La décennie est marquante pour Femmes Entre Elles qui va désormais prendre part aux différentes manifestations du 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes, et surtout qui va œuvrer pour que le terme lesbienne apparaisse dans la Gay Pride. Le 18 juin 1994, c’est une grande première en France.

La capitale bretonne accueille la toute première Lesbian & Gay Pride, appellation reprise au niveau national l’année suivante. FEE devient membre fondateur du Collectif Lesbian & Gay Pride de Rennes. En parallèle, elles poursuivent les fêtes femmes, soirées dansantes, les bistrotes, les ateliers d’arts plastiques, de théâtre, de clowne, de chant, les randonnées, sorties kayak, balades en vélo, les temps d’échanges de savoirs, les week-ends conviviaux, les séjours au ski ou à la mer ainsi que les ateliers écriture et lecture… Elles militent aux côtés de l’association féministe rennaise A Tire d’Elles pour se réapproprier l’espace public nocturne, elles dénoncent l’absence des noms de femmes dans les rues rennaises en renommant les rues du centre ville (initiative reprise ensuite dans diverses villes de France ainsi que dans un manuel scolaire de 1ère ES édité en 1997), elles participent à la Coordination Lesbienne Nationale, elles se mobilisent pour le PACS et contre les anti PACS et obtiennent une subvention pour le projet inter-associatif de création d’un théâtre forum contre l’homophobie. 

Depuis les années 2000, elles ne cessent d’interroger les inégalités entre les hommes et les femmes mais aussi le racisme intégré par les lesbiennes blanches, s’insurgent avec les féministes sur les différences de prix chez les coiffeurs ou sur la création d’un délit d’IVG, elles marchent dans la rue et font circuler des pétitions contre la montée du Front National en 2002, contre l’expulsion de Sena, une militante lesbienne turque (qui a ensuite obtenu son titre de séjour) ou encore pour les droits des femmes à circuler sans être importunées, à bénéficier de la contraception, du recours à l’IVG, pour les droits des sans-papières et des travailleuses du sexe, etc.

Elles initient une équipe de handball, des soirées FEEstives dans lesquelles les arts et la culture sont à l’honneur, instaurent de nouveaux ateliers, font perdurer certains anciens, se mettent aux réseaux sociaux, refont leur site internet, continuent les permanences à la MJC La Paillette et protestent contre les anti-Mariage pour tous, recevant au passage haine et injures des militant-e-s de la Manif pour tous… Elles maintiennent les liens étroits et partenariaux avec la Marche des Fiertés, le 8 mars à Rennes, les associations de santé des femmes à l’instar du Planning Familial, déménagent à Villejean, organisent des conférences, mettent en place des apéros zoom et une ligne téléphonique solidaire durant le confinement et éditent en 2021 le livre Paroles des FEES confinées avant de se concentrer sur l’organisation des 40 ans de l’association.

Quarante années de rencontres, de travail de réseaux, de combats pour les droits des femmes et des lesbiennes, de luttes pour visibiliser et faire reconnaître les identités de chacune. Quarante années de liens et de soutiens pour rompre l’isolement des femmes lesbiennes. Quarante années d’ateliers et d’activités pour avancer ensemble et pratiquer en toute sororité des loisirs créatifs, sportifs, artistiques et culturels. Quarante années d’échanges de compétences, autant en mécanique qu’en auto-défense en passant par la littérature et le yoga, et de savoirs, pour s’approprier son corps, sa vie, l’espace public, et s’autonomiser. Quarante années de remise en question du modèle patriarcal et hétérosexuel et d’interrogations face aux mécanismes de domination.

RÉHABILITER LE MATRIMOINE LESBIEN

Une histoire riche et passionnante que Françoise Bagnaud racontera bientôt dans un livre publié aux éditions Goater. Une histoire qui démontre que le militantisme s’exprime en province comme dans la capitale mais aussi qu’il côtoie aussi bien les problématiques sociales, politiques, culturelles, sportives, etc. « Ce que je veux montrer, c’est le côté dynamique de FEE, son côté politique aussi. Ce n’est pas pareil de se dire lesbienne qu’homosexuelle. C’est encore difficile aujourd’hui de le dire ! Des femmes n’ont pas voulu témoigner par peur d’être reconnues par leurs familles. », souligne Françoise Bagnaud. Membre de Femmes Entre Elles, investie dans la Lesbian and Gay Pride, co-présidente à une époque du Centre LGBT de Rennes et désormais militante au sein de l’association Histoire du féminisme à Rennes, elle le dit : « Il y a un travail de transmission et de matrimoine à faire. »

En 2015, elle commence à retracer l’histoire de FEE, retrouve des traces des fondatrices et en parallèle co-fonde la FEERIE, après avoir réalisé des entretiens sur les trajectoires des femmes lesbiennes. « Mon objectif avec le livre, c’est de revenir sur la dynamique de cette association unique en France qui continue d’exister. Des jeunes femmes sont venues nous voir à la Marche des Fiertés pour nous dire que Je crois que c’est important d’avoir des espaces et des moments de confort, de pouvoir se dire qu’à cet endroit-là, je peux être qui je suis sans qu’on me juge ou qu’on me renvoie des stéréotypes. C’est important qu’on change les images : les femmes ne sont pas toutes hétérosexuelles, blanches, etc. Beaucoup d’entre nous n’ont pas eu de figures lesbiennes au cours de leurs vies… », poursuit-elle. c’était bien ce qu’on avait fait. Les images comptent, les représentations manquent.

Au fil des interviews, les mêmes sont citées. Muriel Robin, Amélie Mauresmo, pour hier. Adèle Haenel, Céline Sciamma, Pomme, Hoshi, Angèle, pour aujourd’hui. Et dans les programmes télévisés populaires, les couples de lesbiennes apparaissent : « Dans Plus belle la vie par exemple - on en pense ce qu’on veut - mais ça permet de transformer la honte intégrée en quelque chose qui fait parti du monde. C’est très important de rendre les trajets des femmes lesbiennes d’hier vivants et de les relier à aujourd’hui. Sinon, on ne sait pas d’où on vient. C’est très important de partir des témoignages des femmes lesbiennes. Construire l’Histoire sans la parole des concernées, c’est de la domination. » 

Ne pas savoir d’où on vient et se sentir hors des normes. Se construire sans représentations permettant l’identification et la déconstruction par conséquent de l’idée que l’on est en marge de la société dans laquelle on évolue. Donner accès à une Histoire plus complète et complexe permet de rééquilibrer les savoirs qui ont partiellement ou entièrement été confisqués, au même titre que les mémoires de celles qui ont participé à bâtir les théories et ont permis les avancées dont les générations actuelles profitent. « Ça contribue à plus d’égalité, de respect entre les êtres humains. De comprendre de là où on vient pour savoir où on va. Créer de la solidarité entre les générations. Et rendre la fierté à toutes ces femmes qui ont dans l’ombre œuvré et n’ont pas eu de reconnaissance. », analyse Françoise Bagnaud.

Elle poursuit : « Je pense que c’était plus difficile d’être lesbienne dans les années 80 qu’aujourd’hui. On peut être fières de notre Histoire écrite collectivement. Quand des jeunes viennent me voir, c’est pour parler de cette Histoire. Ce que j’ai envie de transmettre, c’est que l’on peut être heureuses en étant lesbiennes ! Quand on grandit sans en parler, on intériorise une sensation de honte, d’anormalité. C’est un poids que l’on retrouve toute sa vie et que les gens ne mesurent pas. » Elle nous raconte la violence des manifestations anti-PACS et des manifestations anti-Mariage pour tous. Elle nous raconte comment elle a consolé des jeunes en pleurs après avoir essuyé insultes et menaces. « Va te faire soigner ! », « T’es un monstre ! » ou encore « Les goudus dans les trous ! » ne sont que quelques exemples d’injures haineuses et traumatisantes qui se répandent encore aujourd’hui avec la très récente extension de la PMA aux couples de lesbiennes (excluant toujours les personnes trans du dispositif).

L’homophobie est encore prégnante. « Si dans tous les lieux publics et dans les médias, on voyait des couples de femmes… Si dans les lycées, il y avait quelque chose sur d’autres possibles que l’hétérosexualité… Ça ferait du bien. Quand on voit ce qu’il s’est passé pour l’ABC de l’égalité… C’est spectaculairement rétrograde ! », scande la militante. Elle croit aux mobilisations, aux alliances, en l’empouvoirement dû à la réhabilitation des femmes ayant participé à l’Histoire, en les espaces de rencontres et de partage et au pouvoir de la parole, des échanges et de la communication. « Il faut amener les gens à sortir de leur point de vue pour regarder les questions des autres. Quand je vais chez des professionnel-le-s de la santé, je leur dis toujours que je suis lesbienne et on en discute. Ça permet une vision à 360° ! », précise-t-elle. 

UN COMBAT INCESSANT POUR LA RECONNAISSANCE

Ne pas visibiliser l’Histoire des lesbiennes, ne pas visibiliser la pluralité des orientations sexuelles et affectives dans les lieux de travail, les médias, les publicités, les espaces de socialisation, les sports, etc. participe aux violences qui s’exercent contre les concernées dans l’espace privé comme public, comme le démontre le rapport 2022 sur les LGBTIphobies, réalisé par SOS Homophobie. « Constat alarmant en 2021 : les lesbiennes qui subissent des violences et discriminations sont de plus en plus jeunes. Pas moins d’une sur quatre est mineure (contre une sur cinq en 2020) et près de la moitié a moins de 24 ans. », peut-on lire dans l’enquête. Insultes, menaces, rejets, séquestrations… Les violences ont principalement lieu dans la sphère familiale, premier contexte de lesbophobie, avant le cadre professionnel. Autre source de violence en augmentation : l’outing.

« Ce dévoilement de l’orientation ou de l’identité de genre sans le consentement de la victime représente 14% des cas de lesbophobie rapportés à l’association en 2021, contre 10% en 2020. », souligne le rapport. Manque ou perte de confiance en elles, nombreuses sont les lesbiennes à vivre (ou survivre) dans un climat de peur et de tensions permanentes : « Les agressions physiques et sexuelles représentent encore 14% des cas rapportés tous contextes de lesbophobie confondus. Les femmes en couple sont particulièrement exposées à ces violences : 21% d’entre elles sont en couple, contre 11% des victimes de gayphobie, par exemple. »

Pour lutter, les militantes ont instauré en avril 2021 la première Marche pour la visibilité lesbienne en France, à l’occasion de la Journée de la visibilité lesbienne (26 avril). Elles luttent contre l’invisibilisation constante des lesbiennes et revendiquent le droit d’accès à la PMA, au même titre que les couples hétéros. Elles sont des milliers à occuper l’espace public, à prendre la rue et donner de la voix pour faire entendre leurs histoires, leurs trajectoires et leurs désirs. Parce que c’est encore un lieu d’agressions verbales, physiques et symboliques, elles se le réapproprient. 

L’intime est politique. Et en tant que LGBTIQ+, leurs existences sont sans cesse soumises au jugement de la société. Dans les années 80, il faut batailler pour faire sauter l’homosexualité de la liste des maladies mentales. Dans les années 90, il faut batailler pour instaurer le PACS et que les couples homosexuels puissent obtenir un statut face à l’institution. Dans les années 2010, il faut batailler pour que les couples homosexuels accèdent au même droit que les couples hétérosexuels : le mariage. Dans les années 2020, il faut batailler pour inscrire dans la loi la possibilité pour les couples lesbiens d’avoir recours à la PMA. Les combats sont longs et douloureux.

Les victoires, faibles par rapport à l’ampleur des énergies qu’il aura fallu déployer. Et souvent, les victoires sont amères. Les lois sont votées au rabais, après une déferlante de souffrances infligées sans relâche par des opposant-e-s LGBTIphobes ultra médiatisé-e-s, là où les concerné-e-s sont elleux peu consulté-e-s et interrogé-e-s. Leur absence des débats publics choquent à peine tandis que leurs luttes profitent largement aux personnes hétérosexuelles, qui peuvent opter pour le PACS et ainsi donner à leurs couples un cadre juridique plus souple que le régime matrimonial, et aux célibataires, qui peuvent désormais concevoir un enfant ou plusieurs sans avoir un-e partenaire dans la parentalité. 

LA MATERNITÉ EST PLURIELLE

Des avancées qui ne seraient jamais arrivées sans les combats acharnés des personnes LGBTIQ+, obligées de justifier non seulement de leurs existences mais également de leurs désirs d’officialiser et protéger leurs relations et leurs familles (dès lors qu’elles ont prouvé, en démontant les arguments essentialistes, réducteurs, opprimants et autres thèses biologiques, leurs capacités à élever des enfants…). « Nos combats minoritaires profitent à toute la société. On ne se bat pas que pour nous ! », s’exclame Lisa, co-fondatrice avec Elsa, du compte Matergouinité à découvrir sur Instagram. « J’ai eu du mal à me projeter en tant que mère avec mon ex compagne. J’avais du mal à me retrouver car je ne voyais pas d’images d’autres mères qui me ressemblaient. », explique-t-elle. Parce que la maternité est pensée dans le cadre hétérosexuel.

Parce que la maternité est pensée dans les critères de la féminité patriarcale. Lorsqu’Elsa arrive à Bagnolet dans la colocation, elle cherche pour les besoins de son travail de journaliste une photo pour illustrer un article concernant la maternité. Et ne trouve que des images stéréotypées : « Sur les photos en général, on voit des femmes très féminines, avec les ongles vernis, couleurs pastel, les cheveux longs, etc. D’autres femmes existent ! » Elles fondent alors Matergouinité dont l’objectif est de diffuser des visuels et des témoignages démontrant la pluralité des modèles familiaux. Le compte valorise deux piliers : la représentation des mères qui leur ressemblent davantage, « butchs, punks à chiens, etc. », dans des configurations familiales diverses (familles monoparentales, couples lesbiens cis et/ou trans, familles recomposées, etc.) et la diffusion d’une culture lesbienne « hyper riche et radicale au point de vue des luttes ».

Elles citent Hanane, co-fondatrice des Femmes en lutte 93, Magie Nelson, essayiste, poétesse et universitaire américaine, ou encore Faika El-Nagashi, personnalité politique écologiste, féministe et lesbienne en Autriche. Comme elles le disent, elles souhaitent mettre leur grain de sel autour de la politisation de la mère, à l’instar de Fatima Ouassak, fondatrice de Front de Mères à Bagnolet, ou encore du festival Very Bad Mother à Concarneau. « Au départ, on a fait ça pour se faire plaisir. Pas forcément dans l’optique de changer les mentalités. On a eu des retours très positifs. Mères rasées, poilues, avec des enfants… ça me fait du bien de voir d’autres mères qui me ressemblent ! », souligne Lisa qui poursuit : « Soit on est militantes, soit on est mères. Ce sont des sphères souvent assez séparées alors qu’on peut partir du fait d’être mère pour construire son militantisme. »

La politisation de la maternité lesbienne et la parentalité queer s’affirme rapidement sur leur compte Instagram qui participe à visibiliser la communauté. De manière très accessible. « Il y a plein de mères, elles n’ont pas à s’excuser, elles n’ont pas à montrer pattes blanches. La sociologue Sylvie Tissot montre que les mères lesbiennes sont acceptées quand elles sont blanches, aisées, etc. Quand elles ne remettent pas en question l’ordre établi… Nous, on veut montrer autre chose. », ajoute Elsa. Parce que les lesbiennes n’ont pas attendu l’extension de la PMA pour avoir des enfants. Parfois, elles sont allées à l’étranger. Parfois, elles ont eu des enfants dans un couple hétérosexuel. Parfois, elles se sont mises en couple avec des femmes ayant déjà des enfants. Elles ne se sentent pas toutes légitimes à en parler. Elles ne se sentent pas toutes mères lesbiennes. Lisa et Elsa le signalent : le compte Matergouinité n’est pas une publicité pour la maternité.

Pas question pour elles de rajouter de la pression à l’injonction d’avoir des enfants. Il s’agit là de visibiliser une réalité, de repenser les représentations autour de la maternité, de questionner les schémas de la famille nucléaire, de s’interroger sur le militantisme quand on est mère, etc. Pour Lisa, « il y a une injonction très forte de dire que les femmes doivent être mères. Le féminisme a voulu rompre avec ça à l’époque. Aujourd’hui, c’est important de politiser la maternité en pensant les modes de garde et les manières de s’organiser pour continuer à militer. » Elsa prend la suite, posant la question : « Comment concilier la vie de mère gouine militante ? Nos lieux de sociabilité sont tournés vers les manifs et la fête. Qui ne sont pas forcément pour les enfants. Des choses se jouent à ce niveau-là. Il y a une super alternative grâce à La Bulle, à Rennes. C’est très concret puisque l’association propose de garder les enfants pendant les événements festifs et militants. C’est en train de se monter en ce moment à Paris. »

Par les photos et les messages qu’elles postent sur les réseaux sociaux, les deux militantes donnent accès à de nouvelles représentations. Nouvelles dans le sens de la diffusion. À des représentations plurielles, multiples, réelles. Qui bouleversent les codes d’une maternité unique et hétérosexuelle. Qui déboulonnent l’indécrottable idéologie binaire et fascisante basée sur la famille « papa, maman, enfant-s » comme unique modèle... Et qui clament des réalités joyeuses et libérées du schéma traditionnel patriarcal. Les fondatrices de Matergouinité le revendiquent : « On est ravies d’être lesbiennes ! On n’a pas besoin qu’on nous tolère. On existe, on est là. La société attend qu’on se fonde dans la masse. On questionne l’hétéronorme et on le fait du point de vue de la marge. C’est une position hyper précieuse. »

Alors oui, elles ont conscience qu’en gagnant en visibilité, elles s’exposent au fameux backlash (retour de bâton), et ont également conscience que les comptes militants sur les réseaux sociaux, bien que très investis par les lesbiennes, restent encore assez restreints en terme d’abonné-e-s : « On se heurte toujours à une certaine limite, ce n’est pas du média de masse. Mais l’idée, c’est de se faire du bien et d’échanger des ressources. » Ici, montrer qu’il y a de nombreuses manières de vivre sa maternité lesbienne, de nombreuses manières d’être une mère lesbienne, un parent queer. Diverses manières d’être une famille.

Casser avec les représentations de la famille parfaite. Concilier vie privée et vie militante. Poser des questions spécifiques au vécu de femme lesbienne. Témoigner de sa parentalité trans. Rendre légitime les existences, doutes, vulnérabilités, expériences, ressentis, etc. des parents queer. « Les lesbiennes continuent d’être invisibilisées. Même moi, en tant que lesbienne depuis l’adolescence, si j’arrive dans un nouveau boulot et qu’une femme à l’air hétéronormé me parle de ses enfants, je vais d’abord penser qu’elle est mariée à un homme. Alors qu’il n’existe pas que le schéma hétéro et patriarcal ! », scande Mireille Le Floch, membre de Femmes Entre Elles, militante féministe et lesbienne.

SILENCE AU TRAVAIL…

Elle brandit son homosexualité comme un étendard dès quand elle en a l’occasion : « Quand je vais à un stage de yoga ou de développement personnel, sur 40 personnes, je suis la seule lesbienne. La seule lesbienne à le dire. » Elle l’affirme dans l’espace public ou semi public pour ouvrir la voie, donner l’opportunité à d’autres de le faire, si jamais elles n’osent pas, par peur des jugements, des insultes et menaces. « Aujourd’hui, on pense qu’il n’y a plus de problème autour de l’homophobie mais il y en a toujours ! », scande-t-elle. Et en effet, un rapport récent montre que les lesbiennes parlent très peu de leur orientation sexuelle et affective dans le cadre du travail. Pour la première fois en France – et en Europe – une enquête offre des données représentatives des femmes lesbiennes et bies (en couple homo) et des chiffres parlants concernant la visibilité en entreprise.

Cette enquête VOILAT (visibilité ou invisibilité des lesbiennes au travail), que l’on doit à l’association LGBTIQ+, L’Autre Cercle, et à l’Ifop, révèle que 53% des personnes interrogées a subi au moins une discrimination ou une agression au cours de sa carrière professionnelle. Conséquences lourdes et directes sur la santé émotionnelle et mentale : elles sont 34% à avoir quitté leur travail et 45% à avoir eu des pensées suicidaires. Le rapport souligne également que 41% des répondantes ont vécu des moqueries ou des propos désobligeants qui leur étaient personnellement adressé-e-s et 62% ont été témoins de termes lesbophobes sans qu’ils leur soient personnellement adressés.

Ces ambiances malaisantes et discriminatoires entrainent un véritable frein à la visibilité lesbienne et bie dans le cadre professionnel et expliquent que les personnes concernées taisent leur orientation sexuelle et affective sur les lieux de travail. Dans Le génie lesbien, Alice Coffin explique : « À l’université, en entreprise, dans les institutions, la République français estime que pour bien faire son travail, il faut être neutre. Ne pas afficher d’appartenance particulière. Être lesbienne en est une. Être noire en est une autre. On tolère que vous soyez lesbienne ou noire. À condition de ne pas le mettre en avant. C’est ce principe de « neutralité » qui sert de repoussoir. « La neutralité de l’État » est un concept solidement implanté en France. Théoriquement. Cat l’État sort volontiers de sa neutralité pour mettre les drapeaux en berne et célébrer, en 2005, la mort d’un pape aux positions homophobes (Jean Paul II). »

À propos du monde des médias, elle écrit : « Appliqué au journalisme, où règne déjà le mythe de l’objectivité, ce totem du neutre a des conséquences graves sur le recrutement ou l’encadrement des professionnels des médias et sur la qualité de l’information. Se dégager de ce mythe est une question de survie démocratique. J’ai été bâillonnée comme journaliste féministe et lesbienne. » Les chiffres montrent que si elles en parlent, elles auront plutôt tendance à le dire à quelques collègues ayant à peu près le même niveau qu’elles et moins à leurs supérieur-e-s hiérarchiques. 

« Seul un tiers des femmes lesbiennes et bisexuelles est visible de l’intégralité de ses supérieurs. En creux, ces indicateurs permettent de prendre la mesure du chemin qui reste à parcourir pour que leur visibilité au travail ne soit plus un sujet. »

C'est ce qu'indique l’enquête qui se poursuit sur une liste de renoncements « qui ont un coût psychique et émotionnel certain », comme par exemple le fait de ne pas participer à un événement organisé par le travail où les conjoint-e-s des salarié-e-s sont invité-e-s (41%), le fait d’omettre volontairement de parler de ses activités « connotées LGBT+ » comme la Marche des Fiertés, un événement ou une soirée LGBT+ (44%), le fait de ne pas prendre de congés pour un PACS ou un mariage avec sa femme (34%), le fait de ne pas prendre des congés pour maternité ou parentalité (33%) ou encore le fait de ne pas indiquer le nom de sa conjointe sur la mutuelle, le plan d’épargne entreprise ou en tant que personne contact (38%).

« J’étais à Belfort au début de ma carrière et j’ai ressenti l’isolement. On ne s’affiche pas en début de carrière, on ne veut pas être l’objet d’exclusion. Quand on est lesbienne et qu’on vit une rupture, c’est difficile d’en parler au boulot. L’isolement est important. C’est sûr que c’est plus facile quand on est dans les normes de la société. », explique Isabelle Siaud, présidente de FEE. Ingénieure chez Orange, côté recherches, elle a pratiqué le féminisme durant toute sa vie, comme elle le dit, en côtoyant le monde masculin des matières scientifiques.

« Au travail, je ne dis pas que je suis lesbienne. Par contre, j’ai un Facebook avec mon vrai nom sur lequel j’affiche mon militantisme. Je ne cache pas mon identité. Si on me cherche, on me trouve. Mais je ne fais pas une promotion de mon identité. Je ne suis pas obligée de la revendiquer. Je ne suis pas dans un affichage de l’identité lesbienne mais plutôt dans un affichage féministe car le problème vient de là : la société est régie par les hommes. », poursuit-elle, en précisant : « Je vais être à la tête d’un gros projet. Je voulais publier une photo de moi à la Marche des Fiertés avec un tee-shirt FEE et j’ai hésité par peur que mon patron change d’avis et donc de cheffe de projet. » Elle défend néanmoins l’idée que ce qui se passe dans la sphère intime reste dans la sphère intime. « Alice Coffin parfois, je la trouve trop violente. On n’est pas obligées de révéler ce qui se passe dans la vie privée… », affirme-t-elle. 

LE PRIVÉ EST POLITIQUE

Ici, les points de vue divergent. Si toutes sont d’accord pour dire que la revendication de l’identité lesbienne ne doit pas être une injonction mais un choix et une affirmation de chacune, en revanche, elles affichent un discours différent sur le côté politique de l’intimité. Car le fait de taire son identité lesbienne est encore majoritairement subi et non choisi, comme l’indique l’enquête VOILAT. Ainsi, Mireille Le Floch réagit :

« Evidemment, le privé est politique ! C’est parce qu’on n’a pas encore l’égalité que je me nomme lesbienne. Parce qu’il y a encore des discriminations. Dans mon idéal, je voudrais me nommer « la vie qui me traverse », revendiquer ma tête, mon corps, mes jambes, mon amour, etc. Mais tant qu’il y a de l’invisibilité, des discriminations, de la souffrance, je pense que c’est important de le dire. On est d’accord que le privé, ça ne regarde personne. Mais ici, mettre le privé dans le public permet de se dire par exemple « ah mais oui, ma médecin est homo, je l’adore ma médecin, elle est super ! ». Comme ça, sans prosélytisme, ça permet de prendre en compte la diversité des manières de vivre. Il y a encore trop d’invisibilité et cela mène aux préjugés. »

Elle pointe l’absence de modèles. L’absence de représentations. Et rejoint alors le propos d’Alice Coffin à ce sujet : « Eh bien, moi, cela me regarde. Je suis passée à côté de dix ans de ma vie parce que je n’avais pas d’exemples de lesbiennes auxquels m’identifier. À cause de ceux qui confinent l’homosexualité à la sphère privée. Un quart des ados LGBT a déjà fait une tentative de suicide. L’absence de personnalités out en France a un lien direct avec l’écho donné à la haine de la Manif pour tous, le suicide des adolescents LGBT, le report systématique du vote de la PMA (elle explique d’ailleurs dans une autre partie du livre comment le débat s’est déroulé sans les lesbiennes, ndlr), les discriminations qui visent l’ensemble des minorités françaises et pas juste les homosexuels. La familiarité entraine l’acceptation. Quand des politiques ont pour collègue un député gay, quand des journalistes ont pour consœur une reporter lesbienne, quand des sportifs ont un coéquipier homo, ils, elles hésitent avant de balancer une insulte homophobe. » 

L’enquête sur les lesbiennes et les bies confirme : les leviers de la visibilité identifiés par les interrogées non-visibles reposent sur la visibilité de la présence d’autres personnes LGBT+ au travail. Dans les explications données par les femmes lors des entretiens, réalisés par les bénévoles de l’association L’Autre Cercle, le sexisme apparaît en premier lieu. Les risques de discriminations dues au fait d’être une femme évoluant dans le milieu professionnel, teinté de la vision patriarcale encore aujourd’hui, rendent encore plus difficile la visibilité et génèrent une auto-censure spontanée des femmes concernées, précise le rapport qui pointe la peur de subir une double discrimination en se rendant visibles (la première étant la précarité et les faibles revenus des postes « féminisés »), la peur d’être hypersexualisées à cause du fantasme masculin et la peur d’être cataloguée « lesbienne de service ».

Un sentiment souvent partagé avec les hommes gays, à la différence que « dans certains cas, être gay peut apparaître comme positif, notamment dans le monde créatif par exemple, qui assoie une forme de légitimité. Or, ce « bénéfice » n’existe pas pour les lesbiennes, aucune situation ne permet de le valoriser dans l’imaginaire collectif. Elles ne bénéficient pas non plus des réseaux gays puissants associés car, de par leur éducation notamment, elles développent moins une stratégie de réseau et n’ont pas l’habitude de revendiquer et de demander. » Le sexisme s’affiche donc comme le ciment de cette invisibilité à laquelle se rajoute la spécificité d’être lesbienne et donc en dehors de la norme, celle-ci étant hétérosexuelle (blanche, valide, cisgenre, etc.).

Les rôles modèles sont précieux, à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle et sociale, dans tous les secteurs de la société. « On a besoin d’expression des histoires d’amour lesbien au cinéma par exemple, comme dans Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. », cite Isabelle Siaud, là où Mireille Le Floch prend pour exemple la série Dix pour cent, de Fanny Herrero :

« On voit un couple de lesbiennes et c’est super mais ça reste de l’exception. Le fait qu’on le remarque montre bien que ce n’est pas banalisé. » 

LE BONHEUR D’ÊTRE SOI…

Tout comme le terme lesbienne n’est pas banalisé. « Dans cette société hétérosexiste, on pense avec des mots. Les mots ont un impact structurel sur notre manière de penser. On apprend à lire et à écrire de façon hétérosexiste. Le mal être vient quand on se dit qu’on est différent-e-s. Et on a besoin du sentiment d’appartenance par sécurité. », commente Mireille. Elle interroge : « Comment fait-on par rapport au groupe alors ?! À plusieurs, on devient plus fort-e-s. Quand je suis entrée dans l’association, je vivais avec ma compagne depuis 10 ans. Elle ne s’est jamais sentie lesbienne. Moi, à 23 ans, mon père m’avait rejetée, reniée. Je vivais cachée. Heureuse mais cachée. Je voulais rencontrer d’autres femmes comme moi et changer les mentalités. Et pour cela, il fallait se rendre visible. Pour moi, ça a été une grande découverte parce qu’à la télé, dans les documentaires, etc. je ne m’identifiais pas. Là, en arrivant dans FEE, on pouvait être soi-même et bien avec les autres. Et quel bonheur de pouvoir être soi avec d’autres ! C’est un bonheur banal mais un bonheur ! »

Un bonheur qui participe à la construction de l’identité de femme, de lesbienne. « Et si on est plus fortes collectivement et qu’on acquiert de la visibilité collective, on devient plus fortes individuellement, dans nos vies, auprès de nos familles, nos entourages, nos boulots, etc. Ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Alors, au sein de FEE, on s’est nommées lesbiennes dans les statuts et on s’est rendues visibles au monde. Puis on est allées vers la mairie pour obtenir des subventions. On a obtenu la première en 1994, je peux vous dire que ça a fait grand bruit ! Il y avait même un tract du FN qui disait que les impôts locaux étaient gaspillés en nous donnant de l’argent… On a fait ajouter le terme Lesbian à la Gay pride parce qu’il n’y était pas alors que les femmes participaient à la Marche ! Et puis, on a eu un stand comme les autres à l’occasion du 8 mars plus tard. On voyait bien qu’on dénotait. Que tout le monde n’était pas habitué à rencontrer des lesbiennes… On a continué encore et encore à se rendre visibles. », scande la militante.

Se nommer pour exister, se rendre visible pour exister. Pour casser les clichés et élargir le champ des possibles. Et donner la possibilité de nommer : « Une lesbienne va avoir la capacité de dire qu’elle est lesbienne si on lui donne l’espace pour le dire. Je suis psy et je travaille dans une structure médico-sociale. Quand je rencontre une personne, je lui demande où elle en est au niveau affectif en posant la question « Vous êtes avec une femme ? Avec un homme ? ». Sans préjugé, on peut donner l’espace pour parler. »

LA PEUR DES MOTS…

Sinon encore une fois, on participe à l’invisibilisation toujours très marquée et très forte dans le langage. Encore une fois, la journaliste, essayiste et activiste lesbienne Alice Coffin pointe l’angoisse que le terme lesbienne provoque. Dans Le génie lesbien, elle commente : « Le mot « lesbienne » fait peur. Lesbienne, lesbienne, lesbienne, lesbienne. L’écrire, le dire, est une transgression, une émancipation, une révolution. Le terme terrifie. Les lesbiennes elles-mêmes répugnent parfois à l’employer. » Plus jeune, elle se dit que c’est parce qu’il sonne mal à l’oreille. Elle réalisera plus tard que nombreuses sont celles qui pensent comme ça, révélant ici une problématique latente qui se démontre jusque dans le titre de la série The L Word, de la même manière que l’on dit à demi mots « the F word » pour ne pas dire Fuck, ou ici Lesbian.

Les médias, les politiques, etc. préféreront parler de « couple féminin », à l’instar d’Edouard Philippe dans une émission consacré à la PMA pour tou-te-s, ou de « fascinante amitié », à l’instar de certains journaux proposant une critique du film de Céline Sciamma, Portrait d’une jeune fille en feu. Ce qui sera repris et calqué sur les histoires d’amour hétéros : « Roméo et Juliette. L’histoire de la fascinante amitié entre deux jeunes gens à Vérone » ou « Jack et Rose, une fascinante amitié nouée juste avant le naufrage du Titanic ». Ça fait sourire de prime abord. Puis, ça refroidit sévèrement. Parce que la lesbophobie est criante. Elle analyse ensuite :

« Ce qui définit la lesbophobie, outre le sexisme, outre l’homophobie, qui en sont les composantes, c’est l’invisibilisation. Faire en sorte que les lesbiennes n’existent pas, n’existent plus, en commençant par usurper leur nom. Le leur voler. Ou le rendre imprononçable. Je ne connais pas d’autres minorités qu’on efface à ce point. La responsable d’une grande organisation LGBT internationale tentera de m’expliquer la chose : « Tu comprends, tout le monde a l’impression que les lesbiennes sont toujours contre. » Contre ? Nous, on est contre ? Nous, qui donnons de notre temps, de notre argent, de notre bien-être pour toutes les causes sans nous occuper de nous-mêmes, nous serions contre ? »

Elle démontre même comment les algorithmes des GAFA pervertissent l’appellation lesbienne, dit-elle, allant jusqu’à bloquer les mails envoyés par la Conférence Lesbienne Européenne, les reléguant au rang de courrier indésirable à cause de la mention lesbienne. Les associations ont mené bataille et obtenu gain de cause auprès de Google qui a modifié ses paramètres. « Désormais, on ne tombe plus sur des scènes de sexe destinées aux hommes hétéros lorsqu’on tape « lesbienne » dans la barre de recherche du Google français. Mais cela a été le cas pendant des années et ça l’est toujours dans de nombreux pays. Toute la problématique lesbienne, tout le pouvoir du patriarcat est là. Les lesbiennes ne peuvent se renseigner sur leur actualité, chercher des informations sur leur histoire, parce que des hommes ont occupé et confisqué leur terrain pour satisfaire leurs désirs. Le mot « lesbienne » invisible partout ailleurs, est le plus visible des mots, le plus recherche, sur les sites de cul. », poursuit la journaliste.

REVENDIQUER SA FIERTÉ

Même discours du côté d’Elsa, du compte Matergouinité, qui regrette que « le mot lesbienne renvoie à des contenus pornos sur internet… ». Dans l’intitulé, elle et Lisa affirment leur appartenance à la communauté queer : « On part de qui on est nous. Et nous, on est gouines. Gouine inclut les lesbiennes, les bi-e-s, les trans, les non binaires, etc. » Au même titre que pute, PD ou queer, l’appropriation de l’insulte gouine permet d’inverser le stigmate.

« C’est un mot que seules les lesbiennes, les queer peuvent utiliser. Ce serait super gênant que les hétéros le disent. C’est une dimension très politique pour nous. On est fières d’être gouines. C’est au cœur de ce qu’on est nous, de ce qui nous fait penser le monde. C’est hyper fort de se dire gouines ! Ça veut dire qu’on ne s’excuse pas d’être nous ! Et puis, le terme apporte la dimension queer incluant les trans les gouines et les pédés, un groupe dans lequel on se retrouve. Le mot lesbienne est chargé aussi et c’est important d’utiliser ces deux termes politiques. », analysent-elles.

Elles ajoutent : « Le mot gouine passe crème chez les lesbiennes, ça se voit dans les podcasts ! » Et ce n’est pas Juliette qui dira le contraire. Avec d’autres militantes lesbiennes, elle anime la très qualitative émission de radio Gouinement lundi, diffusée chaque 4ème lundi du mois sur Fréquence Paris Plurielle (à écouter également sur les plateformes de podcasts et sur leur site). 

LE POUVOIR DES MOTS ! 

Elle a rejoint le projet en 2016. Il était lancé depuis déjà un an, porté par plusieurs associations comme SOS Homophobie, Yagg, l’inter-LGBT et Fières, structure dans laquelle elle a commencé à militer. « Le constat était qu’au sein même du milieu LGBT, il y avait peu de représentations lesbiennes. Radio Fréquence Plurielle a proposé un créneau par et pour les lesbiennes en réponse à ce manque d’espace dans les médias mainstream et communautaires pour la parole des lesbiennes et bies, cis et trans. », explique Juliette. L’équipe travaille d’arrache pied à l’accessibilité de l’émission. Si les militantes rendent visibles les parcours, les joies et les difficultés des lesbiennes, elles n’en oublient pas de les rendre audibles également.

« On fait attention au langage, ne pas utiliser le jargon du militantisme, bien expliquer les choses, ne pas faire de l’entresoi parisien. L’idée, c’est qu’une jeune de 14 ans dans la Creuse puisse nous trouver sur internet, nous écouter et nous comprendre. », précise-t-elle. À travers les mots, elles donnent à entendre la culture lesbienne. À travers la parole des concerné-e-s, elles donnent corps à leurs existences. « Et on existe depuis longtemps ! », rigole-t-elle, en poursuivant : « On est plutôt pas mal en terme de visibilité. On constate une croissance de nos écoutes. Par mois, on est entre 2 000 et 3 000 écoutes. Alors, on n’est pas très écoutées du grand public, par contre, on est bien référencées et c’est ça qui compte : servir à celles et ceux qui font des recherches sur internet. On est dans une niche en fait. Les retours sont touchants et chaleureux. On propose des sujets qui parlent des lesbiennes, cis et trans, avec des réflexions qualitatives, et les gens nous disent qu’ils découvrent des choses et s’identifient aussi. En fait, ça nous donne un lien, on existe et on se retrouve dans des références communes. »

Elle le dit sans détour, Gouinement lundi répond à un besoin. La violence envers les lesbiennes, physique comme verbale, est quasi quotidienne et insidieuse. L’érotisation, la « tolérance » de la société, les insultes, les remarques, les regards, les jugements. Alors, elle revendique haut et fort et avec beaucoup de fierté la qualité de leur émission : « On est légitimes, on existe et on ne va pas s’excuser d’exister ! Je dis toujours qu’on fait une super émission : aucune modestie ! En tant que femme, on apprend à ne pas faire de vague, à faire taire son ego… En tant que lesbienne, on intègre ça et en plus on doit se cacher à cause des agressions LGBTIphobes qui sont en hausse, l’érotisation, etc. J’aime bien fracasser tout ça moi ! J’aime bien utiliser le terme gouine. Se réapproprier les insultes, le stigmate, c’est classique chez les minorités oppressées. Alors oui, on est ouf, intelligentes, drôles, on offre du réconfort, on crée l’impulsion et de la fierté aussi. C’est le sous titre de l’émission « Votre phare dans la nuit ». On ne s’excuse pas, on est géniales et on est là ! » 

AFFIRMER ET REVENDIQUER SA FIERTÉ

Fierté d’être, fierté de faire, fierté de donner la parole à celles qui l’ont peu, voire pas du tout. Fierté d’explorer des sujets majeurs. Pas de frilosité, Gouinement lundi n’hésite pas à aborder des thématiques qui fâchent ou qui divisent mais jamais sous l’angle de la polémique stérile et futile. « Il y a des tabous au sein de la communauté. Etre lesbienne, c’est plutôt confortable quand on est cisgenres, blanches, pas précaires, valides, normée dans son corps… comme c’est mon cas. Mais il y a de la réelle transphobie chez les lesbiennes aussi, on l’a vu l’an dernier avec les TERF dans la Pride. Et puis, il y a du racisme aussi. Les lesbiennes les plus représentées ne sont pas racisées. On essaye d’aborder ces tabous dans l’équipe et dans l’émission. Certaines ne se sentent pas légitimes et d’autres se disent qu’il faut les mettre sur la table pour briser le tabou. », commente Juliette.

Pour elle, l’essentiel, c’est « de porter les voix des personnes concernées ». C’est la manière dont elle aime pratiquer son « militantisme gouine ». Casser les clichés, les envoyer bouler, jouer et frapper un grand coup dans la fourmilière. Ou dans le ballon, par exemple, comme le font Les Dégommeuses qui fêtent cette année leurs 10 ans. Elles expliquent que malgré la médiatisation de plus en plus importante des compétitions féminines, la pratique du football reste encore stigmatisée lorsque l’on est une femme et cette stigmatisation redouble pour les personnes lesbiennes, trans ou non binaires.

« En effet, d’une part, différents clichés et fantasmes ont encore cours sur les équipes de sport collectif comme possible lieux de « conversion » à l’homosexualité féminine. D’autres part, pour promouvoir le foot féminin, les clubs et fédérations ont tendance à mettre en avant dans leur communication uniquement des sportives adoptant un look et des attitudes conformes aux normes de genre (féminines, sexy, en couple hétéro, mères de famille…) et à dévaloriser toutes les autres (lesbiennes, bi, trans, mais aussi femmes hétéros ne correspondant pas au modèle traditionnel de la féminité). », peut-on lire sur leur site.

Cela entraine là encore une forme d’injonction au silence des lesbiennes, des personnes trans ou non binaires. Plus pernicieuse car implicite. On retrouve ici les mêmes rouages que dans l’enquête VOILAT. Dans le football amateur, même combat, signalent Les Dégommeuses : « sous-entendus, blagues lourdes, vexations, insultes ou discrimination au moment des sélections ne sont pas rares. Et cela est d’autant plus problématique que ces comportements sont souvent le fait de dirigeants et d’éducateurs sportifs censés donner l’exemple aux plus jeunes. » C’est dans ce contexte qu’elles ont décidé de fonder une équipe de football accueillante et inclusive. Pour visibiliser les personnes marginalisées, oppressées, éloignées des terrains et de la pratique sportive en raison de leur orientation sexuelle et affective, de leur identité de genre ou encore de leurs origines réelles ou supposées.

Elles défendent profondément l’égalité entre les femmes et les hommes, entre les homos et les hétéros, entre les cisgenres et les transgenres, etc., la volonté de partir des joueur-ses concerné-e-s et de leurs expériences sur le terrain pour engager des actions de sensibilisation et de plaidoyers et d’aborder conjointement les problèmes liés au sexisme et à l’homophobie et à toutes les autres discriminations (racisme, classisme,…). Ainsi, « les personnes trans, précaires, réfugiées, racisées, en situation d’exclusion familiale, sont prioritaires au moment des inscriptions. Différentes mesures sont prises pour encourager la diversité dans les prises de paroles publiques de l’association et dans la composition de ses instances représentatives. »

CRÉER DES ESPACES DE SOCIABILITÉ

Les Dégommeuses partagent également un lien social fort, comme le souligne également Juliette de Gouinement lundi. En dehors de l’émission, c’est aussi une opportunité de se créer des espaces et des moments de sociabilité, de créer des liens et des rencontres avec d’autres lesbiennes « que ce soit pour des amours, des amitiés, des histoires de sexe… » et enrichir son réseau. Ce qui correspond également aux discours recueillis au sein de Femmes Entre Elles. C’est d’ailleurs ce qui a motivé Isabelle Siaud à les contacter :

« J’avais envie de rencontrer d’autres femmes lesbiennes. A Paris, j’ai un peu côtoyé le milieu associatif mais j’avais beaucoup de boulot. Et puis, j’étais bien dans ma vie, j’étais avec une femme. Au moment de la rupture, je me suis tournée vers le milieu lesbien rennais. Je me suis retrouvée rapidement dans le bureau puis présidente de l’asso. J’aime bien monter des activités, j’avais envie de m’investir. C’est chouette de faire des activités ensemble, être à l’écoute des adhérentes et de soutenir les initiatives. »

Ce qui lui plait : « Être un lieu d’accueil chaleureux qui permet une vraie reconnaissance aux femmes lesbiennes. Contre l’isolement et pour les rencontres, le milieu associatif est fondamental. On travaille beaucoup sur la visibilité lesbienne, la convivialité et les arts et la culture. On a monté des activités avec d’autres assos qui sont lesbiennes et d’autres assos qui ne le sont pas. Et c’est une avancée intéressante parce qu’on garde toujours notre identité propre, on n’est pas invisibilisées par d’autres identités, par le mélange. » La structure tend de plus à plus à développer l’aspect de partage et de rencontres sur des temps de soirées ou de week-ends.

Découverte des algues, apéros, cuisine partagée, sortie en mer, kayak, poterie, danse… La présidente insiste sur les notions de soutien, d’affinités, d’amour et de ruptures : « Les femmes sont belles entre elles et ensemble ! » Empouvoirement, créativité, force, joie, solidarité sont autant de valeurs et de concepts qui reviennent fréquemment dans les témoignages. Pour les fondatrices et animatrices du compte Matergouinité, il y a eu rapidement l’envie d’aller plus loin que le lien créé par le réseau social sur lequel elles postent. Elles ont ainsi lancé un groupe Discord « afin de créer des ponts dans la vraie vie, d’organiser des actions en dehors des réseaux. »

Militer ensemble mais aussi profiter de ce bonheur banal exprimé par Mireille Le Floch. « C’est très bien de montrer des photos mais on veut créer des ponts pour s’accorder sur des luttes concrètes, se donner rendez-vous pour rompre la solitude. », souligne Lisa, rejointe par Elsa qui complète : « On part aussi en vacances, dans un camping écolo dans les Cévennes. Sur 2 semaines, on propose un groupement de parent-e-s lesbiennes et queer pour des vacances de rêve ! On vient de différentes régions de France, on ne se connaît pas tou-te-s mais ça va être super chouette !!! »

LA QUESTION DE L’INCLUSION

S’allier autour des spécificités communes et des luttes militantes partagées, c’est renforcer le collectif, renforcer la minorité oppressée pour en faire jaillir sa puissance. Mais c’est aussi l’occasion de rencontrer des personnes dans leurs individualités sans la crainte du jugement, sans la peur de la mise à l’écart, sans la menace d’être à nouveau invisibilisée. Pour autant, elles en témoignent quasi toutes, la communauté lesbienne n’est pas exempte de préjugés et stéréotypes discriminatoires. Une remise en question des privilèges blancs, cisgenres et valides notamment est à faire ou à poursuivre pour assumer un mouvement plus inclusif encore. Pour une réelle prise en considération des croisements qui s’opèrent de manière exponentielle à mesure que l’on s’éloigne de la norme établie.

Pour davantage multiplier les représentations, à l’instar des Prides radicales qui naissent et fleurissent depuis plusieurs années, revendiquant le côté plus politique des existences LGBTIQ+ en parallèle et complément des Marches des Fiertés qui affichent un côté plus festif, tout en restant un événement militant marquant. Les voix de la marge s’élèvent et celles des lesbiennes émergent constamment dans les mouvements féministes et queer. De leurs vécus et expériences vient le soubresaut, nait l’électrochoc. L’invisibilisation subie de toute part n’est pas anodine ou révolue. Elle cristallise la volonté de faire taire les récits et trajectoires proposées par le lesbianisme qui entend se débarrasser de tous les résidus du patriarcat, non dans le sens d’une destruction physique mais bel et bien dans celui de la déconstruction des injonctions normatives perpétrées par le modèle hétérosexuel.

Dans Réinventer l’amour – comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, la journaliste et essayiste Mona Chollet revient sur les contraintes à l’hétérosexualité et le soulagement des lesbiennes à y échapper. En parlant d’Adrienne Rich, elle écrit : « Elle y déplorait que l’existence lesbienne ait été « effacée de l’histoire ou reléguée à la rubrique des maladies », ce qui empêche de reconnaître que l’hétérosexualité « peut n’être en rien une « préférence » mais quelque chose qui a dû être imposé, dirigé, organisé, répandu par la propagande et maintenu par la force ». » Elle poursuit : « Dans son livre La tragédie de l’hétérosexualité, l’essayiste américaine Jane Ward confie, comme Despentes, son soulagement d’échapper à la « culture hétéro » (straight culture), à son conformisme, son ennui, ses oppressions, ses déceptions et ses frustrations ; un sentiment largement partagé autour d’elle, dit-elle. »

En effet, en 2017, l’autrice et réalisatrice Virginie Despentes lâchait être devenue lesbienne à 35 ans et évoquait à sa manière cinglante et éloquente ce que cela avait provoqué en elle. Ainsi, elle chamboule les mentalités :

« Sortir de l’hétérosexualité a été un énorme soulagement. Je n’étais sans doute pas une hétéro très douée au départ. Il y a quelque chose chez moi qui n’allait pas avec cette féminité. En même temps, je n’en connais pas beaucoup chez qui c’est une réussite sur la période d’une vie. Mais l’impression de changer de planète a été fulgurante. Comme si on te mettait la tête à l’envers en te faisant faire doucement un tour complet. Woufff ! Et c’est une sensation géniale. On m’a retiré quarante kilos d’un coup. Avant, on pouvait tout le temps me signaler comme une meuf qui n’était pas assez ci, ou qui était trop comme ça. En un éclair, le poids s’est envolé. Ça ne me concerne plus ! Libérée de la séduction hétérosexuelle et de ses diktats ! D’ailleurs, je ne peux même plus lire un magazine féminin. Plus rien ne me concerne ! Ni la pipe, ni la mode. »

Scandale en haut lieu à la suite de ses propos relatés dans le journal Le Monde

UNE RÉFLEXION PROFONDE

Le lesbianisme radical, dit aussi lesbianisme politique, met les pieds dans le plat depuis longtemps et secoue la marmite. Le fond du discours n’a pourtant rien de choquant. Une refonte en profondeur du système patriarcal s’impose pour libérer les consciences. Les lesbiennes affirment leurs existences et leurs fiertés. Elles ont raison.

Elles écrivent, théorisent, agissent, parlent, scandent, luttent, lèvent le poing, tapent du pied, shootent dans le ballon, prennent le micro, en n’oubliant surtout pas de le tendre, proposent des activités de loisirs, culturelles, sportives et artistiques, partagent des instants de sociabilité, témoignent de leurs difficultés spécifiques au croisement du sexisme et de l’homophobie auxquels s’ajoutent encore d’autres discriminations selon l’endroit (identitaire, géographique, psychique, etc.) où on se situe, réfléchissent aux chemins de déconstruction, œuvrent au fonctionnement de la société et son évolution…

Elles sont partout mais ont majoritairement intégré que pour survivre, il fallait se taire. Vivons libres, vivons cachées… Ras-le-cul ! Ne plus silencier les concerné-e-s. Les écouter. Les prendre en compte. Réellement. Pas au nom de la tolérance… Pas uniquement le 26 avril à l’occasion de la Journée de la visibilité lesbienne. Pas seulement au mois de juin, lors des Fiertés. Au quotidien. Dans tous les secteurs de la société. Pour la pluralité des identités et la liberté d’être qui on est. 

Tab title: 
(In)visibilité lesbienne
Politiser les représentations lesbiennes
Déloger les impensés
Vieillir lesbienne

Célian Ramis

Exploration des désirs, censure patriarcale et libération des femmes

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Anne-Laure Paty entrelace son rapport au désir sexuel aux relations et vécus d’autres femmes pour faire émerger la pluralité des possibles, silenciés et contraints au tabou et aux injonctions patriarcales.
Text: 

Dans Désirs Plurielles, Anne-Laure Paty entrelace son rapport au désir sexuel aux relations et vécus d’autres femmes pour faire émerger la pluralité des possibles, silenciés et contraints au tabou et aux injonctions patriarcales.

« Une tension entre état présent et ce vers quoi tu voudrais aller », « Devenir complétement débile », « Quand tu as envie de la personne », « On ne désire pas les personnes de la même façon… Physique, psychique… De la tête au cœur, au sexe » Ici, Il est question d’amour, d’épanouissement, de corps, de sexe, de fantasmes, d’absence, de doute, de lâcher prise, de tension, de joie, de frissons. À travers une mise en scène épurée, la comédienne Anne-Laure Paty prête sa voix, et mêle la sienne, aux récits de Sandrine, Michèle, Inès, Catherine, Audrey, Nolwenn, Martha, Anne-Françoise, Colette, Justine ou encore Camille, Léa, Céline, Vanessa, Selma et Delphine. 

« Le désir dérange. On ne l’apprend pas aux petites filles. On les éduque à être des objets » Leurs témoignages résonnent à mesure que la comédienne extirpe de différentes boites des objets symbolisant de près ou de loin le rapport au désir de la personne concernée. Photo de mariage, collier de perles, shooters, talons aiguilles, sac à main, bougie ou encore collants… ils sont liés à leurs histoires personnelles, cristallisent la séduction, évoquent le passé et les éventuelles difficultés, sans oublier les tabous et les injonctions dont la sexualité est imprégnée. 

LA NÉCESSITÉ DE S’EXPRIMER

Créé fin 2022, le spectacle Désirs Plurielles nait d’une enquête réalisée auprès de 25 femmes et d’une nécessité personnelle, ressentie par Anne-Laure Paty. « En 2020, on a lancé le projet autour d’une grille d’entretiens abordant la question des femmes et de leur relation aux désirs à travers l’axe du transgénérationnel, du rapport à la transgression et du vécu », souligne la comédienne. Résultat : 25 témoignages, 40 heures de dérush… et une matrice globale pour écrire le spectacle. Elle poursuit : « Après ma première grossesse, le sujet du désir était très compliqué pour moi. J’ai fait une thérapie et c’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse un spectacle ! » Dire sa relation au désir passe aussi par l’exploration des ressentis d’autres femmes. Parce que si ce rapport au désir est intime, il relève également d’une expérience collective pour les jeunes filles et femmes grandissant et se construisant dans une société patriarcale. 

De l’éducation genrée à la culture du viol, le corps des femmes est assailli d’obligations-interdictions permanentes auxquelles répondre et se plier constitue une violence permanente et inouïe. « Ce qui m’intéresse, c’est après le spectacle – qui est une forme courte de 35 minutes – pouvoir échanger avec le public autour des thématiques abordées », précise Anne-Laure Paty dont la volonté est de créer, à chaque représentation et en présence de la metteuse en scène Leslie Evrad, un espace et un lieu de discussions autour des sexualités et du rapport que chaque individu, majoritairement des femmes, entretient avec ses désirs.

DÉSIRS, FÉMININ PLURIEL

La pièce vient briser les tabous, rompre le silence, interroger l’impact des stéréotypes patriarcaux sur la sexualité des femmes, bousculer la singularité de sa représentation. Dans un univers coloré et une ambiance feutrée, les voix s’élèvent. Pour dire le poids des traditions et des injonctions, pour dire le lâcher prise, pour dire l’ivresse quand le désir surgit après l’abnégation de la maternité, pour dire l’éveil sensoriel et la joie d’un désir festif et spontané, pour dire les chemins de travers, pour dire l’émancipation. Sur le plateau, une comédienne, des objets, des récits et des questions. La multiplicité des témoignages et expériences emportent les spectateur-ice-s dans une exploration profonde des sexualités, des imaginaires et des possibles. 

 

  • Spectacle présenté le 21 novembre à la Maison de quartier Villejean, à Rennes. Prochaine date : Le 20 décembre, à 19h30, à La Cordée, Rennes.

Célian Ramis

Solidarité avec les personnes LGBTI+ de Pologne

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Le 17 mai, journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie, l'association Iskis - Centre LGBTI+ de Rennes organisait une action symbolique en soutien aux personnes LGBTI+ de Pologne.
Text: 

Il y a seulement 31 ans que l’OMS – Organisation Mondiale de la Santé – a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales. C’est le 17 mai 1990 que la décision a été prise et aujourd’hui, la date symbolise la Journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie.

Une action symbolique a eu lieu dans la matinée du 17 mai 2021, dans le quartier du Blosne, à l’initiative de l’association Iskis – Centre LGBTI+ de Rennes. « Chaque année, ce jour-là, nous faisons particulièrement attention à visibiliser, soit des questions générales concernant les droits et les luttes des personnes LGBTI soit un point précis, dans l’espace public. », nous explique les militant-e-s.

Iels sont peu nombreux-ses. Trois seulement. Au croisement de l’avenue de Pologne et du boulevard de Yougoslavie, les membres d’Iskis ont pour autant à cœur de soutenir les personnes LGBTI+ de Pologne, dénonçant les politiques virulentes exercées par les partis conservateurs et d’extrême droite, actuellement au pouvoir.

Depuis 2019, plus de 100 zones « sans idéologie LGBT » ont été recensées. Concrètement, des collectivités polonaises autorisent les commerçant-e-s à interdire l’accès à leurs boutiques à des personnes LGBTIQ+ et s’octroient le droit de couper les subventions à des initiatives pro-LGBTIQ+. 

Et quand on ne prône pas leur exclusion totale, on en appelle « au moins » à la discrétion. Traduction : on veut voir uniquement des personnes hétéros et cisgenres, pour le reste, on ne veut pas le savoir. Mais vivre caché-e-s en permanence quand la population renie votre existence, ça ne s’appelle pas vivre…

« ON N’EN PEUT PLUS DE CE SILENCE ! »

En réponse, l’Union Européenne a coupé les subventions à seulement 6 de ces zones en 2020 et en mars 2021 s’est proclamée « zone de liberté » pour les personnes LGBTIQ+. Des « mesures » largement insuffisantes face aux violences d’une politique drastiquement stigmatisante et discriminatoire.

« On avait déjà organisé une mobilisation il y a trois ans par rapport à la situation en Pologne. On constate que rien n’a bougé. Ça s’enlise même. », déclare les militant-e-s d’Iskis qui ont organisé cette action à l’appel de Solidarités LGBTI+ Pologne, dont l’association a rejoint le mouvement. « On n’en peut plus de ce silence ! », poursuivent-iels.

Iels dénoncent l’utilisation du sujet et des droits des personnes LGBTI+ pour plaire à un certain électorat. En effet, le parti au pouvoir, parmi lequel figure PiS (Droit et justice), vise par des campagnes de haine les personnes LGBTI+ au nom des valeurs traditionnelles familiales. Un papa, une maman, un enfant…

« Ça crée un climat de fond propice aux attaques contre les droits de la population LGBT. Et c’est une attaque envers tous les individus. Car cela concerne aussi les personnes qui viennent sur le territoire. En Erasmus ou autre. Ce qu’on pose aujourd’hui, c’est la question des droits humains. Faut-il agir ou se taire ? », signale Iskis.

L’association, ainsi que Solidarités LGBTI+ Pologne, somment les gouvernant-e-s français-es au même titre que l’Union Européenne de réagir, sans plus tarder, par des mesures concrètes et fortes. Sans « fausse pudeur ». « La Pologne n’est pas éloignée de nous. Nous partageons un socle commun de lois européennes. Si on laisse faire en Pologne, qu’est-ce qui empêche cette haine de se répandre dans les autres pays ? », s’inquiètent les militant-e-s.

« ON CRAINT UNE SITUATION SIMILAIRE »

Iels le disent : « En Pologne, la restriction des droits LGBTI est promue par des partis fascisants. En France, des partis fascisants prennent aussi place dans les médias. On craint une situation similaire. »

Pinkwashing en période électorale, discours LGBTIphobes décomplexés, lâcheté politique face, entre autre, à l’extension de la PMA pour tou-te-s… les violences sont quotidiennes également en France. L’action de ce 17 mai est symbolique mais lance un message clair : l’Union Européenne, ainsi que nos dirigeant-e-s, doivent assumer une position claire et ne plus cautionner les actes haineux et discriminants envers une partie de la population.

De l’injure aux meurtres, en passant par les humiliations, agressions physiques et/ou sexuelles et les discriminations (à l’emploi, au logement, etc.), les LGBTIphobies ne sont pas anecdotiques. Elles sont nombreuses et plurielles, relevant du sexisme, du racisme, du validisme, etc.

Dans son rapport 2020, SOS Homophobie – qui a enregistré une augmentation de 26% des témoignages - signale : « Le nombre d’agressions physiques rapportées par les personnes trans a plus que doublé, avec une augmentation de 130%. Les violences physiques dont sont victimes les personnes LGBTI sont une réalité indéniable qui reste ancrée dans notre société. »

Sans oublier que la crise sanitaire mondiale a exacerbé les violences à l’encontre des personnes sexisées, des personnes LGBTIQ+ ainsi que des personnes racisées et des personnes handicapées.

La situation est alarmante. La réaction doit être à la hauteur. Que ce soit dans les politiques européennes et nationales, avec des positionnements clairs et forts comme l’extension de la PMA pour tou-te-s, l’adoption pour les familles LGBTI, l’auto-détermination des personnes trans, l’obtention du titre de séjour pour les personnes exilées menacées par les LGBTIphobies, etc. comme dans les médias, les films et les séries, le sport, la littérature, etc.

Les représentations non stéréotypées et stigmatisantes sont essentielles et indispensables à la déconstruction d’une société patriarcale qui sanctionne faiblement des agissements de marginalisation, d’exclusion et de violences.

Célian Ramis

Au-delà des normes oppressives, libérer le cul !

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Claire présente son nouveau seule-en-scène, Préliminaires, pénétration, orgasme ?, dans lequel pendant plus d’une heure, elle parle de cul, sans détour et avec beaucoup d’humour. Ça nous plait !
Text: 

Mardi 30 juin, à La part des anges, c’est la première fois que Claire présente son nouveau seule-en-scène, Préliminaires, pénétration, orgasme ?, dans lequel pendant plus d’une heure, elle parle de cul, sans détour et avec beaucoup d’humour. Ça nous plait !

Pendant 10 ans, elle s’est emmerdée 95 fois sur 100 en baisant. Durant son adolescence, elle s’est beaucoup touchée, et de partout. Elle s’est regardée aussi. Puis photographiée, puis filmée. Jusqu’au jour où elle a perdu la K7.

« J’avais méga honte. Parce qu’en tant que femme, on n’a pas le droit de se masturber, de se mettre en scène. Que ce soit visible. », souligne-t-elle. Ce qui l’emmerde précisément, c’est le schéma hétéro-cisgenre, « entrée, plat, dessert ». Comprendre alors, préliminaires, pénétration, (marathon à l’)orgasme.

« Quand j’ai commencé à faire l’amour avec des femmes, ce taux d’emmerdement a littéralement chuté. J’aimerais bien pouvoir m’amuser avec des gars. Je suis attirée aussi par les gars. Et je vous en parle car je me rends compte que je suis pas la seule dans ce cas-là. C’est une chouette activité le sexe. Franchement, c’est mon activité préférée. »
poursuit-elle.

Il y a pas mal d’humour et d’autodérision dans son spectacle mais surtout, il y a de nombreuses réflexions, basées sur ses expériences personnelles ainsi que sur des recherches et des discussions avec son entourage. Elle aborde l’apprentissage de la sexualité, avec en toile de fond une transmission phallo-centrée d’injonctions patriarcales. En gros, ce qui compte, c’est la bite et la sacro-sainte pénétration. Ce qui vient avant, on appelle ça préliminaires et ça, ça lui fait chier à Claire :

« Tout le monde pense que ça va des pelles jusqu’à la bite dans la chatte. Dans les rapports hétéros… Mais non, c’est l’ambiançage et ça dure pendant tout le rapport sexuel. »

Elle n’a rien contre la pénétration, elle aime ça, « c’est fort et intense ». Mais elle fait l’analogie avec les betteraves. Elle aime ça mais elle en a ras-le-bol de les manger cuites à la vapeur et coupées en cube avec de la vinaigrette. Il y a plein d’autres façons de les consommer sans pour autant en devenir dégoutée…

Son message, il est là. La sexualité ne peut se réduire à une seule recette ou à une seule formule. Il fait du bien ce spectacle. Il questionne et il nous invite et encourage à mettre nos récits en commun, pour bénéficier « de la puissance de nous tou-te-s » et se rappeler que nous sommes des sujets désirants, maitre-sse-s de nos corps, de nos envies et de nos plaisirs. Au-delà des normes oppressives. 

Célian Ramis

LGBTIQ+ : le droit d'exister

Posts section: 
List image: 
Summary: 
50 ans après les émeutes de Stonewall, où en sommes-nous des droits LGBTIQ+ ? Quelles sont les revendications de la Marche des Fiertés 2019 ?
Text: 

« Est-ce que, cinquante ans après Stonewall, ce n’est pas le moment de demander à l’État français la réparation pour la répression, la pénalisation et la psychiatrisation des homos et des trans ? », interroge la militante Giovanna Rincon, fondatrice de l’association Acceptess-T, dans Libération le 28 juin dernier.

Une date clé dans l’histoire des luttes LGBTIQ+. Le 27 juin 1969, à New York, la police fait une descente dans le bar Stonewall Inn, situé dans le quartier de Greenwich Village. À cette époque, la législation interdit la vente d’alcool aux homosexuel-le-s, la danse entre hommes et le port de vêtements (soi-disant) destinés aux personnes du sexe opposé.

Les arrestations sont fréquentes. Mais cette nuit-là, les client-e-s du bar vont refuser la répression et engager plusieurs jours d’émeutes désormais célèbres et célébrées lors des Marches des Fiertés, dont la première a eu lieu aux Etats-Unis en 1970. Cinquante ans plus tard, où en sommes-nous ?

Ce n’est un secret pour personne : en 2013, la haine propagée par la Manif pour tous a entrainé une recrudescence de violences LGBTIphobes qui continuent de se répandre. En 2018, la lâcheté politique du gouvernement de Macron sur l’extension de la PMA pour tou-te-s, semblable à celle du gouvernement de Hollande, ne vient pas contrecarrer les attaques.

Loin de là puisque les actes lesbophobes ont drastiquement augmenté. Le rapport annuel de SOS Homophobie est accablant : la structure reçoit de plus en plus de témoignages de la part des personnes ayant subies des violences (15% de plus en 2018 qu’en 2017).

Les persécutions rythment les vies des personnes LGBTIQ+ dont on nie les droits à être libres d’être ce qu’iels sont. Autodétermination, consentement, reconnaissance, respect… Iels prônent le droit de choisir librement et d’exister, tout simplement, sans discriminations. Le 8 juin 2019, Iskis, le centre LGBT de Rennes, organisait comme chaque année, avec ses partenaires, la Marche des Fiertés, réunissant pas moins de 4 000 personnes. La thématique de cette édition : « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? »

Sur l’esplanade Charles de Gaulle, le cortège s’élance en direction de l’avenue Janvier, afin de rejoindre les quais. Dès les premières minutes de la Marche, une pluie de préservatifs s’abat sur la foule enjouée. Les pancartes Free Hugs affluent, à l’instar des drapeaux arc-en-ciel, trans, intersexes, bis et autres.

Les visages sont radieux, partout les couleurs sont vives, et autour des bus, la musique est forte et la danse, centrale et festive. La Marche des Fiertés défile joyeusement mais n’en oublie pas de battre le pavé à coup de propos politiques et revendicatifs. « Alors, on va avancer doucement mais un tout petit peu plus vite que l’égalité des droits… », glisse malicieusement au micro l’administrateur d’Iskis, Antonin Le Mée.

Il reprend, avec les militant-e-s qui trônent en tête de cortège, les slogans partisans : « On continue de mourir, on continue de l’ouvrir ! », « Ce sont nos vies, nos vies, qui valent plus que leurs frontières ! » ou encore « Rétention, expulsions, Macron, Macron, t’as un cœur en carton ! » et « Les trans en colère, les psys c’est l’enfer ! »

Les banderoles sont tout aussi expressives. « Abolition de la mention de genre à l’état civil », peut-on lire d’un côté, tandis que la pancarte se tourne, au gré du vent : « Mon corps, mon genre, ta gueule ». Simple. Efficace. Tout comme le très explicite panneau « Stop aux mutilations sur les intersexes » ou le piquant « Si vous ne votez pas la PMA, on épouse vos filles ! »

ARRACHER SES DROITS

Arrivée au niveau de la place de Bretagne, la Marche des Fiertés effectue un arrêt, le temps d’un die-in, pour commémorer les personnes LGBTIQ+ décédées. Parce qu’elles ont été assassinées en raison de leur orientation sexuelle, de leur orientation affective, de leur identité de genre, etc. Parce qu’elles sont mortes en fuyant le pays dans lequel elles étaient persécutées, torturées, menacées de mort. Parce qu’elles se sont suicidées.

Dans tous les cas, la non acceptation de la société envers elles leur a couté la vie. Calmement, les manifestant-e-s s’allongent sur la route. Les mots prononcés en amont de la Marche par Yann Goudard, président-e d’Iskis et administrateurice de la Fédération LGBT, résonnent dans les silences :

« La répression poursuit nos existences depuis longtemps. Nos vies font désordre, nous sommes discriminé-e-s, persécuté-e-s. Nous marchons pour nos vies, pour arracher nos droits. (…) Maintenant, soyons visiblement fier-e-s- et clamons notre colère. »

Reprenant la thématique de cette 25eédition rennaise « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? », Yann Goudard répond, en dressant la liste par la négative : « Pas au conseil des médecins, pas au ministère de la Santé, pas au ministère de l’Éducation nationale, pas au ministère de l’Intérieur, pas au secrétariat chargé de la lutte contre les discriminations, pas à Matignon, pas à l’Élysée… »

La liste des revendications est longue (et complète sur le site de l’association Iskis). Des revendications à prendre en compte de toute urgence, alors que les dirigeant-e-s font les autruches. Le Centre LGBT de Rennes, ainsi que les structures partenaires et les allié-e-s, se mobilisent ce jour-là – comme au quotidien – pour mettre en lumière les luttes « pour l’arrêt des opérations et médications d’assignation des personnes intersexes jusqu’au libre choix de la personne ; pour un accès effectif et gratuit aux différents moyens de prévention des IST, du VIH et des hépatites ; pour le libre choix de son parcours de transition et ses médecins, conformément à la loi, et l’abolition des protocoles inhumains encore existants, notamment ceux de la SoFECT ; pour accorder systématiquement le droit d’asile aux personnes LGBTI exilées fuyant leur pays en raison de leur sexe, orientation sexuelle ou identité de genre ; pour l’ouverture de la PMA à tou-te-s sans discriminations et dans les mêmes conditions ; l’intégration des différentes sexualités, sexes et identités de genre dans les programmes de formations initiale et continue (enseignement, santé, administrations, forces de l’ordre, etc.). »

AMOURS HEUREUX

Dans le cortège, cette année, on ne peut rater les étonnantes nonnes qui défilent aux côtés des manifestant-e-s. Elles ont 40 ans les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence. Elles sont apparues pour la première fois en 1979 dans le quartier du célèbre Harvey Milk, le quartier Castro de San Francisco.

Engagées pour récolter des fonds au profit des malades du cancer et dans des manifestations contre le nucléaire, elles ont répondu et répondent encore à un besoin d’écoute sans jugement et de bienveillance. Pour cela, elles prônent l’expiation de la culpabilité stigmatisante et la promulgation de la joie universelle.

Lorsqu’au début des années 80, le sida apparaît et ravage un nombre incalculable de vies, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence choisissent de promouvoir l’amour heureux et l’amour libre, le respect de soi et de ses partenaires. En France, plusieurs couvents ont été fondés dès 1989 et œuvrent, comme dans le reste du monde, à l’organisation des séjours de ressourcement désormais appelés Jouvences. Un moment, de trois à quatre jours, dédié aux personnes concernées par le VIH (les personnes touchées, les proches, les personnes ayant une activité en rapport avec le VIH…).

Les Sœurs sont formelles : les Jouvences ne sont pas médicalisées, ni accompagnées par des psychologues. L’idée étant de proposer des espaces de liberté à chacun-e dans lesquels seuls sont imposés le respect de soi, le respect des autres et le respect des heures de repas. Tout peut être exprimé et partagé dès lors que la personne y consent.

« Nous sommes là pour vous écouter, parler de vos peines de cœur, vos peines de cul. Pour vous expliquer comment utiliser des capotes ou vous faire un câlin. »
s’exclame une des Sœurs sur l’esplanade Charles de Gaulle.

Ce qu’elles réclament ? « L’intégrité physique, la reconnaissance de nos identités, de nos amours… Les droits humains pour tou-te-s ! Nous avons un devoir de mémoire envers nos frères, nos sœurs, nos adelphes, celles et ceux qui fuit les zones de guerre pour trouver ici un accueil indigne ! Nous ne les oublions pas. »

Ce jour-là, elles sont présentes pour répandre « amour, joie et beurre salé » dans les cœurs. Comme toujours, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence s’affichent comme un soutien et dénoncent l’indifférence dans laquelle des personnes LGBTIQ+ meurent, la solitude également dans laquelle ces dernières et d’autres concernées se trouvent, ne serait-ce qu’au travers des difficultés rencontrées pour accéder aux soins et à la santé.

LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION

Et par soins et santé, nous entendons ceux de « tous les jours », pour un rhume ou une gastro, censés être basés sur le respect, le non jugement et la bienveillance, et non des protocoles visant à aliéner les individus que la société voudrait catégoriser de malades mentaux, d’anomalies. Dépénalisée en 1982 en France, l’homosexualité est restée inscrite au registre de la Classification Internationale des Maladies de l’OMS (à laquelle se réfère l’Hexagone) jusqu’en 1992. Avant hier, en somme.

La transidentité, quant à elle, n’a été retirée de la liste des maladies mentales qu’à partir de 2010, en France. Hier, en résumé. « Nous sommes encore considérés comme des individus malades même si aujourd’hui nos parcours sont moins psychiatrisés. », explique Élian Barcelo, vice-président d’Iskis et co-secrétaire du ReST.

Le Réseau Santé Trans (le ReST), c’est un réseau paritaire réunissant des personnes trans et des professionnel-le-s de la santé. Actif depuis trois ans et officiellement créé à Rennes il y a un an (en mars 2018, précisément), il favorise le partage d’expériences et « l’échange sur les protocoles de prise en charge, en concertation avec les personnes trans concernées. »

Aujourd’hui, il existe deux manières de prendre en charge la transidentité, comme le développe Élian Barcelo. Depuis 2010, le parcours – auto-proclamé – officiel est celui proposé par la Société Française d’Études et de prise en Charge de la Transidentité, qui « à côté de professions non médicales telles que les psychologues, sociologues ou juristes, rassemble de façon transversale tous les spécialistes médicaux concernés par la prise en charge de la transidentité, en particulier : psychiatres, endocrinologues, chirurgiens plasticiens, urologues et gynécologues. », peut-on lire sur le site de la structure, qui visiblement oublie de parler des personnes concernées.

« Ça ne convient pas à tout le monde car un suivi psychiatrique est obligatoire pendant deux ans, ce qui peut être stigmatisant et normalisant. Ce processus peut aussi mettre en danger les personnes trans à qui on demande de faire leur coming out auprès de leur entourage sans avoir accès à des hormones de transition. Ce qui veut dire qu’elles font leur coming out avec une apparence qui ne leur va pas. Ça n’aide pas. »
précise le co-secrétaire du ReST.

La deuxième manière, celle pour laquelle œuvre le Réseau, c’est le parcours libre : « La transidentité n’est pas une maladie mais nécessite un suivi médical. L’idée des parcours libres, c’est de pouvoir choisir librement son médecin, son endocrinologue,… Et d’avoir recours à un suivi psy selon le ressenti. Que ça reste un choix, une option. On travaille avec des médecins qui ne demandent pas de certificat psychiatrique et qui ne remettent pas en cause la manière dont la personne se sent, car c’est très personnel. Et on ne force pas le coming out. Et on ne se cantonne pas à l’approche visant à penser uniquement à travers le côté « je ne me sens pas bien dans mon corps », on peut aussi parler de bien-être, de mode de vie de qualité, de réflexion. »

Le ReST prône le principe d’autodétermination des personnes trans. La charte, signée déjà par une trentaine de personnes ainsi que des entités associatives adhérentes telles que Iskis, le Planning Familial 35, Ouest Trans ou encore les Planning Familiaux de Grenoble et de Clermont-Ferrand, repose d’ailleurs sur l’autodétermination et le point de vue non jugeant des professionnel-le-s de la santé.

En résumé, le Réseau milite pour la reconnaissance des personnes trans comme individus à part entière, pouvant ainsi agir et choisir librement, et non comme des personnes atteintes de troubles de la personnalité ne leur permettant pas de décider de leur corps et de leur vie. 

MAIN DANS LA MAIN

Cela devrait être acquis et pourtant l’accueil des personnes transgenres diffère dans la majorité des cas de l’accueil des personnes cisgenres.

« Les médecins ne sont pas formés et souvent, ils ne vont pas se sentir légitimes et/ou compétents pour les transitions mais cela n’empêche pas de suivre le quotidien. Mais ils ont souvent des appréhensions, peur de mal faire. Il y a des choses comme prendre le rythme cardiaque d’une personne transgenre et donc lui demander de soulever son t-shirt qui peuvent être gênantes pour elle. Autre exemple : quand on appelle un cabinet médical, le secrétariat ajoute toujours au téléphone ou en face à face la civilité supposée de la personne, par rapport à la voix ou l’apparence physique.

Dans le réseau, la totalité des médecins demandent uniquement le nom d’usage. Des problèmes peuvent subvenir aussi chez le médecin ou à la pharmacie, si la carte vitale n’a pas pu être changée. Ça les rend souvent surpris ou suspicieux. Les personnes trans constituent une population qui n’a pas un accès facile aux soins alors qu’elle en a besoin. Il est nécessaire d’être dans une démarche de réflexion, de formation. Des choses ont été très bien réfléchies au Planning Familial 35 qui a engagé une réflexion depuis quatre ans. L’accueil y est excellent aujourd’hui. Je préfère envoyer les gens vers le PF35 parce que c’est un endroit où les personnes LGBTIQ+ sont bien accueillies et où les professionnel-le-s peuvent envoyer vers des confrères et des consœurs plus compétent-e-s sur telle ou telle thématique. », détaille Élian Barcelo.

Travailler en collaboration continue avec les professionnel-le-s de la santé, les associations et les personnes trans permet la reconnaissance de l’expertise et l’expérience des concerné-e-s mais favorise aussi l’élaboration d’une réflexion commune convergeant vers l’accueil et l’accompagnement médical, intégrant dans le processus la notion de choix et de respect tant de l’expression de l’identité de genre que dans les parcours de santé. 

NE PAS LÂCHER LE LIBRE CHOIX

Ainsi, le ReST œuvre et participe à trois principes majeurs d’intervention : le travail avec et pour les personnes trans, l’amélioration de l’accès aux soins et la qualité des soins notamment  par l’information et la formation des professionnel-le-s de la santé, et la défense des droits des personnes trans en matière de santé. 

C’est dans le sillon de cette troisième mission que le Réseau s’active actuellement au soutien d’une professionnelle de la santé visée depuis le début de l’année par une plainte de la part du Conseil National de l’Ordre des Médecins, à la suite d’un signalement provenant de proches d’une patiente trans majeure.

« On la soutient, on lui a donné des noms d’avocat-e-s et on a lancé une cagnotte pour l’aider à financer les frais d’avocat car l’assurance professionnelle n’en couvre qu’une petite partie. », explique Élian Barcelo qui poursuit :

« La patiente est majeure et son entourage a porté plainte car elle a été mise sous hormonothérapie avec son accord. Dans un premier temps, l’ordre départemental des médecins a rendu un avis favorable à la professionnelle, invalidant les trois points soulevés par le CNOM qui a choisi de poursuivre la plainte malgré tout. »

Le vice-secrétaire démonte en toute logique les trois faits reprochés à la personne attaquée. Premier point : le non respect de son serment de gynécologue l’obligeant à ne recevoir en consultation que des femmes.

« C’est extrêmement déplacé et c’est insultant. Ce serment n’existe pas. Les gynécos peuvent suivre des hommes cisgenres pour différentes pathologies. C’est clairement de la transphobie. », balaye-t-il d’un revers de la main.

Deuxième point : les traitements hormonaux ne devraient être prescrits que par des endocrinologues. « Dans le Vidal, qui est une référence pour les médecins, il est bien marqué que les gynécologues et médecins généralistes peuvent les prescrire. », s’exclame-t-il.

Troisième point (et c’est là clairement que se niche le problème) : elle ne respecterait pas les recommandations de la Haute Autorité de Santé de 2009 et les recommandations de 2015 concernant les équipes et praticien-ne-s affilié-e-s à la SoFECT.

« Le problème c’est le parcours libre. Que le parcours soit en dehors d’un parcours psychiatrique. C’est considérer la transidentité comme une maladie. La dépsychiatrisation auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) date de 2018 mais il y a certaines structures qui freinent des quatre fers. »
poursuit-il.

Ainsi, cette affaire pointe du doigt plusieurs problématiques majeures : les personnes trans n’auraient visiblement pas le droit de choisir librement leurs praticien-ne-s, les démarquant du reste de la population et le consentement d’un-e patient-e trans majeur-e pourrait être remis en cause par son entourage qui peut se saisir comme bon lui semble de l’Ordre.

Droits de base bafoués, personnes trans infantilisées, stigmatisation normalisée. Les enjeux qui en découlent sont importants : « Si la professionnelle attaquée perd, les parcours libres pourraient être amenés à disparaître et là, ça pose un problème en matière de politique de santé. On ne veut pas lâcher le libre choix. On ne veut surtout pas perdre du terrain là dessus. Dialoguer avec des médecins respectueux, c’est beaucoup pour nous ! »

Concrètement, en terme de politique nationale de santé, le ReST, hormis certains soutiens à l’Assemblée Nationale, au Sénat et du côté du Défenseur des droits, n’est pas aidé dans son combat, « la ministre de la Santé ayant été ambassadrice l’an dernier lors de l’AG de la SoFECT, on peut supposer qu’elle soutient les parcours officiels. »

En résumé, la France n’avance que très partiellement sur les questions de la transidentité : « Le gouvernement gonfle le torse en parlant de la PMA (dont l’extension à tou-te-s est sans cesse reportée depuis 6 ans, ndlr), mais publiquement, les personnes transgenres, on en parle pas beaucoup et on est très loin d’avoir avancé sur la santé. 

En 2016, la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle a permis de ne plus passer devant le tribunal pour effectuer le changement de prénom à l’état civil. Désormais, la démarche se fait à la mairie. La réforme a eu lieu parce que la France a été condamnée car elle demandait la stérilisation des personnes transgenres pour obtenir le changement des papiers d’identité. Il a fallu une condamnation !!! » 

L’importance des réseaux comme le ReST et des espaces sécurisés réservés aux personnes concernées n’est plus à démontrer. Face à la transphobie, institutionnalisée mais pas uniquement, l’information et la formation sont indispensables et pourtant, encore minoritaires, voire complètement absentes. Briser le rapport de domination sachant-e/patient-e, c’est un des combats des associations LGBTI.

« Depuis longtemps, depuis les années 90 ! », souligne Élian Barcelo. Les échanges avec les professionnel-le-s de la santé doivent mener à la reconnaissance de l’expertise des personnes trans en matière de transidentité. Là encore, logique…

« Pour le moment, la formation des futurs médecins et pharmaciens est encore verrouillée et il est très compliqué de faire irruption comme ça, dans les formations. En Bretagne, l’association Ouest Trans et le Planning Familial proposent des formations à destination des professionnel-le-s de la santé. Même des formations courtes, simplement pour faire germer la réflexion et apporter les bases théoriques autour de la transidentité. », conclut le vice-président d’Iskis et co-secrétaire du Réseau Santé Trans ponctuant la fin de notre rencontre par un « Voilà à quel point de connaissances on en est… » 

LA BINARITÉ CRÉE LES ANOMALIES…

Les réticences sont nombreuses, les avancées minoritaires. Parce que le système est encore binaire et les cases, essentielles au bon fonctionnement de ce système. Mais l’Homme ne se doit-il pas d’être plus nuancé et complexe que la machine ? Pourquoi s’octroie-t-on le droit d’étiqueter la transidentité à une pathologie et l’intersexuation à une anomalie ?

« Notre société est bornée et prétend que l’humain peut être classé d’une manière binaire. Elle prétend qu’il y a des femelles et des mâles et que ce qui ne rentre pas dans ces cases soi-disant naturelles est anormal et qu’il est donc légitime d’opérer. C’est absurde. Nous savons maintenant que le genre est une construction sociale. Le sexe, bien qu’il soit biologique, relève aussi d’une certaine construction sociale.

Nous avons décidé qu’un clitoris devait avoir maximum une certaine longueur et qu’un pénis devait avoir minimum une autre, qu’un vagin devait avoir une certaine profondeur et que les hormones d’une certaine personne devaient être dans un certain référentiel. Ces limites ont été décidées arbitrairement et légitiment des traitements inhumains. », explique Audrey Aegerter, créatrice de la chaine Audr XY disponible sur YouTube et présidente de l’association InterAction fondée en Suisse.

Elle précise : « En fait, on veut s’assurer que tout le monde puisse avoir un rapport hétérosexuel, que les organes génitaux externes ressemblent à ce qu’on s’attend d’une fille ou d’un garçon et que la puberté se fasse comme attendue en fonction du sexe assigné. Il y a donc une certaine transphobie et homophobie dans la prise en charge des personnes intersexes. Les opérations ont toujours été autorisées… ou du moins, n’ont jamais été interdites mais c’est dans les années 50 que la prise en charge a commencé à être protocolaire. »

Selon l’ONU, on estime à 1,7% de la population concernée par l’intersexuation qui est une variation du vivant, c’est-à-dire une variation des caractéristiques sexuelles, qui peut être de l’ordre chromosomique, hormonale ou des organes génitaux internes et/ou externes. On peut découvrir ces variations à la naissance ou à la puberté, ou même après.

« La plupart de ces variations sont saines et ne nécessitent aucune prise en charge médicale. Malgré cela, beaucoup se font opérer ou subissent des traitements hormonaux sans consentement éclairé et libre. »
souligne Audrey.  

NE PLUS SE SENTIR ISOLÉ-E

Sa chaine, lancée début 2018, et ses vidéos, dont « #Il y a une couille avec votre fille », est un véritable outils de transmission des savoirs autour de l’intersexuation. Et de partage. C’est en regardant les vidéos, sur cette thématique, de Pidgeon et Emilord, deux youtoubeureuses des Etats-Unis, qu’Audrey Aegerter a entendu des vécus similaires aux siens :

« Ces personnes qui semblaient si sûres d’elles, elles n’avaient pas honte de leur intersexuation et en parlaient ouvertement. Elles m’inspiraient et m’inspirent encore beaucoup. Je pensais que je n’assumerais jamais aussi publiquement mon intersexuation. »

Quand elle participe au film Ni d’Eve ni d’Adam : une histoire intersexe, réalisé par la documentariste Floriane Devigne (lire notre critique YEGG#74 – Novembre 2018), elle rencontre d’autres personnes intersexes qui, elles aussi, regardent les vidéos des deux youtoubeureuses :

« Elles autant que moi ne connaissions que les mots des médecins. Des mots qui pathologisaient nos corps. Grâce à ces rencontres et ce film, j’ai finalement pris confiance en moi et fais mon coming-out. Suite aux nombreux coming-out, l’intersexuation a gentiment pris une place chère dans ma vie et n’est plus une tare. Je suis aujourd’hui heureuse et fière d’être intersexe, car sans cela je n’aurais jamais rencontré des personnes que j’aime énormément. »

Personne, parmi la population concernée dans les pays francophones, ne publie de vidéos sur le sujet. Elle décide alors de se jeter dans le bain. Pour les personnes intersexes tout d’abord. Pour qu’elles ne se sentent pas ou plus isolées. Pour qu’elles puissent entendre des témoignages humains et non des paroles médicales visant à leur faire penser qu’elles sont malades.

Mais la chaine Audr XY s’adresse également aux personnes dyadiques, soit les personnes qui ne sont pas intersexes. Pour que les parents ou futurs parents d’enfants intersexe aient accès aux informations. Pour que les associations aient des ressources et des outils. Pour que le grand public sache et que l’intersexuation gagne en visibilité au sein de la société.

« Par le biais de mes vidéos, je suis également rentrée en contact avec d’autres personnes, qui sont dans la même situation que moi il y a quelques années, et qui m’écrivent pour me raconter leurs histoires ou me dire qu’elles se sentent un peu moins seules le temps d’une vidéo. J’espère que ça va avoir un effet d’empowerment et que nous serons plusieurs à faire des vidéos, à parler publiquement et que cela changera un peu les mentalités.

Imaginez si, dans quelques années, il y avait autant de vidéos sur l’intersexuation que sur le véganisme ? On en changerait des choses ! J’ai fait quelques vidéos où je parle avec d’autres activistes sur des sujets divers, comme le sentiment d’illégitimité, être trans et intersexe ou les discriminations structurelles. J’aimerais montrer la diversité des vécus et variations intersexes et ne pas uniquement parler « de moi » afin qu’une majorité de personnes puissent s’identifier à mes vidéos. », commente la présidente d’InterAction. 

DES CORPS SAINS

L’intersexuation n’est pas une nouveauté. Néanmoins, le sujet est tabou. Comme pour la transidentité, professionnel-le-s de la santé, enseignant-e-s, juristes, etc. ne reçoivent aucune formation (non pathologisantes) à ce propos. Les personnes concernées sont encore et toujours considérées comme malades et anormales. Victimes de malformations. Dans sa vidéo sur les opérations, Audrey Aegerter défend les droits de l’autodétermination, de l’enfant et de l’humain :

« Les corps intersexes sont sains. C’est la médecine qui rend les personnes intersexes malades. On considère que le fait d’être déterminé (fille ou garçon) sera bon pour le développement de l’enfant. »

Elle revient plus de 70 ans en arrière pour nous expliquer la cause de la grande perte des droits des enfants intersexes : « Suite à une circoncision particulièrement ratée, le sexologue John Money a créé un protocole particulièrement pathologisant envers les personnes intersexes. Il recommande d’opérer vite, dans le secret. Dans les années 80, les personnes intersexes ont commencé à se (re)construire et ont commencé à se battre pour leurs droits.

Notamment avec l’organisation américaine ISNA et les Hermaphrodites with attitude. L’ISNA a fait un travail exceptionnel. Depuis, les organisations ont des positions officielles et font du plaidoyer politique pour les droits humains. Grâce à cela, il y a eu de grandes avancées pour le mouvement qui adopte aujourd’hui une approche politique par les droits humains et condamne les institutions pour leurs pratiques médicales. Les unes après les autres. »

On est loin du monde qu’elle décrit dans « Une fable intersexe ». Un monde sans mutilations génitales, tortures et violations des droits des enfants. Un monde qu’elle sait non réaliste en l’état actuel mais en lequel elle croit à force de luttes permettant à terme de protéger les enfants intersexes et de les inclure dans la société, sans discriminations.

Pour l’heure, la France comme la Suisse ignorent les recommandations du comité d’éthique invitant les médecins à ne pas opérer les enfants sans consentement éclairé : « L’ONU a depuis 2015 fait plus de 40 réprimandes condamnant la prise en charge des personnes intersexes dans les pays européens. C’est énorme. » À sa connaissance, il n’y aurait qu’à Malte et en Californie qu’il existerait une interdiction formelle des mutilations génitales sur les enfants intersexes « mais la mise en place de nouveaux protocoles tarde… »

L’Occident condamne donc fermement l’excision pratiquée dans plusieurs régions du monde mais autorise et se donne même le droit de mutiler des enfants sur son territoire, en raison de la binarité. Cette dernière « est aujourd’hui la cause d’énormément de souffrance pour beaucoup de personnes. Les personnes LGBTIQ+ sont discriminées et n’ont pas accès aux mêmes droits que les personnes cisgenres, hétérosexuelles et dyadiques.

C’est incroyable qu’en 2019 nous devions toujours nous battre pour exister librement. Les jeunes LGBTIQ+ sont plus susceptibles que les autres de tenter de se suicider, arrêter l’école et/ou être précaires. » Incroyable également qu’il faille rappeler par voie de presse que « le droit des enfants à l’intégrité physique et sexuelle est un droit inaliénable. » (Tribune parue dans Libérationle 10 septembre 2018 revendiquant l’arrêt des mutilations des enfants intersexes). 

LA COMMUNAUTÉ AUX VERTUS GUÉRISSEUSES

Toutefois, les médias sont encore peu nombreux à s’intéresser aux revendications des personnes intersexes (interdiction des traitements et opérations altérant les caractéristiques sexuelles des personnes sans leur consentement libre et éclairé / suppression du genre à l’état civil / soutien psychosocial gratuit et choisi / formation complète et non pathologisante aux personnels soignants, aux enseignant-e-s, aux juristes…).

Ce sont les associations telles qu’InterAction, co-fondé par Audrey Aegerter le 26 octobre 2017 (journée de la visibilité intersexe), Zwischengeschlecht (toujours en Suisse) ou encore le Collectif Intersexes et Allié-e-s (en France) qui œuvrent à l’avancée des droits humains et au changement des mentalités.

Les structures agissent, malgré de faibles soutiens et moyens financiers, sur plusieurs fronts : à la fois politiques, sociétales et personnels. Elles sont à la fois porteuses d’informations et de formations, leviers de visibilité menant à la reconnaissance des personnes intersexes et de leurs droits et organisatrices d’espaces sécurisés.

Pour Audrey, « la communauté intersexe a d’énormes qualités guérisseuses. » Et peut être, en complément de l’entourage si celui-ci est bienveillant, un véritable soutien. Car il ne faut pas oublier la notion dont elle a parlé plus tôt : outre les opérations et les traitements hormonaux effectués dans l’urgence, le « secret » est également un facteur destructeur.

Pour briser le climat de honte, « en tant que personne concernée, il faut beaucoup de courage et de bienveillance. L’intersexuation est encore tellement taboue… Il n’y a malheureusement pas de règle d’or pour briser le tabou, à part parler et faire face aux questions mal-placées, aux remarques désobligeantes et à l’étonnement… Même si ce n’est pas facile tous les jours, briser le secret déjà dans sa propre vie est très émancipateur, à condition qu’on soit dans un environnement safe.

Pour moi, ne plus avoir besoin de mentir, être honnête avec les autres et moi-même quant à mon corps est exceptionnellement émancipateur. Ça me donne de la force et de l’énergie. Malheureusement, ce n’est pas encore sécure pour toutes les personnes et dans tous les milieux, c’est donc un privilège que j’ai de pouvoir parler aussi librement de l’intersexuation. »

BRISER LE CLIMAT DE HONTE

D’ailleurs, elle le dit clairement, s’exposer en tant que personne intersexe sur Internet constitue un danger. Elle craint les trolls et les micro-agressions en ligne mais aussi pour son avenir professionnel, et s’inquiète de transmettre des informations erronées qui pourraient aller à l’encontre du mouvement des intersexes.

Comme dans ses vidéos, Audrey Aegerter pointe des réalités douloureuses et injustes tout en distillant toujours une note de légèreté et d’optimisme : « Lorsque je fais face à des commentaires haineux, cela me prend aux tripes, je tremble et je me demande si c’est vraiment nécessaire de continuer. Mais les échos positifs sont heureusement plus nombreux.(…) J’ai peur que ma visibilité puisse faire peur à mon employeur… Les personnes LGBTIQ+ sont encore beaucoup discriminées à l’embauche et sur le lieu de travail. Cela n’a pas encore été le cas, heureusement ! (…) Grâce à la communauté, à mes ami-e-s et à un travail de recherche que je fais de mon côté, cette crainte (d’être néfaste au mouvement, ndlr) est bien moins présente qu’au début. »

Rompre le silence ne devrait pas s’apparenter à une prise de risque pour la santé physique et/ou mentale de la personne qui entreprend cette action. C’est toute la société qui est concernée par cet état de fait. Pour la présidente d’InterAction, les personnes dyadiques peuvent participer à la suppression du climat de honte et à la stigmatisation que subissent les personnes intersexes. En étant allié-e-s.

« Même si elles ne connaissent pas, a priori, de personnes intersexes. Elles peuvent corriger les personnes qui disent des choses clairement fausses sur l’intersexuation ou une pseudo binarité dans notre société, partager des articles et vidéos sur les réseaux, etc. C’est peut-être pas grand chose mais si une personne concernée le voit, ça peut faire beaucoup de bien et elle saura qu’elle peut s’adresser à elles.

Et en tant que parent, briser le tabou veut dire parler ouvertement à son enfant, lui expliquer de manière appropriée sa variation et l’aimer pour ce qu’il est. Lui donner la force de vivre comme il est et peut-être de changer le monde. », répond-elle, espérant pouvoir aider le plus grand nombre de personnes dyadiques et intersexes à travers ses vidéos, palliant ainsi le manque d’informations dans les médias, les écoles et les formations. 

LA HONTE DOIT CHANGER DE CAMP

Il y a urgence. Déconstruire les normes patriarcales - qui on le rappelle sont principalement binaires (avec la mention « Le masculin l’emporte sur le féminin »), hétéronormées et blanches, entre autre – s’apparente souvent dans l’imaginaire collectif à la perte de privilèges.

Résultat : on préfère ignorer les discriminations subies par les personnes que l’on qualifie de différentes et qu’on assimile pour certaines à des personnes souffrant d’une pathologie. On minimise les vécus, on ignore leurs existences. En somme, on nie véritablement leurs droits à la dignité et à l’humanité.

De temps en temps, de manière totalement aléatoire, on s’émeut. De l’assassinat de Marielle Franco, de l’agression de Julia, du passage à tabac d’un couple lesbien dans le bus. Par exemple, la presse n’hésitera pas à titrer en mai 2019 « Agression de Julia : la transphobie en procès à Paris ».

Vraiment ? Qu’a-t-on fait en août 2018 à la suite du meurtre de Vanesa Campos ? Combien de personnes, ne serait-ce qu’à Rennes, se rassemblent place de la Mairie le 20 novembre, à l’occasion du Jour du Souvenir Trans (TDoR, Transgender Day of Remembrance) afin de commémorer les personnes trans assassinées et poussées au suicide à cause de la transphobie vécue ?

Si quelques actes LGBTIphobes font couler de l’encre dans les médias, ils sont minoritaires face à la liste de prénoms dressés lors du TDoR, face aux chiffres révélés chaque année par le rapport de SOS Homophobie et face à toutes les discriminations tues et toutes celles encore qui ne sont pas dites car elles sont devenues banales, quotidiennes, intégrées.

On s’insurge de l’inhumanité de nos voisins européens (en Pologne, les commerçants ont depuis juillet 2019 le droit d refuser de servir des personnes LGBT) ou non qui persécutent, enferment, torturent, condamnent à mort les homosexuel-le-s. Qu’en est-il sur notre territoire ? Nous inquiétons-nous du sort des personnes étrangères LGBTIQ+, menacées de mort dans leur pays d’origine, à qui l’on n’accorde pas le droit d’asile ? Nous inquiétons-nous réellement de la sécurité de toutes les personnes LGBTIQ+ ? Notre indifférence, notre hypocrisie et notre non remise en cause par rapport à nos responsabilités mettent des vies en danger.

MANQUE DE REPRÉSENTATION

Seules les personnes concernées peuvent parler de leurs vécus. Les allié-e-s peuvent les écouter, sans chercher à minimiser leurs paroles, et peuvent aussi s’informer via les associations, les sites ressources, les articles, les documentaires, les livres, etc. Parce que nous ne manquons pas d’informations mais d’intérêt et ignorons souvent, par conséquent, les biais et canaux qui s’offrent à nous.

La difficulté résidant également dans le fait que les cinémas, chaines TV, médias, maisons d’éditions, librairies, programmateur-e-s artistiques et autres secteurs grand public sont souvent frileux (et LGBTIphobes) quant à ces sujets encore considérés « underground », marginaux.

« La politique est bien moins intéressante pour les médias que de savoir sur quelles toilettes nous allons… »
déclare Audrey Aegerter.

Et cela révèle le manque de représentation des personnes LGBTIQ+ dans la société actuelle qui, tant qu’elles ne déclarent pas publiquement leur homosexualité, transidentité ou intersexuation, sont considérées selon les normes hétérosexuelles, cisgenres et binaires.

« Le manque de représentation fait que nous ne savons pas comment parler d’intersexuation, nous n’avons pas accès à des terminologies bienveillantes et cela participe également au climat de honte. C’est justement afin d’éviter cela que je crée mes vidéos et que je suis aussi visible. Bien que la visibilité ne fasse pas le travail, j’espère qu’elle nous apportera des membres ou motivera d’autres à s’engager.

Le travail doit être fait de manière collective, hors il est très difficile d’atteindre les personnes intersexes. Le manque de représentation participe à cela. Le manque de représentation et d’information en général sur le sujet fait que pour beaucoup de parents, c’est le jour de la naissance de leur enfant qu’ils entendent parler d’intersexuation pour la première fois. Ils ignorent alors le non-fondé des traitements. Tout cela participe à leur détresse. Et c’est un des arguments que les médecins utilisent le plus souvent pour légitimer les traitements… La détresse des parents. », analyse Audrey.

Comme elle le souligne, le manque de représentation favorise la honte. Puisque sans représentation, on pense que la situation est unique, isolée, et rares sont les personnes qui arrivent à supporter d’être à l’écart de la société. À ce jour, peu de personnalités publiques ont révélé leur intersexuation, excepté la mannequin Hanne Gaby Odiele et la femme d’affaires Taylor Lianne Chandler (plusieurs articles supposent l’athlète Caster Semenya en tant que personne intersexe mais  elle n’en a jamais fait mention).

Présenter des profils et des parcours divers, c’est alors faire germer l’idée que ces derniers ne sont pas différents mais que la norme n’est tout simplement pas unique. C’est permettre à tout le monde de se construire grâce à la possibilité de s’identifier à des rôles modèles et ne pas penser que des domaines d’activités ou des métiers sont réservés à telle ou telle partie de la population, majoritairement des hommes blancs hétérosexuels (lire Encadré).

DES DROITS HUMAINS AU PINKWASHING… LA POLÉMIQUE

« Les droits humains sont ma fierté » revendique la grande banderole d’Amnesty International, visible le 8 juin dernier lors de la Marche des Fiertés. Cinquante ans après les émeutes de Stonewall, qui rappelons-le sont à l’origine des premières Marches américaines, on ne peut nier les avancées en terme de droits mais on ne peut également que constater la lenteur avec laquelle les différents gouvernements les ont accordés, peinant encore à reconnaître l’égalité de ces droits aux restants des fameux Droits de l’Homme.

Et le moins que l’on puisse observer également, c’est que les soutiens ne se bousculent pas au portillon. Les vrais soutiens. Pas ceux de Mastercard, Tinder, Google, Air France… dont la présence à Paris a créé la polémique, interrogeant le caractère politique ou commercial de la Marche.

« Le discours, très perceptible lors des débats sur le mariage pour tous, définissant les droits LGBT comme des droits humains est très favorable au pinkwashing, c’est-à-dire au fait pour les entreprises de se donner une image progressiste. », explique le militant queer et anthropologue Gianfranco Rebucini dans une interview accordée à Vice le 28 juin 2019. À New York, la « Reclaim Pride » a été organisée pour se réapproprier la Gay Pride, vidée de son propos revendicatif et contestataire, selon plusieurs milliers de manifestant-e-s.

À Paris, l’appel « Stop au pinkwashing » a été lancé quelques jours avant la Marche des Fiertés afin de souligner le désaccord avec l’organisation officielle. Début juillet, sur Twitter, on pouvait lire le message du Collectif Intersexes et Allié-e-s : « N’oubliez pas que nous, les personnes intersexes, en compagnie d’allié-e-s, avons ouvert la Marche des Fiertés de Paris 2019. Il était impossible de nous manquer, il y a eu des interviews en amont, et pourtant aucun média n’en parle : #IntersexesEnTêtePride2019 ».

Sur le site de Komitid, un article est consacré à une interview de Mischa, membre du Collectif Intersexes et Allié-e-s et co-initiateur des Délaissé-e-s des Fiertés qui ont pris la tête du cortège, juste derrière les Goudou-e-s sur Roues. Il explique :

« Le Mouvement est né d’une frustration, d’une urgence d’exister dans les luttes et les fiertés LGBTI, pour les personnes intersexes. Submergé de travail, le Collectif Intersexes et Allié-e-s, seule association par et pour les personnes intersexes en France, est à la fois très sollicité et ironiquement peu entendu dans les revendications générales de la communauté LGBTI. D’un côté on nous veut partout, et dans le même temps on ne nous donne pas du tout les moyens de l’être. C’est épuisant et frustrant pour nos militant-e-s. Cette année, l’organisation avec l’Inter-LGBT ne s’est pas bien passée.

On leur a fait une proposition de formation, essentielle dans le cadre de la Marche des Fiertés où nos revendications peinent à être portées correctement, dignement. Mais iels nous ont répondu trop tard – et s’en sont excusé-e-s – et nous n’avions plus du tout le temps de nous organiser. Ça ne s’était pas bien passé avec nos partenaires non plus, comme souvent. On était démoralisé-e-s. En parlant avec d’autres militant-e-s (dyadiques), en particulier des militant-e-s queer et antiracistes, j’ai repris espoir et on a fini par vraiment créer quelque chose. Ces militant-e-s, pour la plupart handis, racisé-e-s, queer, jeunes, ont remué ciel et terre pour nous donner un espace et une portée inespérée. »

UNE POSITION POLITIQUE

À Rennes, le 8 juin dernier, la thématique « Intersexes, VIH, transphobie, asile… Où sont nos soutiens ? » a rassemblé près de 4 000 personnes. Pas de chars de grandes entreprises mais des militant-e-s LGBTIQ+, des associations et des allié-e-s. La manifestation offre une large palette du militantisme : du slogan scandé en chœur avec fougue à une danse endiablée, en passant par les roulages de pelles, les tenues en cuir et les meufs aux seins à l’air, il nous semble que peu importe le moyen d’expression de chaque individu réuni dans le cortège, tout est politique.

Et au sein de la foule qui afflue dans les rues de la capitale bretonne, on aperçoit Faty. Elle rayonne. Vêtue de noir et de blanc en hommage aux couleurs du drapeau de la Bretagne, elle prône les droits humains : « C’est ce qui nous lie, le fait qu’on soit humains. On oublie facilement ça. »

Femme, noire, trans, rennaise d’adoption, brestoise d’origine, elle participe pour la première fois à la Marche des Fiertés. « J’en ai entendu parler par des ami-e-s et je me suis dit que ça pouvait être bien pour moi d’y aller. C’était le bon moment. Pour rencontrer d’autres personnes, d’autres associations. Et aussi pour marquer toutes les discriminations que j’ai pu subir. Une manière de porter plainte en quelque sorte. Je ne pouvais pas y aller sans être visible. », déclare-t-elle.

Challenge réussi, son message passe, elle veut que tous les humains soient libres et ce jour-là, elle s’est sentie libre.

« Je n’ai pas choisi d’être une femme, trans, noire. Encore aujourd’hui, j’essaye d’accepter. Ce n’est pas parce que j’ai le sourire que c’est la fête. Mais maintenant je me dis que si on sait que je suis trans, ce n’est pas grave si ça peut aider d’autres personnes. Plus on pense à ce que les autres pensent, plus on s’empêche de vivre. Je n’en pouvais plus de me dire que j’avais une maladie. Ça a été compliqué de passer le cap mais avec ma transition, j’ai pu mettre des mots. »
poursuit Faty.

Et ce qu’elle constate, c’est que toute sa vie, elle a été renvoyée à sa couleur de peau : « Ma transidentité est un problème dans l’intimité. Tant que ça ne se voit pas, ce n’est pas un problème. Quand ça se voit, souvent, il y a des réactions violentes. Ma couleur de peau en revanche, je ne pensais pas que c’était autant un problème. J’ai toujours grandi dans un milieu où il n’y avait que des blancs. Je savais qu’il fallait faire avec et en tant qu’enfant, je pensais que c’était normal qu’on me touche les cheveux, qu’on me tape. Dans les relations, c’est hyper compliqué.

L’objetisation de la femme noire, c’est lourd ! J’appartiens à un rêve mais je n’existe pas. C’est ça qu’on me renvoie. Moi, je rêve d’amour depuis que je suis jeune. Je rêve de quelque chose de beau, d’important. Et dans la société, c’est pareil, je rêve de melting pot. Ce n’est pas parce qu’on est noir-e qu’on doit trainer qu’avec des noir-e-s. On a besoin de toute la diversité. D’une culture avec des cultures. » 

AMOUR, TOLÉRANCE, RESPECT, JUSTICE ET ÉGALITÉ

Comme elle le dit, ce n’est pas le meilleur des mondes dans lequel nous vivons et dire qu’elle va bien serait une affirmation précoce et erronée. Elle travaille à son acceptation :

« Et ça prend toute la vie, cette thérapie avec moi-même. » Aujourd’hui, elle ne veut plus cautionner les faux semblants, ne veut plus se sentir moins importante que les meubles, ne veut pas s’empêcher de sortir et de vivre. Ce qui l’a aidée, c’est la photographie. Si elle avoue se sentir seule constamment, le medium favorise son évasion et transforme la haine qu’elle a envers les hommes, « enfin certains hommes, pas tous. »

Autodidacte, elle produit des images d’une grande puissance. De par la force des expressions qu’elle y met et de l’esthétique du noir et blanc parsemé de graphisme. Ses visuels sont à son image : riches, sensibles et engagés. Faty est profondément militante dans sa vie de tous les jours. Pour elle et pour les autres.

Même si c’est pesant « parfois, en soirée, de se sentir obligée de parler de ma transidentité et de faire de la pédagogie. » L’obligation de se justifier. C’est le prix minimum qu’a fixé la société pour ne pas être dans la norme imposée. Elle s’est rapidement armée mentalement, ce qui n’empêche ni ne guérit les blessures infligées par chaque discrimination subie :

« On ne peut pas oublier les mots, les gestes, les insultes. J’ai travaillé avec des personnes âgées qui ont refusé que je les touche ! Je suis déçue car ça m’a touchée en plein cœur. Moi, j’ai toujours mes yeux d’enfant mais on ne peut ignorer ou laisser passer certaines choses, comme les viols, les assassinats des personnes trans, etc. Stop ! Je prône l’amour, la tolérance, le respect, la justice et l’égalité. »

Quand on lui demande si désormais elle participera à toutes les Marches des Fiertés, elle nous répond très honnêtement qu’elle ne sait pas. Cette Marche qu’elle a entreprise à Rennes en juin 2019, elle en avait besoin. C’était un « challenge personnel, j’en avais même parlé avec mon médecin (qui est dans le Réseau Santé Trans). »

Elle ne peut pas dire par avance si elle y retournera. En revanche, elle conclut sur la certitude qui l’anime aujourd’hui : « L’envie d’être encore debout et de me battre. Il y a des belles choses dans la vie et ça vaut le coup. J’ai eu peur au début d’être dans la Marche des Fiertés. Je n’ai pas regretté. »

Tab title: 
La lutte pour les droits humains
LGBTIQ+ : Fièr-e-s et en colère !
Le droit d'exister pleinement

Célian Ramis

L'origine du monde, source des malheurs

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Mise en mots et mise en corps se mêlent dans ce théâtre gestuel qui donne à entendre s’exprimer ici la moitié de l’humanité. Dans L’origine du monde, la compagnie Fiat Lux dresse un panorama non exhaustif des souffrances subies par les femmes.
Main images: 
Text: 

Mise en mots et mise en corps se mêlent dans ce théâtre gestuel qui donne à entendre s’exprimer ici la moitié de l’humanité. Celle que l’on oublie, celle que l’on ignore, celle que l’on minore, celle que l’on méprise, celle que l’on bafoue… Dans L’origine du monde, la compagnie Fiat Lux dresse un panorama non exhaustif des souffrances subies par les femmes. 

La tête nous tourne, vendredi 5 avril, en sortant de la représentation proposée, dans le cadre du festival Mythos, au centre culturel Pôle Sud, co-producteur du spectacle pensé et construit par la compagnie briochine Fiat Lux. Parce que pendant plus d’une heure, la pièce nous a assailli de témoignages de femmes.

Et quand les femmes témoignent de leur condition de femmes, c’est rarement joyeux. Mais c’est nécessaire pour donner à entendre, pour faire comprendre. Faire comprendre qu’à cause de leur sexe, de cette origine du monde pour reprendre le nom du tableau de Gustave Courbet – qui a peint là une partie du corps de Constance Quéniaux – elles seront les proies de nombreuses discriminations tout au long de leurs vies.

Pendant près de 2 ans, le metteur en scène Didier Guyon a travaillé à la création de ce spectacle, dont la première représentation a eu lieu en mars 2019. Dès janvier 2017, il a collecté des paroles de femmes, tout comme il avait procédé pour Dis moi, présenté en 2016, autour de la vieillesse. 

Des entretiens avec une cinquantaine de femmes, dont la durée oscille entre 1h et 1h30, il en a gardé des extraits mais surtout en a préservé l’essence pour la restituer avec le plus de véracité possible. Parce que l’intime est politique, il faut manier les témoignages avec soin et précaution et essayer au maximum de ne pas les manipuler.

Le récit nous plonge au cœur de la condition féminine, celle qui prend forme dès lors que la jeune fille devient femme. Un moment qui surviendrait aux premières colorations rougeâtres de nos culottes.

« Ma mère m’a dit « Un jour tu vas voir tu vas avoir du sang dans la culotte… ». Ça faisait belle lurette que je savais ça ! Fin de l’éducation sexuelle. »

Dès les premières règles, les femmes s’avèrent différentes les unes des autres. Mais rares sont celles qui le vivent avec joie et légèreté et nombreuses sont celles qui éprouvent de la honte. Une honte liée aux tabous autour des menstruations et plus largement du corps et de la sexualité.

De la ménarche déboussolée à la femme atteinte d’endométriose, on passe à l’escort militante se positionnant en faveur de l’accompagnement sexuel des personnes handicapées à la meuf qui adore sucer des bites mais qui aujourd’hui en est dégoutée.

« C’est comme les huitres. J’adorais ça, le matin au petit déjeuner avec du vin blanc et puis un jour j’ai été malade, j’en ai plus jamais mangé. C’est ça en fait. C’est ouf. »

Il y en a pour qui la sexualité est source d’épanouissement personnel mais aussi pour qui la thématique est complexe « parce que c’est une invitation à être soi et ce n’est pas si simple parce qu’on peut en avoir envie et peur à la fois. » Ou alors parce que leur orientation sexuelle n’est pas bien vue et leur homosexualité, elles n’en ont pas parlé à leurs familles. Ou encore parce que l’injonction à la virilité obstrue les rapports : 

« Y a des mecs qui me prennent la tête parce qu’ils peuvent pas bander. Si tu veux faire jouir une femme, t’es pas obligé de bander ! Peu importe la raison, ça finit toujours par être de la faute (des femmes), toujours ! »

Au fur et à mesure de la pièce, on avance crescendo vers les violences symboliques (in)visibles. Principalement autour de la maternité. Avortements cachés, accouchement douloureux, fausse couche, parcours PMA, mort du nourrisson… Les femmes intègrent rapidement et inconsciemment le poids des tabous, s’orientant instinctivement vers le silence, pour se protéger.

Et puis, il y a aussi les mauvaises mères. Celles qui partent travailler au lieu de rester dans le foyer pour s’occuper de l’éducation des enfants. Mais la société est bien faite et elles le paieront puisqu’elles se confronteront alors au sexisme des métiers genrés et au plafond de verre qui les empêchera d’atteindre des postes à responsabilités.

Les femmes n’ont pas les épaules pour gérer des gros budgets mais elles ont les visages tuméfiés et les dos fouettés. Elles sont nombreuses, malheureusement, à endurer les violences physiques, psychologiques et/ou sexuelles. Sont nombreuses aussi, malheureusement encore, à faire perdurer la culture du viol de génération en génération.

« Le système est bien construit, il est très difficile à remettre en cause. Il faut déconstruire les mères. »

Quand est-ce que le schéma de l’horreur s’arrête ? À la ménopause ? Ce moment où la femme arrête d’être une femme parce qu’elle ne peut plus concevoir d’enfant ? La pièce se termine sur un message d’espoir. Finalement, cet instant tant redouté ne devrait-il pas être le moment tant attendu ? Le plus beau jour dans la vie d’une femme libre ?

« Le corps se modifie et on peut enfin choisir sa vie. Je veux être libre, je veux plus qu’on m’emmerde, je veux vivre ma vie de femme, d’individu. »

Un individu doté de son passé, de la sagesse tirée de ses expériences, de ses souffrances vécues mais aussi d’un regain de vitalité, d’une envie de sexualité, etc. Un individu libéré du poids de la contraception et de ses conséquences. Mais également un individu qui vogue désormais dans les eaux de la vieillesse.

Comme pour les règles, elles ne sont pas égales dans la traversée de cette énième aventure réservée aux personnes ayant un utérus. Certaines veulent chanter à tue-tête « Libérée, délivrée », tandis que d’autres ont juste envie que ça s’arrête parce qu’elles subissent les bouffées de chaleur et autres déconvenues depuis 15 ans.

Le spectacle s’arrête, laissant les deux comédiennes entièrement nues sur le plateau avec le son de ce dernier témoignage affirmant le moment où la personne est devenue femme : quand elle a arrêté de se définir par rapport à l’homme. C’est le soulagement. Les nerfs à vif, on se laisse submerger par l’émotion d’un public aux applaudissements forts et sincères.

C’est douloureux d’entendre toutes ces paroles résumant des siècles de souffrances infligées, aujourd’hui encore, par des sociétés patriarcales qui plongent la moitié de l’humanité dans le silence et le mépris et une partie de l’autre dans le déni, sorte également de souffrance puisque la virilité, tant qu’elle n’est pas questionnée, restera source de malheurs et de frustrations pour l’intégralité des populations.

C’est douloureux et pourtant, on recommande L’origine du monde à quiconque souhaite satisfaire sa curiosité envers la condition féminine et l’égalité mais aussi en matière d’art social sublimé par la créativité et l’originalité de la compagnie Fiat Lux. 

Sans oublier le talent des comédiennes, Eléonore Gresset et Ian Su, qui réalise là une performance époustouflante. Jamais elles ne parlent durant la pièce. Leurs corps sont le réceptacle des paroles de celles qui témoignent. Et à travers elles et leur jeu se mêlent émotions violentes, fragilité, tendresse et parfois même humour.

Par du mime, du théâtre d’objet, de la danse des signes, des marionnettes, elles restituent les propos, diffusés en bande audio, des femmes qui osent exprimer leurs vécus et expériences, joyeux ou douloureux. De ce croisement du théâtre gestuel et du théâtre documentaire nait une intensité et une puissance à nous couper le souffle. Comme quand on reçoit un coup violent dans le haut du dos.

On ne peut plus respirer parce qu’une partie de l’humanité suffoque là devant nos yeux et dans le creux de nos oreilles. On ne peut plus respirer non plus parce que face à nous se joue le quotidien tragique de la société à laquelle on appartient. À la fin du spectacle, une bouffée d’oxygène vient nous réanimer.

Parce que le public salue avec hargne le travail de la compagnie Fiat Lux qui a le courage de porter une telle thématique sur les planches, dans la lignée de Marine Bachelot Nguyen ou de Julie Berès, entre autres, toutes deux présentes lors du festival Mythos. Si la noirceur de l’âme humaine trône sur le plateau, on finit par entrevoir un espoir.

Celui de la prise de paroles, celui de l’écoute, celui de la prise de conscience, celui de la transmission et enfin celui de l’éducation à l’égalité. On le sait, l’art en a le pouvoir et L'origine du monde vient nous le rappeler.

Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : L'urgence !

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019 puis de nouveau repoussé... Pourquoi ?
Main images: 
Text: 

C’est la thématique qu’ont choisi de développer le Collectif breton pour la PMA et l’association Georges Sand lors d’une conférence organisée le 29 janvier dernier, à l’IEP de Rennes. 

«J’avais 33 ans quand Najat Vallaud-Belkacem a annoncé que ça allait se faire. Moi qui ne voulait pas aller à l’étranger… J’en ai maintenant 40. C’est une urgence parce que je ne suis pas sûre qu’on ait réellement parlé de la PMA, de la technique médicale pour concevoir un enfant. On a entendu des discours pour beaucoup lesbophobes et transphobes. C’est un imaginaire extrêmement néfaste qui se construit en France depuis 2012. », déclare Alice Coffin, journaliste militante féministe lesbienne, qui dénonce la lesbophobie d’État nichée derrière le report systématique* d’un projet de loi encadrant l’extension de la PMA aux couples lesbiens, femmes célibataires et personnes trans.

Elle parle de « grande mythologie, grande fable, autour de la PMA ». Les politiques la promettent depuis maintenant 7 ans sans jamais tenir leurs engagements. Violences des non-actes, des discours relayés par les médias, invisibilisation des personnes concernées, manque de représentation…

Alice Coffin analyse un ensemble de faisceaux indiquant que les pouvoirs en place discriminent ardemment les lesbiennes. « Les mois à venir vont être durs. La Manif pour tous a eu des effets désastreux et il y a un vrai lien entre les propos relayés par les politiques et les agressions LGBTphobes. », conclut-elle, pessimiste mais toujours activiste.

Discriminations flagrantes, lâcheté politique, mauvais traitement médiatique, la liste des impunités est longue et toxique puisqu’elle conduit une partie de la population, privée de droits égaux à ceux des hétéros cisgenres, à l’asphyxie. Une liste à laquelle Florence Bertocchio, militante transgenre, ajoute la transphobie de la Justice et de la Santé.

La question de la conservation des gamètes est épineuse. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité, oui. Y avoir recours avant un traitement entrainant la stérilité dans le cas d’une transition, non.

« On nous dit ‘Vous n’avez qu’à adopter’ alors que c’est très compliqué d’obtenir l’agrément pour l’adoption quand on est une personne trans et ‘Vous n’avez qu’à avoir des enfants avant la transition’ mais jeune on ne pense pas toujours aux enfants qu’on voudra ou non plus tard. C’est important de pouvoir conserver ses gamètes pour pouvoir y avoir accès même après une transition. », déclare-t-elle, s’appuyant sur des décisions judiciaires clairement transphobes et un cas concret de contentieux opposant une femmes trans et un CECOS.

Les deux militantes démontrent l’urgence absolue qu’il y a à établir cette loi. Pour donner les mêmes droits à tou-te-s. Peu importe le sexe, le genre et l’orientation sexuelle. 

* Le projet de loi aurait du voir le jour en 2013, et plus récemment celui qui devait être rédigé à l’automne 2018, puis début 2019 a été repoussé à juin 2019.

Célian Ramis

"C'est quoi un bon parent ?", une campagne pour l'extension de la PMA !

Posts section: 
List image: 
Summary: 
« PMA, L’égalité n’attend pas », conclut la nouvelle campagne lancée et largement diffusée sur les réseaux sociaux le 10 octobre par SOS Homophobie « C’est quoi un bon parent ? #BonsParents ».
Text: 

« PMA, L’égalité n’attend pas », conclut la nouvelle campagne lancée et largement diffusée sur les réseaux sociaux le 10 octobre par SOS Homophobie « C’est quoi un bon parent ? #BonsParents ». 

Plus de 70% des Français-es se déclarent en faveur de l’extension de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes célibataires. Tout comme le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes et le Défenseur des droits. Ou encore le Comité consultatif national d’éthique qui a renouvelé le 25 septembre dernier l’avis positif déjà émis en 2017.

« C’est un combat de près de 20 ans. Dix pays de l’Union Européenne ont déjà ouvert la PMA à tou-te-s sans que les conséquences énoncées par les opposants soient vérifiées. Il y a en France une grande hypocrisie car depuis longtemps, des enfants sont élevés par des couples de même sexe. En 2013, la promesse n’a pas été tenue. En 2018, elle doit l’être, c’est un engagement électoral, et la France doit entrer dans la liste des pays qui autorisent les couples lesbiens à accéder à la PMA. La reconnaissance de ces familles est essentielle et l’extension du droit existant doit se faire peu importe la situation maritale, l’orientation sexuelle, etc. ».

Elsa, membre des Effronté-e-s Rennes – association membre du Collectif breton pour la PMA, au même titre que Iskis – Centre LGBTI+ Rennes, SOS Homophobie Bretagne, Aedelphe et le Planning Familial 35 – dénonce la libération et l’impunité des discours homophobes portés par les élus au sein même des institutions et rappelle l’urgence à passer à l’action : « Les familles homoparentales existent déjà, il faut changer le regard sur ces familles. »

DONNER LA PAROLE AUX CONCERNÉES

Outre la propagande « Un papa, une maman, un enfant » de la Manif pour tous – et la grande responsabilité des médias qui leur donnent la parole sans modération, à l’instar des 4 pages que Libération leur a dédié début octobre – Dominique, membre du Planning Familial 35 soulève une différence importante de traitement et de point de vue : 

« On lit beaucoup qu’une PMA, dans le cadre d’un couple hétéro, c’est pour résoudre un problème médical. Et dans le cadre d’un couple homo, c’est pour résoudre un problème sociétal. Mais pourtant, on ne guérit pas la stérilité avec la PMA. Dans tous les cas, il s’agit de répondre à un désir d’enfant par des moyens médicaux. »

Le débat autour de l’extension de la PMA est souvent animé et agité. Parce que les opposants, minoritaires, sont trop souvent exposés dans les médias. L’absence des personnes concernées au sein même des échanges et des décisions, voilà ce que dénonce la tribune signée par 88 femmes lesbiennes et bies ayant eu recours à une PMA à l’étranger, diffusée sur FranceInfo :

« Pour cinq opposants, combien de lesbiennes avez-vous interrogées ? Le décalage est criant et le combat médiatique, inégal, dès le départ. Car, quand bien même vous nous donneriez la parole équitablement, nous ne viendrions qu’avec nos vécus, nos émotions, nos familles, auxquels vous n’accordez pas le dixième de l’attention que vous portez aux « spécialistes », « analystes » ou « éditorialistes » qui glosent sur nos situations de vie. »

DES FAMILLES COMME LES AUTRES

Principalement, ce qu’elles mettent en avant dans la tribune, c’est l’évidence de l’amour qu’elles portent à leurs enfants et leurs familles :

« Ne vous inquiétez pas pour nos enfants. Ils ont été désirés. Ils ont été attendus, parfois longtemps. Ils sont aimés. »

C’est là le propos de la nouvelle campagne, commandée par SOS Homophobie. Une famille normale. Deux femmes et un enfant. Une famille normale. Qui s’occupe de son enfant. Qui rit avec lui, le gronde, le somme de faire ses devoirs, le câline, partage des instants avec, etc.

« Ce n’est pas le fait d’être un homme ou une femme qui fait de nous un bon parent. Mais la question est déjà d’en avoir le droit. Dans cette campagne, on se bat contre les discours de haine et surtout on montre une famille normale avant tout. Avec de l’amour, du quotidien. La campagne sera déclinée pour tous les publics aussi longtemps qu’il le faudra. Nous exigeons un débat respectueux ! », souligne Véronique, coordinatrice régionale de SOS Homophobie Bretagne, précisant que la distribution de tracts continue et que prochainement, une conférence sur le sujet sera organisée à Rennes.

DES PARCOURS LOURDS

Le débat, en plus d’être inégalitaire de par la mauvaise répartition de la parole et la frilosité à dénoncer la lesbophobie existante, est sombrement teinté de méconnaissance vis-à-vis du sujet et des démarches.

« Nous nous sommes heurtées à plusieurs obstacles. Déjà : où aller procréer ? Il faut trouver un médecin en France qui accepte de nous suivre, il faut trouver le pays, trouver les moyens d’aller à l’étranger et le temps d’y aller en fonction des traitements et de nos emplois du temps. », signale Marion, membre de SOS Homophobie Bretagne, qui après 3 années environ de parcours PMA en Espagne, s’apprête à devenir mère d’une petite fille, portée par sa compagne Gladys. 

Puis à toutes ses difficultés, s’ajoute celle des finances : « Il faut compter entre 1000 et 1500 euros pour l’acte, mais ça dépend de chaque établissement. Puis, il faut prévoir aussi le budget pour le voyage et l’hébergement. Sans oublier que ça ne marche pas toujours du premier coup. Officieusement, on dit qu’en moyenne, il faut 4 inséminations. Nous, on a eu de la chance, ça a fonctionné à la 2einsémination. »

Le parcours PMA à l’étranger peut entrainer la précarisation du couple qui ne cesse d’avancer les frais pour les traitements en France et qui paye les trajets et les nuits sur place.

« Ça met dans la précarité des couples de personnes qui sont en général déjà discriminées à l’embauche… Sans oublier que pour les couples déjà précaires, c’est impossible d’envisager une PMA à l’étranger. »
précise Elsa.

Les femmes s’orienteront peut-être alors vers une PMA artisanale. Une procédure dangereuse dans les cas où le donneur n’est pas une personne proche, digne de confiance, et compliquée en terme juridique. Encore une fois, la société ferme les yeux. La lourdeur des parcours ne pèse que trop peu dans les mentalités des opposant-e-s.

Rarement dans les débats, on interroge des femmes concernées ayant eu recours à la PMA, avec succès ou non. Parce que l’insémination peut rater, parce que la grossesse peut ne pas être menée jusqu’au terme, parce que les femmes peuvent souffrir d’endométriose, etc.

Marion le confirme : « Le parcours a été très lourd. Gladys souffre d’une insuffisance ovarienne. Il fallait faire des injections, des échographies, prendre les traitements, etc. On a avancé quasiment 400 euros par mois pendant 3 ans. C’est très compliqué. Au boulot, il faut rester dans le secret, le stress s’installe, un infirmier allait sur son lieu de travail pour les injections, ça oblige à se justifier… Ensuite, il faut partir en 24/48h à l’étranger pour l’insémination. Je tiens un commerce, c’est une contrainte lourde de fermer le commerce comme ça.»

TOUJOURS PLUS D’INÉGALITÉS

Elle pointe des inégalités aberrantes à l’arrivée du bébé due au vide juridique qui régit la venue d’un enfant dans une famille homoparentale :  

« Gladys est la mère biologique de l’enfant. Moi, à la naissance de notre fille, je n’aurais aucun droit juridique sur l’enfant. S’il arrivait quelque chose à Gladys, l’enfant ne me reviendrait pas. Pourtant, cette petite fille, on l’a conçue toutes les deux. Il y a un vide juridique. Nous sommes mariées depuis 2 ans, ma femme porte mon nom de famille, nous avons un livret de famille. Mais notre fille aura le nom de jeune fille de Gladys. Il faudra un nouveau livret de famille puis lorsque l’adoption sera acceptée, il faudra faire un 3elivret de famille. »

Plusieurs différences donc différencient les familles hétéros et les familles homos. Pour pouvoir adopter l’enfant, le couple doit être marié, le droit obtenu lors du mariage pour tous devenant ainsi une injonction pour les couples lesbiens souhaitant fonder une famille avec un enfant.

Ensuite, la reconnaissance, comme le signale Véronique : « C’est quelque chose qui n’arrive pas à un couple hétérosexuel qui bénéficie d’une présomption de parentalité. Puis l’enfant peut être reconnu à la mairie par le père, sans qu’on lui demande un test ADN pour prouver qu’il est bien le père. Il y a urgence à agir pour l’extension de la PMA. »

Urgence, en effet, à établir l’égalité des droits pour les couples et les familles. Urgence également à changer les mentalités pour qu’enfin les couples lesbiens soient libres de procréer, sans y ajouter le poids du regard de la société :

« Surtout qu’à entendre toujours des messages de haine, ça devient encore plus compliqué de faire la démarche et d’aller jusqu’au bout. Personnellement, j’ai préféré être accompagnée par un psy. Je me posais plein de questions. Des questions que la plupart des gens ne se posent pas au moment d’avoir un enfant. C’est dur psychologiquement. Il faut beaucoup s’aimer dans le couple pour faire ça. Et nous, on s’aime énormément. »

 

Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : Mon choix de famille

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Revendication phare de la Marche des Fiertés 2018, l'ouverture de la PMA pour tou-te-s fait encore débat en 2018. Pourquoi ?
Text: 

La famille pour tou-te-s, ce n’est pas une injonction à fonder une famille, comme l’a souligné la présidente d’Iskis (association anciennement nommée Centre Gay Lesbien Bi et Trans) de Rennes, Selene Tonon, lors de la Marche des Fiertés 2018, qui a défilé le 16 juin dans les rues de la capitale bretonne.

C’est un droit qui doit (devrait déjà) être accordé à toutes les personnes souhaitant avoir un ou plusieurs enfants. Ce ne doit plus être une hypocrisie, un secret de polichinelle dont il faut discrétion garder parce qu’on est une femme lesbienne, obligée d’aller à l’étranger pour espérer avoir un bébé via la Procréation Médicalement Assistée.

Peu importe l’orientation sexuelle, Selene le rappelle, « c’est l’amour inconditionnel qui fait une famille ». On est bien d’accord, comme plus de la moitié de la population selon le dernier sondage IFOP. Alors, pourquoi l’accès à la PMA pour tou-te-s s’intègre-t-elle à la nouvelle loi bioéthique ? Et pourquoi a-t-on encore ce débat en 2018 ?

Ce n’est pas une question d’éthique mais une question d’égalité des droits. Égalité dans le choix de fonder une famille, d’élever un enfant au sein d’un foyer, si on le souhaite. Pourtant, aujourd’hui encore la PMA n’est autorisée, en France, qu’aux couples hétérosexuels. Par lâcheté politique, l’accès à la PMA pour tou-te-s a été sacrifié en 2013, lors de la loi sur le Mariage pour tous. Mais la lutte continue. L’Hexagone s’apprête-t-elle à revivre la même déception qu’il y a 5 ans alors que le candidat Macron promettait l’an dernier de faire face à cette discrimination ? Si l’optimisme prime, il a néanmoins un goût amèrement acide… 

De l’avenue Janvier à la place de la Mairie, en passant par le boulevard Laennec et le quai Chateaubriand, le 16 juin dernier, les rues de Rennes se sont égayées aux couleurs de l’arc-en-ciel. Manifestation festive, la Marche des Fiertés n’en oublie pas de porter avec détermination les revendications pour lesquelles les associations LGBTIQ+ se battent au quotidien.

Arrêt des mutilations sur les personnes intersexuées, changement de la mention du sexe et du prénom libre et gratuit à l’état civil sur simple déclaration en mairie (sans expertises et sans stérilisations forcées), éducation populaire à l’égalité et la diversité des sexes, identités de genre et relations amoureuses dès l’école, accord systématique du droit d’asile aux personnes LGBTI migrant-e-s fuyant leur pays à raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou encore campagnes régulières et adaptées sur les différents moyens de prévention des IST en direction des populations LGBTI… la liste est longue tant les inégalités et discriminations sont nombreuses. 

Si aucune hiérarchie n’est établie au sein des revendications, cette journée des Fiertés met en lumière chaque année un sujet sur lequel il y a particulièrement urgence. Ainsi, en juin, les différentes Marches ont scandé haut et fort le droit à la PMA pour tou-te-s en clamant à l’unisson : « PMA, on veut une loi, on veut des droits ! » ou encore « Mon papa est pour la PMA et ma maman, elle veut des petits-enfants ! ». 

PAS HOMOPHOBE MAIS…

Un sujet qui fait consensus auprès de la population, excepté pour une minorité qui s’oppose farouchement à une évolution qui ne devrait pas faire débat. « Ce soir, au conseil municipal de Rennes, je fais partie des élus qui refusent de voter l'une des deux subventions destinées au centre LGBT de Rennes, à savoir celle fléchée pour l'organisation de la marche des fiertés 2018. Cette édition a en effet été l'occasion de mettre en avant, dans les discours et les banderoles officielles, la revendication spécifique de l'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de même sexe. 

La lutte contre les discriminations, et notamment les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle, est un objectif louable qui fait consensus. Ce n'est pas le cas de l'extension de la PMA. Je ne pense pas que les impôts des Rennais aient vocation à financer une manifestation en ce sens. Je le réaffirme ici : je suis opposé à l'extension de la PMA aux couples de même sexe. Cautionner une mesure qui aurait pour conséquence de priver de père des enfants à venir, non pas du fait d’un quelconque accident de la vie, mais par un choix volontaire effectué sciemment, voilà l'obscurantisme. », écrit le conseiller municipal du groupe Rennes Alternance 2020, Gurval Guiguen sur sa page Facebook. Un commentaire terrifiant que l’on pourrait ajouter à la sordide catégorie « Je ne suis pas homophobe mais… / Je ne suis pas sexiste mais… ». 

Heureusement, le 16 juin, la Marche des Fiertés a réuni plus de 4500 personnes dans la capitale bretonne, là où les années précédentes en comptabilisaient environ 3000. Lors de la prise de parole, Selene Tonon, militante chevronnée du CGLBT, devenu Iskis (Queer en breton), envoie valdinguer ces idées reçues conservatrices en exigeant, à juste titre, que les populations LGBTI soient libres de maitriser leurs vies, de choisir leurs familles et que soient respecter toutes les familles, dans toutes leurs formes : « C’est le mot d’ordre sur les affiches. N’en déplaise à ceux qui ont milité contre nos droits ! » Après tout,« ce sont nos vies, nos amours, nos corps, nos identités et nos familles. »

RAPPEL DES FAITS

Le mariage pour tous figure en janvier 2012 parmi les engagements du candidat Hollande qui, une fois élu, concrétise par l’élaboration d’un projet de loi, porté par Christiane Taubira, alors Garde des Sceaux. Un projet de loi adopté par le Parlement le 23 avril 2013.

« Avec la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, la France est devenue le 9epays européen et le 14epays au monde à autoriser le mariage homosexuel. Cette loi a ouvert de nouveaux droits pour le mariage, l’adoption et la succession, au nom des principes d’égalité et de partage des libertés. », peut-on lire sur le site Gouvernement.fr. Une introduction suivie d’une citation de la ministre de la Justice de l’époque :

« Oui, c’est bien le mariage, avec toute sa charge symbolique et toutes ses règles d’ordre public, que le Gouvernement ouvre aux couples de même sexe, dans les mêmes conditions d’âge et de consentement de la part de chacun des conjoints, avec les mêmes interdits (…) avec les mêmes obligations pour chaque conjoint vis-à-vis l’un de l’autre, les mêmes devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents et des parents vis-à-vis de leurs enfants. Oui, c’est bien ce mariage que nous ouvrons aux couples de même sexe. »

En revanche, au nom de l’opposition réunie sous le drapeau de la manif pour tous - qui prend alors le monopole d’un non-débat et qui décomplexe majoritairement l’homophobie et la lesbophobie - on range au placard les prétendus « principes d’égalité et de partage des libertés. » D’un revers de la main, on balaie ce qui aurait dû découler de fait du mariage pour tous : la PMA pour tou-te-s et la filiation automatique, sans discrimination. 

QU’EST-CE QUI CLOCHE ? 

La technique de la PMA serait-elle différente selon que la femme est hétéro ou homo ? Non, bien évidemment que non et encore non. La problématique n’est donc pas médicale. Elle serait soi-disant éthique. D’où l’arrivée du sujet au sein des États généraux de la bioéthique, organisés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de janvier à avril 2018, en guise de phase préalable à la révision de la loi de bioéthique prévue pour la fin de l’année.

Pourquoi y intégrer l’ouverture de la PMA pour tou-te-s ? Et qu’attend-on puisque le candidat Macron en avril 2017 se disait « favorable à une loi qui ouvrira la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires » ? Un avis positif de la part de la CCNE ? C’est chose faite depuis bientôt un an. Le Comité juge que « L’ouverture de la PMA à des personnes sans stérilité pathologique peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles. »

Pourtant, depuis, aucun projet de loi n’a été déposé par le gouvernement en place. Au contraire, il semble même reculer ou au moins essayer de gagner du temps... Un temps qui laisse place aux LGBTIphobies dans toute leur ignominie. 

LE COLLECTIF, CONTRE L’HYPOCRISIE

C’est pourquoi en décembre 2017, à l’approche des Etats généraux, 5 associations LGBTI et/ou féministes – CGLBT Rennes, SOS Homophobie Bretagne, Commune Vision, Les Effronté-e-s Rennes et Le Planning Familial 35 – ont fondé le Collectif breton pour la PMA, « afin de se rassembler autour d’un avis commun, en local », souligne Véronique Madre, co-déléguée territoriale de SOS Homophobie Bretagne.

Ainsi, le Collectif a au fil des mois informé des actualités et des événements liés au Etats généraux et à la consultation du Comité, essayant de faire en sorte que les débats ne soient pas monopolisés par les opposant-e-s, organisé une manifestation le 21 avril pour revendiquer l’ouverture de la PMA pour tou-te-s (femmes lesbiennes, femmes célibataires, personnes trans, personnes non binaires) et s’est saisi de la fête des mères pour distribuer des cartes postales Faites des mères, envoyées également aux élu-e-s, députés, ministres et au Président de la République.

« J’aimerais être optimiste sur la future loi et le vote mais les signes montrent qu’il faut être prudent. Le résultat des Etats généraux fait craindre pour la suite, à cause de la mobilisation des opposant-e-s qui représentent pourtant qu’une minorité de la population, qui était la même à protester contre le mariage pour tous, l’ABCD de l’égalité, etc. mais qui est bruyante et fermée. Surtout que le gouvernement n’appuie pas totalement. Il se dit favorable dans son ensemble mais certains ministres s’affichent contre. », souligne Véronique Madre, mitigée face au rapport de synthèse publié début juin par le CCNE, qui rendra son avis complet et définitif à la rentrée.

A l’argument des « lois naturelles » visant à se baser uniquement sur le fait que pour procréer il faut l’accouplement d’un homme et d’une femme, s’oppose l’évolution des schémas familiaux, de plus en plus divers et réalistes. Contraindre les femmes lesbiennes à aller à l’étranger pour avoir le droit à la PMA puis à déposer une demande d’adoption – rendue possible uniquement si le couple est marié - auprès du Tribunal de Grande Instance – pour celle qui n’a pas porté physiquement l’enfant, définie comme la « mère sociale » – est hypocrite :

« Ce n’est pas une question d’éthique, c’est une question d’égalité. En quoi la société a son mot à dire sur nos vies ? En quoi la population devrait avoir une opinion sur les couples que l’on reconnaît ou pas, les familles que l’on reconnaît ou pas ? Les familles homoparentales existent déjà, c’est la réalité. Des études montrent que les enfants sont aussi heureux que dans des familles hétéros. C’est une hypocrisie de leur interdire l’accès à la PMA puis de reconnaître les familles, en autorisant les adoptions par les conjointes. Nous demandons l’ouverture de la PMA à toutes les personnes ayant un utérus, dans les mêmes conditions de couple et dans les mêmes conditions de remboursement. »

PARCOURS DES COMBATTANTES

Adeline et sa femme se sont rendues en Belgique, dans une clinique à Liège, pour avoir recours à la PMA et avoir leurs deux filles : « Ma compagne a porté la première et moi la deuxième. Ce sont globalement les mêmes procédures sauf que la deuxième fois nous n’avons pas eu l’entretien visant à expliquer notre projet. À la clinique, ils nous connaissaient déjà, on n’a pas refait le premier rendez-vous. »

Un premier rendez-vous suivi d’un délai légal de réflexion de deux mois. Puis vient le deuxième rendez-vous dédié aux examens médicaux. Jusque là, outre les déplacements à l’étranger, pas trop de difficultés. Les choses se compliquent lorsqu’il faut trouver un médecin qui accepte de suivre les couples lesbiens dans ce type de démarche.

« Ce n’est pas évident, certains disent non, il faut prendre le temps de trouver les bons médecins. Surtout que nous étions à Paris pour la première et que pour la deuxième nous avions déménagé en Bretagne, il fallait donc retrouver quelqu’un… Quelqu’un qui accepte de faire une prescription pour le traitement de stimulation ovarienne qui se fait par piqures. Certains médecins acceptent mais signalent « non remboursé » sur l’ordonnance. C’est une centaine d’euros, qu’il faut renouveler à chaque essai ! Et puis c’est important d’obtenir la compréhension médicale pour qu’on nous explique bien comment bien faire les piqures. Ce n’est pas très compliqué mais on le fait nous-mêmes et ce qui n’est pas évident, c’est que si on manque d’informations, on n’ose pas tellement demander par peur de la situation. », précise Adeline.

En parallèle, un donneur doit être choisi. Il peut être anonyme ou semi anonyme, signifiant que l’enfant pourra s’il le désire connaître l’identité du donneur, qui signe une convention pour renoncer à la reconnaissance de l’enfant. Les deux femmes ont fait ce choix-là : un donneur semi anonyme, dans une banque de sperme au Danemark. « On achète les paillettes (le terme utilisé pour le sperme) et la banque envoie directement à la clinique en Belgique. », souligne-t-elle.

Dernière étape avant de pouvoir réaliser l’insémination : trouver un laboratoire qui puisse définir un rendez-vous pour le matin d’une date précise – dépend évidemment du cycle - et qui accepte de donner les résultats avant midi pour les envoyer à la clinique, qui appelle ensuite les personnes :

« En fonction des ovocytes, ils te disent qu’il faut encore attendre un peu ou alors ils te disent de venir le lendemain pour procéder à l’insémination des paillettes dans l’utérus. C’est un-e gynéco qui le fait par cathéter, pas comme la PMA artisanale qui se fait avec une seringue… ça dure 10-15 minutes et puis on rentre à la maison. À partir de là, si ça fonctionne, la prise en charge de la grossesse se fait en France et là ce n’est plus du tout la même chose, on est cocoonées comme les autres, les infirmières et sages-femmes ne posent pas de questions intrusives, sont bienveillantes et sans jugement. » 

AVOIR UN « ENFANT LÉGITIME »

Malheureusement, le parcours de la combattante ne s’arrête pas à la naissance de l’enfant dont la filiation avec la mère sociale n’est pas automatique. Une demande d’adoption doit être déposée auprès du Tribunal de Grande Instance. Une demande qui ne peut se faire que si les femmes sont mariées.

« Quand j’ai fait mes enfants, je ne pouvais pas me marier en France. Maintenant, c’est devenu normal que les couples homos puissent se marier. Le problème, c’est que le mariage n’est pas un droit pour les lesbiennes, c’est un devoir. Nous sommes obligées de nous marier pour déposer un dossier d’adoption au tribunal. Tout le monde n’a pas envie de se marier ! »

s’insurge Céline Cester, présidente de l’association Les enfants d’arc-en-ciel, créée il y a 11 ans par un couple de femmes militant pour l’instauration du congé d’accueil de l’enfant, mis en place en 2012 pour le père ou la personne mariée à la mère biologique.

Pour Adeline, les 3 jours à la naissance et les 11 jours de congé ont été obtenus sans obstacle. Pas comme sa demande de congé parental à 80%, d’abord refusée par son employeur :

« Il m’a dit qu’il l’accorderait quand j’aurais reçu l’accord du tribunal pour l’adoption. Sauf que ça prend un an et demi – la durée du traitement des dossiers, comme la procédure de demande d’adoption (on peut par exemple être convoquées à la gendarmerie, au tribunal, pour une enquête de mœurs, une enquête sociale) dépend de chaque tribunal – et que la CAF donne l’allocation uniquement la première année de naissance de l’enfant. Je n’aurais donc pas pu l’obtenir si j’avais du attendre la décision du tribunal.

En fait, il jouait sur les termes de la loi qui sont assez flous et qui parlent des « enfants légitimes ». Mais c’est quoi un enfant légitime ? Bref, il a fini par accepter car on a réussi à faire valoir que l’adoption prend effet à la date du dépôt de la requête. Il a vraiment eu une posture discriminatoire ! Et surtout il m’a dit des choses ridicules disant que c’était comme donner un congé parental à une femme qui vit en colocation avec quelqu’un qui a des enfants… Ridicule ! »

Des situations complexes et douloureuses, il y en a un paquet à cause de la PMA non accessible aux couples lesbiens et de la non filiation automatique. Le blog de l’association Les enfants d’arc-en-ciel en témoigne, permettant ainsi de donner une visibilité à tous les parcours vécus et subis. 

SITUATIONS COMPLEXES ET DOULOUREUSES

« Le parcours de PMA est très lourd, y compris pour les hétéros. Mais pour les homos, il faut aller à l’étranger, sans pouvoir expliquer les raisons de son absence puisque c’est hors du cadre légal, il n’y a pas le droit aux congés médicaux. Sachant qu’en plus, on vous appelle un jour à 14h pour le lendemain 8h. C’est toute une organisation, selon là où on habite, c’est très compliqué. Et puis, il faut avoir les moyens financiers d’aller en Belgique ou en Espagne. Plusieurs fois. Surtout si ça ne marche pas au premier essai. Il y a aussi des différences de dosage pour le traitement entre la France et l’Espagne par exemple, ça peut créer des situations très difficiles. C’est compliqué au-delà des difficultés physiques et psychologiques de la PMA. », explique Céline Cester.

Des expériences dramatiques, on lui en a rendu compte à la pelle depuis 2 ans qu’elle est présidente de la structure. À cause du cadre légal qui aujourd’hui en France ne protège pas les liens familiaux en dehors de ceux du sang. En cas de séparation, lorsqu’elles ne sont pas mariées, les mères sociales n’ont pas de droits sur les enfants qu’elles pourront continuer à voir selon la volonté des mères biologiques.

« J’ai l’exemple d’une maman sociale de jumelles de 11 mois. Elle vient de se séparer de sa compagne qui ne veut plus lui laisser voir ses filles. Elle n’a pas de recours parce qu’elles n’étaient pas mariées, elle n’a donc pas pu adopter. Ce statut de hors-la-loi laisse des marques… », regrette Céline.

On sent dans les arguments adverses l’exigence de la famille parfaite. Parce qu’elles sont homosexuelles, elles devraient redoubler d’effort pour incarner cet idéal alors même que ce modèle hypocrite s’effondre depuis plusieurs décennies chez les hétéros. Obligation de se marier, obligation d’adopter l’enfant, obligation de s’aimer à vie…

« Ce n’est pas parce qu’on est homos qu’on est des couples parfaits. Ce n’est pas parce qu’on est homos qu’on doit s’aimer toute la vie ! Déjà quand tout se passe bien, cette sensation de manque de légitimité à fonder une famille laisse des traces alors vous imaginez quand ça se passe mal ?! », s’indigne la présidente.

Adeline pointe également l’appréhension de l’échec de l’insémination (sans parler des grossesses qui n’arriveront pas à terme, comme tel est le sujet de la bande-dessinée Écumes, d’Ingrid Chabbert et Carole Maurel). Ce qui a été son cas lors de son premier essai.

« C’est toute une organisation. Il y a les contraintes géographiques, financières, se rendre aux consultations, payer les soins non remboursés, le train, l’hôtel… Il faut s’absenter de son travail. Nous sommes toujours aller à 2 avec ma compagne donc il faut aussi que l’autre s’absente de son travail. Personnellement, je n’ai pas ressenti de découragement extrême mais c’était difficile. Je savais que j’avais l’énergie pour le faire mais je n’aurais peut-être pas tenu une 3e, 4e, 5etentative… Après, en Belgique, nous avons été très bien reçues. On avait préparé notre premier rendez-vous comme un entretien d’embauche et en fait nous avons simplement dit qu’on voulait fonder une famille. On nous répondu « Bienvenues ! ». C’est leur quotidien là-bas donc ça ne leur pose aucun souci. C’est très différent en France. », commente-t-elle. 

TRANSPARENCE ET ENTOURAGE

Au-delà de l’incompréhension face à la lâcheté politique et la souffrance endurée à cause de la contestation LGBTIphobe, elle s’inquiète de ce que peuvent entendre les enfants de familles homoparentales. Tout comme Céline Cester, Adeline prône la transparence, expliquant le schéma familial dès l’entrée à la crèche, aux adultes comme aux enfants :

« Et il n’y a aucun souci. Mais ça dépend toujours des gens sur qui on tombe. On doit encore un peu prouver qu’on est une famille « normale » alors qu’on ne devrait pas avoir à le faire, même si ce n’est pas une famille « normale » dans le sens où nous avons dû nous rendre à l’étranger pour la PMA et adopter nos enfants ensuite. Mais on sort, on se montre. »

Ne pas rester cachées. Ne pas rester isolées. Même si l’entourage est présent, Adeline et sa compagne se sont orientées vers l’association Les enfants d’arc-en-ciel pour obtenir des renseignements sur les démarches, les vécus et expériences, et pour partager des informations et des moments conviviaux. C’est là le cœur des actions de la structure : l’accompagnement des couples et des familles, l’accessibilité aux informations et le conseil adapté à chaque parcours.

« Lorsque l’on organise des rencontres – qui sont ouvertes à tout le monde – l’idée est de pouvoir échanger, dans un espace sécurisé et sans jugement, autour des situations et voir comment on peut les traiter. Et souvent, on se rend compte que tout n’est pas lié à l’homoparentalité. Loin de là. Ce sont des questions qui concernent le développement de l’enfant, la parentalité, etc. Ce sont des questions plus larges de société. », analyse Céline Cester qui prône la mise en avant des éléments positifs dans le débat public :

« Oui, c’est difficile. Oui, il y a des situations dramatiques. Oui, avec une loi, ça irait beaucoup mieux c’est vrai. Mais il faut aussi dire que nos enfants grandissent. Qu’ils grandissent bien, que ça va bien ! On vit des choses très positives avec nos familles. C’est important aussi de le voir sous cet angle-là. D’être maitre de sa vie et de ses choix. »

Dans toutes les paroles des concernées, que ce soit dans les discours militants, les débats, les témoignages ou sur le blog de l’association (qui a également un site fourni et complet en informations), il y a l’immense regret du manque de courage politique qui a autorisé un mariage au rabais, sacrifiant l’accès à la PMA et la reconnaissance de la filiation, « laissant ainsi des familles sur le bord du chemin » et menant dans certaines situations à des inséminations artisanales « non par choix mais bien par défaut ».

Mais il y a aussi et surtout une détermination à se battre jusqu’au bout pour faire reconnaître leurs droits. Leurs droits d’avoir des enfants si elles le désirent, quand elles le désirent et avec qui elles le désirent, de se marier uniquement par choix, d’être libres de vivre leurs vies et leurs désirs sans justification permanente. Comme le dit Adeline :

« Ça ne devrait pas être une question de chance de tomber sur les bonnes personnes, ça devrait juste être possible pour tout le monde ! »

Tab title: 
Un enfant, si je veux, quand je veux, AVEC QUI je veux !
Fonder une famille : Quand la société s’emmêle…
La PMA, pour qui, pour quoi ?

Célian Ramis

1939-1945 : Oui, il y avait des lesbiennes !

Posts section: 
Location: 
Champs Libres, Rennes
List image: 
Summary: 
Elles ont été oubliées de l’Histoire. Queer Code répertorie, sur Internet, un grand nombre des ressources culturelles, historiques ou sociologiques concernant les femmes qui aimaient les femmes et le site Constellations brisées propose des cartographies de leurs parcours.
Text: 

Déportées, résistantes ou collabos, lors de la Seconde guerre mondiale, elles étaient des femmes et aimaient les femmes. Pourtant, elles ont été oubliées de l’Histoire. Queer Code répertorie, sur Internet, un grand nombre des ressources culturelles, historiques ou sociologiques les concernant et le site Constellations brisées propose des cartographies de leurs parcours.

Le 18 avril dernier, des militantes rennaises et Queer Code se réunissaient autour d’un atelier « Nos histoires féministes et LGBTI sont numériques », aux Champs Libres. Rencontre avec Isabelle Sentis, membre de Queer Code et coordinatrice du projet Constellations brisées.

YEGG : Qu’est-ce que le projet Queer code ?

Isabelle Sentis : C’est un projet d’équipe créé il y a 3 ans, issu d’une association qui s’appelle Mémoires en chantier. L’idée, c’était de créer une plateforme numérique et des projets numériques pour faire connaître l’histoire des femmes et particulièrement des femmes qui ont aimé des femmes pendant la seconde guerre mondiale.

On a lancé la plateforme à l’occasion de l’anniversaire des 75 ans de la libération des camps de concentration. C’était en fait un temps qui était issu de tout un cheminement des unes et des autres de plusieurs années. Chacune et chacun, car il y a aussi des hommes avec nous, se sont mobilisé-e-s, à des périodes différentes.

Mais c’est issu d’une longue mobilisation pour certain-e-s. L’idée c’est justement de créer collectivement et d’apprendre collectivement. Par exemple, Lydie est ingénieure dans tout ce qui est sciences de l’information et de la documentation de l’informatique. Moi je n’y connais strictement rien à l’informatique.

Ça a permis à des personnes déjà mobilisées de rencontrer d’autres femmes qui venaient plutôt de pratiques numériques, notamment les jeunes femmes qui viennent de l’univers de la création des jeux vidéo. Queer Code, c’est vraiment pour se retrouver et permettre à d’autres personnes de nous rejoindre parce qu’on utilise les outils numériques.

Concernant le cheminement dont vous parlez, c’est parce que vous avez constaté l’absence des femmes, et notamment des lesbiennes, dans les parcours relatés dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale ?

Isabelle : L’Histoire est une construction sociale. Tout ce qui est mémoriel c’est la même chose, ce sont des combats pour que certains groupes accèdent à ce travail-là. Il y a toute une mobilisation de groupes LGBT, depuis plus de 20 ans, pour la reconnaissance de la déportation pour homosexualité. Masculine parce que les nazis ont pénalisé l’homosexualité masculine.

Les lesbiennes ont également été persécutées mais il n’y avait pas de législation à proprement parler parce que comme dans beaucoup de régimes oppressifs, on ne nommait pas pour ne que ça n’existe pas. Ça n’existe pas, on n’a donc pas besoin de faire une loi là dessus.

Mais elles ont été persécutées là où il y avait la législation nazie. Dans les pays occupés, dans les zones occupées. La France a eu des statuts différents selon les moments de la guerre, avec une législation différente. Donc il y a eu des persécutions différentes selon les moments de la guerre et selon les endroits.

C’est complexe. Parfois, des femmes ont fui en France ou des françaises ont fui dans d’autres pays. Des femmes sont aussi allées aider d’autres femmes et d’autres hommes dans d’autres pays. Comme c’est le cas pour des femmes suisses qui sont allées avec la Croix Rouge en Espagne pendant la Guerre Civile.

Il y a beaucoup, tout comme il y en a encore aujourd’hui, de mouvements de populations et de mouvements de personnes pour différentes raisons. D’autres n’accèdent pas toujours aux autres pays, les Etats-Unis avaient par exemple à un moment fermé leurs frontières.

Là on est en train de préparer la cartographie d’une jeune femme juive autrichienne qui a été déportée à Auschwitz parce qu’elle était juive mais elle était également lesbienne - elle n’aurait pas utilisé ce mot parce que ce n’était pas ce mot qu’on employait à l’époque mais en tout cas elle a aimé une jeune femme norvégienne - et elle attendait un visa pour l’Angleterre où une partie de sa famille avait réussi à s’échapper.

Voilà toute la complexité de l’attente comme des personnes en France ont attendu des visas pour les Etats-Unis, le Mexique, etc. Et qui ont été bloquées parce que sans visas. Certaines ont fui par d’autres chemins et se sont retrouvées bloquées parce que les frontières ont été fermées. Mais on peut encore trouver ça de nos jours…

Il y avait plusieurs enjeux par rapport à Queer Code : montrer que oui il y a des travaux d’historien-ne-s mais aussi de citoyen-ne-s pour faire connaître ces parcours de vie. Le numérique est un espace de combat pour y être visible. Il y a beaucoup de négationnistes, de racistes, d’homophobes, présents sur ces espaces.

L’idée c’est d’être présent dans un espace pour montrer cette histoire et pour montrer surtout qu’on est capables de la partager et de réfléchir ensemble. Si on reprend des slogans féministes des années 70 il y avait vraiment le fait que la construction des femmes, et des hommes bien sûr, c’est un fait social, un fait culturel, qui ne se fait pas tout seul.

Il faut se mobiliser. Tout le monde peut y contribuer. L’idée, c’est ça : ne pas hiérarchiser les savoirs mais les faire dialoguer et aussi bien valoriser les articles d’historiennes que des personnes comme récemment des jeunes qui ont écrit une pièce de théâtre, que de militantes qui aident des familles à transmettre leur histoire.

Montrer que toutes ces démarches, tous ces savoirs sont importants. Et qu’on peut tou-te-s apprendre, c’est ça qui est passionnant, autant les technologies numériques que d’autres techniques. Lydie fait beaucoup de traduction pour nous, de l’anglais vers le français ou du français vers l’anglais. Elle fait aussi une veille qui est très précieuse.

Ce qui est passionnant avec les savoirs c’est que tout bouge très vite, notamment dans cette ère du numérique. On peut avoir l’impression que l’Histoire, ça va lentement et en fait on se rend compte que c’est étonnant. Il y a par exemple des féministes américaines qui étudient les mouvements féministes français.

Si on ne vérifie pas ce qui se passe dans les universités américaines, on peut passer à côté car ils ne vont pas être traduits en français, on ne va pas les voir dans nos librairies. Montrer que c’est en constant mouvement et qu’il y a des enjeux différents dans la mobilisation selon les générations.

Pour notre génération (quadras), ce travail de revendication de la Seconde guerre mondiale en tant que lesbiennes, c’est constructif, c’est un vrai combat. Pour des jeunes femmes comme Emilie, avec nous dans l’équipe, qui sont jeunes, qui ont une vingtaine d’années, c’est complètement une autre histoire de construction identitaire parce que pour elle en fait c’est quelque chose qui est déjà acté donc ce n’est pas la même histoire.

C’est intéressant de voir comment les générations ont des histoires différentes, d’autres cheminements. Passionnant ce dialogue intergénérationnel. Montrer que c’est un travail de médiation sur ce qui existe comme savoirs et de reconstruction de nouveaux savoirs.

Est-ce que ce qui lie les générations entre elles, c’est qu’aujourd’hui encore les femmes lesbiennes sont invisibilisées, tout comme le sont encore les personnes racisées ? Parce qu’on voit bien que Queer Code rassemble un grand nombre de ressources, ce n’est donc pas qu’il n’y a rien sur ce sujet mais plutôt que leur diffusion ne se fait pas comme elle devrait…

Isabelle : C’est passionnant tout ça et un jour on fera nos propres constellations, nos propres parcours, de comment on a eu l’information. Comment on a eu telles ressources, comment telle personne a cheminé, a réfléchi aux enjeux. Ce qui est sûr, c’est que les manières de transmettre et d’accéder aux informations selon les générations sont différentes.

Et puis ce qui est intéressant, c’est d’essayer de partager ça - et pas que sur la Seconde guerre mondiale - pour se rendre compte que tout est en perpétuel mouvement. J’ai 43 ans, il faut aussi que je me mobilise, rien n’est acquis, que ce soit sur la santé de mon corps, sur les droits, on voit que tout est en évolution, que des choses s’améliorent, qu’il y a de nouvelles avancées scientifiques. C’est aussi un mécanisme.

Lydie (membre de Queer Code) : c’est compliqué de se servir de l’expérience des anciennes, c’est compliqué de transmettre, nous, nous sommes la génération entre les deux. C’est un vrai travail.

Isabelle : On peut transmettre à des femmes de 70 ans, des femmes plus jeunes peuvent nous transmettre à nous. On montre que ça part dans tous les sens, on essaye d’apprendre à travers ces expériences, d’apprendre de nous-mêmes, avec les autres. S’autoriser à apprendre autrement, à essayer, on peut se tromper. C’est un dialogue parfois étonnant. On ne répond pas du tout à votre question.

Comment est reçu Queer Code ? Essayez-vous d’aller vers un public moins sensibilisé à ces thématiques-là pour que le grand public se rende compte que des femmes lesbiennes ont été déportées, ont été dans la résistance ou ont collaboré ?

Isabelle : C’est très complexe parce que nous on va mettre des mots alors que la personne aura vécu quelque chose de différent. On essaye de ne pas être dans le jugement mais on est des êtres humains donc on s’identifie à telle ou telle figure. Faut bien montrer toute la complexité de ces histoires-là en particulier.

Oui, on essaye de toucher un large public. Comme aujourd’hui, en venant aux Champs Libres pour le rendez-vous des 4C. Et puis passer par le numérique nous permet d’atteindre des groupes qui vont être intéressés par notre démarche numérique mais pas forcément par notre démarche féministe et lesbienne.

Bien sûr ils vont être intéressés sinon ils ne viendraient pas du tout mais l’accroche va porter plutôt sur le côté technique. L’idée c’est de toucher de plus en plus de musées pour qu’ils s’essayent à cette médiation numérique.

Il y a encore des tabous, donc on va venir par notre côté médiation numérique pour parler du fond ensuite : des femmes qui aiment des femmes. Ça nous permet de laisser ouvert, avec plein de façons de venir à nous et de dialoguer avec nous.

Heureusement, les choses vont de mieux en mieux dans le dialogue entre les associations d’anciens déportés, les structures mémorielles, il y a quand même une grosse évolution vers un dialogue.

Lydie : Dans mon milieu professionnel, je le montre à des collègues en leur disant d’aller voir et de me dire ce qu’ils-elles en pensent. Mine de rien, ils/elles regardent un peu techniquement mais ils/elles voient le fond, qu’ils/elles ne seraient pas forcément allés chercher d’eux/elles-mêmes. Pas par hostilité mais parce que ce n’est pas leur centre d’intérêt. C’est rigolo d’amener comme ça différentes personnes à différentes choses.

Isabelle : On apprend beaucoup. On revient d’Angleterre, où il y a un vrai travail fait par les associations LGBT pour aller vers les professeurs, pour leur amener du matériel pédagogique pour leurs cours, pas que d’Histoire mais aussi de toutes les disciplines scolaires. On apprend beaucoup de leur façon de travailler, de collaborer.

Peut-être qu’un jour il y aura tout ce travail, qui permettra tous ces apports pédagogiques, les passerelles se font petit à petit. Le numérique va nous permettre ça. Une façon de les amener à inclure petit à petit. On s’auto-censure tous beaucoup.

Là on va faire une cartographie de Marguerite Chabiron, une pharmacienne qui a été déportée pour actes de résistance, qui a aidé des résistantes dont une qu’elle connaissait parce qu’elle était lesbienne. Elles ont été arrêtées à Bordeaux, puis ont été à la prison de Rennes puis déportées à Ravensbruck.

Et c’est un monsieur qui a maintenant plus de 75 ans qui transmet son histoire, qui a écrit un livre numérique. On lui a écrit en lui disant qu’on allait faire une cartographie, il était tout content, tout ému. Il a trouvé formidable Queer Code, il nous a donné l’autorisation d’utiliser des extraits du journal de sa tante.

C’est vraiment un dialogue avec des personnes qui elles-mêmes ont cherché à transmettre leur histoire par le numérique. Le numérique, c’est de l’auto-édition. Et ces personnes sont ravies. Maintenant, on va aider ce monsieur à transmettre l’archive réelle. Avec lui, en dialoguant aussi avec des chercheuses, des archivistes.

On apprend avec lui, en même temps que lui, à transmettre cet objet, ce journal intime. C’est une belle histoire et je pense qu’il y a de plus en plus de personnes qui ont cette envie-là. Des fois il y a de la pudeur, des temporalités, ça on s’en rend bien compte, des temporalités.

Notamment les femmes et particulièrement les lesbiennes, les personnes minorisées et racisées, ce sont des temporalités différentes. Ça arrive, c’est une patience, une patience active.

Qu’est-ce qui vous a amené à mettre Thérèse Pierre en première dans les Constellations brisées ?

Isabelle : Ça fait une dizaine d’années qu’on chemine avec son histoire. On a découvert, il y a une dizaine d’années, le documentaire fait par Robin Hunzinger. On a été très très touchées. C’était la première fois qu’il y avait un documentaire qui évoquait le destin de deux femmes qui s’étaient aimées dans les années 30.

On a écrit au réalisateur pour le remercier et il nous a mis en contact avec sa maman qui était en train d’écrire un livre et on a dialogué avec elle par internet. Le numérique, on voit que ça facilite, ça accélère les choses.

On a échangé avec Claudie Hunzinger, on s’est retrouvé-e-s à l’accompagner dans la recherche d’un éditeur, dans comment dire les choses. On aurait aimé que son texte s’accompagne d’une préface d’une historienne peut-être. Mais elle, elle avait vraiment envie de faire une œuvre littéraire, ce que l’on comprend.

Lydie : Passer par le biais de la fiction permet - pour ceux qui n’ont pas envie d’entendre dans la famille - de se dire que ce n’est pas vrai puisque c’est une fiction.

Isabelle : On est pour que chacun-e s’exprime comme elle/il le souhaite. Robin a fait un documentaire, sa mère une fiction et puis nous on fait un site Internet, des quizz numériques. Chacun-e sa manière de faire.

On est venues aux Champs Libres faire des recherches sur Thérèse Pierre et on a cheminé. On est allées à Fougères, aux archives municipales, aux Champs Libres. Puis après on a fait Queer Code, la plateforme et on s’est dit qu’on allait faire des cartographies, parce que c’est une autre manière de visualiser les parcours, en étant ludiques, une manière de se situer dans des territoires, de se situer dans une démarche de plus en plus citoyenne.

On a tout de suite penser à elle parce qu’on a un chemin tout particulier avec elle, dans une région que nous aimons beaucoup (la Bretagne). Et pour plein de raisons ! Moi, je l’aime dans ces idées politiques, dans son engagement, elle me touche particulièrement. On a tou-te-s des personnes qui nous touchent plus ou moins.

Après, on ne s’est pas arrêté-e-s à Thérèse Pierre dans nos recherches. Mais j’ai trouvé effectivement la personne que je voulais avoir dans mon Panthéon féministe à moi. J’aurais pu m’arrêter là mais c’est intéressant de montrer la diversité.

Marguerite Chabiron c’est une autre classe sociale, un autre parcours de vie et elle est tout aussi passionnante, on apprend d’elle comme de Ruth Meyer, une jeune fille qui va être déportée dans la vingtaine d’années. C’est un autre moment de vie.

Thérèse Pierre forcément à un moment j’avais quasiment le même âge qu’elle. C’était très marquant. On doit un peu se bagarrer aussi avec des arguments qui ne sont pas bons. On va nous dire « les femmes n’ont pas été cheffes de réseau », bah voilà là on a une cheffe de réseau, « les femmes n’ont pas porté des armes », si.

On essaye de ne pas être là-dedans car notre idée est de montrer que tout est résistance. Qu’on soit une jeune fille juive et qu’on commence à être dans le désir d’une autre femme, c’est une résistance. Au patriarcat, à l’hétéronormativité.

Etre une femme prostituée pour différentes raisons et qui se bat pour pouvoir vivre ses amours lesbiens, c’est aussi de la résistance. Des jeunes filles qui vont aller dans tel cabaret pour rencontrer d’autres femmes, c’est de la résistance.

Etre une cheffe de réseau, bien sûr c’est de la résistance. L’idée n’est pas de hiérarchiser. Ce qui a été le cas par certains hommes qui ont hiérarchisé certains faits de résistance. On essaie de ne pas être là-dedans justement. Ne pas hiérarchiser non plus l’horreur.

Thérèse Pierre nous touche particulièrement parce qu’elle a été exemplaire dans toute la complexité de la vie, dans toute la complexité de ce qu’elle était. Ce qui est intéressant par le travail de Robin, le travail de Claudie et notre travail, parce que c’est quelqu’un qui a été célébrée à Fougères, et que c’est aussi toute la dimension de ce qu’elle était, et je crois que c’est important.

Il y a une école qui porte son nom, et c’est important que les enfants, quels qu’ils soient, pas seulement les homosexuels, pas forcément les filles, mais que l’on puisse appréhender le fait qu’elle avait une identité complexe, comme toute personne. Avec effectivement une orientation sexuelle, avec une histoire de vie.

Elle n’était pas bretonne mais elle a fait beaucoup de choses pour la Bretagne, avec des bretons et des bretonnes. Elle venait d’ailleurs mais c’est passionnant. Elle était admirée et chérie. Des personnes chérissent son souvenir. On a été en correspondance avec une dame qui a travaillé dans son réseau et qui à la fin de la guerre a beaucoup œuvré pour transmettre l’histoire de Thérèse Pierre.

Ce sont des témoignages très émouvants. En étant là à toutes les journées du souvenir, en faisant des discours, en transmettant à sa façon dans sa commune. Et nous, nous faisons autrement, à 1000 kms de là, on a pu dialoguer avec différentes générations et différents points de vue. C’est là aussi l’intérêt. C’est très riche.

Car on rencontre des personnes que l’on n’aurait jamais rencontrées autrement, ni dans nos entourages professionnels, ou dans nos familles ou nos familles de cœur. Ça met aussi d’avoir un autre lien avec la Bretagne, parce qu’il y a plein de choses qui nous touchent dans l’histoire et la culture bretonne et là ça nous relie aussi.

Sur le dialogue avec les générations et avec la Bretagne, comment avez-vous établi les échanges avec les militantes féministes et LGBTI de Rennes ?

Isabelle : Il y a différents réseaux. Il y a des militantes des droits des femmes que l’on connaît via nos engagements féministes, notamment via le Planning Familial, par aussi des personnes que l’on a pu rencontrer via les archives féministes, parce que nous sommes allées plusieurs fois à des colloques à Angers et on a rencontré des militantes rennaises là-bas.

En allant aussi faire des recherches à Nantes, en étant dans d’autres combats pour les personnes LGBT, on a rencontré des Rennais et des Rennaises. Et puis en cherchant ce que l’on fait d’autres, apprendre et s’inspirer d’autres, c’est vraiment notre démarche donc là on va rencontrer pour la première fois tout à l’heure Anne-Lise et Lou qui font un travail de cartographie.

On avait vraiment envie d’apprendre avec les Rennais et les Rennaises notamment via ce rendez-vous des 4C, qui est vraiment une démarche passionnante. Dans notre état d’esprit. Et puis on va rencontrer d’autres personnes que l’on ne connaît pas et c’est ça qui est intéressant. Le numérique, c’est bien, ça nous permet d’être en contact mais c’est bien d’avoir des temps de rencontre.

L’idée c’est de s’inspirer, de découvrir les centres d’intérêts des un-e-s et des autres, les projets. Et évoquer Thérèse Pierre, parce qu’on y tenait. À 15 jours de la journée du souvenir des victimes et des héros/héroïnes de la déportation, on voulait particulièrement avoir un moment symbolique pour toutes les femmes qui sont parties de la prison Jacques Cartier à Rennes pour la déportation, quels que soient leur statut.

Et celles aussi qui ne sont pas parties, parce que Thérèse Pierre, elle, est morte ici, à Rennes. Elle aurait été éventuellement soit fusillée, soit déportée mais bon son destin s’arrêtait là. Il était brisé pour une partie parce qu’il faut voir l’espoir qu’elle nous transmet. D’espoir et de mobilisation. De voir que dans les heures les plus sombres, il y a toujours de l’espoir et des choix.

Car elle a aussi fait des choix, pour les personnes de Fougères, pour les personnes qui étaient sous ses ordres. Pour ses idéaux. C’est porteur d’espoir même si c’est douloureux. Montrer aussi que les engagements sont importants. C’est ça que l’on veut faire passer je crois.

Souvent, on a l’impression qu’on ne peut rien faire. C’est ça que l’on veut démontrer, en apprenant ensemble à Queer Code, c’est montrer que l’on peut agir. On montre qu’il y a des choses, concernant l’histoire des femmes, l’histoire des lesbiennes, et que l’on peut faire des choses.

Chacun-e a sa façon, avec ses moyens tout est possible et c’est ça qui est passionnant. Toutes les mobilisations sont possibles et sont importantes.

 

Pages