Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Marche ou C-rêve (2/5)

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Lorient
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Vendredi 16 mai, Laëtitia Mazoyer présentait sa conférence gesticulée « Marche ou C-rêve ! : L’échappée belle ou la longue traversée des violences conjugales ».
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Vendredi 16 mai, Laëtitia Mazoyer présentait sa conférence gesticulée « Marche ou C-rêve ! : L’échappée belle ou la longue traversée des violences conjugales », à l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité, organisée à Lorient. Un parcours de combattante et de militante.

Deux groupes sont constitués au fond de la salle. Laëtitia Mazoyer, au milieu, observe, écoute, attend. Les femmes, et les rares hommes présents, accordent leurs arguments avant de les confronter entre eux. La conférence commence ainsi. Par un débat mouvant. D’un côté, celles qui sont pour l’affirmation « C’est le premier pas qui coûte ».

De l’autre, celles qui sont pour l’affirmation « Ce n’est pas le premier pas qui coûte ». Ce premier pas coûte et compte pour certaines et pour d’autres, il est l’élément déclencheur mais pas nécessairement le plus important. Après un échange convivial qui se conclut par une dernière affirmation d’une participante - « Cela dépend des situations et des personnalités… » - Laëtitia Mazoyer invite les spectatrices à s’asseoir pour parler de son premier pas.

Celui qu’elle a fait pour quitter le foyer familial mais surtout celui qu’elle a fait pour sa marche de Nancy à Strasbourg. « Quitter le foyer où je vivais des violences, enceinte de 8 mois… J’avais besoin de partir, besoin de protéger mon enfant », lance-t-elle devant une audience ébahie et pendue à ses lèvres. C’est en octobre 2010 que la jeune femme a franchi le pas. Déjà séparée de son compagnon, elle est encore noyée dans les démarches administratives.

Cette année-là, elle s’engage pour la grande cause : la lutte contre les violences faites aux femmes (année nationale). Sur scène, elle prend alors sur son dos, le sac de voyage qu’elle avait d’abord placée devant son ventre pour illustrer la grossesse. Elle sort des cartes et surtout un drap sur lequel elle a dessiné son trajet qu’elle étend sur un fil à linge. « Avoir un trajet, une première étape, ça me donnait déjà une perspective. J’avais défini des étapes, pris des gites. Un sac à dos, un duvet, des draps. Quand une femme part, il faut penser à prendre les papiers, la trousse de secours… Souvent le départ ne s’improvise pas, sauf pour les cas de danger imminent. Allez, on décolle ! »

Marche ou C-rêve n’est pas une invitation au voyage mais une manière pédagogique et vivante de retransmettre le parcours vécu par cette femme. Et qui pour la 7e fois joue sa conférence gesticulée. « J’ai choisi de parler de l’après car il est difficile de témoigner quand on est encore dedans. Mais c’est vital de témoigner, pour informer, pour donner une vision large aux potentielles femmes qui peuvent le vivre », nous confie Laëtitia.

Un discours commun à celui de Rachel Jouvet, victime de violences conjugales à 18 ans, qui a choisi de raconter son histoire dans la pièce « Je te veux impeccable, le cri d’une femme », mise en scène et jouée par la compagnie rennaise Quidam théâtre (lire notre Focus n°19 – novembre 2013). Pour Laëtitia, la marche est une manière d’apprendre à vivre avec la solitude qui l’habite depuis qu’elle est partie du domicile conjugal. Elle établit un lien entre la peur ressentie lors du départ et celle des premiers jours de randonnée.

« La peur vous colle à la peau. J’ai passé du temps à la dompter », explique-t-elle. Chaque étape fait écho à ce qu’elle a subi au cours de l’après. Les émotions, le changement d’humeur, les difficultés, le découragement, l’épuisement, l’envie d’aller plus loin, d’avancer, de se reconstruire… Elle a déjà connu tout ça. Mais lors de sa marche, elle se libère, éprouve le plaisir de marcher, fait des rencontres. Et au fil de la conférence gesticulée, elle crée des parallèles entre son cheminement personnel et le chemin parcouru dans l’histoire des luttes féminines. « J’ai commencé à sortir de mon idée que l’égalité femmes-hommes, c’était acquis », dit-elle en posant sur son nez des lunettes avec un seul carreau teinté. Et pour sortir davantage du brouillard, elle sort deux autres linges qu’elle attache au fil, derrière elle.

« J’ai découvert deux triangles qui ont complètement bouleversé ma façon de penser. L’un qui explique la situation : il y a le persécuteur, la victime et le sauveur dans une relation triangulaire. L’autre montre comment s’en sortir : la protection, la permission et la thérapie », décrit-elle.

Néanmoins, la jeune femme ne se contente pas de ces schémas et fouille dans les écrits jusqu’à tomber sur une enquête concernant les violences faites aux femmes et un numéro de téléphone : « On m’a répondu : « Vous avez le bon numéro », c’était formidable ». C’est avec un humour fin et léger que Laëtitia fait passer son message et conte son expérience. Un parcours de combattante mis en parallèle avec une marche de militante.

Un problème social

« Au bout d’un moment, en cours de route, j’ai commencé à marcher avec joie et j’ai tué le prince charmant ». Silence dans la salle, les spectatrices étant piquées par la curiosité. Dans une démonstration théâtrale, Laëtitia illustre la relation de couple.

Elle tient son sac à dos, bras tendus, en position de supériorité face à elle. Elle se baisse, se baisse et se baisse encore, jusqu’à plaquer d’un coup sec le sac à dos à terre et se relève fièrement en scandant « J’ai tué le prince charmant, pas l’amour ». Et la conférence reprend son rythme de marche, tantôt saccadé, tantôt rapide, et tantôt ralenti. Une cadence irrégulière que chacun et chacune peuvent comprendre et imaginer en se remémorant des instants de vie.

« Je me suis rendue compte que j’étais un problème social. J’étais vachement rassurée », précise-t-elle. Rires étouffés dans la salle. Un problème social. Comme toutes ses femmes qui à un moment ont choisi de résister, de bousculer l’ordre établi et de refuser l’autorité :

« C’est un angle nouveau dans le témoignage contre les violences faites aux femmes. J’ai découvert ça en lisant le livre de Patricia Romito, Un silence de mortes – La violence masculine occultée, et je trouve ça très important que les femmes ne soient pas soumises. Si elles mettaient la même énergie ailleurs que dans le combat contre les violences, elles pourraient déplacer des montagnes ! »

Laëtitia Mazoyer termine par le discours qu’elle a prononcé lors du colloque sur les violences faites aux femmes, une fois arrivée à Strasbourg : « Je voulais vous parler de l’après… Une fois qu’on est parti… Dont on ne parle pas beaucoup ». La conférence gesticulée s’achève sur le cri de guerre qu’elle a inventé lors de sa marche. Un moment intense et émouvant qui restera gravé dans les mémoires des spectatrices et spectateurs qui prennent ici la mesure des drames subis par plus d’une femme sur dix en France, sans compter celles qui ne dénoncent pas ou ne réalisent pas les violences dont elles sont victimes.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Le cerveau a-t-il un sexe ? (1/5)

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La neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, présentait vendredi 16 mai sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? »
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À l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, organisée par la région Bretagne au Palais des congrès de Lorient, la neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, présentait vendredi 16 mai sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? »

Elle mène une double vie, Catherine Vidal, comme elle aime le dire au début de sa conférence. Dans sa première vie, elle est dans son labo et travaille sur la vie et la mort des neurones dans les maladies neuro-dégénératives. Et dans la seconde, elle s’intéresse aux stéréotypes et aux idées reçues qui concernent les femmes et les hommes.

Pas n’importe lesquels : ceux qui émanent de l’idéologie du déterminisme biologique. À savoir que les femmes et les hommes auraient un cerveau différent, d’où les inégalités entre les sexes. Pendant près d’une heure, la neurobiologiste va balayer les grandes idées reçues profondément gravées dans l’imagerie populaire. Le médecin, anatomiste et anthropologue Paul Broca défend, au XIXe siècle, l’idée d’une infériorité féminine due à la taille et au poids de leur cerveau, pesant environ 1,200 kg contre 1,350 kg en moyenne pour les hommes.

« Mais déjà à cette époque, on savait qu’il n’y avait pas de relation entre la taille et le poids du cerveau et l’intelligence. Par exemple, le cerveau d’Anatole France pesait 1 kg et celui d’Einstein 1,250 kg. On ne serait jamais allé dire qu’Einstein aurait pu être une femme… », démontre Catherine Vidal. Pour déconstruire les stéréotypes les plus ancrées dans l’opinion, elle se base alors sur plusieurs études et sondages menés d’abord dans les années 80 – le cerveau est découpé et placé dans le formol – puis dans les années 90 jusqu’à aujourd’hui – les études sont réalisées par IRM : « Ces dernières montrent que statistiquement, il n’y a pas de différences entre le cerveau d’une femme et le cerveau d’un homme. Avant, avec le formol, on tirait des conclusions à partir de probabilités. On disait alors que les femmes étaient plus douées en matière de communication car leur hémisphère gauche était plus développé et que les hommes étaient plus doués pour se repérer dans l’espace car leur hémisphère droit était plus développé. »

Plasticité cérébrale et théorie du genre

Mais le cerveau, et c’est là que réside toute la difficulté, est bien plus complexe. Catherine Vidal, elle, choisit de présenter et d’expliquer, simplement, le fonctionnement de la plasticité cérébrale, qui rejoint la théorie du genre « qui n’est pas une théorie mais un concept ».

C’est lors de la vie intra-utérine que se forment les organes et que se construit le cerveau : « Le bébé nait avec 100 milliards de neurones qui ne vont pas cesser de se multiplier. Mais il faut savoir qu’à la naissance, seulement 10% des neurones sont connectés entre eux ». 90% de nos milliards de synapses se fabriquent lors de la petite enfance et tout au long de notre existence. Si notre vision est très sommaire jusqu’à nos 5 ans – le temps que le nerf optique se développe intégralement jusqu’à la connexion au système nerveux – il en résulte que l’exposition de l’œil à la lumière est une condition obligatoire pour la connexion des neurones aux voies visuelles. Il en est alors de même pour toutes les connexions.

Pour la scientifique, pas de doute : « L’interaction avec l’environnement est indispensable à la construction du cerveau, sinon il ne peut pas se câbler. L’environnement et l’apprentissage jouent donc un rôle très important ». En effet, des études réalisées sur des pianistes, mathématiciens ou encore des jongleurs montrent que l’entrainement régulier, dès le plus jeune âge, amène l’épaississement de certaines zones nécessaires à la pratique choisie, et inversement, l’arrêt des exercices entraine un rétrécissement de ces zones.

D’autres cas école sont montrés ce vendredi à l’assemblée réunie dans l’Auditorium pour appuyer l’argument de la neurobiologiste : le cerveau est malléable – il est en effet plissé dans la boite crânienne – et peut s’adapter à certaines anomalies physiques sans les répercuter sur le mental – certaines personnes subissent des ablations d’un hémisphère du cerveau et récupèrent leurs capacités après rééducation de l’hémisphère restant. Seule compte la stimulation, l’interaction, avec son environnement social et culturel.

Interférence entre idéologie et pratique scientifique

« Hormis l’hypothalamus (dont une des fonctions est de réaliser la liaison entre le système nerveux et le système endocrinien, ndlr) qui active chaque mois des neurones afin de déclencher l’ovulation chez la femme et qui marque donc une différence associée à la reproduction, il n’y a pas de différence entre les sexes pour les fonctions cognitives », explique la conférencière.

Elle poursuit : « Jusqu’à 2 ans et demi, l’enfant n’est pas capable de s’identifier au masculin ou au féminin. Il n’a pas conscience de son sexe ». Par conséquent, ses goûts et sa personnalité sont forgés par son environnement, son éducation et sa culture – décor de la chambre, jouets, vêtements, etc. – « en fonction des normes de sexe ».

La plasticité cérébrale conforte donc la notion de sexe et de genre, conduisant inéluctablement à la théorie du genre, qui selon Catherine Vidal est une « réalité conceptuelle qui ne nie pas la réalité biologique, bien au contraire, elle l’intègre ». L’homme ne serait donc pas biologiquement programmé à mieux se repérer dans l’espace et la femme ne serait pas naturellement intuitive : « Les instincts sont ancrés dans la biologie mais leur expression est contrôlée par la culture ». Et donc par tous les stéréotypes véhiculés et transmis de génération en génération.

Pour Catherine Vidal, rien ne prouve que les cerveaux masculins et féminins sont diamétralement opposés, ni même légèrement différents mais tout converge vers la conclusion de la plasticité cérébrale : « Il n’y a pas de corrélation entre humeurs et fluctuations d’hormones. Chaque femme vit à sa façon son cycle mensuel, sa grossesse, sa ménopause… » En d’autres termes, chaque cerveau, féminin ou masculin, diffère en fonction de l’histoire de l’individu qui le porte, de son environnement et de ses interactions à l’extérieur au cours de son existence.

« Il y a une interférence entre l’idéologie et la pratique scientifique et l’idée d’un déterminisme biologique persiste toujours. Les biologistes doivent s’engager auprès des sciences sociales pour diffuser la culture de l’égalité entre les femmes et les hommes », conclut Catherine Vidal, fortement applaudie au terme de sa conférence.

Célian Ramis

Médiation familiale : Conciliation lors de la séparation

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Comment est entreprise la médiation familiale ? Quels moyens sont mis en œuvre ? Comment un couple peut vivre les séances ? Les médiateurs pourraient-ils se substituer aux avocats et aux juges des affaires familiales ?
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En mai 2004, l’Assemblée nationale adoptait le texte définitif du projet de loi relatif au divorce. Une loi promulguée le 26 mai 2004 et publiée au Journal Officiel le 27 mai de la même année, qui vise à simplifier et à moderniser les procédures de divorce, datant de 1975. Ainsi, on peut lire dans l’article 255 du Code civil que le « juge peut notamment : 1° Proposer aux époux une mesure de médiation et, après avoir recueilli leur accord, désigner un médiateur familial pour y procéder ; 2° Enjoindre aux époux de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de la médiation (…) » La médiation familiale, encore peu et mal connue - loin d’être réservée aux couples mariés en instance de divorce – ambitionne de rétablir le dialogue entre les deux parties afin de pouvoir s’accorder sur différents points relatif à la séparation comme le partage des biens ou encore la garde des enfants. Comment est entreprise la médiation familiale ? Quels moyens sont mis en œuvre ? Comment un couple peut vivre les séances ? Les médiateurs pourraient-ils se substituer aux avocats et aux juges des affaires familiales ? La rédaction de YEGG s’est penchée sur ces questions.  

Depuis plusieurs décennies maintenant, le nombre de séparation des couples augmente. Aujourd'hui, en France, plus d'un couple sur deux qui passe par la case mariage, passera également par la case divorce. Et ces chiffres ne mentionnent pas les couples non-mariés. La séparation est devenue de ce fait un véritable enjeu de société. Entre déchirements des conjoints et souffrance des enfants, la médiation familiale est une solution proposée pour tenter d'apaiser ce passage douloureux.

La médiation familiale est apparue en France à la fin des années 1980, sur l'exemple du Québec. Elle a pour but d'amener les familles sur un terrain neutre pour les aider à résoudre les conflits qui peuvent surgir à différents moments : séparation des couples, difficulté de communication avec un jeune majeur, désaccord au sein d'une fratrie sur la prise en charge d'un parent vieillissant, rupture du lien entre petits-enfants et grands-parents. Néanmoins, la coordinatrice du service de médiation familiale de l'UDAF 35 (Union Départementale des Associations Familiales), Christine Duchemin, le rappelle: « Dans 95% des cas que nous rencontrons, il s'agit d'une séparation entre conjoints. »

Une épreuve douloureuse qui peut amener les ex-conjoints à s'entre-déchirer devant les tribunaux afin de faire payer à l'autre la souffrance dont il le juge responsable. Le pari qui est fait par la médiation familiale, c'est de permettre aux couples de retrouver un espace de communication pour se mettre d'accord sur les modalités de la séparation, plutôt qu'elles ne  soient imposées par la justice. À Rennes, il existe deux services qui proposent la médiation familiale: l'UDAF 35 et Espace médiation. Outre ces structures, une médiatrice officie de manière privée : Marie-Christine de Cacqueray.

LA PHILOSOPHIE DE LA MÉDIATION

Madame Hignard, juriste au Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) le rappelle:

« La médiation ce n'est pas une thérapie de couple, ce n'est pas fait pour sauver le couple. »

Bien souvent, au delà du conflit conjugal, les conjoints ont un rôle à jouer en tant que parents. Dans le préambule du texte de loi sur la famille présenté début avril à l'Assemblée Nationale, le législateur précise: « Chacun peut se séparer de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin mais jamais de ses enfants ».

Il faut donc réinventer une co-parentalité et une communication apaisée après la séparation. Le médiateur familial joue le rôle de tiers neutre, impartial, afin de favoriser la reprise du dialogue. Selon Christine Duchemin, ce métier transmet un idéal à la société:

« Notre objectif c'est de responsabiliser les gens. Il y a une dimension philosophique importante dans notre démarche. C'est un temps à part, le médiateur prend le temps d'analyser la situation, permet aux personnes de parler, de s'exprimer soi, d'écouter l'autre. Il les aide à être acteurs de ce qui s'est passé pour devenir acteurs de ce qu'il y a à régler. Il aide à retrouver la capacité à discuter, à se comprendre et à chercher ensemble des solutions. » 

C'est un espace où l'on responsabilise les gens pour les aider à garder leur liberté de choix. La nouvelle communication établie au moment des séances doit se prolonger en-dehors des murs des séances. La réussite se fait sur le long terme, les parents qui ont eux-mêmes choisis les modalités de la séparation, les respectent plus et surtout sont plus aptes à communiquer entre eux à propos de leurs enfants. Pour la coordinatrice du service, cela montre aussi l'exemple pour les enfants : « Réussir à s'entendre au-delà de la séparation, c'est un message très fort qui est envoyé aux enfants. Ils les font grandir ensemble tout étant séparés. C'est important pour un enfant d'avoir des adultes, des parents responsables. »

UN HOMME ET UNE FEMME QUI SE SONT AIMÉS

« Une séparation c'est avant tout l'histoire d'un homme et d'une femme qui se sont aimés, qui ont décidé d'avoir une famille, qui ont vécu de belles choses avant que la relation ne se dégrade. »
Christine Duchemin, coordinatrice du service médiation familiale à l'UDAF.

Pour illustrer son propos, Christine Duchemin revient sur une médiation qui l'a marquée. Les personnes étaient en procédure depuis sept ans, ils se déchiraient, d'enquêtes en expertises. Ils sont arrivés en médiation à l'initiative de la femme, qui tentait cet ultime recours avant son déménagement dans le sud. Ce changement de région remettait en cause la résidence alternée des enfants. Pendant les premières séances, ils n'ont pas pu se regarder, ni s'appeler par leur prénom. L'homme voulait garder les enfants car il considérait le déménagement comme un choix personnel de la femme.

Elle, elle affirmait que les enfants préféraient partir avec elle. Selon ses dires, avec la médiation, ils ont pu se donner accès à ce que représentait le projet de déménagement, à leur ressenti. Lui a fini par formuler qu'il se sentait discrédité et non-reconnu dans son rôle de père depuis le début de la séparation. C'était aussi pour cela qu'il se battait depuis toutes ses années pour obtenir la résidence alternée devant les tribunaux. Difficile, donc, pour lui d'y renoncer. Face à cette confidence la femme a alors déclaré, « d'une manière très émouvante » précise la professionnelle, qu'au contraire elle estimait que sa place en tant que père était très importante auprès des enfants, qu'elle comptait énormément sur lui.

Pour elle, venir en médiation c'était aussi réfléchir sur comment il allait rester le papa de ses enfants. « Une fois que les deux ont réussi à formuler ce qui les bloquait, c'est un tapis rouge qui se déroule. Les solutions ont été trouvées en quelques séances. Je pense que si la médiation n'était pas passée par là, ces gens-là se déchireraient encore », commente la coordinatrice de l'UDAF.

PARCOURS D'UNE MÉDIATION

Le parcours d'une médiation commence par un rendez-vous d'information pour en expliquer le principe. Ce rendez-vous préalable permet d'éviter de se tromper de démarche : dans certains cas,  ce n'est pas la solution. Les cas de violences conjugales, par exemple, ne rentrent pas dans ce processus : « Pour démarrer une médiation, il faut qu'il y ait une égalité dans le couple, que chaque ex-conjoint reconnaisse l'autre comme légitime. Si la notion de respect n'est pas présente dès le départ, ce n'est pas possible. Dans ces cas-là nous renvoyons les personnes auprès d'autres professionnels qui sont plus adaptés », confie Christine Duchemin.

« Nous n'avons pas de relations institutionnalisées avec la médiation familiale mais nous renvoyons régulièrement des personnes vers ce service. Cependant  elle n'est pas adaptée dans les cas de violence intra-familiale, il faut qu'il y ait une égalité dans le couple. »
Mme Hignard, juriste au CIDFF.

Lorsque les personnes acceptent la démarche, un autre rendez-vous est fixé, cette fois-ci pour entrer dans le vif du sujet. « Chaque parcours est différent, en fonction de ce qu'il y a à régler. On fixe des séances tous les quinze jours à trois semaines, qui peuvent durer entre 1h30 et 2h. Certains n'ont besoin que de deux ou trois séances, pour d'autres il en faudra plus d'une dizaine. » Les rencontres se déroulent à trois : les deux participants et un médiateur familial diplômé.

Lors de la séance, le professionnel invite chacun à parler des points de désaccord et à exposer leur point de vue pour déterminer d'où viennent les différents. Autorité parentale, montant d'une pension alimentaire, lieu de résidence des enfants, séparation des biens... les sujets sur lesquels travaillent les parents en médiation sont nombreux et très concrets. Le médiateur n'est pas un thérapeute, même si, parfois, les blocages rencontrés ne sont pas d'ordre rationnels mais psychologiques.

Lorsque le parcours aboutit, et que les deux participants parviennent à s'entendre sur les points principaux, ils n'ont plus qu'à écrire leur accord et à le faire valider par un juge. Cette dernière étape permet aux parties d'avoir l'assurance que les accords seront officialisés. À l'UDAF 35, environ la moitié des médiations débouchent sur un accord entre les ex-conjoints. Pour d'autres ce n'est pas le bon moment ou la séparation a été trop douloureuse.

LE MÉTIER ET LES ENJEUX DE MÉDIATION

On ne peut pas s'improviser médiateur familial. Depuis 2004 c'est un diplôme d'État – le DEMF - reconnu qui nécessite un diplôme de niveau trois (c'est-à-dire un bac +2) préalable, auquel s'ajoute une formation d'environ 700 heures. Christine Duchemin précise: « Nous n'avons pas de jeunes bacheliers qui se dirigent vers la médiation familiale. Il faut avoir une expérience de vie plus importante. C'est un métier où certaines situations peuvent entrer en résonance avec notre propre vécu. Il faut savoir prendre de la distance pour ne pas laisser notre ressenti empiéter sur notre professionnalisme. La plupart des médiateurs viennent du champ du travail social. Ils ont déjà eu une expérience avant de se lancer dans la médiation. » Dans le service consacré à la médiation à l'UDAF 35, 6 médiateurs familiaux se relaient, 4 femmes et 2 hommes. Leur temps de travail équivaut à 3 temps plein.

La médiation familiale est confrontée à de nouveaux enjeux. La loi sur la famille, reportée début 2014 par le gouvernement Ayrault à cause des sujets sensibles de la GPA (Gestation pour Autrui) et PMA (Procréation Médicalement Assistée), n'a pas complètement été abandonnée. Début avril un projet de loi édulcoré, et sans les sujets polémiques, a été déposé devant l'Assemblée Nationale. Il comprend un volet sur la médiation familiale.

Jusqu'à présent les démarches de médiation étaient entreprises volontairement, tous les couples reçus ayant choisi ce mode de séparation. Le juge aux affaires familiales pouvait contraindre un couple à se rendre au rendez-vous d'information sur la médiation mais il était ensuite laissé libre de la poursuivre ou non. Dans le nouveau projet de loi, le juge peut désormais enjoindre des conjoints à se rendre aux séances de médiation. L'article 17 prévoit « à l'effet de faciliter la recherche par les parents d'un exercice consensuel de l'autorité parentale, le juge peut : […] leur enjoindre de prendre part à des séances de médiation familiale. »

Si la loi n'a pas encore été votée, elle inquiète la coordinatrice du service de médiation de l’UDAF 35:

« Nous sommes très prudents avec cette nouvelle règle. Notre objectif ce n'est pas de désengorger les tribunaux, mais d'aider les personnes. Nous craignons un peu que cette loi fasse perdre le sens premier de la médiation. »

Les professionnels ont fait remonter leurs craintes au niveau national, mais avec un peu plus de 600 médiateurs familiaux en France face à la gigantesque machine judiciaire, leur voix n'a pas encore été entendue. Ce combat, pour préserver le sens de leur métier et en garder les principes déontologiques, tout en restant complémentaires de la justice, est difficile. Les débats parlementaires qui arrivent sont ainsi très attendus.

Au fur et à mesure que la notoriété de la médiation augmente, de plus en plus de personnes y ont recours. En 2013, ce service de l'UDAF 35 a connu une augmentation de plus de 37% de son activité par rapport à 2012. Les professionnels du droit la connaissent mieux et certains juges aux affaires familiales n'hésitent plus à enjoindre les couples à se rendre au rendez-vous d'information.

Pour autant la relation entre la justice et la médiation familiale n'est pas toujours simple. Selon les médiateurs, certains professionnels de la justice, notamment quelques avocats, la perçoivent comme une concurrence indirecte dans les affaires de divorces. Pourtant la médiation familiale se veut complémentaire et non rivale, puisqu'elle est l'un des outils qui permettent une séparation moins douloureuse.

QUÉBEC, PAYS ANGLO-SAXONS... DES EXEMPLES À SUIVRE ?

D'autres pays sont en avance par rapport à la France sur le développement de ce type de service. Au Québec, mais également dans les pays anglo-saxons, celle-ci est beaucoup plus développée. La coordinatrice semble croire qu'il s'agit d'une différence culturelle : « En France on est beaucoup plus dans la culture du conflit. Pas seulement pour les séparations, même pour un conflit de voisinage on va devant les tribunaux. »

Sous d'autres cieux, le conflit n'est pas judiciarisé et les salles de médiation, familiale, mais aussi dans d'autres domaines, fleurissent au coin des rues. Il n'est pas plus étrange d'aller voir un médiateur qu'un médecin. La France est encore loin de ces situations. Cependant avec l'augmentation de l'activité de ces professionnels et une meilleure connaissance du grand public des services proposés, il se pourrait que cette solution soit de plus en plus prisée dans les années à venir.

Deux ex-conjoints ont accepté de témoigner pour YEGG de manière anonyme sur leur expérience de la médiation familiale. À la fin de l'année 2013, en désaccord sur la somme à verser pour leur fils, ils contactent le service de médiation de l'UDAF 35. Ils ont participé à trois séances qui ont abouti à un accord.

Qu'est-ce qui vous poussé à venir en médiation familiale ?

Lui : Nous sommes séparés depuis trois ans, je ne voyais mon fils que le week-end, c'était court avec le foot et ses activités. Je voulais qu'il fasse une semaine chez moi et une semaine chez sa mère pour que je le vois plus. Avant, je versais 200 euros de pension alimentaire mais avec mon salaire c'était difficile, je finissais souvent à découvert. Je pensais qu'avec la résidence alternée je ne devrais plus rien. Mon ex, elle, considérait qu'avec les dépenses liées à l'école et ses activités, je lui devrais encore de l'argent. Tous les deux, ça se passe très bien mais pour caler les choses on a préféré aller voir quelqu'un.

Elle : Depuis septembre, lorsqu'on a envisagé la résidence alternée, les questions d'argent pour la pension alimentaire devenaient centrales et pendant 4 mois on n’arrivait plus à communiquer. C'était rompu on avait plein de points de discorde et surtout on n’arrivait pas à se mettre d'accord sur le montant de la pension. Je me suis dit que la meilleure solution serait peut-être de voir un tiers pour repenser les choses calmement.

Comment avez-vous connu la médiation ?

Lui : C'est mon ex qui l'a connu. Je ne connaissais pas, c'est elle qui a pris le rendez-vous.

Elle : J'ai connu l'UDAF au moment de mon divorce car quelqu'un m'en avait parlé. J'étais allée là-bas pour faire des séances dans le service Parents ensemble. Quand la communication s'est dégradée avec mon ex-mari, je me suis rappelée qu'à l'UDAF, ils faisaient aussi de la médiation familiale. 

Quelles étaient vos attentes vis-à-vis de cette démarche ?

Lui : Quand on s'est séparés, on a été à un premier rendez-vous mais c'était compliqué, c'était bizarre et pas facile, comme tous les divorces. La première fois je n'ai pas compris, je ne me rappelle même pas ce qu'on a dit (le premier rendez-vous concernait une séance Parents ensemble ndlr). La deuxième fois (3 ans après la séparation ndlr), on a remis les choses en place  et c'est là que j'ai compris. On m'a demandé : Combien Vous dépensez pour votre fils ? Et on a mis les choses au clair.

Elle : C'était avant tout pour rétablir une communication. Retrouver un terrain d'entente avec mon ex-mari à propos de notre fils. Après, je m'étais renseignée et je savais qu'il me devait une pension, je voulais aussi qu'il comprenne ça, mais le plus important c'était de réussir à se parler.

Comment avez-vous vécu ces séances ?

Lui : C'était bien, ça permet de remettre les choses au point.

Elle : Dans notre cas, ça a été assez facile, on s'était déjà reparlé pour qu'il accepte la médiation. J'ai trouvé que les questions étaient très justes, la médiatrice mettait très à l'aise, elle savait s'adapter aux personnes. On a fait trois séances. Pendant la première, elle a remis notre enfant au cœur d'un arbre généalogique. Ça nous a permis de parler chacun de notre vie, de la personne avec qui on vit actuellement, mais aussi des grands-parents et de tout le contexte autour de l'enfant. À la fin de la séance elle nous a demandé de faire un calendrier sur un an pour calculer combien de temps notre fils passait chez chacun, et combien on dépensait par mois pour lui. La deuxième séance a été plus technique, on a repris les chiffres qu'on lui avait apporté et elle a fait un calcul à partir de ça. On est arrivé à un chiffre de pension qui était plus élevé que ce que proposait le juge. Ensuite elle nous a demandé de réfléchir tous les deux si ça nous convenait et lors de la troisième séance on s'est mis d'accord sur la résidence et la pension. La dernière fois c'était moins technique, on était plus dans la discussion.

Qu'en avez-vous retiré ?

Lui : On s'est mis d'accord, on le garde une semaine chacun et je continue de donner 100 euros par mois. On a mis ça sur papier et ce papier-là on va le montrer au juge, on a rendez-vous au tribunal. C'est bien de lui montrer que je donne une pension alimentaire, qu'on est déjà passé en médiation familiale. Grâce à ce papier, ils vont voir qu'on a fait un effort et pour le magistrat ce sera plus simple.

Elle : La résidence alternée est mise en place depuis quelques semaines et on a repris une communication apaisée. Bref que du positif ! Actuellement elle nous rédige un papier à présenter devant le juge avec nos accords. C'est vraiment ce que j'en attendais.

Est-ce que c'est une démarche que vous conseillerez autour de vous ?

Lui : Oui, cela permet de discuter pour les couples qui ne s'entendent pas, pour qu'ils puissent régler leurs problèmes avec quelqu'un qui n'est ni de la famille, ni des amis. J'ai vu comment ils interrogent les gens et comment ils travaillent, donc, oui, je le conseillerai.

Elle : Oui, en fait je l'ai déjà fait plein de fois, même quand je n'y avais pas encore participé. Il y a des gens autour de moi qui on fait une médiation au moment de la séparation. Moi j'avais un peu peur que dans notre cas, cela ne soit pas possible, je ne savais pas qu'on pouvait le faire y compris deux ans et demi après la séparation. Ça m'est déjà arrivé plusieurs fois d'en parler à des gens et de la conseiller. Plus généralement je recommande régulièrement les services de l'UDAF. 

La médiation familiale était-elle présente dans les affaires que vous traitez ?

Nous avons des personnes qui ont entamé le processus de médiation, souvent pour parler des questions liées aux enfants, très peu pour les problèmes d’argent. Dans ce cas-là, si les parties trouvent un accord, notre rôle est de le faire homologuer par un juge.

Et nous avons aussi des cas dans lesquels la médiation familiale a échoué. Généralement, nous le savons très rapidement s’il y a possibilité de rapprocher les deux parties, selon les points de désaccords. Quand c’est très conflictuel, très profond, qu’il y a beaucoup de rancœur et que cela dépasse même la séparation… Nous savons alors qu’il y a peu de chances que la médiation fonctionne.

La médiation familiale est-elle en concurrence avec le rôle des avocats ?

Je n’ai pas le sentiment que ce soit en concurrence directe. Dans la médiation, il y a un tiers, qui est neutre. J’ai la sensation qu’on traite davantage l’aspect psychologique. L’avocat résonne en terme de droit, de principes juridiques. Je pense que les deux sont complémentaires. Après, il y a certainement une vision que n’a pas le grand public mais l’avocat est aussi là pour trouver un accord.

Si nous pouvons rapprocher les deux parties, nous le faisons en discutant entre confrères ou par voie de courrier confidentiel par exemple. C’est dans l’intérêt du client que ce ne soit pas la guerre, qui mène à l’épuisement. Nous n’avons pas la même approche, pas les mêmes compétences que les médiateurs familiaux. Et c’est bien que chacun ait son domaine et soit conscient de ses limites.

Le juge pourrait-il enjoindre les deux parties à suivre les séances de médiation ?

Il peut les enjoindre à se rendre à une séance d’information. Je pense que de les enjoindre à suivre toute la médiation est contraire au principe même de médiation familiale. Elle s’effectue sur le volontariat, l’envie. Si c’est le contraire, il n’y aura pas d’écoute, c’est voué à l’échec. Ce serait vraiment aller à l’encontre du postulat de départ.

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Médiation familiale : une alternative lors des séparations ?
Se quitter sans se déchirer : la reprise du dialogue
Une histoire de vécu
3 questions à Anaïs Jolly, avocate - Droit de la famille

Célian Ramis

Procédé Cendrillon : occupe-toi de tes oignons (de pied) !

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Le procédé Cendrillon, une tendance qui inquiète les spécialistes, notamment la pédicure et podologue rennaise Annie Duault.
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Porter des talons vertigineux est devenu un basique chez certaines femmes ! Avec 10 centimètres de hauteur, elles se sentent féminines et davantage sûre d’elles. Aux Etats-Unis, des médecins l’ont bien compris et proposent régulièrement une opération appelée « le procédé Cendrillon » pour raboter leurs orteils et faciliter le port de ces chaussures. Une tendance qui inquiète les spécialistes, notamment la pédicure et podologue rennaise Annie Duault.

Faut-il réellement souffrir pour être belle ?  Telle est la question que l’on peut se poser après la publication le 22 avril dernier, d’un article du New York Times qui révélait une tendance de plus en plus courante chez les chirurgiens américains : proposer aux accros des stilettos (chaussures à talons aiguilles d’au moins 10 centimètres) une opération des pieds qui consiste à corriger « un hallus valgus – c’est-à-dire un oignon, responsable de douleurs aux pieds, provoqué par l’usage de ses escarpins – avec une ostéotomie et des vis de fixation ».

Une bunionectomie en fait, rebaptisée en « Procédé Cendrillon » par les professionnels qui la réalisent, afin de mieux correspondre au profil des intéressées. Le but ? Entrer facilement dans des chaussures à talons hauts et aux bouts pointus.

Parmi les chirurgiens, le Docteur Ali Sadrieh. Il exerce à Los Angeles et avoue – dans le quotidien – avoir eu l’idée, de proposer cette opération à ses patientes dès 2001 afin qu’elles puissent continuer à marcher haut perchées. Depuis, le succès auprès des fashionistas a explosé et le médecin poursuit son activité en inventant « le 10 parfait (un raccourcissement des orteils), le modèle T (un allongement de l’orteil) et le tuck (une injection de graisse aux talons) » d’après le New York Times. Bien sûr, ces opérations ne sont pas anodines et entraînent des conséquences sur l’ensemble du corps.

Encore peu connu en France, le procédé Cendrillon inquiète déjà les spécialistes. Selon Annie Duault, « les chirurgiens n’encouragent pas ce type d’opérations car elles sont risquées, douloureuses et pendant un temps, invalidantes ». Le pratiquer dans un but esthétique est aberrant pour elle, d’autant que continuer à porter des chaussures qui ne respectent pas la morphologie du pied entraîne de l’arthrose dans le pied et une gêne à la marche, selon la podologue. Elle-même a déjà eu affaire à des patientes portant des chaussures à très haut talons.

« L’une d’entre elles avait des cors sur tous les orteils », raconte-t-elle. Mais alors, quelle est la solution pour les femmes qui souhaitent porter des stilettos sans souffrir ? Selon Annie Duault, il vaut mieux « ne pas porter ce type de chaussures à longueur de journée, alterner les modèles, faire des soins de pédicure tous les mois et pratiquer des exercices de massages (en se faisant rouler des balles de tennis sous les pieds, par exemple). » Des pistes que devraient suivre nos amies d’outre‑Atlantique, plutôt que de passer sous le bistouri.

Et pour celles qui abusent des stilettos, il faut savoir que le fait d’être toujours en talons hauts provoque une rétraction du talon d’Achille, ce qui nous force à marcher sur la pointe de l’avant pied, même pied nu. Un brin ridicule, non ?

Célian Ramis

Karine Birot, la Wonder Féministe qui lutte avec humour (et Dalida) contre l’hétéropatriarcat

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Guy Ropartz, Rennes
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Karine Birot incarnait, le 25 avril dernier, Wonder Féministe ou la super-hérote qu’il manquait pour sauver le monde. Une conférence gesticulée humoristique au message cinglant et alarmant.
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Dans le cadre du festival des arts de rue Dehors, organisé par Les grands moyens à la salle Guy Ropartz à Rennes, Karine Birot incarnait, le 25 avril dernier, Wonder Féministe ou la super-hérote qu’il manquait pour sauver le monde. Une conférence gesticulée humoristique au message cinglant et alarmant.

Les féministes sont-elles systématiquement des chieuses sans humour ? Des femmes dont l’unique plaisir est d’emmerder tout le monde ? Il serait plus simple de l’affirmer mais on se priverait alors de grands débats et du spectacle offert par Karine Birot. Dans la vie civile, elle est conseillère au Planning Familial de Nantes. Et au cours de certaines soirées, à Rennes notamment, elle enfile son costume de Wonder Féministe, « la super-hérote qu’il manquait pour sauver le monde ». Parée d’un bandeau étoilé dans les cheveux, d’une cape étoilée, d’un tee-shirt rouge WF, d’une jupe têtes de mort et des bottines rétro, Karine Birot choisit d’incarner l’anti-héroïne des temps modernes.

Contrairement à Wonder Woman qui a toujours laissé planer le doute, Wonder Féministe est militante et engagée. Engagée contre les normes définies et imposées par l’hétéropatriarcat. Elle est alors bien décidée à lutter contre cela et à déconstruire les idées reçues autour des féministes : « J’en ai marre qu’elles soient associées à des chieuses sans humour ! Pourquoi doit-on se justifier à chaque fois ? Le féminisme dérange car il pose des questions sur tout, en réponse à l’hétéropatriarcat ».

Et c’est avec quelques vers de poésie moderne qu’elle entame sa conférence gesticulée, pour laquelle elle s’est formée avec la Scop Le Pavé – une coopérative d’éducation populaire – lors du dernier semestre 2013. Assise sur sa chaise, elle lit avec sagesse et philosophie : « Vous êtes charmante, est-ce que je peux vous lécher quelque chose ? », « J’aime bien les filles un peu grosses » ou encore « Oh la blondasse tu me suces la fougasses ?! » Des perles contemporaines de la tradition orale à lire sur le blog Paye ta schnek qui recense les meilleures phrases balancées par des hommes à des femmes dans la rue. La Wonder Féministe est, elle, venue « parler des femmes, des féministes, de ces individus socialement désignés comme des femmes ».

Simone de Beauvoir, dont l’esprit règne lors de la conférence gesticulée, dans Le deuxième sexe disait « On ne nait pas femme, on le devient ». Qu’en est-il pour le féminisme ? Comment et pourquoi devient-on féministe ? Simplement être femme signifie-t-il être féministe ?

Des questions que naturellement se posent toutes les femmes sensibles, ou non, à la cause des droits des femmes et de l’égalité des sexes. Mais faut-il avoir vécu les discriminations ou les violences pour se sentir concernée ? « Dès l’enfance, j’ai bien senti que quelque chose n’allait pas. On me disait souvent « Une petite fille ne fait ci, une petite fille ne fait pas ça ». Mais c’est là que j’ai développé mon premier super pouvoir : celui de ne jamais me sentir inférieure à un homme », explique Karine Birot, de sa position de femme blanche, hétéro, qui roule en Twingo (« oui j’ai du chemin à faire encore moi aussi ») et a également des préjugés sexistes, racistes et homophobes.

« Bref, je suis née dans le même monde que vous », lance-t-elle sur un ton grinçant. Dans ce spectacle, Karine Birot retrace son point de vue d’enfant et d’adolescente qui se posait comme tout un chacun des milliards de question et notamment en terme d’égalité femmes-hommes, voyant sa mère « affrontait la jungle du supermarché » et son père, « homme de gauche qui allait libérer tous les hommes de la terre mais qui n’impliquait pas sa femme dans ce sauvetage puisqu’il faut que quelqu’un s’occupe des enfants et de la bouffe » et comprenant qu’une princesse ne pouvait pas « avoir de mobylette, ne pouvait pas draguer, devait attendre de se faire draguer… »

Elle veut plus d’aventures, de bières et de rock’n roll, décide de devenir championne régionale de cul sec et ambitionne même de devenir un mec avant de s’apercevoir que ces derniers sont également limités dans leur comportement : « on peut pas chialer, on doit ouvrir les canettes de bière avec les dents et on ne peut pas porter de robe ! ». Elle se heurte alors à la sensation d’enfermement. Seulement deux cases pour définir notre nature : le genre masculin et le genre féminin.

« Les femmes ont alors un don pour les tâches ménagères, la dextérité avec le balai, le maniement de l’éponge, elles sont sexuellement désirables et n’ont pas le sens de l’orientation. Les hommes, eux, ils dirigent le monde. Le pompom de la pomponnette c’est qu’on définit ça par la nature. Les correspondances sont étranges : quéquette/foufoune, bleu/rose, on/off… »
constate la super-hérote.

Alors que les scientifiques auraient déjà allongé la liste de catégorisation du sexe humain à 48 possibilités, l’hétéropatriarcat milite lui pour conserver précieusement les deux définitions rigides de l’être humain.

« Les cases deviennent des normes et qui dit normes, dit exclusion », précise la Wonder Féministe, bien décidée à convoquer les esprits des Simone – de Beauvoir et Weil – mais aussi celui de Rebecca West, Rosie la riveteuse et ses copines issues des minorités ou encore Virginie Despentes afin de déconstruire ensemble ces idées reçues et reconstruire ensemble une société ouverte et accueillante, autrement dit égalitaire, et qui refuse ce système social qui génère des oppressions : « L’hétéropatriarcat est un vicelard, je le soupçonne d’avoir écrit le mode d’emploi des femmes… »

Métier : féministe professionnelle

« Je suis devenue animatrice socio-culturelle mais je me suis vite ennuyée. J’avais besoin d’espace pour développer mes supers pouvoirs parce que j’avais quand même un monde à sauver ! », scande-t-elle en se mordant les lèvres pour ne pas rigoler. Féministe professionnelle, elle le deviendra, c’est décidé.

Elle écume les associations féministes et découvre l’espace Simone de Beauvoir, qui abrite le Planning Familial, association féministe d’éducation populaire. C’est dans cette structure que les femmes – jeunes et moins jeunes – peuvent venir s’informer, se sensibiliser ou parler de sexualité et de tout ce qui tourne autour de ce thème central dans la vie des individus.

Elle est alors embauchée dans ce lieu guidé par le fameux slogan militant « Un enfant si je veux quand je veux » en tant que conseillère conjugale et familiale : « Pas très sexy dit comme ça. J’ai proposé ingénieuse du sexe mais ça n’a pas été accepté… » Au quotidien, elle reçoit, écoute et informe filles et femmes sans pouvoir jamais porter de jugement. « Ce n’est pas si facile que ça ! Une fois, une jeune femme de 16 ans vient me voir. Elle est enceinte et veut le garder. Moi je me dis « Très mauvaise idée » mais mon rôle est de l’informer, je lui donne donc toutes les cartes pour qu’elle fasse son choix, elle décide de poursuivre sa grossesse. La Wonder Féministe qui est en moi voudrait l’enfermer dans une pièce remplie d’enfants qui pleurent mais je suis conseillère… », se souvient Karine Birot, qui alimente la conférence gesticulée de quelques anecdotes croustillantes vécues au cours de sa jeune carrière.

Armée jusqu’à l’utérus

Et c’est à ce moment-là qu’elle brandit ses armes du quotidien : celles qui sont soigneusement rangées dans sa trousse à outils. « Nous avons au Planning Familial des planches anatomiques car le corps est un chantier et que le sexe c’est dégueulasse mais bon nous on le regarde », ricane-t-elle en accrochant les esquisses à la corde à linge qui traverse la scène.

Puis vient le moment où Wonder Féministe se transforme en véritable agent de prévention sexuelle à la Mary Poppins qui sort de son sac toute une série d’objets – beaucoup plus osés et insolites que ceux de la chère magic nanny. Tour à tour, elle épingle un préservatif masculin, puis féminin, un sex toy, une digue dentaire (pour rapports anaux et buccaux), un speculum, un anneau contraceptif ou encore une plaquette de pilule, un test de grossesse et un utérus ! Une fois tout son matériel installé, elle mime un entretien personnalisé avant de se lancer dans une tirade digne de « Moi, président » :

« Simone, elle vient parce qu’elle aime les femmes mais elle ne sait pas à qui en parler.
Simone, elle vient parce qu’elle a peur du jugement si elle avorte.
Simone, elle vient parce qu’elle a des douleurs pendant les rapports et qu’elle ne prend pas de plaisir.
Simone, elle vient parce qu’elle entend dire
« Attention Simone, ne te fais pas violer ».
Simone, elle vient parce que son père est violent et qu’elle ne comprend pas pourquoi.
Simone, elle vient parce qu’elle veut être maitresse de sa vie et avoir un enfant si elle veut.
Simone, c’est un peu moi. Simone, c’est un peu nous toutes 
».

Karine Birot, en dehors de son costume de Wonder Féministe, n’incarne pas de personnage. Elle délivre ici une conférence gesticulée – co-écrite avec Anna Reymondeaux, historienne sociologue et lesbienne féministe engagée – empreinte d’humour pour finalement exprimer le désarroi des femmes et la colère des féministes face aux discriminations et aux violences subies. Des discriminations et des violences longtemps acceptées sans dire mots.

« À l’heure où un viol est commis toutes les 7 minutes en France, le combat n’est pas gagné. Et les droits des femmes sont même remis en cause », explique-t-elle avec sérieux cette fois. Pourquoi est-on plus compréhensif envers les actes sexistes ? Pourquoi considère-t-on qu’il s’agit là d’un sujet secondaire ? Et pourquoi hiérarchise-t-on les injustices au lieu d’employer l’intersectionnalité ?

« Le féminisme dérange car ce n’est pas une question d’égalité mais d’oppression. Aujourd’hui, il est question de tout réinventer, de tout reconstruire. De vivre et d’agir sur la vie. On ne nait pas femme, on le devient comme on apprend à s’aimer et à se respecter, conclut-elle. Et n’oubliez pas, on peut être féministe et aussi aimer Dalida ». Et le boa rose est de mise pour se dandiner sur « Laissez-moi danser » !

 

Célian Ramis

Européennes : Isabelle Thomas, tête de liste socialiste "féministe, égalitaire et progressiste"

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Rennes
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À l’approche des élections européennes, les Jeunes Socialistes lançaient ce jeudi 24 avril leur campagne, à Rennes. Pour l’occasion, trois minibus « Il est temps. Change d’Europe » étaient stationnés sur la place de la Mairie.
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À l’approche des élections européennes, les Jeunes Socialistes lançaient ce jeudi 24 avril leur campagne, à Rennes. Pour l’occasion, trois minibus « Il est temps. Change d’Europe » étaient stationnés sur la place de la Mairie.

Jeudi 24 avril, 9h. Les citoyens français sont appelés à voter pour les élections européennes dans un mois. Le 25 mai, précisément. Ce matin, Jeunes Socialistes, élus rennais et tête de liste PS du Grand Ouest étaient réunis pour lancer leur coup de com’ autour de leur campagne. « En 2009, il y avait 70% d’abstention du côté des jeunes et 60% de manière globale », explique Laura Slimani, présidente nationale du MJS (Mouvement des Jeunes Socialistes). Voilà pourquoi, selon elle, il est important de sillonner les routes de France, à bord de trois minibus fushias tagués « Il est temps. Change d’Europe ».

Pour mobiliser la jeunesse avant tout. « Nous avons fait des camions et des tracts joyeux car la jeunesse est désillusionnée face à l’Europe », conclut-elle.

Nathalie Appéré, député-maire de Rennes, est venue apporter son soutien à la candidate socialiste aux européennes, Isabelle Thomas. Elle rappelle la « volonté d’un changement pour une Europe sociale et solidaire » et insiste sur le besoin « d’une identité européenne ». Pour la tête de liste Grand Ouest, qui siège au Parlement européen depuis 2012 – à la suite de la nomination de Stéphane Le Foll à la tête du ministère de l’Agriculture – ce sera une campagne et une élection historiques : « On vote pour les députés, on vote pour un projet mais surtout ce sera la première fois qu’on vote pour le président de la Commission européenne. »

Une fonction qui selon elle permet de se réapproprier la démocratie, « en étant responsable devant le Parlement ». Sans surprise, la priorité sera l’emploi avec la « garantie pour la jeunesse », une initiative votée par les pays de l’Union Européenne en avril 2013, visant à lutter contre le chômage des jeunes « en proposant  à toutes les personnes de moins de 25 ans, qu’elles soient inscrites ou non au chômage, une offre de qualité dans les 4 mois suivant la fin de leur scolarité ou la perte de leur emploi », explique le site de la Commission européenne.

Droits des femmes : la régression européenne

En aparté, la conseillère régionale de Bretagne aborde le droit des femmes, dans un contexte européen tendu à la suite du rejet du rapport Estrela – en décembre dernier, pour un droit européen à l’avortement – et du rejet du rapport Zuber – en mars dernier, sur l’égalité salariale, entre autre. « Ce sont deux rapports, d’initiative en plus, très progressistes qui ont été rejetés par la droite (pour le rapport Zuber, certains euro-députés écologistes se sont abstenus, à l’exception de Nicole Kiil-Nielsen, ndlr) et il ne faut pas oublier par la droite bretonne également ! », précise Isabelle Thomas.

Sans oublier de mentionner qu’à la suite du rejet du rapport Estrela, le gouvernement de Mariano Rajoy annonçait et adoptait le projet de loi visant à restreindre l’accès à l’IVG. Rien de nouveau donc sous le drapeau européen qui fait grise mine devant « la régression en matière de droits des femmes et le recul sur l’égalité ». La député européenne socialiste ainsi que la député européenne écologiste s’accordent toutes les deux à sonner la tirette d’alarme concernant l’urgence à rétablir une politique progressiste dans le domaine de l’égalité des sexes.

« Mon chantier, c’est la clause de l’européenne la plus favorisée », lance-t-elle. Une clause, adoptée par l’Assemblée Nationale en février 2010, visant l’harmonisation des législations européennes applicables aux droits des femmes. En outre, à choisir la législation européenne la plus avantageuse pour chaque domaine : violences faites aux femmes, avortement, égalité salariale…

Celle qui se dit « féministe, égalitaire et progressiste » devrait revenir à Rennes le 20 mai, 5 jours avant les élections européennes, pour le meeting du PS qui se tiendra Halle Martenot.

Célian Ramis

Forum Libé : 2030, révolution sexuelle ou régression dans nos pratiques ?

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Champs Libres, Rennes
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Débat intitulé « Faire l’amour en 2030 : une nouvelle révolution sexuelle ? » à l’occasion de la sixième édition du Forum Libération au Théâtre National de Bretagne à Rennes.
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Qu’en sera-t-il de nos pratiques sexuelles en 2030 ? Quelles places auront les nouvelles technologies dans le plaisir ? Samedi 12 avril, l’écrivain et maîtresse de cérémonie sadomasochiste Catherine Robbe-Grillet, auteure en 1956 du sulfureux L’image – sous le pseudonyme Jean de Berg – et l’artiste multimédia déjanté Yann Minh ont tenté de nous donner quelques réponses dans le cadre d’un débat intitulé « Faire l’amour en 2030 : une nouvelle révolution sexuelle ? » à l’occasion de la sixième édition du Forum Libération au Théâtre National de Bretagne à Rennes.

L’association de ces deux personnalités semble curieuse et cela explique certainement pourquoi la salle Jouvet est comble en cette fin de journée. Si l’une est la pionnière des pratiques sexuelles les plus débridées depuis les années 1950, l’autre les expérimente à travers les réseaux sociaux et le cyber-espace.

« L’amour du point de vue cybernétique (1) est un traitement de l’information, dans les années qui viennent notre société va augmenter les capacités du traitement de cette information et inventer des technologies qui amplifient la stimulation sexuelle », selon Yann Minh, adepte des rencontres virtuelles et des « donjons sadomasochistes » sur le réseau Second Life notamment. Mais concrètement qu’est-ce que cela donnerait ?

Des robots les plus perfectionnés à la jouissance par la pensée, l’avenir de notre sexualité selon l’artiste semble intimement lié aux nouvelles technologies. « De nouvelles choses vont permettre de voir ce qu’il se passe dans le cerveau du partenaire grâce aux feed-back (2), nous pourrons ainsi rajouter des éléments à notre répertoire sensuel, sexuel et cognitif », poursuit-il devant une salle qui semble perplexe face à de telles pratiques.

À l’aide d’une manette de console Nintendo Wii Yann Minh nous fait voyager dans un univers ludique sur l’écran de cinéma du TNB et nous invite à parcourir avec lui l’évolution de la sexualité, des écrits sadomasochistes aux premiers godemichets, le public s’esclaffe pendant son intervention et se laisse transporter au milieu de ses fantasmes futuristes. Ces propos semblent pourtant quelques peu fantasques pour l’audience qui s’interroge sur ce qui, selon Catherine Robbe-Grillet, restera de nos ébats charnels en 2030.

« Il faut retomber dans un corps à corps »

« Il me semble que le sexe de base : sodomie, coït, cunnilingus, fellation, cela ne change jamais, c’est la même chose depuis la nuit des temps, ce sont les conditions qui vont changer », nous explique celle qui aurait tout juste cent ans en 2030.

Elle parle de sexe de manière libre, ne semble pas perturbée à l’idée de relations avec des robots ou autres fantaisies numériques mais s’inquiète d’une certaine perte des relations physiques plus humaines, de l’émotion que procure un réel « corps à corps », que les réseaux sociaux, les machines ou les téléphones ne peuvent nous procurer. Quand la question de la prostitution est évoquée, elle raconte le désespoir de certains clients, le besoin de chaleur de ces hommes qu’aucune technologie selon elle ne pourra synthétiser.

Que l’on soit d’accord ou non sur la question des prostituées, une réelle question se pose : dans une quinzaine d’année, les hommes et les femmes abandonneront-ils les plaisirs tactiles basiques ? « Si les gens sont heureux comme ça c’est bien mais je n’y crois pas vraiment. Dans le cyber-espace les gens se sentent protégés, des MST par exemple, mais cela reste assez pépère » pour Catherine Robbe-Grillet. Pour elle, les mentalités ont énormément évolué et en particulier depuis ce qu’elle appelle la « révolution sexuelle » des années 1975.

Les femmes quant à elles, toujours selon l’écrivain, connaissent mieux leur corps, ne sont plus pliées à un devoir conjugal et vivent leur sexualité avec moins de tabou. Quelque peu utopiste peut-être ? « J’espère que les femmes seront libres de faire ou ne pas faire et entre autre qu’on leur foute la paix », répond-elle quand on évoque la femme de 2030. On l’espère également, atteindra-t-on une liberté sexuelle complète d’ici quinze ans ? Patience, on y est presque… paraît-il.

 

1  Science de l’action orientée vers un but, fondée sur l’étude des processus de commande et de communication chez les êtres vivants, dans les machines et les systèmes sociologiques et économiques (Larousse).

2 Synonyme de rétroaction, rétrocontrôle.

Célian Ramis

Forum Libé : en 2030, les féministes au pouvoir ?

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Champs Libres, Rennes
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Une bourrasque féministe s’est abattue sur la salle de conférence des Champs Libres, prête à insuffler un nouveau souffle : « 2030 : un nouveau féminisme ? »
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La semaine dernière, le Forum Libé s’installait à Rennes avec 40 débats et une multitude d’intervenants réunis autour du thème 2030. Vendredi 11 avril, en fin d’après-midi, une bourrasque féministe s’abattait sur la salle de conférence des Champs Libres, prête à insuffler un nouveau souffle : « 2030 : un nouveau féminisme ? »

Un nouveau souffle ? On n’en doute pas mais peu d’éléments seront donnés pour nous permettre d’imaginer le futur. Néanmoins, rien n’interdit de rêver et de fantasmer deux ou trois utopies pour la suite d’un mouvement pluriel. Luc Le Vaillant, journaliste pour Libération, était chargé de modérer le débat et pour l’occasion, il était entouré de quatre expertes : Safia Lebdi, à l’origine du mouvement Ni putes ni soumises, Françoise Picq, politiste et spécialiste de l’histoire du féminisme, Michèle Fitoussi, écrivaine, et Chekeba Hachemi, ancienne diplomate afghane.

L’avenir du féminisme, Françoise Picq le voit flou : « On ne connaît ni le contexte politique de 2030, ni le contexte social ». Pour elle, à chaque mouvement féministe se crée un mouvement réactionnaire visant à l’empêcher d’exister. « Aujourd’hui, la contre révolution féministe n’est pas principalement du fait des hommes mais surtout du poids des religieux et des idéologies traditionnelles », explique-t-elle, esquivant d’un tour de manche la question.

L’utopie en 2030 pour Michèle Fitoussi, c’est « la même salle qu’aujourd’hui remplie par une majorité d’hommes. Que tout le monde comprenne que le féminisme, c’est l’affaire de tous ». Là non plus, elle ne se mouille pas. Elle émet alors deux hypothèses. La pire, celle de la montée du pouvoir réac’ avec « le resserrement des crédits sociaux qui empêche les femmes d’aller bosser et la diminution, voire la suppression, de l’IVG ».

La meilleure, celle de l’égalité qui prime. Celle qui voit les hommes prendre le congé paternité, s’investir dans les tâches domestiques. Celle qui voit les écarts de salaires se réduire, le sexisme être éradiquer. Celle qui voit les femmes crever les plafonds de verre, les stéréotypes se déconstruire à travers l’éducation à l’égalité dans les écoles et les familles.

Chekeba Hachemi, elle, partage deux espoirs. Pour l’Afghanistan, « ce serait d’avoir une salle comme celle-ci ». Elle s’explique : « Car leur présence signifierait liberté et éducation. Dans le pays où il fait le moins bon vivre pour les femmes, l’éducation des petites filles est primordiale, c’est aussi important qu’un programme alimentaire. » Pour la France, elle souhaite que les femmes aient le choix de faire un enfant. Que ce ne soit pas un frein à l’emploi. Que ce ne soit pas un risque à prendre. « On en est encore loin », termine-t-elle. Safia Lebdi voit un espoir du côté des pays arabes et 2030 devrait être influencée par l’international.

« Il y a la même émulsion aujourd’hui dans les pays arabes et les pays de l’Est qu’en France, au Canada et aux Etats-Unis dans les années 60 », explique-t-elle.

L’activiste, comme elle se définit, entame un discours très optimiste. Le réveil de ces pays « qui s’attachent aux valeurs que portent la France avec encore plus d’enthousiasme puisqu’elles représentent la liberté pour les femmes » allié à la génération Internet « qui permet la transmission de l’information avec rapidité et sécurité et qui voit naitre de plus en plus de jeunes femmes informées » engendrent la libération de la parole qui se propage sur les blogs et les réseaux sociaux.

Elle pose alors une hypothèse : 2030, potentiellement, les femmes au pouvoir ? Une question qu’elle soulève pour servir son argument qu’elle porte comme son cheval de bataille : la création d’un parti politique féministe. « Les femmes ont du mal à prendre le pouvoir, à l’assumer – sans oublier que l’on ne veut pas leur donner – et la question est centrale dans tous les pouvoirs. Pourtant aujourd’hui, elle est minime dans les affaires politiques », déclare la conseillère régionale écologiste (en Ile-de-France).

Les femmes révolutionnaires ?

De tout temps, les femmes se sont battues pour leurs droits en exerçant une résistance passive. Mais pour les faire avancer, ce sont les périodes de révolution qui permettent aux femmes de tirer leur épingle du jeu. Pour Françoise Picq, spécialiste de l’histoire des femmes, « il n’y jamais eu d’histoire autonome du féminisme. Il a toujours eu une relation liée à la politique ». Elle cite alors les incontournables comme Olympe de Gouges qui durant la Révolution française a signé l’ouvrage Déclaration des droits de la femmes et de la citoyenne ou encore Flora Tristan qui s’est battue pour la condition féminine à l’époque du marxisme.

« Ces femmes-là s’inspirent du discours politique et en tirent les conclusions de ce que cela doit être valable pour les femmes », analyse-t-elle.

Car pour elle, le féminisme remet en question les équilibres sur lesquels la société repose en mettant le doigt sur les problèmes complexes de cette société, « à un niveau où les autres ne les ont pas posé. Comme la prostitution ou le voile par exemple. Le voile, le débat a commencé en 1989 avec le problème de la laïcité. Et c’est Ni putes Ni soumises qui nous a ouvert les yeux sur cette question-là ».

C’est donc très rapidement que le débat se centre sur ce sujet, qui étonnament ne crée aucune dissension entre les quatre femmes présentes à la table. « À l’époque des Talibans, j’entendais souvent la question : à quand les femmes afghanes sans l’habit qui les couvre ? Mais on ne parle jamais des autres droits bafoués ! », s’insurge Chekeba Hachemi. Selon elle, c’est le jour où elles auront accès à l’éducation, au travail, aux finances, qu’elles enlèveront naturellement le voile.

« Il faut les écouter ces femmes. Pas décider en tant que femmes blanches du bon côté du périph’ », lance-t-elle sous un tonnerre d’applaudissements, avant que Safia Lebdi ne reprenne la parole et son argument principal.

Le féminisme international. Le seul qui puisse servir à faire avancer les sociétés en matière de droits des femmes. Le féminisme de Ni putes Ni soumises.

« L’intégrisme et le fascisme sont à nos portes ! Et on le dit depuis 10 ans. Lorsque l’on a mis cette question sur le tapis, on a eu l’impression de vivre dans une France qui ignorait une partie de sa population. Les meufs vivent une double discrimination : celle d’être femme et celle d’être femme d’origine », scande Safia.

Et 2030 alors ?

La question de l’avenir a vite été écartée par les intervenantes, plus à l’aise dans l’observation et l’analyse de la situation actuelle, basée sur des luttes féministes profondes et récentes. Luc Le Vaillant utilise alors son rôle de modérateur pour recentrer le débat et pour tourner les regards vers ce que pourrait être l’avenir de ce mouvement pluriel.

C’est avec le sourire et un ton un brin provocateur – qu’il confesse aisément – qu’il se lance dans l’arène : « Revenons sur les points de conflit. Imaginons alors 2030, l’utérus artificiel ? Faut-il externaliser la gestation pour que les hommes et les femmes soient égaux ? » Une question qui fait bondir les expertes féministes ! Françoise Picq y saisit alors l’opportunité de préciser qu’il n’est pas question de perdre la spécificité de la maternité :

« Je n’ai pas envie d’échanger mon identité de genre. Là dessus, Antoinette Fouque n’avait pas tort. Il y a un slogan du MLF – Mouvement de libération des femmes – que j’aime beaucoup : « Un homme sur deux est une femme ». Nous sommes un homme sur deux mais nous ne sommes pas un homme comme les autres ».

Et elle revient alors sur la réalité actuelle, à savoir que les hommes, dans l’incapacité physique d’avoir des enfants entre eux, doivent passer par le corps des femmes. « Des femmes précaires, fragilisées. C’est la marchandisation du corps », ajoute Michèle Fitoussi, pour qui égalité des droits ne rime pas avec mimétisme.

Un lien vers un autre sujet sensible, que le journaliste de Libération ne résiste pas à saisir au vol : « Et alors, les bordels d’État pour hommes et femmes ? Possible ? » Et si personne ne se risque à répondre à ce qui pourrait être interprété comme un affront – 1h30 ne suffit pas pour entamer cet angle là – Luc Le Vaillant tente une échappatoire satirique et cynique : « Ce serait un bon moyen pour l’État de récupérer de l’argent ». De quoi détendre l’ambiance avant donner la parole au public.

Tout le monde est concerné

Une parole divisée qui va orienter la conférence sur le féminisme, l’affaire de tous. Safia Lebdi revendique le fait d’être féministe, que l’on soit homme ou femme. « Ce sont les hommes qui doivent se réveiller ! On construit l’avenir de demain, on résiste face à la mondialisation et aux questions morales ! », déclare-t-elle. Et quand un jeune homme prend la parole pour exprimer son envie de mettre l’humain au cœur du débat, Chekeba Hachemi lui rétorque avec ferveur et engagement :

« ça fait un demi siècle que l’humain est au cœur du débat et rien n’avance pour les femmes ».

Et Françoise Picq enchaine : « En se libérant, les femmes libèrent l’humanité toute entière ! » C’est à Michèle Fitoussi que revient l’honneur de conclure, et cette dernière ne s’éloignera pas de la ligne des inégalités qui subsistent entre les hommes et les femmes : « Vu la pente actuelle, il faudrait 120 ans pour arriver à une parité réelle. Quand on voit l’Assemblée nationale, il n’y a pas de diversité, pas de femmes alors que nous ne sommes pas une minorité, nous sommes 50% de la population. Je fais tout comme les hommes dans ce pays, je veux être traitée de la même manière ! » 2030, un nouveau féminisme ? On ne saura pas. Faudra être là…

 

3 questions à Safia Lebdi : « Mieux vaut être Zahia… »

Durant le débat, votre discours était plutôt optimiste avec un féminisme porté par la jeune génération via Internet. Pourtant, les jeunes femmes revendiquent leur volonté de ne pas être affiliées au féminisme et prônent l’égalité des sexes. Qu’est-ce qui fait peur dans le féminisme ?

Le féminisme français est squatté par les anciennes féministes. Le MLF, le droit à l’IVG, c’est obsolète pour les jeunes ! Mieux vaut être Zahia et gagner son argent avec son corps. Pour la nouvelle génération, Zahia incarne la réussite, la liberté. Cette génération est déconnectée de l’ancienne ! Rien que dans l’apparence…

C’est aussi pour ça que les Femen ont marché. Elles sont décomplexées et utilisent le corps comme une arme de combat. Le public qui y adhère est large et jeune. Moi, je suis une femme française issue de l’immigration, je m’identifie à des femmes qui me ressemblent. On ne peut pas se reconnaître dans l’ancien féminisme. Et ce sont les anciennes qui ont créé le rejet. Sans oublier qu’on met tout et n’importe quoi dans ce terme.

Comment ramène-t-on les jeunes femmes à la mobilisation et comment les sensibilise-t-on au mouvement ?

À travers le féminisme international ! Avec Facebook, en 3 ou 4 clics, on parle avec quelqu’un en Égypte, au Chili, en Angleterre. Il faut utiliser la blogosphère internationale. Car s’il existe des différences entre les pays, on dit la même chose sur le plan des droits des femmes. Toutes les femmes disent la même chose : mes libertés sont mises à mal. La religion, le communautarisme… elles vivent la même chose au Brésil, pour prendre un exemple. La parole est universelle. On a besoin d’une Gandhi. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de leader dans le féminisme. Il faut créer cette figure de leader.

Personne aujourd’hui ne peut incarner cette figure ? Najat Vallaud-Belkacem le pourrait-elle ?

Absolument pas ! Et non il n’y a personne actuellement. C’est pourquoi je pense qu’il faut créer un parti politique. Mais pas la liste européenne féministe ! Cette liste sera essentiellement constituée de femmes issues de la classe aisée. Elles vont mettre un peu de minorité mais très peu. Et surtout, elles ne mettront pas une tête inconnue en tête de liste. C’est un one-shot, soit tu cartonnes, soit tu dégages. Alors après ça peut être une stratégie politique. Elles vont peut-être permettre – et c’est la seule chose positive – d’aborder ces questions-là pendant la campagne. Moi je fais partie d’Europe Ecologie Les Verts, pour la laïcité, l’égalité, la liberté. On ne bougera pas là dessus et ces valeurs-là, on n’y touche pas !

Célian Ramis

Europe : Femmes, au-delà des frontières

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Alors que les élections européennes approchent – la France votera pour les eurodéputés le 25 mai prochain – la confusion règne, l’abstention gagne du terrain, le pouvoir de l’Europe est remis en cause, menaçant ainsi les acquis féminins et féministes.
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En mars, la capitale bretonne a profité de la journée internationale des femmes pour braquer les regards sur la question de l’égalité en Europe à l’heure où « certains gou­vernements fragilisent les droits acquis », précise le programme proposé par la ville de Rennes. Conférences, débats, projections de documentaires, expositions… les ma­nifestations apportaient une dimension européenne et internationale sur les écarts et discriminations qui subsistent et qui creuse un fossé entre les sexes. Si l’identité euro­péenne peine à s’imposer et ne se fait pas ressentir à Rennes, nombreuses sont celles qui ont souhaité interroger, comprendre et analyser les disparités ou les luttes communes de ces femmes qui œuvrent pour la cause. Alors que les élections européennes approchent – la France votera pour les eurodéputés le 25 mai prochain – la confusion règne, l’abstention gagne du terrain, le pouvoir de l’Europe est remis en cause, menaçant ainsi les acquis féminins et féministes.

Dès le 6 mars, l’exposition « Portraits de femmes européennes » est un des premiers événements à inaugurer la Journée internationale des Femmes à Rennes. Neuf portraits de femmes d’origine étrangère, résidant dans le quartier de Maurepas, sont présentés dans le hall de l’Espace social commun Gros Chêne. Nelly Raynal est médiatrice pour cette structure et est à l’origine de ce projet, mené en collaboration avec la photographe Elise Ruello.

L’objectif : créer du lien social entre les femmes du quartier et le centre social. Pour elle, qui a passé du temps à discuter avec chacune des participantes, très peu se sentent concernées par l’identité européenne. « Quand elles arrivent à être intégrées par le pays d’accueil, c’est là le principal pour elles », explique Nelly. Un point sur lequel la rejoint Marina, 38 ans, d’origine arménienne, ayant vécu 15 ans en Russie et arrivée à Rennes en 2005.

« C’est dur de créer du lien ! Surtout qu’en Russie, on fait beaucoup plus la fête entre femmes. L’avantage de ne pas avoir l’égalité des sexes, c’est que les hommes travaillent et que les femmes ont le temps de se réunir entre elles »
Nelly Raynal, médiatrice à l’Espace social commun Gros Chêne.

Toutefois, elle est ravie d’avoir participé à ce projet qui lui a permis de rencontrer les habitantes de son quartier, « et maintenant on se voit très régulièrement. On mélange les cultures, c’est magnifique ! »

UN CONTEXTE SOCIAL

« La promotion des droits des femmes est issue des directives et lois européennes depuis plus d’un demi siècle. On s’intéresse maintenant à la poursuite de ce travail. L’Europe de demain sera-t-elle encore plus populiste et réactionnaire ? ». Jocelyne Bougeard, alors adjointe au maire, déléguée aux Droits des femmes, à l’Égalité des droits et à la Laïcité – à l’heure où nous écrivons ces lignes, le nouveau conseil municipal n’a pas encore été constitué – s’interroge et souhaite mobiliser la population rennaise sur ce sujet.

Elle renouvelle ainsi son intérêt et sa volonté d’inscrire la capitale bretonne en tant que territoire engagé par la signature de la charte européenne de l’égalité entre les  femmes et les hommes depuis 2006 mais aussi en tant que territoire participant à l’unité et la cohérence de l’Europe. Un sujet qui semble manquer de visibilité auprès des Rennais peu informés et sensibilisés à la thématique.

« L’Union Européenne n’est plus une force motrice dans ce domaine depuis plusieurs années », explique Maxime Fourest, membre du Haut Conseil à l’Égalité, présent à Rennes le 11 mars pour une conférence intitulée « L’Europe de l’égalité est-elle en panne ? Le rôle des politiques d’égalité communautaires dans les états membres ». La pertinence de la question tombe à pic et soulève ainsi d’autres interrogations, à savoir le rôle exact et le pouvoir de cette Union politique, économique et sociale.

C’est en 1957, lors du traité de Rome (article 119 – devenu article 141), que figure pour la première fois le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, concernant l’égalité de rémunération.

« Un principe qui restera inaperçu pendant au moins deux décennies avant que les luttes féministes ne s’emparent de cette arme juridique »
Maxime Fourest, membre du Haut Conseil à l’Égalité.

Quarante ans plus tard, le traité d’Amsterdam est signé dans un contexte de renforcement de l’unité européenne. Il prévoit alors la modification de l’article 2 en incluant la promotion de l’égalité entre les sexes dans l’énumération des missions que se fixe la Communauté ainsi que la modification de l’article 3, dans lequel un alinéa est ajouté : « Lorsqu’elle réalise toutes les actions visées au présent article, la Communauté cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes ».

Né alors le volet social de l’Union Européenne qui porte la question de l’égalité comme un levier de développement et de lutte contre les discriminations. La Communauté, en 1990, soutient et appuie la création du Lobby Européen des Femmes, qui réunit actuellement plus de 2500 organisations dans 31 pays. Leur rôle : « Faire du lobbying au niveau européen et fournir des informations aux responsables politiques afin que les droits des femmes et leurs besoins ainsi qu’une perspective de genre soient pris en compte lors de l’élaboration des politiques et législations.

Promouvoir la participation des organisations de femmes au niveau de l’UE et leur fournir les informations nécessaires à une telle participation. » Pour Maxime Fourest, si l’élargissement de l’Europe aux pays de l’Est a permis de faire naitre des politiques d’égalité dans des pays qui n’en avaient pas, il souligne toutefois le manque de leadership européen et d’investissement des États pour porter ces questions-là et les faire évoluer. « Le Parlement européen a renforcé dans les années 2000 son rôle de vigie, rend des rapports notamment sur l’IVG, pour un droit européen à l’avortement mais travaille aussi sur la prostitution, la traite des êtres humains », explique-t-il.

Pourtant, les deux derniers rapports en date ont été rejetés par les élus européens. Tout d’abord le rapport Estrela, sur le droit à l’avortement en Europe, rejeté le 10 décembre dernier. Ensuite, le rapport Zuber, concernant l’égalité de rémunération à travail égal, l’interdiction des départs forcés en cas de maternité ou encore la lutte contre les stéréotypes sexistes, rejeté le 11 mars dernier.

« Il y a une vraie volonté de remettre en cause les acquis des droits des femmes »
 Nicole Kiil-Nielsen, eurodéputée écologiste siégeant à la commission Droits des femmes et égalité des genres.

Pourtant, c’est entre autre l’abstention de certains élus de son parti qui a bloqué l’adoption de ce rapport initiative. Pour cause, « nous sommes divisés sur la question de la prostitution au sein de notre groupe ». Les écarts se creusent, les clivages se renforcent et les forces se radicalisent. 

FEMMES, PREMIÈRES VICTIMES DE LA CRISE

Elisabeth Crémieu, agrégée de géographie et ancienne enseignante à Sciences Po Paris, explique dans son ouvrage Géopolitique de la condition humaine qu’en théorie « les droits des femmes avancent quand les partis de gauche, normalement progressistes, sont au pouvoir, et ce pour des raisons idéologiques et politiques : le vote des femmes, conservateur dans les premiers temps, se déplace vers les partis de gauche dans de nombreux pays.

Il y a alors interaction : beaucoup de femmes votent à gauche, et la gauche au pouvoir fait avancer les droits des femmes. Mais la réalité est plus complexe que cela. » Une réalité complexe et compliquée en effet à laquelle vient s’ajouter la peur due à la montée au pouvoir des conservateurs, comme en témoigne l’actualité espagnole, avec le projet de loi sur l’accès à l’Interruption Volontaire de Grossesse dans seulement deux cas – à savoir en cas de viol, avec dépôt de plainte obligatoire, et en cas de danger pour la santé de la mère. Une loi qui rejoindrait l’esprit des politiques plus restrictives comme celles de la Pologne, de Chypre ou encore de l’Irlande.

La belge Christine Van Den Daelen n’en démord pas : « Les femmes sont un champ d’expérimentation en terme de régression sociale ». Membre du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde, elle était invitée par l’association rennaise Questions d’égalité, le 13 mars, pour développer son point de vue sur l’impact de la dette publique européenne sur la population féminine. En ligne de mire, les mesures d’austérité prises en réaction à la crise de 2008. Les conséquences : la diminution des revenus du travail rémunéré des femmes, la casse de la protection sociale, la destruction du service public, la remise en cause du droit du travail et l’augmentation de la TVA.

Et tout cela « sape l’autonomie financière et les libertés des femmes ». Elle exprime et démontre alors la féminisation de la pauvreté, qui n’apparaît pas comme un phénomène nouveau mais qui impacte les droits des femmes « En Espagne, on a supprimé le ministère de l’Égalité, en Italie, on a réduit de 70% les budgets des politiques familiales, en Allemagne, on débourse des sommes incroyables pour qu’un enfant soit pris en charge en crèche… » Et sa liste ne cesse de s’allonger et de tirer la sonnette d’alarme à chaque exemple et chiffre donnés.

Un argumentaire détaillé qui se veut le reflet d’une situation chaotique mais pas sans issue. Un souhait : « Annuler le côté illégitime de la dette. Les femmes sont les créancières de la dette publique, ce n’est pas normal. » En février 2011, le réseau Femmes en mouvement contre la dette et les plans d’austérité en Europe se constitue et développe un panel d’initiatives. En Grèce, les membres du collectif exigent des audits de comptes publics, d’hôpitaux, de centres sociaux, d’écoles, etc. Les actions de rue, les campagnes pour les droits à la santé des femmes mais aussi des droits sexuels et reproductifs également, se multiplient.

Pour Monica Karbowska, membre de « Initiative Féministe Européenne », il est important de sensibiliser les femmes à ces problématiques et de mettre en lien les mouvements sociaux européens.

« Il y a une multitude de mouvements et de manifestations depuis 2010/2011. Si on prend le cas de la Bulgarie, la Bosnie, la Grèce, la Slovénie, la Serbie, la Hongrie et plus récemment l’Ukraine. Mais en France, on n’entend pas beaucoup parler de tout ça. »
Monica Karbowska, membre de Initiative Féministe Européenne.

Ne pas rester dans son coin, sa solitude, « il faut se sortir de la logique individualiste ». Un message très politisé qu’elle lance à la petite assemblée réunie à la Maison internationale de Rennes. Elle poursuit : « On nous habitue à nous soumettre, on nous habitue à l’humiliation, à se dire que l’on est rien. Et quand on vit avec les minima sociaux, on a des revenus tellement bas que l’on s’isole et que l’on devient exclu de la citoyenneté ». Retrouver sa citoyenneté avant tout pour pouvoir être mobilisés, engagés, dans des causes communes, militantes.

PROBLÈME IDENTITAIRE

Et c’est justement vers les pays de l’Est et les pays des Balkans que se sont tournés les regards lors du week-end Documentaires au féminin, organisé par l’association Comptoir du Doc en partenariat avec Les Champs Libres, à Rennes. Les 15 et 16 mars, quatre films ont été diffusés et ont fait l’objet de débats et d’échanges avec le public à l’issue de chaque projection.

Parmi la sélection, Femmes des 12 frontières, de Claudine Bories, met particulièrement l’accent sur le militantisme, l’action politique et citoyenne d’une cinquantaine de femmes, qui viennent du Kosovo, de Bosnie, de Croatie, de Serbie, d’Albanie ou encore de Macédoine et qui vont se réunir et retourner sur les routes encore traumatisées par les différentes guerres et tensions pour transgresser les frontières. Un documentaire qui marque aussi l’envie de ses femmes de partager leurs expériences, leurs souvenirs et leurs engagements politiques, qu’elles souhaitent transmettre à la jeune génération.

Autre regard sur la précarité des femmes, celui du réalisateur autrichien Ed Moschitz. Ce dernier s’est intéressé à la situation des femmes en Moldavie qui émigrent illégalement vers l’Europe de l’Ouest pour gagner de l’argent et s’occuper de leur famille. À l’origine, Mama illegal est un reportage proposé à la télé autrichienne sur la vie d’Aurica et de son mari.

« C’était la nounou de mes enfants. Elle ne m’avait pas dit qu’elle était en situation illégale. Quand elle me l’a avoué, j’ai souhaité faire un reportage sur elle. J’ai alors été frappé par la découverte de la Moldavie et l’émission a passionné l’Autriche ».
Ed Moschitz, réalisateur autrichien.

Ce qui ne devait être qu’un sujet de quelques minutes devient un deuxième reportage puis un sujet de documentaire. Pendant 7 ans, le réalisateur va suivre l’évolution d’Aurica et va rencontrer d’autres jeunes femmes dans la même situation, qui vont accepter de témoigner. « La plupart des femmes qui partent sont souvent assez jeunes. Elles ont souvent un métier en Moldavie. Par exemple, Aurica était maitresse en maternelle », précise Ed Moschitz.

Mais le chômage et la pauvreté les font quitter leur pays pour aller travailler « vers la Russie et l’Ukraine pour les hommes et vers l’Autriche, l’Allemagne ou l’Italie pour les femmes qui vont être embauchées dans les services à la personne en général ». Si le réalisateur met en lumière l’incroyable combat de ces femmes et leur lutte pour la survie de leurs foyers, il met le doigt sur un point crucial de leur parcours : la découverte de l’ailleurs et le problème identitaire.

« Quand elles partent, elles n’ont aucune idée de ce qui les attend. Sur place, elles découvrent la place des femmes et les droits des femmes en Europe de l’Ouest. Cela devient un véritable problème quand elles rentrent chez elles », décrypte-t-il. À leur retour, leur vision a fondamentalement changé. Leur maison est trop petite, insalubre, leurs enfants ont grandi, sans elles. Le choc est brutal. Mama illegal montre alors des femmes bloquées entre leur pays d’origine qui ne leur correspond plus et leur pays d’accueil dans lequel elles sont clandestines. « Elles n’ont plus de pays d’attache. Nous contribuons à la destruction de ces femmes, de ces pays, de leurs familles », précise-t-il.

1, 2, 3, 4, 5… VITESSES

C’est donc une Europe à plusieurs vitesses qui est présentée dans le cadre de ce mois des femmes et qui cristallise les nombreuses inégalités qui subsistent entre les pays mais aussi les différences entre les femmes de chaque État. Des différences dues à la culture et l’histoire de leur pays. Le mouvement HF Bretagne, qui œuvre pour l’égalité femmes-hommes dans les arts et la culture organisait le 10 mars, aux Ateliers du Vent, une lecture-conférence en présence de plusieurs artistes rennaises.

Ces dernières ont choisi de sélectionner des textes d’auteures étrangères abordant des thèmes forts comme la prostitution ou les violences conjugales, en isolant des données chiffrées révélatrices du long chemin qu’il reste à parcourir. En effet, on y apprend qu’en Italie, sur 100 femmes violées, ¼ d’entre elles le sont pas leur mari. Et que 90% de ces femmes ne dénoncent pas leur violeur. Début mars, une enquête de l’Agence européenne des droits fondamentaux dévoilait qu’au sein de l’Union Européenne, 1 femme sur 3 a été victime de violences physiques ou sexuelles au moins une fois dans sa vie et qu’une femme sur 20 a été violée.

Des résultats qui font frémir et qui révèlent une proportion de femmes agressées plus élevée dans les pays de l’Europe du Nord, qui sont pourtant régulièrement pris à titre d’exemple sur la question de l’égalité des sexes. L’explication réside alors simplement dans le fait que la parole étant plus libérée, plus nombreuses sont celles qui osent dénoncer les violences subies, en opposition à la pudeur des pays du Sud.

Mari Flones, chorégraphe norvégienne installée aujourd’hui à Brest, invitée au débat du Mouvement HF Bretagne, avoue avoir été surprise, lors de sa première réunion en France, par la question d’un chorégraphe lui demandant s’il était important pour elle d’être autonome financièrement :

« J’ai eu l’impression qu’il fallait avoir un compagnon pour vivre. Je n’ai pas du tout été éduquée comme ça et je n’avais eu cette question avant… J’ai alors pensé que c’était la culture française… »

Malgré cette anecdote, elle tempère le discours tenu par les médias sur l’avancée des pays nordiques : « On aime penser qu’on est en avance en matière d’égalité femmes-hommes mais il reste encore des choses à faire, surtout maintenant que le gouvernement a changé… Certains points annoncés par l’ancien gouvernement socialiste sont actuellement remis en question ». Une nuance qui fait frémir dans l’assemblée. Et qui terrifie les Institutions qui redoutent une montée en puissance des conservateurs à l’occasion des prochaines élections européennes.

Euro-députée écologiste depuis 2008, l’an­cienne adjointe au maire de Rennes (2001-2008) siège aujourd’hui au Parlement européen au sein de la commission des Affaires étran­gères et de la commission Droits des femmes et égalité des genres. Elle est également pré­sente dans les délégations Asie Centrale et Conseil législatif palestinien. Elle revient sur le mandat en cours – jusqu’au 25 mai.

Après presque 5 ans de mandat, quel état des lieux – concernant l’égalité femmes-hommes en Europe - dres­sez-vous ?

Cette année a été assez chaude car il y a une peur de basculer à droite mais sinon… Le rapport sur le congé parental n’avance pas ! Il est bloqué depuis 2010. En 2009, le Parlement a voté afin de l’allonger à 20 semaines et de rendre le congé de paternité non transmissible/obligatoire. La proposition a été adoptée mais le Conseil bloque le processus. De nombreux États ne veulent pas d’une décision européenne, préférant une compétence nationale.

Comme cela a été le cas avec le rapport Estrela sur « la santé et les droits reproductifs et génésiques » en dé­cembre 2013 ?

Oui, alors qu’il n’est pas révolutionnaire ! Le pire, c’est qu’au sein de la Commission, il y avait une grande majorité favorable. Mais des milliers de courriels ont été envoyés aux élus de toute l’Europe. Ils étaient fondés sur la désinformation. On parlait alors de législation de la pédophilie. De la folie ! Alors que le rapport traite de l’accès à la contraception, d’éducation sexuelle, de légalisation de l’IVG. Puis les mobilisations de certains extrémistes ont entrainés les conserva­teurs… Le Parti populaire européen et des députés UMP français ont voté contre. Ils ont regretté et ont parlé d’un problème de traduction. C’est de la bêtise ! Après ils se disent les héritiers de Simone Veil…

La situation en Espagne a beaucoup agité l’Europe en ce début d’année. A-t-on raison d’avoir peur ?

C’est un des enjeux du 25 mai, j’en suis convaincue ! On sent un durcissement, une volonté de remettre en cause les acquis des droits des femmes. Quand on voit la position de la Lituanie, de Malte, de l’Espagne concernant l’IVG… Ou qu’en Italie, 85% des médecins font jouer l’objection des consciences et que c’est lé­gal ! Sans oublier les mesures d’austérité sur les financements des services publics, des hôpitaux, etc. Tout cela pèse sur les femmes.

Comment agir, au niveau européen, pour faire évoluer les mentalités ?

On évolue très lentement, ce n’est pas spontané. On lance des rapports d’initiative qui ne forcent pas les États à appliquer les di­rectives mais qui les conseillent avant de proposer une loi. Il faut de la pédagogie, des efforts. Quand on a défendu l’avortement, on était une minorité. Pareil pour la contraception pour les mi­neurs. Là, on ajoute à la campagne électorale la question de la traite des êtres humains, c’est une compétence de l’Union Euro­péenne. Et la question de la prostitution y est incluse. La loi fran­çaise – examinée par le Sénat en juin prochain - est très attendue. La France est souvent prise pour exemple par l’Union Européenne en matière de droits des femmes. Sinon, l’évolution passe par la sensibilisation des collé­giens et les lycéens. Ainsi que les échanges Erasmus !

Et par le Gender mainstreaming ?

Ah ! C’est un terme qui a été intégré au langage courant (rires). Oui, la Commission est vigilante à ce niveau-là et souhaite que chaque commission interne prenne en compte la question du genre. Réaliser des études genrées, c’est un point qui a été bien accepté par tout le monde.

À quelques semaines des élections européennes, des structures rennaises travaillent activement pour informer les électeurs. C’est le cas de la Maison de l’Europe à Rennes.

Située 10 place du Parlement à Rennes, la Maison de l’Europe « informe les citoyens sur l’Union Européenne, encourage les échanges européens, fait découvrir une Europe Unie dans la diversité et développe le sentiment d’appartenance à l’Union européenne* ». Ouverte au grand public, elle possède 12 antennes en Ille-et-Vilaine. « On a créé cette Maison avec quelques amis fin 2001, au moment où l’Europe passait à la monnaie unique. Les rennais se posaient des questions : on voulait y répondre et débattre », explique la présidente Jeanne-Françoise Hutin.

Depuis, l’association organise des animations pédagogiques, des cours de langues, des livrets d’informations ou encore des manifestations (conférences, débats, colloques). Pour les élections européennes - le 25 mai en France - un fascicule sur le rôle du parlement européen est distribué. « Le 24 avril prochain, on organise un forum. Les candidats répondront aux questions des électeurs sur leur motivation, leur mode de gouvernance et leur vision de l’Europe dans le monde », explique-t-elle. Fin juin, la structure réunira aussi les députés élus avec des jeunes - qui apporteront des propositions de lois.

« Les rennais ne s’intéressent pas trop à ces élections. Il y a 5 ans, on enregistrait 60% de taux d’abstention. D’ailleurs, durant les campagnes municipales, les élus ont peu parlé de la position de la ville par rapport à l’Europe, alors que c’est un sujet central ».
Jeanne-Françoise Hutin, présidente de la Maison de l'Europe.

Et du côté des femmes ? « Certaines se sentent très européennes et militent, mais c’est un petit nombre », dit-elle. Le droit des femmes repose bien sûr sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (notamment, avec l’article 23 sur l’égalité entre hommes et femmes) mais les enjeux restent multiples : « L’Europe doit préconiser le respect de la femme dans son intégrité morale et physique - comme pour toutes les catégories d’ailleurs - lutter contre les violences faites aux femmes, défendre la parité, notamment au niveau des instances européennes et faire attention aux acquis », confie Jeanne-Françoise Hutin.

Concernant les sujets de société, « les députés européens actuels pensent que c’est du ressort des États. Lorsque cela touche trop à l’anthropologie, il est difficile de faire une loi qui s’impose à tous, mais nous devons rester unis dans la diversité », souligne-t-elle.

* Extrait du livret « Des maison de l’Europe de Bretagne »

Infographie : © Sophie Barel

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Droits des femmes : quelle Europe pour les Rennaises ?
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Entretien avec Nicole Kiil-Nielsen
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Célian Ramis

D'Agadez à Castel Volturno, qui sont ces migrants ?

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Champs Libres, Rennes
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En 2009, Fanny se rend à Agadez, au Niger, où elle rencontre ces africains qui s’apprêtent à faire le grand voyage migratoire. Un an plus tard, elle cherche à savoir ce que sont devenus ces migrants et part à leur rencontre en Italie.
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Fanny Bouyagui, plasticienne de 54 ans, née et installée à Roubaix, présente son exposition « Soyez les bienvenus » aux Champs Libres, jusqu’au 11 mai 2014. En 2009, Fanny se rend à Agadez, au Niger, où elle rencontre ces africains qui s’apprêtent à faire le grand voyage migratoire. Un an plus tard, elle cherche à savoir ce que sont devenus ces migrants et part à leur rencontre en Italie, plus précisément à Castel Volturno, petite ville étape située au nord de Naples, dirigée par la mafia italienne. Les interviews filmées et les nombreuses photos qu’elle ramène de son voyage font l’objet de ce poignant témoignage.

Fanny Bouyagui a eu l’idée de monter cette exposition alors qu’elle se trouvait à Anvers, chez une amie, discutant des sans-papiers et se demandant ce qui pousse ces Africains à tout quitter malgré les dangers dont ils ont conscience. Se remémorant l’histoire de son passé, et notamment celle de son père, sénégalais né à Dakar et arrivé en France en 1957, elle a eu envie de comparer cette époque, il y a 50 ans, où les migrants étaient les bienvenus, à celle d’aujourd’hui, plus précaire.

L’exposition retrace donc le chemin migratoire de ces africains qui rêvent d’accoster sur le continent européen, dans l’espoir d’une vie meilleure. Ainsi, on entre dans l’intimité de l’artiste dès le début de la visite. Un portrait en noir et blanc de son père, Baré Bouyagui, se jouxte à un cliché où il est accompagné de sa femme, une jolie blonde prénommée Odette Vanmeenen.

La joie de vivre du couple et leur existence paisible transparait au travers leurs visages souriants. Sont également exposés des dizaines de papiers officiels, tels qu’un certificat de nationalité, un certificat de résidence ou un contrat de travail. « Mon père n’a jamais rencontré de difficultés, que ce soit pour trouver du travail ou pour se loger. Il est arrivé en France puis s’est marié avec une très belle femme, il a eu des enfants. Il a vécu heureux, tout était beaucoup plus simple », déclare Fanny le visage souriant.

« Ils veulent continuer le chemin vers l’Europe. Il s’agit de tout sauf de rentrer chez eux »

Et pourtant, la situation aujourd’hui est bien différente. La première étape d’investigation se situe en Afrique, où les témoignages recueillis sont pleins d’espoirs. Les migrants sont prêts à tout pour arriver en Europe.

L’artiste a regroupé des milliers de photos, morceaux d’articles, cartes géographiques, où l’on peut lire : « Ils veulent continuer le chemin vers l’Europe. Il s’agit de tout sauf de rentrer chez eux », ou encore « Il existe un triptyque sur les routes clandestines : les transporteurs, les hébergeurs, les passeurs. » Par terre sont amassés des bidons en tas, enlacés dans la toile de coco.

Tout est très coloré, très chargé, saturé. Au fur et à mesure du parcours, on évolue inexorablement vers la dure réalité.

« Ici, tu meurs avant ton heure »

Seconde étape, à Castel Volturno. Les vidéos filmées bouleversent, nous livrant des témoignages touchants, reflétants la désillusion des africains installés en Europe : « Il n’y a rien ici, il n’y a que la souffrance. Si vous croisez des migrants qui veulent venir ici, dites leur bien que ce n’est pas la peine. Ici, tu meurs avant ton heure. » Les propos sont brutaux et amères. Très vite, un sentiment d’impuissance nous envahi, nous laissant simples spectateurs face à cette situation de précarité et de misère.

On ressent à cet instant même ce que l’artiste a voulu nous transmettre. Le message est passé. «Je n’ai pas de solution, et je pense qu’il n’y en a pas, conclu Fanny. Le but de l’exposition est de montrer aux gens ce qui se passe, point.  A Castel Volturno, près de 80% de la population est composée de migrants africains. C’est une zone de non-droits dirigée par la mafia. Ils vivent dans l’illégalité mais on leur fout la paix. Alors ils restent… »

Sans filtres ni retouches, Fanny Bouyagui nous livre la juste vérité à travers une mise en scène remarquable. Le point de vue personnel de l’artiste, optimiste, en noir et blanc, se heurte au point de vue collectif, coloré mais fataliste. Une expérience assurément humaine et bouleversante, sans aucun doute nécessaire à une vraie prise de conscience.

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