Célian Ramis

Femmes DJs : Quelle place pour elles ?

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Rennes
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Le sexe n'est pas un critère de talent. Mais être un homme semble favoriser la mise en lumière lors des soirées et festivals. Les musiques électroniques ne font pas exception. Enquête auprès des Djettes et des programmateurs musicaux.
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Le secteur de la musique n'échappe pas au sexisme. Lorsque les femmes sont mises en avant, c'est souvent pour leur physique, et non pour leurs qualités artistiques. Et les médias contribuent aveuglément à ce système. Dans les concerts ou les festivals, elles sont très peu programmées. À cause de leur faible nombre ? Ou d'un manque de compétences ?

YEGG a rencontré une dizaine de Rennaises Djs et des programmateurs artistiques pour comprendre ce phénomène flagrant, en particulier dans les musiques électroniques. Les clichés de genre restent bien ancrés, surtout dans l'esprit des premières concernées. Certaines refusent de jouer par peur de paraître « trop » féminines ou de ne pas savoir faire. Ce qui contribue à cette sous-représentation mais n'explique pas tout. Pas question non plus pour elles de promouvoir le fait qu'elles soient des femmes.

Les programmateurs ainsi que Béatrice Macé, co-dirigeante de l'association des Trans musicales (ATM) qui chapeaute l'Ubu, salle historique des musiques actuelles dans la capitale bretonne, refusent également une binarité hommes-femmes. Or, ces Djs, tout aussi talentueuses, méritent autant leur place que les hommes mais y accèdent peu. Ce paradoxe n'est pas propre à la musique. Au contraire, il semble révélateur du fonctionnement global de notre société.

Jeudi 24 septembre, 22h30. Le bar Le Chantier, en bas de la place des Lices, se remplit au fur et à mesure que les sons de basses augmentent. Ce soir-là, Midweek fête sa « Midweek des familles », soirée de retrouvailles « entre copains ». Trois membres de cette association rennaise, chargée d'organiser des évènements de musiques électroniques, créée en 2012, mixent chacun leur tour : Antoine Pamaran, Tristan MDWK et Vanadis.

L'ambiance de la salle aux murs orangés se réchauffe ; les pintes de bières se passent de main en main, le premier rang se déhanche en rythme. Après un premier passage en début de soirée, Vanadis mixe à nouveau. Derrière les platines vinyles et cds, posées sur une planche en bois et deux grands tonneaux de chantier, la Dj choisit les prochains morceaux qu'elle va diffuser.

Son énergie est communicative. Véritable pile électrique lors de son set, la jeune femme brune bat le rythme avec sa jambe gauche, bouge les bras et chante sur ses lèvres les paroles des chansons qu'elle passe. Au bout d'un quart d'heure, Antoine et Tristan la rejoignent sur l'estrade pour préparer les vinyles et mixer quelques morceaux. Une parole échangée, un regard entendu, la complicité entre les trois personnes se ressent derrière les tourne-disques.

« Il y a deux ans, je venais juste d'arriver à Rennes et je voulais m'investir comme bénévole dans le milieu des musiques électroniques. J'ai envoyé un message à Midweek car je trouvais leur programmation cool. Cela a très vite collé et c'est parti directement ! Les gars m'ont dit : "ça te dirait pas de mixer ?" et ma première date s'est faite en avril 2014 au Bar'Hic », se souvient Vanadis, de son vrai nom, Morgane Deturmeny.

La jeune femme de 22 ans, qui a pratiqué du piano petite, a acquis son oreille musicale grâce à son père, dévoreur de disques. Au lycée, l'étudiante s'est plus tournée vers l'électro, même si elle se qualifie comme une « grosse boulimique de sons » en tout genre : « Je ne peux pas passer une journée sans en écouter ! Je passe vraiment par tous les styles pour aller à la recherche de la petite pépite. »

Morgane a commencé à mixer par hasard. C'était, au départ, pour s'amuser avec son cercle d'amis. Ce parcours, les femmes Djs rennaises l'ont toutes eu, à quelques différences près. L'univers du mix s'est ouvert à elles par la pratique artistique ou grâce à des proches, qui leur ont prêté du matériel et des vinyles pour s'entraîner.

Certaines, comme Dj Miss Blue, ont usé, adolescentes, des semelles dans des concerts ou des festivals. « Depuis mes seize ans, je fais les Trans Musicales chaque année ! Je n'ai loupé le festival qu'une seule fois car j'étais à l'étranger », raconte cette trentenaire, lunettes bleues relevées sur ses cheveux blonds et vêtements indigo. Cette dernière tient son nom de scène à son prénom breton, Bleunienn, signifiant bleu, et a créé la majeure partie de son personnage sur scène autour de cette couleur.

De sa culture familiale bretonnante, elle en a créé un style musical, le « Breizh'n'bass » dans lequel elle mélange danses traditionnelles bretonnes et drum'n'bass : « En m'entraînant dans le garage et en puisant dans la bibliothèque de ma mère, je suis tombée sur les vinyles des sœurs Goadec, d'Alan Stivell et des Frères Morvan. Et je me suis rendue compte que les structures des morceaux de musique électronique collaient complètement avec le plinn et la gavotte. »

En 2006, la demoiselle bleue quitte son travail d'institutrice et se lance comme Dj. En une dizaine d'années, sa musique s'est très rapidement exportée à l'étranger, en Asie et aux États-Unis, pour animer des évènements en rapport avec la Bretagne, sa région natale dont elle parle couramment la langue.

Katell a également tourné sur la scène locale et hors des frontières. Mais, contrairement à Miss Blue, la jeune femme brune tatouée n'a jamais souhaité en vivre et ne le considère pas comme un métier, bien qu'elle mixe depuis onze ans. Elle préfère garder cette activité à côté, sans avoir la pression du nombre d'heures pour obtenir le statut d'intermittente du spectacle.

Partenaire de platines et amie de Katell, Menthine approuve : « Mixer, c'est comme une drogue ! Tu peux être derrière tes platines pendant des heures et des heures et ne pas t'en rendre compte. Il y a des heures de travail au compteur... Mais les cachets ne sont pas suffisants pour en faire un salaire et le temps ne le permet pas. »

COMMUNAUTÉ MUSICALE HIÉRACHISÉE

Être Dj, c'est surtout faire partie d'une « grande famille », celle des musiques électroniques. « Il y a un aspect très communautaire. Le son arrive comme un trait d'union entre les gens qui tendent vers une organisation commune », témoigne Katell, qui a beaucoup côtoyé le monde des « sound system » et des « free party ». S'y intégrer, en tant que femme, n'a jamais posé problème. « Nous n'avons jamais bagarré pour avoir notre place », répondent en chœur Menthine et Katell.

« On dit même merci aux gars, sans eux on aurait jamais eu de platines ! », s'enthousiasme Menthine, qui a animé les émissions électro Open Fader sur Radio Campus Rennes (RCR) et organisé les soirées du même nom de 2006 à 2015. Miss Blue ne s'est, elle, jamais posé la question : « Je ne m'en rends pas compte, je fais mon métier et je suis un peu dans ma bulle. »

"Tu joues bien pour une fille !" Cette remarque a pourtant parfois été dite après leurs passages. Des comportements qui leur indiquaient qu'elles restaient des femmes avant tout. Mac l'Arnaque, qui mixe du hip-hop et du rap depuis 2009, l'a ressenti une seule fois :

« Alors que je jouais, un jeune homme, en train de danser, s'est retourné, m'a regardé et est directement parti. »

Autre constat : une pression supplémentaire est souvent mise sur la technique lorsque les femmes jouent. « Quand on est exposées comme ça, en tant que femme, des connaisseurs viennent, par curiosité, pour voir comment on s'en sort. Cela met forcément un peu la pression », reconnaît Mac l'Arnaque, casquette enfoncée sur la tête, qui ne souhaite donner ni son nom civil ni son âge. Anecdotiques, peut-être, mais ces actes n'auraient jamais été faits à des Djs masculins. Menthine rétorque : « C'est le jeu et je préfère m'en amuser ! »

Dans cette « grande famille » électro, à Rennes, une partie rayonne, l'autre reste dans l'ombre. Et c'est dans cette deuxième catégorie que les femmes seraient le plus nombreuses. Elena Tissier, 25 ans, qui se produit en tant que The Unlikely Boy, le remarque :

« J'ai du mal à citer beaucoup de noms de femmes Djs à Rennes, on se sent un peu isolées. »

Et cela se retrouve dans les programmations musicales de la ville. Les femmes aux platines se font rares. Cédric Bouchu, alias Dj Ced, qui tourne à Rennes depuis 20 ans, en fait le constat. Ayant commencé à mixer à l'âge de 17 ans au Saint Georges, il n'a jamais été sur le même plateau qu'une fille alors qu'il a « fait facilement plus de 1000 dates ».

FAVORISER L’ARTISTE ET NON LE GENRE

Également programmateur du festival I'm from Rennes, qui met en avant la scène rock et électro depuis 2011, Ced l'avoue : « Des femmes Djs, il y en a très peu cette année... ». La quatrième édition, qui s'est étalée du 16 au 26 septembre, comptait seulement Valandis et Mr. et Mme Henri, un duo mixte.

Bien que le manque de femmes interroge l'équipe organisatrice masculine, ce n'est pas prioritaire lorsqu'ils constituent la programmation. Cédric Bouchu s'en défend : « Il n'y a que l'artistique qui nous intéresse, nous n'avons pas envie de faire un quota avec 50% d'hommes et 50% de femmes. »

Pourtant, la quinzième édition du festival Maintenant, qui fait des passerelles entre art, musique et technologies, prouve qu'il est possible de programmer autant d'hommes que de femmes Djs, sans faire de quota.

Cette année, du 13 au 18 octobre, elle donne un coup de projecteur à la scène locale Dj, lors de ses « Ambiances électroniques », à la Salle de la Cité. Sur six Djs, trois sont des femmes : The Unlikely Boy, Vanadis et Knappy Kaisernappy. « C'est involontaire, il n'y a pas de recherche de parité », réagit Gaétan Nael, programmateur du festival et adjoint à la direction de la salle de musiques actuelles, l'Antipode.

Pour élaborer chaque programmation, il rencontre les personnes, se déplace à leurs concerts ou les écoute sur Internet : « Je ne me focalise pas sur le sexe, je ne fais pas de calcul. L'objet du festival, c'est de révéler des choses peu montrées ainsi que de partager des coups de cœur. Si on peut donner la visibilité que les femmes méritent, tant mieux ! Car elles travaillent, elles cherchent des morceaux, elles ont une capacité à partager avec les gens, elles ne cherchent pas la facilité. »

Privilégier l'artiste par rapport au genre, ce discours d'une musique asexuée n'est pas nouveau. Et cette volonté vient autant des programmateurs que des femmes elles-mêmes.

« Je pense qu'il n'y a aucun artiste, homme ou femme, qui aurait envie d'être booké pour une histoire de quotas, en tout cas, j'espère que ce ne sera pas mon cas car je trouve ça extrêmement réducteur », développe Elsa Quintin, alias Knappy Kaisernappy, interviewée dans la trentième émission Technosaurus, qui se consacre à la place des femmes dans l'électro, diffusée le 2 juillet dernier sur la radio nantaise, Radio Prun.

L'artiste préférerait plutôt se concentrer uniquement sur le projet artistique :

« Il existe plein de manières d'incarner son son, qu'on soit un mec ou une nana cela ne change rien ! Je trouve qu'en France, la question du genre est trop binaire. »

L'ÉLECTRO SE DÉMOCRATISE

À Rennes, la scène électro se développe énormément depuis ces cinq dernières années, bien qu'elle soit présente en terre bretonne depuis le début des années 90. Elle s'est plus institutionnalisée grâce à l'autorisation de la municipalité, comme c'est le cas pour les « Rencontres Alternatives », teknival qui a lieu à la Prévalaye depuis cinq ans. Une tendance qui n'est cependant pas propre à la ville mais due à une impulsion nationale.

« Depuis deux, trois ans, l'Ubu, l'Antipode... Tout le monde s'y met ! Ça se démocratise. L'électro arrive même dans les festivals populaires et familiaux comme les Vieilles Charrues et Rock en Seine, qui touchent toutes les générations », analyse Katell, installée à Rennes depuis quinze ans. La demande vient également des bars, à la recherche de Djs. D'après Mac l'Arnaque, qui a mixé en inter-plateaux aux Trans Musicales en 2014, ces derniers sont plus accessibles pour se produire que trouver une résidence.

« De nombreux collectifs ont toujours existé sur des esthétiques différentes comme la noise, la techno ou la drum'n'bass. Le bassin étudiant rennais a toujours permis un renouveau »
tient à rappeler le programmateur de l'Antipode.

L'effervescence autour de ce style musical multiplie les initiatives. Au 1988 Live Club, qui coordonne toute la programmation de la discothèque Le Pym's, c'est de cette façon que les soirées « elektro » se sont instaurées tous les vendredi soirs.

Si ce courant est autant en vogue, c'est grâce à l'arrivée des nouvelles technologies qui le rendent à portée de main et de clavier. « Avant, on apprenait à mixer et à caler en même temps les disques vinyles. Désormais, il faut seulement mettre les morceaux qui vont ensemble et qui ont une bonne rythmique. La technique est moins dure », développe Katell, qui mixe toujours avec uniquement des vinyles.  

À LA RECHERCHE DES FEMMES DJS

Decilab, Pulse, Social Afterwork, Midweek... Toutes ces organisations rennaises « très très masculines », selon The Unlikely Boy, dessinent le paysage électro le plus visible de la ville. La solution pour le transformer ? « Je pense qu'il faut lancer le mouvement », affirme Vanadis.

Ces dernières années, de nouveaux noms féminins sont apparus sur les affiches. « Plus on y réfléchit, plus on se rend compte qu'il y a pas mal de nanas Djs ! Rennes est un grand village », sourit Katell. « Pourvu que ça dure, que ce ne soit pas juste un effet de mode », espère Menthine.

Si les femmes Djs restent moins visibles, ce serait à cause des réseaux majoritairement masculins des programmateurs, avance Carole Lardoux, directrice artistique de la salle du Carré Sévigné, à Cesson-Sévigné :

« Je ne crois pas qu'il y ait d'actes volontaires de leur part de ne pas programmer de femmes. Parfois, ce sont des réseaux d'affinités et de sensibilité artistique. Il faut être à la croisée des réseaux afin de leur porter une attention tout aussi particulière. Il y a beaucoup de femmes qui créent, il faut juste y avoir accès. »

Pour beaucoup, programmer autant de femmes que d'hommes semble facile. Noëmie Vermoesen, qui mène une thèse sur les musiques électroniques à l'université Rennes 2, était de cet avis-là : « Je disais : "Ils font chier les programmateurs, on peut trouver des nanas !" ».

L'ancienne animatrice à Canal B de l'émission Track/Narre a déménagé à Berlin cet été. Depuis, la doctorante organise toutes les trois semaines une soirée électro où, une fois sur deux, l'artiste est féminine :

« C'est beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. C'est important qu'il n'y ait pas que le critère « nana », il faut qu'il y ait quand même des affinités artistiques et personnelles avec la personne. »

Alors, les femmes Djs ont décidé de se les créer elles-mêmes, ces réseaux. En 2010, Mac l'Arnaque a crée le collectif rennais « Girls do it better » avec deux autres Djettes, Dj TFlow et Fckn Mood. « Quand il y a des filles Djs, on fait une petite veille mais on ne veut pas créer un cercle de Djettes. Ce n'est pas parce que t'es une fille qu'on va faire des choses ensemble mais on se serre les coudes, qu'on le veuille ou non », indique-t-elle. L'année dernière, Katell et Menthine ont appelé leur nouvelle formation duo, Las Gatas Electronicas, qui signifie en français « Les Chattes Électroniques ».

Ces noms, quelque peu provocateurs, ne se veulent pas revendicatifs. « On ne se prend pas au sérieux ! », rigole Menthine. Ces rassemblements permettent surtout de se regrouper par projets communs. Depuis neuf ans, Miss Blue fait partie du collectif international Geishaz, qui met en relation uniquement des femmes qui mixent : « Aux États-Unis, c'est moins exceptionnel qu'une fille soit Dj. » Geishaz est surtout un moyen d'entraide pour se trouver des dates.

S'AFFIRMER DANS UN MILIEU MASCULIN

« La seule différence que je vois entre une femme et un homme Dj à Rennes, c'est que beaucoup de Djs hommes se manifestent à nous, là où une femme est plus réservée et ne va pas oser », remarque Gaétan Nael.

Ce problème de confiance en soi et d'auto-censure est surtout dû à un conditionnement typiquement féminin, qui tend à se dévaloriser et se sentir illégitimes. « Beaucoup de filles qui sont à fond dans le son me disent : "Je ne saurai pas faire" », remarque Vanadis. Les stéréotypes de genre ont la vie dure :

« Il y a moins de filles qui jouent, je ne pense pas que cela vienne de l'extérieur. Les nanas ne s'y mettent pas trop car elles pensent que c'est réservé à la gente masculine, comme le bricolage ! »
rigole Menthine.

« Ce n'est pas parce qu'il y a des câbles et des ordinateurs qu'une fille ne peut pas le faire », lance The Unlikely Boy. 

Il faut donc une volonté de fer pour s'affirmer dans un milieu majoritairement d'hommes. « Dans la musique, les femmes doivent tout le temps avoir des forts caractères. Chez les mecs, il y en a des assez timides derrière les platines. Une meuf, elle, elle sait ce qu'elle veut ! », compare Cédric Bouchu. Et les femmes Djs de la capitale bretonne le savent. Quitte à s'y conformer et favoriser leur côté plus masculin.

« Je suis un peu garçon manqué, j'ai très peu d'amies, la plupart sont des mecs », reconnaît Vanadis. Sur scène, Mac l'Arnaque ne veut pas du tout valoriser sa féminité : « J'ai baigné dans la culture urbaine, je m'habille avec des casquettes et des baskets. » 

Or faut-il nécessairement mettre de côté sa féminité pour jouer ? Cette question a posé problème à Juliette, l'animatrice de l'émission nantaise Technosaurus. « J'ai rapidement abandonné l'idée de mixer car je ne voulais pas renvoyer l'image de la fille faiblarde qui ne cache pas du tout sa féminité. Ma phobie, c'est d'être classée comme "pétasse de la techno". Je me suis moi-même arrêté aux a priori que je dénonce. Alors, oui, on peut être une petite meuf en sucre, avoir sa féminité et être une bête derrière les platines », raconte-t-elle dans sa trentième émission.

Cependant, les fantasmes des programmateurs sur les Djettes existent bel et bien. « Une femme Dj va tenir une sorte de faire valoir, les mecs la programment car elle est jolie. Je sais que c'est quelque chose qui se fait », avoue Sylvain Le Pennec. « Certains programmateurs, quand on dit Djette, ils voient tout de suite une personne girlie, bien apprêtée et canon », rajoute Mac.

SOIRÉES FÉMININES, MARKETING OU LEVIER VERS LA VISIBILITÉ ?

Pour cette raison, les soirées Djs « 100% filles » sont encouragées car elles deviennent des arguments marketing. Le collectif France Téléconne en a fait l'expérience lorsqu'il a démarché les bars de Rennes pour organiser sa soirée « 100% meufs ». « Nous n'avons jamais eu de refus catégorique, les gens sont plutôt enthousiastes, note Adélaïde Haslé, la programmatrice. Mais ils trouvent ça trop cool car on est des filles, c'est comme si ils venaient voir un spectacle ! » Jeanne Marie Heard, deuxième tête pensante du collectif, rajoute : « Mais on s'en tape un peu, on s'affranchit de ça ! »

L'envie de cette soirée : s'amuser. Alors, ce collectif de « fêtardes et pochardes », comme elles se définissent, a mis en place un moment festif dans lequel les filles, la plupart inexpérimentées, pourront mixer pour le plaisir, le 28 novembre, au Bar'Hic.

« On passe la même musique que les mecs alors on estime qu'on a autant notre place dans le milieu »
développe Adélaïde, 34 ans, grande consommatrice de concerts avant d'être Dj.

Passer par la petite porte, plutôt que d'attendre, telle est leur philosophie. « L'idée n'est pas de nier les différences entre les hommes et les femmes mais ce n'est pas parce qu'on n'est pas pareils qu'on ne doit pas avoir les mêmes places », estime-t-elle.

Revendiquer des soirées 100% féminines dérangent les programmateurs. Sylvain Le Pennec parle d'effet « hyper pervers » : « En disant cela, on dessert la cause car on ne met en avant que des noms ». Même discours du côté de Gaétan Nael :

« Le clivage sera plus important si on oppose hommes et femmes. Un bon artiste est un bon artiste, qu'il soit homme ou femme. »

UN BON ARTISTE RESTE UN HOMME

Le souci vient de là : si un bon artiste est repéré, il effectue beaucoup de dates. Alors que le vivier se féminise de plus en plus, pourquoi aussi peu de femmes sont programmées ?  Publiées en 2013, les statistiques du collectif berlinois female:pressure parlent d'elles mêmes : les femmes ne représentaient que 8,4% de têtes d'affiches des festivals électros internationaux. 

« Nous pensons qu'il est inacceptable qu'au 21ème siècle, nous en soyons encore à constater que nous sommes parfois la seule femme figurant au programme d'un grand festival. Nous connaissons un grand nombre de collègues femmes tout aussi intéressantes les unes que les autres et nous pensons que le public par ailleurs très mixte, mérite d'entendre ces artistes », écrit le collectif dans un communiqué de presse publié le 8 mars 2013, pour la journée des droits des femmes.  

Organiser des évènements uniquement féminins a, pourtant, un effet sur la programmation. Pour preuve, en ajoutant les festivals « 100% femmes », la barre des 10% est atteinte.

Dans la même dynamique, Alice Cornélus a fondé en 2012, le réseau Women Multimedia Network !, qui soutient activement et communique sur les artistes féminines des arts numériques dont l'électro. Sa devise : « Ce n’est pas une question de genre mais de visibilité ! ».

LENTE PRISE DE CONSCIENCE

Malgré tout, le milieu des musiques électroniques évolue. C'est, en tout cas, ce que considère Noëmie Vermoesen, qui voit les changements à la fois en France et en Allemagne :

« Il y a une vraie prise de conscience et un changement de mentalités dans le milieu. De plus en plus de mecs s'en rendent compte et n'abordent plus le truc de la même façon. »

En un an, les chiffres de female:pressure 2015 montrent eux aussi une amélioration. L'année dernière, 10,8% de femmes se partageaient l'affiche de festivals.

Le milieu musical, en particulier des musiques actuelles, s'intéresse de plus en plus à cette problématique. Des artistes féminines occidentales poussent régulièrement des coups de gueule sur le sexisme ambiant. Dernier exemple marquant : l'artiste islandaise Björk en janvier dernier. Interviewée par le magazine Pitchfork, elle rapporte le conseil qu'elle a donné à la rappeuse M.I.A lorsqu'elles se sont rencontrées :

«[...] Je lui ai dit : Prends-toi en photo devant une table de mixage dans un studio, et les gens se diront "Oh, ok ! Une femme avec une machine, comme un homme avec une guitare."» Depuis, de nombreux blogs, comme Visibility et celui de female:pressure, ont été ouverts sur lesquels les musiciennes publient des photographies d'elles en train de travailler.

SECOND RÔLE POUR LES FEMMES

« L'évolution à Rennes, je la sens comme je peux la sentir dans la société française, ça s'ouvre petit à petit avec une volonté gouvernementale », commente le programmateur du 1988 Live Club. De plus en plus de femmes s'orientent, en effet, dans le milieu musical, que ce soit sur scène ou à la technique.

Cependant, elles restent toujours cantonnées au second rôle. « Les nanas sont dans les chœurs ou jouent du tambourin. C'est souvent aussi l'image de la groupie, la copine du chanteur ou celle qui s'occupe du catering..., rit jaune Adélaïde du collectif rennais France Téléconne. Elles ne se trouvent pas aux places fortes comme à l'organisation. Nous sommes les seules avec Nate & Jojo à programmer des concerts électro. Tout est lié au sexisme de notre société, la musique ne déroge pas à cela, bien que ce soit pourtant censé être plus ouvert. »

Alors que le secteur devient plus paritaire, les femmes restent bien souvent en arrière-plan, qu’elles le veuillent ou non. Alors on repose la question : Pourquoi cette évolution n'écarte-t-elle pas le fait qu'un Dj, ou plus généralement un artiste, reste toujours un homme, par défaut ?

 

Co-directrice de l’Association Trans Musicales, elle gère depuis plus de 37 ans les célèbres Rencontres Trans Musicales à Rennes et assume sans complexe d’être la femme de l’ombre, au profit de Jean-Louis Brossard, directeur artistique.

YEGG : D’où venez-vous et êtes-vous issue d’un milieu musical ?

Béatrice Macé : Je viens de Dinan, je suis arrivée à Rennes après mon bac. Je voulais faire des études d’archéologie mais j’ai fait latin, grec, histoire de l’art. Je devais faire ma licence et partir à Paris mais les Trans sont nées avant. Et comme je n’étais pas majeure, la majorité était à 21 ans à l’époque, mes parents n’ont pas voulu que j’y aille. Pour le milieu culturel, on était plutôt branchés bouquins, patrimoine, histoire. J’ai une grand-mère pianiste et un père saxophoniste mais, petite, j’ai refusé de faire le Conservatoire. J’ai refusé car il y allait avoir les mêmes filles qu’à l’école. Ça m’énervait.

Pourquoi ?

Être à nouveau en compétition… J’ai 57 ans aujourd’hui alors là je vous parle d’une époque avant 68. Il y avait une culture académique. À  la maison, mon père écoutait du classique, du jazz. Il avait fait pas mal de concerts à Paris. C’était quand même très classique. J’ai regretté plus tard de ne pas être allée au Conservatoire, je me suis mise au piano mais j’ai abandonné car je n’avais aucun don pour ça. J’étais beaucoup plus dans les bouquins et les musées.

Dans quel contexte est né le trio avec Jean-Louis Brossard et Hervé Bordier ?

Il y avait peu de concerts de musiques actuelles à Rennes. Il y avait moins de 20 concerts à l’année. Rien à voir avec l’effervescence de maintenant ! Aujourd’hui, plus personne n’a conscience de ça. C’était de la musique académique qui passait. J’ai rencontré Jean-Louis à la fac, à Villejean et on a gardé le contact. Lui, il avait déjà rencontré Hervé. Jean-Louis achetait déjà beaucoup de disque. Comme moi, il venait d’une culture hyper classique mais dès qu’il a découvert le monde du rock il s’y est mis à fond, d’abord en écoutant la radio, et ensuite en achetant les disques.

Je n’ai pas une grande culture musicale dans ce domaine, à part The Doors, Hendrix, Neil Young, j’avais repéré aussi la musique black avec Otis Redding, Aretha Franklin… Mais bon j’étais branchée Louvre et arts plastiques. D’où histoire de l’art à la fac. Et justement à la fac, c’était une expérience de vie. On était très insouciants. Donc Jean-Louis rencontre Hervé et on rentre dans l’association. Ce qui m’a branchée, c’est l’énergie, l’ambiance particulière. C’était comme je m’amuse à le dire une post-adolescence. J’avais 19 balais à ce moment-là, tu fais tes expériences. En plus venant de Dinan, une petite ville, tu arrives là dedans, c’est fou.

Ça ressemblait à quoi alors les concerts à cette époque ?

Déjà il faut se dire que là la 37e édition des Trans ne ressemble plus du tout à ce que l’on faisait au début. C’était très post 68, les gens ne voulaient pas payer pour aller au concert, c’était une société où la contre-culture était forte. On ne parlait pas de musiques actuelles mais de rock, d’esthétiques. On est en 77, il y a encore un esprit contestataire, sans les manifs, Morrisson est mort, le trio des 27 ans est mort.

Et puis on commence à rentrer dans le rock industrie. Juste après Yes. Le punk est venu comme une réponse, un redémarrage de la contre-culture. Le rock s’académise. Il y a une contestation contre le marché dans lequel entre le rock. Et nous, on est une toute petite asso Terrapin, en référence à une chanson de Syd Barrett, le chanteur des Pink Floyd, qui veut dire Tortue d’eau douce.

À cette époque, j’ai une copine qui habite à Londres et avec Jean-Louis et d’autres potes on allait passer toutes nos vacances de Noël chez elle. On faisait tous les concerts et Jean-Louis achetait des disques. Les Trans sont la continuité de cette manière de vivre. J’ai arrêté les études pour organiser des concerts. C’est une manière de vivre pour exprimer une forme de liberté. Une manière de dire non à un parcours social qui aurait pu nous conduire à reproduire ce qu’avaient fait nos parents ! On a décidé de vivre comme on avait envie de vivre et d’en faire notre métier.

Quel est votre rôle au sein de l’ATM ?

Ce qui m’intéresse, c’est de construire un projet, de dire quelque chose. Nous sommes en co-direction avec Jean-Louis et je m’occupe du projet, de l’écrire. En fonction de l’histoire et du positionnement du festival, comme on l’a décidé. Avant, c’était en juin, les 14 et 15 juin. On a fait un concert de soutien à Terrapin qui avait des problèmes financiers. On avait décidé de faire monter sur scène des groupes rennais. Ce n’était pas dans l’objectif de le refaire l’année suivante.

Mais les artistes et les publics sont venus nous solliciter. On a décalé en décembre car c’était une période sans examens. Mais il n’y avait pas de préméditation. Faire un festival, c’est interrompre le quotidien pour proposer quelque chose de différent. On y passe toute la nuit, il y a une intensité différente. On voit plusieurs groupes, les émotions sont beaucoup plus sollicitées. Aujourd’hui sur les Trans il y a une bonne quinzaine d’esthétiques majoritaires. Ça prend plus qu’un concert.

En 85, on arrête Terrapin et on lance l’ATM. On en fait notre festival les années suivantes. En 90, on reprend la gestion de l’Ubu, puis les rave ont eu un impact sur nous. En 96, c’est le départ d’Hervé. Mais nous on voulait continuer. Ça fait 20 ans maintenant et les choses se sont enchainées dans une logique. On n’est jamais rassasiés. D’une année sur l’autre ce n’est pas la même ambiance, pas les mêmes enjeux, pas la même programmation.

Le cadre est similaire mais les éditions sont différentes. Il n’y a pas de lassitude. Je travaille le même projet mais de manière différente. Le projet c’est la philosophie instinctive des 1ères Trans, c’est ça qui nous intéresse de développer.

C’est aussi de montrer des artistes rennais qui ne sont pas connus. Marquis de Sade, Etienne Daho, cette année, Her, Kaviar Special… Mais à l’époque Marquis de Sade et Etienne Daho, ils n’étaient pas connus. Le rock n’avait pas le droit de cité à ce moment-là. Aujourd’hui, les gens ne maitrisent pas leur choix culturel. Avec Internet et le marché, on pré-choisit pour nous. Et la diffusion est limitée par rapport à la création.

Ce qui nous intéresse, c’est de faire connaître la chose inconnue. Les Trans, c’est l’interstice entre ce qui existe et qui n’est pas très connu. Des artistes singuliers qui ne sont pas encore dans la focale des médias. C’est cette singularité qui nous plait, le truc qui fait que ça marquera l’histoire des arts et de la musique. On est là pour les faire découvrir. Ça ne veut pas dire forcer à aimer.

Concrètement, quel est votre boulot ?

Dans le projet, j’écris tout. À quoi je sers ? Attendez, je vais vous montrer (elle se lève et va chercher le projet rédigé sur son bureau, ndlr). J’écris tout le projet artistique que Jean-Louis va mettre en forme. Je fais une Convention aussi pour les partenaires. En fait, je réunis les conditions pour que le projet existe. Avant, j’étais directrice de production et de projet. Mais j’ai délégué.

Je travaille sur la construction du futur, la prospective et sur comment on va passer le projet. Je prends les décisions d’être dans l’Agenda 21, les normes ISO, d’aller au Parc expo, je fais et je négocie les dossiers. Je suis directrice mais pas artistique. Par contre, je suis dans l’accompagnement artistique. Le jeu de l’ouïe, Mémoires de Trans… tout ça c’est moi. En fait j’ai un rôle d’architecte : je pose les bases et les murs de la maison ATM. Mais les gens ne voient que ce que Jean-Louis fait.

Et ce n’est pas frustrant ?

Pas frustrant du tout.

Pourtant, vous le soulignez. Simple constat ou petite blessure ?

Vraiment, je ne suis pas frustrée. Je sais ce que je fais, je sais quelle est ma place, quel est mon rôle. Par exemple, je ne veux plus aller à Paris rencontrer les journalistes. Je ne me sens pas à l’aise. Je me sens à l’aise au moment des Trans, quand je suis dans le public et que tout se passe bien. Je gère aussi la sécu’, les bars, etc. Je suis comme une cheffe d’entreprise. Je fais en sorte que tout ça existe. Jean-Louis est le cœur du réacteur et moi mon rôle est de d’alimenter le corps en sang.

Je reviens sur le fait que vous avez délégué. Dans un article de Libération, paru en 2011, un acteur culturel rennais dit de vous : « Sans elle, le festival ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui. C’est une bosseuse hors pair, qui n’arrête jamais et qui a du mal à déléguer. Elle en fait 15 000 fois trop »…

(Rires) Oui, c’est vrai. C’est mon tempérament. Mais c’était en 2011 ? J’ai changé depuis. On a dit qu’on transmettait, je délègue. Et puis, je vais vous dire : à 57 ans, on ne veut plus faire ce que l’on faisait à 45 ans. J’en fais beaucoup moins aujourd’hui. Je préfère le monde des idées et la transformation des idées. Écrire le projet pour les 40èmes Trans. Faire en sorte que le quotidien des équipes soit moins compliqué. Ne pas laisser le projet se scléroser.

Et pour être dans l’interstice du connu et de l’inconnu, nous devons toujours être attentifs. Toujours prendre en considération les évolutions culturelles et musicales. Par exemple, les réseaux sociaux ont changé le festival. On a donc un webmaster, un community manager, un tweet wall… Perso, je ne pratique pas ça mais c’est la pratique des jeunes qui viennent au festival. Et notre rôle là dedans, c’est aussi de ne jamais oublier qu’il va y avoir un après 37e, un après 38e, etc.

En 40 ans de carrière, vous devez avoir des anecdotes sur le sexisme dans ce milieu non ?

J’ai vu des hommes quitter la salle, quitter l’équipe même juste parce qu’ils avaient une femme en face d’eux. Enfin, je n’ai pas bon caractère aussi, il faut bien le dire… Bon, je vous dis ça mais c’était il y a très longtemps. Ou alors en réunion, j’ai déjà dit une phrase et c’est arrivé que quelqu’un la reprenne en disant « Comme a dit Jean-Louis… » ! Par contre, j’ai toujours eu de la chance avec Hervé et Jean-Louis car pour eux, ça n’a jamais été un problème de bosser avec une femme. 

Mais bon, c’est sûr qu’on n’est pas beaucoup de directrices. 12% je crois selon HF. Ce n’est pas beaucoup ! Et dans les programmations, c’est pareil. Le secteur culturel n’est pas mieux que les autres. On pourrait penser le contraire, mais non. L’étude de Reine Prat montre aussi que les subventions accordées sont plus importantes quand c’est un homme qui porte le projet.

Vous êtes pénalisés à l’ATM ? Puisque c’est vous qui allez chercher les sous…

On a la plus grosse subvention de musiques actuelles donc je ne peux vous dire si nous sommes pénalisés (Rires). Mais vous savez aujourd’hui, tout le secteur est en crise. La différence entre nous et les plus petites structures, c’est que nous on tombera de plus haut.

Il faut s’imposer quand même femme à la tête d’une des plus grosses structures musicales…

Pour tout vous dire, je suis partie de l’association pendant 2 ans. Lors de l’édition 84 et je suis revenue pour l’édition 86 parce qu’Hervé est venu me chercher. Et ils ne m’avaient pas remplacée.

Pourquoi êtes-vous partie ?

J’en avais marre d’être la seule fille aux Trans. On était 3 nanas à la base et les deux autres sont parties. J’avais envie de prouver que je n’étais pas juste la nana des Trans. J’étais mal à l’aise quand je me suis retrouvée seule et j’avais aussi besoin de faire autre chose. D’exister et pas seulement à travers les Trans. Maintenant, l’ATM c’est mon univers. Quand j’arrive au bureau le matin, c’est mon univers, les Trans, l’Ubu, je suis à l’aise et je suis à la maison. Mais oui je me suis imposée.

Et vous ne vous dites pas féministe ?...

Pas militante féministe. Par contre, je réclame pour moi et pour les femmes que je connais le même respect et la même attention que pour les hommes. J’avais 16 ans quand la loi sur l’avortement est passée. J’ai encore des bouquins de mes 14/15 ans qui sont féministes. Jeune, j’ai lu le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. J’y suis sensible.

Pour moi, nous sommes avant tout des êtres humains. Je suis pour le respect pour tous, hommes et femmes, femmes et hommes. À mon époque, il y avait des radicales, anti hommes. Je ne suis pas dans l’antagonisme, dans l’opposition.

Et dans le contexte d’aujourd’hui ? Quand on a une fille de plus de 20 ans…

Ma fille a 22 ans et elle a été élevée par des femmes qui ont toujours bossé. Ma grand-mère, ma mère, moi… on a toutes fait des carrières professionnelles. Et puis, il faut dire que mon père était cool. Lors de la loi de 63, quand les femmes ont eu le droit d’ouvrir un compte bancaire, qu’elles ne passaient plus de l’aval de leur père à celle de leur mari… mon père avait dépassé ça depuis très longtemps.

J’ai toujours vu mon père aider ma mère qui était indépendante financièrement et socialement, elle gérait sa vie ! J’ai toujours baigné là dedans. Et je n’ai jamais eu à me poser la question par rapport à mon sexe. Je suis un être humain à part entière. Certaines femmes sont bridées. Pour moi, ce n’est pas concevable. Je ne suis pas née hier, je suis née sous René Coty quand même et j’en ai vu des vieilles dames qui avaient été entravées. Mon père l’avait noté, on en avait discuté.

Je suis fille unique, pas mariée, c’est un choix, faut l’assumer. Faut assumer la solitude. Mais il y a d’autres manières d’être en société, d’être épanouie. Mais c’est clair qu’on ne peut compter que sur soi même. Pour moi, le choix premier, c’est la liberté. Pas la liberté contre les hommes. La liberté, point. Je ne suis pas guerrière contre les hommes.

Simplement, je veux être celle que j’ai envie d’être au moment où j’ai envie de l’être. Je suis une nana et alors ? C’est comme ça, on ne va pas en faire un fromage ! (Rires) Après, je suis bien consciente que mon cas n’est pas une généralité et je suis sensible à toutes les luttes pour les droits des femmes. Je considère que c’est un vrai combat.

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Femmes aux platines
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Aide aux femmes dans la culture
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Béatrice Macé : "Je suis une femme et alors ?"

Célian Ramis

La poésie terre-à-terre des Black Leaders sur un album

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Rennes
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Le 6 novembre marquera la sortie du premier album, My Best Friend, du groupe rennais The Black Leaders dont les 11 titres figurent déjà sur la plateforme Qobuz.
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Le 6 novembre marquera la sortie du premier album, My Best Friend, du groupe rennais The Black Leaders dont les 11 titres figurent déjà sur la plateforme de streaming Qobuz. Marie, 34 ans, chanteuse, et Alex, 36 ans, guitariste et compositeur, reviennent sur le parcours éclair et les choix de leur formation musicale.

Dimanche 20 septembre, 15h. Au bout d’un petit chemin, se situe La Passerelle, maison des jeunes qui accueille durant ce week-end The Black Leaders en résidence et propose cet après-midi là aux habitants de Vern-sur-Seiche de venir assister au filage du groupe. À quelques mètres de la structure, on entend déjà le refrain rythmé de « Riding with the ghost », peut-être la chanson la plus entrainante du CD avec « Hello ».

Marie est au chant, Alex à la guitare, Gilduin à la basse, Olive au clavier et Toph à la batterie. Pendant plus d’une heure, la concentration est de rigueur, se dissipant doucement sur la fin du concert au profit d’une ambiance plus détendue. Ils enchainent les morceaux, caractérisés de style « pop-rock assumé », alternant entre les chansons qui figurent sur leur premier album, My best friend, et de nouvelles qui serviront certainement à l’enregistrement d’un deuxième disque, déjà dans les tuyaux.

HISTOIRE DU HASARD

Auparavant, Marie faisait partie d’un autre groupe, amateur, de reprises. Elle s’essouffle un peu, a l’envie de faire des compos mais sans vraiment chercher de formation. À travers l’amie d’amis, elle entend parler d’Alex, qui revient tout juste sur Rennes et cherche une chanteuse, elle passe des essais, concluants, et deux autres musiciens les rejoignent à la basse et la batterie - le clavier étant inclus seulement depuis mars 2015.

En parallèle de leurs activités professionnelles respectives – Marie est sage-femme et Alex, patron d’une entreprise de marketing en ligne - le groupe The Black Leaders est lancé. « On a trouvé le nom par hasard. On avait notre premier concert en septembre 2014 mais nous n’avions pas de nom, il a fallu trouver ça très vite. Alex a proposé quelque chose, l’anglais sonnait bien à l’oreille, et puis TBL, ça se retient bien. Pas besoin de chercher une symbolique derrière. », explique Marie, rejointe par le guitariste qui précise en souriant : « On n’est pas black, on n’est pas des leaders, mais voilà ! »

Des histoires de hasard qui résultent en un ensemble parfaitement léché et travaillé. Une symbiose musicale qui figure indéniablement sur les 11 titres de leur premier opus.

VITE FAIT, BIEN FAIT ?

Les Black Leaders écument les bars, à Rennes, en Bretagne mais aussi en dehors, plusieurs mois durant. Très rapidement, en février 2015, les membres du quatuor d’origine entrent en studio. Alex connaît un producteur, rencontré lorsqu’il était dans un groupe à Paris, Arnaud Bascuñana (Deportivo, M,…).

Ce dernier accepte de se déplacer pour enregistrer et mixer les chansons au studio du Faune, à Montauban de Bretagne. En 7 jours seulement. « Les garçons ont vraiment été le moteur et on s’est donné les moyens. On avait la possibilité de le faire à moindre prix, on a foncé pour faire un vrai album. », précise Marie.

Sans détours, les membres du groupe optent pour cette option après réflexion. Si aujourd’hui la plupart des formations musicales choisissent de sortir un EP avant de se lancer, The Black Leaders se positionne différemment. « Ça a été une vraie question, se demander si on sort un EP ou un album. Mais on n’est pas en manque de chansons et on a décidé de saisir l’opportunité pour faire tout de suite le disque entier. », justifie le guitariste.

Depuis le 20 août dernier, les morceaux sont en libre écoute sur la plateforme Qobuz. Au risque de moins vendre l’objet CD, un point qui ne semblent pas les inquiéter : « Le risque, c’est de le mettre sur trop de plateforme, précise Alex. Et je crois que les gens veulent encore acheter les albums. ». Le résultat est pro et on se délecte de l’enchainement du disque rythmé par des musiques pop-rock qui naviguent entre dynamisme, espoir, mélancolie et désillusion.

Un savant mélange appuyé par la voix singulière de la chanteuse qui vient trancher ou au contraire adoucir les notes délivrées par la guitare et la basse, et parfois même par le violon, ou s’accorder harmonieusement avec le clavier (Olivier a enregistré « 1000 Giant Waves » en studio avec le groupe).

UNE VIE BIEN RYTHMÉE

Les musiciens des Black Leaders ont tous de l’expérience et des vécus différents dans diverses formations, à l’instar de Olive et Toph avec la chanteuse Elise B. dans le groupe Zil se lance (lire YEGG#27 – Été 2014).

« Moi, je suis novice, on va dire… Enfin autodidacte. Je n’avais pas trop chanté avant, ni même fait de la scène. J’apprends la guitare aussi toute seule, juste comme ça pour m’accompagner à la voix mais en général, je la travaille au feeling. »
avoue la chanteuse qui démontre pourtant lors du filage une aisance et une maitrise complète de son instrument vocal.

En attendant, ce qui l’anime, c’est l’interprétation des textes et pourquoi pas en écrire à l’avenir… C’est Alex pour le moment qui compose, propose à Marie et soumet ensuite au groupe, « mais finalement, la création se fait ensemble car le morceau évolue au fil du temps ». Sans thèmes précis ni imposés, les inspirations affluent, entrainant l’auditeur à la fois dans un univers poétique avec « Purple Arms » ou « Lili » et à la fois dans un univers très terre à terre avec « My Best Friend », « Perfect Line » ou encore « People ».

Des inspirations qui semblent prolifiques puisque déjà 8 nouvelles chansons sont retenues pour figurer sur le deuxième opus qui sera « celui de la maturité », plaisante Alex, qui poursuit : « Plus sérieusement, il y aura forcément plus de maturité puisque nous avons plus d’expérience aujourd’hui et puis nous avons aussi intégré complètement le clavier. »

Mais pour l’instant, l’objectif est tout d’abord d’amortir le premier album et de le défendre lors de leurs concerts, généralement dans des bars, « les salles de spectacle ici étant beaucoup trop chères ! » Le groupe marque une courte pause niveau concerts mais revient les 2 et 10 décembre au Gazoline, à Rennes, avant de se rendre en Angleterre pour une date à Londres, début janvier.

Célian Ramis

Le Grand Soufflet 2015 : La Yegros, un final explosif !

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Soirée de clôture exceptionnelle pour la 20e édition du Grand Soufflet, ce samedi 10 octobre, avec Click Here Live Band en première partie et La Yegros en clou du spectacle !
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Soirée de clôture pour la 20e édition du Grand Soufflet, ce samedi 10 octobre. Sous le chapiteau, la température est montée brusquement avec Click Here Live Band en première partie et La Yegros en clou du spectacle !

À quelques centaines de mètres du parc du Thabor résonnent déjà la « worldtronica » et les « balkanbeats » de Click Here Live Band, une formation de musiciens roumains et moldaves et d’une danseuse andalouse réunis autour de Dj Click.

Et sous le chapiteau, l’ambiance du spectacle qui affiche « Complet » depuis plusieurs jours déjà est au rendez-vous et survole au dessus de nos têtes quelque chose de bestial…

Sur des rythmes d’Europe de l’Est, les festivalières et festivaliers sont invités à danser, notamment sur un chant roumain où la fosse devient une piste de danse folklorique.

En cercle, le public tourne et virevolte de manière rapide et, faute de place, saccadée. Un essai quelque peu raté mais qui a le mérite de créer un lien entre les musiciens sur scène le public.

Mélange de kitsch et de cheap avec des objets rétros-démodés autour des platines, le groupe est pourtant à la hauteur des espérances musicalement parlant. Accordéon, saxophone, theremin, guimbarde, flûte… Click Here Live Band entrelace mélodies populaires, techno et électro-gypsy dans une joyeuse ronde festive qui semble convaincre immédiatement les spectatrices et spectateurs.

La voix de Nadia Potinga secoue les esprits et libère l’âme Rom - calfeutrée par l’accordéon, le saxophone et la flûte - qui sommeille sous cette formation, et se répand dans la salle comme une trainée de poudre.

Très rapidement, le quatuor est rejoint par une danseuse andalouse qui fait vibrer le chapiteau à chaque claquement de talons. Tout le monde est suspendu à ses pieds et à ses mains, respirations haletantes et chuchotements sont de mises.

La droiture imposée par les mouvements flamencos augmente la profondeur des musiques et accentue l’esprit BalkAndalucia. Au delà du partage de la musique, c’est une fête populaire à laquelle nous convie ce groupe détonnant et surprenant.

Et c’est aussi un voyage sans frontières, du sud de l’Espagne jusqu’aux confins du Rajasthan, que nous propose Click Here Live Band dans un « latcho drom » (évocation d’une longue route, en tzigane) énergique et euphorisant.

Mélancolie et gaieté se croisent dans ce message d’enracinement et de métissage culturel. Sceptique au début du concert, on est finalement envoûtés par le charme de ce mélange désuet et explosif.

LA YEGROS, CUMBIA ÉLECTRISANTE

La Yegros perpétue cette mouvance musicale liant musiques traditionnelles et ère digitale. Originaire de la province de Buenos Aires, la chanteuse argentine Mariana Yegros a dépassé son rêve initial et rencontre un succès aujourd’hui international.

« Je n’ai même pas accompli mon rêve en fait. Car à la base je rêvais que mon disque sorte dans les rues en Argentine, pour que je puisse voyager dans le pays, plaisante-t-elle, avant de poursuivre plus sérieusement. Il est sorti partout sauf dans mon pays… La situation économique est difficile et le Gouvernement ne soutient pas le développement des artistes et de la culture. »

Plus jeune, sans être issue d’une famille de musiciens, excepté son oncle qui vit au Brésil, elle suit une formation de musique lyrique au conservatoire de Moron, passe un casting pour un groupe de théâtre et musique, est sélectionnée pour jouer devant des dizaines de milliers de spectateurs et quitte l’école à la suite de ce casting.

« J’ai alors étudié les musiques primitives africaines et indiennes. En commençant à écrire mes chansons, j’ai trouvé mon style. », explique Mariana. Et la rencontre avec son producteur King Coya la confortera dans le mélange électro - musiques traditionnelles, comme la cumbia, le chamamé ou encore les carnavalitos. Elle puise, avec ses musiciens, dans tous les rythmes latinos et sud américains, et les mêle subtilement dans un son singulier, qui lui est propre.

Et qui fera d’elle la seule chanteuse d’électro-cumbia à exporter sa musique à l’international, et à signer avec des labels étrangers, avec le succès planétaire de « Viene de mi » en 2013 (extrait du premier album éponyme), quelques mois avant de monter sur la scène des TransMusicales où elle a démontré son talent et marqué les esprits de son énergie fulgurante et communicative.

« C’est difficile d’être une femme dans le secteur de la musique, et encore plus dans l’électro-cumbia, confie-t-elle avant de monter sur scène, sans considérer qu’elle doit prouver une fois encore que sa place est légitime.Les femmes commencent à avoir de la place mais ce n’est pas habituel mon parcours. J’en suis surprise de ce qui m’est arrivé mais j’ai aussi beaucoup travaillé pour. »

Ce samedi soir, sous le chapiteau, pas de doute. Mariana Yegros et ses musiciens sont de retour, sur une scène plus petite que celle du Parc Expo « mais c’est plus agréable car c’est plus facile d’établir un lien avec le public », pour un concert mémorable. Spectatrices et spectateurs, déjà chauffé-e-s à bloc lors de la première partie, se déhanchent et sautent dans la fosse pleine à craquer, l’air y étant à peine respirable.

À l’instar de la chanteuse qui s’éclate à interpréter ses morceaux emplis d’émotions. C’est là ce qui l’inspire : parler des sentiments tels que la tristesse, la solitude, la joie, l’amour, l’allégresse (et son titre « Alegria » envahit le public d’un sentiment de légèreté et de liberté). Dans une interview accordée au quotidien Libération il y a deux ans, elle explique que sa mission est de chanter des histoires d’amour non conventionnelles.

Et quand on lui demande ce qu’elle entend par là, elle rigole :

« Oui, c’est vrai. Ce ne sont pas des histoires conventionnelles. Je parle des questions émotionnelles, sociales, amicales. Dans Viene de mi par exemple, je parle de sentiment mais pas littéralement du sentiment amoureux. Ça peut être des connexions entre 2 personnes, entre plusieurs personnes. Des connexions artistiques par exemple. »

Soutenue par le talent de ses musiciens à l’accordéon, la guitare et une batterie composée de percussions, et de leur complicité apparente, Mariana fait planer dans sa musique un esprit tribal, primitif, libre. Entre sonorités traditionnelles et modernes, accompagnées d’une voix perçante naviguant entre le hip hop et le rap, la musique de La Yegros met tout le monde d’accord sous le chapiteau.

Célian Ramis

Le Grand Soufflet 2015 : Frissons et grosse énergie pour les 20 ans !

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Soirée spéciale pour les 20 ans du Grand Soufflet, le festival accueillait le 2 octobre au Thabor, à Rennes, les artistes qui ont marqué les éditions précédentes dont Wendy McNeill et Whiskey & Women.
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Pour fêter ses 20 ans, le festival d’accordéon Le Grand Soufflet proposait vendredi 2 octobre une soirée spéciale rythmée par des invité-e-s qui ont marqué les éditions précédentes. Et ce sont des musiciennes qui ont ouvert cette session originale sous le chapiteau, installé dans le parc du Thabor à Rennes : Wendy McNeill, suivie du trio de Whiskey & Women.

En arrivant sur la scène du Grand Soufflet, accompagnée de deux musiciens – un à la contrebasse et l’autre à la batterie, Wendy McNeill définit leur formation comme une bande de « rêveurs hardcore ». Leurs chansons sont bâties comme des contes et nous transportent dans des histoires merveilleuses, imaginaires, pleines de rebondissements et péripéties.

Munie de son accordéon, sa voix et sa pédale à boucles, l’artiste canadienne insuffle sous le chapiteau un vent chaud de douceur mêlée à une atmosphère parfois sombre et que l’on imagine tortueuse. À la manière de Maïa Vidal qui nous avait aussi transcendé sur la scène de ce même festival, la légèreté de la noirceur dissipe l’angoisse et capte l’attention du public, pendu à ses lèvres, tant elle interprète avec justesse les histoires qu’elle raconte.

La voix théâtralisée de Wendy McNeill et le trio instrumental s’unissent dans des mélodies simples et rythmées servant à mettre en relief les textes poétiques de celle qui était déjà venue au Grand Soufflet en 2009. De la comptine sur le pouvoir de la musique au voyage tumultueux d’un homme en quête de sa mémoire perdue, en passant par la biographie d’Edith Piaf dont la voix a brisé le cœur de Wendy McNeill pour lui « revenir encore plus fort », la musicienne nous embarque dans son univers singulier et décidément séduisant.

Mais c’est aussi son goût du partage et sa sincérité qui touche les spectatrices et spectateurs qui lui rendent généreusement cet instant délicieux. En participant activement lorsqu’elle les met à contribution pour donner le rythme en tapant des mains ou en lui posant des questions directement entre deux chansons pour qu’elle nous présente les personnages de sa chanson suivante…

Et lorsque la jeune femme oublie ses paroles et arrête sa dernière chanson, elle lâche sa guitare électrique prise pour l’occasion et enchaine sans interruption. A capella, elle interprète seule sur scène une dernière ballade enivrante. Le temps est suspendu, Wendy McNeill termine sur un interlude de pureté qui ne cesse encore de nous faire frissonner.

WHISKEY & WOMEN, DIRECTION LA LOUISIANE

On les attendait avec impatience. Les trois californiennes avaient mis le feu au chapiteau en 2012, et trois ans plus tard, elles assurent toujours autant et nous régalent encore de leur dynamisme entrainant et leur bonne humeur communicative. Pas de doute, elles sont dopées à l’adrénaline de la scène et survoltées par la soif de spiritueux endiablés dont elles aiment tant encenser les mérites.

Ce vendredi soir, le trio envoie d’entrée de jeu une grosse énergie à base de vieux blues et de musique cajun venue tout droit de Louisiane, et arrangée à leur sauce folk et rock’n’roll.

« Mes parents écoutaient beaucoup de folk mais aussi de punk. J’ai baigné là dedans. Un jour, j’ai trouvé un violon dans la poubelle, c’était le signe que je devais apprendre à en jouer. Je suis forcément inspirée par les musiques de mon enfance », explique Joan, violoniste.

Ses deux comparses Rosie (violon en 2012, percussions cette année) et Renée (accordéon), deux sœurs, ont elles aussi baigné dans les musiques folk et celtiques qu’elles enrichissent toutes les trois lors des arrangements finaux.

« Medicine for the blues – titre de leur dernier album, ndlr – est un mix de folk, blues et rock avec du cajun. Nous aimons ajouter ces styles à des musiques traditionnelles », soulignent-elles. 

Et quand on leur demande ce qui les inspire pour écrire les textes des chansons, elles répondent en chœur et sans hésitation : le whiskey. Sur scène, elles le revendiquent :

« Il faut boire avant la prochaine chanson car elle parle du whiskey fait main et de l’homme des impôts qui veut prendre la machine à faire le whiskey. Et nous, on veut pas ! »

Attitude rock, énergie déjantée, naturel souriant, Whiskey & Women est un groupe impressionnant qui nous transporte dans les bars reclus de la Louisiane profonde, nous fait user les talons contre le plancher et nous surprend avec un blues sur un temps de valse et une chanson a cappella dont la rythmique est donnée par leurs coups de pieds et claquements de mains.

Ou encore en interprétant la chanson française « Chevaliers de la table ronde » - un chant sur le bon vin ! oui oui oui – en invitant Etienne Grandjean, directeur du festival, à venir jouer avec elles. Ce dernier s’exécute au violon cette fois, après avoir interprété « In bocca al Lupo » à l’accordéon avec Wendy McNeill, quelques dizaines de minutes plus tôt.

Célian Ramis

Ladylike Lily, l'onirisme sombre et enchanteur

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Chapelle du Conservatoire, Rennes
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À l’occasion du festival I’m from Rennes, la bretonne de Ladylike Lily est revenue au bercail, le temps d’un concert à la Chapelle du Conservatoire, samedi 19 septembre.
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C’est à Rennes que sa carrière a été lancée, il y a 5 ans, grâce au Tremplin Mozaïc. Et c’est à l’occasion du festival I’m from Rennes que Ladylike Lily est revenue au bercail, le temps d’un concert à la Chapelle du Conservatoire, samedi 19 septembre.

La salle est intimiste, propice au voyage que propose Orianne Marsilli, alias Ladylike Lily, ce soir-là. Les premières notes sont celles de « Pearl and Potatoes », chanson extraite de son premier EP On my own, sorti en 2010, à la suite de sa victoire au Tremplin Mozaïc, à Rennes.

Un titre d’album qui confirme le projet solo de la jeune musicienne, alors âgée de 23 ans. Et qui reflète aussi son parcours musical. Elle apprend très vite à écouter la musique, son environnement et découvre le chant. « J’ai une mère harpiste. Ce n’est pas son métier mais c’est une grande passionnée qui m’a transmis l’amour de la musique. Et mon père était aussi très mélomane. », explique-t-elle.

Elle commence alors par travailler sa voix, l’instrument qu’elle peut emmener partout. Sans intégrer une école de musique ou le conservatoire, elle tâtonne et vogue à l’instinct. Puis, à 10 ans, Orianne apprend la guitare : « J’ai commencé parce qu’on m’a mis la guitare entre les mains. Avec la voix, ça me donnait les moyens de raconter des histoires, des émotions. J’écris depuis que je suis petite. »

NAISSANCE DE LADYLIKE LILY

Installée à Rennes pour y étudier l’anglais, elle fait naitre en parallèle son double musical, Ladylike Lily, qui prend au départ des allures de ballades folk légères et enchanteresses. Sa musique est très vite rapprochée de l’univers mystique qui émane de la région bretonne, emplie de contes et de légendes. « C’est le côté étiquette. En tant que Finistérienne, je suis sensible à la musique celtique, d’où le côté mythologie qu’on a pu évoquer mais pourtant je n’en parle pas dans mes chansons. », évoque Orianne Marsilli.

Et c’est bien dans le département dont elle est originaire qu’elle s’isolera pour écrire son premier album Get your soul washed, sorti en 2012. « C’est un endroit un peu magique, très sauvage dans lequel je me suis installé, avec les animaux et la nature. », précise-t-elle. Les textes sont écrits en anglais et développent des thèmes « très humains, très actuels ». L’amour au cœur du message. Servi par la voix singulière et envoutante de Ladylike Lily, accompagnée tantôt par la guitare et tantôt par le clavier, et toujours avec sa pédale à boucles.

Ainsi, elle évoque les sentiments amoureux, le rapport à l’autre, les questionnements sur la vie, le passage de l’enfance à l’âge adulte. « L’amour a toujours nourri les écritures, les peintures, les paroles de chansons. C’est la preuve que c’est un sujet important. Je n’en ferais jamais le tour car j’évolue aussi. », confie la jeune artiste. Dans sa musique, elle habite un univers onirique, qui oscille entre beauté pure, presque naïve et candide, et noirceur brute, augmentées par les chœurs et les envolées résonnantes. Comme savent aussi le faire, à leur manière et dans leur registre, Cécile Corbel, Maïa Vidal ou encore Astrid Radigue alias Furie.

TOUJOURS EN MOUVEMENT

Le talent de Ladylike Lily lui vient aussi de son envie perpétuelle de tout réinventer, de tout réinterpréter. D’un album à l’autre, elle revisite ses chansons, ses états d’âme, ses arrangements. S’entoure pour la scène des musiciens qu’elle connaît bien (Montgomery, We Only Said…) – ce soir-là, c’est Stéphane Fromentin qui viendra l’accompagner le temps de deux morceaux – ou défend seule son projet.

« Je suis hyperactive et je me lasse assez rapidement de la manière dont sont agencées les chansons. Je souhaite vraiment que d’un album à l’autre, les émotions et les histoires soient différentes. »
avoue Orianne Marsilli.

Elle se définit grosse travailleuse, paniquée par le farniente, avec un fort caractère : « Je sais ce que je veux et je n’ai pas de mal à me mettre en action. » En 5 ans, elle a enregistré 2 EP (son 2e EP, Blueland, est sorti en 2014), un album, elle a tourné dans les festivals - Printemps de Bourges, les TransMusicales, les Veilles Charrues, les Embellies, les 3 éléphants… - et a roulé sur les routes de France et de l’étranger.

NOUVEAU DÉPART

Depuis un an, Orianne se lance un nouveau défi : écrire en français. Après sa première tournée avec Miossec, dont elle fait la première partie, le chanteur la pousse à composer dans sa langue maternelle. Elle lui envoie ses premiers textes et repart en tournée avec lui. L’occasion de tester ce nouveau travail auprès du public. « Je voulais m’adresser aux gens dans ma langue et parler de sujets très personnels et douloureux. Je ne voulais plus de la protection de l’anglais », explique-t-elle.

Tout comme Emily Loizeau ou Emilie Simon – qui font parties de la série des « Emilie » que Orianne admire – elle envisage la musique de manière globale, utilise sa voix comme un instrument et joue avec les mots simples. « Ça n’a pas changé ma manière de travailler de passer au français mais ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai mis des mois et des mois à apprivoiser ma voix sur les nouveaux sons. J’ai du dompter tout ça. », se souvient-elle.

Et sur scène, à la Chapelle du Conservatoire, elle présente aux Rennaises et aux Rennais un set majoritairement construit de ces nouvelles chansons. Elle livre une nouvelle facette d’elle-même à travers son double musical maintenant bilingue, puisant toujours dans la fragilité de l’être humain, la poésie des sonorités et la douceur des ambiances dans lesquelles elle nous transporte avec aisance et légèreté. Et Orianne maitrise toujours autant l'émotion qu'elle délivre délicatement comme des décharges électriques.

Et entre les chansons, elle partage ses souvenirs - comme celui d’avoir joué son titre « Who’s next ? » avec Mermonte et Totorro - et expériences, son attachement à la ville de Rennes, berceau de son projet Ladylike Lily. Elle qui aujourd’hui vit entre Quimper, Rennes et Paris, « la ville que vous n’aimez pas » semble émue et apaisée de retrouver le côté « village » de la capitale bretonne. « C’est la ville qui m’a mis en lumière. J’y ai vécu 7 ans, j’y ai découvert plein de choses, c’est précieux de me retrouver là à nouveau même si je vais devoir retourner à Paris défendre mon prochain album… », confie-t-elle avant de monter sur scène.

ALBUM EN PRÉPARATION

Ladylike Lily réunira prochainement ses titres en français pour construire son 2e album :

« Aujourd’hui, la différence avec mes premières chansons, c’est que j’ai mis 2 pieds dans ma vie de femme. J’ai une personnalité plus assumée, j’ai moins besoin de me cacher et je ressens moins le besoin de dissimuler ce que j’ai à dire. »

Confiante, Orianne poursuit son chemin, en forêt, dans un bain de minuit, à l’aurore, et partout où le vent la porte… que ce soit dans des mondes énigmatiques ou que ce soit dans des lieux familiers, conviviaux ou hostiles. Elle n’a pas peur et nous non plus, si ce n’est de devoir patienter trop longtemps avant de pouvoir la redécouvrir en live en terre bretonne.

Célian Ramis

Dans le cabaret psyché-burlesque de Nefertiti in the kitchen

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Square Gabriel Vicaire, Rennes
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Signore, signori… Wilkommen, Welcome, Bienvenue... dans le cabaret psychédélique de Nefertiti in the kitchen, installé dans le quartier Arsenal Redon, le 5 juin, à l’occasion de Court Circuit #5, proposé par l’Antipode MJC.
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Signore, signori… Wilkommen, Welcome, Bienvenue… Ce vendredi 5 juin, aux alentours de 19h, le vent se lève, s’embrase dans les arbres qui ornent le square Gabriel Vicaire et terrasse les derniers rayons de soleil pendant que les habitants du quartier Arsenal Redon, à Rennes, profitent, assis dans l’herbe, du cabaret psychédélique de Nefertiti in the kitchen à l’occasion de Court Circuit #5, proposé par l’Antipode MJC.

Coup de cœur de la rédaction lors de son passage au festival Bars’n Rennes en mai 2013, à la Bernique hurlante, le duo rennais de Nefertiti in the kitchen, composé de la chanteuse-comédienne Jen Rival et de l’homme-orchestre Nicolas Méheust, est de ceux que l’on imagine déambuler et vagabonder en roulotte de marché en marché, de place en place, de ville en ville.

Pas étonnant donc que l’Antipode MJC les ait convié à la 5e édition de Court Circuit, à la découverte des quartiers Cleunay, La Courrouze et Arsenal Redon. À l’instar de The last morning soundtrack, Ladylike Lily, Chapelier Fou ou encore Auden, Nefertiti in the kitchen est entré, du 3 au 5 juin, dans l’arène de cette formule inédite : 3 jours, 9 lieux, 9 concerts.

Ainsi, ils ont trimballé et partagé leur cabinet de curiosités chez l’habitant, dans un restaurant social, dans un établissement de placement éducatif et d’insertion (EPEI), dans un foyer d’hébergement, dans un collège, une école maternelle ou encore en extérieur. Et c’est quelque part entre la Mabilais et les Ateliers du Vent, dans le square Gabriel Vicaire, que l’on a assisté au dernier concert de cette édition.

« On a réduit un peu notre formule, qui est lourde techniquement. Le montage et le démontage sont quand même conséquents et fatiguent pas mal. Mais les concerts nous requinquent. C’est une proposition surprenante et nouvelle, qui m’a fait beaucoup de bien, qui rafraichit vraiment au niveau de la tête », confie Jen Rival, en amont de cette ultime représentation. Première collaboration avec l’Antipode, « ça ne se refuse pas ! », cette expérience hors les murs est importante et enrichissante pour le duo et émotionnellement très forte, et permet au jeune groupe de tester leur set et de l'adapter.

C’est à un show plein d’énergie que nous convie Nefertiti in the kitchen qui, malgré l’épuisement et manifestement un manque de patience face à un jeune public éphémère au premier rang, nous embarque volontiers dans un cabaret rock psychédélique mêlant français, anglais, allemand, italien et accent de l’Est. Sans oublier chapeau melon, haut de forme, boa mauve et perruque blonde !

Jen Rival accentue la mise en scène théâtrale et burlesque de son personnage passant de diva blues à conteuse d’histoires fantastiques, en se mouvant telle une poupée désarticulée qui n’est pas sans rappeler la burtonienne Sally (L’étrange Noël de Mr Jack), à laquelle elle ajoute une voix proche de l’effrayant Oogie Boogie (ou Tom Waits au choix), et en tournicotant comme une danseuse automate.

La magie opère. Les chansons s’enchainent entre complaintes, électroswing psyché, airs de fanfare à la Molotov Jukebox, ballades à la Maïa Vidal et envolées jazzy/blues. On ne cesse de voyager à travers le temps et l’espace, bringuebalés entre le Paris des années folles et les laboratoires fantasques dans lesquels s’expriment les génies diaboliques.

Les spectateurs suspendus à la voix grave et chaude de la chanteuse – qu’elle manie à sa guise selon l’effet qu’elle veut donner au spectacle - se laissent envouter par la prêtresse saltimbanque qui distille au fil de la performance noirceur, humour et légèreté.

L’attention se focalise également sur leur stand multi-instrumental à l’air rétro. Mellotron, piano-jouet en bois, noisy drum, accordéon, yukulélé, kazou, clochettes… Jen et Nicolas composent autour de leurs instruments et accessoires un show complet entre concert et arts de rue dans lequel les émotions ne sont pas lésées et nous emportent dans un tourbillon infernal et nous invitent à nous « asseoir dans le ventre d’un monde merveilleux ». Pari réussi.

Célian Ramis

Mythos 2015 : Le rap fougueux de Sianna

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Antipode, Rennes
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Vendredi 10 avril, devant l’Antipode à Rennes, il pleut sur la file de jeunes gens qui attendent avec impatience le concert de celle qu’on dit relève du rap français, Sianna.
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Vendredi 10 avril, devant l’Antipode à Rennes, il pleut sur la file de jeunes gens qui attendent avec impatience le concert de celle qu’on dit relève du rap français, Sianna. À tout juste 19 ans, elle a sorti le 9 mars dernier un premier EP éponyme dans lequel se mêlent technique et énergie.

« Rennes est-ce que vous êtes chauds ? » scande la jeune rappeuse qui crée dès les premières minutes du concert, un lien et une interaction intense avec le public.

Elle et son backer Fanko, font sauter, danser, crier la salle et instaurent un jeu de scène énergique et positif pour le plus grand plaisir de la foule présente.

La musique est puissante, les bass prenantes et Sianna pose son flow incisif et insolent sur des morceaux aux sonorités tant hip hop que r’n’b, mais aussi orientales voir slaves. On assiste véritablement à un show qui donne le sourire mais surtout à une démonstration technique qui impressionne.

« Je force pas le destin, je laisse les choses se faire », dit-elle dans son titre « Quoi qu’il en soit », et a priori, pour l’instant cela lui réussit ! Après des débuts fulgurants, Sianna semble s’imposer comme une vraie référence de la nouvelle scène rap française, une artiste tout en promesses et de potentiel, à suivre dans les mois, voire années qui viennent !

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Sianna : « Il y a très peu de kickeuses françaises »

Rencontre avec Sianna un peu avant sa montée sur scène à l’Antipode, qui évoque ses débuts, la scène française du rap et son EP.

YEGG : À seulement 19 ans vous sortez un premier EP, on peut parler de débuts assez fulgurants, comment a débuté votre carrière ?

Sianna : J’ai commencé à écrire du rap vers 11 ou 12 ans juste comme ça, faire des rimes etc et en 2012 on a formé Crack House avec deux amis à Beauvais. Au départ on faisait ça pour rire mais ça s’est vite concrétisé. Au bout d’un moment on a décidé de faire un break et j’ai pu bosser un an sur ma musique. J’ai été repérée et signée chez Warner/Chappell mais j’ai aussi été beaucoup soutenue par Mac Tyer qui après avoir écouté un seul de mes sons m’a donné pas mal de conseils.

Vous avez été en partie découverte grâce à Internet, pensez-vous que c’est l’avenir pour tout artiste qui veut se faire connaître ?

Je pense qu’Internet est propulseur mais ça reste quelque chose qui peut être à double tranchant. Tout le monde est sur Internet et c’est difficile de sortir du lot, c’est pour ça que je pense qu’il vaut mieux faire le plus de scène possible.

On vous compare souvent à la rappeuse Diam’s, alors qu’a priori votre musique n’est pas vraiment similaire. En France, la scène féminine du rap n’est-elle pas un peu vide ?

J’écoutais Diam’s quand j’étais plus jeune comme beaucoup de monde oui et je pense qu’elle a influencé pas mal de gens mais c’est vrai qu’il a très peu de kickeuses françaises et d’ailleurs je n’en écoute pas vraiment. C’est extrêmement différent des États-Unis, il y a peut-être un certain manque de confiance de la part des filles. Aux USA il y a des femmes qui m’influencent et qui m’ont influencé comme Nicki Minaj, EVE, Missy Elliot ou Laureen Hill.

A priori que des femmes avec un assez fort caractère…!

(Rires) Ah oui, c’est peut-être ce qu’il faut pour faire du rap en tant que fille…

À votre passage au festival Bars en Trans au mois de décembre à Rennes, vous étiez accompagnée de Fanko sur scène, allez-vous faire des scènes seules dans le futur ?

Fanko est ce qu’on appelle mon backer, ça se fait beaucoup dans le rap. Il est là pour m’appuyer sur scène donc je vais continuer comme ça. Après, la scène reste à mon nom et l’EP aussi.

On parle de vous comme la relève du rap français. C’est quelque chose que vous exprimez dans votre EP ?

Je ne sais pas si je suis vraiment la relève mais en tout cas je fais partie d’une nouvelle génération de rappeur, une génération qu’il faut pousser au maximum. Je pense qu’on fait changer les choses et qu’il faut l’accepter. Dans mon EP, j’ai deux titres un peu plus personnels dont « Incomprise » mais la plupart des titres sont de la technique, du flow. J’y fais par exemple du kickage, c’est-à-dire que je change de flow et de l’ego-trip, c’est-à-dire qu’on se met en avant.                  

Quels sont vos prochains projets ?

Pour l’instant je vais continuer la tournée pour l’EP, je n’ai pas envie d’enchaîner les projets, je pars du principe qu’il vaut mieux ne pas être partout si on ne veut pas être nulle part (rire). Quand tu es jeune, tu te demandes si tu vas rester et pour moi, pour ça, il faut de la sincérité, alors je vais continuer à faire mes trucs.

Merci beaucoup Sianna.

Merci à vous !

Célian Ramis

Mythos 2015 : Yael Naim, grandiloquente et puissante

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Thabor, Rennes
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Vendredi 10 avril, la chanteuse franco-israélienne Yael Naim a saisi le public du Cabaret botanique, installé au Thabor, pour l’emmener dans un ailleurs enchanteur.
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Vendredi 10 avril, la chanteuse franco-israélienne Yael Naim a saisi le public du Cabaret botanique, installé au Thabor, venu à l’occasion du festival Mythos, pour l’emmener dans un ailleurs enchanteur.

Son nouvel album, Older, est jeune de tout juste un mois, mais déjà Yael Naim s’impose de par sa maturité vocale et musicale. En 7 ans, personne n’a oublié sa chanson « New Soul », qu’elle interprétera ce soir-là, tout comme sa reprise de « Toxic », ni sa gaieté enfantine. Ici, elle crée la rupture avec l’image de la jeune chanteuse de pop ensoleillée pour transporter les spectateurs vers un univers plus travaillé et plus complexe.

Yael Naim, ce n’est pas notre came. Mais il faut bien l’avouer, elle a quelque chose d’envoûtant. Assise à son piano, elle parsème de sa douceur ici et là et nous emmène dans ses histoires personnelles, sombres ou joyeuses. Elle parle ce soir-là de transition, d’expérience qui change la vie, qui change une personne. La venue d’un enfant suppose-t-on instantanément, à la manière dont elle l’évoque. Mais elle ne reste pas centrée sur cette naissance et aborde dans ses textes la vie, la mort, le deuil et les erreurs du passé, comme on peut l’entendre dans « Coward ».

Son album, Older, est une introspection de sa vie, et celle de David Donatien, son compagnon, toujours présent dans son travail puisqu’ils forment ensemble un duo à la ville comme à la scène. Et la chanteuse restitue leurs aventures de vie avec émotions, légèreté et détachement. Ce sont les différents registres musicaux qui viennent affirmer l’épanouissement et l’aspect grandissant de cet opus.

Entre folk, pop, soul et gospel, Yael Naim nous transporte dans un ailleurs lointain, dans des paysages grandiloquents et des espaces aérés. Sa puissance vocale, marquée par de belles envolées lyriques, met tout le monde d’accord, elle est de ces grandes voix virevoltantes et envoutantes, qui suspendent le temps, pendant une ou plusieurs chansons.

En ajoutant des chants sacrés à son disque, mystifiés davantage par la venue des choristes de 3somesisters, elle nous plonge dans la profondeur de ses textes, pas toujours mis en évidence ou en accord avec le style musical choisi, et nous maintient dans une relation intimiste et spirituelle, qui peut parfois même aller jusqu’à bercer le spectateur jusqu’à la somnolence.

Yael Naim convainc le public du Magic Mirror qu’elle peut à la fois allier douceur, gaieté, noirceur et énergie communicative, dans les paroles de ses chansons, tout comme dans les puissantes mélodies qu’elle délivre avec conviction.

Célian Ramis

Mythos 2015 : Dans l'intimité, la liberté et la féminité d'Arhur H

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Thabor, Rennes
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Imaginaire débordant, poésie déjantée, énergie communicative et liberté accrue... Arthur H était au Cabaret botanique, à l'occasion de Mythos, le 8 avril. Une exception à notre ligne éditoriale s'imposait.
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Mythos, 19e édition. Mercredi 8 avril, Arthur H, profil idéal, était l’invité du festival des arts de la parole. Pour l’occasion, le fils Higelin à l’identité bien marquée se produisait dans le Cabaret botanique, pour présenter son dernier album, Soleil dedans (2014), mais pas que.

Plus qu’emportée par les textes, la musique et son imaginaire, la rédaction de YEGG fait une exception à sa ligne éditoriale et se saisit du passage de cet artiste masculin – qui assume pleinement sa féminité (lire l’interview ci-dessous) – en terre bretonne pour profiter de son concert et le rencontrer, dans les jardins du Thabor.

Dans l’imaginaire collectif, Arthur H, c’est une voix grave, chaude, du mystère, du détachement, un univers poétique, du romantisme, de la mélancolie… Il n’est pas seulement fils de, on le sait depuis longtemps, il est lui, chanteur-musicien-poète-déjanté à l’univers extra-terrestre, intimiste et sauvage. Une identité de plus en plus assumée. Et qui ne cesse de se montrer et de s’affirmer, dans sa globalité et au travers de toutes ses facettes, du voyageur solitaire au chercheur d’or…

Avec son charisme, sa sensualité, sa manière de bouger son corps, de s’habiller – il se présente ce soir-là sans chapeau et avec une veste pour le moins lumineuse – sa voix maitrisée, son habileté à nous faire voyager, sa capacité à se renouveler dans sa musique tout en gardant son extravagance, sa poésie et sa sensibilité propre… le chanteur, qui entame le concert au piano dans l’intimité des lumières brumeuses, conserve sa hargne scénique et nous transporte avec lui dans un tunnel intergalactique et spatio-temporel.

UN ARTHUR H COSMIQUE

Dire de lui qu’il est un ovni serait un abus de facilité. Arthur H est là où on ne l’attend pas tout en restant fidèle et loyal à son public. Ce soir-là, il oscille entre chansons lunaires, solaires et cosmiques de son nouvel album, Soleil dedans, qu’il chante avec une voix parfois aérienne, libérée et libératrice – on pense notamment à « Femme qui pleure » - qui met les poils à toute la salle – et chansons plus anciennes (entre Adieu tristesse, 2005, et Baba Love, 2011 principalement) sans trop puiser dans ses premiers disques.

C’est un voyage dans l’univers d’Arthur H, autant dans son imaginaire que dans sa carrière, dans lequel il nous plonge pendant 2h avec simplicité et générosité. Taquinerie parfois même lorsqu’il titille le côté « chauviniste » des Rennais qui se laissent volontiers voguer dans les grands espaces naturels, alambiqués ou même absurdes, dans lesquels il nous invite.

Dans la lune, dans un western, dans un supermarché, dans New-York City, Arthur H ne cesse de planer, avec ou sans son costume de Super H ou de H-Man, à la découverte des cultures et des éléments, à la rencontre de la femme étoile, des papous ou encore des clandestins. La chaleur nous entoure, l’énergie déborde des sourires et des corps qui s’animent au fil des chansons et du concert. « C’est explosif », murmure-t-on dans les rangs, « Toujours aussi incroyable ! ».

UN ARTHUR H LIBRE

L’artiste navigue avec aisance sur des musiques mélodieusement pop, jazzy et rock, avec parfois des sonorités 70’s et notes rétro futuristes, qui nous électrisent instantanément, en nous faisant danser, rêver, virevolter au firmament des envolées lyriques, ou en nous apaisant au son de la voix grave et berçante du musicien. Les émotions règnent au pays d’Arthur H qui exprime toujours autant d’attachement à l’intime liberté qu’il couve amoureusement et qu’il partage doucement et prudemment, avant d’enfourcher son Cheval de feu.

« Quelque chose dans le vent / Me dit qu’il est temps » Ses paroles résonnent dans nos songes jusqu’à ce que Morphée nous emporte vers d’autres contrées lointaines. C’est certain, à chacun de ses passages, Arthur H nous rend Baba love.

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Arthur H : « J’ai parfois une sensibilité extrêmement féminine »

Rencontre avec Arthur H, dans les jardins du Thabor, qui nous parle de ses inspirations, des femmes et de sa sensibilité artistique. Interview.

YEGG : On vous entend souvent parler de vous en disant que vous vous sentez vilain petit canard. Qu’est-ce qui vous fait ressentir vilain petit canard dans la musique française et est-ce que ce sentiment évolue avec le temps ?

Arthur H : (Rires) Je ne le dis pas souvent. Je retire ce que j’ai dit, je suis un très joli petit canard (Rires). Pourquoi je suis un vilain petit canard ? (Silence) Malheureusement, ce n’est pas parce que je suis entouré de cygnes. Non, je ne me sens plus vilain petit canard, je ne suis plus dans cet état d’esprit là, je suis un joli petit cygne maintenant.

Vous parlez de deux marraines, en référence à Barbara et Brigitte Fontaine. Expliquez-nous l’importance de ces deux artistes dans votre travail et dans votre carrière. Est-ce qu’elles vous ont aidé ?

Elles ne m’ont pas aidé directement mais inspiré, beaucoup. Par cette espèce de rapport très direct, très cru à leur sensibilité, comme s’il n’y avait presque pas de filtre. C’est deux femmes qui avaient de la tendresse pour moi quand j’étais petit mais ça, ça n’a pas forcément influencé mon parcours artistique. Mais du coup moi-même j’ai développé beaucoup de tendresse pour elles.

Vous évoquez aussi la liberté artistique de Brigitte Fontaine. Un point important pour vous, qui êtes reconnu pour votre capacité à vous renouveler au fil des albums, vous prenez des risques. Le rapport entre Brigitte Fontaine et vous, il est là, non ?

Ouais ! Ouais ! Je suis clairement influencé par le courage de Brigitte Fontaine, cette espèce de façon qu’elle a de se jeter dans le vide et de ne pas avoir peur de qui elle est. Et elle a aussi un rapport à l’inspiration très particulier. Elle considère que l’inspiration est un flux naturel. Tu demandes à Brigitte d’écrire une chanson, tu lui donnes une feuille blanche et un stylo, elle s’enferme pendant une demi heure et elle écrit une chanson. Et la plupart du temps ce sera une très belle chanson. Parce qu’elle a décidé qu’écrire, c’était facile. Ça, c’est une idée très efficace je trouve.

Vous arrivez à faire la même chose ?

Maintenant oui. Ça ne veut pas dire que ce que je fais est intéressant ou plus intéressant que si c’était difficile à faire, ça je ne sais pas. Mais par contre je ne me pose pas la question de la difficulté d’écrire, de l’inspiration. Après, l’enregistrement, ça, c’est différent. Là, je suis toujours dans une forme de difficulté. Mais être connecté à quelque chose qui nous dépasse, ça c’est facile.

Vous dites que l’enregistrement est plus difficile pour vous. Pour votre album, vous avez enregistré à Montréal. Est-ce que d’être dans des contrées lointaines, avec des grands espaces, c’est plus facile pour vous qui avez un imaginaire débordant, qui nous embarquez dans des voyages et parlez aussi de voyage initiatique…

Oui, y a quelque chose de plus facile parce qu’à Montréal, il y a énormément d’énergie donc je suis porté par ça. C’est aussi pour ça que j’aime y aller. Évidemment, il y a plus d’espace mais ce n’est pas que ça. Il y a aussi plus d’énergie positive chez les gens en général. Une espèce d’enthousiasme qui est un peu intact et qui du coup fait du bien. Dès qu’on arrive là-bas, on le ressent. Après, changer d’équipe, partir à l’aventure avec des gens que je ne connaissais pas, ça ce n’est pas de tout repos non plus.

Est-ce que, en enregistrant à Montréal, l’esprit de Lhasa règne sur cet album ?

Complètement ! C’est grâce à elle que j’ai rencontré tous ces gens, ces musiciens. Les musiciens de Patrick Watson, Patrick Watson. C’est grâce à elle que j’ai eu envie de faire un album à Montréal. C’est grâce à elle que j’aime Montréal, donc j’ai beaucoup pensé à Lhasa en faisant ce disque.

En écrivant aussi ?

En écrivant, pas spécialement mais en enregistrant oui.

Tendresse pour Barbara, admiration pour Brigitte Fontaine, découvertes avec Lhasa… Elles alimentent votre sensibilité pour parler des femmes dans vos textes ? Est-ce que vous pensez aux femmes de votre entourage personnel et professionnel, ou est-ce totalement imaginaire ? Les figures féminines dans vos chansons étant tellement variées, cosmiques, charnelles, sensuelles… Vous vous mettez même à la place de la femme qui pleure, dans la chanson du même nom…

C’est un phénomène très naturel je pense, pour tous ceux qui écrivent, racontent des histoires. De partir de quelque chose que l’on a vécu très précisément et le transcender. Quelque chose peut-être même que l’on a ressenti mais sans l’expliquer. Et ça ressort sous forme d’histoires, de paraboles, d’images. Donc ça part toujours du réel, bien sûr.

Quand vous écrivez des textes sur les femmes, est-ce que vous vous posez la question de l’interprétation du public, s’il va se dire que c’est du cliché ou que vous prônez l’égalité femmes-hommes ?

Pas du tout. On parle de rapport social, là, dans la société. Moi, je ne suis pas trop là dedans. Je suis plutôt dans quelque chose de beaucoup plus intime en fait. Où du coup les rapports - y a pas de question d’égalité - ils sont très ouverts, ou libres, ou poignants, vivants. Pas enfermés par les codes de la société. Je peux même aller jusqu’à dire que je suis une femme qui pleure car à l’intérieur de moi, il y a toute l’histoire des femmes, non seulement que j’ai connu mais celle de ma famille aussi, et je le sens en moi, c’est en moi.

C’est votre héritage…

Ouais, ça vit en moi. En plus, j’ai parfois une sensibilité extrêmement féminine. Et encore en plus, mes amies de cœur, avec qui j’ai l’impression de me livrer, de vraiment communiquer, sont exclusivement des femmes. Et si je rajoute encore un « en plus », je trouve que la sensibilité artistique, le rapport artistique au monde, il est très très féminin aussi. En grande partie. Pas que féminin mais en grande partie.

Quand vous parlez de rapport social, qui n’est pas votre truc à la base, vous faites une espèce d’ode aux caissières. Là, il y a un rapport social. Profiter des caissières maintenant, avant qu’elles ne soient remplacées par des machines…

Ouais. Ce n’est pas vraiment ça le message mais on peut dire ça effectivement que malgré, disons, la dureté de la condition, il y a la possibilité d’un rapport humain, qui un jour n’existera plus. C’est plus un rapport poétique sur les caissières et sur les supermarchés. Ce n’est pas un brulot pour dénoncer les supermarchés, même si, je pense, que ce n’est pas des situations normales ni pour la nourriture, ni pour les gens, ni pour rien… Mais je trouve qu’on doit parler de tout et qu’on peut parler de tout dans une chanson.

Parler de tout. Ça tombe bien, vous êtes dans un festival des arts de la parole, vous y êtes déjà venu, il y a de la proximité avec le public, avec vos textes par conséquence. En tant qu’artiste, quel ressenti par rapport à ce type de proposition, comme celle de ce festival rennais ?

J’aime beaucoup ça car, de par l’espace qui est créé, il y a une vraie volonté de rencontre, que les gens se rencontrent. C’est le Magic Mirror, c’est facile de parler à ton voisin, après tout le monde va boire des coups ensemble, c’est extrêmement convivial. Donc ça, c’est assez rare les endroits comme ça. Il y en a quelques uns en France, c’est extrêmement agréable.

Au niveau de la thématique, les arts de la parole. Cette édition, forcément, invite à parler de la liberté d’expression. En regardant votre carrière, dans vos textes et votre musique, vous parlez de liberté d’expression ou de liberté artistique globale ?

De liberté tout court. La liberté pour moi, c’est de ne pas être enfermé dans une identité. C’est se rendre compte que l’on peut être plusieurs personnes à la fois, ne pas avoir honte de soi, ne pas trop se limiter, s’auto-limiter, ne pas faire trop attention au regard des autres. La liberté, c’est quelque chose d’intime, que l’on a en soi et qui est important de développer. Ce n’est pas forcément dans les grandes déclarations. Encore une fois, pour moi, c’est plutôt dans l’intime que ça se joue.

Dans cet album, on voit beaucoup de liberté, de chaleur humaine, de soleil dedans justement, de joyeusetés intérieures, qui se voient à l’extérieur. On parle de libération de votre voix. Est-ce que vous atteignez le chemin de cette liberté dont vous parlez tant ? Est-ce qu’avec cet album, vous décollez ?

Le disque, je ne sais pas, parce que j’ai toujours l’impression de rater complètement mes disques donc je fais toujours une dépression après (Rires). Je ne sais donc pas si c’est vraiment la liberté mais par contre sur scène, je me sens complètement relié aux gens, sans trop de barrières. Cœur à cœur. Ça danse, ça parle, ça rêve… Je dois constater que c’est vraiment les femmes qui s’amusent le plus dans un concert. Qui ont vraiment une capacité de se lâcher, de se donner du plaisir avec la musique, qui pour nous quand on est sur scène est indispensable ! Quand tu vois une ou deux filles qui s’éclatent, c’est bon, ça nous permet d’être dans la musique. Si tu n’as que des mecs devant toi qui font la gueule, c’est plus difficile de rentrer dans le son. Je ne suis pas du tout anti mecs mais on a toujours besoin de filles, quelque soit leur âge, leur beauté, peu importe… Faut juste qu’on sente qu’elles soient dans la musique. C’est ça qui change la vibration d’un concert.

Merci beaucoup Arthur H.

Merci à vous.

Célian Ramis

Nishtiman, un voyage musical dans l'unité et la diversité du Kurdistan

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Opéra de Rennes
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Voyage aux confins de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie, le 6 mars, à l'Opéra de Rennes, avec Nishtiman, une formation singulière qui célèbre toutes les musiques kurdes.
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Au détour d’un concert à l’Opéra de Rennes, vendredi 6 mars, spectatrices et spectateurs ont été invité-e-s à voyager aux confins de la Turquie, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie, avec Nishtiman, une formation singulière qui célèbre toutes les musiques kurdes.

À l’occasion du cycle Divas du monde, et de la programmation liée au 8 mars, journée internationale des Femmes, l’Opéra de Rennes accueillait les 7 membres du groupe Nishtiman, formé en 2013 par le percussionniste Hussein Zahawy, qui confie rapidement la composition à Sohrab Pournazeri, chanteur et prodige du tanbur et du kamanché. Tous deux ouvrent les festivités et nous régalent de leurs musiques les vingt premières minutes du concert durant. Une belle entrée en matière.

La dextérité et l’agilité des mains du joueur de tanbur hypnotisent rapidement l’audience, dont les souffles coupés et les yeux écarquillés témoignent d’une fascination naissante pour l’instrument et son propriétaire, qui se confirmera au fil du spectacle. Sur la scène de l’Opéra, les deux musiciens sont seuls, entourés de différents instruments traditionnels kurdes, mais pas seulement.

UNITÉ ET DIVERSITÉ

C’est cette capacité à unir divers univers qui participe à leur succès amplement mérité. Ils sont Iraniens, Irakiens et Turcs. Ils sont kurdes, connaissent les musiques de leur pays et sont réunis par la volonté de célébrer la diversité et la richesse des chants et styles de leur peuple. Un peuple comptant des dizaines de millions de personnes éparpillées dans quatre pays frontaliers dont les situations et régimes politiques sont loin d’être semblables.

Ici, ils partagent leur passion pour la musique, avec Goran Kamil, chanteur et joueur de oud, Ertan Tekin, joueur de zorna, balaban et duduk (instruments à vent) et Sara Eghlimi, chanteuse. Auxquels se rajoutent deux musiciens français : Robin Vassy, aux percussions sénégalaises et Leïla Renault, à la contrebasse. Vêtus d’habits traditionnels, assis en ligne, ils sont des « musiciens sans frontières », selon le fondateur de la formation. 

Pendant une heure et demi, Nishtiman (signifiant « patrie » en kurde) alterne entre chansons en chœur, duos entre Sohrab et Sara, qui nous régale de sa voix perçante et envoutante, et parties instrumentales. L’unité des musiciens dans leur diversité permet de livrer une osmose musicale délicate et profonde, qui nous saisit et nous maintient dans l’envie de s’en délecter toujours davantage. Parfois dans la collectivité, parfois dans la singularité, chaque membre du groupe partage sans modération et avec générosité son savoir-faire et son talent, faisant résonner les instruments les uns après les autres, sans volonté d’être dans la démonstration et la performance.

VOYAGE MUSICAL AU MOYEN-ORIENT

Leur objectif, c’est celui de sensibiliser à l’esprit de toutes les musiques traditionnelles kurdes, mêlées les unes aux autres, mélangées à d’autres genres orientaux, et alliées à la culture occidentale. L’ensemble fonctionne sans difficultés. Véritable initiation et découverte du patrimoine d’un peuple effacé de la carte géographique, entre autre. Pourtant, dans leurs musiques, ils expriment la gaieté, la joie, la jubilation, le plaisir et la fête. Avec force et sourires.

Il y a de la profondeur dans les mélodies, dans les harmonies de leurs voix, de la rondeur et de la douceur. On vogue volontiers dans les contrées montagneuses du Kurdistan, on voyage au cœur du Moyen-Orient, on danse par moments, et on se laisse bringuebaler par cette mosaïque musicale d’une région à une autre, d’un rythme à un autre, d’un air populaire à une ode amoureuse.

Bercés par la douceur, la puissance et la retenue de la voix de Sara Eghlimi, on pense à celles qui embarqueront deux jours plus tard, le 8 mars précisément – journée internationale des Femmes – dans la caravane féministe qui se lancera alors dans la 4e marche mondiale des Femmes (la marche a lieu tous les 5 ans) en traversant une quinzaine de pays, débutant au Kurdistan pour terminer au Portugal, en octobre 2015.

Un concert ne suffira pas pour saisir toute l’étendue des musiques kurdes, qu’elles viennent de Syrie, d’Irak, d’Iran ou du Turquie mais aura valu une belle mise en lumière de cette culture riche et variée qui incite au voyage et à la réflexion autour d’un patrimoine conservé et uni au travers de valeurs communes, malgré un peuple épars et des régimes politiques ne reconnaissant pas tous la population et culture kurde. Un beau voyage musical.

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