Célian Ramis

Le sport, pas pour les filles ?

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Melissa Plaza, footballeuse professionnelle et docteure en sociologie, animait le 27 mars une conférence interactive sur sa thématique de prédilection : « Sport : et si on laissait nos clichés au vestiaire », à la MIR.
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L’actualité sportive est constamment rythmée par les performances sexistes des commentateurs, présidents de compétition, personnalités politiques et autres. Et ça, Melissa Plaza, ancienne footballeuse professionnelle aujourd’hui docteure en sociologie engagée dans la lutte contre les discriminations de genre, ne le sait que trop bien. Elle animait mercredi 27 mars une conférence interactive sur sa thématique de prédilection : « Sport : et si on laissait nos clichés au vestiaire », à la MIR. Dans le cadre du 8 mars à Rennes. 

L’événement se déroule en pleine polémique à la suite des propos de Nathalie Boy de la Tour, présidente de la Ligue de Football Professionnel, caractérisant de « folkloriques » les chants et propos homophobes tenus dans les stades.

« Quand on ne condamne pas, on cautionne », souligne Yvon Léziart, conseiller municipal délégué aux Sports à Rennes, avant de rappeler que quand les sportives réclament, à juste titre, l’égalité salariale, les hommes, souvent, leur rigolent à la figure. Ce fut le cas récemment avec les footballeuses de Guingamp, club dans lequel Mélissa Plaza à terminer sa carrière après avoir joué à l’Olympique Lyonnais et au Montpellier Hérault. 

PRÉTEXTE À L’ÉMANCIPATION

Enfant, elle grandit dans une famille maltraitante et comprend vite que le foot sera une chance pour s’en extraire. Elle découvre « une lutte plus profonde », celle de la recherche de liberté, au-delà des normes, des codes et des interdits. Loin des modèles réducteurs des princesses Disney.

« Le football, c’était un moyen ou un prétexte pour être la personne que je voulais être et pas celle que l’on attendait que je sois. », souligne-t-elle. 

Elle se souvient de sa lente et longue ascension dans la cour de récré, entre le moment où elle était la dernière choisie de l’équipe et le moment où les garçons la désignaient capitaine parce qu’ils avaient compris « que pour gagner, il valait mieux m’avoir dans leur équipe ». 

Déterminée, elle va jusqu’à « s’oublier dans l’effort pour se donner les moyens d’atteindre le graal : devenir pro et jouer en équipe de France. »

Elle n’endosse pas seulement le maillot mais aussi le rôle de la râleuse. Parce qu’elle est révoltée de constater les conditions déplorables de travail. Des vestiaires insalubres, un salaire s’élevant à 400 euros net par mois, des équipements beaucoup trop grands pour les joueuses, des voyages interminables en bus pour aller jouer les matchs le week-end…

En parallèle, elle envisage l’après et mène de front sa carrière et ses études, prouvant que l’on peut être femme et footballeuse, footballeuse et doctorante :

« J’ai fait le choix de ne pas faire de choix entre les deux. Je suis devenue malgré moi la première footballeuse professionnelle à obtenir un doctorat en parallèle de ma carrière. Est-ce que ça n’aurait pas pu ou dû être plus simple ? Si à la place des posters dans ma chambre, à la place de Zidane et Henry, j’avais eu Abily et Dickenmann …? »

DES INÉGALITÉS BIEN PROFONDES

Le résumé de son parcours illustre bien le propos qu’elle va développer lors de la conférence sur les clichés de genre et le milieu sportif. Une conférence qu’elle choisit de rendre interactive et ludique en utilisant l’application Klaxoon – développée par une entreprise locale, située à Cesson Sévigné – qui permet de lancer des sondages auxquels peuvent participer toutes les personnes connectées via leur Smartphone.

C’est parti pour une heure d’un jeu bien terrifiant puisqu’il révèle au fil des questions une société bien empêtrée dans ces clichés sexistes et ces conséquences dramatiques. Preuve en est avec la première interrogation visant à demander la moyenne des écarts salariaux dans le sport et sa réponse : 57%.

« Les écarts ne sont pas les mêmes dans le foot / rugby que dans le volley / tennis / handball. Je vous donne un exemple d’écart, actuel. La meilleure joueuse de l’OL est payée 33 000 euros par mois. Le meilleur joueur de l’OL est payé 183 000 euros par mois. »

Ça choque. Forcément. Les inégalités salariales sont la partie émergée de l’iceberg. La plus visible et la moins contestée par les sceptiques. Mais le problème majeur dans la partie immergée. La partie très insidieuse puisque marquée depuis très longtemps par les stéréotypes de genre.

En matière de sport, les femmes pratiquent moins fréquemment, moins intensément et sont moins compétitives. Quand on regarde du côté des causes de mortalité, on s’aperçoit que la première chez les femmes est due aux pathologies cardiovasculaires.

« Or, qu’est-ce qui prévient des maladies ? Le sport ! Les femmes font moins de sport et meurent principalement de maladies cardiovasculaires. J’y vois là une vraie inégalité en terme de santé. », précise Mélissa Plaza. 

L’ARGUMENT BIOLOGIQUE…

Dans les pratiques, on observe d’un côté des sports pensés masculins et d’un autre des sports pensés féminins. Peu sont pensés comme mixtes. C’est ce qu’elle appelle le couloir de verre et qui se retrouve également dans la manière de penser les métiers. Sans oublier le plafond de verre, qui comprend les inégalités salariales mais aussi le constat – là aussi applicable aux métiers – que plus on grimpe dans les échelons, plus les femmes disparaissent, n’accédant que très rarement à des hauts postes à responsabilités.

Pourquoi ? Comment expliquer ces inégalités plurielles ? En premier est avancé l’argument biologique, « une aberration évidemment, les choses changent selon les époques et les contextes. Et puis si on prend par exemple le soccer aux Etats-Unis, c’est un sport quasi exclusivement joué par les femmes donc ça ne tient pas ! »

Sans nier les différences de puissance musculaire, due notamment à la testostérone, ou de force supérieure chez les hommes dans le haut du corps principalement, il est impossible de mettre l’argument biologique sur la table.

« Moi, ce que je dis à ceux qui y croient, quelque soit le contexte, c’est de repenser à l’esclavage. Nous avons asservi les noir-e-s à cause de ces prétendus arguments biologiques. », souligne la footballeuse. 

Elle donne des exemples inspirants de femmes ayant remporté des épreuves mixtes. En 1992, Zhang Shan remporte le titre, en tir sportif, aux JO de Barcelone et en profite pour battre le record mondial de cette épreuve. En 2002, 2003 et 2005, Pamela Reed remporte l’ultramarathon de Badwater.

En 2019, Jasmin Paris remporte la Montane Spine Race, l’un des plus difficiles ultramarathons au monde. Elle ne se contente pas de gagner, elle bat de 12h le record (établi avant elle à 95h) de ses homologues masculins. Et ce en faisant plusieurs pauses pour tirer son lait.

On peut multiplier les exemples du nombre de sportives à rafler les médailles et à trôner en haut des podiums, sans qu’elles ne soient des exceptions. Pourtant, on a souvent tendance à penser qu’elles ne sont pas nombreuses à pouvoir réaliser ces performances que l’on qualifiera alors d’exploits, impliquant ainsi une forme de rareté ou d’exception venue confirmer la règle.

FACE AUX STÉRÉOTYPES

Cette règle qui finalement n’est rien de moins qu’un stéréotype de genre : « A la base, le cliché, c’est une technique d’impression pour dupliquer à l’infini des documents. Walter Lippmann nous dit qu’on a tous des images dans la tête pour comprendre notre environnement. Parce que pour catégoriser les milliers d’informations qui nous parviennent à la minute, on a tous et toutes besoin des stéréotypes. Il faut être extrêmement vigilants, à tous les instants, face aux stéréotypes de genre. On est tous et toutes potentiellement auteur-e-s et victimes de discrimination. »

Pour comprendre les stéréotypes, Melissa Plaza approfondit la notion de « gender studies », un courant de recherches scientifiques sur les représentations genrées. On y distingue sexe biologique, qui s’apparente à de l’inné, et genre, qui s’apparente à de l’acquis.

« Le sexe biologique se définit par 4 critères : le sexe apparent, les chromosomes (XX ou XY), les hormones (testostérone ou œstrogène) et les gonades (ovaires ou testicules). Mais il arrive qu’on ne rentre pas dans les cases. Rappelez-vous de Caster Semenya (athlète double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, ndlr) qui a un chromosome XXY, on l’a met où ? Elle a été questionnée sur son identité par de nombreux examens intrusifs et on lui a dit qu’il fallait soit qu’elle se fasse réduire le clitoris soit injecter des oestrogènes. En 2018. Qui décide du taux pour les hommes ou pour les femmes ? », s’insurge Mélissa Plaza. 

Elle milite pour que soient inclus d’autres critères tels que la pilosité, la voix, etc. « 10% de la population est androgyne. C’est le même pourcentage que pour les roux. La catégorisation ne convient pas à l’extraordinaire singularité que sont les êtres humains. », précise-t-elle. 

Dès la naissance et la définition du sexe de l’enfant selon les 4 points abordés précédemment, l’enfant va être traité différemment selon qu’il soit fille ou garçon. On peut être autoritaire, sensible et aimer les enfants et ce peu importe son sexe. Mais dès la petite enfance, les stéréotypes de genre interviennent et marquent notamment le processus de socialisation :

« Chez les garçons, on va leur apporter une stimulation moteur. Aux petites filles, on va parler et sourire. On va privilégier les sports pour les garçons, les activités calmes comme la lecture pour les filles. »

DES CONSÉQUENCES LOURDES

Les rayons et catalogues se remplissent de bleu et de rose, les jouets des garçons d’un côté, les jouets des filles de l’autre. Des jouets bleus qui emmènent l’enfant vers l’extérieur, des jouets roses qui cantonnent l’enfant à l’intérieur.

Et les conséquences de ce marketing genre, de cette éducation différenciée, se retrouvent dans la cour de récré. Avec des terrains de foot et de baskets majoritairement utilisés par les garçons et des zones périphériques dans lesquelles les filles se réfugient non par choix mais par intégration de l’idée que l’espace central ne leur appartient pas.

« Dans un coin, on peut difficilement se développer. Et de là, s’instaure un rapport hiérarchique. On peut projeter plus loin : les femmes qui prennent la parole en réunion le font difficilement et en plus s’excusent de le faire, se dévalorisent. Les gars prennent la parole pour dire qu’ils ont des choses à dire, les filles prennent la parole quand elles ont quelque chose d’intéressant à dire. Et encore, même quand elles ont des choses intéressantes à dire, elles ne prennent pas forcément la parole. », souligne Mélissa Plaza qui a bien connu la difficulté de s’intégrer dans les matchs de foot dans la cour de l’école, épreuves qu’elle raconte dans son livre qui paraitra, aux éditions Robert Laffont, le 9 mai prochain, intitulé Pas pour les filles ?.

La grande difficulté de ces stéréotypes réside dans leur influence inconsciente. Dans le fait qu’ils s’activent automatiquement dans les esprits. Mais, comme le souligne la docteure en sociologie, cela ne veut pas dire qu’on les considère comme vrais. Tout dépendra de l’éducation – pas uniquement parentale, mais aussi scolaire, artistique, sportive, médiatique, etc. – que l’on aura reçue.

Toutefois, le stéréotype, lorsqu’il s’active et qu’il peut potentiellement nous concerner, entraine souvent la sous-performance. C’est ce que montrent différents tests utilisant d’un côté la menace du stéréotype et de l’autre non :

« On réussit bien moins que si le stéréotype n’a pas été activé. Ça s’est démontré avec un test de géométrie pour un groupe et un test de dessin pour un autre, alors qu’en fait il s’agissait du même exercice. Les filles ont bien réussi en géométrie qu’en dessin. Parce que le stéréotype s’est activé sur la géométrie. Ça marche aussi dans le sport. Et ça touche évidemment la motivation. Combien de gens passent à côté de leurs vies ? Combien sont frustrés, malheureux… à cause de ça ? »

DU STÉRÉOTYPE À LA DISCRIMINATION

Ce que Mélissa Plaza explique à partir du stéréotype, c’est que celui-ci est un socle de connaissances. Qui va ensuite passer au niveau supérieur en y ajoutant une valeur morale : le préjugé. Et se transformer in fine en discrimination. C’est-à-dire qu’il va agir sur le comportement.

Elle s’insurge : « C’est la conséquence ultime du stéréotype. Et dans le foot, elle se loge dans tous les détails : les écarts de salaire, les équipements trop grands, exactement comme dans le cas de la mission spatiale qui devait être 100% féminine et qui finalement est mixte car impossible de trouver deux combinaisons en M, c’est impensable ! En 2009, je gagnais 400 euros par mois alors que pourtant on était en ligue des champions. Et beaucoup de filles ne gagnent même pas ça ! »

Tellement profondément ancré, le sexisme devient « ordinaire ». C’est sur le récit d’un événement qui lui est arrivé que la footballeuse termine. En 2011, alors qu’elle joue à Montpellier, le club décide de faire de la promo et sollicite quatre joueuses pour réaliser une pub.

On leur explique cependant que ni leurs noms, ni leurs visages, ni le nom du club n’apparaitront sur la campagne d’affichage. Elles tapent du poing sur la table et obtiennent gain de cause. Noms, visages et club seront signalés sur les affiches.

Lors du shooting, Mélissa Plaza réalise que les poses demandées sont très suggestives mais elle l’avoue, elle ne réagit pas. Il est trop tard. Elle se découvre placardée en 4x3 sur des panneaux la montrant de dos, torse nu, en mini short. Le slogan : « Samedi soir, marquer à la culotte ». L’objectif : vendre des abonnements pour les matchs de l’équipe masculine du Montpellier Hérault.

« Et bien je peux vous dire que j’ai regretté qu’il y ait mon nom, mon visage et le club. Ils ont fait des affiches similaires avec les footballeurs. Je peux vous dire que c’était autre chose quand même. Olivier Giroud caressait son cuir et le slogan était « Samedi soir, lâcher la pression ». L’affiche sur laquelle je suis s’est retrouvée dans la cafet’ de ma fac où je faisais une thèse sur les stéréotypes de genre. », commente-t-elle, devant les yeux ébahis de stupeur des personnes présentes à la conférence. 

AGIR CONTRE LE PATRIARCAT, PAS ORDINAIRE ! 

Lors de son témoignage, elle révèle l’affiche, preuve d’une manipulation malheureusement aussi « ordinaire » que le sexisme qui l’accompagne. « Cette image, je la laisse sur le net pour bien me souvenir de pourquoi je monte sur scène chaque jour. », conclut la footballeuse et docteure en sociologie qui au quotidien agit contre les discriminations de genre dans le milieu sportif, mais pas seulement. 

Pas de doute, Melissa Plaza sera là du 7 juin au 7 juillet pour encourager les footballeuses du monde entier lors de la coupe du monde de football – organisée en France, dans plusieurs villes d’accueil dont Rennes -, apprécier la beauté de ce sport qu’il lui a sauvé la vie et donner l’occasion de s’émanciper mais aussi pour rappeler que la vigilance face aux discriminations (pas seulement de genre) s’effectue au quotidien.

Célian Ramis

Corps en souffrance : Les forces de la liberté

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Les manières de se réapproprier son corps sont aussi nombreuses que les souffrances que l’on peut endurer en tant que femmes. Comment la reconstruction trouve-t-elle soutien et force dans l'énergie d'un collectif non mixte ?
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Du 5 au 29 mars, la Ville de Rennes met l’accent sur les luttes passées, actuelles et à venir en matière de droits des femmes, en vue de l’égalité entre les femmes et les hommes. La thématique de cette année : « Des esprits libres, des corps libres, construisons ensemble l’égalité ».

De par les violences sexistes et sexuelles, de par la pression d’une société basée sur l’apparence, de par la construction sociale et culturelle, de par des maladies impactant les zones intimes de la féminité, le corps est mis régulièrement à l’épreuve.

De quelles manières peut-on se réapproprier son corps lorsque celui-ci a été mis en souffrance ? Quel est l’apport de cette démarche individuelle lorsque celle-ci est intégrée à un collectif, quasi exclusivement composé de femmes concernées de près ou de loin par les mêmes problématiques ?

Le corps des femmes constitue un enjeu politique très fort dans les rapports de domination. Preuve en est avec le viol comme arme de guerre mais aussi comme base de conception d’une culture qu’on répand dans les médias, les œuvres cinématographiques et artistiques, dans l’éducation genrée et sexiste, dans les publicités, etc. La culture du viol contraint à penser que les hommes sont sujets et dominent les femmes qui elles sont objets. De cette société aux valeurs patriarcales intégrées et transmisses de génération en génération découle donc l’idée que le corps des femmes ne leur appartient pas entièrement, pas réellement. Elles n’en disposent pas librement. Grand nombre de souffrances viennent chatouiller, ou plutôt poignarder, nos bourrelets, seins, vergetures, utérus, culs, jambes et amas de cellulite. Et pourtant, ces corps combattent, main dans la main avec l’esprit, contre les injonctions, les épreuves, les difficultés. Pour la réappropriation des corps, plus libres, plus réels, plus vivants. 

Les petites filles sont éduquées dans l’idée qu’elles sont fragiles, discrètes, sensibles. Mais aussi dans l’idée qu’elles vont devoir souffrir. Souffrir pour être belle, enfanter dans la douleur, se tordre à l’arrivée des règles… Le paradoxe de l’injonction à être femme. Douillettes, elles doivent serrer les dents et les fesses. Une vie de souffrance, d’injustices et de discriminations les attend, mieux vaut les préparer dès la petite enfance, à endurer les épreuves de la féminité et à payer les dérives de la masculinité toxique. Pourquoi ?

DE DÉESSES À IMPURES

Au moment des premières règles – appelées les ménarches – les filles intègrent le poids de la honte et de la peur, transmis de manière plus ou moins inconsciente dans l’imaginaire collectif. Dans l’essai Le mythe de la virilité, la philosophe Olivia Gazalé démontre que pendant un temps les femmes, de par le pouvoir de donner la vie, étaient érigées en déesses.

Elles étaient alors vénérées jusqu’à la découverte que « la procréation n’est plus le privilège exclusif et magique de la femme, cette prérogative sacrée au nom de laquelle il avait fallu, durant des millénaires, l’adorer, la prier et lui faire des offrandes, mais une affaire de semence mâle et de labour viril du sillon matriciel. »

Dès lors, la femme ne devient rien d’autre « que le réceptacle destiné à recueillir le précieux liquide séminal. Tandis que son ventre est discrédité, le sperme devient un objet de culte, au même titre que la fascinante machine dévolue à son intromission dans le ventre féminin : le phallus. »

Depuis, les femmes enceintes sont sacralisées, les femmes menstruées dénigrées. Le moment des règles représentant l’impureté, les non fécondées sont mises de côté, écartées, exilées, exclues (l’exil menstruel existe encore dans certains endroits, comme le Népal où le rituel est pourtant interdit par le gouvernement depuis 2005).

À cela, la philosophe ajoute : « Au commencement de l’histoire, les règles auraient donc été considérées, dans certaines cultures, comme sacrées, avant que les religions patriarcales ne les stigmatisent et assimilent la femme à l’animalité dans ce qu’elle peut avoir de plus répugnant, l’obligeant à s’éloigner périodiquement de la communauté humaine à la première goutte de sang et à se décontaminer avant d’y être réintégrée. »

LA DÉPOSSESSION DU CORPS

Ainsi, le tabou perdure, les jeunes filles intégrant cet héritage inconscient et patriarcal qui participe à leur invisibilisation dans la société. Elles grandissent avec la peur de la tâche de sang sur le pantalon, la peur des mauvaises odeurs, la honte d’évoquer et de nommer précisément les menstruations.

« Cette peur d’être trahie par son corps en permanence, c’est la base de la dépossession de nos corps. », expliquait justement la réalisatrice militante Nina Faure, auteure du documentaire Paye (pas) ton gynéco, lors de sa venue à Rennes le 27 novembre dernier.

Et en s’emparant de nos corps, les hommes pensent détenir le pouvoir suprême. Et vont plus loin, comme le souligne Olivia Gazalé dans son chapitre « La légitimation de l’exclusion par l’infériorité féminine » : « Il se pourrait en outre que le sang menstruel ait joué un rôle encore plus important dans l’histoire de la construction des sexes que la simple exclusion temporaire des femmes du lit conjugal ou de la maison. Il est possible qu’il soit aussi la cause (ou plutôt le prétexte) de leur exclusion permanente de certaines professions, et cela dès l’époque des chasseurs-cueilleurs, donc bien avant l’apparition des grandes religions. Une division des tâches qui est aussi un partage du monde en deux, entre une sphère masculine, très vaste, mais hermétiquement close, et une sphère féminine, beaucoup plus limitée, faite d’empêchements, d’entraves et d’interdits. »

CONTRÔLER LE SEXE FÉMININ

Le corps des femmes n’a donc pas toujours été l’apanage des hommes mais l’est devenu depuis très longtemps et divise l’humanité en deux catégories dont l’une est soumise à l’autre, dans une violence inouïe. Dans Le mythe de la virilité toujours, l’autrice démontre de nombreuses symboliques à ce propos.

Si le vagin est un antre obscur puisque caverneux et a priori dangereux, les hommes n’ont pas d’autre choix que de l’accepter pour engendrer des fils. Mais le clitoris lui a bien trop de puissance sur la jouissance et d’inutilité scientifique sur la reproduction : « L’idée est simple : sans clitoris, pas de jouissance, donc moins de risque d’adultère. » 

L’excision est donc une protection supplémentaire contre l’infidélité de la femme, dont la figure dominante est celle de la femme à l’insatiable sexualité. « Cette opération dangereuse, qu’elle prenne la forme d’une ablation du clitoris ou d’une infibulation, s’est pratiquée et se pratique encore à une très large échelle à travers le monde. Elle n’a toujours pas disparu en France, où elle est exécutée clandestinement, dans des conditions d’hygiène désastreuses, par des communautés venues du Mali, du Sénégal, de Mauritanie, de Gambie ou de Guinée. »

Elle analyse également le viol comme arme politique, « arme de destruction massive », comme l’écrit Annick Cojean dans Le Monde en 2014, pour parler de la situation en Syrie mais ces termes sont applicables également au Viêtnam, au Rwanda, en Bosnie, en Centrafrique et au Soudan du Sud, rappelle Olivia Gazalé :

« Engrosser la femme de l’ennemi est la meilleure façon d’étendre son empire et d’anéantir la lignée d’en face. C’est donc un meurtre contre la filiation, le meurtre symbolique de la communauté, l’extension du domaine de la folie génocidaire. Quand tout commence et tout finit dans le ventre des femmes… »

Un ventre bien contrôlé qui dans les années 70 prendra également la forme d’un crime peu connu et reconnu que la politologue féministe Françoise Vergès met en avant dans Le ventre des femmes – Capitalisme, racialisation, féminisme : les stérilisations et avortements forcés à la Réunion pratiqués par des médecins blancs, sur ordre du gouvernement français. 

LES RAPPORTS DE DOMINATION PERSISTENT

Si aujourd’hui on aime à penser une évolution certaine grâce aux luttes féministes des années 60 et 70 pour l’accès à la contraception et à l’avortement ainsi que la libération sexuelle, on se fourvoie. Les combats ont permis d’obtenir des droits, c’est une réalité, heureusement.

Mais ces droits conquis sont sans cesse menacés, principalement par les montées des extrêmes au pouvoir un peu partout dans le monde mais aussi par la perpétuation des traditions archaïques et misogynes. Fin janvier 2019, une jeune népalaise de 21 ans décède durant son exil menstruel (rappelons encore une fois que le rituel chhaupadi est interdit depuis 14 ans maintenant).

Fin février 2019, une jeune argentine de 11 ans accouche par césarienne à la suite d’un viol commis par le compagnon de sa grand-mère (en Argentine, l’avortement est illégal mais autorisé en cas de viol, sauf quand la Justice laisse trainer les dossiers de demande d’avortement afin de dépasser le délai pour le pratiquer…).

Début mars 2019, en France, 30 femmes ont été tuées depuis le 1er janvier par leur compagnon ou ex compagnon. Le corps des femmes reste un enjeu terriblement actuel dans les rapports de domination. La souffrance corporelle et psychologique comme héritage maternel n’est ni entendable ni tolérable.

Les voix des femmes sont nombreuses à s’élever contre ces diktats essentialistes, visant à faire croire à la population que cela serait « naturel » chez les femmes de subir leurs cycles ou d’accoucher dans la douleur, et autres sornettes du genre. Les violences gynécologiques et plus largement médicales sont sévèrement dénoncées ces derniers mois mais peu prises au sérieux, dans le sens où la parole des femmes reste remise en cause et que les formations ne sont toujours pas composées de modules continus concernant l’accueil et l’écoute des patientes.

Car il est nécessaire aujourd’hui de déconstruire le rapport de domination qui place le sachant sur un piédestal et le patient – particulièrement lorsque celui-ci est une personne de sexe féminin, une personne transgenre, une personne racisée, une personne intersexe, une personne non binaire, une personne homosexuelle, bisexuelle, pansexuelle, etc. – dans une position d’infériorisation.

« On a toujours été conditionnées pour souffrir. C’est une construction sociale et culturelle et on voit la force de cette création qui se transmet de génération en génération. Ça a une incidence sur notre manière de concevoir nos cycles… J’ai été libérée le jour où j’ai compris que non, on n’a pas à souffrir ! »
explique Lucie Cavey, 39 ans, professeure de yoga (HappyKorpo) qui anime des cours notamment au sein de la structure O’nidou.

Elle constate, pour sa génération, un manque d’éducation et de transmission quant au corps féminin et son fonctionnement. Un sujet tabou, souvent tu dans les familles, ou peu évoqué, rarement enseigné au cours de la scolarité, que l’on soit dans le public ou dans le privé.

« Je pense que c’est important d’être éduquées à ces questions-là dès l’enfance. Je suis d’une génération où avec mes parents je n’ai pas eu l’impression d’avoir une transmission sur les cycles, les règles, la sexualité, etc. Et ça m’a manqué. En tant que mère, j’en parle à mes filles. Je n’ai aucun tabou par rapport à ça, je veux pouvoir répondre à toutes les questions pour qu’elles ne soient pas surprises ensuite. », poursuit-elle. 

FIN DU SILENCE ?

La surprise, on en parle de plus en plus. La surprise de ne recevoir aucune information en consultation gynécologique autour de tous les moyens de contraception. La surprise de n’être que trop rarement consultées quant à notre consentement face à un examen médical, en particulier quand celui-ci nécessite une pénétration dans le corps. La surprise d’être traitées uniquement comme un corps dont on ne s’occuperait pas bien si le médecin n’était pas là pour nous rappeler les bases, un corps qui ne renfermerait rien d’autre que des organes, des tissus, des vaisseaux sanguins, etc.

La surprise d’être violentées verbalement – et sexuellement dans certains cas – à travers des réflexions sexistes, LGBTIphobes, racistes, grossophobes, handiphobes… Le silence a duré parce que les femmes avaient – encore aujourd’hui – intégré l’infériorisation et la dépossession de leur corps.

« Aujourd’hui par exemple l’accouchement est devenu un acte médical et la grossesse une maladie. J’ai des ami-e-s qui vivent des démarches de PMA (Procréation Médicalement Assistée) et qui me racontent, je suis horrifiée. C’est un moment qui est dur physiquement et psychologiquement, durant lequel leur corps est fragilisé par le problème de fertilité et les traitements et elles passent de médecin en médecin, pénétrées d’examen en examen… C’est très difficile. », précise Lucie qui pointe alors la déshumanisation ressentie par de nombreuses femmes – et hommes – face au corps médical.

Pour elle, il faut « qu’en tant que femmes on s’affirme, on demande des informations face aux professionnel-le-s, qu’on apprenne et qu’on ose dire non, que l’on refuse leur façon de faire quand ça nous va pas, qu’on les oblige à nous respecter. Certaines personnes concernées le font déjà et ce sont elles qui font bouger les choses. Il est important de mieux connaître notre corps pour être plus sereines et vivre tout ça de manière moins passive, comme par exemple je pense à l’accouchement, où on ne nous dit pas qu’on peut bouger même une fois qu’on a eu la péridurale mais c’est possible ! Il faut retrouver ou gagner en confiance pour oser dire les choses et affirmer nos choix. Si on ne dit rien, le protocole médical sera suivi, point. Quand le corps médical voit arriver une femme bien décidée, il laisse faire et vient en soutien. » 

DÉPOSSÉDÉES PAR LA MALADIE

Annie, 58 ans, et Chantal, 63 ans, sont toutes les deux membres de l’équipage des Roz’Eskell, pratiquant le dragon boat  - le bateau dragon est un type de pirogue – activité proposée par l’association CAP Ouest (Cancer Activité Physique) pour les femmes ayant été atteintes du cancer du sein. Pour Chantal, pas question de se laisser manipuler sans comprendre le pourquoi du comment :

« Je veux tout savoir pour comprendre et choisir. C’était une étape pour moi pour accepter la maladie. À ce moment-là, on est actrices de la survie immédiate. Mais quand les soins sont terminés, il y a un grand vide. Parce qu’après ça, tu fais l’inventaire des dégâts et il y en a sur le plan social, physique, professionnel, financier… Et puis on rentre avec des drains à la maison, on ne sait pas quoi en faire… Surtout que maintenant ils essayent de tout faire en ambulatoire… Moi j’avais envie de rester à l’hôpital, qu’on s’occupe de moi. Je me sentais pas reconnue et vulnérable. »

Pour Annie, le temps s’est accéléré au moment de la nouvelle. Tout s’est enchainé rapidement : « Après les examens qu’on m’a fait passer, je m’attendais à ce qu’on me dise que j’ai un cancer du sein mais ça m’est tombé dessus du jour au lendemain et surtout je ne m’attendais pas à la mammectomie. En une semaine, hop, tu passes au bloc. Tu y rentres avec deux seins, tu ressors avec un seul. Et tu vois que c’est plat, même s’il y a des pansements. À ce moment-là, on est complètement dirigées par les médecins. On est dépossédées de ce qu’on peut faire de notre corps à cause de la maladie. »

FEMMES AU-DELÀ DES ÉPREUVES

Face au cancer du sein, qui touche un peu plus de 50 000 femmes par an, les réactions sont diverses, en fonction des individus. « Avec le cancer, on a un corps meurtri, un corps fatigué. Lors de mon premier cancer, j’ai pas entendu. Le deuxième, j’étais vraiment très fatiguée. La question de la réappropriation, ça va être ‘Comment je me réapproprie un corps fatigué ?’. La mammectomie par contre, ça met un coup sur le plan de la féminité, de la sexualité. Et ça, on n’en parle pas en consultation. Moi je me suis dit ‘Bon tu étais une femme avant et bien tu restes une femme !’ », déclare Chantal qui arrive désormais à affirmer qu’elle se sent mieux, qu’elle se sent bien.

Pour Annie, le travail mental a été différent. « Le regard du conjoint est important et mon regard à moi aussi bien sûr. Le fait de mettre la prothèse le matin, l’enlever le soir… À ce moment-là, j’avais l’impression que tout le monde le voyait, que c’était marqué sur ma figure. Moi, je matais les seins de toutes les femmes, je pouvais pas m’en empêcher. Alors, avec une prothèse, tu ne t’habilles plus pareil, tu fais attention aux habits par rapport à ta poitrine. T’es obligée d’aller dans des boutiques spécialisées pour la lingerie pour avoir des trucs moches comme tout. Tu te dis que plus jamais tu pourras mettre des jolis petits soutifs… Ça prend du temps, la réappropriation se fait en plusieurs temps, petit à petit. Moi, j’ai opté pour la reconstruction mammaire, j’ai fini récemment. Maintenant je ne regarde plus les seins des autres et j’arrive à dire que j’ai deux seins ! », affirme-t-elle, sourire aux lèvres.

Si elles s’accordent à dire que la féminité n’est pas définie que ou par la poitrine, elles parlent toutes les deux d’une nouvelle et d’un passage traumatisants et bouleversants lorsque les médecins annoncent et réalisent la mammectomie. Sans oublier les complications qui peuvent survenir post opération.

« J’ai eu une nécrose à la suite de ça, ça a été deux mois de pansement à domicile. C’est un peu traumatisant. », confie Chantal. Un point libérateur pour elle est survenu lorsque son chirurgien a employé le terme de « mutilation » :

« Ça m’a fait énormément de bien de l’entendre dire ça. Parce que oui, c’est une mutilation. Et ça m’a fait du bien de l’entendre au moment j’allais faire la reconstruction. » 

SE CONNECTER À SON CORPS, À SON CYCLE

Le travail d’acceptation et de réappropriation peut être long, fastidieux et intense face à la maladie, même en cours de rémission ou en rémission. On parle pour les femmes principalement de cancer du sein, mais il existe aussi l’endométriose qui peut entrainer le corps et l’esprit dans de grandes souffrances. Ici, liées au cycle menstruel.

Lucie Cavey anime régulièrement chez O’nidou des séances Happy Moon durant lesquelles le cycle est spécifiquement le sujet (la prochaine aura lieu le 5 avril, de 19h30 à 21h30), et tous les jeudis midis, un cours de yoga doux à destination des femmes :

« L’idée est de pouvoir se réapproprier son corps. On n’est pas obligées d’être victimes de nos cycles. On peut s’appuyer sur chaque période du cycle pour mieux les vivre et essayer de travailler des postures qui soutiennent l’énergie. On a tous de l’énergie masculine et de l’énergie féminine mais comme on vit dans une société très masculine, on ne sait plus trop ce qu’est l’énergie féminine. Dans les cours de yoga doux, je leur demande comment elles vont, comment elles se sentent et où elles en sont en gros dans les cycles et à partir de là, j’adapte la séance. Car il y a des postures qui peuvent faire du bien plus à une période qu’à une autre. »

La professionnelle pratique également le yoga régénérateur (dont la prochaine séance aura lieu le 24 avril de 19h30 à 21h30), une pratique spécifique à réaliser allongée, en étant soutenue par des coussins, des couvertures, etc. dans un but de relâchement total pour mettre le corps au repos.

Ce qui permet non seulement de recharger les batteries mais également d’amener de la respiration dans le bas ventre et l’utérus. Pour elle, corps en activité et corps au repos doivent aller de pair dans la journée, non de manière simultanée mais différenciée, toujours dans l’écoute de son corps :

« On peut prendre appui sur nos cycles et pour ça on doit s’autoriser à écouter son propre rythme. Et on doit être libre d’en parler, ça c’est encore problématique. Dans les cours de yoga, on va pouvoir par exemple travailler des postures qui peuvent soulager l’endométriose ou les règles douloureuses. Il y a un poids social très fort autour des règles. Même les douleurs au moment de l’ovulation, on en parle très peu. Je travaille actuellement là-dessus au niveau personnel, il est important de mieux se connaître, de dédramatiser et d’oser affirmer qu’à certains moments du cycle, on a besoin de repos. Il est important que les femmes reprennent le rôle de leur vie. Personne ne peut savoir à notre place. Et c’est pareil avec le corps des femmes enceintes. C’est notre corps et personne ne peut décider ou savoir à notre place. »

Dans les groupes, elle a des femmes de différents âges, avec (ou sans) des problématiques diverses, de l’endométriose à la ménopause en passant par la démarche de PMA et les cycles irréguliers, qui en sont à des étapes différentes de leur vie de femme à part entière.

Ce qui l’intéresse, c’est de les mener vers l’écoute de leurs besoins et de leurs possibilités. En cherchant à reconnecter le corps et l’esprit quand ceux-ci se sont décalés :

« L’automassage par exemple est un bon moyen d’être en connexion : le fait de palper, toucher. On ne le fait quasiment jamais parce que c’est un tabou. Mais c’est important de toucher le bassin, le ventre, les seins, le pubis et ça permet d’enlever les tabous par rapport à ça. En observant son corps et les énergies qui y circulent tout comme les tensions, on apprend beaucoup de choses. »

PORTÉES PAR L’ÉNERGIE COLLECTIVE

À partir de démarches individuelles dans un objectif individuel, de reconstruction personnelle et de réappropriation d’un corps en souffrance ou ayant été en souffrance, elles vont trouver de la liberté et du soutien dans le collectif. Au moment ou à la période où survient la mise en difficulté du corps, la personne vit seule l’épreuve.

« Même quand tu es entourée, que tes proches sont présents, tu es seule dans la maladie, le cancer isole, tu es seule au bloc. », souligne Chantal qui a rejoint les Roz’Eskell peu de temps après la création de l’activité par l’association CAP Ouest, tandis qu’au départ, elle ne souhaitait pas intégrer une groupe de femmes :

« Je n’ai jamais été qu’avec des femmes donc ce n’était pas évident pour moi. Rapidement, j’ai été convaincue par l’énergie collective. Quand on est fatiguée, on peut s’arrêter de pagayer pour souffler et le bateau avance quand même. Et puis en dragon boat, on pagaie vers l’avant. Ça donne de l’espoir de toutes faire avancer le bateau ensemble. C’est une activité qui est bonne pour le drainage lymphatique, une activité physique adaptée pendant ou après le traitement. Et c’est un tremplin pour revenir ensuite vers une activité physique ordinaire. On vit des choses tellement exceptionnelles qu’on y reste. »

Annie est devenue une dragon lady fin 2014, en venant avec une amie à elle également atteinte d’un cancer du sein : « Déjà, ça nous permet de faire autre chose et de ne pas être définies que par les rendez-vous médicaux. Et puis, on est allées à la vogalonga de Venise. Avoir un but comme ça, c’est un défi à relever. Fin 2014, j’étais encore en chimio. En mai 2015, j’étais à Venise avec l’équipe. Et comme dit Chantal, quand on est sur l’eau, on le dit à chaque fois aux nouvelles, on arrête dès qu’on est fatiguées, on se repose et un jour, elles aussi pagaieront pour celles qui auront besoin de se reposer. C’est sportif comme activité. Il faut faire à son rythme. On doit adapter à celles qui sont fatiguées, qui arrivent, qui sont encore en traitement, etc. même si on aurait envie de progresser davantage, de faire en plus une équipe mixte, pas uniquement réservé aux personnes malades, etc.» 

LA SORORITÉ, POUR SOUFFLER ET AVANCER

Finalement, elles expriment là une appropriation complète de l’activité en elle-même qui leur a permis non seulement de reprendre le sport mais aussi de trouver un groupe porteur d’énergie dans lequel elles ont évolué et gagné en confiance. L’appréhension de Chantal s’est évaporée rapidement :

« En fait, j’ai vraiment envie de parler de sororité. On a développé une certaine sororité entre nous, même si on s’entend mieux avec certaines personnes que d’autres, ça c’est normal. Avant ça, j’avais un rapport à la féminité, que j’ai encore aujourd’hui, où je pense que chacun est comme il est mais moi je ne me maquillais jamais, je ne portais jamais de tenues extravagantes. Là, d’être avec des femmes qui mettent des boucles d’oreille, du rouge à lèvre, etc. ça donne envie. Par exemple, je pense en ce moment à me faire un vrai tatouage car l’encre du tatouage fait lors de la reconstruction est éphémère. Je n’aurais pas envisagé ça avant. Mais y a pas d’âge pour un tatouage ! Peut-être en fait tout simplement que le fait de partager cette activité entre femmes me permet de m’autoriser à plus de choses. »

Pendant son cancer et son traitement, Annie était très vigilante à l’image qu’elle renvoyait quant à son physique. Ne pas porter la perruque n’a pas été une option envisageable : « Je ne serais pas sortie sans ! Aujourd’hui, les femmes assument plus et viennent aux entrainements sans leur perruque. Aujourd’hui, je me dis que je pourrais le faire. Parce que j’ai parcouru tout ce chemin ! C’est une sacrée école d’aller sur le bateau. Je ne vais pas rester là toute ma vie mais pour l’instant, j’ai envie de cocooner les nouvelles, de prendre soin des unes des autres, d’être bienveillante. Et quand on est bien avec soi, on est bien généralement avec les autres. On ne parle pas forcément beaucoup de la maladie ou autre mais ça arrive que l’une d’entre nous évoque des douleurs, ou parle d’un rendez-vous (Chantal intervient : « Si elle n’a personne pour l’accompagner on peut lui proposer de venir avec elle si elle le souhaite. »), des médicaments. Quand certaines ont su que j’avais fait de la reconstruction mammaire, elles sont venues me poser des questions. On échange. »

ESPACE DE LIBERTÉ ET D’ÉCHANGES

De la même manière, Lucie Cavey évoque la sororité dans les cours de yoga doux, un espace dans lequel les unes et les autres peuvent partager des vécus et expériences communs et/ou différents mais aussi des lectures ou autres.

« Les femmes pour la plupart ne sont plus en lien avec leurs cycles. On ne leur apprend pas à écouter, observer, prendre le temps de se reposer quand c’est nécessaire et ça l’est. Ici, on est entre nous, c’est un chouette espace d’échanges où on peut dire librement qu’on est à la masse, comment on vit sa PMA, etc. On peut libérer la parole et apprendre des unes et des autres. Il y a des femmes qui ont des enfants, d’autres qui essayent d’en avoir, d’autres qui n’en veulent pas, des femmes qui travaillent, d’autres non, par choix ou pas…», commente Lucie qui rejoint également le discours d’Annie et Chantal concernant le vecteur boostant et stimulant du collectif sécurisant et bienveillant.

Elles expriment toutes un gain ou regain de confiance en elles, ayant eu alors la preuve de leurs capacités et de leur ancrage en tant que femme malgré l’épreuve subie. « Il n’y a pas une seule manière de vivre ses cycles ou les difficultés de manière générale. Le groupe fait ressortir la multiplicité d’une base commune. », conclut la professeure de yoga.

Un propos global qui se retrouve également du côté de l’association rennaise ACZA qui lutte contre l’excision à travers des actions de sensibilisation et de partage dans les témoignages et les événements, comme tel est le cas avec l’élection de Miss Afrika ou encore avec la marche contre l’excision  - qui a eu lieu le 1erdécembre – à l’occasion de laquelle des membres de la structure, victimes d’excision dans leur enfance, avait exprimé cette sororité.

Une sororité essentielle à la libération de la parole qui s’accompagne en parallèle – pas toujours – d’une reconstruction chirurgicale du clitoris. Une sororité qui agit donc en soutien à une démarche personnelle de réparation dans certains cas et de réappropriation du corps et qui peut participer à l’acceptation, au mieux-être et au bien-être. 

NE PLUS ACCEPTER D’ÊTRE DÉPOSSÉDÉES

Travailler sur la confiance en soi permet donc de lutter contre le processus de dépossession du corps dont parle Nina Faure puisque cela va permettre de au moins diminuer la peur d’être lâchées ou trahies par notre propre corps à n’importe quel instant. Et de cette réflexion, on peut tirer la ficelle jusqu’à la représentation de nos corps dans l’espace public.

Le « clac clac » des talons va prévenir qu’une femme traverse la rue, la jupe va attirer l’attention sur les formes, les jambes et les fesses. Peut-être va-t-elle remonter et sa porteuse, être insultée, harcelée, agressée. Parce qu’elle est seule en pleine nuit. Depuis petites, les filles sont éduquées à la peur de l’inconnu, la peur de l’espace public – nocturne particulièrement – et la peur du prédateur.

Elles intègrent des injonctions et des assignations, imposant alors des stratégies d’évitement – ne pas rentrer seule, mettre des baskets pour rentrer, emprunter des trajets que l’on sait plus fréquentés et mieux éclairés, ne pas perdre le contrôle – que les garçons en majorité n’apprennent pas de leur côté…

La femme serait fragile et l’homme un prédateur en proie à ses pulsions sexuelles. Deux idées reçues toxiques mais largement diffusées et médiatisées dans ce qu’on appelle la culture du viol. De l’image de la femme-objet que l’homme peut posséder dans la sphère publique comme dans la sphère privée découlent le harcèlement de rue, les violences sexistes et sexuelles, incluant également les violences conjugales.

RENFORCER SA CONFIANCE 

« Depuis 5 ans, on a un cours spécifique pour les femmes et on a de plus en plus de femmes présentes. L’augmentation a été fulgurante. Il y avait environ une dizaine de personnes au départ maintenant on a 48 inscrites le mercredi et 45 le jeudi. Il y a parmi elles des femmes qui viennent pour des problèmes de violences par leur compagnon ou ex compagnon. Les violences sexuelles, faut bien le rappeler, c’est pas l’image du prédateur qui les attend dans la rue, c’est à 80% commis par des personnes de l’entourage ou des connaissances. De plus en plus de jeunes femmes qui viennent à cause du harcèlement de rue. », explique Frédéric Faudemer, coach en self défense et krav maga chez Défenses Tactiques, qui anime le cours Amazon training.

Il souhaite à l’avenir que le cours soit dirigé par des femmes, actuellement en formation pour devenir coachs : « Moi, je suis un gars, c’est compliqué, je ne vis pas ce qu’elles, elles vivent au quotidien. Et puis dans ce cours, spécifique aux femmes, les filles se gèrent entre elles. Elles se viennent en aide. Quand il y a des cas lourds, elles m’en réfèrent, je peux faire le lien avec mes collègues de la gendarmerie qui n’est pas toujours formée à ces problématiques mais qui en prend conscience pour améliorer l’accueil et l’écoute. Pour l’instant, c’est une collègue femme qui intervient, spécialisée dans ce domaine. »

L’objectif du cours : proposer une discipline basée sur le renforcement musculaire, l’entrainement du cardiovasculaire, la gestion du stress et l’analyse des risques. Morgane, 28 ans, secrétaire de l’association SOS Victimes 35, et Fanny, 26 ans, juriste pour la même structure souhaitant intégrer la police, suivent les séances depuis respectivement 3 ans et un an et demi (et devraient, selon Frédéric, pouvoir prendre le lead à la rentrée prochaine).

Parce qu’elles ont conscience « que contre un homme, on n’est pas à arme égale ». Ici, elles apprennent « des choses simples », pour « acquérir des réflexes », et pouvoir prendre la fuite en cas de situation dangereuse ou agression. « Il faut que ça devienne des réflexes. Pour pouvoir réagir en automatique malgré l’adrénaline sur le moment. », signale Morgane, rejointe par Fanny : « On n’aime pas prendre des coups mais le corps s’habitue ainsi à l’impact, à la douleur. »

Ainsi, le corps se renforce dans sa tonicité musculaire, dans sa capacité à encaisser et esquiver. Dans l’objectif toujours de se dégager. De fuir. Fanny et Morgane insistent sur ce point :

« On ne peut pas nier la différence physique entre les hommes et les femmes. On ne vient pas là pour apprendre à mettre des coups. Mais on apprend à être des femmes responsables, conscientes et citoyennes. C’est important aussi d’avoir conscience des limites qu’on a au niveau corporel et psychologique. Ici on apprend à avoir conscience de nos corps, de nos corpulences et surtout de nos potentiels corporels. » 

LA HARGNE DES GUERRIÈRES

Au-delà de l’apport des mécanismes, les femmes participantes peuvent aussi trouver un espace de sororité et de liberté, pour parler et pour souffler. Relâcher la pression qui pèse parfois sur leurs épaules que ce soit par rapports à des agressions subies ou le poids social d’une société aux valeurs patriarcales :

« Beaucoup de personnes viennent se reconstruire ici. On voit rapidement quand ce sont des personnes qui ont vécu des situations traumatisantes. Elles arrivent, elles sont assez renfermées, elles peuvent aussi fondre en larmes parfois sur certains exercices qui se rapprochent de ce qu’elles ont vécu. Le fait d’être une communauté de femmes fait qu’on est là pour écouter, pour échanger et puis aussi pour encourager ! »

La reconstruction passe par la réappropriation de son corps pour ne plus le ressentir comme fragile. Sans dire que l’entrainement les rend invincibles, les femmes renforcent l’assurance de leurs corps et esprit. « L’assurance, c’est très important. Ça se voit tout de suite dans la rue. Quand une femme longe les murs, on la repère. Déjà marcher avec de l’assurance diminue le risque d’agression. », souligne Fanny.

Morgane précise : « Ici, on apprend plein de petites choses pour savoir réagir n’importe quand. On apprend à se défendre avec un sac à main, un magazine, une ceinture, un portable, des talons, un parapluie, des clés… Tous les objets du quotidien qu’on pourrait avoir avec nous ou autour de nous. On n’est pas démunies, c’est ça aussi qu’on apprend. Amazon training, c’est la figure de la guerrière ! Ça a tout son sens. On est des femmes guerrières. On peut être grave fières de nous toutes. »

Si elles sont majoritairement âgées entre 20 et 30 ans, tous les âges et tous les profils se côtoient au sein des cours du mercredi et du jeudi soirs, dans le quartier Ste Thérèse. C’est là qu’aura lieu samedi 9 mars une journée de stage à la self défense réserveé aux femmes. L’occasion de découvrir dans un cadre bienveillant que chaque femme est en capacité de s’affranchir des diktats de son sexe et genre. 

Les manières de se réapproprier son corps sont aussi nombreuses que les souffrances que l’on peut endurer, particulièrement en tant que femmes. Si la reconstruction nécessite au départ une volonté personnelle, elle peut trouver du soutien et de la force dans l’énergie collective d’un groupe non mixte, ayant vécu ou vivant des difficultés similaires ou diverses. De chaque rencontre ressort la puissance symbolique, libératrice et émancipatrice des groupes de femmes bien résolues à unir corps et esprits dans un combat au féminin pluriel.

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Lutter contre la dépossession du corps
La sororité, comme arme de réappropriation du corps
Regards sur les luttes

Célian Ramis

Femmes "chimiotées" : la force de vivre !

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Maison des associations, Rennes
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Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet de la soirée était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.
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C’est une soirée sur le fil de l’émotion que proposait l’association Yadlavie le jeudi 14 mars à la Maison des Associations de Rennes. Entre la projection du film Les belles combattantes, l’exposition éponyme et les témoignages de trois femmes ayant été atteintes du cancer du sein, le sujet était bel et bien celui de la résilience et du souffle de vie.

« C’est un film d’espoir », lance la photographe Karine Nicolleau, à qui l’on doit Les belles combattantes– à (re)découvrir sur TVR samedi 16 mars à 14h pour le documentaire et à voir à la Maison des Associations jusqu’au 12 avril pour l’exposition. 

Ainsi, durant une trentaine de minutes, l’association Yadlavie - créée en 2012 - nous permet de partager une petite partie du quotidien des Roz’Eskell (association CAP Ouest) lors de leur séjour en Chine, au pays du dragon boat, les répétitions de la comédienne Sonia Rostagni, co-auteure du spectacle 649 eurosautour du cancer du sein, et les entrainements des Riposteuses (association Solution Riposte) pratiquant l’escrime à visée rééducative. 

Dans le film, ce qui prime, ce sont les rires, les sourires, les paroles et réflexions autour des vécus des unes et des autres. Sans voyeurisme, elles livrent ici une intimité sensible de laquelle jaillit une énergie positive et une volonté inouïe de vie. Se déroule alors instantanément le fil puissant d’une oscillation entre force et fragilité qui suspend le temps pour ne laisser transparaitre que l’émotion brute et authentique.

UNE CONSCIENCE PLUS AIGUE DE LA VIE

Dans l’intitulé de la soirée, elles sont « Femmes « chimiotées » : femmes envers et contre tout ». Elles ont subi et affronté le(s) cancer(s) du sein, elles sont en rémission ou non. Les protocoles médicaux, la dépossession de leur corps, le regard des autres sur elles et leur propre regard…

Elles doivent désormais vivre avec. Elles se sont découvertes des forces insoupçonnées jusqu’ici et parlent « d’une conscience, aujourd’hui, plus aigue de la vie, du fait qu’il faut profiter davantage des choses. »

Pour Anne Patault, vice-présidente de la région Bretagne, chargée de l’égalité, de l’innovation sociale et de la vie associative, son « espèce de chance » a été de ne plus craindre la vieillesse :

« Pendant toute une époque, j’avais peur de vieillir. Maintenant, j’espère vieillir. Je me projette en vieille dame et ça me fait plaisir. »

Un point sur lequel la comédienne Sonia Rostagni la rejoint : « Chaque année supplémentaire, c’est toujours ça de pris ! »

Son spectacle, 649 euros, elle le définit comme une évidence : « Une manière de sublimer par l’art le cancer. De faire d’un truc très moche un truc esthétique. Avec une mise en scène pensée de manière à ce que je ne rejoue pas tous les soirs mon cancer à moi. Même si j’ai eu un cancer, je joue un personnage. Je suis une femme, n’importe quelle femme. Et puis la pièce permet aussi de sortir du pathos et de transmettre les choses avec humour. Ça a été un mécanisme de défense très puissant pour moi, l’humour. Je n’ai jamais autant ri que pendant la maladie. »

LES INJONCTIONS DANS LE CANCER

Si elles refusent de parler du cancer comme d’une chance, comme tel est ressenti d’une participante dans le film, elles s’accordent à aborder l’angle du changement post opération. En nuançant toutefois.

« Ça m’a donné des orientations de vie un peu différentes. J’étais un peu indolente avant, j’avais tendance à laisser filer le temps. La leçon que m’a donné la maladie c’est la notion du temps qui nous est compté. Aujourd’hui, j’ai une sorte d’impatience par rapport à des réalisations de projets par exemple. Je suis devenue plus fonceuse. Quand je suis convaincue de quelque chose, maintenant j’y vais. », souligne Anne Patault.

Même discours du côté de Sonia Rostagni :

« Des traits de caractère se sont affirmés. Je me suis découverte encore plus. »

Pour Maryse Théron, syndicaliste et membre des Roz’Eskell, pas question de se soumettre aux injonctions « de faire ça, de dire ça, de vivre le cancer de telle ou telle manière. » Elle le dit et l’affirme : 

« Je n’aime pas les injonctions ! Il n’y a pas plus de raisons de vivre ces injonctions attribuées aux femmes qui ont eu un cancer que d’autres ! On n’est pas obligées de changer parce qu’on a eu un cancer. Certaines étaient insupportables avant la maladie et le restent après. La maladie apprend l’humilité. On prend une conscience un peu plus aigue de notre mortalité. »

CHACUNE SON EXPÉRIENCE ET SON RESSENTI

Elles ne sont pas des expertes du cancer. Elles sont des femmes ayant vécu, chacune à sa manière, son ou ses cancers du sein. Ce soir-là, sans détour et sans langue de bois, les trois intervenantes témoignent de leurs expériences et ressentis individuels pouvant trouver des points de résonnance dans l’épreuve subie par le collectif.

« Ma mère commençait son Alzheimer. J’ai du lui réannoncer 100 fois que j’étais malade. J’ai fini par me dire que c’était pas plus mal qu’elle oublie. Mon entourage a été ni trop envahissant ni trop dans la compassion. C’est un équilibre difficile à trouver mais c’est important. Mais il faut savoir qu’on est toujours tout seul dans la maladie. C’est un parcours solitaire, même si j’ai toujours été accompagnée pendant les chimios ou qu’une amie venait me chercher… », précise Anne Patault qui soulève alors la question de ce que l’on peut attendre de son entourage pendant la maladie. 

Il y a ce que l’on dit aux autres, ce que l’on ressent et vit réellement. Il y a ce que l’on est capable d’endurer, ce qu’on dit aux enfants. Il y a celles et ceux qui supportent et prennent sur elles/eux, d’autres qui ne sont pas en mesure de soutenir et qui s’en vont. Il y a les médecins et les protocoles, ceux qui soignent un individu et ceux qui traitent un symptôme. Et puis la vie qui continue en parallèle. En dehors de la personne qui au même moment affronte la maladie.

Etre sujet, c’est le point sur lequel insiste Maryse Théron. Ne pas se laisser posséder par les autres, par leurs angoisses, leurs émotions, leurs conseils et savoirs.

« Être soi même son sujet. C’est moi, c’est mon cancer. C’est moi qui dit si je vais ou vais pas, qui dit ce que je fais, ce que je fais pas, etc. C’est important de se réapproprier soi-même. »
affirme-t-elle, précisant qu’il ne faut pas sous estimer le poids de la maladie. 

RETOUR À LA VIE PROFESSIONNELLE

Pas facile dans une société capitaliste avide de rentabilité et de productivité de se retirer pendant un temps de la vie professionnelle. La peur de se détacher, de se déconnecter, de ne pas retrouver sa place à son retour, la peur de ne pas être comprise en revenant par le biais d’un mi temps thérapeutique, la peur d’être jugée, la peur d’être larguée.

Si Maryse évoque le dispositif Cancer at work, prévu dans le plan Cancer pour faciliter le retour ou l’accompagnement à l’emploi, elle parle aussi d’une grande méconnaissance de la maladie.

« Les employeurs sont démunis. Il y a encore beaucoup de travail à réaliser pour informer et sensibiliser les équipes, les managers, etc. Le plan Cancer c’est bien mais il faut y mettre des moyens et pas que des discours politiques », précise-t-elle, indiquant également un manque cruel d’égalité dans l’information et l’accès à la prévention et au dépistage du cancer, notamment en direction des femmes précaires « qui n’ont pas le temps de s’occuper d’elles parce qu’elles doivent gérer les enfants, la maison, etc. »

LA HARGNE DES COMBATTANTES

Au fil de la discussion, on retrouve la même sensation que pendant le film ou l’exposition, face aux photographies de Karine Nicolleau dans la galerie de la Maison des Associations. Réunies par le cancer du sein, sur des clichés en couleur ou en noir et blanc, à bord d’un dragon boat, à croiser le sabre et l’épée, à une table ronde, elles délivrent un message fort qui encourage la force de vivre.

Elles ont le sourire des survivantes et la hargne des combattantes. Parce qu’elles ont puisé en elles des ressources auxquelles elles ne pensaient pas faire appel, elles ont découvert des forces en elles insoupçonnées.

« Il faut beaucoup d’amour de soi même pour continuer de se regarder avec douceur. »
conclut Anne Patault.

Une belle leçon de vie qu’elles partagent avec générosité lors des échanges à l’occasion de la soirée.

Célian Ramis

Football : égalité sur le terrain ?

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Alors que l'on se figure que, côté football, les femmes sont de plus en plus médiatisées, qu'en est-il réellement de la place et de l'image des femmes dans ce sport ? Sur les terrains rennais, comment les joueuses vivent-elles leur pratique ?
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En débutant nos recherches, on a tapé « footballeuses » sur Google. Plein-e-s d’espoir au départ, on a rapidement déchanté en voyant les multiples pages de liens vers des articles type « TOP 25 : Les footballeuses les plus belles de 2016 » ou des vidéos YouTube « Les footballeuses les plus belles du monde », montrant une femme en brassière, une partie de la poitrine à l’air et le ballon entre ses seins refaits.

Et quand on cherche les présidents de clubs impliqués pour des sections féminines, on tombe là encore sur des pages classant physiquement les filles de présidents de clubs. Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? On a enquêté sur les terrains rennais, pour voir et comprendre quelles sont les réalités actuelles du monde du football lorsque le ballon est aux pieds des joueuses. 

En 2019, la France accueillera la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, dont plusieurs matchs seront disputés dans la capitale bretonne. Un événement important pour la promotion des femmes dans le sport mais qui apparaît néanmoins comme incohérent, le Roazhon Park étant rarement foulé par les crampons féminins. Peinant à investir dans une section féminine, on peut alors se demander quel exemple renvoie le Stade Rennais ? L’occasion de s’intéresser à l’évolution du milieu du football, en terme d’égalité entre les hommes et les femmes.

« FOOTBALL – Une petite révolution. Petite, parce qu’il s’agit de la Norvège et que les prix des joueurs sont bien moins élevés que dans les grandes nations du football. Révolution tout de même, parce qu’il a fallu doubler le salaire des joueuses pour qu’il atteigne le niveau de leurs homologues masculins. Et aussi parce que c’est le second pays qui tente le coup, après les États-Unis. », peut-on lire sur le site du HuffingtonPost, le 9 octobre dernier.

Et de leur côté, les footballeurs norvégiens ont accepté de baisser leurs salaires. La bonne nouvelle est sidérante - preuve que l’on part de loin - bien que les pays d’Europe du nord soient réputés pour leur exemplarité en terme d’égalité entre les sexes. La suite de l’article est encore plus stupéfiante :

« Les footballeuses norvégiennes ont un palmarès conséquent avec notamment un titre de championnes du monde (1995), deux championnats d’Europe (1987 et 1993) et une médaille d’or olympique (2000). Les hommes, eux, n’ont jamais remporté aucune grande compétition internationale. Ils occupent actuellement la 73e place du classement de la Fifa tandis que les femmes sont 14e. »

De meilleures performances donc pour de moindres salaires. La preuve d’une inégalité profonde qui, si elle tend à disparaître en Norvège ou aux Etats-Unis (où les joueuses ont dû menacer de grève pour obtenir des conditions financières similaires à leurs homologues masculins), perdure dans la majorité des pays du monde. Et malheureusement, la France ne figure pas au tableau des exceptions.

DES INÉGALITÉS IMPORTANTES

Cet été, les équipes féminines de football jouaient pour l’Euro, aux Pays-Bas. Le site des Échos en profite alors pour s’intéresser aux chiffres. Des chiffres qui révèlent que dans le domaine du football, les femmes gagnent en moyenne 96% de moins que les hommes, là où dans la plupart des autres secteurs, l’écart est estimé à environ 23%.

« Selon la Fédération française de football, les footballeuses professionnelles évoluant dans les plus grands clubs (PSG, OM, OL, Montpellier…) touchent en moyenne 4000 euros par mois. Les autres, issues de clubs moins prestigieux, peuvent prétendre à un salaire allant de 1500 euros à 3000 euros mensuels. Une misère au regard des salaires des footballeurs de première ligue qui touchent en moyenne 75000 euros par mois. », indique le journal économique.

Deux mois plus tard, c’est au tour de l’association sportive et militante Les Dégommeuses d’établir un constat bien glaçant à travers la réalisation de la première étude concernant la place réservée aux footballeuses dans la presse écrite française : sur un mois d’enquête (permettant d’éplucher 188 journaux – presse spécialisée et Presse Quotidienne Régionale), 1327 pages ont été consacrées au foot dont 28 seulement dédiées aux sections féminines. Soit 2,1%.

Le collectif, luttant contre les discriminations notamment sexistes et les LGBTI-phobies, passe les écrits et les visuels à la loupe. Quand on parle du foot féminin dans les médias, ce sont les entraineurs, dirigeants de club et présidents de fédération qui sont valorisés, tandis que les joueuses sont montrées en second plan et souvent de dos. Un phénomène encore plus flagrant au moment où plusieurs villes françaises lancent la Coupe du Monde Féminine 2019.

ÉCARTER LES FEMMES DES TERRAINS

Alors que la plupart des clubs ayant créé des sections féminines voient le nombre de leurs licenciées augmenter, les mentalités ne semblent évoluer que trop lentement. La place des filles et des femmes ne serait pas sur le terrain ! Ni même sur le bord du terrain (preuve en est avec les nombreuses interviews et remarques sexistes à propos de la nouvelle sélectionneuse des Bleues, Corinne Diacre)…

Ni dans les gradins d’ailleurs puisque selon le bon vieux stéréotype, elles seraient plutôt sur la touche au moment des matchs, leurs hommes les délaissant cruellement pour le sport national le plus populaire qui soit. C’est sur ce cliché que s’est empressé de jouer le déodorant Axe en 2010 lors de la Coupe du Monde masculine. Trois affiches, trois femmes sexy et trois phrases d’accroche : « Mon portable n’a pas sonné depuis le 11 juin », « J’ai une bien meilleure façon de passer 90 minutes » et « Y a-t-il un mec célibataire qui ne regarde pas le foot ? ».

Une campagne déplorable basée sur le peu d’intérêt que la gent féminine accorderait au football. Pourtant, la pratique n’est pas réservée aux hommes et les femmes y jouent depuis la fin du XIXe siècle pour les pays britanniques et début du XXe siècle pour la France. Mais rapidement, les voix mâles vont s’élever, entrainant en 1941 l’interdiction aux femmes de jouer.

Parce qu’ils étaient (et sont toujours) nombreux les Messieurs à penser comme Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux Olympiques, estimant que le rôle des femmes « devrait être avant tout de couronner les vainqueurs. » Les argumentaires des médecins vont alors aller dans le sens des misogynes, déconseillant la pratique sportive à toutes celles qui possèdent le kit « vagin – utérus – ovaires » sous prétexte que celle-ci pourrait endommager l’appareil reproducteur.

Et là, difficile de se séparer d’une telle image, ancrée profondément dans les mentalités : biologiquement différent-e-s, hommes et femmes ne sont pas capables des mêmes choses. Comprendre ici : les mecs sont faits pour réaliser des prouesses, des performances spectaculaires, les nanas, non. Ce qui légitimerait donc les salaires mirobolants, pour ne pas dire indécents, et la bien plus forte médiatisation dont découlent ensuite les phénomènes de visibilisation et par conséquent d’identification.

À LEURS DÉBUTS

Heureusement, toutes les petites filles n’ont pas été irradiées par les rayons puissants des stéréotypes du genre et certaines rêvent, si ce n’est de devenir professionnelles, de jouer au football. « Je n’ai pas envisagé d’en faire mon métier parce que ça n’existait pas les professionnelles quand j’étais plus jeune. », souligne Lucile Nicolas, 28 ans, joueuse au Cercle Paul Bert Bréquigny.

Elle a 6 ans quand elle commence à jouer, à Quiberon. Avec les garçons d’abord, comme toutes celles qui commencent dès le plus âge (sans oublier que dans les années 90, rares sont les sections féminines qui existent), comme cela a été le cas pour ses coéquipières Maude Corfmat, 18 ans, et Marion Darcel, 21 ans, ou ses adversaires de l’ASPTT Rennes, Amandine Bézard, 24 ans, et Emelyne Fava, 22 ans.

« Mon père et mon frère jouaient et ma mère suivait tous les matchs. Je ne me suis jamais sentie à l’écart parce qu’ils étaient là aussi quand moi je jouais. Mais en grandissant, j’ai senti que ce n’était pas normal pour tout le monde. J’ai mis beaucoup de temps à trouver un établissement scolaire qui proposait sport-études pour les filles. J’ai commencé à Vannes puis je suis venue au lycée Bréquigny qui a un pôle Espoir. À Quiberon, quand j’étais plus jeune, je me souviens d’une fille qui jouait super bien mais elle a dû arrêter après ses 14 ans parce qu’elle ne pouvait plus jouer avec les gars et qu’il fallait qu’elle fasse 1h de route pour aller jouer à Lorient avec une équipe féminine. C’est vraiment dommage. Mais je pense qu’aujourd’hui, ça, ça n’existe quasiment plus, heureusement. », explique Lucile.

Pour Emelyne, les réflexions ont été compliquées à gérer au départ « parce qu’il y a le cliché du garçon manqué et encore aujourd’hui si les mentalités évoluent, ça reste encore stéréotypé, on pense que les filles jouent moins bien. » Sans éducation à l’égalité, les filles et les garçons intègrent dès la petite enfance les stéréotypes de genre. Dans le sport, notamment.

Et Nicole Abar, ancienne footballeuse professionnelle, aujourd’hui très investie dans la lutte contre le sexisme et le racisme (lire « 8 mars : Sur le terrain de l’égalité », daté du 6 mars 2017 sur yeggmag.fr) le confirme, constatant qu’avec les garçons, on lance le ballon avec le pied tandis qu’avec les filles, le lancé s’effectue avec les mains. Sans oublier que dans la cour de récré, l’espace sportif est encore principalement occupé par la gent masculine et ses jeux de ballons.

« Le foot, c’était le sport de la récré et je jouais avec les gars. J’ai souvent entendu que ce n’était pas un sport de filles, et encore aujourd’hui on fait ce genre de réflexion. Alors, on se vexe, on se met dans notre coin et personnellement, j’ai vraiment failli arrêter le foot quand il a fallu s’entrainer qu’avec les filles. », précise Amandine qui avoue qu’elle aurait aimé en faire sa carrière : « Maintenant, c’est trop tard, je suis trop vieille. »

Maude, elle, ne désespère pas d’être remarquée pour ses qualités sur le terrain. « Petite, on m’a dit que le foot, c’était pour les garçons et pas pour les chochottes. J’ai fait sport-études pendant 3 ans à Pontivy et j’ai pu prouver que j’étais capable ! J’aimerais vraiment évoluer à plus haut niveau et pour ça il faut soit passer des tests dans les clubs, soit être repérée par des dirigeants. Aujourd’hui, je ne suis pas dans l’échec, j’ai déjà eu des demandes mais pour jouer au même niveau. J’ai envie de prouver que je peux y arriver, de me donner à fond. N’écoutons pas les remarques et prouvons que les garçons ne sont pas les meilleurs ! », s’enthousiasme-t-elle.

PROFILS ET ENVIES DIFFÉRENT-E-S

Elle évolue, avec Lucile Nicolas et Marion Darcel, dans l’équipe A du CPB Bréquigny, réputé pour son niveau – l’équipe évolue en R1, plus haut niveau régional – et pour sa section féminine amateure, comptabilisant environ 150 licenciées, une des plus importantes de Bretagne.

Leur investissement est de taille : 3 entrainements par semaine et les matchs le dimanche. « J’aime la compétition, ça demande du dépassement de soi. Avec Bréquigny, j’ai envie d’aller en D2 – je n’étais pas encore dans le club quand elles y étaient – et de voir ce qu’on est capables de faire ensemble. On est une bonne équipe et j’aime vraiment ça. J’aimerais bien travailler dans le domaine du foot, comme community manager ou chargée d’une section féminine mais je n’ai aucune envie d’être footballeuse, parce qu’on ne peut pas en vivre et parce que je n’ai pas envie de faire autant de sacrifices. », explique Marion, diplômée d’une licence en management du sport.

Même son de cloches du côté de Lucile, secrétaire comptable et ambulancière : « On n’a pas de vacances, pas de temps pour soi, avec un régime alimentaire drastique… Non, je crois que j’aime un peu trop la fête ! » Toutes jouent au foot depuis l’enfance quasiment. Toutes accrochent à l’esprit d’équipe et parlent d’un sport intelligent parce que tactique et stratégique. Toutes n’ont pas les mêmes profils, ni les mêmes envies.

Emelyne Fava, professeure d’EPS, et Amandine Bézard, cariste, ont toutes les deux quitté le CPB Bréquigny pour l’ASPTT Rennes, qui compte nettement moins de licenciées, mais dont l’équipe A séniors évolue également en R1. Elles dénoncent du côté de Bréquigny une mauvaise ambiance et des rivalités entre joueuses, appréciant davantage la convivialité de l’APSTT.

« Je trouve qu’ici, c’est plus collectif, on ne se marchera pas dessus pour briller. Moi mon but n’est pas d’aller à plus haut niveau, l’investissement qu’il a fallu donner au CPB m’a énormément fatiguée. », déclare Emelyne, en accord avec sa coéquipière Amandine :

« Là-bas, créer sa place est compliqué. J’ai envie de jouer les hauts de tableau et les barrages mais pas comme ça. »

Des critiques que réfutent les joueuses du CPB Bréquigny : « Perso, l’an dernier, je ne m’entendais pas très très bien avec l’ancien coach et je n’ai pas beaucoup joué mais je ne le ressens pas comme ça. Je crois que c’est une question de choix, peut-être qu’elles n’ont pas eu beaucoup de temps de jeu et ça leur a déplu. »

Quoi qu’il en soit, les deux équipes jouent à bon niveau et parlent chacune de vie « extra-entrainement », avant ou après les matchs du dimanche. Et se consacrent sur le terrain au jeu et à leur progression.

PAS TOUS CONVAINCUS…

Pour Richard Roc, entraineur de la section féminine de l’ASPTT Rennes, les conditions d’entrainements et le traitement en terme d’infrastructures diffèrent clairement de celles du CPB Bréquigny (lire l’encadré). En attendant la fin des travaux effectués sur leurs terrains, l’ASPTT se voit jouer à Cleunay (complexe Ferdinand Lesseps) qui semble en effet moins entretenu et dont les équipements type vestiaires, douches et sanitaires, sont un peu vétustes :

« Il a fallu batailler avec la Ville de Rennes pour qu’ils mettent des algecos parce qu’il n’y avait rien pour se changer et se laver. Ce n’est pas normal ! Les joueuses, elles sont incroyables parce qu’elles ne râlent pas tant que ça, elles se battent. »

Mais il déplore surtout le manque d’intérêt général pour le foot féminin, de la part du président du club, de certains de ses collègues entraineurs et des clubs :

« C’est une bataille permanente. Je me bats pour le foot féminin mais c’est loin d’être gagné. Quand j’entends, en formation, certains entraineurs me dirent « Tu dois être content d’entrainer les filles, surtout dans les vestiaires », c’est lamentable. Je me dis que tout le monde ne peut pas coacher les filles qui sont pourtant très fortes mentalement et qui aiment se surpasser ! Mais vous savez, pour la plupart des dirigeants, ce n’est pas rentable. Ça marcherait s’il y avait du pognon ! Enfin, dans la mesure où les filles ne dépassent pas les garçons. Parce que là, ce ne sera pas accepté du tout ! On tolère les footballeuses tant qu’elles ne font pas d’ombre aux hommes… »

QUELLES DIFFÉRENCES ?

Et elles pourraient bien leur faire de l’ombre. Peut-être le font-elles déjà d’ailleurs. Et sans avoir les mêmes moyens que leurs homologues. « On dit que les filles sont plus lentes, c’est peut-être vrai, on est moins rapides. Mais on est beaucoup plus basées sur la technique. Je trouve que l’on se rapproche plus d’un foot des années Platini. », précise Lucile Nicolas. Moins sensationnel mais plus agréable, en somme.

Pour Mélissa Plaza, ancienne joueuse internationale – passée par Montpellier, Lyon, Guingamp, elle a fini sa carrière à Saint-Malo et s’est aujourd’hui installée à Rennes pour co-fonder une entreprise de conseils en matière d’égalité femmes-hommes (lire son interview, en fin de dossier) – la différence réside dans les moyens que l’on attribue aux femmes et aux hommes.

Parce que pour elle, les règles, la taille des terrains et des cages, les ballons, etc. sont identiques pour elles comme pour eux. Et s’agace d’ailleurs d’entendre parler de « foot féminin », comme s’il s’agissait d’une autre discipline. Rien ne devrait donc distinguer la pratique des hommes à celle des femmes. Sauf que ce sport, comme bien d’autres également, est encore pensé au masculin.

Plus d’argent, plus de visibilité, plus de médiatisation, plus de spectateurs-trices dans les tribunes et devant les écrans. Le match d’ailleurs qui opposa l’équipe de France à l’équipe de Grèce en juin 2016 au Roazhon Park reste gravé dans les mémoires, non pas pour les performances sportives mais pour le record d’affluence qu’il a généré. Que plus de 24 000 personnes se soient réunies pour supporter les footballeuses est encore de l’ordre de l’exceptionnel.

Même après 15 – 20 ans de développement des sections féminines, on sent toujours la réticence des mentalités. Et quand la Fédération Française de Football secoue ses troupes, nombreuses sont les voix qui protestent. Comme en Normandie, où Paul Hellouin râlait en 2015 :

« Si on a une équipe de filles, cela implique d’avoir des vestiaires dédiés, des frais liés aux déplacements, c’est tout un coût humain et matériel à mettre en place. »

TOUJOURS AU SECOND PLAN

Autre cas de figure avec le Stade Rennais, un des derniers clubs à très haut niveau à ne pas avoir constitué d’équipe féminine. Pourtant, l’Histoire a prouvé que c’était possible puisqu’entre les deux guerres puis à nouveau dans les années 70, les femmes jouaient sous les couleurs rouges et noires. L’absence de section à destination des joueuses laisse le milieu rennais dubitatif et provoque l’incompréhension.

« Je peux concevoir qu’on n’aime pas le foot en général mais pas qu’on n’engage pas d’équipe féminine. Et franchement, vu les résultats des gars, ce serait une bien plus belle vitrine pour le SRFC. Vraiment, ça attire pas mal de monde ! Je ne comprends pas… Comme Lorient qui a une section féminine mais n’en fait rien. », soulève Lucile, loin d’être la seule à le penser et à le dire.

Pour l’instant, rien n’est officiel mais depuis un an, le Stade Rennais a annoncé y réfléchir et avoir même un projet dans les cartons. Le rapprochement, scellé par un partenariat à l’heure actuelle avec le CPB Bréquigny, serait peut-être une manière de le concrétiser, c’est en tout cas ce que laisse entendre le quotidien 20 Minutes Rennes, dans un article daté du 26 septembre 2017. Aucune confirmation ne nous sera donnée par le club.

« C’est encore en négociation. Il n’y a rien de nouveau à déclarer depuis l’année dernière. La direction refusera de vous répondre à ce sujet. », va-t-on nous répéter par téléphone du côté du Stade Rennais.

Pour Maude Corfmat, c’est la preuve « que l’on croit moins en les filles. » Les inégalités infusent donc dans tous les secteurs de la société et doivent être brisés. Nécessairement par la formation des professionnel-le-s et l’éducation à l’égalité mais aussi par l’exemple et les volontés politiques des dirigeant-e-s.

« On se pose toujours la question de pourquoi on passe après. », confie Maude. Elle fait ici référence à un dysfonctionnement constaté lors de notre venue à l’entrainement. Un mardi soir, le terrain est occupé par les hommes qui n’ont pas terminé de disputer leur match. Il est presque 20h et l’entrainement des joueuses va commencer sur le bord du terrain.

C’est derrière les cages qu’elles passeront les 20 minutes d’échauffement avant de pouvoir poursuivre sur le terrain qu’elles partagent avec l’équipe B. Quelques jours plus tard, le dimanche 22 octobre précisément, l’équipe A a rendez-vous à 13h30 pour le coup d’envoi contre Brest. Dans la semaine, l’horaire change. Elles joueront à 12h30.

Cela pourrait rester banale et de l’ordre de l’anecdotique, mais la raison invoquée nous fait tiquer : « Les garçons jouent juste après et si on n’avance pas d’une heure, ils devront s’entrainer sur un terrain plus petit, c’est moins pratique. » Laisser les joueuses débuter sur le bord du terrain ne serait donc pas grave, en tout cas, pas autant que faire s’échauffer les joueurs sur un terrain pas à la taille standard ? On a du mal à comprendre.

Et encore plus de en observant que les stands et la musique sont installés seulement à partir de la deuxième mi-temps. Ou alors est-ce que parce qu’ils le sont simplement en vue du match des hommes ? Pour Marion Darcel, il n’y a pas lieu d’y voir là le signe d’une quelconque disparité. Pas convaincue, elle tente tout de même de nous expliquer :

« Je crois que c’est parce que c’était dans le cadre de la coupe de France, il faut un donc un minimum de temps et de conditions pour se préparer. Ça aurait l’inverse, ils auraient fait la même chose pour nous. Et puis, ça ne nous change rien de commencer une heure plus tôt. Sauf pour les filles de Brest qui ont dû partir une heure plus tôt… On peut toujours faire mieux mais à Bréquigny, on a quand même de la chance, au niveau communication, infrastructures, en visibilité en étant en ouverture des gars… »

On est moins optimistes qu’elle. Surement parce qu’on a du mal à sentir les encouragements de l’équipe masculine pour leurs homologues féminines. Du mal à sentir l’engouement du peu de public pour le jeu qui se déroule sous nos yeux, alors que le CPB Bréquigny se fait dominer lors de la première mi-temps et remonte peu à peu jusqu’à finir par s’imposer 1 – 0.

« Ce sont nos familles et ami-e-s principalement qui viennent nous voir et nous soutenir. Je pense que pour les garçons, on peut plus facilement aller voir le match sans connaître quelqu’un, tandis qu’on ne le fera pas pour les filles. »
pointe Lucile Nicolas.

SEXISME ORDINAIRE POUR LES FOOTBALLEUSES

Moins médiatisées parce que soi-disant moins spectaculaires, elles sont donc moins visibilisées et moins reconnues pour leurs qualités et compétences de joueuses que les hommes. Pour les deux footballeuses à l’US Saint-Malo (équipe en D2), Arianna Criscione (ancienne joueuse internationale), 32 ans, et Romane Enguehard, 18 ans, le sexisme est omniprésent dans le milieu du ballon rond. 

« Quand tu commences à jouer et que tu es une fille dans une équipe de garçons, tu as forcément la remarque des adversaires disant « ah il y a une fille en face, ça va être facile » ! Une fois sur le terrain, tu leur remets les idées en place ! », rigole Romane, non sans une pointe d’amertume. Et de fierté, aussi. Pour Arianna, ce qui la surprend à chaque fois, c’est cette façon qu’ont les hommes de vouloir sans cesse se mesurer aux femmes.

« Dès que tu dis que tu fais du foot, forcément, ils veulent jouer contre toi. Pour se rassurer et se dire qu’ils sont meilleurs, même quand ils ont un niveau déplorable. Tu te dis qu’ils ne feraient jamais ça avec un joueur du Stade Rennais ! En plus, comme je suis gardienne, ils veulent toujours faire le penalty contre moi. Je ne comprends pas ! », explique-t-elle, stupéfaite.

« C’est la culture dominante, c’est très long pour changer les mentalités. Il faut continuer à se battre et faire attention aux remarques, encore nombreuses, faites par les commentateurs à la télé sur le physique des footballeuses. », commente Camille Collet, animatrice sportive au Cercle Paul Bert. Si vers l’âge de 12 ans, elle commence le foot, elle se voit contrainte d’arrêter à cause d’une tendinite au genou.

« J’ai repris du côté de l’arbitrage, ça m’a énormément appris mais deux ans à côtoyer les terrains, ça m’a vraiment donné envie de m’y remettre. », sourit-elle. Plusieurs années durant, quatre exactement, elle joue auprès de l’équipe A du CPB Bréquigny mais l’investissement requis n’est finalement pas compatible avec le temps qu’elle a, effectuant à ce moment-là sa thèse sur le socio-sport en territoire rennais.

Ainsi, elle remarque que les équipements sportifs urbains ne sont pas adaptés aux femmes : « Qui dit foot, dit hommes et jeunes garçons. Les structures ne sont pas faites pour accueillir un public féminin. Encore moins du côté des adolescentes. Encore encore moins dans les quartiers. Il faut des équipements sportifs ouverts mais il faut réfléchir, comme c’est le cas me semble-t-il à Bordeaux, à les aménager autrement. Moi-même sur un stade où il y a 30 mecs, j’aurais du mal à y aller… »

ÉLOIGNÉES DE LA PRATIQUE SPORTIVE

Elle n’est pas la seule à constater que les jeunes femmes, à l’âge de l’adolescence, s’éloignent de la pratique sportive. Sans doute parce que la puberté intervient, faisant d’elles physiquement des femmes, par conséquent écartées de tout ce que l’on considère comme réservé aux hommes. Mais les femmes plus âgées sont nombreuses à préférer les sports individuels et à ne pas oser se lancer dans un sport collectif.

À plusieurs, entre amies, elles s’entrainent et se motivent, mais seules, les choses sont plus compliquées. Alors, avec quelques unes de ses coéquipières de Bréquigny, elles fondent le collectif Le Ballon aux Filles et organisent chaque année – le dernier week-end de mai 2018 célèbrera la 5e édition - un tournoi gratuit et réservé aux femmes, licenciées ou non, dans un quartier prioritaire de Rennes (Blosne, Maurepas, Cleunay, Bréquigny, Villejean).

L’idée étant de faire découvrir le football via cet événement qui propose certes une compétition mais surtout un moment de partage et de loisirs. Pour démocratiser et valoriser la pratique féminine, en cassant les stéréotypes sexués de la société.

« On organise des actions de sensibilisation en parallèle. La première année, on a travaillé avec Liberté Couleurs. On avait fait une initiation au foot pour les filles non licenciées et elles sont restées pour le débat ensuite qui leur a permis de parler des inégalités entre les filles et les garçons dans le sport et la société en général. On a eu envie de lancer ça parce que bien que Bréquigny soit une des plus grosses sections, il n’y avait pas tellement de tournois féminins. Mais on ne voulait pas d’un tournoi classique, on voulait aller plus loin dans la démarche, parce que certaines licenciées également étaient confrontées à des freins. », analyse Camille.

L’objectif est multiple : amener les filles et les femmes à chausser les crampons et prendre du plaisir d’avoir osé et d’avoir jouer ensemble. Et faire prendre conscience aux garçons et aux hommes – qui arbitrent les matchs afin de les impliquer - que le sexe féminin n’est en rien un obstacle à la pratique sportive.

Au fil des années, les joueuses de l’association ont développé des actions en amont du tournoi. Des actions qui favorisent la découverte du football, la création du lien social et la lutte contre les préjugés sexistes. Et étant conscientes que dans les quartiers prioritaires comme en zone rurale, les filles sont peu nombreuses à pratiquer un sport à l’instar de la répartition filles/garçons dans l’espace public, elles ont la volonté forte d’amener le sport jusqu’à elles.

Une initiative qui affiche un bilan positif avec l’inscription de 80 à 150 filles par an en club, le versement des recettes reversées au projet Amahoro – projet humanitaire et solidaire en direction de Madagascar – ainsi que l’engagement participatif d’une vingtaine de bénévoles sur chaque tournoi et l’investissement des garçons au coude-à-coude avec les filles qui foulent le terrain. Ainsi, elles investissent les pelouses mais aussi les espaces de débat et les établissements scolaires à Rennes.

« J’ai rejoint le collectif parce qu’il donne la parole aux femmes et qu’il organise un événement qui permet à tout le monde de se sentir concerné-e. Et c’est important aussi parce que le sport féminin manque vraiment de promotion. Au foot, on est davantage mises en avant que dans d’autres sports. On a la « chance » d’être plus médiatisées mais ce n’est pas suffisant. », insiste Marion Darcel.

QUELLES REPRÉSENTATIONS DES JOUEUSES ?

Pas suffisant, en effet. Et surtout, que montre la médiatisation ? Une image caricaturale de la femme sportive. Celle qui adopte tous les comportements masculins pour être acceptée. Phénomène nouveau, on assiste maintenant à l’ascension de la « sportive féminine ».

Celle qui répond sur le terrain aux injonctions de la société quant à l’idéal de beauté. En mars dernier, à l’occasion de son passage à Rennes, Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, soulignait que depuis plusieurs années les membres de l’équipe de France apparaissaient sur le terrain, bien apprêtées, maquillées et coiffées. Comme obligées de justifier qu’elles sont des femmes.

« Parce qu’elles ont compris que c’était comme ça qu’elles allaient être médiatisées », déplore-t-elle. Les médias et commentateurs doivent également prendre part à l’évolution des mentalités. Par exemple, ne plus faire de distinction, en presse régionale, entre les hommes à qui l’on attribue les pages Sport (pour les journalistes et pour les sujets) et les femmes à qui on laisse un espace restreint dans les pages locales.

Hiérarchiser l’information selon les performances sportives et non selon le sexe de l’athlète. Ou encore arrêter de parler « de nos petites Françaises » lorsque l’on est payé-e-s à commenter un match. Et surtout, arrêter de mentionner leurs physiques à la place de leur manière de jouer.

Sans surprise, on manque de représentations réelles et réalistes. Et les femmes ne s’y retrouvent pas. C’est bien là le propos des Dégommeuses :

« D’une part, différents clichés et fantasmes ont encore cours sur les équipes de sport collectif féminin comme possible lieu de conversion à l’homosexualité. D’autre part, pour promouvoir le foot féminin, les clubs et fédérations ont tendance à axer leur communication sur une image univoque de la sportive conforme aux normes de genre (féminine, sexy, ayant forcément une vie de mère de famille en dehors du foot) et à dévaloriser toutes celles (lesbiennes, bi, trans mais aussi hétéro) qui ne se retrouvent pas dans ce modèle. La volonté de séduire et rassurer à tout prix les spectateurs et les parents des jeunes joueuses instaure en outre des formes d’injonction au silence pour les joueuses lesbiennes et de déni face aux comportements lesbophobes qui existent pourtant tout autant dans le foot féminin que masculin. D’où la nécessité de créer des espaces permettant de faire évoluer les représentations et d’engager un dialogue autour du respect de la diversité et des bienfaits de l’inclusivité. »

UNE AUTRE MANIÈRE D’ENVISAGER LE FOOT

Et la dernière phrase fait parfaitement écho aux actions du collectif Le Ballon aux Filles. Et à ce qui en découle. À savoir l’accès à toutes les filles et femmes, notamment dans les endroits où elles en sont le plus éloignées. Mais le tournoi a également donné lieu à la création d’un créneau loisirs de futsal dans le quartier du Blosne.

« Lors de la 2e édition, une femme de 38 ans est venue parce qu’elle avait envie de jouer. Depuis elle vient chaque année et c’est elle qui m’a parlé de développer le futsal ici. L’an dernier, il y avait 24 filles entre 15 et 40 ans et cette année, j’en ai 20. On n’est pas du tout sur de la compétition mais vraiment sur de la découverte, de l’initiation et du plaisir. Et ça brasse large ! Des mamans, des lycéennes, des étudiantes, des femmes qui travaillent ou non, des femmes voilées, des habitantes du quartier ou non. », souligne Camille Collet.

Cette femme de 38 ans - maintenant de 40 ans - c’est Aïcha El Aissaoui. Passionnée de foot depuis toujours, elle n’a jamais joué dans un club. « J’ai toujours été à fond. Petite, je dormais avec le ballon, je ne pensais qu’à ça. Et j’ai failli en faire, au collège, on m’avait remarquée. Mais pour ma mère, une fille, ça ne faisait pas de foot, ça faisait la cuisine, la couture, etc. Le mercredi après-midi, je baratinais pour aller aux rencontres sportives et mon frère me couvrait. », se souvient en rigolant l’aide auxiliaire puéricultrice.

Aujourd’hui, elle a transmis sa passion à son fils et à sa fille et encourage « toutes les jeunes femmes, de toutes les cultures, de toutes les religions à faire du foot. » Ici, pas de jugement, seulement des femmes qui s’éclatent 2h par semaine : « Ensemble, on va voir les matchs du Stade Rennais, on a été voir le match France – Grèce, c’est génial, c’est que du bonheur. C’est convivial, on joue pour le plaisir et pas pour la gagne. »

Même discours du côté de Soraya (prénom modifié à sa demande), 25 ans, mère au foyer :

« Au Maroc, je jouais avec tout le monde. Avec les filles, avec les garçons, on passait notre temps à ça après l’école ! J’aime jouer et entre femmes ici, c’est très bien aussi. »

SE SENTIR À L’AISE

Le futsal se pratique dans un gymnase, à l’abri des regards, et c’est ce qui a plu à Julie Shaban, 16 ans. Auparavant, elle a joué au CPB Blosne, dans une équipe mixte.

« Ma sœur est fan de foot et elle m’a transmis cette passion. Je suis plus à l’aise dans un gymnase, parce que je n’aime pas qu’on me regarde, et dans une équipe de filles, je préfère. J’ai eu quelques réactions de la part de mes parents qui m’ont dit « t’es une fille, comporte toi comme une fille », je les écoute, ce sont mes parents mais ça n’enlèvera pas le fait que c’est ma passion et que si je peux, ça me plairait bien d’être coach, comme Camille. Mais je ne pense pas en faire mon métier, elles ont des vies compliquées les footballeuses, j’aime que ça reste une passion. », explique la lycéenne en 1ère STMG, incapable de garder son sérieux dès lors qu’elle regarde sa copine, avec qui elle vient tous les vendredis soirs.

L’ambiance est légère et joyeuse. Entre exercices techniques, petits matchs par équipe de 3 sur moitié de terrain, puis matchs par équipe de 5 sur l’intégralité de la surface, elles ne chôment pas pour autant. Et c’est bien ce que recherche Claire Serres, 33 ans, qui n’avait jamais fait de foot avant le mois de septembre.

« J’ai eu deux enfants coup sur coup et je voulais un sport qui me défoule ! Et en effet, on sort de là lessivées. Même si peu de gens savent que les filles jouent au foot, et encore moins au futsal, pour moi, ça redore le blason des sports collectifs en général parce qu’il y a un très bon esprit. »
sourit cette assistante commerciale.

Et ce n’est pas Pauline Meyer, 29 ans, assistante d’éducation, ou Yasmine Degirmenci, 21 ans, étudiante en BTS assistante manager, qui la contrediront. Toutes les deux jouent ou s’intéressent au foot depuis qu’elles sont enfants. Et toutes les deux s’émerveillent de toutes les belles choses que l’on peut faire avec un ballon aux pieds.

« Je trouve ça vraiment bien qu’on soit de plus en plus nombreuses à faire du foot. C’est une bonne chose de le promouvoir et de dire que tout le monde peut le faire », s’exclame la première, rejointe par la seconde : « J’aime beaucoup regarder les footballeuses de l’équipe de France, j’aime leur esprit d’équipe, je trouve qu’il est plus flagrant que celui des hommes. Ça donne envie de jouer comme elles ! »

En quelques années, le football a évolué. Dans le sens où de nombreuses sections féminines sont apparues, offrant la possibilité aux filles, adolescentes, jeunes femmes et femmes de pratiquer ce sport à côté de chez elles. Dans un cadre de compétition, de haut niveau ou de loisirs, il est vecteur de lien social et d’émancipation.

Mais les représentations stéréotypées, gravées profondément dans l’inconscient collectif, pèsent encore trop lourd dans la balance. Subsistent encore de nombreuses inégalités, notamment en terme d’équipements sportifs, de matériel, de traitements ou financiers. Fruits d’un système encore dicté par les mécanismes du sexisme…

 

Enfant, son rêve était de devenir footballeuse professionnelle. Non seulement Mélissa Plaza l’a réalisé, en jouant le milieu de terrain avec le Montpellier Hérault Sport Club, l’Olympique Lyonnais, l’En Avant Guingamp ou encore l’équipe de France, mais elle a aussi obtenu sa thèse en parallèle, axée sur les stéréotypes sexués dans le sport. À 29 ans, cette docteure en psychologie sociale a co-fondé – en décembre 2016 – le cabinet de conseils sur l’égalité femmes-hommes Queo Improve, à Saint-Grégoire, pour lequel elle dispense formations, conférences et séminaires.

Enfant, on vous dit que footballeuse professionnelle, ça n’existe pas, mais faire du foot, ça, c’est possible… 

Oui enfin il y avait quand même quelques réfractaires dans ma famille, ma mère ne voulait pas trop que je joue au foot. Comme mon beau-père aimait bien, c’est lui qui m’accompagnait et il était content que je joue.

À 8 ans quand vous commencez le foot, vous êtes dans une équipe mixte ?

J’avais une équipe de filles à côté de chez moi donc j’ai tout de suite joué avec elles. Mais c’est vrai qu’à l’époque, on avait souvent tendance à jouer avec les garçons car il y avait très peu d’équipes féminines. Par contre, on jouait dans un championnat de garçons, uniquement contre des garçons.

Y avait-il des réactions de leur part ?

Oui, il y avait le côté « ahhh, on joue contre des filles ». Mais en fait dès qu’on leur mettait une pâtée, ils se la bouclaient, ils avaient plutôt honte. C’était rigolo pour nous de leur mettre des branlées.

Vous avez longtemps vécu ce sexisme ambiant ?

C’est toujours d’actualité, c’est sociétal, ce n’est pas juste lié au foot. En réalité, dans le foot, toutes les inégalités sociales, tous les comportements discriminatoires que l’on peut observer en société, sont juste décuplés. Si on prend ce qui est sorti récemment sur les violences faites aux femmes, ces questions n’ont pas beaucoup été soulevées dans le contexte sportif. Les violences sexuelles, pas qu’aux femmes mais entre athlètes, les bizutages dont on ne parle jamais, ces traditions qui autorisent des dérives comportementales assez hallucinantes…

Qu’est-ce qui explique selon vous que l’on n’en parle encore moins ?

C’est un vase close. Et dans le contexte sportif, le corps est mis au service de la performance. J’ai du mal à expliquer ça mais je crois qu’on a longtemps fermé les yeux sur ces phénomènes là. C’est difficile dans certains sports, comme en gymnastique par exemple, de dire à quel moment l’entraineur dépasse la limite.

Parce qu’il peut se permettre de corriger le mouvement en touchant le bassin, en touchant les fesses, en modifiant la posture, etc. Alors à quel moment on peut dire qu’un coach, qui touche les fesses de ses joueurs ou de ses joueuses avant d’entrer sur le terrain, a quelque chose de malsain ou n’a pas d’intention derrière ? C’est assez difficile le rapport au corps que l’on peut avoir dans le domaine sportif en général. Les entraineurs ne sont pas formés à ça.

Et puis il y a des enjeux de pouvoir. Effectivement, quand on est gamins et qu’on a un entraineur qu’on adule, qu’on adore, parce qu’on veut performer et qu’on veut devenir le meilleur ou la meilleure, forcément ça peut mener à des dérives je pense. Si on fait #balancetonporc dans le contexte sportif, il y a au moins toutes les sportives qui ont vécu une situation comme ça, et les sportifs au moins une situation de bizutage. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de l’ordre du fait divers. C’est vraiment quelque chose de courant.

Toutes les sportives ont vécu ce type de situation, vous aussi par conséquent ?

Oui, je sais qu’avec certains de mes entraineurs, je pense qu’il y a des choses qui n’étaient pas claires, que des choses n’auraient pas du avoir lieu de cette manière-là. En particulier avec les histoires de poids, on peut vite mettre la pression outre mesure sur des jeunes filles, des jeunes femmes.

Dans le milieu du sport, il y a justement un contrôle important du corps féminin.

Oui, en effet. On est vraiment dans des injonctions paradoxales. On nous demande d’être performantes. Pour cela, il faut avoir des corps musclés, prêts à l’effort, prêts à l’impact, prêts à être rapides et endurants. Et on nous demande aussi, en tout cas la société nous demande, de correspondre aussi à l’idéal de beauté féminin, c’est-à-dire sveltes mais pas trop musclées, plutôt fines.

Ça crée beaucoup de conflit chez les athlètes. Surtout à l’adolescence. Autour de moi, j’ai connu beaucoup de filles qui ont eu des périodes d’anorexie ou de boulimie. Les troubles du comportement alimentaire, chez les garçons je ne sais pas, mais chez les athlètes femmes et particulièrement les footballeuses, j’en ai connu plein.

Concernant l’idéal de beauté féminin, Catherine Louveau – qui était venue à Rennes pour une conférence en mars sur ces fameuses injonctions paradoxales – expliquait qu’aujourd’hui on voit une équipe de France de foot féminin qui entre sur le terrain maquillée, coiffée, etc.

Dans les vestiaires, il y a beaucoup de filles qui se maquillent beaucoup avant le match, qui se lissent les cheveux avant le match alors qu’il pleut dehors et qu’elles vont probablement friser en 5 minutes. Ça pose question, oui, en effet ! On est en train de prendre tous les artifices de la féminité pour dire « ok on fait un sport masculin mais on reste des femmes ».

Comme si on avait besoin de se justifier ! Alors qu’en réalité, on peut pratiquer le sport qu’on a envie, de la manière dont on a envie, et se définir comme des femmes à part entière sans se justifier auprès de qui que ce soit. Mais je connaissais beaucoup de filles, oui, qui avant les matchs se maquillaient, se coiffaient…

À votre avis, est-ce inconscient ou se disent-elles qu’il faut absolument affirmer leur féminité ?

Parfois, c’est conscientisé, parfois pas. Je ne pense pas qu’elles maitrisent tous les mécanismes sous-jacents. Mais effectivement, il y a une volonté de répondre aux injonctions faites par la société.

Et inconsciemment, elles se rendent compte que plus elles vont correspondre à ce que l’on attend de la féminité, plus elles vont être médiatisées…

Aussi, oui, bien sûr. D’ailleurs, celles qui sont médiatisées sont souvent celles qui sont les plus jolies, les plus apprêtées. Il y a des filles qui mériteraient d’être beaucoup plus médiatisées qu’elles ne le sont. Parce qu’elles ne correspondent pas forcément à l’idéal de beauté féminin.

C’est un sujet qui préoccupe les joueuses ?

Non, je ne pense pas. Je pense qu’il n’y a pas encore de prise de conscience. Pour l’instant, on est contentes d’être médiatisées. Peu importe la raison. Ça c’est dérangeant.

C’est quelque chose qui vous a souvent interrogé au fil de votre carrière ou c’est en abordant votre thèse que la prise de conscience a eu lieu ?

En faisant cette thèse, j’ai mis des mots et j’ai compris les mécanismes du sexisme et des discriminations liées au sexe, etc. Mais j’ai aussi fait des erreurs. Quand je repense à ma campagne pour le Montpellier Hérault quand j’avais 21 ans, j’ai fait une erreur parce que je ne pensais pas que poser à moitié nue sans savoir le slogan de la banderole (« Samedi soir marquer à la culotte ») pouvait être préjudiciable personnellement mais aussi à titre collectif.

Parce que finalement on n’allait pas parler de nos performances mais juste des trois nanas qui ont posé à poil, qui sont jolies et qu’on va aller voir jouer le dimanche. Ce sont des erreurs qu’on ne réalise pas sur le moment, on pense qu’enfin on s’intéresse à nous donc il faut saisir l’opportunité.

Mais quand ma photo a été affichée en 4x3 dans tous les abribus de Montpellier, ça m’a fait bizarre. J’ai commencé ma thèse à Montpellier et mon poster était affiché dans la cafétéria où je faisais ma thèse sur les stéréotypes sexués. Volontairement, j’ai laissé ça sur le net parce que je veux aussi me souvenir que c’est par ces erreurs-là aussi que j’avance.

J’étais gamine, et on l’impression qu’enfin on s’intéresse un peu à nous, c’était piégeur parce qu’en réalité, le but c’était de vendre des abonnements pour la Mosson (Stade de la Mosson). C’était pour aller voir les garçons, ils en avaient rien à carrer de nous en fait.

Est-ce que vous voyez une évolution depuis que vous avez commencé ?

Il y a eu une évolution, c’est certain. Parce qu’il y a certains clubs professionnels, où les filles gagnent très bien leur vie. Il y a eu une évolution médiatique également mais on ne voit que les strass et les paillettes. On voit Paris, Montpellier, Lyon. Partout ailleurs la réalité est autre. Il y a des filles qui ne sont pas payées du tout, il y a des filles qui gagnent 200 euros brut par mois et qui font autant d’entrainements, qui font plus de déplacements parce qu’on n’a pas les moyens de leur payer le jet privé.

Au final, si on a avancé dans certains clubs, dans beaucoup d’autres ce n’est pas le cas. Aussi parce que comme toute situation pointée du doigt, elle doit être objectivée, avec des chiffres. Si on prend le championnat de France des garçons on est à peu près tous en mesure de dire en fonction du transfert ce que untel ou untel touche. Si on fait ça pour les filles, on ne trouve pas de salaires.

On sait à peu près, en moyenne, les salaires des filles de l’Olympique Lyonnais, mais cela ne correspond pas du tout à la réalité. Allons mettre sur la place publique un petit peu ce que ces filles touchent par mois. Il y a des filles qui ont 0 pour s’entrainer 6 à 8 fois par semaine et faire 30h de bus le week-end. Mettons un peu sur la place publique les salaires et comment sont traitées les filles parce que ce n’est pas seulement financier, c’est aussi en terme d’équipements.

Il y a des clubs qui filent 2 shorts et 2 maillots pour s’entrainer 2 fois par jour. Mais c’est bien connu les femmes aiment faire la lessive donc ce n’est pas grave, elles laveront leurs équipements ! Il y a aussi des clubs où les hommes ne veulent pas prendre le bus, donc ils prennent l’avion, mais comme il y a des sponsors, bon bah les filles elles vont prendre le bus, « c’est pas grave si vous faites 36h de bus dans le week-end, vous prendrez un jour de congé sur votre deuxième boulot qui vous permet d’atteindre péniblement les 800 euros net par mois ! ». C’est la réalité !

Et tant qu’on ne parlera pas de ce qui se passe ailleurs, effectivement on aura l’impression qu’on aura avancé. Et que de toute façon, dans notre devise c’est marqué égalité, alors on est naturellement égalitaires. Ce qui n’est pas du tout le cas ! On parle enfin des violences sexuelles faites aux femmes, des inégalités salariales, etc. Mais on en parle parce qu’on a enfin mis des chiffres et que ces chiffres sont enfin exposés et visibles.

A-t-on une idée d’où vient la responsabilité ?

Je pense que ce sont surtout des volontés politiques au sein des clubs. Il y a des dirigeants et des instances dirigeantes qui sont volontairement investi-e-s. Depuis une quinzaine d’années, voire une vingtaine, le président Aulas (président de l’OL) a choisi d’investir dans les féminines, au départ surement à perte, mais parce qu’il croyait en ces filles.

Aujourd’hui, c’est probablement la plus belle vitrine du club et il reçoit beaucoup en retour. Ça doit être des volontés politiques et pas seulement pour répondre à des quotas ou éviter de prendre des amendes. Parce qu’il y a aussi aujourd’hui encore des clubs qui préfèrent payer l’amende que d’avoir une section féminine.

On a le cas à Rennes avec le Stade Rennais.

Exactement ! Ce n’est pas un mythe, il y a encore des réfractaires, des gens qui vous disent ouvertement que les filles n’ont rien à faire sur un terrain de foot. En 2017, on entend encore ça ! C’est le quotidien.

Quand vous dites que vous avez été footballeuse professionnelle, est-ce que l’on avance dans les réactions, dans les mentalités ?

Vous savez, le problème de ces « femmes d’exception » comme on les appelle, c’est qu’elles viennent juste confirmer la règle. On les voit comme des extraterrestres finalement, on se dit que c’est un peu loin de nous tout ça et je pense que potentiellement, ça peut renforcer le stéréotype. Malheureusement.

Maintenant, c’est aussi des rencontres, des témoignages. Je sais que quand je parle de ce que j’ai vécu ou de ce que je peux vivre par moment, ça marque les gens. Certains en formation me disent « je ne pensais pas que ça pouvait être aussi violent ». Ça contribue à changer les mentalités mais ça va prendre du temps, ce n’est pas suffisant pour changer les comportements de façon durable.

C’est difficile de changer des siècles et des siècles de domination masculine. Où même les femmes peinent à reconnaître qu’elles sont dominées. C’est vraiment le combat de toutes et tous.

Ça rejoint ce que vous dites dans votre TED à propos de « garçon manqué »…

Oui, quand on me disait ça étant petite, je me disais que c’était un compliment. C’était valorisant d’être appelée comme ça alors qu’un garçon qu’on traitait de fille manquée ou d’homosexuel, parce que c’est ça qu’on dit, ce n’est pas le même statut. C’est plus tard que j’ai compris que finalement non, ce n’était pas un compliment mais une manière de rabaisser les femmes à leur rang d’inférieures et d’incapables.

La plupart des joueuses interviewées le disent encore qu’elles ont été ou sont des garçons manqués…

Et bien il faudra leur dire que ce sont des femmes réussies ! En fait, on a internalisé la domination masculine au fond de nous-même.

À propos du salaire, vous dites que vous avez commencé à 400 euros par mois…

Oui, 400 euros brut par mois. Mon premier salaire en tant que joueuse pro, à Montpellier.

Et à la fin de votre carrière ?

J’ai fini à 1500 euros net, à Guingamp. En faisant ma thèse en même temps. Une carrière qui permet de se mettre à l’abri, quoi. Qui permet de cotiser…

En tant que joueuse, que retenez-vous de votre carrière ?

Je retiens de choses positives quand même, des bons moments, des choses exceptionnelles que j’ai pu vivre, que d’aucun sur la terre pourrait vivre. Mais disons qu’il y a toujours des émotions qui sont diamétralement opposées, qui sont extrêmes. Des extrêmes déceptions, des extrêmes joies, des moments d’euphorie qu’on ne pourrait vivre dans aucun autre contexte.

Il n’y a que la victoire dans une compétition qui peut procurer autant de joie. Et en même temps, la retombée est rude. J’ai terminé ma carrière un peu contre mon gré et ça aura toujours un goût d’inachevé et d’injustice. Ce sont des émotions énormes. Je ne crois pas qu’un autre événement dans ma vie un jour puisse me procurer autant d’émotion que d’avoir gagné les jeux olympiques universitaires. Même la naissance d’un enfant sera moindre à côté.

Peut-être que je me trompe mais je pense que rien ne peut procurer autant d’émotion que le sport. La preuve en est que des gens vivent cette émotion par procuration. Ils ne vivent pas l’entrainement intense, la compétition, les efforts que ça demande mais arrivent à exulter au moment de la victoire. Vous pouvez imaginer ce qui se passe dans nos têtes. Enfin je ne sais pas si ça s’imagine…

Ça se voit en tout cas…

Oui, ça se voit. C’est juste dément. Et il n’y a rien qui puisse procurer ça ailleurs. Enfin, je ne pense pas.

Qu’est-ce que vous voulez dire aux jeunes filles, jeunes femmes, femmes qui n’osent pas ?

Je leur dirais de faire du sport en général parce que c’est important pour la santé et tant qu’on n’aura pas un égal accès au sport entre les femmes et les hommes, on n’aura pas un égal accès à la santé. C’est très important pour moi. La deuxième chose, c’est l’accès à la confiance en soi. Aujourd’hui, les filles et les femmes ont beaucoup moins confiance en elles que les garçons et les hommes.

Pour moi, le sport est un vecteur de confiance en soi, un vecteur d’émancipation et je pense que c’est un vecteur indispensable pour permettre aux femmes de se sentir épanouies et de ne pas avoir peur de faire des choses, de ne pas avoir peur de rebondir après un échec, etc. Je pense que le sport est une clé. On en parle souvent de manière générale pour les jeunes dans les quartiers mais on n’en parle pas assez pour les femmes.

Ça rejoint un peu le travail de Nicole Abar.

Tout à fait.

Quand avez-vous co-fondé votre entreprise Queo Improve ?

Fin décembre 2016. L’objectif, c’est de faire des conférences, des formations sur l’égalité, dans toutes les structures qui souhaitent s’améliorer sur ce plan là. Ou ce sont des entreprises qui sont contraintes législativement, ou des entreprises qui ont envie de s’investir dans le sujet, ou des collectivités territoriales, des collèges, des lycées…

Partout où il y a des gens qui ont la volonté de faire bouger les choses. Il y en a, tout comme il y en a qui ne réalisent pas l’importance de l’égalité et de la mixité au sein de leur structure et qui là en prennent conscience donc c’est bien. D’autres ne sont pas prêts à se faire ouvrir les chakras. Ça prendra du temps parce que toute la société évolue parallèlement.

Comment vous vous y prenez justement ? Par le démarchage ?

Oui, on démarche mais c’est aussi beaucoup par le bouche à bouche. A la suite d’une conférence, les gens se disent « Tiens j’ai déjà vu cette nana là, elle est super, elle aborde les choses différemment, tu devrais la voir ». Il y a du démarchage mais c’est beaucoup les gens qui viennent me chercher parce qu’ils ont vu mon TED, pour me faire intervenir sur l’égalité, sur la motivation, sur comment booster ces équipes, comment manager une équipe.

Vous avez des clients dans le milieu sportif ?

J’ai pas mal de collectivités qui veulent se lancer dans le sujet des violences dans le sport, la prévention des stéréotypes. À l’heure actuelle, je n’ai pas encore de clubs mais pour moi, ce qui m’apparaît essentiel, ce serait d’intégrer un module lié à l’égalité dans les diplômes d’état. Ce qui n’existe pas à l’heure actuelle.

Tant que l’on n’aura pas ça et que l’on n’aura pas des gens en mesure de donner ces formations, faire comprendre à ceux qui vont former et qui vont entrainer plus tard les gens que c’est incontournable, on n’avancera pas. On ne peut plus parler des filles comme on le faisait avant. Dire le « foot féminin », c’est faux. C’est du foot.

Le football au féminin n’est pas différent du football au masculin. Ce sont les mêmes règles, les mêmes buts, les mêmes ballons (des gens me demandent encore si on joue avec les mêmes ballons), les mêmes distances, la même longueur de but ! Informer les gens que, putain, c’est le même sport ! On part juste avec 50 – 60 ans de retard.

Donc oui aujourd’hui ça paraît plus lent mais pensez qu’aujourd’hui on a 40 caméras de moins, beaucoup plus de retard parce qu’on a commencé il y a moins longtemps, parce qu’on n’a pas d’école, pas d’entraineur, pas de staff compétent, pas d’équipement, faut penser à tout ça.

Donnons aux femmes et aux hommes les mêmes chances et ensuite on pourra éventuellement calculer par les différences biologiques les différences dans les performances. Faisons ça déjà !

 

 

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Footballeuses à part entière
Equipes de battantes
Yvon Léziart, conseiller municipal délégué aux sports, à Rennes
Mélissa Plaza : "C'est difficile de changer des siècles et des siècles de domination masculine"

Célian Ramis

8 mars : Dénoncer les discriminations envers les femmes dans le sport

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Champs Libres, Rennes
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Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, répondait aux questions de l’animateur Arnaud Wassmer, le 18 mars aux Champs Libres.
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Si les femmes sont davantage présentes dans les différentes disciplines sportives, les inégalités entre les hommes et les femmes subsistent, et le traitement médiatique révèle de nombreuses discriminations et injustices. Et l’évolution vers un changement de mentalité se fait lente. Trop lente, selon Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, qui répondait aux questions de l’animateur Arnaud Wassmer, le 18 mars aux Champs Libres.

On ne compte plus le nombre d’ouvrages et de publications auxquels Catherine Louveau a participé. Son domaine d’expertise : le sport et les inégalités entre les femmes et les hommes. C’est d’ailleurs elle qui signe la première biographie du Dictionnaire des féministes – ouvrage collectif dirigé par l’historienne Christine Bard – avec la lettre A comme Abar (Nicole), l’ancienne footballeuse, aujourd’hui très investie dans l’éducation à l’égalité à travers le sport (lire notre article ici).

« En théorie, dans la réglementation, les hommes et les femmes peuvent faire les mêmes sports. Mais en vérité, il y a toujours des enjeux et il n’y a toujours pas de similitude entre les hommes et les femmes. Le sport moderne – c’est-à-dire depuis le milieu du XIXe siècle – reste encore l’école de la virilité. », entame-t-elle en guise d’introduction.

Les bases sont posées. Catherine Louveau n’a pas sa langue dans sa poche et pour elle, les constats ne doivent pas être nuancés de faux espoirs ou de faits exceptionnels. Si les femmes sont de plus en plus nombreuses à intégrer des sports, la pratique n’est pas la même, les tendances dites « lourdes » montrant qu’elles se dirigent vers les pratiques auto-organisées, visant à l’esthétisation du corps (footing, fitness, etc.) là où les hommes s’orientent vers des pratiques en club, en équipe et en compétition.

Pour la sociologue, les hommes ont créé des normes de pratique. Si en moyenne, sur 100 licenciés, seul un tiers des membres sont des femmes, cela s’explique par le regard que porte la société sur le genre féminin. Disputer des matchs, à haut niveau, en short, en sueur, devant un parterre de spectateurs va à l’encontre des assignations de genre.

« Quand Florence Arthaud remporte la Route du Rhum (en 1990, ndlr), Le Parisien titre « Flo, t’es un vrai mec » ! Elle vient de gagner la Route du Rhum et on écrit ça ?! »
s’indigne la conférencière.

Un exemple illustrant parfaitement la différence de traitement, médiatique en l’occurrence, que l’on réserve aux femmes dans le sport.

L’ENJEU DU CORPS

Le corps des femmes est un enjeu crucial dans les rapports de domination entre les sexes. Et dans le domaine sportif, il est brandi comme une excuse scientifique et légitime pour interdire son accès à la gent féminine :

« Les médecins sont généralement très conservateurs sur les attentes qu’ils ont de la féminité et utilisent des arguments du XIXe siècle ! Pour le saut à la perche, certains diront qu’il existe un risque de descente des organes pour les femmes. Et pour le saut à ski, d’autres diront que c’est dangereux pour elles car elles sont destinées à être mères ! Pardon ? Nous ne sommes pas destinées à être mères, nous avons simplement les organes pour l’être. Il y a une différence importante !!! »

Dans les années 1920, le football et le rugby deviennent des disciplines uniquement masculines. Et quand en 1928, on autorise enfin les sportives à participer aux courses en athlétisme, dont les 800 mètres, on constate qu’à l’arrivée, elles sont fatiguées et certaines s’effondrent. « Les journalistes commenteront que ce n’était pas beau à voir. Moralité ? On interdit le 800 mètres jusqu’en 1964 ! », trépigne Catherine Louveau.

Aujourd’hui encore, on constate les disciplines choisies dès la petite enfance sont les reflets des assignations genrées. Si le sport représente dans la majorité des familles françaises un moyen socio-éducatif privilégié, on reste retranché-e-s derrière les clichés : la danse et la gymnastique pour les filles, le football et le judo pour les garçons.

On retrouvera la même correspondance dans les métiers, où les activités « dures, de force, qui demandent du corps à corps, comportent des risques et des dangers » sont encore réservées, dans les mentalités, aux hommes.

« Aujourd’hui, 80% du temps de sport sur les chaines hertziennes - je dis bien chaines hertziennes, je ne parle pas du câble et du satellite – est réservé aux hommes ! Comment voulez-vous avoir envie de quelque chose quand on ne le voit pas ? », s’interroge la sociologue. Les filles ne voient pas, ou si peu, de femmes dans les métiers pensés au masculin, pareil pour le sport (hors Jeux olympiques, précise-t-elle).

Elle qui enseigne à l’UFR STAPS de l’université Paris Sud en a la preuve au fil des années : les étudiantes sont de moins en moins nombreuses.

« En 1ère année, il y a 25% de filles. C’est très peu. Et sur l’ensemble des L1, L2 et L3, on est passé, en peu de temps, de 32 à 28% de filles. »
précise-t-elle.

Elle met les choses au clair : femmes et hommes sont peut-être différents, néanmoins, cela n’empêche en rien l’égalité des droits, dont celui d’être traité-e-s de la même manière. « Il y a une loi contre les discriminations ! Nicole Abar est la seule à avoir saisir le tribunal pour faire condamner le club dans lequel elle entrainait des filles et qui priorisait toujours les garçons. Ce qui a d’ailleurs fait une jurisprudence. C’est la seule affaire !!! », s’insurge Catherine Louveau.

L’APPARENCE AVANT TOUT

Et quand les femmes passent outre les assignations en s’investissant dans une pratique sportive, rares sont celles qui sont médiatisées et reconnues. Car pour être sous les feux des projecteurs, les performances ne sont pas les seuls critères. Arnaud Wassmer évoquera notamment les nombreuses heures de diffusion des équipes féminines de Beach volley à Rio et Catherine Louveau saisira la perche pour poursuivre et renchérir sur les plans fréquents sur les fessiers des joueuses, au tennis notamment :

« Faut-il être sexy et glamour pour être médiatisée ? La réponse est oui. De nombreuses injonctions pèsent sur les sportives avec comme condition de la médiatisation d’être sexy, belles à regarder, voire susceptibles de susciter du désir. »

Elle se désole d’entendre encore des commentaires sexistes sur France Télévisions, notamment de la part de Nelson Monfort ou encore de Philippe Candeloro – « mais celui là devrait être véritablement sorti de France TV » - qui évoquent en premier lieu l’apparence, le charme, le sourire des sportives, avant de parler de ce qu’elles viennent de réaliser.

Mais elle regrette également que les femmes acceptent de revêtir les jupes imposées par certaines fédérations, à l’exception des joueuses de badminton « qui se sont rebiffées contre les jupettes ! » Une pression sociale et culturelle s’exerce sur la plupart des sportives, de qui on attend une certaine féminité. Pour ne plus entendre dire qu’elles sont des garçons manqués, elles ont dû intégrer les codes de l’imposée féminité, à l’instar du maquillage, des cheveux longs ou encore du vernis à ongle.

LES VRAIES FEMMES

« C’est une violence terrible de devoir se justifier sans cesse ! Prenez l’exemple du rugby. Les premières lignes doivent être costaudes et les personnes à l’arrière, plus légères, pour courir. Les filles dans les premières lignes, il faudrait qu’elles soient comme les gymnastes ou les danseuses ? C’est insensé ! On ne pense pas à la pluralité des corps et des morphologies. Il y a des morphotypes et il y a des féminités différentes. Comme il y a des jeunes, des grands, des petits, des plus âgés… Mais c’est discriminatoire car cela ne s’adresse qu’aux femmes, surtout si elles sont médiatisées. », signale la sociologue.

Un exemple frappant pour elle : Serena et Venus Williams d’un côté, Amélie Mauresmo de l’autre. Toutes les trois sont ou ont été des grandes joueuses de tennis. Toutes les trois très musclées. Les deux premières disputent leurs sets parées d’une robe ou d’une jupette et apparaissent souvent maquillées, signes de parures associées au féminin. La troisième joue les matchs sur le cour en short et débardeur. Et le grand public sait qu’elle est homosexuelle.

« Du jour au lendemain, des joueuses, comme Hingis et Davenport, ont commencé à dire, en parlant de Mauresmo, qu’elles avaient l’impression de jouer contre un homme. Vous voyez comment se font les glissements ? On a commencé à dire qu’elle n’était plus une vraie femme, et même, qu’elle serait peut-être un homme. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est quoi une vraie femme ? », interpelle Catherine Louveau.

Autre cas, toujours dans le tennis, celui de Marion Bartoli. En 2013, elle gagne Wimbledon. Un journaliste anglais commente son physique : la joueuse de tennis n’est pas « canon » car elle est costaude. Ce à quoi elle répondra qu’elle n’a pas rêvé de devenir mannequin mais de remporter ce tournoi. « Voilà. Point. Elles ne sont pas là pour être jolies. Ni pour faire joli. », scande la conférencière.

Elle conclut sur un bilan peu reluisant. Les salaires sont, comme dans le reste de la société, inégaux, obligeant la majorité des sportives à poursuivre un autre travail en parallèle. Idem pour les subventions, obligeant alors les équipes féminines à payer leurs déplacements pour aller disputer les matchs extérieurs. Moins de dix femmes dirigent des fédérations sportives ou entrainent des équipes de haut niveau.

Et quand on observe l’éducation des petites filles et des petits garçons, on s’aperçoit clairement que seuls ces derniers sont rapidement éduqués à la motricité – ce que déclare Nicole Abar depuis de nombreuses années - grâce aux jeux de ballons, qu’on leur envoie au pied, tandis qu’on l’enverra à la main pour les filles.

De plus, les contrôles de féminité sont toujours en vigueur avec une batterie de tests visant à confirmer que la personne - dont on doute de l’identité sexuée, en raison de sa morphologie ou de ses performances – est bien un homme ou une femme.

« Le problème, c’est que les joueuses ne râlent pas et ne dénoncent pas les injustices et discriminations. Généralement, elles ne veulent pas se revendiquer féministes car elles doivent passer leur temps à dire et prouver qu’elles sont des « vraies femmes » ! »
regrette Catherine Louveau.

Pour elle, la loi Vallaud Belkacem, datant de 2014 et obligeant les instances à la parité, doit être prise au sérieux et respectée. En imposant des quotas, les mentalités devraient changer. Et surtout, du côté des femmes qui prendront alors confiance en elles :

« Le gros problème des femmes, c’est l’estime de soi, la confiance en soi. Mais on est tout autant capables que les hommes. Les compétences n’ont pas de sexe. »

 

Célian Ramis

8 mars : Un après-midi pour jouer l'égalité

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Maison Internationale de Rennes
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Le 8 mars, Françoise Cognet organisait un après-midi sport et culture, « Jouons l’égalité », dans le jardin du palais St Georges. Rameurs, initiations à l’escrime, parcours de course et marathon de lecture étaient au programme.
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Mercredi 8 mars, dès 15h, Françoise Cognet organisait un après-midi sport et culture, sur le thème de la programmation « Jouons l’égalité », dans le jardin du palais St Georges. Rameurs, initiations à l’escrime, parcours de course et marathon de lecture étaient au programme.

Que ce soit clair, l’idée n’est pas de jouer à l’égalité mais de jouer l’égalité. Soit rendre accessible le sport et la culture aux filles et aux garçons. Sans distinction ou discrimination en raison du sexe ou du genre, et sous aucun autre prétexte par ailleurs. À l’initiative de cette manifestation, Françoise Cognet, qui présente en parallèle son exposition photographique « À l’eau, elles rament encore », du 1er au 18 mars, à la Maison Internationale de Rennes.

Son père a été le président de la Société des régates rennaises, là où elle a elle-même ramé et barré. Elle se saisit donc des 150 ans de la structure pour aborder l’aviron dans la programmation rennaise du 8 mars, et plus largement pour parler d’égalité dans le sport et la culture.

« Hommes et femmes ont les mêmes droits et doivent être vigilants à cela. Chacun-e a des compétences et on peut évidemment être égaux par le sport, la lecture, la culture. », explique-t-elle ce mercredi après-midi, sous les tentes installées par la direction du quartier Centre dans le jardin St George.

Au même moment, un groupe de cinq femmes commencent un marathon de lecture, un désir que Françoise Cognet avait depuis longtemps. À tour de rôle, elles lisent quelques lignes du texte La gazelle.

À quelques mètres en contrebas, deux jeunes filles s’exercent sur les rameurs installés par la Société des régates rennaises, après avoir effectué le parcours mis en place par l’ASPTT Rennes et juste avant de s’initier à l’escrime avec le club sportif de la Garnison.

« C’est bien, cet après-midi, on parle d’aviron et on parle de femmes », rigole Geneviève Aubry, ancienne présidente de la Société des régates rennaises (de 1997 à 2012), où elle est licenciée depuis 1960. Elle poursuit : « Aux Régates, les femmes sont présentes depuis les années 1920, ce qui n’est pas une habitude dans les clubs. On a commencé à parler d’aviron au féminin dans les années 70. »

Pour elle, pas de différence entre les femmes et les hommes dans cette discipline qui demande de la rigueur, se fait assis et ne nécessite pas uniquement de puissance mais également de techniques. « Vous pouvez mettre sans problème une femme dans un bateau d’hommes ! Et d’ailleurs, dans le règlement, en championnat de France, il n’est pas interdit de présenter des équipes mixtes. On ne fait pas de différence. Moi, je suis arbitre et je peux arbitrer aussi bien les courses de femmes que d’hommes. », souligne-t-elle.

Pourtant, elle ne peut nier que les femmes sont moins présentes, souvent en raison des disponibilités familiales. Mais précise que toutes les femmes ne se freinent pas pour autant, heureusement :

« Certaines continuent de ramer, font garder les enfants, rament jusqu’à 7 mois de grossesse ! Je dirais à celles qui n’osent pas venir qu’il ne faut pas craindre la difficulté car c’est un sport très accessible, qui peut se faire à n’importe quel niveau et qui est convivial puisqu’il se passe dans des bateaux collectifs. On découvre vraiment les rivières, on traverse Paris, on participe à la Volalonga de Venise, etc. C’est super ! »

Du côté de l’ASPTT Rennes, Nadine Richter livre le même constat en athlétisme. Les femmes sont moins nombreuses et reconnaît sans difficulté que le domaine du sport est encore terriblement machiste. Depuis longtemps, elle pratique le lancé de poids et entraine dans cette discipline.

« Je suis à l’ASPTT depuis je suis installée à Rennes et je reste là car je m’y sens bien, c’est un club familial et qui fait de bons résultats. On ne sent pas de différence entre les femmes et les hommes et surtout pas de différence entre les disciplines de l’athlé », explique-t-elle.

Malgré tout, elle ne peut s’empêcher de taper sur poing sur la table quand à la différence de traitement que l’on réserve aux filles et aux garçons. Que les hommes soient physiquement plus forts, ok, mais cela ne signifie en aucun cas qu’ils sont les meilleurs :

 « Les filles ne sont pas moins fortes. On a tendance à valoriser les gars parce qu’ils courent plus vite. Les femmes ne sont valorisées que lorsqu’elles atteignent des résultats. Mais même. Prenez l’exemple du foot, les filles constituent une super équipe et on n’en parle pas ! Ça m’insupporte ! »

Les clubs, pour la plupart, se mobilisent pour que filles et garçons puissent bénéficier d’un égal accès aux sports de leurs choix. Mais les mentalités, notamment à haut niveau de compétition mais pas uniquement, sont lentes et difficiles à faire bouger.

Célian Ramis

8 mars : Aux USA, même ambivalence dans le sport et la culture

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Le 7 mars, l'Institut franco-américain de Rennes mettait sur la table la question de la promotion des femmes américaines à travers le sport et la culture, avec la venue d'Hélène Quanquin, spécialiste des mouvements féministes aux USA, à la Sorbonne.
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Elle n’est pas spécialiste du sport, a-t-elle précisé d’emblée, lors de la conférence qu’elle tenait le 7 mars, à l’Institut franco-américain. En revanche, la question des mouvements féministes aux Etats-Unis est le domaine de prédilection d’Hélène Quanquin, de Paris 3 – Sorbonne nouvelle.

La conférence ne pouvait pas mieux tomber. Le soir même, ou plutôt la nuit, la finale du championnat She Believes Cup (2e édition de la compétition visant à inciter les jeunes filles et les femmes à jouer au foot, réunissant les USA, la France, l’Allemagne et l’Angleterre) se déroulait à Washington et opposait l’équipe féminine de football des USA à celle de la France. Diffusée en direct sur C8, on pouvait assister à la victoire écrasante des Françaises, qui se sont imposées 3 à 0, face aux tenantes du titre.

Pour Hélène Quanquin, l’ascension des femmes dans le sport et la culture est due aux mouvements féministes. Parce que les femmes se sont battues pour se faire entendre et pour faire avancer leurs droits, vers l’égalité des sexes. Elles n’ont pas attendu la présidence de Donald Trump pour se mobiliser.

MOBILISATIONS FÉMINISTES

La marche du 21 janvier 2017, qui a réuni au lendemain de l’investiture plus de 4,5 millions de personnes aux USA – « la manifestation qui a réuni le plus de participant-e-s de toute l’histoire » - est en effet issue d’une tradition féministe basée sur le rassemblement.

Elles organisaient déjà des marches de femmes au début du XXe siècle, notamment en 1911 à New-York marquant leur volonté d’occuper l’espace ou encore en 1913 à Washington pour le droit de vote.

« Le mouvement féministe et suffragiste incorporait beaucoup d’éléments de la culture populaire, comme le théâtre, la chanson, les cartoons, la caricature… Toutefois, on voit que l’incorporation des revendications féminismes est graduelle. À cette époque, quand des femmes noires voulaient participer, certaines femmes blanches menaçaient de ne pas y participer. C’est l’époque de la ségrégation aux USA et le racisme est présent dans le féminisme. On parle alors pour ces marches de White women’s march. Pareil pour les revendications des femmes lesbiennes ! », développe la spécialiste des mouvements féministes américains.  

Elle poursuit :

« C’est là que l’on voit la différence avec janvier 2017. Dès novembre, dès l’élection, le comité d’organisation de la marche a voulu que l’événement réunisse tout le monde. Des blanches, des noires, des arabes, des latinas, des femmes voilées, des femmes trans, des hommes… ».

À quelques détails et années près, le féminisme américain connaît les mêmes vagues qu’en France et les années 60 et 70 représenteront également deux décennies importantes pour les droits des femmes, militant contre les discriminations liées au sexe, à la race et à l’ethnicité.

ÉGAL ACCÈS AUX SPORTS ET ACTIVITÉS

C’est dans ce contexte que sera adopté l’amendement Title IX qui protège les individus des discriminations basées sur le sexe dans les programmes éducatifs et activités recevant des fonds fédéraux (No person in the United States shall, on the basis of sex, be excluded from participation in, be denied the benefits of, or be subjected to discrimination under any education program or activity receiving Federal financial assistance.).

Un amendement qui enclenchera également une réflexion autour de la lutte contre le harcèlement sexuel dans les universités. Et qui empêchera, dans les écoles et facultés américaines, de restreindre la participation aux activités en raison de son sexe et de son genre. Et fera naitre également une loi imposant une réglementation de ce type dans les sports amateurs.

« Le sport fait partie intégrante de la vie des écoles et des universités américaines qui organisent beaucoup de compétitions. En 2002, 160 000 femmes y avaient participé. Maintenant, elles sont plus de 200 000. Il y a presque la parité. Et beaucoup de sportifs olympiques ont participé à ce type de compétition. Cela prouve l’incidence de certaines lois sur l’évolution du nombre de sportives de haut niveau », souligne Hélène Quanquin.

Et la dernière édition des JO, qui s’est déroulée à Rio en 2016, a mis en lumière plusieurs femmes athlètes, parmi lesquelles figurent l’équipe féminine de gymnastique – dont Simone Biles sera la plus médiatisée et mise en avant grâce à ses 4 médailles d’or -, Simone Manuel, première femme noire à remporter un titre olympique en natation ou encore Ibtihaj Muhammad, la première escrimeuse médaille à porter un voile lors de la compétition.

Pour les Etats-Unis, l’ensemble des performances les place au premier rang des JO de Rio avec 121 médailles. Dont 61 ont été gagnées par des femmes.

« Ce sont les deuxièmes Jeux olympiques qui marquent la supériorité des femmes aux USA, même si là c’est très léger. Elles ont remporté 27 médailles d’or, soit le même nombre que toute l’équipe britannique. »
indique la spécialiste.

POURTANT, LES HOMMES L’EMPORTENT…

Néanmoins, la promotion des femmes dans le sport interroge. Les performances prouvent leurs compétences et pourtant dans les médias quand Michael Phelps remporte l’argent, il remporte également le titre principal de Une, tandis que sur la même couverture, en plus petit, on inscrira la victoire de Katie Ledecky. Après tout, championne olympique à cinq reprises et championne du monde en grand bassin neuf fois, elle n’est que la détentrice des records du monde sur 400m, 800m et 1500m nage libre…

C’est ainsi que l’on constate l’ambivalence du domaine. D’un côté, le sport est un moyen pour promouvoir les droits des femmes. D’un autre, il est aussi un lieu d’inégalités subsistant entre les femmes et les hommes. Ces derniers gagnent plus d’argent, se réclamant d’un plus grand intérêt de la part des spectateurs/trices et par conséquent, des publicitaires et des sponsors.

Outre les mouvements féministes et les lois, les sportives doivent également se battre contre les préjugés, les idées reçues et les sportifs. À l’instar de Billie Jean King, grande joueuse de tennis, qui en 1973 a menacé de boycotter l’Open des Etats-Unis, revendiquant le droit des femmes à gagner le même salaire que les hommes en tournoi. La même année, elle crée une association de tennis féminin et bat Bobby Ricks – joueur réputé pour son machisme - en trois sets lors d’un match que ce dernier envisageait comme un moment voué à démontrer la supériorité masculine.

Pour Hélène Quanquin, « Billie Jean King a marqué l’histoire du tennis et l’évolution des droits des femmes dans ce sport. D’autant que c’est la première femme athlète à faire son coming-out. Ce qui lui coûtera plusieurs spots publicitaires, donc de l’argent. »

DANS LE CINÉMA, MÊME COMBAT

Les réflexions sexistes (des sportifs, des médias, des commentateurs sportifs…), la supériorité masculine très prégnante et les inégalités, notamment de salaires, se retrouvent également dans le domaine de la culture. En 2015 – 2016, cette problématique occupera une part importante du débat hollywoodien. Pour cause, l’affaire des piratages des mails de Sony qui fera découvrir à Jennifer Lawrence qu’elle était moins bien payée sur les pourcentages et les ventes du film.

Lors des cérémonies américaines, aux Oscars notamment, les voix féministes commencent à s’élever. Dans les discours de Patricia Arquette ou de Meryl Streep par exemple, l’égalité salariale est en première ligne des revendications. Suit ensuite le faible nombre de rôles principaux ou secondaires, mais importants, attribués aux femmes. Des messages que l’on entend également dans la bouche des anglaises Kate Winslet ou Emma Watson, et de plus en plus de la part des réalisatrices et actrices du cinéma français.

On notera alors que seules 28% environ des actrices obtiennent des rôles significatifs au cinéma et qu’aux Oscars seules 4 femmes ont été nominées dans la catégories des meilleur-e-s réalisateurs/trices dans l’histoire des récompenses. « Et les chiffres sont pires pour les femmes issues des minorités. On constate bien souvent que quand des femmes réalisent, il y a plus de rôles pour les femmes. », conclut Hélène Quanquin.

DANS LA MUSIQUE, PAREIL

Les chiffres sont révélateurs. Dans le secteur de la musique également. Moins de 5% des producteurs et ingénieurs sont des femmes, révèle la conférencière, qui enchaine immédiatement avec l’affaire Kesha. La chanteuse accuse son producteur, Dr Luke, de viol et demande alors à être libérée de son contrat, ce que le tribunal refusera, lui accordant seulement le droit de changer de producteur mais la sommant de rester chez Sony pour honorer l’acte signé.

La question tourne alors autour du pouvoir et de l’influence de l’industrie musicale, qui aurait tendance ces dernières années à instrumentaliser le féminisme. « Le pop féminisme serait-il la 4e vague ? », interpelle Hélène Quanquin. Le pop féminisme rassemble les chanteuses populaires actuelles, prônant leurs engagements féministes dans leurs discours et leurs chansons, comme Beyonce, en tête de cortège, Katy Perry, qui jusqu’à récemment hésitait tout de même à se revendiquer féministe, ou encore Miley Cirus, jugée plus trash.

UNE AMBIVALENCE PREGNANTE

Ce mouvement semble plus inclusif, à l’image de la marche de janvier 2017. Mais l’ambivalence persiste dans le secteur de la musique, du cinéma comme dans celui du sport. Là où on note des progrès, à ne pas négliger puisqu’ils influencent bon nombre de jeunes femmes, on ne peut nier également l’instrumentalisation marketing de ces milieux, régis par l’industrie, dans lesquels les inégalités persistent fortement.

« Les progrès sont liés aux mouvements féministes et à l’avancée de la législation. Mais on voit des limites à ce progrès. Les femmes n’ont toujours pas d’égal accès aux positions de pouvoir, sont toujours représentées de manière différente dans les médias et font face à un fonctionnement de l’industrie extrêmement inégalitaire. Pas seulement pour les femmes mais aussi pour les personnes issues des minorités. », conclut Hélène Quanquin.

À noter qu’en France, les mentalités stagnent aussi. La preuve avec les remarques sexistes – et racistes – des commentateurs sportifs. « Elles sont là nos petites françaises », pouvait-on entendre dans la nuit du 7 au 8 mars lors de la finale de la She Believes Cup. Aurait-on dit la même chose de l’équipe de France masculine ?

 

Célian Ramis

8 mars : Sur le terrain de l'égalité

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Ancienne footballeuse, championne de France multi sélectionnée dans l'équipe nationale, Nicole Abar s'engage depuis plusieurs années pour lutter contre les discriminations sexistes et éduquer filles et garçons à l'égalité, à travers le sport.
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En moins de dix ans, elle a remporté 8 titres en Championnat de France de football féminin, est devenue meilleure buteuse et a été sélectionnée en équipe de France. Depuis, elle défend le sport comme outils d’égalité entre les filles et les garçons, a monté le projet d’éducation « Passe la balle » et s’est vue confier la mission au sein du ministère de l’Education Nationale de mettre en place l’ABCD de l’égalité. Entre autre. Nicole Abar était l’invitée de Questions d’égalité, le 3 mars dernier, à la Maison Internationale de Rennes. Une conférence orale et en langue des signes.

Depuis qu’elle a chaussé les crampons dans sa jeunesse, elle n’a cessé de lutter contre les stéréotypes sur les terrains mais aussi en dehors. Un père algérien, une mère italienne, et elle, de sexe féminin, osant jouer au football, un sport que l’on pense (trop) souvent au masculin.

« Quand on est différent-e, on est mis à l’écart et on intériorise. Je me suis tue toute ma vie avec le racisme. Le sexisme, c’est la même chose, ce sont les mêmes mécanismes. C’est un regard que l’on pose sur vous, tout petit, quand on ne peut pas décrypter, que l’on n’est pas armé-e. Et enfant, on considère que c’est la norme. Et c’est stigmatisant ! », déclare-t-elle.

Elle se tient debout dans l’auditorium de la MIR et ne peut s’empêcher de bouger. Elle prend l’espace et nous tient à son discours. Elle connaît le milieu du sport, connaît les rouages du sexisme et du racisme et s’engage avec force et optimisme dans l’égal accès aux terrains, salles de sports, équipements, etc. des filles et des garçons.

SE METTRE EN COLÈRE

En 1998, le club dans lequel elle entraine refuse de faire évoluer les filles, qu’ils excluent, au profit des garçons. Pour Nicole Abar, il est temps de se révolter et de se mettre en colère : « Moi, j’avais déjà fait mon parcours mais les petites filles du club, qu’est-ce qu’elles allaient penser ? Elles allaient intérioriser, se dire que c’est normal qu’elles ne puissent pas jouer. Et là, pour la première fois, je me suis mise en colère. Les parents ont dit « Ok, on se bat ! » et on a fait en sorte que le club soit sanctionné au niveau des droits. »

Il faudra engager cinq années de procédures pour aboutira une jurisprudence condamnant le club, non pas au motif de la discrimination mais d’un refus de prestation au sein d’une association.

« Ce n’est pas si facile de se mettre en colère et de faire gagner un procès ! Les unes sont éduquées pour subir et les autres pour être des dominateurs. Les deux doivent progresser ensemble. », commente-t-elle.

Un discours qui rejoint celui de Chimamanda Ngozi Adichie prononcé en décembre 2012 et retranscrit dans l’ouvrage Nous sommes tous des féministes : « De nos jours, le déterminisme de genre est d’une injustice criante. Je suis en colère. Nous devons tous être en colère. L’histoire de la colère comme matrice d’un changement positif est longue. Outre la colère je ressens de l’espoir parce que je crois profondément en la perfectibilité de l’être humain. »

AGIR DÈS LA PETITE ENFANCE

Pareil pour Nicole Abar. C’est alors qu’elle réalise que pour changer les mentalités et déjouer la construction des stéréotypes de genre, il est fondamental de se tourner vers les petits, « quand ils sont encore tendres et que l’on peut faire passer des messages dans le jeu, le plaisir et le sourire. » Elle bâti à partir de là un projet basé sur la motricité, l’espace, les jeux, la verbalisation et le dessin afin « de les faire parler et leur faire prendre conscience de leurs propres représentations. »

Un programme qui existe toujours à Toulouse, et qui deviendra quelques années plus tard, le socle de la construction de l’ABCD de l’égalité, malheureusement renvoyé au tapis, sous la menace de certains parents – affiliés à la Manif pour tous – dénonçant « l’enseignement de la théorie du genre ».

Dans la salle, elle se place dans un coin, statique, et fixe ses pieds, illustrant ainsi le comportement d’une petite fille de 3 ans dans la cour de récréation. « Là, je ne vous vois plus, dit-elle, avant de traverser la pièce jusqu’en haut des escaliers de l’auditorium. Les petits garçons ont tout le reste ! Voyez comme j’embrasse le monde là ?! Comment je suis stimulée ?! Forcément, ma capacité cérébrale est stimulée d’une autre manière… » L’expérience est parlante et concluante.

SEXISME, RACISME… EN DÉJOUER LES ROUAGES

À l’instar de la vidéo qu’elle diffusera quelques minutes plus tard sur une classe de CE2, aux Etats-Unis qui expérimente la discrimination, en séparant les yeux bleus et les yeux marrons. Les uns bénéficiant de tous les droits, les autres d’aucun.

En terme de sexisme, elle l’illustre par un exercice de dessin avec les maternelles. Avec une fresque délibérément trop petite. Elle constate que les petits garçons font des grands dessins et les petites filles, des petits. « À 4 ans, elle a déjà compris que sa place était petite. », martèle-t-elle, face à une salle qui semble assommée. Et si son discours prend aux tripes, c’est parce qu’il est parlant et criant de vérités effarantes. Elle poursuit :

« Depuis 2003, j’en ai vu une seule prendre une chaise, monter dessus et faire un grand trait en disant : « ça, c’est ma place ! » ! Une seule ! »

Les stéréotypes, intégrés depuis le plus jeune âge et ponctués de « c’est pas si grave, on n’en meurt pas », nous handicapent et gâchent « des millions de talents », selon Nicole Abar, qui ajoute que les enfants ne sont pas ce qu’ils devraient être dans la mesure où nos idées reçues étant tellement prégnantes qu’ils font nos choix et non les leurs.

Un exemple révélateur de l’influence de notre regard est pour elle celui de la poupée : « Un petit garçon se dit que jouer à la poupée c’est nul. Les poupées, elles sont nulles. Lui, il préfère jouer avec son Action Man, vous savez, le soldat ?! Mais Action Man, c’est quoi ? C’est une poupée aussi. »

Ainsi, avec le programme Passe la balle, elle agit pour qu’aucun enfant, qu’il/elle se sente garçon ou fille, n’intègre les stéréotypes de genre. Une petite fille peut jouer au ballon et un petit garçon peut pleurer. Tou-te-s doivent être encouragé-e-s de la même manière et comprendre que l’échec fait parti de l’apprentissage.

« Quand on nait, on apprend à parler et à marcher. Quand on tombe, personne n’a l’idée de nous engueuler. Mais pour le reste, on a tendance à accabler. Ne pas réussir, ça fait parti de la réussite, c’est comme ça qu’on grandit. »
souligne l’ancienne championne de France.

Elle insiste dans son projet pour que jeux s’effectuent sur des grands espaces, pour qu’il y ait des courses, dans le but de développer la motricité des participant-e-s et leur faire prendre conscience de leurs corps dans l’espace.

Son objectif, elle le répète, persiste et signe : « Qu’ils courent tous, qu’ils tombent tous, qu’ils aient des boss tous, qu’ils pleurent tous, qu’ils se relèvent tous ! » Filles et garçons ensemble doivent combattre les discriminations. Exactement comme le font les footballeuses rennaises qui ont fondé l’association Le ballon aux filles.

LE BALLON À TOUTES LES FILLES !

Chaque année, elles organisent un tournoi de foot féminin, dans un quartier prioritaire de la ville, pour les licenciées et non licenciées. Les matchs étaient jusqu’alors arbitrés par des hommes, afin de les impliquer dans le projet. L’objectif est double : amener les filles et les femmes à chausser les crampons et prendre du plaisir à jouer ensemble et d’avoir osé. Et faire prendre conscience aux garçons et aux hommes que le sexe féminin n’est en rien un obstacle à la pratique sportive.

Au fil des années, les joueuses de l’association ont développé des actions en amont du tournoi. Des actions qui favorisent la découverte du football, la création du lien social et la lutte contre les préjugés sexistes. Et étant conscientes que dans les quartiers prioritaires comme en zone rurale, les filles sont peu nombreuses à pratiquer un sport à l’instar de la répartition filles/garçons dans l’espace public, elles ont la volonté forte d’amener le sport jusqu’à elles.

Une initiative qui affiche un bilan positif avec l’inscription de 80 à 150 filles par an en club, le versement des recettes reversées au projet Amahoro – projet humanitaire et solidaire en direction de Madagascar – ainsi que l’engagement participatif d’une vingtaine de bénévoles sur chaque tournoi et l’investissement des garçons au coude-à-coude avec les filles qui foulent le terrain.

Ainsi, elles investissent les pelouses mais aussi les espaces de débat et les établissements scolaires à Rennes, avec l’aide et le soutien de l’association Liberté couleurs. Le prochain tournoi aura lieu à Cleunay, le 27 mai prochain.

Célian Ramis

Football gaélique : Un sport en plein essor

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Rennes
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Méconnu en France, le football gaélique se développe aux quatre coins de l'Hexagone et s'affiche comme un sport complet, accessible à tou-te-s. Rencontre avec l'équipe féminine de Rennes, première du classement national.
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Sport collectif à part entière, emprunt de foot, hand, rugby ou encore volley, le football gaélique est une véritable institution en Irlande. Pourtant, dans l’Hexagone, cette discipline est quasiment inconnue. En tout cas, bien trop méconnue. En France, 23 clubs, principalement dans l’Ouest mais pas seulement, développent activement ce sport et 12 clubs sont en création, majoritairement dans le Sud Est.

Parmi toutes les associations sportives de la Fédération de Football Gaélique, toutes n’ont pas encore d’équipe féminine. La capitale bretonne peut se vanter de son côté d’en avoir une. Et pas des moindres ! Championnes de Bretagne et doubles championnes de France, les joueuses rennaises sont en passe d’être sacrées triples championnes, la finale se déroulant le 11 juin à Clermont-Ferrand.

Ce jour-là, certaines d’entre elles seront sélectionnées pour les championnats du monde, le stage de pré-selection ayant eu lieu le 28 mai à Rennes. Rencontre avec l’équipe et découverte d’un sport aussi varié que les profils des joueuses.

C’est en 1994 que des expatriés irlandais fondent le premier club de football gaélique, dans la capitale française. Quatre ans plus tard, les Celtes du nord ont l’idée d’en faire de même à Rennes, créant ainsi Ar Gwazi Guez. Les Oies Sauvages ont depuis fait des émules, dans la Bretagne historique qui compte une Ligue spécifique à la région, mais aussi dans le reste de la France, pays à la particularité de fonctionner pour certains clubs avec des équipes mixtes pour cause de manque de joueuses. Pourtant, la capitale bretonne détient une équipe féminine, au top du classement. Comment s’est développé le football gaélique et qu’est-ce en fait la force ?

Au mois de mai, les averses et les ciels menaçants n’auront pas raison de leur envie d’en découdre avec le ballon rond.

Un mercredi soir, alors que la fraicheur et l’humidité se font sentir, elles arrivent un peu avant 20h au compte goutte sur le terrain de rugby de Beauregard, qu’elles partagent chaque semaine avec leurs homologues masculins.

Au nombre de 7, elles démarrent l’entrainement avec des exercices de répétition : le ballon dans les mains, elles s’élancent tour à tour, vers un premier plot, y effectuent une reprise au pied (le solo, le fait de lâcher le ballon tenu dans les mains sur le pied avant de le reprendre dans les mains pour pouvoir poursuivre sa progression, ndlr), tournent autour de ce plot avant de shooter au pied. D’autres plots sont disposés à distance plus éloignée, permettant ainsi de multiplier les solos.

En deux équipes opposées, elles s’encouragent les unes et les autres, se motivent conjointement, jurent sans vergogne lorsque la trajectoire du ballon n’atteint pas l’espace entre les deux poteaux de l’en but (but en H) et rigolent beaucoup. Tout en maintenant sérieux et rigueur, imposés par leur détermination à progresser et leur coach, Yves Le Priol.

Découvrir ce sport est souvent le fruit d’un heureux hasard. Parce qu’on connaît un-e ami-e ou un-e collègue qui le pratique. Ou parce qu’on connaît ou qu’on est un-e Irlandais-e. Il y a quatre ans, Fanny Jaffres, alors âgée de 20 ans, effectuait sa 3e année de Sciences Po à Pékin.

C’est son maitre de stage qui lui a alors conseillé le football gaélique : « Il y a pas mal d’expat’ irlandais dans les villes asiatiques. Quand je suis rentrée à Rennes, après un an en Chine, j’ai voulu reprendre le basket que j’avais laissé en partant, mais je ne m’y suis pas retrouvée. J’ai donc poursuivi le football gaélique. » Depuis, elle n’a jamais arrêté, et très rapidement est devenue la capitaine de l’équipe féminine du club Ar Gwazi Guez, qui compte 17 joueuses dont Jessica Chapel, 26 ans, la présidente intégrée depuis 2 ans.

« Je suis cheffe de projet dans une banque et je travaille avec le coach, c’est comme ça que j’en ai entendu parler. », explique-t-elle, précisant en plaisantant qu’aujourd’hui elle recrute des joueuses dans les bars. Boutade qui n’en est pas une puisque les soirées dans les pubs installés en France à parler football gaélique entre expatriés sont à l’origine des premiers clubs hexagonaux. Cependant, aujourd’hui, ils ne sont plus en majorité dans les équipes, preuve d’un développement et d’une appropriation du jeu qui tend vers un brassage des cultures, celtes ou non.

RACINES CELTES ET BONNE AMBIANCE

Anna Marie O’Rourke, elle, fait partie de celles qui n’ont pas découvert le football gaélique au détour d’un bistrot. Elle a véritablement baigné dedans depuis sa naissance et a commencé à taper dans le ballon dès l’âge de 7 ans, à Coolkenno, au sud de Dublin. En Irlande, c’est le sport national, une institution incontournable.

« On joue pour le club de la commune puis celui du ‘comté’. On n’a pas le droit de jouer ailleurs, sauf avec une dérogation. On nait dans un club, on meurt dans ce club. C’est très familial, centralisé autour des pubs, et continuer ici en France, c’est conserver mes racines. »
s’enthousiasme la doyenne qu’elle est du haut de ses 42 ans.

Plus jeune, elle a joué dans la même équipe que ses 3 sœurs et a intégré avec l’une d’elles l’équipe du comté. Elle se souvient des heures quotidiennes passées sur le terrain mais aussi en dehors. Une passion qu’elle ne met pas de côté en arrivant en France il y a 13 ans et dont elle puise les ressources pour trouver l’énergie d’être responsable bien-être des joueurs en Europe, formatrice d’entraineurs-euses, arbitre et joueuse.

Infirmière en parallèle, elle a à cœur « d’être autant impliquée ici qu’en Irlande. » Elle est affirmative : « Plus qu’un sport, c’est ma vie. Je fais des études en soins palliatifs, je travaille au quotidien avec la mort et quand je viens sur le terrain, je trouve la vie. C’est ça mon équilibre ! »

Ses coéquipières ne sont pas aussi catégoriques mais leur motivation vibre à l’unisson. Elles apprécient toutes, sans exception, l’ambiance qui règne dans et autour de ce sport, bordé de convivialité et d’esprit d’équipe, généralement très prégnant dans les sports collectifs. Même son de cloches du côté des autres équipes, présentes à Rennes le 30 avril dernier pour la troisième manche de la coupe de France (lire encadré).

En raison du faible nombre de joueuses ce jour-là pour certaines villes, comme ce fut le cas par exemple pour Angers et Niort, des ententes se forment afin que toutes puissent jouer et ne pas rester sur le banc en spectatrices. « On reste toujours solidaires, il n’y a pas vraiment de compétition. », déclare alors Kaleigh O’Suilivam, qui après avoir joué à Rennes, puis à Niort, a fondé le club d’Angers dont elle est devenue l’entraineuse, avec Sinead Riordan.

« Clermont-Ferrand n’a pas encore assez de monde, l’équipe vient de se lancer cette saison, du coup, on prête parfois des joueuses comme nous on est 17 et que sur le terrain, il faut être 7 ou 9, ça dépend des compétitions, ça permet à tout le monde de participer. », complète fièrement Jessica.

Pour Emilie Pasquet, ingénieure qualité dans l’industrie automobile à Vitré, licenciés et licenciées de football gaélique forment une grande famille. Il y a les entrainements, les réunions, les week-ends de match, les soirées, comme celle du 3 juin qui à Liffré accueille les sportifs venus disputer un tournoi jeunes.

À 25 ans, Emilie partage sa première année de football gaélique entre deux équipes. Liffré donc et Rennes. La première n’ayant pas d’équipe féminine comme tel est le cas dans la majorité des clubs, dont le nombre tend à se réduire de par la féminisation grandissante de ce sport en France. « L’ambiance est super dans les deux villes », se réjouit-elle, rejointe par Laura Andrieu, capitaine de l’équipe de Clermont-Ferrand :

« On est une jeune équipe. On a connu ce sport par le biais des copains qui en jouaient, on a donc suivi le mouvement. Et on a créé une équipe en septembre. On était venu pour essayer, par curiosité et on s’est rendu compte qu’on pouvait faire plein de choses, qu’il y avait une grande liberté de jeu grâce à toutes les techniques. On est avec les copains, l’ambiance est bonne, et il y a aussi une grande solidarité. Les entraînements ont lieu deux fois par semaine. Mais ce sont surtout les tournois qui demandent de l’énergie au final, car il y a des déplacements, ce qui est assez prenant. »

Et Fanny Jaffres ne peut qu’approuver, elle, qui en tant que capitaine, se doit de porter le moral de son équipe au sommet. Calmer les esprits qui s’échauffent parfois par perfectionnisme, motiver les troupes, rappeler qu’elles sont les meilleures et qu’elles vont gagner, tout en donnant le bon exemple, tel est le rôle qu’elle assume sans pression. « C’est plaisant ! Et puis l’équipe est super, sans prise de tête, on n’est pas là pour la compétition mais pour se faire plaisir. »

Et se défouler rajouteront certaines joueuses lors du tournoi, le 30 avril, ou de faire des rencontres intéressantes. À l’instar des Lorientaises qui témoignent de la diversité générationnelle de leur équipe, permettant des échanges riches entre elles et la constitution, en entrainements, « d’équipes rigolotes ».

UN SPORT COMPLET ET COMPLET

Au-delà de cette ambiance chaleureuse et conviviale, argument majeur des sports collectifs, le football gaélique a un avantage non négligeable pour les joueuses de l’Ar Gwazi Guez.

Elles sont unanimes, c’est un sport complet. Qui allie aussi bien du football, du handball, du volley, du basket ou encore du rugby. En résumé, il se joue à la main comme aux pieds, avec des manchettes, des buts en H (valant 1 point) et des buts avec filet sous la transversale (valant 3 points).

Les pratiquant-e-s peuvent traverser le terrain en se faisant des passes, en avant comme en arrière, ou en utilisant des techniques – le rebond au sol (dribble) ou le solo - tous les quatre pas. Si les règles peuvent paraître complexes, il suffit de quelques dizaines de minutes sur le terrain pour les intégrer.

« Ça peut paraître étrange mais c’est très libre comme sport. En jouant, on comprend facilement. Il n’y a pas de hors jeu ni d’en-avant. On n’a pas le droit non plus aux tacles du foot ou aux plaquages du rugby. On doit jouer de notre corps mais il n’est pas question d’impact. », précise Fanny.

Un point qui séduit de nombreuses joueuses, comme Claire Bonnal dans l’équipe féminine depuis 2 ans. Après 10 ans au Stade Rennais Rugby, en équipe 1, elle a envie de changer d’air : « Les années se suivaient et se ressembler. Et avec l’âge (35 ans, ndlr), j’étais de moins en moins chaude pour plaquer et pour les contacts. Sans compter qu’il y a également beaucoup moins de matchs, c’est plus souple et il y a un très bon état d’esprit. » Le compliment revient souvent. La souplesse et l’accessibilité, également.

DES DIFFÉRENCES : UNE QUESTION DE SEXE ?

« On mélange plusieurs sports et des techniques différentes. Suffit d’être dégourdie avec les mains et/ou les pieds. Ce n’est pas comme au hand ou au foot où là si on est moyenne, c’est difficile d’être intégrée. Le foot gaélique est un sport accessible à tou-te-s et surtout pas excluant. Au contraire, je trouve qu’il y a de la place pour tout le monde au sein du collectif. », livre Estelle Roche, 23 ans, employée chez Suez, dans le recyclage des déchets.

Toutefois, si les plaquages et les tacles ne sont pas autorisés sur un terrain de football gaélique, les contacts sont possibles, limités à un duel d’épaule contre épaule. Pour les hommes seulement. Les femmes répondant à des règles spécifiques à leur sexe, établies par une fédération féminine distincte de celle masculine en Irlande. Comme le poids du ballon rond, semblable en apparence à celui utilisé en volley, ou le fait de pouvoir récupérer un ballon au sol avec les mains tandis que les hommes doivent, pour se faire, se lever avec le pied (le pick-up).

« On n’a pas le droit non plus de jurer sur le terrain, on peut avoir un avertissement ! », se plaint Fanny, en rigolant. Yves Le Priol, coach des rouges et noires, nuance la remarque. « Les hommes non plus n’ont pas le droit aux injures !, souligne-t-il. Il y a des contacts pour les équipes masculines, mais encadrés, on ne fait pas n’importe quoi. Ce n’est ni un sport de combat, ni un sport violent. Il y a une image de sport barbare à cause de la méconnaissance qu’il y a autour. »

Clichés mis à part, certaines sportives évoquent un léger regret au fait de ne pouvoir aller au contact, qui semble parfois dépendre de l’arbitrage qui sifflera la faute plus ou moins rapidement. Mais en règle générale, elles avouent un soulagement à exercer une discipline limitant les risques de coups et de blessures.

Autre différence notable : la taille du terrain, réduit pour les femmes. Ce qui s’explique par le nombre de joueurs et de joueuses. Les hommes jouant à 11 contre 11 en Europe – en dehors de l’Irlande où ils sont 15 contre 15 – et les femmes à 7 contre 7, voire 9 contre 9 dans certains cas. Ce qui ne choque pas les filles, qui parlent également de différences physiques naturelles pour expliquer l’écart technique existant entre un football gaélique masculin et un football gaélique féminin.

Même si Kaleigh O’Suilivam ne veut y voir « ni un sport pour les filles, ni un sport pour les garçons, mais un sport irlandais avant tout. » Un point qui met tout le monde d’accord. Néanmoins, une spécificité française subsiste : la mixité. Là aussi, due au faible nombre, pour le moment, des joueuses.

PROGRESSER EN MIXITÉ ET EN NON-MIXITÉ

Certaines préfèrent s’entrainer avec les hommes, d’autres aspirent à la non-mixité pour une meilleure progression. Si les discours sont discordants, ils se rejoignent sur les avantages et les inconvénients qu’il y a des deux côtés. À Liffré par exemple, Emilie s’entraine avec les hommes et regrette qu’il n’y ait pas d’équipe féminine, d’où sa présence à l’entrainement des Rennaises. Jouer entre filles est plus confortable niveau physique. Jouer avec les hommes permet le dépassement de soi.

« Les règles françaises prévoient la mixité en compétition. Quand je joue un tournoi avec les gars, on adapte à moi le règlement féminin. C’est un équilibrage pour ne pas que les filles soient « un handicap », j’aime pas ce terme, parce que ce n’est pas ça précisément… »
justifie Emilie Pasquet.

Si une équipe non-mixte conçoit un espace confiné dans lequel chaque sportive peut développer sereinement ses capacités physiques et stratégiques, sans la pression d’être « un poids », et prouve son efficacité par des constats de progression fulgurante, la complémentarité des entrainements est appréciée par un grand nombre, dont Lisa Hamon, 25 ans, service civique pour l’association rennaise Electroni-k, fait partie.

Aux côtés des Oies Sauvages depuis janvier 2016, elle aime se mesurer aux sportifs. Depuis petite, elle pratique des sports de ballon, du handball pendant très longtemps auprès d’une équipe du Saint-Grégoire Rennes Métropole Handball, ainsi que du football avec des ami-e-s. Elle est plutôt du genre douée qui impressionne les garçons.

« C’est comme ça que je me faisais respecter d’eux. J’aime bien foutre des raclées aux mecs, c’est mon côté féministe ! Quand on s’entraine avec eux – quand on n’est pas suffisamment nombreuses pour faire un entrainement entre filles – je trouve que ça casse la fracture filles/garçons, c’est bien aussi. Ça permet de se confronter à meilleur que soi et c’est toujours mieux de jouer contre plus fort, aussi bien des gars que des filles d’ailleurs. Mais les mecs, c’est certain, courent plus vite, et moi je reste dans le même état d’esprit que quand j’étais petite, alors je fonce ! », lance-t-elle, d’une voix enjouée.

Pour Claire Bonnal, un point est à soulever impérativement dans ce débat autour des dissensions – qui ont l’air de rester minimes et ne pas créer la polémique - : le fait que l’équipe, dans sa globalité, au-delà des sexes donc, se soutient et s’encourage.

« Je me souviens d’une journée de tournoi, où les gars ont été éliminés, et nous on avait encore des matchs. Ils sont venus sur le bord du terrain pour nous soutenir. Ils étaient très fiers de nous, et on sait qu’ils sont pour le développement des équipes féminines. C’était très fort et intense. », dit-elle, la gorge nouée : « Oui, j’en suis encore émue en en parlant. »

DE LA DIVERSITÉ ET DE LA MOTIVATION AVANT TOUT

Dans l’ensemble, les joueuses démontrent des « caractères ». À la fois souples et rigoureuses, elles affichent des profils divers mais un enthousiasme commun. Elles sont toutes assez sportives, mais pas forcément issues des mêmes disciplines. Fanny a fait beaucoup de basket, Jessica de la boxe, du tennis et du judo, Estelle de l’athlétisme, de la course à pied, du futsal – qui peut se rapprocher du soccer – et du hand, Claire du rugby, tout comme Emilie, Lisa du hand et du foot, et Anna Marie du football gaélique. Sans oublier l’entraineur, Yves, qui a pratiqué pas mal de foot et de rugby avant de découvrir le football gaélique en 2000.

Pour de multiples raisons, les joueuses ont cessé leurs activités respectives et trouvent aujourd’hui un véritable plaisir à contribuer à la réussite de leur équipe. La force qui fait leur palmarès ? C’est à n’en pas douter. Individuellement, elles ont toutes des qualités techniques. Débutantes ou non, elles ont encore toutes des points à travailler et toutes ont fait des progrès, certaines démontrant immédiatement des capacités et une aisance, que ce soit avec les pieds ou les mains, ou même les deux.

Mais ce qui prime pour Yves Le Priol, c’est leur motivation. Elles sont championnes de Bretagne cette année et doubles championnes de France. Le 11 juin, elles confirmeront ce titre, à Clermont-Ferrand, pour la troisième année. De quoi être fières et s’en vanter. Mais l’équipe est modeste et lucide.

L’entraineur précise cela dans le contexte : c’est parce que les autres équipes féminines ne sont pas très développées que Rennes est première. La capitaine l’affirme quand on évoque l’écart de point entre son équipe et les autres du classement : « On n’a pas de concurrence. Franchement, on est bien meilleures que les autres équipes. » Et si ça fait réagir Lisa au moment où elle exprime ce positionnement, Fanny a raison.

Et poursuit : « Mais faut pas croire que c’est plaisant, parce que finalement les meilleures victoires sont celles que l’on va chercher ! On a été malmenées lors du championnat de Bretagne, on a eu peur et finalement on a mis pile les points qu’il fallait. Ça, c’était chouette ! » Yves ne peut qu’approuver, convaincu du potentiel des joueuses qu’il entraine. S’il ne souhaite pas établir de comparaison entre le palmarès des féminines et celui des masculins, il voit toutefois des différences à l’entrainement :

« Je ne veux pas tomber dans les clichés mais les filles sont plus à l’écoute, plus en demande conseils. Alors oui, parfois faut les recadrer lors des exercices, mais elles sont quand même assez concentrées. Je pense que la grande différence est là : les filles sont plus intéressées à progresser. »

DES AMBITIONS POUR DE NOUVEAUX DÉFIS

Pour lui, leur niveau se mesurera fin septembre en Irlande lors d’une semaine de rencontre inter clubs européens. Mais avant cela, plusieurs rennaises devraient s’envoler pour la terre mère du football gaélique lors des World Games qui se dérouleront à Dublin du 7 au 14 août. La pré-sélection a eu lieu à Rennes, le 28 mai dernier.

Dix joueuses de l’Ar Gwazi Guez étaient pressenties pour l’équipe de France qui sera constituée le 11 juin. C’est à Clermont-Ferrand, à l’occasion de la finale de la coupe de France, qu’elles seront fixées et qu’elles sauront si elles participent au stage de formation début juillet. Jessica Chapel ne cache pas sa joie :

« On est une équipe soudée qui compte de vraies machines de guerre ! Moi, je viens plutôt de sports individuels mais elles sont nombreuses à être issues des sports collectifs et ça se voit. Elles ont vraiment quelque chose que je n’ai pas, elles ont une vision générale du jeu et repèrent très vite les stratégies à adopter, là où moi je mets plus de temps à comprendre ce que je dois faire. »

Les « machines de guerre », Claire Bonnal les qualifie, elle, d’intouchables. Et a conscience d’en faire partie. « J’ai vécu avec le Stade Rennais Rugby des moments sportifs avec beaucoup de tensions, beaucoup de matchs durant la saison. Là, on en a moins, et je ne me suis pas mise la pression le 28 mai. », explique-t-elle. Estelle Roche, de son côté, n’était pas aussi sereine : « J’aimerais vraiment y participer, vivre cette expérience. Je sais que ma place n’est pas acquise, je suis nouvelle dans l’équipe, mais je fais tout pour me mettre à niveau. »

Ce qui les anime par dessus tout, c’est de partir en Irlande, disputer des matchs face à d’autres joueuses partageant la même passion. Si toutes ne partageront pas l’expérience au mois d’août, elles se rattraperont en septembre. Pour Claire, c’est ce qui compte :

« Il y a le côté sportif mais aussi découverte. Aller en Irlande entre copines, on s’entend tellement bien, c’est vraiment bien. Ce qui sera plus difficile au niveau d’une équipe de France, ce sera de réussir à s’ouvrir aux autres, créer de l’interaction avec les autres joueuses. »

Sans aucun doute, l’équipe féminine a à cœur de défendre les couleurs rouges et noires, tout comme les couleurs bleues, blanches et rouges, et de participer aux entrainements, à hauteur de l’investissement qu’elles peuvent y mettre. Lisa Hamon le dit elle-même :

« Quand je jouais au hand, c’était plus intense en terme d’engagement. Et j’ai sacrifié pas mal de ma vie perso. Je veux maintenant faire la part des choses et si je ne peux aller à un entrainement, ce n’est pas grave même si plus je fais de sport, mieux je me porte. Je ne peux pas aller en Irlande en août parce que je travaille mais j’espère vraiment être présente en septembre. On m’a dit il n’y a pas longtemps que choisir, c’est renoncer. J’essaye de l’appliquer. »

UN DÉVELOPPEMENT À VENIR ET À TRAVAILLER

Si la pratique est amateure et résulte d’un loisirs, les sportives ne lâchent rien et s’engagent pour le développement de cette discipline trop méconnue encore en France, même si Yves relativise quant à sa faible portée : « En 2000, il y avait 2 ou 3 clubs seulement. Aujourd’hui, on en compte plus d’une vingtaine. »

Si le football gaélique est sous-médiatisé, l’espoir persiste grâce à cette rapide évolution. L’aspect atypique attise de plus en plus la curiosité et séduit. L’attention du club de Rennes, ainsi que dans les autres villes bretonnes ou non, le Sud Est de la France tendant également à composer de nouvelles équipes, est au développement du sport importé d’Irlande. Anna Marie est intarissable sur le sujet, le jeu est beau et il en vaut la chandelle :

« C’est un vrai bonheur de voir son évolution en France. Nous sommes très impliqué-e-s pour le faire grandir davantage, aller dans les écoles, les collèges et les lycées pour en parler, pour faire découvrir le foot gaélique. Et nous organisons aussi des initiations à Rennes, ça fonctionne bien, et on aime bien faire ça. »

Claire, professeure des écoles à Orgères, n’a pas pu faire de cycle football gaélique avec sa classe de CE2-CM1 cette année, mais projette néanmoins de faire découvrir aux élèves une après-midi durant les bases de ce sport qu’elle chérit.

Les jeunes ne sont pas, actuellement, assez nombreux à se signaler intéressé-e-s pour constituer une équipe pour les moins de 16 ans. A contrario du club de Liffré qui comptabilise trois groupes jeunesse parmi les 80 adhérent-e-s. Les objectifs sont clairs : amener les filles et les garçons de tout âge au football gaélique.

Et sans se décourager, à force d’enthousiasme, d’initiations, de sensibilisation, de communication et de victoires vitrines d’une qualité d’entrainements, joueurs et joueuses en prennent le chemin.

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Football gaélique : Unies dans un sport en développement
La diversité, force de l'équipe rennaise
Une bonne entente en Coupe de France

Célian Ramis

E-sport : Mixité aux manettes ?

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Les jeux vidéo seraient-ils réservés aux hommes ou à une certaine catégorie de personnes ? Assurément, non. Et pourtant, les femmes sont encore une minorité. L'e-sport serait une ouverture vers une mixité plus égalitaire.
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A l'occasion de la 12e édition du Stunfest, festival vidéo-ludique qui se tient du 20 au 22 mai prochain à Rennes, YEGG s'est intéressé à la partie la plus médiatisée du jeu vidéo, l'e-sport. Petit à petit, cette jeune discipline, hybride de domaines majoritairement masculins, les jeux vidéo et le sport, évolue. Les femmes s'y intéressent de plus en plus, grâce à l'aspect ludique.

Dans la capitale bretonne, le Stunfest et l'unique bar e-sport, le WarpZone, tiennent ce rôle de lien social. Quelques freins subsistent néanmoins : l'éducation genrée et le manque de représentation. Selene Tonon, vice-présidente du Centre gay lesbien bi et trans (CGLBT) de la ville, est pourtant confiante. Dans les décennies à venir, l'univers du gaming se diversifiera. Être homme, femme, cisgenre, transgenre, hétérosexuel ou homosexuel ne seront plus des données à prendre en compte, à terme.

Les joueuses se sont faites une place dans le domaine de l’e-sport, appelé en français « sport électronique ». Mais dans ces compétitions de jeux vidéo multi-joueurs où les codes restent largement masculins, elles sont souvent mises sur le devant de la scène pour l'unique raison d'être femmes. Lassées, toutes celles que nous avons rencontrées sont claires : l'e-sport est un milieu convivial, qui les ont accueillies à bras ouverts.

Comme tous les mardis, Elodie Cagnat et Elsa Delanoue se retrouvent au bar rennais le WarpZone, situé 92 mail François Mitterrand, à l'angle de la rue Louis Guilloux. Ce 15 mars, vers 20 heures, les jeunes femmes de 23 et 28 ans discutent au comptoir avec Nicos, l'un des serveurs. Après avoir bu un premier verre, elles commandent à manger. Elodie a invité deux de ses amies pour leur faire découvrir l'endroit.

Car le WarpZone a la particularité d'être le premier bar rennais « e-sport », ouvert depuis janvier 2015. L'intérieur a été conçu uniquement pour les jeux vidéo, seul ou à plusieurs : sept ordinateurs et deux bornes d'arcade dans la salle principale, vingt consoles dans la pièce au sous-sol.

Ce soir-là, tous les postes d'ordinateur sont occupés par des joueurs. Un tournoi d'Hearthstone, un jeu de cartes en ligne issu de l'univers médiéval-fantastique de Warcraft, a commencé une heure auparavant. Elsa et Elodie, elles, descendent dans l'endroit consacré au « retrogaming ». Tout ce qui y est proposé date d'au moins 20 ans. Elles s'installent au fond et allument la console pour une partie de Mario Kart. Depuis l'ouverture du lieu, ces deux amies, qui se sont rencontrées dans la même entreprise, font partie des habituées de la clientèle du bar.

« La première fois que nous sommes venues il y a un an, tout le monde était installé sur les PCs et il n'y avait que des hommes », se souvient Elsa. Pas de quoi les dissuader pour autant. Elles se lancent à l'époque dans une partie de Just Dance et un membre de l'équipe WarpZone les rejoint. « On s'est directement senties à l'aise, normales », rajoute Elodie, presque pour se justifier. Avant de franchir le pas de la porte, les deux jeunes femmes avaient des préjugés sur les personnes qu'elles allaient y croiser.

Des hommes, forcément, les yeux rivés sur leur écran, qui n'allaient pas leur adresser un mot. La réalité est bien différente. Grâce à ces évènements organisés tous les soirs, comme des tournois de jeux vidéo ou des soirées à thème, le WarpZone s'adresse à un large public.

« De plus en plus de filles viennent au bar, l'ambiance fait changer la donne. Le WarpZone veut casser cette image de gros geeks, se félicite Nicos, l'un des quatre co-fondateurs. On démocratise le jeu vidéo. »

Et ce n'est ni Elsa ni Elodie qui diront le contraire. Ces dernières qui assumaient mal le fait d'être des gameuses, ont trouvé un endroit où elles pouvaient à la fois se retrouver, s'amuser et en discuter. « Je n'ai jamais été dans un groupe qui jouait, alors être deux, ça change tout », confirme Elodie.

CONQUIS PAR LES HOMMES

C'est un fait : l'e-sport, traduit par « sport électronique » en français, a d'abord été conquis par les hommes. Ces compétitions de jeux vidéo multijoueurs ont à peine une vingtaine d’années. Le tout premier tournoi, considéré comme celui qui a lancé la discipline, date de 1997. S'y jouait Quake, un jeu de tir, à l'Electronics Entertainment Expo (E3) aux Etats-Unis.

À ses origines, seul les férus d'informatique s'y intéressaient, c'est-à-dire une poignée de personnes qui maîtrisaient les compétences techniques et avaient les moyens de se payer une connexion Internet. À l'aide de câbles, leurs ordinateurs étaient connectés entre eux et une Lan, « local area network », était créée.

En France, la dynamique se situait principalement dans le vivier estudiantin parisien et en Bretagne, région dans laquelle les télécommunications ont toujours été fortement implantées. Sorte d'hybride, l'univers rassemble désormais à la fois les milieux du jeu vidéo et de l'informatique. Le profil de celles et ceux qui pratiquent l'e-sport ressemble à celui d'autres sportifs. Puisque l'e-sport s'est très fortement inspiré des autres pratiques compétitives : chaque équipe comprend cinq membres, un coach et parfois des sponsors.

La combinaison de ces deux univers principalement masculins, le sport et l'informatique, n'a pas encouragé les femmes à se sentir concernées. Pourtant, Philippe Mora, sociologue de l'e-sport au laboratoire d'anthropologie et de sociologie (LAS) de l'université Rennes 2, tient à le préciser : « Il y en avait peu mais elles étaient déjà présentes. » Difficile cependant de dire précisément combien. Lors de ses recherches sociologiques commencées en 2002, il a estimé le pourcentage à 2,2% : « Cela correspondait à ce que je voyais sur le terrain. » Et l'évolution depuis n'a pas été flagrante.

En parallèle, les ligues d'e-sport, notamment féminines, sont de plus en plus visibles. L'année dernière, fin octobre, un tournoi féminin League of Legends, le jeu e-sport le plus mondialement joué, a été organisé pour la première fois dans le pays, à la Paris Games Week, par l'Esports World Convention, la compétition mondiale du sport électronique.

Acte symbolique pour un événement d'envergure internationale qui donne un coup de projecteur aux femmes derrière les manettes. Puisque, dans ce jeu, elles sont loin d'atteindre la majorité. En 2012, selon son développeur Riot Games, sur 100 joueurs, moins de 10 personnes étaient des femmes.

Aurore, dite « Vaelstraz », âgée de 23 ans, est allée à Paris pour l'évènement. Et déception lorsqu'elle a voulu regarder le tournoi. « C'était dans un petit coin du salon. Il n'y avait pas d'écrans géants comme pour les hommes et nulle part où s'asseoir », regrette l'étudiante en agro-alimentaire, membre de l'équipe « We are victorious ! » sur League of Legends, auquel elle s'entraîne deux fois par semaine avec ses coéquipiers masculins.

Fortement médiatisées et peu considérées ? Les femmes restent l'appât des organisateurs dans le but de se faire de la « visibilité gratuite », considère Arnaud Rogerie, tête pensante du site In e-sport we trust, qui écrit actuellement un ouvrage avec Philippe Mora sur l'e-sport en France depuis ses débuts.

« C'est un peu de l'opportunisme. Malheureusement, c'est ce qui se passe depuis longtemps avec le marketing. Les filles, c'est plus vendeur », estime-t-il. Les médias s'y intéressent plus facilement. Les sponsors également.

ÉDUCATION STÉRÉOTYPÉE

À cause de cette mise en avant, pour certain-e-s, être une fille leur semble être clairement un avantage dans l'e-sport. Cette remarque revient souvent dans les critiques adressées aux joueuses. Marion, alias « Michi », 27 ans, l'a vécu lorsqu'elle a joué pendant un an et demi dans une team féminine League of Legends sponsorisée par la structure Imaginary Gaming. D'après elle, c'est l'insulte facile, celle qui ne nécessite aucune réflexion argumentée :

« Ils peuvent dire quoi sinon ? Il y a énormément de jalousie autant de la part de garçons que de filles puisque tu as des aides financières pour les évènements, le matériel. Et on était une équipe qui tenait la route ! »

Être sponsorisée est une chance, d'après elle, et qu'importe si c'est lié au genre : « Il faut profiter de son aventure. Je me débrouille comme je peux. » Le sociologue Philippe Mora y voit également une opportunité à saisir pour les gameuses d'enfin pouvoir sortir de l'ombre : « Il y a plein de joueuses qu'on ne verra jamais, elles vont se fondre dans la masse et ne pas chercher à se montrer alors qu'il y a tellement de potentialité et de sponsoring pour elles ».

Or faut-il faire des femmes une exception ? A priori, les joueuses devraient être des joueurs comme les autres. S'il existe un domaine où les femmes n'ont pas à se préoccuper de leurs capacités physiques, c'est bel et bien dans les jeux vidéo. Rien ne nécessite une force particulière pour appuyer sur des manettes ou des claviers. L'association parisienne Pink Ward, qui promeut la mixité dans les jeux vidéo depuis 2012, défend cette idée semblant aller de soi.

Et pourtant, certaines réactions sont loin d'être bienveillantes. « Quand tu es une fille dans une équipe de mecs, tu dois démontrer que tu sais mieux faire. Psychologiquement, je sais personnellement que c'est difficile », atteste Julie Gaascht, dont le pseudo est « Nama », gameuse et nouvelle présidente de l'association depuis six mois.

À bien y regarder, une seule différence sépare les hommes des femmes. Elle se joue au niveau de l'éducation. Aucune ne semble autant investie que leurs homologues masculins. Et ce problème remonte à l'enfance où les stéréotypes de genre sont déterminants.

Dans l'inconscient, la fille doit être calme et jolie. Si elle s'intéresse aux jeux vidéo, c'est aux Sims, pour s'occuper du foyer, dans l'optique de créer une famille. Les garçons, eux, seront orientés vers les jeux de combat. Les conséquences se retrouvent à l'adolescence où elles auront moins l'esprit de compétition et seront moins persévérantes.

PROMOUVOIR OU EFFACER SON GENRE

Les gameuses partent avec un double handicap puisqu'elles découvrent ce loisir sur le tard. « Je me suis mise à League of Legends en 2013, trois ans après sa sortie. C'est mon ex qui m'a fait connaître ce jeu », explique Floriane, 21 ans, qui a commencé à s'y intéresser car son copain se passionnait pour World of Warcraft et cela « l'agaçait ».

À force d'y jouer, l’étudiante en sociologie et en administration économique et sociale (AES) à l’université Rennes 2 est rapidement devenue « accro » à son tour.

Ces nombreuses années d'entraînement à rattraper peuvent expliquer le moins bon niveau des joueuses par rapport aux hommes. Pour cette raison, elles ne finissent pas dans les championnats de haut niveau. Or, les compétitions sont de base ouvertes à tou-te-s. Mais dans les faits, le nombre de femmes se compte sur les doigts d'une main. Julie de Pink Ward réplique que pour « 100 garçons très bons, il y a seulement 10 filles et les garçons vont forcément être meilleurs ».

Les joueuses vont passer à la trappe et donc rester aux niveaux intermédiaires. Alors, comment faire ? L'association Pink Ward se montre favorable aux tournois féminins afin de briser ce cercle vicieux :

« Cela permet aux filles de sortir de leur coquille, de se montrer et d'évoluer ensemble. »

Un coup de pouce pour atteindre un niveau égal aux hommes et les rejoindre ensuite sur les tournois.

Cependant, toutes les joueuses rencontrées ne souhaitent surtout pas faire de leur genre une carte de visite. Elles préfèrent se fondre dans la masse, ou même refusent de se définir comme une femme qui joue. Contactée par YEGG, Julie Sérisé, présidente de l'InsaLan, événement d'e-sport qui a accueilli sur le campus de Beaulieu plus de 400 joueurs lors de sa 11e édition en février dernier, a refusé de nous rencontrer pour cette raison.

Dans un mail, elle nous explique pourquoi. « J'aimerais que l'on me voie au-delà de mon sexe, et plus comme une exception ou une minorité. Qu'on me demande d'aller représenter mon école auprès de lycéens et plus de lycéennes  parce que j'ai un parcours intéressant ou parce que j'ai un parcours associatif et pas à cause de mon sexe », écrit-elle.

Le sujet est sensible. Dans cet univers où tous les codes sont masculins par défaut, le rejet du féminin est courant. « Je n'ai pas un avis représentatif puisque je suis un garçon manqué », fait remarquer Aurore, avant le début de l'entretien. Floriane explique, elle, qu'elle n'est « pas très fille de base ».

Comprendre : dans son cercle d'amis gameurs, il n'y a aucune personne de la gent féminine. Ce processus d'intériorisation est normal, analyse la présidente de Pink Ward : « Quand on ne traîne qu'avec des garçons, on essaie de s'intégrer au groupe en ayant la même façon de se comporter qu'eux, en rabaissant tout ce qui touche aux femmes. »

Aucune ne considère avoir été mal accueillie à cause de son genre dans ces évènements. Les remarques – comme, par exemple, « Tu joues bien pour une fille ! » - et les comportements déplacés qu'elles ont parfois subis ne seraient pas du tout représentatifs des communautés dans lesquelles elles évoluent, d'après les joueuses rencontrées.

NOUVEL ENJEU, LE CÔTÉ FESTIF

Le jeu, même dans un contexte de compétition, reste une sphère conviviale où l’on retrouve des amis et on s’amuse. Marianne ne conçoit pas le jeu vidéo comme une activité solitaire, chez elle :

« On croit souvent que quand on joue, on est tout seul chez soi mais moi, c'est tout l'inverse : j'ai rencontré plein de gens grâce à cela ! »

Et son intérêt pour les jeux vidéo s’est intensifié grâce à une rencontre, lors du festival vidéo-ludique Stunfest en 2009. Elle découvre Pop'n music, un jeu d'arcade rythmique qui se joue avec des boutons. Nicolas, un bénévole de l'association rennaise organisatrice, 3 Hit Combo, lui montre pendant une heure comment y jouer.

L'atmosphère décontractée lui plaît. La jeune femme de 24 ans décide alors de devenir bénévole. Depuis, elle fait partie du conseil d'administration et passe souvent « voir les copains » aux évènements, même lorsqu'elle n'a pas forcément le temps de jouer.

Consacrée uniquement aux jeux d'arcades et aux consoles, l'association créée à Rennes en 2005 représente le virage que prend l'e-sport depuis quelques années. « La discipline a vraiment un enjeu à s'orienter vers le côté festif et culturel comme le fait 3 Hit Combo », affirme Philippe Mora.

Une fois par mois, des rencontres de sport électronique, les « Rankings battles », sont organisées à la maison de quartier La Touche. Les inscrits s'affrontent tout un après-midi dans plusieurs jeux comme Street Fighter, Soulcalibur, Tekken ou Mario Kart 8.

En soi, tout jeu qui nécessite un dépassement de soi ou classe la performance des joueurs, fait partie de l'e-sport. Un argument difficile à entendre pour les personnes qui ne voient que par les jeux sur ordinateur MOBA et FPS, dominant largement la scène e-sportive actuelle. Ce phénomène se voit pourtant à l'échelle internationale.

Super Smash Bros Melee, qui réunit tout l'univers de Nintendo de Mario Kart à Pokémon dans un seul jeu sur la console GameCube, a été rajouté en 2013 aux compétitions e-sport Evolution Championship Series (EVO). Ces jeux sont facilement accessibles et s'adressent à un public plus large, notamment les femmes. Et l'industrie de l'e-sport se développera encore plus si les jeux créés ne privilégient pas uniquement les combats à l'intrigue.

Marie Moreau, étudiante à la France Business School, l'a remarqué en réalisant une étude en 2013 pour son mémoire, « Gameuses et jeux on line, un nouveau marché ? ». Sur les 293 réponses à son questionnaire, elle a calculé que 53% des femmes interrogées aimaient la compétition mais y jouaient, pour la plupart, occasionnellement. Elles recherchent autre chose, un scénario, un univers particulier.

Dans ses recommandations finales, la jeune femme insiste sur un point auprès des développeurs de jeu : la représentation féminine des personnages. « (…) les femmes ne veulent pas leur propre jeu vidéo réservé que pour elles. Elles désirent être complètement intégrées dans l'univers du jeu vidéo existant. Pour cela il suffit d'adapter certaines règles des jeux comme des scénarios variés et bien construits ou encore la possibilité de choisir un personnage féminin qui représentera la joueuse », développe l'étudiante en commerce.

Cet aspect est essentiel. Petite, l'une des seules joueuses semi-professionnelles féminines d'e-sport en France, Kayane, s'identifiait très fortement aux personnages qu'elle choisissait lors des compétitions. Son pseudo vient d'ailleurs de la contraction de Kasumi et Ayane, ses deux figures préférées de l'époque.

Celle qui est devenue à 9 ans vice-championne du jeu de combat Dead or Alive le raconte dans son livre Kayane : parcours d'une e-combattante, paru le 7 avril dernier. L'ambassadrice d'Acer et première « athlète électronique » de Redbull retrace tout son parcours semé d'embûches dans un milieu qui a bien changé depuis 15 ans. Et pour celles qui souhaitent se lancer dans l'aventure, l'e-joueuse de 24 ans ne leur donne qu'un seul conseil : « Ne te laisse pas arrêter par les idées reçues. Fonce ! »

(1) Cette structure n'existe plus depuis juillet 2015.

(2) « MOBA » désigne les arènes de bataille en ligne multi-joueurs et « First Play Shooter », les jeux de tir à la première personne.

(3) En 2015, les jeux sur ordinateur dominaient largement la scène e-sportive : Dota 2, League of Legends, Counter-Strike, SMITE et Call Of Duty : Advanced Warfare. (Source : SuperData : Playable media & games market research, 2015-2016)

 

Joueuse et femme trans, Selene Tonon sait de quoi elle parle lorsqu'il s'agit des problématiques d'identité de genre dans les jeux vidéos. Le 21 mai, la vice-présidente du Centre gay lesbien bi et trans (CGLBT) de Rennes participera à la table-ronde « Les visages du patriarcat : les jeux font-ils mieux que les autres arts et médias ? », lors du festival vidéo-ludique Stunfest, organisé par l'association 3 Hit Combo.

YEGG : Les jeux vidéos mettent en général en avant uniquement deux genres, l'homme et la femme ainsi qu'une seule sexualité, l'hétérosexualité. Comment se positionner en tant que joueur-se LGBT face à cela ?

Selene Tonon : Il n'existe pas de recette miracle, chaque personne a sa stratégie de survie. Quand on allume un jeu vidéo, il est demandé à chaque fois le genre ou le sexe. De base, nous ne sommes ni respecté-e-s ni considéré-e-s. Une des solutions est d'en choisir un par défaut.

Si la question n'est pas posée, nous pouvons inventer une histoire qui nous arrange pour coller à son ressenti. C'est ce que j'ai fait petite quand je jouais à Final Fantasy VII, avec le personnage principal Cloud. Il se travestissait en tant que femme pour tromper l'ennemi. Je me suis raccrochée à ça. D'autres se rabattent sur Mass Effect ou Dragon Age, où l'orientation sexuelle et l'identité de genre ne sont pas un problème.

Le jeu vidéo a-t-il été un refuge pour vous ?

Oui clairement, avec les jeux de rôles. Ils ont été un palliatif pendant de nombreuses années. Je me suis créée une vie virtuelle où je pouvais être qui j'étais alors qu'au quotidien, ce n'était pas envisageable. Je me suis convaincue que puisque j'étais née avec un tel corps, cela voulait dire que j'étais un petit garçon. Au final, je me suis rendue compte que je pouvais me définir comme je voulais et l'imposer aux autres.

Dans quel sens ont évolué les problématiques LGBT ?

Le jeu vidéo gagne en maturité et donc s'empare de questions politiques. Le genre et les sexualités en font partie. Avant les années 90, personne ne se préoccupait de la transidentité ou de l'orientation sexuelle. Quand c'était le cas, ces dernières étaient tournées en dérision dans les scénarios.

Pendant une période, être trans ou homosexuel était une caractéristique supplémentaire pour montrer la méchanceté. Depuis les années 2000, soit toutes les intolérances qui existent sont montrées : les personnages souffrent et la quête du héros cis* et hétérosexuel est de les aider. Soit tout le monde vit dans un monde dans lequel les discriminations n'existent pas. Beaucoup de travail reste à faire sur les personnages trans.

Est-ce qu'en dehors d'un milieu d'initiés, cela touche le grand public ?

Une cristallisation se forme très rapidement dès que ces problématiques sont abordées de la part d'une certaine catégorie de joueurs, issus des milieux réactionnaires et anti-féministes. Dernier exemple en date : l'extension d’un jeu médiéval fantastique Baldur's Gate, sortie en mars dernier, dans lequel un nouveau personnage se révèle être trans.

Juste à cause de cela, les créateurs du jeu, les studios Beamdog, ont été harcelés en ligne. Les menaces se sont en particulier adressées à la développeuse Amber Scott qui a conçu Mizhena.

Accusé de tous les maux, le jeu vidéo rend-il vraiment sexiste, homophobe ou transphobe ?

Individuellement non. Ce n'est pas possible puisque tout le monde l'est déjà par défaut. Nous baignons dans un environnement sexiste, que ce soit à travers les films, les livres, les bande-dessinées et donc les jeux vidéos. Or ceux qui remettent en cause cet ordre établi, ces normes, ça, c'est un signe de progrès ! Et les réactionnaires ont peur de remettre en question les idées reçues.

Les concepteurs et développeurs de jeux vidéos sont en général des hommes. Est-ce qu'inclure plus de personnes LGBT permettrait une meilleure représentation des personnages ?

C'est une évidence. Pour en connaître personnellement, ils admettent être incapables de se mettre à la place de personnes qui ont une identité de genre ou une sexualité différentes de la leur. Et là je parle de ceux qui sont intéressés par le sujet, une minorité. Je ne dis pas qu'il faut que tous les développeurs hommes arrêtent de créer. Ce qui est souhaitable par contre, c'est de permettre à d'autres de le faire à leur tour. Un enjeu énorme se joue en terme de créativité.

Les critiques réactionnaires reprochent aux féministes de brider l'imagination et d'imposer une pensée unique. Mais tous les jeux se ressemblent déjà et sont adressés au même public, avec les mêmes esthétiques et les mêmes normes ! Dans la plupart des jeux vidéos, les personnages masculins sont bruns, la trentaine, assez musclés et mal rasés. Ce « soi » sublimé s'adresse spécifiquement aux hommes.

Et les femmes ?

Les femmes, très souvent, sont présentées pour attirer leur attention. Alors qu'on gagnerait à avoir plus que deux types de modèles. De bonnes représentations commencent à apparaître et pas uniquement dans les jeux. Cela va créer un cercle vertueux. Les personnes s'acceptent de plus en plus tôt comme elles sont, que ce soit pour leur identité de genre ou orientation sexuelle. Les séries télé, par exemple, commencent à s'y mettre.

Sense 8 met en scène des personnes trans, ce qui peut sûrement donner envie de commencer une transition car la représentation permet de se sentir valides et légitimes d'exister. Et non de voir comme seule solution le suicide. Notre génération est plus sensibilisée à ces questions-là et dans dix, vingt ans, elle va à son tour se mettre à créer. Bientôt, nous serons dans une société qui acceptera plus facilement les autres et leurs différences. Et cela se ressentira dans notre culture toute entière.

 

* Cisgenre : personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance, à la différence d'une personne transgenre.

 

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