Célian Ramis

L'émotion vive, au coeur du duo Géraldine Nakache et Leïla Bekhti

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Après "Tout ce qui brille" et "Nous York", le duo Géraldine Nakache et Leïla Bekhti se reforme à l’écran dans "J’irai où tu iras", présenté le 20 septembre dernier en avant-première au CGR de La Mezière.
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Après Tout ce qui brille et Nous York, le duo Géraldine Nakache et Leïla Bekhti se reforme à l’écran dans J’irai où tu iras. Le premier film complètement en solo, au scénario comme à la réalisation, de Géraldine Nakache était présenté vendredi 20 septembre en avant-première au CGR de La Mezière.

Vali est chanteuse dans les mariages, Mina est art thérapeute dans une clinique. Entre les deux sœurs, la communication est rompue depuis longtemps. Pourtant, contraintes par leur père, elles vont devoir se côtoyer le temps d’un week-end particulier, puisque Mina va accompagner Vali à la dernière étape des auditions pour être choriste de Céline Dion.

Dans J’irai où tu iras, on retrouve tous les thèmes chers au cinéma de Géraldine Nakache : les relations, la famille, les non dits, la quête de soi et bien évidemment la chanson francophone. Et pour traiter de ces sujets, c’est la comédie qu’elle choisit : « Ce n’est pas possible de faire autre chose. La comédie, c’est un bouclier que j’ai aussi dans la vie. C’est inhérent à ma personnalité. »

Malgré le postulat de départ qui nous laisse imaginer un humour parodique, la réalisatrice – qui affirme être réellement fan de Céline Dion - accentue la portée dramatique de son propos. Plus épuré au niveau des personnages que dans Tout ce qui brille et Nous York, basés sur des bandes d’ami-e-s, le film se concentre sur un nombre plus restreint de personnalités que Géraldine Nakache peut davantage amplifier et complexifier, rendant centraux les silences et les non-dits. 

« On n’est jamais tout noir ou tout blanc. Ce sont les gris qui sont intéressants. », souligne Leïla Bekhti, sa complice de longue date. Dans le long-métrage, l’entente est bancale, toujours sur le fil du rasoir. La relation étant brouillée par les incompréhensions. Les deux sœurs n’arrivent plus à se parler, n’arrivent plus à se comprendre. Elles se jaugent, se tournent autour, se taclent. Elles dérivent, emportées par des courants contraires.

Comme dans l’excellent Larguées d’Héloïse Lang, le film se base sur des personnalités opposées pour faire éclater la problématique centrale. Le jeu est dangereux car il est facile de basculer dans les chamailleries de gamines et de tomber dans un registre effarant de lourdeurs. Et pourtant, Géraldine Nakache maintient jusqu’au bout, malgré quelques drôles revirements de situation, la tension et les rancœurs entre les sœurs : 

« Le problème, c’est qu’elles se regardent trop l’une l’autre. Qu’elles commentent trop la vie de l’autre. Finalement, elles sont exactement au même endroit. Mais évidemment, il n’y a pas que du jugement, sinon ça ne pourrait pas marcher. »

Leïla Bekhti non plus ne défend pas son personnage, sans pour autant la juger : « Dans mon métier, je vis des vies de gens que je ne serais peut-être jamais. Le cinéma m’éduque, comme mes parents m’ont éduquée et que je me suis éduquée. Mes personnages, comme Mina, je ne sais si je les comprends mais en tout cas, je ne les juge pas. J’ai envie de les aimer pour certaines choses et de moins les aimer pour d’autres. Pour Mina, la seule chose, c’est que je n’ai pas voulu lui donner de circonstances atténuantes. Je n’aurais pas trouvé ça intelligent. »

Si l’histoire n’a rien de révolutionnaire, on apprécie tout de même la manière dont le duo la porte et l’investit avec cette émotion vive souvent sur le fil du rasoir, invitant à se joindre à elles, entre autre, Patrick Timsit dans le rôle du père un brin envahissant et surprotecteur, et Pascale Arbillot, en mère de substitution le temps de quelques heures et de quelques moments expressément voulus gênants et touchants.

Drôles et percutants, les dialogues apportent de la fraicheur et du rythme à cette histoire de famille qui pourrait être celle de milliers de gens. Géraldine Nakache nous surprend de par les subtilités du langage non verbal, qui dévoilent l’étendue de son talent d’actrice - même s’il n’est plus à démontrer, à l’instar d’une Leïla Bekhti à l’interprétation intense et toujours plus captivante de film en film.

« Les rôles de Mina et Vali sont aux antipodes de ce que l’on est dans la vie avec Géraldine. », précise Leïla Bekhti, qui incarne ici Mina, une jeune femme distante et rapidement irritée par le caractère de sa sœur, déterminée à être choriste derrière Céline Dion : « Le parallèle avec la chanteuse, il n’est pas gratuit dans le film. Il y a une similitude entre Vali qui donne tout lorsqu’elle chante dans les mariages et Céline qui donne tout en concert tous les soirs à Végas. »

Il y a la lumière qu’on nous offre et la lumière qu’on s’offre. Les moyens qu’on trouve pour se protéger. Les moyens pour communiquer. Les solitudes à combler. « Vali et Mina ne savent pas dire les choses mais elles peuvent s’entendre à un endroit, il faut juste le trouver. », commente Géraldine Nakache. 

La réalisatrice, dans ce nouveau film, donne une place prépondérante aux personnages féminins. Un élément que Leïla Bekhti n’a pas oublié de remarquer : « Quand j’ai lu le scénario, je me suis fait la réflexion qu’en général, quand il y a une histoire sur des femmes qui ne s’entendent pas, la cause est toujours liée à un homme. J’ai trouvé ça très judicieux que ce ne soit pas un homme qui les sépare. »

Si certains personnages secondaires peuvent être un peu caricaturaux pour les besoins de la comédie, Géraldine Nakache nous embarque dans une tranche de vie familiale rafraichissante, qui nous incite à creuser au-delà des apparences. Un bon moment.

Célian Ramis

"Mais vous êtes fous ?", un thriller intime sans jugement néfaste

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Audrey Diwan passe derrière la caméra à la réalisation de son premier long-métrage "Mais vous êtes fous ?". Le 26 mars, elle était au cinéma Gaumont, pour le présenter en avant-première, accompagnée de Céline Sallette.
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Audrey Diwan, la scénariste de La FrenchAmi Ami et HHhH passe derrière la caméra à la réalisation de son premier long-métrage Mais vous êtes fous ?. Le 26 mars, elle était à Rennes, au cinéma Gaumont, pour le présenter en avant-première, accompagnée de l’actrice principale Céline Sallette. 

Le film pose la question de la confiance, « ce qui sous-tend la question de tous les couples », souligne Audrey Diwan. Ici, elle met en scène Roman (Pio Marmaï) et Camille (Céline Sallette), en couple depuis plusieurs années et parents de deux petites filles. Seulement, son quotidien à lui ne ressemble pas tout à fait à ce que sa famille imagine. Addict à la cocaïne, il va mettre en péril l’équilibre familial. 

Plusieurs années en arrière, la réalisatrice lit dans le journal quelques lignes d’un article intitulé « Un couple parisien drogue ses enfants ». Quelques jours plus tard, elle rencontre l’amie d’une amie qui en regardant ses enfants à elle lui dit : « Tu as de la chance de les avoir toi. »

« On venait de lui retirer ses deux enfants, elle était en état de sidération totale. Elle-même était soupçonnée. Ça m’a interpelée, son état de sidération, la manière dont elle parlait de l’histoire et l’envie malgré tout de comprendre son mari. C’est l’alliage de tout ça qui m’a donné envie de l’adapter au cinéma. », souligne Audrey Diwan. 

DÉVELOPPER LE TRHILLER INTIME

Parce que Roman contamine sa famille, une enquête policière est lancée et les deux filles sont placées chez leurs grands-parents le temps de définir si la contamination était volontaire ou non. Audrey Diwan nous plonge donc au cœur de l’intimité d’un couple, d’une famille et en même temps d’un thriller haletant. Un thriller intime, comme elle le définit.

« Tous les détails prennent une dimension énorme, il y a du double sens dans tout », précise-t-elle. Séparation conjugale, séparation familiale, séparation du secret. Manque du psychotrope, manque affectif. « Ça parle du poison qui finit par agir. Le poison du secret qui finit par se distiller partout et pourrit la relation intime. », ajoute Céline Sallette, dont le jeu est une fois encore d’une justesse et d’une intensité à couper le souffle.

Face à ce couple, pas de jugement de la part de la réalisatrice : « Je n’aime pas le cinéma moral. Je veux que le film pose des questions, amène un chemin de compréhension mais surtout pas qu’il soit jugeant ou qu’il explique au spectateur ce qu’il doit comprendre. C’est au contraire super de voir que chacun-e y voit, y comprend, ce qu’il/elle veut. »

LOIN DE LA CARICATURE

Avant de réaliser le film, Audrey Diwan a repris contact avec la femme qu’elle avait rencontré, qui lui avait raconté une partie de son histoire, afin de lui proposer de participer au scénario. Proposition qu’elle a accepté à condition que le père de ses enfants puisse également y prendre part.

« Ils l’ont donc fait ensemble. Moi, ce qui m’intéressait, même si j’ai apporté de la fiction dans l’histoire, c’était de recueillir la parole exacte. Mon côté journaliste… », souligne la réalisatrice, qui a exercé le métier de journaliste plusieurs années durant, co-fondant le magazine gratuit Stylist

Ainsi, elle peut présenter au public une vision non manichéenne de cette histoire vraie, adaptée pour le cinéma, et non simpliste. Avec un homme bien sous tout rapport, enfermé dans son mensonge, qui n’apportera aucune explication sur son addiction à la cocaïne et fera tout pour s’en sortir seul. Et une femme droite dans ses bottes qui va entrer dans le mensonge sans vraiment le vouloir, sans se considérer comme une victime.

« Elle rentre dans le mensonge, déjà parce que pendant toutes ces années, elle n’a rien vu. Mais n’a-t-elle vraiment rien vu ou préfère-t-elle ne rien voir ? Il y a peut-être eu des gestes, des attitudes, de manque ou de moments sous drogue qu’elle a vu mais qu’elle a choisi d’interpréter différemment. Et ce qu’elle va découvrir, c’est une forme de vérité mais pas forcément toute la vérité. Elle croit que ça va s’arrêter rapidement donc elle le défend mais en fait elle est dépassée. Ça se sédimente en elle. », explique Céline Sallette. 

La confiance est rompue. Mais l’amour est toujours là. Une fois l’affaire judiciaire derrière eux, comment faire pour se retrouver et avancer à nouveau ensemble ? « On est dans le même décor, la même familiarité mais l’intime a changé, les sentiments ont changé. Il y a quelque chose d’irrémédiablement différent. », livre la réalisatrice qui s’est indéniablement profondément liée à l’histoire de ce couple : 

« Après ma rencontre avec cette femme, l’histoire a continué de résonner en moi pendant plusieurs années. C’est devenu une nécessité pour moi d’en faire un film. La question du couple, de la confiance, ça résonnait en moi. Je voulais pouvoir en faire une lecture personnelle. »

TRANSCENDER LE PERSONNAGE

Elle connaît Céline Sallette depuis 10 ans. Parce qu’elle l’a interviewée dans sa vie de journaliste. Et que l’interview est devenue une discussion. La discussion, une amitié. Connaissant son talent, Audrey Diwan écrit le rôle sur mesure pour elle. Parce qu’elle sait qu’elle est capable de tout. Que quand elle joue, elle n’est pas dans la peau du personnage, elle est le personnage et cette aliénation totale finit par transcender le personnage.

Elle crève l’écran. Dès qu’elle apparaît, on ne lâche pas du regard. Son regard, intense et subtil, renforce chaque détail et accompagne ses partenaires de jeu : « C’est un voyage intérieur, le jeu de l’acteur. Le public aussi vit un voyage intérieur en regardant un film mais l’acteur le fait plus en conscience, dans un cadre professionnel, ça reste un métier. Mais oui, on marche sur un fil quand on joue. Un peu en dehors de la réalité, comme dans un rêve. On peut comparer ça à la jouissance. Quand on jouit, on est dans une sorte de transe. »

Ce qu’elle aime dans le scénario, c’est la question de la dépendance multiple : « C’est 90% de l’humanité ! Des dépendances, il y en a des milliers. L’âme humaine est faite de ça. » Et Audrey Diwan, dans Mais vous êtes fous ?,manie en toute intelligence et avec talent le scénario, le rythme et les doubles, voire triples, interprétations possibles dans chaque situation, renforcées par le jeu impeccable des acteurs dont les intentions décuplent les émotions que se prennent en pleine tronche le spectateur. 

Au cinéma le 24 avril 2019.

Célian Ramis

Mardi noir, la part claire de la psychanalyse ?!

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Repérée par les éditions Payot, Emmanuelle Laurent, alias Mardi noir, a publié en septembre dernier son livre Comme psy comme ça et à cette occasion passait en terre bretonne, le 8 novembre, à l’espace Ouest France, à Rennes.
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Emmanuelle Laurent, c’est un nom trop banal se dit celle qui le porte au quotidien. En parallèle, elle devient alors Mardi noir et lance sa chaine YouTube « Psychanalyse Toi La Face », dans laquelle elle mêle maquillage, anecdotes personnelles et concepts psy. Repérée par les éditions Payot, elle a publié en septembre dernier son livre Comme psy comme ça et à cette occasion passait en terre bretonne, le 8 novembre, à l’espace Ouest France, à Rennes. 

Son pseudo, elle le doit à la référence au krach boursier de 1929 « mais comme le jeudi était déjà pris, j’ai mis mardi ». Son concept, elle le doit à sa volonté de se mettre en scène sur YouTube, comme toutes celles qui proposent des tutos mode et beauté. 

« Il fallait un sujet. Je n’avais pas réalisé au départ que je parlais tout le temps de psychanalyse dans ma vie. J’en ai fait mes études, mes conversations, etc. Et puis en fait, les concepts m’ont tellement fait plaisir quand je les ai compris que j’avais envie de partager cette jubilation ! »
explique Mardi noir, le soir du 8 novembre, à l’espace Ouest France. 

YOUTUBE & LA PSYCHANALYSE

En 2015, elle rejoint la grande communauté des Youtubeurs et Youtubeuses mais marque vite sa différence. En effet, si Freud et Lacan auraient de quoi bien se triturer les neurones avec certaines chaines YouTube, Emmanuelle Laurent, elle, les invite carrément à tailler le bout de gras avec elle.

Sans canapé, sans lunettes sur le bout du nez, honoraires hors de prix… Sans clichés. Pas question ici pour elle de remplacer le psychanalyste. Mais plutôt d’en dépoussiérer certains concepts. En suivant la méthode clinique – de l’anecdote à la théorie – elle vulgarise la discipline qui s’applique à chacun-e, au quotidien, dans la construction sociale, le rapport aux autres.

LA NORME & LE PARADOXE

Et surtout, aborde la question de la norme. Celle qui paradoxalement l’attire beaucoup. « Le pseudo Mardi noir, c’est aussi un moyen de mettre de la distance. C’est mon côté punk qui ressort ! Même si je suis parfois rattrapée par le moule social (..) Il y a quelque chose avec la norme qui m’attire énormément et en même temps qui m’angoisse. Oui je rêve du petit pavillon, du chien, de l’amoureux… On prendrait le petit-déjeuner, on ferait l’amour sauvagement mais en même temps poliment… Mais comme ça n’arrive pas… », plaisante-t-elle, avant de souligner : 

« Il y a un double mouvement avec ma chaine et le livre. D’un côté, des psychanalystes me disent que c’est formidable que je rende la psychanalyse claire, que je la démocratise en quelque sorte. Et d’un autre, il y en a qui ne disent rien mais ça ne veut pas dire qu’ils n’existent pas : ce sont ceux qui pensent que la psychanalyse doit rester hermétique, pas accessible à tou-te-s. Je suis la part claire de la psychanalyse mais je suis contente qu’il y ait une part sombre, hermétique puisque c’est l’inconscient. »

Difficile en effet d’accéder à l’inconscient d’une personne qui enregistre sa vidéo et la monte. Elle ne s’en cache pas : « Je livre ce que j’assume de livrer. Ça passe par mes maux, mes mots, mes fantasmes, mes projections : ma vérité. Et c’est plus dur en vidéo que dans un livre. Dans le livre, j’explique, au chapitre 10, ce qui m’a fait arriver là en réalité. C’est une histoire à la fois assez classique et à la fois très traumatique. Mais il était hors de question que j’en parle sur YouTube, il y a bien trop d’exposition. Le livre était bien pour ça, plus confidentiel. »

DÉCOMPLEXANT !

Comme psy comme ça mêle souvenirs d’enfance, moments d’aliénation et de construction sociale, ramenés à des concepts. Ou comme elle le dit lors de la conférence, son idée, c’est « d’aborder des concepts de psychanalyse illustrés par de l’intime ». Avec ou sans l’artifice du maquillage et de sa symbolique et de sa métaphore, Mardi noir parle de jalousie, de désir, de contrainte, d’aliénation, de famille, de sexualité, de jouissance, de relation amoureuse, de miroir…

Sans complexe. Avec un ton qu’elle veut subversif, léger et humoristique. Elle met en évidence ses névroses et ses ambivalences. Qui sont majoritairement nos névroses et nos ambivalences à tou-te-s.

Pour elle, « il n’y a pas d’idée toute faite. Il y a des petits ratés dans tout. Peut-être que ce n’est pas si grave d’être jaloux, pas si grave de se le dire. Et puis ce n’est pas toujours délirant, au départ, la jalousie. Faut voir jusqu’où ça va mais… Peut-être faut-il trouver un autre moyen de la vivre, continuer de la vivre ou arrêter de la vivre. »

Son message :

« Apprendre à se repérer soi-même à l’intérieur des relations. On ne supporte pas les émotions négatives. Y en a toujours des moments de crise dans la vie. Chacun gère sa culpabilité. Il n’y a pas de jugement – enfin, si – pas de recette ! »

ATTÉNUER LA PRESSION SOCIALE

Dans son livre comme dans ses vidéos, Emmanuelle Laurent dévoile bon nombre d’émotions positives comme négatives qui émanent d’interactions sociales, familiales, affectives, etc. Des émotions facilement identifiables par le plus grand nombre et aisément transférables au niveau personnel.

Si tous les concepts ne sont pas clairs ou compréhensibles par tou-te-s à la même échelle ou au même rythme, sa réflexion participe à nous décomplexer. Parce qu’elle semble assumer ses ressentis. Comme Annie Ernaux, elle détient cette capacité à livrer des vécus et pensées que la société a tendance à considérer comme honteuses. Le fait de les partager avec les autres permet ainsi d’atténuer la pression sociale et les normes qui régissent la société.

Alors, si on ne comprend pas tout de ce que Mardi noir raconte, on referme le bouquin avec l’idée que finalement, ce n’est pas grave, de ne pas tout comprendre, tout le temps. Qu’on peut y revenir plus tard. Creuser ailleurs. Et que finalement, on n’est pas seul-e-s à être tiraillé-e-s entre l’attirance du moule et l’anticonformisme. S’en est même banal. Le narcissisme en prend un coup mais on en redemande, de cette dose de paradoxe humain.

 

Célian Ramis

Au fil des mythes, briser le silence et libérer la parole

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Plongée mythologique dans le quotidien, avec le seule-en-scène Mythologies personnelles, présenté par Myriam Gautier, à découvrir le 8 novembre au Tambour, à l’université Rennes 2.
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Une plongée mythologique dans le quotidien, c’est ce que propose la comédienne Myriam Gautier qui démêle les fils des secrets de famille, dans son seule-en-scène Mythologies personnelles, à découvrir le 8 novembre au Tambour, à l’université Rennes 2.

« Ce matin, vous feuilletez votre Atlas. Et ça vous donne envie de partir, malheureusement, votre voiture qui n’est même plus cotée à l’argus est en panne et vous avez dû la laisser chez Midas. Vous prenez donc le train, votre voisin est hermétique. Vous regardez depuis la fenêtre défiler une forêt d’éoliennes, ce qui vous fait rapidement tomber dans les bras de Morphée. Vous avez arriver enfin à la gare Montparnasse, vous vous engouffrez dans un dédale de rues pour tomber sur l’hôtel bar du Terminus (…)», commence Myriam Gautier, avant de s’exclamer : 

« Ils ont bien réussi leur coup les dieux grecs ! » En effet, avec son préambule, elle met en exergue l’influence et l’impact de la mythologie grecque dans la langue française. Elle insiste : on ne connaît pas les dieux japonais, on ne connaît plus le dieux gaulois mais les dieux grecs, eux, traversent le temps avec leur galerie de « personnages, dragons, chimères, du sexe, de la violence et parfois même les deux en même temps. »

Ils sont une matière idéale pour y puiser des ressources infinies et établir, à partir de là, une saga familiale. Et la comédienne s’en donne à cœur joie dans ses recherches comme sur les planches, où elle mêle les récits mythologiques à des anecdotes frappantes sur chaque membre de sa famille qu’elle présente lors d’un repas, un dimanche midi.

REPAS DE FAMILLE CHEZ ARIANE

Il y a son père, autoritaire comme Zeus, sa mère, terrifiante quand elle se met en colère comme Héra, ainsi que ses oncles et ses tantes, semblables à Poséidon, Hadès, Hestia et Demeter. Mais on croise aussi la nymphe Écho, le chasseur Narcisse, le roi Midas ou encore le complexé Œdipe.

« Il n’y a pas beaucoup d’histoires dans la mythologie qui se terminent bien. Mais celle d’Ariane, si. », déclare Myriam Gautier dans Mythologies personnelles. Ici, elle incarne à elle seule tous les personnages, les mythes et leurs impacts. Et surtout, devient une Ariane des temps modernes. 

C’est sa préférée. Parce qu’elle « met fin à une malédiction » dans le récit et qu’elle n’hésite pas à ouvrir la boite de Pandorre et à tirer les fils des secrets familiaux dans cette nouvelle version. 

« Je l’incarne à la première personne et le fait de s’adresser directement au public permet de dire ce que le personnage n’a pas le droit de dire. », précise la comédienne qui redonne aux mythes leur dimension de récits fondateurs : « On a tou-te-s des histoires. Et dans le cas d’un trauma, surtout quand il arrive jeune, ça devient un récit fondateur. Et ça devient même un mythe personnel que l’on alimente. » 

L'INSTALLATION DES NON-DITS

Tromperies, inceste, addictions, abus… les humain-e-s ont de fortes accointances avec les dieux et déesses de l’Olympe. Comme pour les non-dits qui régissent de nombreuses sphères de la société, dont celle de la famille n’en est pas exempte.

« J’ai dû enlever beaucoup beaucoup de choses mais je me suis concentrée sur les dieux de l’Olympe et sur ce qui me parlait et nourrissait le propos de ‘Comment on s’habitue à alimenter un non dit’. Même ce qui n’est pas dit est transmis. Ça, c’est très bien raconté dans la mythologie : quand quelqu’un fait quelque chose de mal, ce sont les enfants qui sont punis. », se passionne Myriam qui restitue sur scène le croisement des parcours et l’impact de l’héritage dont Ariane refuse désormais de porter tout le poids. 

Tout s’imbrique donc autour de la parole, ou plutôt son absence, et ses conséquences. La malédiction de ne pas pouvoir parler, l’envie de mourir à cause d’un secret révélé… Elle met à plat chaque situation qui, mise en perspective de scène du quotidien, devient absurde. Mais ce qui en émane par dessus tout, c’est la violence et la cruauté qui cristallisent les non-dits.

Dans la famille d’Ariane, les masques tombent. Jusqu’à ce qu’elle révèle son secret personnel. Celui qui a commencé l’été de ses 7 ans, chez son oncle : « C’est midi, c’est l’heure de manger (…) Aujourd’hui, le sandwich, c’est moi. C’est l’été de mes 7 ans que j’ai commencé à me taire. C’est l’été de la descente aux enfers de chez mon oncle Hadès. »

BRISER LE TABOU

Pour Myriam Gautier, qui a pour la pièce relu les textes du psychanalyste Serge Tisseron autour des secrets de famille, l’inceste représente le secret des secrets : « Et pourtant, il est assez commun. C’est assez fou quand même ! Je voulais porter cette parole-là et le rapport à la double peine de la victime dont on fait une responsable. Parce qu’on établit qu’il faut se taire : c’est une fausse normalité. »

Ariane brise le tabou et, au passage, la malédiction. Parce qu’elle a survécu à l’événement et au silence, grâce à une phrase de son frangin : « C’est pas ta faute. » Pour Ariane, « c’était le seul mais c’était juste assez pour que je me laisse pas mourir de honte. Pour que j’ai envie de me sauver. »

Si Cassandre n’apparaît pas dans le spectacle, elle plane néanmoins au dessus des planches. Puisqu’elle est celle qui représente l’hystérie féminine. Comprendre alors : elle dit des vérités que personne ne veut entendre, on la fait donc passer pour folle. La libérer, c’est lui redonner une voix. À elle, comme à Echo, comme à Ariane. Comme à tou-te-s celles et ceux dont l’expérience et le ressenti ne sont pas pris au sérieux. Sont minimisés.

À travers sa quête labyrinthique, elle tire et démêle, avec force, courage et humour, les fils d’une histoire familiale et personnelle qui résonne dans le quotidien de chacun-e, jusqu’au sommet du mont Olympe. Et ça fait du bien. Ça libère et ça apaise.

Le spectacle sera suivi d’un débat sur les secrets de famille, la psychogénéalogie et la mythologie, avec Myriam Gautier, comédienne, Nadia Lepastourel, enseignante-chercheuse en psychologie sociale de la communication à Rennes 2 et Odile Tresch, enseignante-chercheuse en grec ancien à l’université de Nantes / spécialiste des rituels féminins et des mythes de l’origine de la Grèce antique / fondatrice du centre d’études en mythologie et ritologie appliquées. Un thérapeute en psychogénéalogie apportera également son éclairage sur les enjeux des secrets de famille, notamment en pratique clinique.

Célian Ramis

PMA pour tou-te-s : Mon choix de famille

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Revendication phare de la Marche des Fiertés 2018, l'ouverture de la PMA pour tou-te-s fait encore débat en 2018. Pourquoi ?
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La famille pour tou-te-s, ce n’est pas une injonction à fonder une famille, comme l’a souligné la présidente d’Iskis (association anciennement nommée Centre Gay Lesbien Bi et Trans) de Rennes, Selene Tonon, lors de la Marche des Fiertés 2018, qui a défilé le 16 juin dans les rues de la capitale bretonne.

C’est un droit qui doit (devrait déjà) être accordé à toutes les personnes souhaitant avoir un ou plusieurs enfants. Ce ne doit plus être une hypocrisie, un secret de polichinelle dont il faut discrétion garder parce qu’on est une femme lesbienne, obligée d’aller à l’étranger pour espérer avoir un bébé via la Procréation Médicalement Assistée.

Peu importe l’orientation sexuelle, Selene le rappelle, « c’est l’amour inconditionnel qui fait une famille ». On est bien d’accord, comme plus de la moitié de la population selon le dernier sondage IFOP. Alors, pourquoi l’accès à la PMA pour tou-te-s s’intègre-t-elle à la nouvelle loi bioéthique ? Et pourquoi a-t-on encore ce débat en 2018 ?

Ce n’est pas une question d’éthique mais une question d’égalité des droits. Égalité dans le choix de fonder une famille, d’élever un enfant au sein d’un foyer, si on le souhaite. Pourtant, aujourd’hui encore la PMA n’est autorisée, en France, qu’aux couples hétérosexuels. Par lâcheté politique, l’accès à la PMA pour tou-te-s a été sacrifié en 2013, lors de la loi sur le Mariage pour tous. Mais la lutte continue. L’Hexagone s’apprête-t-elle à revivre la même déception qu’il y a 5 ans alors que le candidat Macron promettait l’an dernier de faire face à cette discrimination ? Si l’optimisme prime, il a néanmoins un goût amèrement acide… 

De l’avenue Janvier à la place de la Mairie, en passant par le boulevard Laennec et le quai Chateaubriand, le 16 juin dernier, les rues de Rennes se sont égayées aux couleurs de l’arc-en-ciel. Manifestation festive, la Marche des Fiertés n’en oublie pas de porter avec détermination les revendications pour lesquelles les associations LGBTIQ+ se battent au quotidien.

Arrêt des mutilations sur les personnes intersexuées, changement de la mention du sexe et du prénom libre et gratuit à l’état civil sur simple déclaration en mairie (sans expertises et sans stérilisations forcées), éducation populaire à l’égalité et la diversité des sexes, identités de genre et relations amoureuses dès l’école, accord systématique du droit d’asile aux personnes LGBTI migrant-e-s fuyant leur pays à raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou encore campagnes régulières et adaptées sur les différents moyens de prévention des IST en direction des populations LGBTI… la liste est longue tant les inégalités et discriminations sont nombreuses. 

Si aucune hiérarchie n’est établie au sein des revendications, cette journée des Fiertés met en lumière chaque année un sujet sur lequel il y a particulièrement urgence. Ainsi, en juin, les différentes Marches ont scandé haut et fort le droit à la PMA pour tou-te-s en clamant à l’unisson : « PMA, on veut une loi, on veut des droits ! » ou encore « Mon papa est pour la PMA et ma maman, elle veut des petits-enfants ! ». 

PAS HOMOPHOBE MAIS…

Un sujet qui fait consensus auprès de la population, excepté pour une minorité qui s’oppose farouchement à une évolution qui ne devrait pas faire débat. « Ce soir, au conseil municipal de Rennes, je fais partie des élus qui refusent de voter l'une des deux subventions destinées au centre LGBT de Rennes, à savoir celle fléchée pour l'organisation de la marche des fiertés 2018. Cette édition a en effet été l'occasion de mettre en avant, dans les discours et les banderoles officielles, la revendication spécifique de l'extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de même sexe. 

La lutte contre les discriminations, et notamment les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle, est un objectif louable qui fait consensus. Ce n'est pas le cas de l'extension de la PMA. Je ne pense pas que les impôts des Rennais aient vocation à financer une manifestation en ce sens. Je le réaffirme ici : je suis opposé à l'extension de la PMA aux couples de même sexe. Cautionner une mesure qui aurait pour conséquence de priver de père des enfants à venir, non pas du fait d’un quelconque accident de la vie, mais par un choix volontaire effectué sciemment, voilà l'obscurantisme. », écrit le conseiller municipal du groupe Rennes Alternance 2020, Gurval Guiguen sur sa page Facebook. Un commentaire terrifiant que l’on pourrait ajouter à la sordide catégorie « Je ne suis pas homophobe mais… / Je ne suis pas sexiste mais… ». 

Heureusement, le 16 juin, la Marche des Fiertés a réuni plus de 4500 personnes dans la capitale bretonne, là où les années précédentes en comptabilisaient environ 3000. Lors de la prise de parole, Selene Tonon, militante chevronnée du CGLBT, devenu Iskis (Queer en breton), envoie valdinguer ces idées reçues conservatrices en exigeant, à juste titre, que les populations LGBTI soient libres de maitriser leurs vies, de choisir leurs familles et que soient respecter toutes les familles, dans toutes leurs formes : « C’est le mot d’ordre sur les affiches. N’en déplaise à ceux qui ont milité contre nos droits ! » Après tout,« ce sont nos vies, nos amours, nos corps, nos identités et nos familles. »

RAPPEL DES FAITS

Le mariage pour tous figure en janvier 2012 parmi les engagements du candidat Hollande qui, une fois élu, concrétise par l’élaboration d’un projet de loi, porté par Christiane Taubira, alors Garde des Sceaux. Un projet de loi adopté par le Parlement le 23 avril 2013.

« Avec la loi du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, la France est devenue le 9epays européen et le 14epays au monde à autoriser le mariage homosexuel. Cette loi a ouvert de nouveaux droits pour le mariage, l’adoption et la succession, au nom des principes d’égalité et de partage des libertés. », peut-on lire sur le site Gouvernement.fr. Une introduction suivie d’une citation de la ministre de la Justice de l’époque :

« Oui, c’est bien le mariage, avec toute sa charge symbolique et toutes ses règles d’ordre public, que le Gouvernement ouvre aux couples de même sexe, dans les mêmes conditions d’âge et de consentement de la part de chacun des conjoints, avec les mêmes interdits (…) avec les mêmes obligations pour chaque conjoint vis-à-vis l’un de l’autre, les mêmes devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents et des parents vis-à-vis de leurs enfants. Oui, c’est bien ce mariage que nous ouvrons aux couples de même sexe. »

En revanche, au nom de l’opposition réunie sous le drapeau de la manif pour tous - qui prend alors le monopole d’un non-débat et qui décomplexe majoritairement l’homophobie et la lesbophobie - on range au placard les prétendus « principes d’égalité et de partage des libertés. » D’un revers de la main, on balaie ce qui aurait dû découler de fait du mariage pour tous : la PMA pour tou-te-s et la filiation automatique, sans discrimination. 

QU’EST-CE QUI CLOCHE ? 

La technique de la PMA serait-elle différente selon que la femme est hétéro ou homo ? Non, bien évidemment que non et encore non. La problématique n’est donc pas médicale. Elle serait soi-disant éthique. D’où l’arrivée du sujet au sein des États généraux de la bioéthique, organisés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de janvier à avril 2018, en guise de phase préalable à la révision de la loi de bioéthique prévue pour la fin de l’année.

Pourquoi y intégrer l’ouverture de la PMA pour tou-te-s ? Et qu’attend-on puisque le candidat Macron en avril 2017 se disait « favorable à une loi qui ouvrira la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires » ? Un avis positif de la part de la CCNE ? C’est chose faite depuis bientôt un an. Le Comité juge que « L’ouverture de la PMA à des personnes sans stérilité pathologique peut se concevoir pour pallier une souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles. »

Pourtant, depuis, aucun projet de loi n’a été déposé par le gouvernement en place. Au contraire, il semble même reculer ou au moins essayer de gagner du temps... Un temps qui laisse place aux LGBTIphobies dans toute leur ignominie. 

LE COLLECTIF, CONTRE L’HYPOCRISIE

C’est pourquoi en décembre 2017, à l’approche des Etats généraux, 5 associations LGBTI et/ou féministes – CGLBT Rennes, SOS Homophobie Bretagne, Commune Vision, Les Effronté-e-s Rennes et Le Planning Familial 35 – ont fondé le Collectif breton pour la PMA, « afin de se rassembler autour d’un avis commun, en local », souligne Véronique Madre, co-déléguée territoriale de SOS Homophobie Bretagne.

Ainsi, le Collectif a au fil des mois informé des actualités et des événements liés au Etats généraux et à la consultation du Comité, essayant de faire en sorte que les débats ne soient pas monopolisés par les opposant-e-s, organisé une manifestation le 21 avril pour revendiquer l’ouverture de la PMA pour tou-te-s (femmes lesbiennes, femmes célibataires, personnes trans, personnes non binaires) et s’est saisi de la fête des mères pour distribuer des cartes postales Faites des mères, envoyées également aux élu-e-s, députés, ministres et au Président de la République.

« J’aimerais être optimiste sur la future loi et le vote mais les signes montrent qu’il faut être prudent. Le résultat des Etats généraux fait craindre pour la suite, à cause de la mobilisation des opposant-e-s qui représentent pourtant qu’une minorité de la population, qui était la même à protester contre le mariage pour tous, l’ABCD de l’égalité, etc. mais qui est bruyante et fermée. Surtout que le gouvernement n’appuie pas totalement. Il se dit favorable dans son ensemble mais certains ministres s’affichent contre. », souligne Véronique Madre, mitigée face au rapport de synthèse publié début juin par le CCNE, qui rendra son avis complet et définitif à la rentrée.

A l’argument des « lois naturelles » visant à se baser uniquement sur le fait que pour procréer il faut l’accouplement d’un homme et d’une femme, s’oppose l’évolution des schémas familiaux, de plus en plus divers et réalistes. Contraindre les femmes lesbiennes à aller à l’étranger pour avoir le droit à la PMA puis à déposer une demande d’adoption – rendue possible uniquement si le couple est marié - auprès du Tribunal de Grande Instance – pour celle qui n’a pas porté physiquement l’enfant, définie comme la « mère sociale » – est hypocrite :

« Ce n’est pas une question d’éthique, c’est une question d’égalité. En quoi la société a son mot à dire sur nos vies ? En quoi la population devrait avoir une opinion sur les couples que l’on reconnaît ou pas, les familles que l’on reconnaît ou pas ? Les familles homoparentales existent déjà, c’est la réalité. Des études montrent que les enfants sont aussi heureux que dans des familles hétéros. C’est une hypocrisie de leur interdire l’accès à la PMA puis de reconnaître les familles, en autorisant les adoptions par les conjointes. Nous demandons l’ouverture de la PMA à toutes les personnes ayant un utérus, dans les mêmes conditions de couple et dans les mêmes conditions de remboursement. »

PARCOURS DES COMBATTANTES

Adeline et sa femme se sont rendues en Belgique, dans une clinique à Liège, pour avoir recours à la PMA et avoir leurs deux filles : « Ma compagne a porté la première et moi la deuxième. Ce sont globalement les mêmes procédures sauf que la deuxième fois nous n’avons pas eu l’entretien visant à expliquer notre projet. À la clinique, ils nous connaissaient déjà, on n’a pas refait le premier rendez-vous. »

Un premier rendez-vous suivi d’un délai légal de réflexion de deux mois. Puis vient le deuxième rendez-vous dédié aux examens médicaux. Jusque là, outre les déplacements à l’étranger, pas trop de difficultés. Les choses se compliquent lorsqu’il faut trouver un médecin qui accepte de suivre les couples lesbiens dans ce type de démarche.

« Ce n’est pas évident, certains disent non, il faut prendre le temps de trouver les bons médecins. Surtout que nous étions à Paris pour la première et que pour la deuxième nous avions déménagé en Bretagne, il fallait donc retrouver quelqu’un… Quelqu’un qui accepte de faire une prescription pour le traitement de stimulation ovarienne qui se fait par piqures. Certains médecins acceptent mais signalent « non remboursé » sur l’ordonnance. C’est une centaine d’euros, qu’il faut renouveler à chaque essai ! Et puis c’est important d’obtenir la compréhension médicale pour qu’on nous explique bien comment bien faire les piqures. Ce n’est pas très compliqué mais on le fait nous-mêmes et ce qui n’est pas évident, c’est que si on manque d’informations, on n’ose pas tellement demander par peur de la situation. », précise Adeline.

En parallèle, un donneur doit être choisi. Il peut être anonyme ou semi anonyme, signifiant que l’enfant pourra s’il le désire connaître l’identité du donneur, qui signe une convention pour renoncer à la reconnaissance de l’enfant. Les deux femmes ont fait ce choix-là : un donneur semi anonyme, dans une banque de sperme au Danemark. « On achète les paillettes (le terme utilisé pour le sperme) et la banque envoie directement à la clinique en Belgique. », souligne-t-elle.

Dernière étape avant de pouvoir réaliser l’insémination : trouver un laboratoire qui puisse définir un rendez-vous pour le matin d’une date précise – dépend évidemment du cycle - et qui accepte de donner les résultats avant midi pour les envoyer à la clinique, qui appelle ensuite les personnes :

« En fonction des ovocytes, ils te disent qu’il faut encore attendre un peu ou alors ils te disent de venir le lendemain pour procéder à l’insémination des paillettes dans l’utérus. C’est un-e gynéco qui le fait par cathéter, pas comme la PMA artisanale qui se fait avec une seringue… ça dure 10-15 minutes et puis on rentre à la maison. À partir de là, si ça fonctionne, la prise en charge de la grossesse se fait en France et là ce n’est plus du tout la même chose, on est cocoonées comme les autres, les infirmières et sages-femmes ne posent pas de questions intrusives, sont bienveillantes et sans jugement. » 

AVOIR UN « ENFANT LÉGITIME »

Malheureusement, le parcours de la combattante ne s’arrête pas à la naissance de l’enfant dont la filiation avec la mère sociale n’est pas automatique. Une demande d’adoption doit être déposée auprès du Tribunal de Grande Instance. Une demande qui ne peut se faire que si les femmes sont mariées.

« Quand j’ai fait mes enfants, je ne pouvais pas me marier en France. Maintenant, c’est devenu normal que les couples homos puissent se marier. Le problème, c’est que le mariage n’est pas un droit pour les lesbiennes, c’est un devoir. Nous sommes obligées de nous marier pour déposer un dossier d’adoption au tribunal. Tout le monde n’a pas envie de se marier ! »

s’insurge Céline Cester, présidente de l’association Les enfants d’arc-en-ciel, créée il y a 11 ans par un couple de femmes militant pour l’instauration du congé d’accueil de l’enfant, mis en place en 2012 pour le père ou la personne mariée à la mère biologique.

Pour Adeline, les 3 jours à la naissance et les 11 jours de congé ont été obtenus sans obstacle. Pas comme sa demande de congé parental à 80%, d’abord refusée par son employeur :

« Il m’a dit qu’il l’accorderait quand j’aurais reçu l’accord du tribunal pour l’adoption. Sauf que ça prend un an et demi – la durée du traitement des dossiers, comme la procédure de demande d’adoption (on peut par exemple être convoquées à la gendarmerie, au tribunal, pour une enquête de mœurs, une enquête sociale) dépend de chaque tribunal – et que la CAF donne l’allocation uniquement la première année de naissance de l’enfant. Je n’aurais donc pas pu l’obtenir si j’avais du attendre la décision du tribunal.

En fait, il jouait sur les termes de la loi qui sont assez flous et qui parlent des « enfants légitimes ». Mais c’est quoi un enfant légitime ? Bref, il a fini par accepter car on a réussi à faire valoir que l’adoption prend effet à la date du dépôt de la requête. Il a vraiment eu une posture discriminatoire ! Et surtout il m’a dit des choses ridicules disant que c’était comme donner un congé parental à une femme qui vit en colocation avec quelqu’un qui a des enfants… Ridicule ! »

Des situations complexes et douloureuses, il y en a un paquet à cause de la PMA non accessible aux couples lesbiens et de la non filiation automatique. Le blog de l’association Les enfants d’arc-en-ciel en témoigne, permettant ainsi de donner une visibilité à tous les parcours vécus et subis. 

SITUATIONS COMPLEXES ET DOULOUREUSES

« Le parcours de PMA est très lourd, y compris pour les hétéros. Mais pour les homos, il faut aller à l’étranger, sans pouvoir expliquer les raisons de son absence puisque c’est hors du cadre légal, il n’y a pas le droit aux congés médicaux. Sachant qu’en plus, on vous appelle un jour à 14h pour le lendemain 8h. C’est toute une organisation, selon là où on habite, c’est très compliqué. Et puis, il faut avoir les moyens financiers d’aller en Belgique ou en Espagne. Plusieurs fois. Surtout si ça ne marche pas au premier essai. Il y a aussi des différences de dosage pour le traitement entre la France et l’Espagne par exemple, ça peut créer des situations très difficiles. C’est compliqué au-delà des difficultés physiques et psychologiques de la PMA. », explique Céline Cester.

Des expériences dramatiques, on lui en a rendu compte à la pelle depuis 2 ans qu’elle est présidente de la structure. À cause du cadre légal qui aujourd’hui en France ne protège pas les liens familiaux en dehors de ceux du sang. En cas de séparation, lorsqu’elles ne sont pas mariées, les mères sociales n’ont pas de droits sur les enfants qu’elles pourront continuer à voir selon la volonté des mères biologiques.

« J’ai l’exemple d’une maman sociale de jumelles de 11 mois. Elle vient de se séparer de sa compagne qui ne veut plus lui laisser voir ses filles. Elle n’a pas de recours parce qu’elles n’étaient pas mariées, elle n’a donc pas pu adopter. Ce statut de hors-la-loi laisse des marques… », regrette Céline.

On sent dans les arguments adverses l’exigence de la famille parfaite. Parce qu’elles sont homosexuelles, elles devraient redoubler d’effort pour incarner cet idéal alors même que ce modèle hypocrite s’effondre depuis plusieurs décennies chez les hétéros. Obligation de se marier, obligation d’adopter l’enfant, obligation de s’aimer à vie…

« Ce n’est pas parce qu’on est homos qu’on est des couples parfaits. Ce n’est pas parce qu’on est homos qu’on doit s’aimer toute la vie ! Déjà quand tout se passe bien, cette sensation de manque de légitimité à fonder une famille laisse des traces alors vous imaginez quand ça se passe mal ?! », s’indigne la présidente.

Adeline pointe également l’appréhension de l’échec de l’insémination (sans parler des grossesses qui n’arriveront pas à terme, comme tel est le sujet de la bande-dessinée Écumes, d’Ingrid Chabbert et Carole Maurel). Ce qui a été son cas lors de son premier essai.

« C’est toute une organisation. Il y a les contraintes géographiques, financières, se rendre aux consultations, payer les soins non remboursés, le train, l’hôtel… Il faut s’absenter de son travail. Nous sommes toujours aller à 2 avec ma compagne donc il faut aussi que l’autre s’absente de son travail. Personnellement, je n’ai pas ressenti de découragement extrême mais c’était difficile. Je savais que j’avais l’énergie pour le faire mais je n’aurais peut-être pas tenu une 3e, 4e, 5etentative… Après, en Belgique, nous avons été très bien reçues. On avait préparé notre premier rendez-vous comme un entretien d’embauche et en fait nous avons simplement dit qu’on voulait fonder une famille. On nous répondu « Bienvenues ! ». C’est leur quotidien là-bas donc ça ne leur pose aucun souci. C’est très différent en France. », commente-t-elle. 

TRANSPARENCE ET ENTOURAGE

Au-delà de l’incompréhension face à la lâcheté politique et la souffrance endurée à cause de la contestation LGBTIphobe, elle s’inquiète de ce que peuvent entendre les enfants de familles homoparentales. Tout comme Céline Cester, Adeline prône la transparence, expliquant le schéma familial dès l’entrée à la crèche, aux adultes comme aux enfants :

« Et il n’y a aucun souci. Mais ça dépend toujours des gens sur qui on tombe. On doit encore un peu prouver qu’on est une famille « normale » alors qu’on ne devrait pas avoir à le faire, même si ce n’est pas une famille « normale » dans le sens où nous avons dû nous rendre à l’étranger pour la PMA et adopter nos enfants ensuite. Mais on sort, on se montre. »

Ne pas rester cachées. Ne pas rester isolées. Même si l’entourage est présent, Adeline et sa compagne se sont orientées vers l’association Les enfants d’arc-en-ciel pour obtenir des renseignements sur les démarches, les vécus et expériences, et pour partager des informations et des moments conviviaux. C’est là le cœur des actions de la structure : l’accompagnement des couples et des familles, l’accessibilité aux informations et le conseil adapté à chaque parcours.

« Lorsque l’on organise des rencontres – qui sont ouvertes à tout le monde – l’idée est de pouvoir échanger, dans un espace sécurisé et sans jugement, autour des situations et voir comment on peut les traiter. Et souvent, on se rend compte que tout n’est pas lié à l’homoparentalité. Loin de là. Ce sont des questions qui concernent le développement de l’enfant, la parentalité, etc. Ce sont des questions plus larges de société. », analyse Céline Cester qui prône la mise en avant des éléments positifs dans le débat public :

« Oui, c’est difficile. Oui, il y a des situations dramatiques. Oui, avec une loi, ça irait beaucoup mieux c’est vrai. Mais il faut aussi dire que nos enfants grandissent. Qu’ils grandissent bien, que ça va bien ! On vit des choses très positives avec nos familles. C’est important aussi de le voir sous cet angle-là. D’être maitre de sa vie et de ses choix. »

Dans toutes les paroles des concernées, que ce soit dans les discours militants, les débats, les témoignages ou sur le blog de l’association (qui a également un site fourni et complet en informations), il y a l’immense regret du manque de courage politique qui a autorisé un mariage au rabais, sacrifiant l’accès à la PMA et la reconnaissance de la filiation, « laissant ainsi des familles sur le bord du chemin » et menant dans certaines situations à des inséminations artisanales « non par choix mais bien par défaut ».

Mais il y a aussi et surtout une détermination à se battre jusqu’au bout pour faire reconnaître leurs droits. Leurs droits d’avoir des enfants si elles le désirent, quand elles le désirent et avec qui elles le désirent, de se marier uniquement par choix, d’être libres de vivre leurs vies et leurs désirs sans justification permanente. Comme le dit Adeline :

« Ça ne devrait pas être une question de chance de tomber sur les bonnes personnes, ça devrait juste être possible pour tout le monde ! »

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Un enfant, si je veux, quand je veux, AVEC QUI je veux !
Fonder une famille : Quand la société s’emmêle…
La PMA, pour qui, pour quoi ?

Célian Ramis

Mythos 2017 : Le fils, création militante et bouleversante

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Théâtre de l'Aire Libre
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Emmanuelle Hiron joue une femme, mère, catho et bourgeoise qui s'engage et se radicalise, dans la création Le fils, écrite par Marine Bachelot Nguyen et mise en scène par David Gauchard, à découvrir les 6 et 7 avril, à l'Aire Libre.
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L’an dernier, elle s’engageait dans la Manif pour tous et des groupes anti-avortement et ressentait l’exaltation de l’accomplissement et de l’ascension sociale. Depuis, qu’est devenue cette femme, mère de famille, pharmacienne, bourgeoise, catholique et nouvellement militante ?

Écrite par Marine Bachelot Nguyen et mise en scène par David Gauchard, la pièce Le fils avait dévoilé sa première partie à travers une lecture – réalisée par la comédienne Emmanuelle Hiron – lors de l’édition 2016 de Mythos. Cette année, l’intégralité de la création sera présentée les 6 et 7 avril, au théâtre de l’Aire libre, à St Jacques de la Lande, lors du festival des arts de la parole.

David Gauchard, metteur en scène, collabore pour la première fois avec l’auteure et metteuse en scène Marine Bachelot Nguyen. Et l’avant-goût qu’ils nous ont proposé l’an dernier à la Parcheminerie était délicieux. Poignant, criant de vérités, original et intelligent. Avec une écriture franche et sincère, teintée d’humour et d’émotions. Basée sur un fait d’actualité aussi terrible qu’intéressant, sociologiquement parlant, cette première partie nous emportait dans une histoire qu’on voudrait être inventée de toute part.

Cette histoire, David Gauchard en est à l’initiative dans le processus de création. En 2011, en allant chercher sa fille à l’école, il est marqué par un événement. Dans la rue St Hélier à Rennes, l’accès est bloqué. Et pour cause, le 10 novembre se joue une pièce de Castellucci jugée blasphématoire par le mouvement Civitas qui manifeste son mécontentement de la place de Bretagne au TNB.

« De ce mouvement jusqu’à la Manif pour tous, j’avais envie de raconter ça. On discute donc avec Marine depuis 6-7 mois. La fin est encore à inventer. Mais on voudrait le présenter avant mai 2017 et les élections. », avait-il expliqué avant de laisser la parole à Marine Bachelot Nguyen, elle-même marquée par l’événement en question et engagée pour les droits des femmes et des LGBTI :

« Je suis intéressée par la socio-politique, le documentaire et la fiction. Et ça m’intéresse aussi la question du glissement idéologique et de la radicalisation dans les milieux de droite. Voir comment on raconte ça ensuite. »

LA CRÉATION DANS SON INTÉGRALITÉ

Depuis, la pièce a fait son chemin. La première partie a été lue au festival d’Avignon, des résidences ont eu lieu, de nombreuses conversations ont réunies David Gauchard, Marine Bachelot Nguyen et Emmanuelle Hiron et la création, dont la version finale a été aboutie en octobre 2016 et a vu s’imbriquer les partitions d’Olivier Mellano jouées par un enfant claveciniste, a été dévoilée entièrement à Limoges en février dernier.

À présent, la comédienne ne lit plus. Elle s’est rendue avec l’auteure à la messe pour s’imprégner du vocabulaire religieux et jouer cette mère de famille qui se raconte et qui livre en deuxième partie le drame qu’elle a vécu.

« C’est une partie plus tendue, presque au présent. Elle évoque la raison pour laquelle elle se raconte. Elle revit les événements. C’est une partie plus violente. La première était déjà violente mais là c’est dans les mots et dans ce que ça provoque chez elle et les spectateurs. », confie Emmanuelle Hiron.

Pour la créatrice des Résidents – pièce jouée à l’occasion de l’édition 2014 de Mythos – pas évident d’incarner cette figure aux convictions diamétralement opposées aux siennes :

« C’est assez éprouvant de jouer ce personnage, qui est un personnage de théâtre inspiré de plein de faits réels, car l’histoire est éprouvante et que ce personnage nous a demandé de nous déplacer dans nos convictions personnelles. Et d’entrer en empathie avec cette femme. »

BOULEVERSEMENT ET QUESTIONNEMENT

En effet, Marine Bachelot Nguyen, de sa plume, fait émerger une personnalité complexe, composée de petites lâchetés ordinaires, prise d’émoi pour l’ascension sociale au nom de laquelle elle va s’engager dans la Manif pour tous et des groupes anti-avortement. Au fil du récit, elle s’accomplit et s’épanouit jusqu’à vivre la dramatique perte d’un de ses deux fils.

La pièce amène au bouleversement intérieur. Et au questionnement. « Est-ce qu’on va vers elle ? Est-ce avant tout une mère ? Une militante ? Quel impact le combat militant a sur les autres ? Est-ce qu’elle est responsable ? Quel est le poids de l’engagement ? Ce qu’elle vit est tragique mais ça reste une mère, les événements en plus sont proches, on est proches des élections et on voit bien les programmes proposés par Fillon ou Le Pen. Quand est-ce que tu décides que ton militantisme ou ton ascension sociale prend le pas sur ton rôle de mère ? Mais est-ce qu’elle se rend compte qu’elle prône la haine ? À cet instant, pour elle, c’est positif. Mais dans la réalité, quand tu empêches les autres d’être dans leurs bons droits, ça commence à être de l’extrémisme. », interpelle la comédienne.

Le rôle est éprouvant pour elle mais elle est fière de porter le texte « très beau, très écrit, facile à comprendre et très digeste » de l’artiste engagée qu’est Marine Bachelot Nguyen. Fière de toutes les interrogations que l’histoire racontée soulève. Remuée aussi. Car il en va de la responsabilité individuelle face à nos engagements. La pièce parle des rencontres que l’on fait, des choix aussi que l’on fait, du fait de se réaliser ou pas, des libertés.

OUVRIR LE DÉBAT

Jouer cette création avant et pendant les élections présidentielles est une volonté du metteur en scène : « On est dans une période déjà super décomplexée mais à l’approche des élections, les tensions sont vives et les gens sortent du bois. Ça l’intéressait beaucoup. Entendre résonner ça dans un théâtre, ça choque, on se dit qu’elle est folle. Mais David avait vraiment aussi cette volonté de prendre un personnage à contrepied de quelqu’un qu’on aurait envie de défendre. Ça pousse le spectateur à se poser des questions. », argumente Emmanuelle Hiron.

D’autant plus que l’auteure ne tombe pas dans la caricature. Elle explore une partie de la vie de cette femme, la dévoile, creuse dans son intimité et son engagement, sa vision d’elle en tant que mère, commerçante, épouse, femme d’un milieu bourgeois, etc. Elle donne l’occasion à son personnage de se raconter et aux spectateurs de ressentir de l’empathie, sans toutefois la déresponsabiliser ou l’excuser de son glissement idéologique.

Elle nous prend aux tripes de notre humanité pour nous interroger les un-e-s et les autres. Montrer les rouages de la radicalisation. Et susciter le débat et l’échange. Comme tel sera le cas lors de leurs représentations à la Maison des Métallos à Paris (où Emmanuelle Hiron jouera Les résidents du 21 au 26 mars) du 28 mars au 2 avril. Une rencontre aura lieu avec l’équipe artistique du spectacle le 30 mars et une autre avec Marine Bachelot Nguyen, David Gauchard et les membres du mouvement homosexuel chrétien David et Jonathan, le 1er avril.

 

Lire « Mythos 2016 : Fascinante figure de mère, bourgeoise et catho » sur yeggmag.fr

Célian Ramis

Crèche parentale : Une alternative propice à l'éveil

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Rennes
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Alors que les places en crèches municipales ne suffisent plus à satisfaire toutes les demandes, des solutions alternatives existent. Parmi elles, la crèche parentale, un modèle associatif décrypté à travers l'exemple de Ty Bugale.
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Pallier le manque de places en crèche est un enjeu de l’actuel mandat présidentiel. Mais si le gouvernement œuvre depuis 2013 à la mise en place d’une nouvelle réforme de politique familiale, prévoyant entre autre l’augmentation du nombre de places, la pénurie reste avérée et problématique.

Des modes de garde alternatifs existent et se développent. Parmi lesquels les établissement à gestion parentale, communément nommées crèches parentales. Un type de structure qui a particulièrement interpelé la rédaction de YEGG à travers l’exemple de la crèche Ty Bugale, qui a fêté cette année ces 30 ans.

En 2015, 2 296 demandes d’inscription en crèches municipales ont été soumises à la Ville de Rennes qui dispose de 17 structures (accueil collectif et accueil familial). Près de 42% environ, soit 962 demandes, ont été satisfaites. Quelles solutions s’offrent à celles et ceux qui n’obtiennent pas de réponse favorable ? Plusieurs alternatives leur sont proposées par le centre d’information petite enfance L’Étoile, chargée d’orienter les parents vers d’autres modes de garde. Parmi eux, on trouve les crèches parentales, établissement associatif géré par les génitrices et géniteurs, alors employeuses-eurs des professionnel-le-s de la petite enfance.

Obtenir une place en crèche est une problématique loin d’être nouvelle. Si le plan gouvernemental prévoit l’augmentation du nombre de places au cours du mandat présidentiel actuel, l’objectif de 100 000 places supplémentaires semble compromis pour ce quinquennat qui semble seulement avoir réalisé un tiers de cette mission, selon les chiffres indiqués en 2015. Rennes ne fait pas exception, malgré la création de nouvelles crèches prévues jusqu’en 2017.

Pour les futurs parents, l’inscription de l’enfant qui va arriver peut s’avérer angoissante, la pénurie de places étant avérée. Les solutions alternatives sont de plus en plus mises en lumière. Parmi les plus connues, on cite les assistantes maternelles, les crèches d’entreprise ou encore les haltes garderies qui offrent une aide d’urgence temporaire.

Plus confidentielles dans leur notoriété auprès du grand public, les crèches parentales se développent, trouvant un équilibre dans l’esprit « comme à la maison » puisque le parent fait partie intégrante de la vie quotidienne de la crèche, bénéficiant ainsi d’un accès privilégié à l’équipe éducative et au projet pédagogique. C’est ce que souligne l’exemple de la structure Ty Bugale, fondée en 1986 à Rennes.

ASSOCIATION PARENTALE

La particularité de ce type d’établissement réside principalement dans la gestion parentale. En effet, créé sous la forme associative, ce sont les parents qui en investissent le bureau et le conseil d’administration. Par conséquent, ils sont les employeurs directs des professionnel-le-s de la petite enfance et participent activement à la vie de la crèche.

« Nous sommes très investi-e-s au sein de l’association puisque chacun-e a un poste dans la structure. Et que nous devons remplir 4h30 de permanence par semaine. », explique Yohanna Millet, présidente de Ty Bugale depuis septembre 2015. Concrètement, le parent intervient durant les heures d’accueil, souvent à la demi journée, comme tel est le cas dans la majorité des crèches parentales, au nombre de 6 à Rennes (selon les structures, la durée de la permanence varie).

Et aide au bon fonctionnement de la journée en gérant plus spécifiquement les tâches domestiques comme mettre la table, débarrasser, aider au lever de la sieste, au goûter, ranger, etc.

« Il faut avoir le temps et l’envie de s’investir sinon ça ne peut pas fonctionner. Faut être conscient-e de ça car on ne peut pas entrer dans l’association si on ne peut pas assurer les 4h30 de permanence. »
précise la présidente, infirmière de métier.

Un point sur lequel insiste également Emilie Paillot, qui exerce la fonction de secrétaire au sein de l’établissement. « Je suis enseignante à temps partiel donc ça ne me posait pas de problème de donner une demi journée par semaine. Et ça ne me dérangeait pas d’entrer dans le bureau. Avant cela, j’étais au poste « Approvisionnement », ça tourne. Ma fille a terminé la crèche mais je suis enceinte de mon 3e enfant et je demanderais une place ici pour la rentrée 2017. Ça m’embêterait d’être moins investie en revenant. », s’enthousiasme-t-elle.

À la crèche parentale, elle a pris goût. Arrivée de Paris en 2012, elle pose ses valises à Rennes avec son compagnon et son fils. En cherchant un mode de garde, sans préférence particulière, ils apprennent qu’une place s’est libérée à Ty Bugale, alors implantée rue de l’Alma, avant de déménager dans les locaux temporaires du boulevard Albert 1er de Belgique (en octobre, la crèche déménagera à nouveau dans des locaux plus grands, rue Mauconseil). Rapidement, ils adhèrent à l’état d’esprit de l’établissement, qui accueillera par la suite leur fille.

Agréée par la Direction des Affaires Sociales du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, la crèche est une association de loi 1901 accueillant jusqu’en octobre prochain 16 enfants, les nouveaux locaux permettant de demander un agrément pour 4 enfants supplémentaires.

Les critères sont semblables aux autres crèches : accueil de 8h à 18h30 d’enfants rennais âgés de 2 mois ½ à 4 ans, d’1 à 5 journées par semaine, dispositif d’accueil d’urgence (à partir de 18 mois et en fonction des places disponibles), tarif établi selon les revenus du foyer.

Entre le bureau et les différents rôles (gestion des salaires, inscriptions, bricolage/jardinage, moyens généraux, informatique, archivage, planning, hygiène et sécurité, formation, remplacement, etc.), les parents des enfants inscrits se répartissent les rôles et tournent d’une année sur l’autre.

« On essaie de ne pas être toujours au même poste. On voit par rapport aux intérêts des un-e-s et des autres. Et puis on fait en sorte de ne pas mettre à la trésorerie par exemple quelqu’un qui arrive car ce n’est pas forcément évident au départ. Et puis rien n’est figé car il y a des gens qui sont là pour 6 mois, d’autres pour plusieurs années. On participe également au projet pédagogique puisqu’il faut instaurer un règlement intérieur à faire valider par le conseil général. Avec le déménagement, il devra être revu, signé et voté par le CA. Le projet éducatif, lui, évolue et est construit par les salariés, à qui on fait confiance. », indique Yohanna Millet.

UNE GRANDE FAMILLE

Ce qui lui plait : la possibilité pour les parents d’être acteurs de la crèche sans empiéter sur le territoire des professionnel-le-s. Ici, ils sont au nombre de 2 éducateurs de jeunes enfants à mi-temps, une femme et un homme, et de deux aides EJE. Si ils et elles se côtoient durant les permanences hebdomadaires, des temps plus formels sont organisés pour échanger à travers une réunion mensuelle dont une partie seulement se déroule en compagnie de l’équipe éducative.

« Ce qui est bien dans la formule, c’est qu’on peut avoir le côté parental en s’investissant dans la vie de la structure et en faisant les permanences. Mais c’est aussi que de cette manière, en aidant aux tâches ménagères, les salarié-e-s s’occupent exclusivement des enfants. »
poursuit la présidente.

Et avec un taux d’encadrement plus important que dans une crèche municipale - la législation prévoyant pour cette dernière 1 adulte pour 5 enfants « non marcheurs » et 1 adulte pour 8 enfants « marcheurs » et pour la crèche parentale 1 adulte pour 4 enfants « non marcheurs » - « les enfants ne sont pas du tout délaissés », signale Emilie Paillot.

Avec Yohanna, elles parlent de grande famille. Passer du temps au sein de la crèche, auprès des enfants, de l’équipe éducative, effectuer des réunions entre parents, organiser des événements avec tout le monde (à l’instar d’un moment convivial en juin dernier pour fêter les 30 ans de la structure) ou encore participer à des sorties avec les petit-e-s, tout cela représente « un chouette moyen de s’intégrer et de développer une grande solidarité entre les parents. »

Et Emilie d’ajouter : « J’apprécie cette opportunité de connaître tout le monde et que les enfants nous connaissent bien, qu’ils nous appellent par nos prénoms. »

TROUVER L’ÉQUILIBRE

Néanmoins une difficulté subsiste et les deux femmes ne s’en cachent pas. L’enfant doit apprendre à « partager » son parent présent lors de la permanence.

Ce à quoi les petit-es établi-e-s dans les autres modes de garde ne sont pas confronté-e-s, la distinction entre le cadre familial et le collectif « pédagogique » s’opérant de manière évidente.

Ici, ils/elles apprennent à voir leurs parents interagir avec le reste du groupe, faire des va-et-vient, déplacer leur centre d’attention sur l’ensemble de la crèche et non pas uniquement sur eux/elles comme cela pourrait être le cas à la maison. Emilie Paillot confie :

« Ce n’est pas toujours facile. Tilda était bébé en arrivant et très vite ça a été naturel mais il y a toujours des moments ou des phases où ils peuvent être pénibles car ils ne comprennent pas trop pourquoi on est là à s’occuper d’autres enfants ou la plupart du temps à faire les tâches ménagères au lieu d’être avec eux. »

Mais c’est aussi un challenge pour celles et ceux qui tiennent la permanence. Sans interférer avec les professionnel-le-s, il leur faut trouver un équilibre dans cette formule intégrant le parent à une garde extérieure au foyer. L’attention ne peut pas uniquement se porter sur son enfant mais doit être portée sur la globalité du groupe. Même si Yohanna et Emilie le confirment : chacun-e garde sa personnalité.

Pour Loïc Bernier, éducateur de jeunes enfants à Ty Bugale, « on accueille l’enfant et sa famille. Ce n’est pas évident de se confronter aux regards des parents, on n’est pas toujours très très à l’aise d’agir devant eux. Mais c’est une réelle richesse de travailler avec eux. En les voyant lors des permanences, on apprend à les connaître et donc à les comprendre plus facilement. Et ce qui est avantageux, c’est aussi qu’ils peuvent s’inspirer des pratiques des professionnel-le-s. »

Après avoir effectué sa formation à l’école Askoria de Rennes, il a toujours travaillé en crèche parentale. Pas forcément un choix mais son parcours, entre stages et remplacements, l’a mené à ce type de structure. L’expérience lui permet de ne plus appréhender de la même manière la présence du parent et la réaction de l’enfant.

Car lui, ainsi que l’ensemble de l’équipe éducative, est présent pour appliquer le projet pédagogique et éducatif, à savoir transmettre les valeurs et règles de vie définies avec le CA et selon les capacités et objectifs d’éveil cohérents à la petite enfance.

VALEURS PARTAGÉES

Et ce qu’il pointe en priorité – les parents également – c’est le respect. Respect des règles, respect des autres au sein de la collectivité et respect de son environnement.

À travers la socialisation de l’enfant, la vie en société, la politesse, etc. Ainsi que son éveil sur l’extérieur.

« On essaye de profiter de ce qui nous entoure, de faire des sorties. Au parc, au marché, à la gare, chez les pompiers, à l’aéroport… Et de ce que le quartier de l’Alma propose en terme de spectacles, etc. Par exemple, juste à côté de la crèche, il y a la structure Terre des arts qui les accueille pour des activités, pour l’éveil musical. Et puis si les parents ont des compétences particulières, ils peuvent aussi proposer des ateliers, s’ils en ont envie évidemment… », liste rapidement Yohanna Millet, sourire aux lèvres. Toujours en gardant la volonté de mélanger le groupe, sans le ciseler en petits comités établis par les catégories d’âge.

« Que les petit-e-s soient avec les grand-e-s et inversement provoquent une émulation entre eux/elles et plein de choses intéressantes se passent dans ces moments-là. Dans un climat serein et sécurisant. »
ajoute l’éducateur qui rappelle aussi l’importance du suivi personnel.

Au cours de la journée, l’équipe se veut donc attentive au développement de l’enfant en tant qu’individu en fonction de son propre rythme et ses besoins. En terme de sommeil, par exemple. Mais pas seulement.

ÉVEIL À L'ÉGALITÉ DES SEXES

Et c’est ce qui va éveiller le/la tout-e petit-e. La confrontation entre soi et les autres. L’équipe professionnelle couplée au turn over parental permet alors de conjuguer diversité des profils, des cultures et des approches.

Et c’est à ce moment-là que va se jouer, dans la petite enfance, l’intégration des assignations genrées. En observant et imitant les adultes référents, l’enfant développe inconsciemment les codes de la société selon son sexe.

Pas de raison a priori que la crèche parentale échappe à ce processus d’identification, tant le marketing genré est force d’accroissement et que les formations des professionnel-le-s résistent encore à inscrire de manière obligatoire des modules sur l’égalité des sexes. Du côté de Ty Bugale, rien à ce sujet n’est mentionné dans les projets pédagogique et éducatif, si ce n’est le principe global d’égalité. Néanmoins, Yohanna Millet et Emilie Paillot s’en défendent.

« Ici, nous avons tous les cas de figure mais en règle générale la parité est plutôt bien respectée. Que ce soit au niveau des enfants filles et enfants garçons. Ou que ce soit au niveau de la répartition des tâches entre les parents. Il n’y a pas a priori plus de femmes qui s’investissent que d’hommes. Après, évidemment, tout dépend du travail. Le papa de mes enfants est beaucoup en déplacement donc là c’est plus moi qui interviens mais pour notre fils il faisait les CA. », justifie la secrétaire.

Même son de cloche pour la présidente qui confirme qu’en prenant la liste des rôles et des personnes missionnées à chaque poste, on ne trouvera pas de différence significative entre l’implication des femmes et celle des hommes. Idem pour les permanences. Un argument important puisqu’il permet aux enfants de ne pas cataloguer la mère comme la préposée à l’éducation et aux tâches ménagères et ne pas associer le père au travail et au divertissement. Concrètement la femme gérant le foyer et l’homme le reste du monde.

Toutefois, Emilie aurait souhaité aller plus loin dans la réflexion en faisant intervenir une personne de l’association Questions d’égalité lors d’une réunion mensuelle.

« J’ai une amie qui était là-bas mais nous n’avons pas réussi à trouver de disponibilités communes et depuis elle a quitté son boulot. Mais je pense que c’est intéressant de pouvoir développer ces questions « philosophiques » et d’être aidé-e-s par des référents. Nous ne sommes pas des professionnel-le-s de la petite enfance, ni de l’égalité des sexes. Nous sommes des bénévoles, des parents, mais nous avons nos limites. Les temps de CA servent aussi à ça. On a déjà fait venir par exemple un médecin pour parler du sommeil des petit-e-s. Aborder l’égalité entre les filles et les garçons, ça me botte vraiment ! », explique Emilie Paillot qui avoue malgré tout qu’avec le déménagement prochain, il fallait bien établir des priorités.

LA DIVERSITÉ AVANT TOUT

Loïc Bernier, qui assurera dès octobre le poste de référent technique à mi-temps, en plus de son travail d’éducateur, apporte de son point de vue une autre approche.

Déjà, en tant qu’homme dans un secteur destiné très longtemps aux femmes de par la supposée fibre maternelle innée qu’elles possèderaient, il est conscient du regard que l’on peut porter sur ce type de stéréotype.

« Dans ma promo, sur 20 personnes, on était 2 garçons. Mais j’ai toujours été super bien accueilli, que ce soit à l’école ou sur le terrain. Aujourd’hui, la mixité est de plus en plus recherchée dans les équipes. », souligne-t-il.

Une avancée positive qui permet aux enfants d’être confrontés aux deux sexes. Loïc poursuit :

« C’est bien de sortir des grands clichés, des rôles attribués. Un homme peut être maternant aussi. Et je crois qu’il y a plein de façons d’être un homme et plein de façons d’être une femme. Et c’est bon pour le développement de l’enfant d’être face à des relations différentes, des imitations différentes, des références différentes. »

Il prône avant tout la diversité et l’humain dans son ensemble, dans ses complexités et nuances. Mais toujours en proposant les mêmes activités aux enfants sans le critère du sexe et surtout sans les orienter. « On ne joue pas qu’à un seul jeu, il n’y a pas qu’une seule lecture. C’est le mélange qui compte. Que les petits puissent jouer aux voitures tout comme aux poupées avec des présences masculines et des présences féminines. », conclut-il.

Sans revendiquer un modèle exemplaire, la crèche parentale offre une formule conviviale qui ne dissimule pas un côté contraignant pour celles et ceux qui ne pourraient adapter, selon leur travail et envies (sans jugement ou culpabilisation), leurs emplois du temps. Mais qui propose une alternative et peut-être une autre réflexion autour de la parentalité associée à l’éducation promue par les professionnel-le-s de la petite enfance et inversement.

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Crèche parentale, mode de garde alternatif
Une alternative familiale et participative
Faire autrement

Célian Ramis

Mythos 2016 : Fascinante figure de mère, bourgeoise et catho

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Théâtre de la Parcheminerie, Rennes
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Le 20 avril, à l’occasion du festival Mythos, Marine Bachelot Nguyen, David Gauchard et Emmanuelle Hiron dévoilaient une partie du cheminement invoqué dans la pièce Le fils, au théâtre de la Parcheminerie.
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Quand d’une idée originale de David Gauchard né un texte de Marine Bachelot Nguyen, sur la réflexion d’une mère bourgeoise et catholique, lu par Emmanuelle Hiron, la création avoisine le docu-fiction subtil et coup de poing. Le 20 avril, à l’occasion du festival Mythos, le trio dévoilait une partie du cheminement invoqué dans la pièce Le fils, au théâtre de la Parcheminerie.

David Gauchard, metteur en scène, collabore pour la première fois avec l’auteure et metteuse en scène Marine Bachelot Nguyen. Et l’avant-goût qu’ils nous proposent ce mercredi à la Parcheminerie est délicieux. Poignant, criant de vérités, original et intelligent. L’écriture est franche et sincère, teintée d’humour et d’émotions. Basée sur un fait d’actualité aussi terrible qu’intéressant, sociologiquement parlant, elle nous emporte dans une histoire qu’on voudrait être inventée de toute part.

Cette histoire, David Gauchard en est à l’initiative dans le processus de création. En 2011, en allant chercher sa fille à l’école, il est marqué par un événement. Dans la rue St Hélier à Rennes, l’accès est bloqué. Et pour cause, le 10 novembre se joue une pièce de Castellucci jugée blasphématoire par le mouvement Civitas qui manifeste son mécontentement de la place de Bretagne au TNB.

« De ce mouvement jusqu’à la Manif pour tous, j’avais envie de raconter ça. On discute donc avec Marine depuis 6-7 mois. La fin est encore à inventer. Mais on voudrait le présenter avant mai 2017 et les élections. », explique-t-il avant de laisser la parole à Marine Bachelot Nguyen, elle-même marquée par l’événement en question et engagée pour les droits des femmes et des LGBTI :

« Je suis intéressée par la socio-politique, le documentaire et la fiction. Et ça m’intéresse aussi la question du glissement idéologique et de la radicalisation dans les milieux de droite. Voir comment on raconte ça ensuite. »

Deux jours avant la présentation de la pièce Le fils, la comédienne Emmanuelle Hiron - dont le spectacle documentaire Les résidents était présenté l’an dernier lors du festival Mythos à l’Aire Libre - a eu connaissance du texte, qui devrait ensuite être accompagné en musique par une création d’Olivier Mellano.

UNE FEMME QUI SE RACONTE

Elle va se glisser, 35 minutes durant, dans la peau d’une femme mariée, pharmacienne, qui devient mère à 22 ans puis à 24 ans. Deux garçons, Olivier et Cyril. L’un est né par voie naturelle, l’autre par césarienne. Elle se souvient et raconte ses accouchements. Comment son mari a promis d’être un père moderne sans jamais oser de changer une couche.

La famille va à la messe, tous les dimanches « par tradition, par conviction, pour la représentation. » Ses enfants grandissent, deviennent des ados, s’éloignent. Elle questionne son rôle de mère, sa présence peut-être insuffisante dans leur éducation, à cause de son implication dans la pharmacie. Elle avoue l’ambivalence de son statut. Celle qui la fait aimer passionnément ses fils, en être fière, et celle qui la fait les détester en même temps.

Et elle s’interroge : comment a-t-elle glissé du perron de l’église au boulevard de la Liberté ? La suite de l’œuvre décortique les effets et les conséquences de sa présence à la manifestation, à la « prière de réparation ». Sur ses fils également. L’un étant présent dans le mouvement contestataire. L’autre étant à l’intérieur du TNB et assistant à la représentation. Et qui juge le spectacle chrétien, a contrario de ce qui est scandé dehors. « Le Christ est magnifié. Ça parle de la foi qui parfois nous abandonne mais le Christ lui est toujours là. (…) Va voir le spectacle, juge par toi-même. », dira-t-il à sa mère.

UNE FEMME QUI S’ÉLÈVE

Dès lors, la protagoniste sympathise avec la femme d’un médecin, qu’elle admire jusqu’alors. Une sorte d’élévation sociale dans sa vie et son quotidien de femme bourgeoise et commerçante. Elle fréquente un groupe de femmes qui discutent bioéthique, parlent IVG, de l’atrocité que subissent celles qui le vivent, elle admire « ces femmes et leur aisance » et fait retirer son stérilet, « geste d’ouverture à la vie ».

En parallèle, son fils ainé se radicalise et vote FN en 2012. Elle minimise, même si elle trouve ça un peu extrême, un peu choquant.

Un an après la procession de Civitas, elle intègre la Manif pour tous, s’investit dans ce mouvement qui prend de l’ampleur et qui prône la différence de droits entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Contre le mariage homosexuel et surtout contre l’accès de ces couples à la famille.

Elle s’exprime à la tribune, est transcendée par l’énergie du rassemblement, elle exulte, se sent belle, revigorée. Elle reprend vie dans le regard de son mari, avec qui la vie sexuelle s’était mise en veille. A présent, il la regarde, l’admire et ressent « une poussée de virilité provoquée par sa métamorphose. » Ils font l’amour, passionnément.

La suite est à écrire, à inventer. Mais l’essence de la pièce est posée. Et elle promet une création aboutie et passionnante. Le regard présenté à travers les yeux et les réflexions de cette mère est prenant et stimulant. Il invite à comprendre les mécanismes des glissements idéologiques et de la radicalisation.

UNE FEMME QUI S’ACCOMPLIT

Pour l’auteure, il était important « de regarder ce qui peut être à l’œuvre, ce qui se joue, car on est des êtres complexes. Cette femme, elle se réalise, elle vit un accomplissement. » Les discussions entre David Gauchard, Marine Bachelot Nguyen et maintenant Emmanuelle Hiron sont riches. De leurs histoires intimes et personnelles, leur ressenti sur les événements, les nombreux articles, recherches, entretiens trouvés et réalisés, résultent Le fils et l’envie d’en parler, de le mettre en mots et en scène.

A la demande du metteur en scène, la pièce est un monologue de mère, de femme. Marine Bachelot Nguyen s’en empare et en fait quelque chose de résolument engagé et politique. Ce projet auquel elle se met au service lui parle. Mais le cœur du sujet de la Manif pour tous lui reste incompréhensible. Un mouvement contre des droits, une communication extrêmement bien construite, grâce à des gros moyens financiers, une homophobie exacerbée, libérée, décomplexée.

Celle qui travaille sur l’intersectionalité des luttes, le féminisme et le racisme, se passionne pour les rapports de domination en tout genre, et ici pour le rapport de classes.

« Ce qui m’intéresse aussi, ce sont les monologues de femmes idéologiquement à l’opposé de moi. Comme j’avais fait pour un spectacle sur Cécilia Sarkozy. Il y a un truc qui m’intrigue chez ces femmes cathos. »
confie Marine Bachelot Nguyen.

Dans la Manif pour tous, elle observe des gens « extrêmement caricaturaux » mais également « des personnes qui nous ressemblent, des jeunes, des gens de 35-40 ans ». C’est cette figure « proche de nous » qui la saisit et qu’elle délivre dans cet extrait très bien écrit. Une femme pour qui on peut éprouver de l’empathie. Et une femme qui fait un effort d’introspective, de recul sur sa vie et qui ne nous épargne pas des passages que la norme a décidé tabous.

« On a tous des petites lâchetés au jour le jour. Des choses où on se dit « bof, c’est pas si grave ». Après il y a les conséquences. La pièce parle de sa réalisation à elle. De mère de famille à militante. Elle se réalise, s’épanouit. », explique Marine Bachelot Nguyen. Nous, on est séduit-e-s, subjugué-e-s, par l’ensemble du projet, on adhère illico.

Célian Ramis

Famille : un concept en pleine mutation

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Rennes
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Les mutations des schémas familiaux fascinent, inquiètent, voire dérangent. Pourquoi ? Une certitude : les femmes sont au cœur de ces évolutions. Enquête.
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La famille, cette institution, a volé en éclats et ses fragments essaimés aux quatre coins de notre société moderne ont pris racine, donnant naissance à de multiples formes familiales. Bien qu’il reste majoritaire, le modèle nucléaire n’est plus la seule norme, car « faire famille » aujourd’hui c’est créer du lien, au-delà de celui du sang.

Certes, tout n’est pas rose, mais le champ des possibles est incroyable et ces changements, sûrement déstabilisants, ne sont pas si récents. Émancipation de la femme et parité, autorité parentale partagée, assouplissement des procédures de divorce, promotion de l’individu et valorisation de l’enfant, droit absolu à l’enfant et progrès médicaux, pacs et mariage pour tous, matronyme, emploi et chômage… On doit donc à présent parler de familles, au pluriel.

Elles passionnent tout le monde, psychanalystes, sociologues, législateurs, réacs et progressistes… Si les intellectuels s’accordent sur la libération de la femme comme cause essentielle des évolutions familiales, leurs avis diffèrent quant aux autres raisons. L’ensemble de leurs analyses constitue une vue d’ensemble fascinante et réaliste.

À 40 ans à peine, Marie a créé, libre ou contrainte, plusieurs familles. Mariée, elle a dû renoncer à sa brillante carrière à la naissance de ses deux premiers fils. Le père les a quittés et Marie est devenue mère célibataire à la tête d’une famille monoparentale de quatre enfants. Aujourd’hui, elle a un nouveau fiancé, Pierre, lui-même père d'un garçon et d'une fille :

« On expérimente constamment. Quand je me suis retrouvée seule avec les enfants, ça a été très dur même si cela génère une solidarité inouïe autour de soi. J’ai même pensé me mettre en colocation avec une amie et son fils ».

Avec les enfants de Marie, Pierre « en fait parfois plus que leur père » et la jeune femme croit que l’altérité – la reconnaissance de l’autre dans sa différence - permet de trouver le bon équilibre, « qu’un tiers soit là de temps en temps, pour former un triangle. Ce n’est pas une question de sexe, mais de rôle : un autre adulte à côté de soi, différent avec son identité propre qui permet un équilibre, en l’occurrence familial, une complémentarité », explique-t-elle.

Benoît, lui, malgré la séparation d’avec sa seconde femme, continue de voir régulièrement le fils de celle-ci. « Il avait 2 ans quand j’ai rencontré sa mère et il a été mon beau fils pendant 10 ans, nous avons créé des liens forts », raconte-t-il. Marie et Benoît sont typiques de l’évolution des liens parentaux.

DES ARBRES GÉNÉALOGIQUES AUX MULTIPLES RAMIFICATIONS

Au sein même de la famille nucléaire les lignes bougent, puisque plus de 60 % des enfants naissent hors mariage (à Rennes, 64 % des enfants nés en 2014 sont issus de parents non mariés) autre institution en déclin. On compte 8 millions de famille en France et l’idée élargie du foyer permet de définir plusieurs archétypes : nucléaire ; monoparentale (1 famille sur 5 en France soit 20 %, dont 14 % ont un père à leur tête. 2,4 millions d’enfants sont élevés par 1 seul parent) ; décomposées en garde alternée ; recomposées (1 famille sur 10) ; homoparentale (A Rennes, de juin 2013 à novembre 2014, 64 mariages de couples de même sexe ont été célébrés) ; célibataire ayant adopté ; couple ayant adopté ; couple sans désir d’enfant.

Il y a également les Tanguy et les Boomerang, ou encore les non couples cohabitants identifiés par le sociologue rennais Claude Martin, et ses homologues américains Andrew Cherlin et Caitlin Cross-Barnet dans leur article « Living together apart : Vivre ensemble séparés ». Ils ne s’aiment plus mais sont financièrement dans l’impossibilité d’une séparation résidentielle. Enfin, les progrès de la procréation médicalement assistée (PMA) donne de plus en plus naissance à des fratries de jumeaux et triplés, en 40 ans leur nombre a doublé.

UN PEU D’HISTOIRE

De la fin du 18ème siècle et jusqu’à la Première guerre mondiale, le père a toute autorité, il gère le patrimoine qu’il lègue à son fils, auquel il a donné son nom. En 1914, la famille va se fonder sur l’amour conjugal. À partir de cette époque l’éducation des enfants devient la priorité, elle est basée sur la morale et a pour but la réussite sociale. Enfin, en 1965, prélude à mai 68, on établit l’égalité juridique entre le père et la mère, offrant un rôle inédit à chacun dans l’éducation des enfants. Celle-ci place alors l’épanouissement au centre.

En 1968, l’appétit d’égalité entre les sexes va permettre l’amélioration de la condition féminine : émancipation, indépendance, accès au travail, contrôle des naissances, puis la loi de réforme du divorce en 1975 qui permet la procédure amiable… Les changements se précipitent.

L’ANTHROPOLOGIE, POSTULAT DE BASE

Dans Les métamorphoses de la parenté, Maurice Godelier, l’un des plus grands anthropologues contemporains, met en avant trois mouvements précurseurs des mutations de la famille : l’émancipation de l’individu et l’apparition du libre choix du partenaire, l’égalité entre les sexes et la fin de la « toute puissance paternelle », et la valorisation de l’enfant. Une évolution irréversible de la société. Il ajoute que, contrairement à ce qu’on a longtemps cru, la famille n’est pas le fondement de la société.

Elle joue certes un rôle capital dans le développement de l’identité et de la personnalité des individus, et devient en ces temps où sévissent altération des liens sociaux, chômage et précarité, une zone de repli, mais ce sont les rapports politiques et religieux, et les rapports sociaux, qui font la structure d’une société. Il en va de même pour la filiation, qui n’est pas limitée au couple, et la reproduction qui n’est pas la parenté. Car le mariage n’est plus la condition sine qua non à la création d’une famille, le divorce et les familles recomposées développent la parenté non biologique, ou parenté sociale. Le rôle du beau-parent.

L’autorité n’est plus uniquement incarnée par le père biologique, et la mère n’est plus uniquement la référence protectrice. Ainsi, avec la valorisation de l’enfance, les progrès médicaux d’aide à la procréation, mais aussi le fait que l’homosexualité n’est plus considéré comme anormale, il est normal que les homosexuels désirent vivre leur sexualité librement et avoir des enfants. L’anthropologue aspire aussi à ce que l’on admette le recours aux mères porteuses, pour peu que l’encadrement juridique soit strict et réfléchi. Il s’agirait de reconnaître et d’encadrer une pratique existante.

Voilà longtemps déjà que les Françaises vont faire leurs enfants en Belgique et aux Etats-Unis. Pour appuyer ses propos, Maurice Godelier rappelle que ce sont dans les familles hétérosexuelles, dites traditionnelles, que l’on rencontre le plus d’enfants abandonnés, de femmes battues…

LE TRAVAIL ET L’EMPLOI AU CŒUR DU CHANGEMENT

Selon le sociologue Claude Martin - directeur de recherches au CNRS, spécialiste des politiques de l’enfance, de la famille et de la vieillesse, et de l’Etat social, auteur d’Etre un bon parent. Une injonction contemporaine, paru le 18 décembre aux Presses de l’EHESP (École des hautes études en santé publique) - penser qu’au sein de la famille on puisse trouver ce qui fait qu’elle bouge est faux, « elle est le miroir du monde dans lequel elle vit ».

Il considère que « dans le rapport entre famille et transformations de la société, le principal générateur de changements est l’évolution du travail et de ses conditions horaires, et de l’emploi ». Il insiste sur l’accès des femmes au salariat, puis sur la modification des heures de travail. Devenues atypiques, elles bouleversent la famille, dont les choix sont fonction des contraintes que cela génère, d’où découle également un affaissement du temps conjugal.

La famille est pilotée par des pressions, elle est le résultat des conditions qui l’environnent.

« Il faut observer les tableaux de bord familiaux sur les frigos, des planning faits avec dextérité, qui réclament des compromis conjugaux et génèrent des frictions ».
Claude Martin, sociologue.

Il convient selon lui de prendre également en compte deux variables, la trajectoire et la succession de générations.

LA FAMILLE N’EST PAS INVARIABLE

On remarque alors que les femmes ne veulent pas reproduire ce que leurs mères ont vécu. Entre 1900 et 1940, contrairement à ce que l’on croit, les femmes étaient malthusiennes (restriction démographique). À partir de 1945, il y a le fameux baby boom et son taux de fécondité aussi massif qu’inattendu. On note ensuite un taux de fécondité en chute au moment où les enfants du baby boom étaient en âge de procréer. Puis, de nouveau, la fécondité des françaises a augmenté.

Les femmes font à chaque génération l’inverse de leurs mères. On ne peut donc pas penser la famille comme invariable. Claude Martin ajoute une troisième variable, les idéologies et notamment celles qu’on entend actuellement, rétrogrades. « Le mariage pour tous est une loi conquise de haute lutte. Symboliquement c’est bien, c’est vertueux, mais statistiquement c’est epsilon. Nous avons affaire à une fiction de la part des conservateurs, ils évoquent une menace pour la civilisation en parlant d’une chose qui concerne très peu de gens. En revanche cela cache les vrais problèmes actuels de la famille, comme les conditions de vie et notamment celles des 18-25 ans. Ce mouvement réactionnaire confisque ainsi le débat sur les questions familiales », affirme-t-il.

Quant à PMA, on doit selon lui en avoir une approche juridique, éthique et philosophique, en faire une question de société, car ce sujet important ne concerne pas que les homosexuels. Enfin, l’expert souligne que la question de la famille doit se poser en fonction des âges de l’enfant, et tout au long de sa vie :

« La dépendance des personnes âgées est une question familiale ! Une vision des âges de la vie, intergénérationnelle, s’impose. Particulièrement avec le gain d’espérance de vie ».

L’ENFANT AU CENTRE DE LA PHOTO DE FAMILLE

L’idée de trajectoire de vie et de cerner la famille par rapport à chaque membre, et notamment l’enfant, Emilie Potin - maître de conférence, docteure en sociologie spécialiste de la protection de l’enfance et des liens construits au sein du placement, à Rennes – la défend aussi. L’enfant fait famille et toute cette famille bouge autour de lui. Avant il fallait se marier, aujourd’hui il faut avoir un enfant.

« La particularité dans le « faire famille » ce sont tous les possibles qui s’offrent à nous, la palette de modèles que l’on a, des outils dans nos trajectoires individuelles, c’est une liberté. Le seul lien que l’on ne peut pas défaire est la filiation, pourtant, le rôle de parents n’est pas inné, ce sont des rôles sociaux. C’est toute la question de l’égalité des sexes et du droit à l’enfant qui se concentre là ».
Emilie Potin, spécialiste de la protection de l'enfance.

Ainsi, on se leurre sur bien des modèles familiaux, comme la famille monoparentale, « Il faut arrêter avec les clichés qui voudraient, par exemple, qu’une famille monoparentale soit forcément en difficulté », argue-t-elle. Car il y a bien plusieurs parentés, biologique, d’accueil, spirituelle… et l’on doit alléger le poids des responsabilités que l’on fait porter aux parents, « il n’y a pas qu’eux ! D’autant plus qu’aujourd’hui où nous avons des espaces où l’on peut déléguer nos tâches parentales », note-t-elle.

Un enfant qui fait famille donc et qui peut être mobile, appartenir à plusieurs lignages et foyers, plus rien n’est figé. Les liens se construisent et se déconstruisent continuellement. Dans cette diversité des références il n’y a pas de bon modèle. C’est juste une question d’appropriation différente des archétypes.

« Avec ce très large éventail, il y a forcément intolérances. Mais la question principale ici est celle du droit à l’enfant. Les droits sociaux de la femme (travail, protection sociale, divorce, contraception, formation…) d’une part, et la place de l’enfant d’autre part. J’entends par là le fait qu’aujourd’hui on a le droit à la maîtrise du moment où l’on va avoir un enfant, voilà un débat intéressant »,
lance Emilie Potin.

L’ENFANT N’EST PLUS UNE ÉVIDENCE MAIS UN CHOIX

Et quand on fait le choix de ne pas avoir d’enfant, on bouscule toute la société. C’est ce qu’a observé Charlotte Debest - docteure en sociologie, auteure de « Le choix d’une vie sans enfant » aux PUR (Presses Universitaires Rennaises). « Il y a une grande tension entre deux valeurs fortes de la société contemporaine : les libertés individuelles et la famille. Chez la femme, la tension est prépondérante dans l’articulation des sphères familiale, professionnelle et personnelle. Elle choisit d’en prioriser une au détriment des autres », note la sociologue.

Selon elle, l’enfant est au cœur des différences entre femmes et hommes, dans nos représentations, puisqu’avec la contraception on déresponsabilise les hommes, et que lorsque l’on parle fécondité, on pense uniquement à la femme, comme si les hommes n’étaient pas féconds et donc mis hors jeu de la parentalité dès le début. De ce fait, tous les fantasmes par rapport à l’enfant se cristallisent autour de la femme.

« La femme est plus investie par la grossesse, elle assure 80 % des tâches domestiques, elle met sa carrière entre parenthèse, voire l’abandonne, car, elle est fatalement associée à l’instinct maternel. Pas les hommes. Alors, celle qui ne veut pas d’enfant perturbe l’ordre social, l’ordre des genres »,
raisonne la chercheuse.

La norme actuelle, très forte dans nos sociétés, est celle d’être parent, de faire famille en ayant un enfant. Cette famille est forcément associée au bien être, or c’est aussi le lieu où il y a des violences : « On n’imagine jamais que la famille est une zone de malheur, dans l’inconscient collectif c’est toujours le refuge, le bonheur ». Voilà pourquoi 95 % des gens annoncent vouloir des enfants. Et les 5 % restant ne sont jamais interrogés, notamment sur leurs motivations. « On ne leur donne certes pas la parole, mais on ne les nomme pas non plus. Aux Etats-Unis, on les appelle les « Child Free » », poursuit-elle.

Elles sont en France 4,2 %, et 60 % d’entre elles sont en couple et ont plus de 30 ans. Charlotte Debest a constaté qu’on ne prend jamais au sérieux ce qu’elles disent parce qu’il n’est pas possible de ne pas vouloir d’enfant. D’autant plus que la nouveauté de notre époque est la sacralisation de l’enfant, le droit absolu et le choix d’en avoir, oblige à les aime, d’où l’émergence d’une responsabilité parentale très prégnante, surtout pour la mère.

« Ce sont donc souvent les femmes qui sont un plus dures avec les « sans enfant », car cela les renvoie à leur propre choix et les pousse à réfléchir sur le fait que l’enfant n’est pas une évidence, mais un choix »,
continue Charlotte Debest.

Si parmi les premières raisons dans le désir de ne pas avoir d’enfant, il y a un triptyque liberté (être parent ce sont des contraintes qui briment la liberté en terme d’horaires notamment) - responsabilité (il est donc très compliqué de prendre la responsabilité de brimer sa liberté en prenant la responsabilité d’avoir un enfant, il s’agit là d’une responsabilité existentielle) - motivation (en terme de question sur le pourquoi on fait des enfants ? N’est-ce pas très narcissique ?), ces femmes « sans » ont une très haute idée du « être parent », une très haute estime de ce rôle.

Elles sont très altruistes, et pensent beaucoup à l’enfant à ne pas naître. « Pour être parent, il faut quitter un instant la rationalité pure, comme l’explique le démographe Henri Leridon dans son livre « Les enfants du désir » », conclut la sociologue.

LA FAMILLE PSYCHANALYSÉE

Que les puristes ne se méprennent pas et que les anti ne se scandalisent pas, il s’agit juste ici de tenter de décrypter ce que la psychanalyse nous apprend de la famille. Pour ce faire, Laurent Ottavi, professeur de Psychopathologie, directeur du Laboratoire Universitaire de Recherche et co-responsable du colloque « La Névrose et la famille moderne » - organisé le 20 novembre dernier, à l’hôpital Pontchaillou - nous a ouvert les portes de son cabinet.

« Dans l’émergence de ces nouveaux modèles familiaux, la psychanalyse a une responsabilité particulière. La grande surprise de Freud a été de découvrir qu’il y avait un rapport entre les névroses et les conditions de vie familiale. Les parents ne sont pas dans une position équivalente. C’est ce qui l’a mené à la découverte de l’Œdipe. Le vertige de Freud a été de croire que l’Œdipe était universel, dans les rapports tissés de désir, d’amour et de haine entre parents et enfants. Jacques Lacan, le seul à avoir pris Freud très au sérieux, a constaté qu’Œdipe n’était pas la panacée et que le modèle nucléaire n’était ni unique ni une vérité scientifique, les formes sociales évoluent. Tout dément l’épanouissement par le modèle papa-maman, et on ne peut pas entériner cela avec l’Œdipe, il faut aller au-delà », introduit le psychanalyste.

Selon Lacan, l’enfant doit se confronter à la fonction paternelle, qui est symbolique et va au-delà des seuls et simples liens du sang. Procréer n’est pas créer un lien de filiation, encore moins participer à « l’élevage » des enfants. Cette fonction peut être occupée par quelque d’autre. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que la science permet d’imaginer toutes sortes de configurations familiales. Dans la relation mère-enfant, pour que l’enfant se dégage, il faut une coupure, des interdits, des limites.

Quand l’enfant constate que la mère peut désirer, ailleurs, autre chose que lui, il prend conscience qu’il ne peut pas la combler, et il se détache. Et ce, qu’il y ait père ou non, car l’interdit peut venir du discours et de l’attitude de la mère. En s’appuyant sur l’Œdipe, Lacan va donc plus loin, en déclarant que dans la relation mère-enfant il faut l’intervention d’un tiers, qui n’est pas forcément le père physique.

LE PLAISIR INDIVIDUEL

Laurent Ottavi évoque que, depuis 1900, il y a eu modification des modalités de bien-être, de plaisir individuel, qui se sont précipitées dans les années 1960 et notamment avec mai 68. « Dans le discours psychanalytique, depuis les années 1960-1980, il y a cette revendication au bonheur individuel, puis à la nécessaire reconnaissance par l’autre », précise-t-il. L’idée repose sur le fait qu’auparavant on vivait bien avec sa différence, on l’admettait, on se moquait et on défiait le regard de l’autre. On a aujourd’hui besoin de lui.

Vivre son bonheur et le vivre bien ne suffit plus, il faut que cela soit reconnu et admit par la société, on est en recherche de cette reconnaissance sociale pour assumer son statut. C’est notamment vrai pour les homosexuels, les mères célibataires, les gens qui adoptent seuls… La souffrance de se sentir différent ou d’être montrer tel quel n’est plus supportable.

« La légitimation du bien être personnel est un produit de la psychanalyse », ponctue Laurent Ottavi. Quant à savoir ce que la psychanalyse entrevoit sur ce que ces nouveaux types de vie familiale génère de bonheur et de malheur, Laurant Ottavi est très serein :

« On manque encore de recul pour le savoir. Il est certain, que comme avec le modèle traditionnel, de nouvelles souffrances, des cas cliniques, émergeront. Ces modèles seront sans doute étouffants, comme l’a été le modèle traditionnel. Les nouvelles formes familiales ne font que révéler que les anciennes formes étaient arbitraires ».

LA FAMILLE ET LA LOI

« C’est la société qui a fait que le législateur légifère. Le droit n’est pas le générateur des changements de la famille et de la société », nous dit Claude Martin. Le législateur serait donc une sorte de chef d’orchestre. « Tout ce que le législatif permet pour se sentir bien, va dans le bon sens, mais sans cesse, et notamment à chaque fois que l’on défriche de nouveaux modes d’existence, nous assistons au surgissement d’oppressions. Il faut être vigilant. Pour les réacs, l’idée de bonheur individuel est immorale. Ils ont en commun avec les progressistes, l’idée que leur modèle est le meilleur, le seul valable », note Laurent Ottavi.

Pour Claude Martin, le trait culturel de La France est d’être un pays pessimiste et râleur. Cela engendre la peur du lendemain, or

« le discours de restauration d’un modèle traditionnel s’appuie là-dessus. Cette vision binaire du bien et du mal repose sur la peur. Les idéologies réactionnaires jouent là dessus et cela fonctionne avec l’amnésie générale ».

OUVRIR LE DÉBAT

Ces nouveaux modèles familiaux ont ceci de formidable, ils ouvrent un débat pluridisciplinaires, souvent houleux, et en leur sein même. Les choix éthiques et philosophiques corrélatifs sont précieux, ils doivent être discutés et encadrés. Et il convient de rester attentif pour qu’aucun retour en arrière ne soit commis ni même possible. Car, la famille restera ce lieu très intime dans lequel la société intervient sans cesse.

N’en déplaise à la minorité d’intolérants sectaires qui s’en offusque, la famille paternelle du Code Civil Napoléonien de 1804 n’est plus, vive les familles du XXIème siècle ! Sans doute sont-ils perturbés par le constat que le Pater Familias, en déclin depuis la Révolution Française, n’est pas un idéal ni achevé, ni relatif. Voilà 50 ans que les modèles familiaux ont commencé à muter sans mettre en péril notre civilisation.

En couple depuis plus de 10 ans, pacsées depuis 2004-2005, Mathilde et Caroline sont les premières femmes homosexuelles à s’être unies à la mairie de Rennes en juillet 2013. Aujourd’hui, elles sont mères de 4 enfants, conçus grâce à la PMA en Belgique. Témoignage.

Pourquoi avoir opté pour la PMA, et non la GPA par exemple, à l’étranger ?

Nous habitions en Champagne Ardenne et nous nous sentions proches de la Belgique. Pour la méthode, nous n’avions pas envie d’un tiers pour la grossesse. C’est notre famille que l’on voulait concevoir. Nous faisons appel à un donneur anonyme.

Comment ça s’est passé au niveau des démarches ?

Nous avons absolument tenu à passer par l’hôpital public. Nous avons été sur liste d’attente pendant 2 ans, c’est une procédure spécifique pour les femmes en couple. Il y a un accompagnement psy obligatoire, tout à fait pertinent d’ailleurs. Les professionnels doivent donner leur avis sur la recevabilité de notre demande. La Belgique pratique cela depuis 20 ans, l’accueil est très bon. Et il fallait trouver un suivi médical en France. On a cherché des noms de gynéco pratiquant cela pour les couples homosexuels. Il y en avait seulement 2, et les 2 avaient des dépassements d’honoraires ! Mais nous avions besoin d’un intermédiaire, c’était une relation gagnant-gagnant.

Vous avez alterné les grossesses entre vous ?

Non, c’est Caroline qui a fait toutes les grossesses. Elle en avait très envie. La finalité, c’est le bébé.

Comment a réagi votre entourage ?

Pour l’ainée, on ne l’a pas dit au début. D’une part, c’était notre projet. Et d’autre part, on ne savait pas si ça allait marcher. Une fois que le bébé est en route, c’est plus facile de l’annoncer. Pendant les démarches, déjà éprouvantes, on n’avait pas envie de rendre des comptes. Quand le bébé est né, évidemment on l’a crié à tout le monde ! (Rires)

Avoir recours à la PMA à l’étranger a-t-il une incidence sur la nationalité des enfants ?

Non, ce n’est pas comme la GPA, ça n’a pas d’incidence. La grossesse a eu lieu en France, avec un suivi gynéco normal et naturel.

Il faut quand même adopter l’enfant pour celle qui ne l’a pas porté…

Oui. Au niveau de l’état civil, l’enfant n’a qu’un seul parent. C’est Mathilde qui est allée faire toutes les déclarations de naissance. J’ai fait une tutelle testamentaire pour dire qu’elle était responsable également. Et nous avons demandé, et obtenu, auprès du tribunal de grande instance, l’autorité parentale. Elle pouvait donc tout faire avec eux, sauf les emmener à l’étranger sans mon accord.

Les démarches d’adoption sont-elles longues ?

Non, cela va très vite. Nous n’avons pas eu d’enquête sociale ou policière. Il s’agissait simplement d’un dossier administratif avec des photos, des attestations… On a plus dû se justifier lors de la demande d’autorité parentale…

Comment avez-vous vécu la protestation de la Manif pour tous ?

Très très mal ! Cela reste comme une cicatrice. Je pensais que le Pacs avait amoindri les choses mais le mouvement s’est déchainé. Ça ne fait pas de différence dans notre quotidien mais ils ont réussi à trouver de la visibilité et une écoute forte. Nous attendions de la gauche plus de droits, d’égalité. C’est comme si le gouvernement n’était pas à l’aise et nous considérait comme des sous-citoyens.

Le fait que le gouvernement n’ouvre pas la PMA en France pour les familles homoparentales n’a pas dû aider…

On n’imaginait pas que ça passerait comme une lettre à La Poste mais pas à ce point-là ! Ça a été une claque ! Ils ont autorisé la Manif pour tous a débordé.

Vos enfants ont-ils souffert de certaines critiques ?

Nous n’avons jamais eu de retours négatifs pour la plus grande, elle a 6 ans. Les jumeaux – fille/garçon – ont 3 ans et le dernier a 4 mois. La grande, nous l’avons déjà sentie gênée qu’on se présente comme ses 2 mamans. Mais à la maternelle, on les suit beaucoup pour expliquer car mieux vaut que tout soit clair dès le début. Des fois, les petits posent des questions mais ils n’ont pas encore de schéma pré-conçu alors il n’y a aucun problème. Notre fille est contente de sa famille. Après, elle a ses problèmes de petite fille, comme tout le monde.

Est-ce que vous avez eu accès toutes les 2 à un congé post-accouchement ?

J’ai eu le congé maternité et Mathilde a eu le congé de paternité ! Oui, c’est écrit comme ça. C’est au bon vouloir de l’employeur mais il a toujours accepté. Ce n’est pas le cas de tous les couples. Pour le premier congé, elle ne l’avait pas demandé, elle avait posé pas mal de congés.

Individuellement, vous vouliez avoir des enfants depuis longtemps ?

Mathilde voulait absolument avoir des enfants. Au moins 3 ! Moi, fondamentalement, je voulais en avoir. Mais je me demandais si c’était préjudiciable ou non pour l’enfant. Après ça, je n’ai pas eu d’hésitations.

Les associations, comme Arc-en-ciel, vous ont-elles aidé dans votre réflexion et vos démarches ?

Oui, un peu. Sur les parcours et les retours d’expérience. On va à quelques rencontres, 1 ou 2 fois par an. C’est sympa, surtout pour les enfants. C’est important qu’ils voient qu’il existe plusieurs schémas familiaux. Différents du leur et similaires aussi. C’est aussi pour ça qu’on explique clairement notre schéma à l’école ou en dehors. Et ça se passe plutôt bien. Même si c’est parfois fatiguant et que l’on aimerait ne pas se justifier en quelque sorte. Maintenant, c’est un peu différent, on est très investies dans la vie de l’école et ils nous connaissent bien.

Quelle est votre conception de la famille ?

Pour nous, elle n’est pas basée sur le biologique. Ce qui est important, c’est l’affectif, la responsabilité des parents, l’éducation que l’on donne à ses enfants, les valeurs qu’on leur transmet. En tout cas, il n’y a pas que le sang qui compte. Et l’argument de la nature, ça me hérisse les poils !

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