La semaine dernière, le Forum Libé s’installait à Rennes avec 40 débats et une multitude d’intervenants réunis autour du thème 2030. Vendredi 11 avril, en fin d’après-midi, une bourrasque féministe s’abattait sur la salle de conférence des Champs Libres, prête à insuffler un nouveau souffle : « 2030 : un nouveau féminisme ? »
Un nouveau souffle ? On n’en doute pas mais peu d’éléments seront donnés pour nous permettre d’imaginer le futur. Néanmoins, rien n’interdit de rêver et de fantasmer deux ou trois utopies pour la suite d’un mouvement pluriel. Luc Le Vaillant, journaliste pour Libération, était chargé de modérer le débat et pour l’occasion, il était entouré de quatre expertes : Safia Lebdi, à l’origine du mouvement Ni putes ni soumises, Françoise Picq, politiste et spécialiste de l’histoire du féminisme, Michèle Fitoussi, écrivaine, et Chekeba Hachemi, ancienne diplomate afghane.
L’avenir du féminisme, Françoise Picq le voit flou : « On ne connaît ni le contexte politique de 2030, ni le contexte social ». Pour elle, à chaque mouvement féministe se crée un mouvement réactionnaire visant à l’empêcher d’exister. « Aujourd’hui, la contre révolution féministe n’est pas principalement du fait des hommes mais surtout du poids des religieux et des idéologies traditionnelles », explique-t-elle, esquivant d’un tour de manche la question.
L’utopie en 2030 pour Michèle Fitoussi, c’est « la même salle qu’aujourd’hui remplie par une majorité d’hommes. Que tout le monde comprenne que le féminisme, c’est l’affaire de tous ». Là non plus, elle ne se mouille pas. Elle émet alors deux hypothèses. La pire, celle de la montée du pouvoir réac’ avec « le resserrement des crédits sociaux qui empêche les femmes d’aller bosser et la diminution, voire la suppression, de l’IVG ».
La meilleure, celle de l’égalité qui prime. Celle qui voit les hommes prendre le congé paternité, s’investir dans les tâches domestiques. Celle qui voit les écarts de salaires se réduire, le sexisme être éradiquer. Celle qui voit les femmes crever les plafonds de verre, les stéréotypes se déconstruire à travers l’éducation à l’égalité dans les écoles et les familles.
Chekeba Hachemi, elle, partage deux espoirs. Pour l’Afghanistan, « ce serait d’avoir une salle comme celle-ci ». Elle s’explique : « Car leur présence signifierait liberté et éducation. Dans le pays où il fait le moins bon vivre pour les femmes, l’éducation des petites filles est primordiale, c’est aussi important qu’un programme alimentaire. » Pour la France, elle souhaite que les femmes aient le choix de faire un enfant. Que ce ne soit pas un frein à l’emploi. Que ce ne soit pas un risque à prendre. « On en est encore loin », termine-t-elle. Safia Lebdi voit un espoir du côté des pays arabes et 2030 devrait être influencée par l’international.
« Il y a la même émulsion aujourd’hui dans les pays arabes et les pays de l’Est qu’en France, au Canada et aux Etats-Unis dans les années 60 », explique-t-elle.
L’activiste, comme elle se définit, entame un discours très optimiste. Le réveil de ces pays « qui s’attachent aux valeurs que portent la France avec encore plus d’enthousiasme puisqu’elles représentent la liberté pour les femmes » allié à la génération Internet « qui permet la transmission de l’information avec rapidité et sécurité et qui voit naitre de plus en plus de jeunes femmes informées » engendrent la libération de la parole qui se propage sur les blogs et les réseaux sociaux.
Elle pose alors une hypothèse : 2030, potentiellement, les femmes au pouvoir ? Une question qu’elle soulève pour servir son argument qu’elle porte comme son cheval de bataille : la création d’un parti politique féministe. « Les femmes ont du mal à prendre le pouvoir, à l’assumer – sans oublier que l’on ne veut pas leur donner – et la question est centrale dans tous les pouvoirs. Pourtant aujourd’hui, elle est minime dans les affaires politiques », déclare la conseillère régionale écologiste (en Ile-de-France).
Les femmes révolutionnaires ?
De tout temps, les femmes se sont battues pour leurs droits en exerçant une résistance passive. Mais pour les faire avancer, ce sont les périodes de révolution qui permettent aux femmes de tirer leur épingle du jeu. Pour Françoise Picq, spécialiste de l’histoire des femmes, « il n’y jamais eu d’histoire autonome du féminisme. Il a toujours eu une relation liée à la politique ». Elle cite alors les incontournables comme Olympe de Gouges qui durant la Révolution française a signé l’ouvrage Déclaration des droits de la femmes et de la citoyenne ou encore Flora Tristan qui s’est battue pour la condition féminine à l’époque du marxisme.
« Ces femmes-là s’inspirent du discours politique et en tirent les conclusions de ce que cela doit être valable pour les femmes », analyse-t-elle.
Car pour elle, le féminisme remet en question les équilibres sur lesquels la société repose en mettant le doigt sur les problèmes complexes de cette société, « à un niveau où les autres ne les ont pas posé. Comme la prostitution ou le voile par exemple. Le voile, le débat a commencé en 1989 avec le problème de la laïcité. Et c’est Ni putes Ni soumises qui nous a ouvert les yeux sur cette question-là ».
C’est donc très rapidement que le débat se centre sur ce sujet, qui étonnament ne crée aucune dissension entre les quatre femmes présentes à la table. « À l’époque des Talibans, j’entendais souvent la question : à quand les femmes afghanes sans l’habit qui les couvre ? Mais on ne parle jamais des autres droits bafoués ! », s’insurge Chekeba Hachemi. Selon elle, c’est le jour où elles auront accès à l’éducation, au travail, aux finances, qu’elles enlèveront naturellement le voile.
« Il faut les écouter ces femmes. Pas décider en tant que femmes blanches du bon côté du périph’ », lance-t-elle sous un tonnerre d’applaudissements, avant que Safia Lebdi ne reprenne la parole et son argument principal.
Le féminisme international. Le seul qui puisse servir à faire avancer les sociétés en matière de droits des femmes. Le féminisme de Ni putes Ni soumises.
« L’intégrisme et le fascisme sont à nos portes ! Et on le dit depuis 10 ans. Lorsque l’on a mis cette question sur le tapis, on a eu l’impression de vivre dans une France qui ignorait une partie de sa population. Les meufs vivent une double discrimination : celle d’être femme et celle d’être femme d’origine », scande Safia.
Et 2030 alors ?
La question de l’avenir a vite été écartée par les intervenantes, plus à l’aise dans l’observation et l’analyse de la situation actuelle, basée sur des luttes féministes profondes et récentes. Luc Le Vaillant utilise alors son rôle de modérateur pour recentrer le débat et pour tourner les regards vers ce que pourrait être l’avenir de ce mouvement pluriel.
C’est avec le sourire et un ton un brin provocateur – qu’il confesse aisément – qu’il se lance dans l’arène : « Revenons sur les points de conflit. Imaginons alors 2030, l’utérus artificiel ? Faut-il externaliser la gestation pour que les hommes et les femmes soient égaux ? » Une question qui fait bondir les expertes féministes ! Françoise Picq y saisit alors l’opportunité de préciser qu’il n’est pas question de perdre la spécificité de la maternité :
« Je n’ai pas envie d’échanger mon identité de genre. Là dessus, Antoinette Fouque n’avait pas tort. Il y a un slogan du MLF – Mouvement de libération des femmes – que j’aime beaucoup : « Un homme sur deux est une femme ». Nous sommes un homme sur deux mais nous ne sommes pas un homme comme les autres ».
Et elle revient alors sur la réalité actuelle, à savoir que les hommes, dans l’incapacité physique d’avoir des enfants entre eux, doivent passer par le corps des femmes. « Des femmes précaires, fragilisées. C’est la marchandisation du corps », ajoute Michèle Fitoussi, pour qui égalité des droits ne rime pas avec mimétisme.
Un lien vers un autre sujet sensible, que le journaliste de Libération ne résiste pas à saisir au vol : « Et alors, les bordels d’État pour hommes et femmes ? Possible ? » Et si personne ne se risque à répondre à ce qui pourrait être interprété comme un affront – 1h30 ne suffit pas pour entamer cet angle là – Luc Le Vaillant tente une échappatoire satirique et cynique : « Ce serait un bon moyen pour l’État de récupérer de l’argent ». De quoi détendre l’ambiance avant donner la parole au public.
Tout le monde est concerné
Une parole divisée qui va orienter la conférence sur le féminisme, l’affaire de tous. Safia Lebdi revendique le fait d’être féministe, que l’on soit homme ou femme. « Ce sont les hommes qui doivent se réveiller ! On construit l’avenir de demain, on résiste face à la mondialisation et aux questions morales ! », déclare-t-elle. Et quand un jeune homme prend la parole pour exprimer son envie de mettre l’humain au cœur du débat, Chekeba Hachemi lui rétorque avec ferveur et engagement :
« ça fait un demi siècle que l’humain est au cœur du débat et rien n’avance pour les femmes ».
Et Françoise Picq enchaine : « En se libérant, les femmes libèrent l’humanité toute entière ! » C’est à Michèle Fitoussi que revient l’honneur de conclure, et cette dernière ne s’éloignera pas de la ligne des inégalités qui subsistent entre les hommes et les femmes : « Vu la pente actuelle, il faudrait 120 ans pour arriver à une parité réelle. Quand on voit l’Assemblée nationale, il n’y a pas de diversité, pas de femmes alors que nous ne sommes pas une minorité, nous sommes 50% de la population. Je fais tout comme les hommes dans ce pays, je veux être traitée de la même manière ! » 2030, un nouveau féminisme ? On ne saura pas. Faudra être là…
3 questions à Safia Lebdi : « Mieux vaut être Zahia… »
Durant le débat, votre discours était plutôt optimiste avec un féminisme porté par la jeune génération via Internet. Pourtant, les jeunes femmes revendiquent leur volonté de ne pas être affiliées au féminisme et prônent l’égalité des sexes. Qu’est-ce qui fait peur dans le féminisme ?
Le féminisme français est squatté par les anciennes féministes. Le MLF, le droit à l’IVG, c’est obsolète pour les jeunes ! Mieux vaut être Zahia et gagner son argent avec son corps. Pour la nouvelle génération, Zahia incarne la réussite, la liberté. Cette génération est déconnectée de l’ancienne ! Rien que dans l’apparence…
C’est aussi pour ça que les Femen ont marché. Elles sont décomplexées et utilisent le corps comme une arme de combat. Le public qui y adhère est large et jeune. Moi, je suis une femme française issue de l’immigration, je m’identifie à des femmes qui me ressemblent. On ne peut pas se reconnaître dans l’ancien féminisme. Et ce sont les anciennes qui ont créé le rejet. Sans oublier qu’on met tout et n’importe quoi dans ce terme.
Comment ramène-t-on les jeunes femmes à la mobilisation et comment les sensibilise-t-on au mouvement ?
À travers le féminisme international ! Avec Facebook, en 3 ou 4 clics, on parle avec quelqu’un en Égypte, au Chili, en Angleterre. Il faut utiliser la blogosphère internationale. Car s’il existe des différences entre les pays, on dit la même chose sur le plan des droits des femmes. Toutes les femmes disent la même chose : mes libertés sont mises à mal. La religion, le communautarisme… elles vivent la même chose au Brésil, pour prendre un exemple. La parole est universelle. On a besoin d’une Gandhi. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de leader dans le féminisme. Il faut créer cette figure de leader.
Personne aujourd’hui ne peut incarner cette figure ? Najat Vallaud-Belkacem le pourrait-elle ?
Absolument pas ! Et non il n’y a personne actuellement. C’est pourquoi je pense qu’il faut créer un parti politique. Mais pas la liste européenne féministe ! Cette liste sera essentiellement constituée de femmes issues de la classe aisée. Elles vont mettre un peu de minorité mais très peu. Et surtout, elles ne mettront pas une tête inconnue en tête de liste. C’est un one-shot, soit tu cartonnes, soit tu dégages. Alors après ça peut être une stratégie politique. Elles vont peut-être permettre – et c’est la seule chose positive – d’aborder ces questions-là pendant la campagne. Moi je fais partie d’Europe Ecologie Les Verts, pour la laïcité, l’égalité, la liberté. On ne bougera pas là dessus et ces valeurs-là, on n’y touche pas !