Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Dans l'intimité du hammam (5/5)

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Lorient
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Un spectacle intense et émouvant « À mon âge je me cache encore pour fumer », présenté par la compagnie finistérienne Les Cormorans.
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La 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, organisée au Palais des congrès de Lorient, s’est achevée samedi 17 mai par le spectacle intense et émouvant « À mon âge je me cache encore pour fumer », présenté par la compagnie finistérienne Les Cormorans.

Une histoire de femmes, d’Algérie, d’Islam, de condition féminine dans les pays arabes mais aussi une histoire de solidarité, de force et de beauté. Un magnifique tableau présenté par la compagnie de théâtre Les Cormorans, originaire de Carantec dans la baie de Morlaix, et adapté de la pièce de l’auteure et comédienne féministe Rayhana, À mon âge je me cache encore pour fumer. Cette femme algérienne avait été violemment agressée en janvier 2010 à Paris, au moment des représentations de cette pièce, en raison du sujet traité.

En 2014, Gilles Kermarrec choisit de mettre en scène la première œuvre écrite en français de Rayhana, avec sa troupe de théâtre – constituée de femmes de 14 à 62 ans - avec qui il travaille depuis de nombreuses années. C’est devant une salle comble que la compagnie finistérienne a joué ce nouveau spectacle de qualité et assurément émouvant.

La pièce se déroule dans un hammam à Alger et présente le destin de neuf femmes oscillant entre rébellion, aspiration et soumission. Elles sont d’âge et de conditions diverses mais sont toute réunies dans cet espace protégé et intimiste initialement dédié à la toilette des femmes. Au cours du spectacle, elles échangent, toujours avec passion et ferveur, autour de leurs vies, de leur condition de femmes.

D’une situation banale au départ, la pièce de Rayhana nous emmène au cœur de l’intimité de ces neufs personnages profondément engagées et enlisées dans leur propre existence. Elles discutent, débattent, s’engueulent, se contredisent et se déchirent tandis que Fatima, la masseuse en chef, tente de les calmer et de les rappeler à l’ordre : « Vous êtes dans un hammam, vous êtes ici pour vous laver, on ne parle pas politique ici, apprenez à rester à votre place ».

Elles ont des parcours et des idéologies différents et éprouvent des difficultés à se comprendre et à cohabiter dans un espace fermé alors qu’elles aspirent toutes à une certaine liberté. L’une a subi une agression à l’acide et vient de divorcer, l’autre est mineure et enceinte – sans être mariée – une autre ne jure que par Dieu et a perdu son mari, assassiné parce que considéré terroriste, une autre encore attend de pouvoir épouser un homme pour fuir le hammam…

Briser les stéréotypes manichéens

Quand soudain arrive une occidentale, « une brunasse habillée comme une blondasse ». Elle vient rencontrer la patronne qui doit lui présenter une fille pour son fils quadra, célibataire, qui veut une vierge portant le voile « car les filles de France ont tout perdu, la religion, la tradition… »

Elle apporte une autre vision contrastée de la condition féminine qui vient se heurter à la différence des cultures. La pièce interroge, interpelle et intéresse car elle ne délivre aucune réponse brute et brise les stéréotypes en présentant et confrontant plusieurs points de vue. Ici, l’auteure, le metteur en scène et les comédiennes ne prennent aucun parti pris sinon celui de présenter un instant de vie durant lequel se croisent plusieurs destins et diverses facettes de la problématique énoncée. Ils dépeignent une condition féminine complexe et difficile à vivre à travers des portraits beaux et forts. Les dialogues sont poignants et renvoient à un quotidien cabossé dans lequel se mêlent espoirs, rêves, blessures, failles, rancunes, peurs et plaisirs. 

Pendant une heure, les spectatrices – peu d’hommes assistent à la représentation – sont suspendues aux lèvres des comédiennes qui envoient une haute dose d’électricité dans l’audience. La compagnie théâtrale use d’humour, de douceur mais aussi de sévérité, et de brutalité. Aucun sujet ni individu n’est épargné que ce soit dans les discussions ou dans l’émotion partagée. Sur scène, la tension est palpable.

Toutefois, elles diffusent et transmettent le message avec beaucoup de justesse et finesse, relevant le pari de peindre un tableau d’une grande beauté sur lequel figurent ces femmes liées par leur force et leurs valeurs aussi différentes soient-elles. La pièce passe de la comédie au drame avec beaucoup de subtilité à laquelle s’ajoute la force de la mise en scène de Gilles Kermarrec qui fait danser et chanter les comédiennes, accompagnées par un accordéoniste et une violoncelliste. Un instant d’une grande beauté qui nous pousse à la réflexion et à l’ouverture d’esprit.

Célian Ramis

Quand le tatouage entre dans les (bonnes) conventions

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L'art du tatouage était à l'honneur les 17 et 18 mai au stade de la route de Lorient pour la première convention du tatouage à Rennes.
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Si l’aiguille en effraie certains, plusieurs centaines d’amateurs d’encre et de simples curieux sont pourtant venus assister à la première convention du tatouage organisée par la tatoueuse rennaise Miss Atomik, et Mikaël de Poissy les 17 et 18 mai derniers au Stade Route de Lorient.

Quand on arrive sur place, les premières secondes sont assez étranges, l’organisation ayant eu quelques difficultés avec la Mairie de Rennes, la convention se déroule au Stade de foot, lieu dans lequel on s’imaginerait assez mal ce genre de rassemblement de prime abord. Il fait chaud, très chaud et ça pullule dans tous les sens. Malgré tout, l’équipe organisatrice a su tout mettre en place pour que le public oublie la froideur de ces bâtiments gris.

L’entrée passée, on découvre des transats posés sur l’herbe, les gens sirotent tranquillement une bière ; à disposition, un food truck et divers stands de nourriture et boissons. Un groupe de rock joue quelques morceaux pour le plus grand plaisir des visiteurs assis devant la scène. Certains ont le bras, la cuisse ou le pied emballé dans du papier cellophane, leur nouveau tatouage encore rouge et gonflé des longues minutes ou heures au contact de la machine ; d’autres se promènent en famille, admirent les tatoués d’un air curieux.

Une fois ce joyeux bordel traversé et quelques marches grimpées, direction un premier espace dédié au merchandising ; t-shirts, accessoires, vestes en jean ou chaussures panthères, tout est là pour mettre en valeur votre style, que vous soyez tatoué, rockabilly ou seulement amateur de rock en tout genre. La salle suivante est bondée, après un long couloir où l’on vous propose d’acheter votre propre machine, de l’encre ou même divers matériels de dessins, le son de l’aiguille se fait entendre tel un bourdonnement incessant. Une dizaine de box aux vitres transparentes accueillent les tatoueuses et tatoueurs par studio.

Les badauds ont le nez presque collé à la vitre pour contempler le travail des artistes ou peut-être le visage crispé et les yeux mouillés de certains clients. « C’est ma première convention, c’est vraiment complètement différent d’un rendez-vous dans un salon, je ne sais pas si j’oserais me dévoiler comme certains mais dans tous les cas, j’ai décidé de me faire tatouer sur le bras donc tout va bien pour moi », explique timidement une jeune fille, son nouveau tatouage, une grosse pièce, lui recouvrant une grande partie du bras.

« Ça fait partie du folklore de se faire tatouer en convention » 

A priori, peu se sentent gênés par le fait d’être exhibés de la sorte, dans un box, une jeune fille complètement nue se fait tatouer des côtes jusqu’au bas des hanches par le célèbre parisien Tin Tin une grande feuille de papier bleue scotchée sur la poitrine et le sexe. À coté, un homme en sous-vêtements semble retenir ses larmes alors que l’artiste remplit de couleurs le tatouage sur sa cuisse. L’important pour eux est de pouvoir enfin laisser travailler sur leur peau un des quatre-vingt artistes venus de France, d’Europe et du monde entier, « parce que les organisateurs sont mes potes », affirment plusieurs d’entre eux, comme Maud, tatoueuse chez Tin Tin ou Alix qui travaille à Paris.

Jeff Hummel qui travaille au studio « J’aurai ta peau » ajoute « Je suis venu parce que ce sont mes amis mais aussi parce que la Bretagne est une région géniale, les gens sont accueillants. Je suis ravi et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de ne pas tatouer dimanche. Pour en profiter ».

Cette salle traversée, où les trophées du Stade Rennais font face aux artistes tatoueurs, il faut grimper une nouvelle fois à l’étage au-dessus pour atteindre la dernière salle, qui est composée de stands délimités par les logos et enseignes des différents salons. Sur les tables, des books recueillant les précédents travaux des artistes, des flash (dessins comportant les lignes du futur tatouage qui seront ensuite calqués sur la peau), et quelques stickers.

« Allez viens que je t’emballe », plaisante un artiste en recouvrant le bras d’une jeune fille à la mine un peu verdâtre. Cette femme n’est pas la seule, à vrai dire, cette première convention rennaise est très féminine, plus d’une dizaine de tatoueuses y participent et des centaines de clientes, qui ont a priori oublié le petit papillon dans le bas du dos et privilégient désormais, les vraies belles pièces, colorées ou non, sur le dos, les bras, les cuisses ou les pieds, sont venues.

Certaines vont opter pour une rose du style old school, d’autres un énorme crâne plus noir ou un mignon cupcake tout coloré. La pièce est assez exiguë et bondée, il est difficile de se frayer un chemin au milieu de ces personnes qui s’arrêtent aux stands admirer le travail en cours ou poser quelques questions aux artistes. Pascal Tourain est maître de cérémonie pour le week-end, ce géant au corps entièrement tatoué exhibe fièrement sa peau parmi la foule, un short noir et un nœud papillon en guise de vêtements. Après quelques blagues qui font sourire tellement elles ont tendance à tomber à l’eau, il rappelle au micro que le concours de tatouage va bientôt commencer.

Le concours se déroule sur la scène extérieure. Le principe ? Un jury composé notamment des organisateurs Mikaël de Poissy et Miss Atomik, alors lumineuse, doit décider des plus beaux travaux effectués durant les deux jours de convention sur la base de critères artistiques mais aussi sur ce qu’ils appellent le « pointage », c’est-à-dire la technique. Les volontaires défilent par catégories, moyennes ou grandes pièces et affichent leur tatouage sous les applaudissements du public. Les gagnants repartiront avec un cadre de l’affiche de la convention et le plaisir de savoir leurs dessins approuvés par tous.

La journée se termine. En sortant, on passe à côté de quelques motos de bikers ou des voitures anciennes autour desquelles certains se sont regroupés. Les autres s’en vont le sourire aux lèvres ou d’autres un peu plus déçus ; tout le monde n’a pas pu se faire tatouer ce week-end là mais il semble clair que beaucoup d’idées et d’envies ont germé dans les têtes et que l’art du tatouage a été célébré comme il se devait…

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : "Parler pour libérer les consciences" (4/5)

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Lors de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem a répondu à nos questions, samedi 17 mai.
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À l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, la ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Najat Vallaud Belkacem était de passage à Lorient, samedi 17 mai. Elle a répondu à nos questions lors d’un point presse, à l’issue du débat auquel elle participait – en compagnie de Pierrick Massiot, président du Conseil régional de Bretagne – autour des politiques publiques d’égalité.

YEGG : La 4e Biennale de l’égalité se termine aujourd’hui en Bretagne, seule région à proposer ce type de manifestation (la ville de Reims organise également une Biennale de l’égalité). Pourrait-on imaginer que la Biennale de l’égalité soit imposée dans chaque région française, et chapotée par le ministère des Droits des femmes ?

Najat Vallaud Belkacem : C’est une très bonne idée ! Il faudrait en parler aux collègues des autres régions pour organiser tout ça. Ce que je peux dire de la Biennale de l’égalité en Bretagne, c’est que je trouve que c’est une initiative formidable. Deux jours pour mettre en lumière les inégalités et pour rassembler les acteurs autour d’un débat commun. C’est aussi l’occasion de découvrir des combats menés par d’autres structures.

J’aime aussi l’idée qu’elle tourne, qu’elle ne soit pas définie dans une ville en particulier (la Biennale a été organisée à Brest, Morlaix et Saint-Malo, ndlr). Aussi, la Biennale soulève des points cruciaux dont il est important de parler pour libérer les consciences. Car souvent les victimes n’ont même pas conscience d’en être ! Il faut leur faire prendre conscience de tout ça, c’est tout l’enjeu ici. Et ça passe par la communication…

YEGG : … et par la transversalité. On le sait, vous aimez jouer et agir avec tous vos domaines de compétence (droits des femmes, ville, jeunesse et sports). La preuve avec la récente nomination d’une ancienne athlète pour lutter contre l’homophobie dans le sport…

Najat Vallaud-Belkacem : Tout à fait ! J’ai le plaisir d’être en charge des Sports et de pouvoir agir pour sa féminisation. Je pense qu’il faut lutter contre toutes les discriminations. Et surtout lorsqu’elles sont subies en raison de son orientation sexuelle. J’ai nommé Maguy Nestoret-Ontanon pour être en charge de la lutte contre l’homophobie dans tous les sports. Je pense que quand on ne nomme pas le mal, on a du mal à le combattre. Pour l’homophobie, c’est la même chose. D’où la nomination de cette ancienne athlète pour lutter contre ça.

Média : La Biennale s’intéresse à l’égalité au quotidien. Alors qu’est-ce que l’égalité change au quotidien ?

Najat Vallaud-Belkacem : Aujourd’hui, nous n’avons pas l’égalité. Il faudrait donc se demander ce qu’elle changera quand on l’aura réalisée. L’égalité donne la liberté d’être soi. D’être une femme et être chef d’entreprise dans le BTP. D’être un homme et être assistant maternel. C’est génial comme projet de société et l’égalité est un élément essentiel dans tous les pays, nous l’avons encore dit lors du débat.

Média : Il y avait vendredi matin un débat intitulé « Éducation : faut-il avoir peur ? ». Qu’est-ce que vous en pensez ?

Najat Vallaud-Belkacem : Je suis ravie que la Biennale ait osée cet intitulé. Le droit des femmes ne doit pas se contenter de parler qu’aux initiés. Sinon, on avance très vite mais finalement on se rend compte que l’on est seul et que la société ne nous suit pas. Il faut acquérir le réflexe de l’égalité. Dans les médias, la télé, les pubs… tout dans la société nous pousse à exclure de notre champ d’horizon des rôles ou des métiers parce qu’ils sont attribués aux filles ou aux garçons.

L’éducation à l’égalité explique les différences qui existent mais explique aussi et surtout que nous aspirons aux mêmes choses. Il faut changer les mentalités, s’autoriser à ambitionner des choses. Et ça, ça se construit très jeune. Avoir accès à l’éducation à l’égalité, c’est ce que défendent les valeurs de la République.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Marche ou C-rêve (2/5)

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Vendredi 16 mai, Laëtitia Mazoyer présentait sa conférence gesticulée « Marche ou C-rêve ! : L’échappée belle ou la longue traversée des violences conjugales ».
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Vendredi 16 mai, Laëtitia Mazoyer présentait sa conférence gesticulée « Marche ou C-rêve ! : L’échappée belle ou la longue traversée des violences conjugales », à l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité, organisée à Lorient. Un parcours de combattante et de militante.

Deux groupes sont constitués au fond de la salle. Laëtitia Mazoyer, au milieu, observe, écoute, attend. Les femmes, et les rares hommes présents, accordent leurs arguments avant de les confronter entre eux. La conférence commence ainsi. Par un débat mouvant. D’un côté, celles qui sont pour l’affirmation « C’est le premier pas qui coûte ».

De l’autre, celles qui sont pour l’affirmation « Ce n’est pas le premier pas qui coûte ». Ce premier pas coûte et compte pour certaines et pour d’autres, il est l’élément déclencheur mais pas nécessairement le plus important. Après un échange convivial qui se conclut par une dernière affirmation d’une participante - « Cela dépend des situations et des personnalités… » - Laëtitia Mazoyer invite les spectatrices à s’asseoir pour parler de son premier pas.

Celui qu’elle a fait pour quitter le foyer familial mais surtout celui qu’elle a fait pour sa marche de Nancy à Strasbourg. « Quitter le foyer où je vivais des violences, enceinte de 8 mois… J’avais besoin de partir, besoin de protéger mon enfant », lance-t-elle devant une audience ébahie et pendue à ses lèvres. C’est en octobre 2010 que la jeune femme a franchi le pas. Déjà séparée de son compagnon, elle est encore noyée dans les démarches administratives.

Cette année-là, elle s’engage pour la grande cause : la lutte contre les violences faites aux femmes (année nationale). Sur scène, elle prend alors sur son dos, le sac de voyage qu’elle avait d’abord placée devant son ventre pour illustrer la grossesse. Elle sort des cartes et surtout un drap sur lequel elle a dessiné son trajet qu’elle étend sur un fil à linge. « Avoir un trajet, une première étape, ça me donnait déjà une perspective. J’avais défini des étapes, pris des gites. Un sac à dos, un duvet, des draps. Quand une femme part, il faut penser à prendre les papiers, la trousse de secours… Souvent le départ ne s’improvise pas, sauf pour les cas de danger imminent. Allez, on décolle ! »

Marche ou C-rêve n’est pas une invitation au voyage mais une manière pédagogique et vivante de retransmettre le parcours vécu par cette femme. Et qui pour la 7e fois joue sa conférence gesticulée. « J’ai choisi de parler de l’après car il est difficile de témoigner quand on est encore dedans. Mais c’est vital de témoigner, pour informer, pour donner une vision large aux potentielles femmes qui peuvent le vivre », nous confie Laëtitia.

Un discours commun à celui de Rachel Jouvet, victime de violences conjugales à 18 ans, qui a choisi de raconter son histoire dans la pièce « Je te veux impeccable, le cri d’une femme », mise en scène et jouée par la compagnie rennaise Quidam théâtre (lire notre Focus n°19 – novembre 2013). Pour Laëtitia, la marche est une manière d’apprendre à vivre avec la solitude qui l’habite depuis qu’elle est partie du domicile conjugal. Elle établit un lien entre la peur ressentie lors du départ et celle des premiers jours de randonnée.

« La peur vous colle à la peau. J’ai passé du temps à la dompter », explique-t-elle. Chaque étape fait écho à ce qu’elle a subi au cours de l’après. Les émotions, le changement d’humeur, les difficultés, le découragement, l’épuisement, l’envie d’aller plus loin, d’avancer, de se reconstruire… Elle a déjà connu tout ça. Mais lors de sa marche, elle se libère, éprouve le plaisir de marcher, fait des rencontres. Et au fil de la conférence gesticulée, elle crée des parallèles entre son cheminement personnel et le chemin parcouru dans l’histoire des luttes féminines. « J’ai commencé à sortir de mon idée que l’égalité femmes-hommes, c’était acquis », dit-elle en posant sur son nez des lunettes avec un seul carreau teinté. Et pour sortir davantage du brouillard, elle sort deux autres linges qu’elle attache au fil, derrière elle.

« J’ai découvert deux triangles qui ont complètement bouleversé ma façon de penser. L’un qui explique la situation : il y a le persécuteur, la victime et le sauveur dans une relation triangulaire. L’autre montre comment s’en sortir : la protection, la permission et la thérapie », décrit-elle.

Néanmoins, la jeune femme ne se contente pas de ces schémas et fouille dans les écrits jusqu’à tomber sur une enquête concernant les violences faites aux femmes et un numéro de téléphone : « On m’a répondu : « Vous avez le bon numéro », c’était formidable ». C’est avec un humour fin et léger que Laëtitia fait passer son message et conte son expérience. Un parcours de combattante mis en parallèle avec une marche de militante.

Un problème social

« Au bout d’un moment, en cours de route, j’ai commencé à marcher avec joie et j’ai tué le prince charmant ». Silence dans la salle, les spectatrices étant piquées par la curiosité. Dans une démonstration théâtrale, Laëtitia illustre la relation de couple.

Elle tient son sac à dos, bras tendus, en position de supériorité face à elle. Elle se baisse, se baisse et se baisse encore, jusqu’à plaquer d’un coup sec le sac à dos à terre et se relève fièrement en scandant « J’ai tué le prince charmant, pas l’amour ». Et la conférence reprend son rythme de marche, tantôt saccadé, tantôt rapide, et tantôt ralenti. Une cadence irrégulière que chacun et chacune peuvent comprendre et imaginer en se remémorant des instants de vie.

« Je me suis rendue compte que j’étais un problème social. J’étais vachement rassurée », précise-t-elle. Rires étouffés dans la salle. Un problème social. Comme toutes ses femmes qui à un moment ont choisi de résister, de bousculer l’ordre établi et de refuser l’autorité :

« C’est un angle nouveau dans le témoignage contre les violences faites aux femmes. J’ai découvert ça en lisant le livre de Patricia Romito, Un silence de mortes – La violence masculine occultée, et je trouve ça très important que les femmes ne soient pas soumises. Si elles mettaient la même énergie ailleurs que dans le combat contre les violences, elles pourraient déplacer des montagnes ! »

Laëtitia Mazoyer termine par le discours qu’elle a prononcé lors du colloque sur les violences faites aux femmes, une fois arrivée à Strasbourg : « Je voulais vous parler de l’après… Une fois qu’on est parti… Dont on ne parle pas beaucoup ». La conférence gesticulée s’achève sur le cri de guerre qu’elle a inventé lors de sa marche. Un moment intense et émouvant qui restera gravé dans les mémoires des spectatrices et spectateurs qui prennent ici la mesure des drames subis par plus d’une femme sur dix en France, sans compter celles qui ne dénoncent pas ou ne réalisent pas les violences dont elles sont victimes.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Le cerveau a-t-il un sexe ? (1/5)

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La neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, présentait vendredi 16 mai sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? »
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À l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, organisée par la région Bretagne au Palais des congrès de Lorient, la neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, présentait vendredi 16 mai sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? »

Elle mène une double vie, Catherine Vidal, comme elle aime le dire au début de sa conférence. Dans sa première vie, elle est dans son labo et travaille sur la vie et la mort des neurones dans les maladies neuro-dégénératives. Et dans la seconde, elle s’intéresse aux stéréotypes et aux idées reçues qui concernent les femmes et les hommes.

Pas n’importe lesquels : ceux qui émanent de l’idéologie du déterminisme biologique. À savoir que les femmes et les hommes auraient un cerveau différent, d’où les inégalités entre les sexes. Pendant près d’une heure, la neurobiologiste va balayer les grandes idées reçues profondément gravées dans l’imagerie populaire. Le médecin, anatomiste et anthropologue Paul Broca défend, au XIXe siècle, l’idée d’une infériorité féminine due à la taille et au poids de leur cerveau, pesant environ 1,200 kg contre 1,350 kg en moyenne pour les hommes.

« Mais déjà à cette époque, on savait qu’il n’y avait pas de relation entre la taille et le poids du cerveau et l’intelligence. Par exemple, le cerveau d’Anatole France pesait 1 kg et celui d’Einstein 1,250 kg. On ne serait jamais allé dire qu’Einstein aurait pu être une femme… », démontre Catherine Vidal. Pour déconstruire les stéréotypes les plus ancrées dans l’opinion, elle se base alors sur plusieurs études et sondages menés d’abord dans les années 80 – le cerveau est découpé et placé dans le formol – puis dans les années 90 jusqu’à aujourd’hui – les études sont réalisées par IRM : « Ces dernières montrent que statistiquement, il n’y a pas de différences entre le cerveau d’une femme et le cerveau d’un homme. Avant, avec le formol, on tirait des conclusions à partir de probabilités. On disait alors que les femmes étaient plus douées en matière de communication car leur hémisphère gauche était plus développé et que les hommes étaient plus doués pour se repérer dans l’espace car leur hémisphère droit était plus développé. »

Plasticité cérébrale et théorie du genre

Mais le cerveau, et c’est là que réside toute la difficulté, est bien plus complexe. Catherine Vidal, elle, choisit de présenter et d’expliquer, simplement, le fonctionnement de la plasticité cérébrale, qui rejoint la théorie du genre « qui n’est pas une théorie mais un concept ».

C’est lors de la vie intra-utérine que se forment les organes et que se construit le cerveau : « Le bébé nait avec 100 milliards de neurones qui ne vont pas cesser de se multiplier. Mais il faut savoir qu’à la naissance, seulement 10% des neurones sont connectés entre eux ». 90% de nos milliards de synapses se fabriquent lors de la petite enfance et tout au long de notre existence. Si notre vision est très sommaire jusqu’à nos 5 ans – le temps que le nerf optique se développe intégralement jusqu’à la connexion au système nerveux – il en résulte que l’exposition de l’œil à la lumière est une condition obligatoire pour la connexion des neurones aux voies visuelles. Il en est alors de même pour toutes les connexions.

Pour la scientifique, pas de doute : « L’interaction avec l’environnement est indispensable à la construction du cerveau, sinon il ne peut pas se câbler. L’environnement et l’apprentissage jouent donc un rôle très important ». En effet, des études réalisées sur des pianistes, mathématiciens ou encore des jongleurs montrent que l’entrainement régulier, dès le plus jeune âge, amène l’épaississement de certaines zones nécessaires à la pratique choisie, et inversement, l’arrêt des exercices entraine un rétrécissement de ces zones.

D’autres cas école sont montrés ce vendredi à l’assemblée réunie dans l’Auditorium pour appuyer l’argument de la neurobiologiste : le cerveau est malléable – il est en effet plissé dans la boite crânienne – et peut s’adapter à certaines anomalies physiques sans les répercuter sur le mental – certaines personnes subissent des ablations d’un hémisphère du cerveau et récupèrent leurs capacités après rééducation de l’hémisphère restant. Seule compte la stimulation, l’interaction, avec son environnement social et culturel.

Interférence entre idéologie et pratique scientifique

« Hormis l’hypothalamus (dont une des fonctions est de réaliser la liaison entre le système nerveux et le système endocrinien, ndlr) qui active chaque mois des neurones afin de déclencher l’ovulation chez la femme et qui marque donc une différence associée à la reproduction, il n’y a pas de différence entre les sexes pour les fonctions cognitives », explique la conférencière.

Elle poursuit : « Jusqu’à 2 ans et demi, l’enfant n’est pas capable de s’identifier au masculin ou au féminin. Il n’a pas conscience de son sexe ». Par conséquent, ses goûts et sa personnalité sont forgés par son environnement, son éducation et sa culture – décor de la chambre, jouets, vêtements, etc. – « en fonction des normes de sexe ».

La plasticité cérébrale conforte donc la notion de sexe et de genre, conduisant inéluctablement à la théorie du genre, qui selon Catherine Vidal est une « réalité conceptuelle qui ne nie pas la réalité biologique, bien au contraire, elle l’intègre ». L’homme ne serait donc pas biologiquement programmé à mieux se repérer dans l’espace et la femme ne serait pas naturellement intuitive : « Les instincts sont ancrés dans la biologie mais leur expression est contrôlée par la culture ». Et donc par tous les stéréotypes véhiculés et transmis de génération en génération.

Pour Catherine Vidal, rien ne prouve que les cerveaux masculins et féminins sont diamétralement opposés, ni même légèrement différents mais tout converge vers la conclusion de la plasticité cérébrale : « Il n’y a pas de corrélation entre humeurs et fluctuations d’hormones. Chaque femme vit à sa façon son cycle mensuel, sa grossesse, sa ménopause… » En d’autres termes, chaque cerveau, féminin ou masculin, diffère en fonction de l’histoire de l’individu qui le porte, de son environnement et de ses interactions à l’extérieur au cours de son existence.

« Il y a une interférence entre l’idéologie et la pratique scientifique et l’idée d’un déterminisme biologique persiste toujours. Les biologistes doivent s’engager auprès des sciences sociales pour diffuser la culture de l’égalité entre les femmes et les hommes », conclut Catherine Vidal, fortement applaudie au terme de sa conférence.

Célian Ramis

Médiation familiale : Conciliation lors de la séparation

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Comment est entreprise la médiation familiale ? Quels moyens sont mis en œuvre ? Comment un couple peut vivre les séances ? Les médiateurs pourraient-ils se substituer aux avocats et aux juges des affaires familiales ?
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En mai 2004, l’Assemblée nationale adoptait le texte définitif du projet de loi relatif au divorce. Une loi promulguée le 26 mai 2004 et publiée au Journal Officiel le 27 mai de la même année, qui vise à simplifier et à moderniser les procédures de divorce, datant de 1975. Ainsi, on peut lire dans l’article 255 du Code civil que le « juge peut notamment : 1° Proposer aux époux une mesure de médiation et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder ; 2° Enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de la médiation (…) » La médiation familiale, encore peu et mal connue - loin d’être réservée aux couples mariés en instance de divorce – ambitionne de rétablir le dialogue entre les deux parties afin de pouvoir s’accorder sur différents points relatif à la séparation comme le partage des biens ou encore la garde des enfants. Comment est entreprise la médiation familiale ? Quels moyens sont mis en œuvre ? Comment un couple peut vivre les séances ? Les médiateurs pourraient-ils se substituer aux avocats et aux juges des affaires familiales ? La rédaction de YEGG s’est penchée sur ces questions.  

Depuis plusieurs décennies maintenant, le nombre de séparation des couples augmente. Aujourd'hui, en France, plus d'un couple sur deux qui passe par la case mariage, passera également par la case divorce. Et ces chiffres ne mentionnent pas les couples non-mariés. La séparation est devenue de ce fait un véritable enjeu de société. Entre déchirements des conjoints et souffrance des enfants, la médiation familiale est une solution proposée pour tenter d'apaiser ce passage douloureux.

La médiation familiale est apparue en France à la fin des années 1980, sur l'exemple du Québec. Elle a pour but d'amener les familles sur un terrain neutre pour les aider à résoudre les conflits qui peuvent surgir à différents moments : séparation des couples, difficulté de communication avec un jeune majeur, désaccord au sein d'une fratrie sur la prise en charge d'un parent vieillissant, rupture du lien entre petits-enfants et grands-parents. Néanmoins, la coordinatrice du service de médiation familiale de l'UDAF 35 (Union Départementale des Associations Familiales), Christine Duchemin, le rappelle: « Dans 95% des cas que nous rencontrons, il s'agit d'une séparation entre conjoints. »

Une épreuve douloureuse qui peut amener les ex-conjoints à s'entre-déchirer devant les tribunaux afin de faire payer à l'autre la souffrance dont il le juge responsable. Le pari qui est fait par la médiation familiale, c'est de permettre aux couples de retrouver un espace de communication pour se mettre d'accord sur les modalités de la séparation, plutôt qu'elles ne  soient imposées par la justice. À Rennes, il existe deux services qui proposent la médiation familiale: l'UDAF 35 et Espace médiation. Outre ces structures, une médiatrice officie de manière privée : Marie-Christine de Cacqueray.

LA PHILOSOPHIE DE LA MÉDIATION

Madame Hignard, juriste au Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) le rappelle:

« La médiation ce n'est pas une thérapie de couple, ce n'est pas fait pour sauver le couple. »

Bien souvent, au delà du conflit conjugal, les conjoints ont un rôle à jouer en tant que parents. Dans le préambule du texte de loi sur la famille présenté début avril à l'Assemblée Nationale, le législateur précise: « Chacun peut se séparer de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin mais jamais de ses enfants ».

Il faut donc réinventer une co-parentalité et une communication apaisée après la séparation. Le médiateur familial joue le rôle de tiers neutre, impartial, afin de favoriser la reprise du dialogue. Selon Christine Duchemin, ce métier transmet un idéal à la société:

« Notre objectif c'est de responsabiliser les gens. Il y a une dimension philosophique importante dans notre démarche. C'est un temps à part, le médiateur prend le temps d'analyser la situation, permet aux personnes de parler, de s'exprimer soi, d'écouter l'autre. Il les aide à être acteurs de ce qui s'est passé pour devenir acteurs de ce qu'il y a à régler. Il aide à retrouver la capacité à discuter, à se comprendre et à chercher ensemble des solutions. » 

C'est un espace où l'on responsabilise les gens pour les aider à garder leur liberté de choix. La nouvelle communication établie au moment des séances doit se prolonger en-dehors des murs des séances. La réussite se fait sur le long terme, les parents qui ont eux-mêmes choisis les modalités de la séparation, les respectent plus et surtout sont plus aptes à communiquer entre eux à propos de leurs enfants. Pour la coordinatrice du service, cela montre aussi l'exemple pour les enfants : « Réussir à s'entendre au-delà de la séparation, c'est un message très fort qui est envoyé aux enfants. Ils les font grandir ensemble tout étant séparés. C'est important pour un enfant d'avoir des adultes, des parents responsables. »

UN HOMME ET UNE FEMME QUI SE SONT AIMÉS

« Une séparation c'est avant tout l'histoire d'un homme et d'une femme qui se sont aimés, qui ont décidé d'avoir une famille, qui ont vécu de belles choses avant que la relation ne se dégrade. »
Christine Duchemin, coordinatrice du service médiation familiale à l'UDAF.

Pour illustrer son propos, Christine Duchemin revient sur une médiation qui l'a marquée. Les personnes étaient en procédure depuis sept ans, ils se déchiraient, d'enquêtes en expertises. Ils sont arrivés en médiation à l'initiative de la femme, qui tentait cet ultime recours avant son déménagement dans le sud. Ce changement de région remettait en cause la résidence alternée des enfants. Pendant les premières séances, ils n'ont pas pu se regarder, ni s'appeler par leur prénom. L'homme voulait garder les enfants car il considérait le déménagement comme un choix personnel de la femme.

Elle, elle affirmait que les enfants préféraient partir avec elle. Selon ses dires, avec la médiation, ils ont pu se donner accès à ce que représentait le projet de déménagement, à leur ressenti. Lui a fini par formuler qu'il se sentait discrédité et non-reconnu dans son rôle de père depuis le début de la séparation. C'était aussi pour cela qu'il se battait depuis toutes ses années pour obtenir la résidence alternée devant les tribunaux. Difficile, donc, pour lui d'y renoncer. Face à cette confidence la femme a alors déclaré, « d'une manière très émouvante » précise la professionnelle, qu'au contraire elle estimait que sa place en tant que père était très importante auprès des enfants, qu'elle comptait énormément sur lui.

Pour elle, venir en médiation c'était aussi réfléchir sur comment il allait rester le papa de ses enfants. « Une fois que les deux ont réussi à formuler ce qui les bloquait, c'est un tapis rouge qui se déroule. Les solutions ont été trouvées en quelques séances. Je pense que si la médiation n'était pas passée par là, ces gens-là se déchireraient encore », commente la coordinatrice de l'UDAF.

PARCOURS D'UNE MÉDIATION

Le parcours d'une médiation commence par un rendez-vous d'information pour en expliquer le principe. Ce rendez-vous préalable permet d'éviter de se tromper de démarche : dans certains cas,  ce n'est pas la solution. Les cas de violences conjugales, par exemple, ne rentrent pas dans ce processus : « Pour démarrer une médiation, il faut qu'il y ait une égalité dans le couple, que chaque ex-conjoint reconnaisse l'autre comme légitime. Si la notion de respect n'est pas présente dès le départ, ce n'est pas possible. Dans ces cas-là nous renvoyons les personnes auprès d'autres professionnels qui sont plus adaptés », confie Christine Duchemin.

« Nous n'avons pas de relations institutionnalisées avec la médiation familiale mais nous renvoyons régulièrement des personnes vers ce service. Cependant  elle n'est pas adaptée dans les cas de violence intra-familiale, il faut qu'il y ait une égalité dans le couple. »
Mme Hignard, juriste au CIDFF.

Lorsque les personnes acceptent la démarche, un autre rendez-vous est fixé, cette fois-ci pour entrer dans le vif du sujet. « Chaque parcours est différent, en fonction de ce qu'il y a à régler. On fixe des séances tous les quinze jours à trois semaines, qui peuvent durer entre 1h30 et 2h. Certains n'ont besoin que de deux ou trois séances, pour d'autres il en faudra plus d'une dizaine. » Les rencontres se déroulent à trois : les deux participants et un médiateur familial diplômé.

Lors de la séance, le professionnel invite chacun à parler des points de désaccord et à exposer leur point de vue pour déterminer d'où viennent les différents. Autorité parentale, montant d'une pension alimentaire, lieu de résidence des enfants, séparation des biens... les sujets sur lesquels travaillent les parents en médiation sont nombreux et très concrets. Le médiateur n'est pas un thérapeute, même si, parfois, les blocages rencontrés ne sont pas d'ordre rationnels mais psychologiques.

Lorsque le parcours aboutit, et que les deux participants parviennent à s'entendre sur les points principaux, ils n'ont plus qu'à écrire leur accord et à le faire valider par un juge. Cette dernière étape permet aux parties d'avoir l'assurance que les accords seront officialisés. À l'UDAF 35, environ la moitié des médiations débouchent sur un accord entre les ex-conjoints. Pour d'autres ce n'est pas le bon moment ou la séparation a été trop douloureuse.

LE MÉTIER ET LES ENJEUX DE MÉDIATION

On ne peut pas s'improviser médiateur familial. Depuis 2004 c'est un diplôme d'État – le DEMF - reconnu qui nécessite un diplôme de niveau trois (c'est-à-dire un bac +2) préalable, auquel s'ajoute une formation d'environ 700 heures. Christine Duchemin précise: « Nous n'avons pas de jeunes bacheliers qui se dirigent vers la médiation familiale. Il faut avoir une expérience de vie plus importante. C'est un métier où certaines situations peuvent entrer en résonance avec notre propre vécu. Il faut savoir prendre de la distance pour ne pas laisser notre ressenti empiéter sur notre professionnalisme. La plupart des médiateurs viennent du champ du travail social. Ils ont déjà eu une expérience avant de se lancer dans la médiation. » Dans le service consacré à la médiation à l'UDAF 35, 6 médiateurs familiaux se relaient, 4 femmes et 2 hommes. Leur temps de travail équivaut à 3 temps plein.

La médiation familiale est confrontée à de nouveaux enjeux. La loi sur la famille, reportée début 2014 par le gouvernement Ayrault à cause des sujets sensibles de la GPA (Gestation pour Autrui) et PMA (Procréation Médicalement Assistée), n'a pas complètement été abandonnée. Début avril un projet de loi édulcoré, et sans les sujets polémiques, a été déposé devant l'Assemblée Nationale. Il comprend un volet sur la médiation familiale.

Jusqu'à présent les démarches de médiation étaient entreprises volontairement, tous les couples reçus ayant choisi ce mode de séparation. Le juge aux affaires familiales pouvait contraindre un couple à se rendre au rendez-vous d'information sur la médiation mais il était ensuite laissé libre de la poursuivre ou non. Dans le nouveau projet de loi, le juge peut désormais enjoindre des conjoints à se rendre aux séances de médiation. L'article 17 prévoit « à l'effet de faciliter la recherche par les parents d'un exercice consensuel de l'autorité parentale, le juge peut : […] leur enjoindre de prendre part à des séances de médiation familiale. »

Si la loi n'a pas encore été votée, elle inquiète la coordinatrice du service de médiation de l’UDAF 35:

« Nous sommes très prudents avec cette nouvelle règle. Notre objectif ce n'est pas de désengorger les tribunaux, mais d'aider les personnes. Nous craignons un peu que cette loi fasse perdre le sens premier de la médiation. »

Les professionnels ont fait remonter leurs craintes au niveau national, mais avec un peu plus de 600 médiateurs familiaux en France face à la gigantesque machine judiciaire, leur voix n'a pas encore été entendue. Ce combat, pour préserver le sens de leur métier et en garder les principes déontologiques, tout en restant complémentaires de la justice, est difficile. Les débats parlementaires qui arrivent sont ainsi très attendus.

Au fur et à mesure que la notoriété de la médiation augmente, de plus en plus de personnes y ont recours. En 2013, ce service de l'UDAF 35 a connu une augmentation de plus de 37% de son activité par rapport à 2012. Les professionnels du droit la connaissent mieux et certains juges aux affaires familiales n'hésitent plus à enjoindre les couples à se rendre au rendez-vous d'information.

Pour autant la relation entre la justice et la médiation familiale n'est pas toujours simple. Selon les médiateurs, certains professionnels de la justice, notamment quelques avocats, la perçoivent comme une concurrence indirecte dans les affaires de divorces. Pourtant la médiation familiale se veut complémentaire et non rivale, puisqu'elle est l'un des outils qui permettent une séparation moins douloureuse.

QUÉBEC, PAYS ANGLO-SAXONS... DES EXEMPLES À SUIVRE ?

D'autres pays sont en avance par rapport à la France sur le développement de ce type de service. Au Québec, mais également dans les pays anglo-saxons, celle-ci est beaucoup plus développée. La coordinatrice semble croire qu'il s'agit d'une différence culturelle : « En France on est beaucoup plus dans la culture du conflit. Pas seulement pour les séparations, même pour un conflit de voisinage on va devant les tribunaux. »

Sous d'autres cieux, le conflit n'est pas judiciarisé et les salles de médiation, familiale, mais aussi dans d'autres domaines, fleurissent au coin des rues. Il n'est pas plus étrange d'aller voir un médiateur qu'un médecin. La France est encore loin de ces situations. Cependant avec l'augmentation de l'activité de ces professionnels et une meilleure connaissance du grand public des services proposés, il se pourrait que cette solution soit de plus en plus prisée dans les années à venir.

Deux ex-conjoints ont accepté de témoigner pour YEGG de manière anonyme sur leur expérience de la médiation familiale. À la fin de l'année 2013, en désaccord sur la somme à verser pour leur fils, ils contactent le service de médiation de l'UDAF 35. Ils ont participé à trois séances qui ont abouti à un accord.

Qu'est-ce qui vous poussé à venir en médiation familiale ?

Lui : Nous sommes séparés depuis trois ans, je ne voyais mon fils que le week-end, c'était court avec le foot et ses activités. Je voulais qu'il fasse une semaine chez moi et une semaine chez sa mère pour que je le vois plus. Avant, je versais 200 euros de pension alimentaire mais avec mon salaire c'était difficile, je finissais souvent à découvert. Je pensais qu'avec la résidence alternée je ne devrais plus rien. Mon ex, elle, considérait qu'avec les dépenses liées à l'école et ses activités, je lui devrais encore de l'argent. Tous les deux, ça se passe très bien mais pour caler les choses on a préféré aller voir quelqu'un.

Elle : Depuis septembre, lorsqu'on a envisagé la résidence alternée, les questions d'argent pour la pension alimentaire devenaient centrales et pendant 4 mois on n’arrivait plus à communiquer. C'était rompu on avait plein de points de discorde et surtout on n’arrivait pas à se mettre d'accord sur le montant de la pension. Je me suis dit que la meilleure solution serait peut-être de voir un tiers pour repenser les choses calmement.

Comment avez-vous connu la médiation ?

Lui : C'est mon ex qui l'a connu. Je ne connaissais pas, c'est elle qui a pris le rendez-vous.

Elle : J'ai connu l'UDAF au moment de mon divorce car quelqu'un m'en avait parlé. J'étais allée là-bas pour faire des séances dans le service Parents ensemble. Quand la communication s'est dégradée avec mon ex-mari, je me suis rappelée qu'à l'UDAF, ils faisaient aussi de la médiation familiale. 

Quelles étaient vos attentes vis-à-vis de cette démarche ?

Lui : Quand on s'est séparés, on a été à un premier rendez-vous mais c'était compliqué, c'était bizarre et pas facile, comme tous les divorces. La première fois je n'ai pas compris, je ne me rappelle même pas ce qu'on a dit (le premier rendez-vous concernait une séance Parents ensemble ndlr). La deuxième fois (3 ans après la séparation ndlr), on a remis les choses en place  et c'est là que j'ai compris. On m'a demandé : Combien Vous dépensez pour votre fils ? Et on a mis les choses au clair.

Elle : C'était avant tout pour rétablir une communication. Retrouver un terrain d'entente avec mon ex-mari à propos de notre fils. Après, je m'étais renseignée et je savais qu'il me devait une pension, je voulais aussi qu'il comprenne ça, mais le plus important c'était de réussir à se parler.

Comment avez-vous vécu ces séances ?

Lui : C'était bien, ça permet de remettre les choses au point.

Elle : Dans notre cas, ça a été assez facile, on s'était déjà reparlé pour qu'il accepte la médiation. J'ai trouvé que les questions étaient très justes, la médiatrice mettait très à l'aise, elle savait s'adapter aux personnes. On a fait trois séances. Pendant la première, elle a remis notre enfant au cœur d'un arbre généalogique. Ça nous a permis de parler chacun de notre vie, de la personne avec qui on vit actuellement, mais aussi des grands-parents et de tout le contexte autour de l'enfant. À la fin de la séance elle nous a demandé de faire un calendrier sur un an pour calculer combien de temps notre fils passait chez chacun, et combien on dépensait par mois pour lui. La deuxième séance a été plus technique, on a repris les chiffres qu'on lui avait apporté et elle a fait un calcul à partir de ça. On est arrivé à un chiffre de pension qui était plus élevé que ce que proposait le juge. Ensuite elle nous a demandé de réfléchir tous les deux si ça nous convenait et lors de la troisième séance on s'est mis d'accord sur la résidence et la pension. La dernière fois c'était moins technique, on était plus dans la discussion.

Qu'en avez-vous retiré ?

Lui : On s'est mis d'accord, on le garde une semaine chacun et je continue de donner 100 euros par mois. On a mis ça sur papier et ce papier-là on va le montrer au juge, on a rendez-vous au tribunal. C'est bien de lui montrer que je donne une pension alimentaire, qu'on est déjà passé en médiation familiale. Grâce à ce papier, ils vont voir qu'on a fait un effort et pour le magistrat ce sera plus simple.

Elle : La résidence alternée est mise en place depuis quelques semaines et on a repris une communication apaisée. Bref que du positif ! Actuellement elle nous rédige un papier à présenter devant le juge avec nos accords. C'est vraiment ce que j'en attendais.

Est-ce que c'est une démarche que vous conseillerez autour de vous ?

Lui : Oui, cela permet de discuter pour les couples qui ne s'entendent pas, pour qu'ils puissent régler leurs problèmes avec quelqu'un qui n'est ni de la famille, ni des amis. J'ai vu comment ils interrogent les gens et comment ils travaillent, donc, oui, je le conseillerai.

Elle : Oui, en fait je l'ai déjà fait plein de fois, même quand je n'y avais pas encore participé. Il y a des gens autour de moi qui on fait une médiation au moment de la séparation. Moi j'avais un peu peur que dans notre cas, cela ne soit pas possible, je ne savais pas qu'on pouvait le faire y compris deux ans et demi après la séparation. Ça m'est déjà arrivé plusieurs fois d'en parler à des gens et de la conseiller. Plus généralement je recommande régulièrement les services de l'UDAF. 

La médiation familiale était-elle présente dans les affaires que vous traitez ?

Nous avons des personnes qui ont entamé le processus de médiation, souvent pour parler des questions liées aux enfants, très peu pour les problèmes d’argent. Dans ce cas-là, si les parties trouvent un accord, notre rôle est de le faire homologuer par un juge.

Et nous avons aussi des cas dans lesquels la médiation familiale a échoué. Généralement, nous le savons très rapidement s’il y a possibilité de rapprocher les deux parties, selon les points de désaccords. Quand c’est très conflictuel, très profond, qu’il y a beaucoup de rancœur et que cela dépasse même la séparation… Nous savons alors qu’il y a peu de chances que la médiation fonctionne.

La médiation familiale est-elle en concurrence avec le rôle des avocats ?

Je n’ai pas le sentiment que ce soit en concurrence directe. Dans la médiation, il y a un tiers, qui est neutre. J’ai la sensation qu’on traite davantage l’aspect psychologique. L’avocat résonne en terme de droit, de principes juridiques. Je pense que les deux sont complémentaires. Après, il y a certainement une vision que n’a pas le grand public mais l’avocat est aussi là pour trouver un accord.

Si nous pouvons rapprocher les deux parties, nous le faisons en discutant entre confrères ou par voie de courrier confidentiel par exemple. C’est dans l’intérêt du client que ce ne soit pas la guerre, qui mène à l’épuisement. Nous n’avons pas la même approche, pas les mêmes compétences que les médiateurs familiaux. Et c’est bien que chacun ait son domaine et soit conscient de ses limites.

Le juge pourrait-il enjoindre les deux parties à suivre les séances de médiation ?

Il peut les enjoindre à se rendre à une séance d’information. Je pense que de les enjoindre à suivre toute la médiation est contraire au principe même de médiation familiale. Elle s’effectue sur le volontariat, l’envie. Si c’est le contraire, il n’y aura pas d’écoute, c’est voué à l’échec. Ce serait vraiment aller à l’encontre du postulat de départ.

Tab title: 
Médiation familiale : une alternative lors des séparations ?
Se quitter sans se déchirer : la reprise du dialogue
Une histoire de vécu
3 questions à Anaïs Jolly, avocate - Droit de la famille

Célian Ramis

Procédé Cendrillon : occupe-toi de tes oignons (de pied) !

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Le procédé Cendrillon, une tendance qui inquiète les spécialistes, notamment la pédicure et podologue rennaise Annie Duault.
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Porter des talons vertigineux est devenu un basique chez certaines femmes ! Avec 10 centimètres de hauteur, elles se sentent féminines et davantage sûre d’elles. Aux Etats-Unis, des médecins l’ont bien compris et proposent régulièrement une opération appelée « le procédé Cendrillon » pour raboter leurs orteils et faciliter le port de ces chaussures. Une tendance qui inquiète les spécialistes, notamment la pédicure et podologue rennaise Annie Duault.

Faut-il réellement souffrir pour être belle ?  Telle est la question que l’on peut se poser après la publication le 22 avril dernier, d’un article du New York Times qui révélait une tendance de plus en plus courante chez les chirurgiens américains : proposer aux accros des stilettos (chaussures à talons aiguilles d’au moins 10 centimètres) une opération des pieds qui consiste à corriger « un hallus valgus – c’est-à-dire un oignon, responsable de douleurs aux pieds, provoqué par l’usage de ses escarpins – avec une ostéotomie et des vis de fixation ».

Une bunionectomie en fait, rebaptisée en « Procédé Cendrillon » par les professionnels qui la réalisent, afin de mieux correspondre au profil des intéressées. Le but ? Entrer facilement dans des chaussures à talons hauts et aux bouts pointus.

Parmi les chirurgiens, le Docteur Ali Sadrieh. Il exerce à Los Angeles et avoue – dans le quotidien – avoir eu l’idée, de proposer cette opération à ses patientes dès 2001 afin qu’elles puissent continuer à marcher haut perchées. Depuis, le succès auprès des fashionistas a explosé et le médecin poursuit son activité en inventant « le 10 parfait (un raccourcissement des orteils), le modèle T (un allongement de l’orteil) et le tuck (une injection de graisse aux talons) » d’après le New York Times. Bien sûr, ces opérations ne sont pas anodines et entraînent des conséquences sur l’ensemble du corps.

Encore peu connu en France, le procédé Cendrillon inquiète déjà les spécialistes. Selon Annie Duault, « les chirurgiens n’encouragent pas ce type d’opérations car elles sont risquées, douloureuses et pendant un temps, invalidantes ». Le pratiquer dans un but esthétique est aberrant pour elle, d’autant que continuer à porter des chaussures qui ne respectent pas la morphologie du pied entraîne de l’arthrose dans le pied et une gêne à la marche, selon la podologue. Elle-même a déjà eu affaire à des patientes portant des chaussures à très haut talons.

« L’une d’entre elles avait des cors sur tous les orteils », raconte-t-elle. Mais alors, quelle est la solution pour les femmes qui souhaitent porter des stilettos sans souffrir ? Selon Annie Duault, il vaut mieux « ne pas porter ce type de chaussures à longueur de journée, alterner les modèles, faire des soins de pédicure tous les mois et pratiquer des exercices de massages (en se faisant rouler des balles de tennis sous les pieds, par exemple). » Des pistes que devraient suivre nos amies d’outre‑Atlantique, plutôt que de passer sous le bistouri.

Et pour celles qui abusent des stilettos, il faut savoir que le fait d’être toujours en talons hauts provoque une rétraction du talon d’Achille, ce qui nous force à marcher sur la pointe de l’avant pied, même pied nu. Un brin ridicule, non ?

Célian Ramis

Karine Birot, la Wonder Féministe qui lutte avec humour (et Dalida) contre l’hétéropatriarcat

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Guy Ropartz, Rennes
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Karine Birot incarnait, le 25 avril dernier, Wonder Féministe ou la super-hérote qu’il manquait pour sauver le monde. Une conférence gesticulée humoristique au message cinglant et alarmant.
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Dans le cadre du festival des arts de rue Dehors, organisé par Les grands moyens à la salle Guy Ropartz à Rennes, Karine Birot incarnait, le 25 avril dernier, Wonder Féministe ou la super-hérote qu’il manquait pour sauver le monde. Une conférence gesticulée humoristique au message cinglant et alarmant.

Les féministes sont-elles systématiquement des chieuses sans humour ? Des femmes dont l’unique plaisir est d’emmerder tout le monde ? Il serait plus simple de l’affirmer mais on se priverait alors de grands débats et du spectacle offert par Karine Birot. Dans la vie civile, elle est conseillère au Planning Familial de Nantes. Et au cours de certaines soirées, à Rennes notamment, elle enfile son costume de Wonder Féministe, « la super-hérote qu’il manquait pour sauver le monde ». Parée d’un bandeau étoilé dans les cheveux, d’une cape étoilée, d’un tee-shirt rouge WF, d’une jupe têtes de mort et des bottines rétro, Karine Birot choisit d’incarner l’anti-héroïne des temps modernes.

Contrairement à Wonder Woman qui a toujours laissé planer le doute, Wonder Féministe est militante et engagée. Engagée contre les normes définies et imposées par l’hétéropatriarcat. Elle est alors bien décidée à lutter contre cela et à déconstruire les idées reçues autour des féministes : « J’en ai marre qu’elles soient associées à des chieuses sans humour ! Pourquoi doit-on se justifier à chaque fois ? Le féminisme dérange car il pose des questions sur tout, en réponse à l’hétéropatriarcat ».

Et c’est avec quelques vers de poésie moderne qu’elle entame sa conférence gesticulée, pour laquelle elle s’est formée avec la Scop Le Pavé – une coopérative d’éducation populaire – lors du dernier semestre 2013. Assise sur sa chaise, elle lit avec sagesse et philosophie : « Vous êtes charmante, est-ce que je peux vous lécher quelque chose ? », « J’aime bien les filles un peu grosses » ou encore « Oh la blondasse tu me suces la fougasses ?! » Des perles contemporaines de la tradition orale à lire sur le blog Paye ta schnek qui recense les meilleures phrases balancées par des hommes à des femmes dans la rue. La Wonder Féministe est, elle, venue « parler des femmes, des féministes, de ces individus socialement désignés comme des femmes ».

Simone de Beauvoir, dont l’esprit règne lors de la conférence gesticulée, dans Le deuxième sexe disait « On ne nait pas femme, on le devient ». Qu’en est-il pour le féminisme ? Comment et pourquoi devient-on féministe ? Simplement être femme signifie-t-il être féministe ?

Des questions que naturellement se posent toutes les femmes sensibles, ou non, à la cause des droits des femmes et de l’égalité des sexes. Mais faut-il avoir vécu les discriminations ou les violences pour se sentir concernée ? « Dès l’enfance, j’ai bien senti que quelque chose n’allait pas. On me disait souvent « Une petite fille ne fait ci, une petite fille ne fait pas ça ». Mais c’est là que j’ai développé mon premier super pouvoir : celui de ne jamais me sentir inférieure à un homme », explique Karine Birot, de sa position de femme blanche, hétéro, qui roule en Twingo (« oui j’ai du chemin à faire encore moi aussi ») et a également des préjugés sexistes, racistes et homophobes.

« Bref, je suis née dans le même monde que vous », lance-t-elle sur un ton grinçant. Dans ce spectacle, Karine Birot retrace son point de vue d’enfant et d’adolescente qui se posait comme tout un chacun des milliards de question et notamment en terme d’égalité femmes-hommes, voyant sa mère « affrontait la jungle du supermarché » et son père, « homme de gauche qui allait libérer tous les hommes de la terre mais qui n’impliquait pas sa femme dans ce sauvetage puisqu’il faut que quelqu’un s’occupe des enfants et de la bouffe » et comprenant qu’une princesse ne pouvait pas « avoir de mobylette, ne pouvait pas draguer, devait attendre de se faire draguer… »

Elle veut plus d’aventures, de bières et de rock’n roll, décide de devenir championne régionale de cul sec et ambitionne même de devenir un mec avant de s’apercevoir que ces derniers sont également limités dans leur comportement : « on peut pas chialer, on doit ouvrir les canettes de bière avec les dents et on ne peut pas porter de robe ! ». Elle se heurte alors à la sensation d’enfermement. Seulement deux cases pour définir notre nature : le genre masculin et le genre féminin.

« Les femmes ont alors un don pour les tâches ménagères, la dextérité avec le balai, le maniement de l’éponge, elles sont sexuellement désirables et n’ont pas le sens de l’orientation. Les hommes, eux, ils dirigent le monde. Le pompom de la pomponnette c’est qu’on définit ça par la nature. Les correspondances sont étranges : quéquette/foufoune, bleu/rose, on/off… »
constate la super-hérote.

Alors que les scientifiques auraient déjà allongé la liste de catégorisation du sexe humain à 48 possibilités, l’hétéropatriarcat milite lui pour conserver précieusement les deux définitions rigides de l’être humain.

« Les cases deviennent des normes et qui dit normes, dit exclusion », précise la Wonder Féministe, bien décidée à convoquer les esprits des Simone – de Beauvoir et Weil – mais aussi celui de Rebecca West, Rosie la riveteuse et ses copines issues des minorités ou encore Virginie Despentes afin de déconstruire ensemble ces idées reçues et reconstruire ensemble une société ouverte et accueillante, autrement dit égalitaire, et qui refuse ce système social qui génère des oppressions : « L’hétéropatriarcat est un vicelard, je le soupçonne d’avoir écrit le mode d’emploi des femmes… »

Métier : féministe professionnelle

« Je suis devenue animatrice socio-culturelle mais je me suis vite ennuyée. J’avais besoin d’espace pour développer mes supers pouvoirs parce que j’avais quand même un monde à sauver ! », scande-t-elle en se mordant les lèvres pour ne pas rigoler. Féministe professionnelle, elle le deviendra, c’est décidé.

Elle écume les associations féministes et découvre l’espace Simone de Beauvoir, qui abrite le Planning Familial, association féministe d’éducation populaire. C’est dans cette structure que les femmes – jeunes et moins jeunes – peuvent venir s’informer, se sensibiliser ou parler de sexualité et de tout ce qui tourne autour de ce thème central dans la vie des individus.

Elle est alors embauchée dans ce lieu guidé par le fameux slogan militant « Un enfant si je veux quand je veux » en tant que conseillère conjugale et familiale : « Pas très sexy dit comme ça. J’ai proposé ingénieuse du sexe mais ça n’a pas été accepté… » Au quotidien, elle reçoit, écoute et informe filles et femmes sans pouvoir jamais porter de jugement. « Ce n’est pas si facile que ça ! Une fois, une jeune femme de 16 ans vient me voir. Elle est enceinte et veut le garder. Moi je me dis « Très mauvaise idée » mais mon rôle est de l’informer, je lui donne donc toutes les cartes pour qu’elle fasse son choix, elle décide de poursuivre sa grossesse. La Wonder Féministe qui est en moi voudrait l’enfermer dans une pièce remplie d’enfants qui pleurent mais je suis conseillère… », se souvient Karine Birot, qui alimente la conférence gesticulée de quelques anecdotes croustillantes vécues au cours de sa jeune carrière.

Armée jusqu’à l’utérus

Et c’est à ce moment-là qu’elle brandit ses armes du quotidien : celles qui sont soigneusement rangées dans sa trousse à outils. « Nous avons au Planning Familial des planches anatomiques car le corps est un chantier et que le sexe c’est dégueulasse mais bon nous on le regarde », ricane-t-elle en accrochant les esquisses à la corde à linge qui traverse la scène.

Puis vient le moment où Wonder Féministe se transforme en véritable agent de prévention sexuelle à la Mary Poppins qui sort de son sac toute une série d’objets – beaucoup plus osés et insolites que ceux de la chère magic nanny. Tour à tour, elle épingle un préservatif masculin, puis féminin, un sex toy, une digue dentaire (pour rapports anaux et buccaux), un speculum, un anneau contraceptif ou encore une plaquette de pilule, un test de grossesse et un utérus ! Une fois tout son matériel installé, elle mime un entretien personnalisé avant de se lancer dans une tirade digne de « Moi, président » :

« Simone, elle vient parce qu’elle aime les femmes mais elle ne sait pas à qui en parler.
Simone, elle vient parce qu’elle a peur du jugement si elle avorte.
Simone, elle vient parce qu’elle a des douleurs pendant les rapports et qu’elle ne prend pas de plaisir.
Simone, elle vient parce qu’elle entend dire
« Attention Simone, ne te fais pas violer ».
Simone, elle vient parce que son père est violent et qu’elle ne comprend pas pourquoi.
Simone, elle vient parce qu’elle veut être maitresse de sa vie et avoir un enfant si elle veut.
Simone, c’est un peu moi. Simone, c’est un peu nous toutes 
».

Karine Birot, en dehors de son costume de Wonder Féministe, n’incarne pas de personnage. Elle délivre ici une conférence gesticulée – co-écrite avec Anna Reymondeaux, historienne sociologue et lesbienne féministe engagée – empreinte d’humour pour finalement exprimer le désarroi des femmes et la colère des féministes face aux discriminations et aux violences subies. Des discriminations et des violences longtemps acceptées sans dire mots.

« À l’heure où un viol est commis toutes les 7 minutes en France, le combat n’est pas gagné. Et les droits des femmes sont même remis en cause », explique-t-elle avec sérieux cette fois. Pourquoi est-on plus compréhensif envers les actes sexistes ? Pourquoi considère-t-on qu’il s’agit là d’un sujet secondaire ? Et pourquoi hiérarchise-t-on les injustices au lieu d’employer l’intersectionnalité ?

« Le féminisme dérange car ce n’est pas une question d’égalité mais d’oppression. Aujourd’hui, il est question de tout réinventer, de tout reconstruire. De vivre et d’agir sur la vie. On ne nait pas femme, on le devient comme on apprend à s’aimer et à se respecter, conclut-elle. Et n’oubliez pas, on peut être féministe et aussi aimer Dalida ». Et le boa rose est de mise pour se dandiner sur « Laissez-moi danser » !

 

Célian Ramis

Européennes : Isabelle Thomas, tête de liste socialiste "féministe, égalitaire et progressiste"

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Rennes
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À l’approche des élections européennes, les Jeunes Socialistes lançaient ce jeudi 24 avril leur campagne, à Rennes. Pour l’occasion, trois minibus « Il est temps. Change d’Europe » étaient stationnés sur la place de la Mairie.
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À l’approche des élections européennes, les Jeunes Socialistes lançaient ce jeudi 24 avril leur campagne, à Rennes. Pour l’occasion, trois minibus « Il est temps. Change d’Europe » étaient stationnés sur la place de la Mairie.

Jeudi 24 avril, 9h. Les citoyens français sont appelés à voter pour les élections européennes dans un mois. Le 25 mai, précisément. Ce matin, Jeunes Socialistes, élus rennais et tête de liste PS du Grand Ouest étaient réunis pour lancer leur coup de com’ autour de leur campagne. « En 2009, il y avait 70% d’abstention du côté des jeunes et 60% de manière globale », explique Laura Slimani, présidente nationale du MJS (Mouvement des Jeunes Socialistes). Voilà pourquoi, selon elle, il est important de sillonner les routes de France, à bord de trois minibus fushias tagués « Il est temps. Change d’Europe ».

Pour mobiliser la jeunesse avant tout. « Nous avons fait des camions et des tracts joyeux car la jeunesse est désillusionnée face à l’Europe », conclut-elle.

Nathalie Appéré, député-maire de Rennes, est venue apporter son soutien à la candidate socialiste aux européennes, Isabelle Thomas. Elle rappelle la « volonté d’un changement pour une Europe sociale et solidaire » et insiste sur le besoin « d’une identité européenne ». Pour la tête de liste Grand Ouest, qui siège au Parlement européen depuis 2012 – à la suite de la nomination de Stéphane Le Foll à la tête du ministère de l’Agriculture – ce sera une campagne et une élection historiques : « On vote pour les députés, on vote pour un projet mais surtout ce sera la première fois qu’on vote pour le président de la Commission européenne. »

Une fonction qui selon elle permet de se réapproprier la démocratie, « en étant responsable devant le Parlement ». Sans surprise, la priorité sera l’emploi avec la « garantie pour la jeunesse », une initiative votée par les pays de l’Union Européenne en avril 2013, visant à lutter contre le chômage des jeunes « en proposant  à toutes les personnes de moins de 25 ans, qu’elles soient inscrites ou non au chômage, une offre de qualité dans les 4 mois suivant la fin de leur scolarité ou la perte de leur emploi », explique le site de la Commission européenne.

Droits des femmes : la régression européenne

En aparté, la conseillère régionale de Bretagne aborde le droit des femmes, dans un contexte européen tendu à la suite du rejet du rapport Estrela – en décembre dernier, pour un droit européen à l’avortement – et du rejet du rapport Zuber – en mars dernier, sur l’égalité salariale, entre autre. « Ce sont deux rapports, d’initiative en plus, très progressistes qui ont été rejetés par la droite (pour le rapport Zuber, certains euro-députés écologistes se sont abstenus, à l’exception de Nicole Kiil-Nielsen, ndlr) et il ne faut pas oublier par la droite bretonne également ! », précise Isabelle Thomas.

Sans oublier de mentionner qu’à la suite du rejet du rapport Estrela, le gouvernement de Mariano Rajoy annonçait et adoptait le projet de loi visant à restreindre l’accès à l’IVG. Rien de nouveau donc sous le drapeau européen qui fait grise mine devant « la régression en matière de droits des femmes et le recul sur l’égalité ». La député européenne socialiste ainsi que la député européenne écologiste s’accordent toutes les deux à sonner la tirette d’alarme concernant l’urgence à rétablir une politique progressiste dans le domaine de l’égalité des sexes.

« Mon chantier, c’est la clause de l’européenne la plus favorisée », lance-t-elle. Une clause, adoptée par l’Assemblée Nationale en février 2010, visant l’harmonisation des législations européennes applicables aux droits des femmes. En outre, à choisir la législation européenne la plus avantageuse pour chaque domaine : violences faites aux femmes, avortement, égalité salariale…

Celle qui se dit « féministe, égalitaire et progressiste » devrait revenir à Rennes le 20 mai, 5 jours avant les élections européennes, pour le meeting du PS qui se tiendra Halle Martenot.

Célian Ramis

Forum Libé : 2030, révolution sexuelle ou régression dans nos pratiques ?

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Champs Libres, Rennes
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Débat intitulé « Faire l’amour en 2030 : une nouvelle révolution sexuelle ? » à l’occasion de la sixième édition du Forum Libération au Théâtre National de Bretagne à Rennes.
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Qu’en sera-t-il de nos pratiques sexuelles en 2030 ? Quelles places auront les nouvelles technologies dans le plaisir ? Samedi 12 avril, l’écrivain et maîtresse de cérémonie sadomasochiste Catherine Robbe-Grillet, auteure en 1956 du sulfureux L’image – sous le pseudonyme Jean de Berg – et l’artiste multimédia déjanté Yann Minh ont tenté de nous donner quelques réponses dans le cadre d’un débat intitulé « Faire l’amour en 2030 : une nouvelle révolution sexuelle ? » à l’occasion de la sixième édition du Forum Libération au Théâtre National de Bretagne à Rennes.

L’association de ces deux personnalités semble curieuse et cela explique certainement pourquoi la salle Jouvet est comble en cette fin de journée. Si l’une est la pionnière des pratiques sexuelles les plus débridées depuis les années 1950, l’autre les expérimente à travers les réseaux sociaux et le cyber-espace.

« L’amour du point de vue cybernétique (1) est un traitement de l’information, dans les années qui viennent notre société va augmenter les capacités du traitement de cette information et inventer des technologies qui amplifient la stimulation sexuelle », selon Yann Minh, adepte des rencontres virtuelles et des « donjons sadomasochistes » sur le réseau Second Life notamment. Mais concrètement qu’est-ce que cela donnerait ?

Des robots les plus perfectionnés à la jouissance par la pensée, l’avenir de notre sexualité selon l’artiste semble intimement lié aux nouvelles technologies. « De nouvelles choses vont permettre de voir ce qu’il se passe dans le cerveau du partenaire grâce aux feed-back (2), nous pourrons ainsi rajouter des éléments à notre répertoire sensuel, sexuel et cognitif », poursuit-il devant une salle qui semble perplexe face à de telles pratiques.

À l’aide d’une manette de console Nintendo Wii Yann Minh nous fait voyager dans un univers ludique sur l’écran de cinéma du TNB et nous invite à parcourir avec lui l’évolution de la sexualité, des écrits sadomasochistes aux premiers godemichets, le public s’esclaffe pendant son intervention et se laisse transporter au milieu de ses fantasmes futuristes. Ces propos semblent pourtant quelques peu fantasques pour l’audience qui s’interroge sur ce qui, selon Catherine Robbe-Grillet, restera de nos ébats charnels en 2030.

« Il faut retomber dans un corps à corps »

« Il me semble que le sexe de base : sodomie, coït, cunnilingus, fellation, cela ne change jamais, c’est la même chose depuis la nuit des temps, ce sont les conditions qui vont changer », nous explique celle qui aurait tout juste cent ans en 2030.

Elle parle de sexe de manière libre, ne semble pas perturbée à l’idée de relations avec des robots ou autres fantaisies numériques mais s’inquiète d’une certaine perte des relations physiques plus humaines, de l’émotion que procure un réel « corps à corps », que les réseaux sociaux, les machines ou les téléphones ne peuvent nous procurer. Quand la question de la prostitution est évoquée, elle raconte le désespoir de certains clients, le besoin de chaleur de ces hommes qu’aucune technologie selon elle ne pourra synthétiser.

Que l’on soit d’accord ou non sur la question des prostituées, une réelle question se pose : dans une quinzaine d’année, les hommes et les femmes abandonneront-ils les plaisirs tactiles basiques ? « Si les gens sont heureux comme ça c’est bien mais je n’y crois pas vraiment. Dans le cyber-espace les gens se sentent protégés, des MST par exemple, mais cela reste assez pépère » pour Catherine Robbe-Grillet. Pour elle, les mentalités ont énormément évolué et en particulier depuis ce qu’elle appelle la « révolution sexuelle » des années 1975.

Les femmes quant à elles, toujours selon l’écrivain, connaissent mieux leur corps, ne sont plus pliées à un devoir conjugal et vivent leur sexualité avec moins de tabou. Quelque peu utopiste peut-être ? « J’espère que les femmes seront libres de faire ou ne pas faire et entre autre qu’on leur foute la paix », répond-elle quand on évoque la femme de 2030. On l’espère également, atteindra-t-on une liberté sexuelle complète d’ici quinze ans ? Patience, on y est presque… paraît-il.

 

1  Science de l’action orientée vers un but, fondée sur l’étude des processus de commande et de communication chez les êtres vivants, dans les machines et les systèmes sociologiques et économiques (Larousse).

2 Synonyme de rétroaction, rétrocontrôle.

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