Célian Ramis

Prendre la mer et être libre grâce à l'écologie pirate !

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La piraterie au service de l’écologie et de la liberté pour tou-te-s de circuler, voilà le projet revendiqué par Fatima Ouassak, invitée par le Front de Mères 35 à échanger, lors d’une causerie, autour de son nouveau livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres.
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La piraterie au service de l’écologie et de la liberté pour tou-te-s de circuler, voilà le projet revendiqué par Fatima Ouassak, co-fondatrice de Front de Mères (syndicat de mères pour le respect et la dignité des enfants des quartiers populaires) et Verdragon (première maison de l’écologie populaire) à Bagnolet. Le 4 mars, la politologue et militante écologiste féministe et antiraciste était invitée par le Front de Mères 35 à échanger, lors d’une causerie, autour de son nouveau livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres, au Pôle Associatif de la Marbaudais, à Rennes. 

Faire de l’écologie un sujet populaire et poser les questions d’un point de vue situé. Celui d’une mère habitant et militant à Bagnolet, dans le 93. D’une fille émigré-immigrés du Rif au Maroc. D’une militante qui inscrit depuis 20 ans son engagement dans les luttes ouvrières, de l’immigration et des quartiers populaires, et qui a fondé plusieurs organisations politiques, une association locale à Bagnolet – le Front de Mères – et une organisation féministe, le Réseau Classe/Genre/Race. Mais aussi celui d’une politologue et consultante au contact des politiques publiques, notamment celles en direction des quartiers populaires. C’est elle qui le décrit le mieux, en préambule du premier livre de la trilogie en cours, La puissance des mères. Elle poursuit : « Mon point de vue est situé. Comme tous les points de vue, y compris quand ils prétendent ne pas l’être et représenter tout le monde. Mon point de vue est situé mais je m’adresse à tout le monde. Je m’adresse à tout le monde, mais en faisant de mon point de vue minoritaire et périphérique le point de vue central. Mon point de vue est situé, mais je veux changer le monde entier. C’est dans ce sens, et à cette condition, que la proposition politique que je développe dans ce livre est universelle. »

JOIE MILITANTE ET COLÈRE IRRÉPRESSIBLE

Dans ses ouvrages, elle remet au cœur du sujet les personnes concernées et leur puissance. Elle interroge la thématique au prisme de leurs réalités, héritages et aspirations. Elle dénonce le racisme et la menace de l’extrême droite, l’hypocrisie d’une certaine partie de la gauche et le blanchiment des luttes écologistes et féministes. Elle prône la liberté, la sororité, la joie militante, les victoires conquises à la force de la détermination collective. Elle revendique l’échec et la réussite par l’expérimentation, le droit de se tromper, la ville à hauteur d’enfants, l’égalité réelle entre les individus, les alliances vers un front commun. Pour cela, elle analyse le rapport à la terre et les conditions de circulation des habitant-e-s des quartiers populaires. Deux droits fondamentaux et inaliénables qui pourtant ne sont ni existants ni interrogés au sein même des rangs et des forces de gauche. Prendre la mer pour être libre. Et respirer. Se libérer des logiques capitalistes et coloniales. Se libérer des entraves constantes et des rappels systématiques à l’ordre établi. Se libérer de l’étouffement dû à la pollution environnementale et aux contrôles policiers. 

« La priorité doit être d’organiser les conditions du changement : montrer qu’il n’y a pas de fatalité, que c’est possible et que c’est politique. », écrit Fatima Ouassak dans son livre Pour une écologie pirate – Et nous serons libres. L’autrice effectue une remise en question profonde des thématiques qui en apparences sont des causes justes et nobles. Et pourtant, écologie et féminisme sont des mouvements majoritairement pensés par et pour les blanc-he-s, de classe aisée principalement. Elle remet en perspective les luttes passées et les questionnements actuels. Et surtout, elle personnifie les dragons. Mères et habitant-e-s des quartiers populaires incarnent cette figure, sa force et sa puissance. Sa colère aussi. Parce qu’il est important de pouvoir crier sa rage. Son conte, inscrit à la fin de son livre, en témoigne. « Le Roi Kapist, les Dragons et les enfants-pirates » offre une fable délicieuse et révolutionnaire qui raconte un pan de notre histoire et société, telles qu’elles ne sont jamais ou trop rarement relatées - et arme les générations futures à la construction du monde de demain. Reprendre le pouvoir de décision et d’action. S’ancrer. Et encore une fois, prendre la mer. 

RÉDUIT-E-S À LA FORCE DE TRAVAIL

« On ne peut pas demander aux habitants des quartiers populaires de s’impliquer contre ce qui détruit la terre ici et, en même temps, leur rappeler sans cesse qu’ils n’y sont pas chez eux à coups de discriminations raciales massives dans tous les espaces sociaux, de contrôles policiers racistes, de difficultés à obtenir des papiers ou d’islamophobie plus ou moins assumée. On ne peut pas attendre de populations qui n’ont même pas le droit de dure publiquement Dieu est grand qu’elles veuillent bien rejoindre le front climat par amour pour Gaïa, obscure sous-divinité grecque. On n’est pas en position de protéger une terre en danger là où on est soi-même écrasé et sous contrôle permanent. On n’est pas en position de protéger une terre là où on n’a aucun pouvoir de changer les choses. Dans les quartiers populaires, la question écologique ne peut pas être celle de la protection de la terre – de l’environnement, de la nature, du vivant ; elle doit être celle de sa libération. »

C’est par la lecture de cet extrait, de son livre Pour une écologie pirate, que Fatima Ouassak débute sa causerie. On lui a très souvent demandé pourquoi, en tant que premières victimes du réchauffement climatique, les personnes issues des quartiers populaires ne s’investissaient pas dans l’avenir de leurs enfants. « C’est du mépris de classe ! Ça revient à dire que ces personnes sont complétement bêtes ! », souligne la politologue, qui répond alors : « On répète à cette population, largement issue de l’immigration post coloniale, qu’elle n’est pas ici chez elle ou qu’elle est en sursis… » Dans son viseur, l’extrême droite qui, par sa hiérarchisation raciale et son suprémacisme blanc, protège l’Europe blanche et chrétienne par des murs. L’autrice d’un côté rappelle l’urgence climatique mais aussi politique et citoyenne. Avec l’avènement de l’extrême droite, la menace d’une gestion de crise se dévoile et se concrétise. Fatima Ouassak dénonce de l’autre côté les arguments que l’on oppose à cette pensée fascisante : « Face à ça, l’argument ultime est de dire qu’il ne faut pas re-migrer les gens mais les régulariser ou les garder dans les quartiers populaires car ils sont utiles. Dans les secteurs du bâtiment, de la restauration, de l’hôpital public, etc. Il s’agit de dire « Sans eux, le monde s’effondre. » Mais ce projet est raciste et suprémaciste aussi. » Parce qu’il tend à réduire la population ciblée à sa force de travail. À son utilité pour le système capitaliste. « Et dans les deux cas, il s’agit d’une déshumanisation. », souligne-t-elle, précisant : « On ne veut pas que la classe populaire se mobilise. L’écologie, c’est un pouvoir politique. Un pouvoir de changer les choses. »

DES POPULATIONS SANS TERRE

La vraie question selon elle, c’est celle de la terre. De l’ancrage au territoire. Des damnés de la terre de Frantz Fanon aux emmurés de la terre de One Piece, Fatima Ouassak veut briser le cercle de l’errance. Elle parle de la fierté qu’elle a revendiqué fut un temps de « ne pas être d’ici » sans pour autant « être de là-bas ». « C’est dur de se dire que nos enfants vont errer comme nous. En vrai, on a tous besoin d’une terre et on sait que nos enfants en ont besoin. », poursuit-elle. Pollution, implantation de sites industriels, proximité avec le trafic et les échangeurs routiers… Le constat est alarmant : les territoires sur lesquels sont construits les quartiers populaires sont maltraités. « On ne voit pas la terre ! On parle d’espaces verts mais pas de terre ! », s’indigne-t-elle. Sans oublier les termes utilisés pour les nommer (ZEP, ZUS, ZEP+,…) que les habitants se sont eux-mêmes appropriés :

« J’ai eu beaucoup de difficulté à parler de terre pour les quartiers populaires. On ne défend une terre que dès lors qu’on s’y sent légitime. Le pouvoir de changer les choses vient avec l’ancrage territorial. »

Le rapport à la terre dans les quartiers populaires est central pour analyser la problématique écologiste. Parce que les populations concernées vont intégrer l’idée qu’elles n’ont pas le pouvoir de refuser les murs que l’on dresse entre leurs quartiers et les quartiers pavillonnaires. Dans ces derniers, l’air est moins pollué, la circulation est libre et calme, le volume sonore, restreint. Mais de l’autre côté de la barrière, épaisse d’une seule rue, voire moins, les habitants sont fliqués, assignés à résidence, interdits de contemplations, privés d’agora et de jeux dans l’espace public. « Et un monde travaille pour l’autre. On l’a bien vu pendant le confinement. Ce mot n’avait d’ailleurs pas le même sens selon la classe sociale, l’endroit où on vivait, etc. », signale Fatima Ouassak. Gentrification et résidentialisation puisent dans cette absence d’ancrage et constituent les bases des arguments sécuritaires et des conditions différenciées de circulation selon l’origine sociale. « On dit clairement aux enfants des quartiers populaires qu’ils ne peuvent pas circuler librement. Qu’ils doivent demander l’autorisation. On institue le contrôle de l’adulte et la vidéosurveillance qui rentre dans leur vie privée : c’est intime le jeu entre copains et copines, c’est la liberté, les 400 coups ! », scande l’autrice. 

S’ALLIER POUR AVANCER

Elle défend la liberté de circuler, sans conditions, comme enjeu fondamental pourtant jamais abordé en matière d’écologie sous l’angle des quartiers populaires. Le surnombre de verbalisations en période de confinement dans ces espaces aura fait la fierté de Castaner, tandis que 2020 deviendra l’année record pour les crimes policiers. Les jardins partagés dans les sols pollués de la Seine-Saint-Denis, les fermes urbaines dans lesquelles des enfants entravés par les contrôles policiers font face à des animaux en cage, elle le dit : ça ne fait pas rêver ! Dans son manifeste pour une écologie pirate, elle exige non seulement la liberté de circuler sans condition mais aussi de poser cette revendication au centre d’une alliance globale. « Face au système colonial-capitaliste, il faut mettre en place un truc costaud ! », lance-t-elle. Réunir les féministes, dont la tradition du mouvement prône la libre circulation des femmes, les militant-e-s LGBTIQ+, les luttes pour les droits des personnes migrantes, les combats contre les violences policières, pour faire front commun et inventer ensemble les termes de leur libération et de leur liberté. « On ne va pas se retrouver sur tous les points mais la liberté de circulation peut mettre beaucoup de monde autour de la table ! », se réjouit-elle. Et pas uniquement des personnes blanches. Parce que comme elle le dit en rigolant : « Les marches pour le climat sont encore plus blanches CSP+ que les marches féministes ! »

S’inspirer des mouvements existants et des victoires obtenues apparait essentiel dans l’œuvre de Fatima Ouassak qui lie par cette logique d’appartenance à la terre les luttes de Plogoff, d’Algérie et de Palestine : « S’il y a bien un endroit où la terre est spoliée, c’est bien en Palestine ! C’est une lutte de personnes qui veulent retrouver leur terre et circuler librement ! » Revendiquer l’écologie pirate « pour que les enfants puissent prendre la mer et être libres », comme ce vieux monsieur qui dans son livre clame : « Je ne respire un peu que sur le bateau qui navigue entre la côte espagnole et la côte marocaine. (…) Sur le bateau, je suis libre ! » Au fil des pages, l’autrice nous livre son amour pour le manga le plus vendu au monde One Pieced’Eiichiro Oda. Pour elle, inutile d’invoquer Gaïa pour motiver les troupes à la cause écologiste quand une œuvre comme celle du mangaka existe et infuse la culture des quartiers populaires depuis plus de 20 ans :

« Dans One piece, il y a un trésor à retrouver. Mon hypothèse, c’est que ce trésor c’est la liberté de circuler. En gros, on n’est pas libre si tout le monde n’est pas libre. »

Cela traduit, pour elle, « la soif de prendre la mer pour les populations qui sont emmurées, le pouvoir de s’échapper dans les imaginaires. » Tout y est, précise-t-elle. La violence de la piraterie. Le bateau comme espace autonome. L’infinité de la mer. Le pouvoir de la mère. Se battre pour voir et prendre la mer. Prendre la mer pour se sentir libre. Respirer. Et vivre.  

Célian Ramis

Les premières de corvée, contre le patriarcat

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8 mars 2021. Poings et majeurs en l’air, l’espoir perdure, les forces s’organisent, le combat progresse. Les féminismes poursuivent l’écriture de notre Histoire. Commune.
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Pari risqué mais défi relevé : les personnes sexisées ont pris la rue, occupé l’espace public et élevé leurs voix ce lundi 8 mars, journée internationale de luttes pour les droits des femmes, et ont répondu à l’appel d’une grève féministe. À Rennes, elles étaient des milliers – entre 2500 et 3000 - à manifester, organisant pour la première fois un départ depuis l’université Rennes 2 à Villejean, traversant le CHU de Pontchaillou, avant de rejoindre le cortège massif à République. 

Lundi 8 mars, un peu avant midi. Les rayons du soleil transpercent la fraicheur saisissante de la fin de l’hiver. Le campus paraît endormi. Il est en réalité endolori du manque de ses étudiant-e-s, contraint-e-s au distanciel. À quelques centaines de mètres du métro, à l’arrière du bâtiment L, le potager de Rennes 2, géré par l’association Ar Vuhez, s’anime au son des luttes qui convergent en son sein.

« MORT AU PATRIARCAT, PAS AU CLIMAT – Luttes féministes et écologistes doivent s’unir. Nous proposons un premier pas en accueillant sur le potager des artistes rennais-es qui invitent à penser le féminisme par le prisme des identités, des violences, des revendications, le tout dans le cadre écologique du POTAGER. Car un potager ne fait pas que pousser des plantes, il fait aussi mûrir l’esprit. »
indique une pancarte trônant sur une butte. 

Du 8 au 15 mars, la Semaine interassociative contre le sexisme et Ar Vuhez permettent à des œuvres photographiques, des créations dessinées et des collages, de côtoyer herbes et plantes, y compris celles qui font du bien à la chatte comme l’explique Guillemette Bourdillon, herboriste toulousaine, dont le fanzine « Les amies plantes de ma chatte – Petits et grands maux de la vulve, du vagin, de l’utérus : les plantes qui soignent ! » est mis à disposition à l’entrée du potager.

On serpente le lieu, découvrant le collage de Céline Drouin sur le sexisme, les photos réalisées par Michaël Delavenne de personnes aux poitrines taguées de messages revendiquant la liberté des femmes à disposer de leur corps ou dénonçant l’analogie du corps des femmes et des proies comestibles.

Il y a aussi la série de dessins de Léa Julienne qui capte notre regard et attire notre attention de par leur esthétique semblable à celles des comics. Chaque planche dévoile une femme et est ornée d’une phrase qui souligne la toxicité des relations que la protagoniste a subi. « They will tell you you look like a whore » au dessus du visage d’une femme voilée qui se maquille les lèvres. « They will lie in order to possess you » au dessus d’une jeune fille en mini jupe qui semble converser sur son téléphone. « They will let you think you are the problem » au dessus d’une femme à la chevelure bleue, le corps nu. « They will tell you how you can or cannot dress » au dessus d’une femme noire en sous-vêtements dont le reflet du miroir atténue sa carnation.

Et puis, au fond du potager, deux photographies nous interpellent. Elles sont issues de la série Abysses, réalisée par Elodie Poirier. Ça nous effraie et ça nous subjugue. Des portraits pris jusqu’à la taille, les corps sont nus, épurés, dans un décor noir et sur la peau, des taches qui semblent provenir de l’intérieur même du sujet photographié et jaillir sur leur corporalité extérieure. Fascinant. 

CRÉATIVITÉS ET FORCES DÉBORDANTES

La journée démarre bien. Elle sera stimulante et émouvante. Inspirante. Enième preuve, s’il en fallait encore, de la créativité et de la force débordantes des militant-e-s féministes. Assises dans l’herbe, devant le potager, elles prennent marqueurs et cartons et fabriquent leurs banderoles pour la manifestation pendant qu’une autre bombe un clitoris géant confectionné par ses soins.

« Soyez FORT comme des femmes », « En moyenne, 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentative de viol chaque année » ou encore « En 2019, 84% des mort-e-s en couple sont des femmes. ACABlé-e-s » et bien d’autres slogans, voilà le groupe paré qui rejoint le lieu de rendez-vous quelques mètres plus loin. 

Cette année, un cortège part de Villejean. Une nouveauté qui s’affiche comme un symbole. Désormais, le féminisme devra être pluriel et inclusif. On prône la solidarité avec les femmes du monde entier, on fait entendre la colère des féministes de l’université comme de celles des quartiers populaires, on dénonce les violences sexistes et sexuelles en appelant à une riposte féministe, on parle d’hétérorisme, on danse sur l’hymne des féministes chiliennes de Las Tesis « Un violador en tu camino », on s’affirme « fières, fortes, et radicales et en colère »,on réclame des moyens pour les travailleuses, « du fric pour la santé, pas pour les flics ni l’armée », on exige le respect de nos droits et de nos libertés. 

Une heure et demie plus tard, c’est plus d’une centaine de personnes qui déboule de la fac, après avoir traversé le site du CHU à Pontchaillou, et qui se joint au rassemblement à République qui démarre non pas en fanfare mais en chants tout de même avec Colectiva !,projet de la Ko-compagnie qui devait avoir lieu le week-end précédent place de la Mairie.

Si l’événement a été annulé en raison de la crise sanitaire, les voix s’élèvent malgré tout dans l’espace public à travers les textes engagés chantés par le chœur de femmes qui entraine de nombreuses militantes à se joindre à elles. Dans l’air, l’intensité des énergies festives et militantes qui bouillonnent et crépitent est palpable. C’est un jour de luttes. Il nous faut le rendre mémorable. Le marquer de nos ferveurs et de nos déterminations mais aussi de nos joies et de nos rages.

Les poings en l’air, les slogans au bout des lèvres masquées, les drapeaux flottent dans la froideur de ce début mars et la noirceur de nos réalités, les noms des femmes assassinées par leur compagnon ou ex compagnon siègent à nos pieds sur le sol pavé, les panneaux claquent et résistent au vent frais et à la fatigue des bras levés, les messages sont guerriers.

« Respecte mon existence ou affronte ma résistance », « Nos familles trans sont belles », « Le monde qui vient devra s’habituer partout à la présence de nos filles, de vos filles », « La révolution sera féministe ou ne sera pas »,« Mon corps mon choix », « Homos et hétéros égaux en droits – l’hétérorisme des intégristes ne fait pas loi », « Université sexiste ? Riposte syndicale et féministe », « Ovaires et contre tous », « On ne rasera ni les murs, ni nos chattes ».

On ne rasera ni les murs, ni nos chattes. Non, les murs serviront désormais de lieux d’expression féministe. Les colleuses ont prévenu : « Eduquez vos fils ». Impossible de rater le message qui trône sur la station de métro République. En chemin, lorsque le cortège s’élance vers la place de Bretagne, on croise aussi des affiches revendiquant la gratuité des protections menstruelles, disposées sur les devantures des restaurants fermés et façades des immeubles : « Saigner ne devrait pas être un luxe » et « Ras la cup de devoir payer – 24 €, c’est ce que paye en moyenne une personne pour ses règles chaque mois. »

LES PREMIÈRES DE CORVÉE À LA TRIBUNE

Précarité menstruelle et plus globalement précarité tout court. Voilà le thème au cœur de cette journée internationale de luttes contre le patriarcat qui met en lumière « les premières de corvée ». Le syndicat Solidaires le rappelle : « Premières de corvée à la maison, premières de corvée au travail, et à poste égal, on n’est toujours pas à salaire égal… », soulignant qu’il y a toujours 25% d’écart salarial entre les hommes et les femmes.

Sortir de l’invisibilisation. Prendre la parole et se faire entendre. Occuper l’espace public et le remplir de nos vécus, de nos corps, de nos identités de genre, de nos conditions, de nos oppressions, de nos discriminations. Les crier, les vivre, les faire résonner, les montrer.

À la tribune, les prises de parole, traduites également en langue des signes françaises, se succèdent et elles font du bien. Elles boostent nos motivations, complètent nos réflexions, alimentent nos imaginaires en terme de stratégies à mettre en place et de chemins encore à parcourir.

L’inclusion en est le maitre mot. Le départ du cortège depuis Villejean est un moyen d’y parvenir. « La voix des femmes des quartiers populaires est rarement entendue. J’aime autant vous dire qu’on va en parler longtemps de notre passage et j’espère qu’il y en aura d’autres. », scande Régine Komokoli, porte-parole de Kune, collectif des femmes de Villejean. Ensemble, elles œuvrent « pour continuer de gagner pas à pas (leur) place dans la société en tant que femmes, en tant que travailleuses, en tant qu’immigrées, en tant que femmes travailleuses immigrées. »

Elle poursuit : « Nous ne sommes pas de grandes intellectuelles, nous ne faisons pas de bruit, nous agissons sur notre quotidien, nous sommes représentatives de la diversité de la France d’aujourd’hui. Certaines d’entre nous sont bretonnes, normandes, d’Afrique du nord, de l’ouest et du centre. Certaines sont retraitées, d’autres sont salariées, en intérim, étudiantes en attente d’un premier emploi. Certaines sont des mamans solos, d’autres sont en couple. Pourtant nous nous sommes mises ensemble. Parce qu’au-delà de nos différences d’âge, de travail, d’origines, nous partageons l’immense bonheur d’être femmes entre nous. Nous nous sommes mises ensemble parce que nous avons du respect et de la considération pour les parcours de vie. Respect et considération, c’est ce qui nous manque le plus, nous les femmes des quartiers populaires dans cette société encore fortement marquée par le patriarcat. »

Précarité des familles, précarité des femmes. Mères ou non, célibataires ou non, ce sont toujours les plus mal payées, majoritairement employées à temps partiel, en intérim ou en CDD. Avec des écarts de salaire avoisinant les 25% entre les femmes et les hommes. « C’est comme si chaque jour, à partir de 15h40, les femmes travaillaient gratuitement. Nous voulons l’abandon définitif de la réforme des retraites qui constitue une double peine pour les femmes. Nous ne voulons pas payer les conséquences de cette crise. », signale la CGT.

« FAIRE DU 8 MARS UN POINT DE DÉPART POUR CONTINUER CETTE LUTTE ENSEMBLE »

Et ça, c’est quand elles peuvent travailler. Car Rachida, du Collectif Sans Papiers de Rennes le rappelle :

« Nous migrantes, réfugiées, sans papiers, demandeuses d’asile, nous les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bis, trans, nous sommes parmi vous à l’appel international pour une grève féministe. Nous avons l’interdiction formelle de travailler pour survivre et pourtant nous sommes ici avec vous. »

Son discours est puissant. Elle démontre l’importance de l’inclusion de tou-te-s dans les luttes féministes. Parce que nombreuses sont celles qui ont été oubliées, négligées, méprisées. Rachida demande aux militantes de les soutenir et d’être à leurs côtés dans leurs combats :

« Il ne nous suffit pas d’avoir une place parmi vous sur vos estrades militantes. Nous féministes prolétaires que notre courage de survivre a amené ici pour trouver refuge, nous nous sommes échappées des guerres produites par le patriarcat et le capitalisme de nos pays. Nos pays maintenus dans la misère. Nous venons chercher parmi vous solidarité et refuge. Quelque soit les barrières qui nous opposent, il est en notre pouvoir de les affranchir. (…) Tant que l’imbrication de la violence patriarcale et raciste ne sera pas vaincue, nous ne pourrons pas triompher ensemble. Tant que la liberté des migrantes n’est pas prise de partout comme un combat général, nous ne pourrons pas être ensemble sur la place mais resterons divisées dans les maisons, les villes, les lieux de travail. C’est pourquoi le 8 mars nous nous joignons à vous, à la lutte des femmes, contre les violences, l’exploitation patriarcale, c’est pourquoi le 8 mars, nous demandons un permis de séjour illimité et sans conditions. Nous appelons tout le monde à soutenir cette demande. Faire du 8 mars un point de départ pour continuer cette lutte ensemble. De la force transnationale et la grève un instrument général ! Soutenez-nous, nous avons besoin de vous. »

Se soutenir. Avancer ensemble. Construire réflexions et stratégies à partir des récits et expériences des personnes concernées. Sans prendre la place des personnes concernées. Sans parler à la place des personnes concernées. Doris, travailleuse du sexe et trésorière du STRASS dont elle est la référente en Bretagne, et créatrice des Pétrolettes, association de développement communautaire, le formule parfaitement :

« Nous vous donnons rendez-vous pour poursuivre ensemble la réflexion et les luttes et trouver ensemble des solutions à notre émancipation. La libération des travailleuses du sexe sera l’œuvre des travailleuses du sexe elles-mêmes. »

Son discours analyse les rapports de domination hommes – femmes depuis le système féodal jusqu’à aujourd’hui. Le contrôle des femmes par les hommes. La protection offerte par les hommes aux femmes qui en échange offriront du travail gratuitement. Le viol comme arme de guerre pour détruire la crédibilité du protecteur. Le couple hétérosexuel et la famille comme seule garante de la sécurité des femmes, « alors même que la famille et le couple sont une des plus dangereuses (structures, ndlr)pour elles. »

Elle poursuit : « La théoricienne Silvia Federici explique comment les chasses aux sorcières, la criminalisation de la prostitution ou les viols en bande organisée participent de la même logique répressive au contrôle des femmes. Il s’agit d’interdire l’accès à l’espace public, d’enfermer dans la sphère domestique, familiale, privée. Au passage, cela permet de rendre acceptable aux hommes des classes inférieurs la transition vers un capitalisme moderne puisqu’il devient le chef de la famille, petite entreprise artisanale dont il est le patron. 

La criminalisation du travail sexuel représente une attaque contre une forme de solidarité organisée entre les femmes. Les lois sur le proxénétisme en particulier prétendent protéger les femmes prostituées contre l’exploitation, en criminalisant toute forme de relation et d’organisation avec des parties tierces, y compris les travailleuses du sexe entre elles. On se retrouve contraintes de travailler en toute isolation, à la merci de toute forme d’agressions. »

Les prises de parole sont riches de points de vue peu médiatisés et souvent décriés dans la société actuelle qui, comme le démontre Doris, trie les gentil-le-s et les méchant-e-s et marginalisent, voire criminalisent, toutes les personnes n’entrant pas docilement ou pas du tout dans les cases binaires d’une vision manichéenne.

DÉCONSTRUIRE LA NORME BLANCHE, MASCULINE, HÉTÉRO, CIS, VALIDE

Au sein des féminismes, les sujets sont multiples. Parce qu’on touche ici à un système de domination profondément ancré dans les mentalités, au même titre que le racisme, les LGBTIphobies, le validisme, etc. La norme est blanche, masculine, bourgeoise, hétérosexuelle, cisgenre, nourrie essentiellement à la viande rouge histoire de garantir sa virilité.

Ne pas répondre aux critères de cette norme occidentale qui se pense et se déclare universelle, c’est entrer dans la catégorie des minorités. Des minorités qui mises ensemble représentent bien plus de la moitié de l’humanité… Et pourtant, on reste inégales-inégaux en droits dans le quotidien.

« Pandémie, libéralisation, violences sexistes et sexuelles, injonctions et précarité, pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, nous sommes ici aujourd’hui pour occuper la rue et réclamer des mesures gouvernementales concrètes revendiquant notre place en tant que personnes essentielles et victimes du patriarcat. Merci d’être ici aujourd’hui pour les femmes incarcérées, les victimes des LGBTIphobies, les femmes sans papiers, les travailleuses, les étudiantes, les mères, pour toutes ! », déclare Rebecca, de Solidaires étudiants.

Elle prend place à la tribune avec Chloé, de la Fédération Syndicale Etudiante, qui dénonce la précarité des étudiants et notamment des étudiantes qui constituent 58% des boursier-e-s. Sans oublier la précarité menstruelle qui touche 1,7 millions de françaises et de français « amenant renoncement à toute vie sociale ou impérative comme aller en cours. » Pour elle, l’annonce gouvernementale concernant l’accès aux protections menstruelles dans toutes les cités universitaires du CROUS n’est qu’une « mesure pansement ». Elle conclut : 

« Puisqu’il faut travailler pour survivre, mettons fin aux restrictions légales des possibilités d’emploi pour les femmes voilées, afin de lutter contre les discriminations à l’embauche d’un gouvernement raciste et sexiste qui nous le prouve jour après jour. »

La parentalité est également abordée à l’occasion de ce 8 mars à Rennes. Parce que l’extension de la PMA à tou-te-s n’est toujours pas obtenue de manière satisfaisante. Ce combat de longue date et de longue haleine trouve évidemment sa place dans les revendications féministes. Dans la question du choix. Dans la question des libertés individuelles.

Alors, le Planning Familial 35 rappelle que ce que l’on veut c’est l’accès à la PMA « pour toutes les personnes en capacité de porter un enfant, seules ou en couple et (que cela, ndlr)mette fin à l’hypocrisie actuelle qui oblige encore ces personnes aujourd’hui à partir à l’étranger ou à se débrouiller toutes seules. »

La prise de parole est commune avec Iskis – centre LGBTI de Rennes qui ajoute :

« Cette loi qui contribue à la reconnaissance de la diversité des familles doit aussi acter l’égalité de droit entre toutes les familles, entre tous les parents quelque soit leur identité de genre ou orientation sexuelle, et entre tous les enfants quelque soit leur mode de conception. En effet, nous refusons qu’un enfant soit stigmatisé en raison de son mode de procréation. Nous refusons toute indication relative à la PMA dans l’acte de naissance des enfants. Nous voulons que les choix des personnes soient respectés, que la diversité des familles soit reconnue, nous voulons la PMA maintenant et dans de bonnes conditions. »

« EN ROUTE VERS LA FIN DU PATRIARCAT »

Les luttes féministes sont nombreuses et ce 8 mars, comme tous les autres jours de l’année, on est convaincu-e-s que la révolution sera féministe ou ne sera pas. Parce qu’elle concerne l’intégralité de la société. Les confinements, les multiples MeToo, l’accumulation des témoignages et les actions au quotidien le démontrent : les personnes sexisées existent, elles sont là, présentes, elles participent tout autant si ce n’est plus au vu de toute la charge mentale qu’elle porte à la société.

Les sortir de l’invisibilité, les sortir de la précarité, leur rendre leur dignité et leur droit de vivre comme bon leur semble est indispensable. Les rages s’expriment avec force et enthousiasme mais aussi failles et désespoir parce que les combats sont aussi complexes, entiers et paradoxaux que tout individu.

Sans oublier une touche d’humour avec la performance de NousToutes35 qui explique l’organisation du cortège à la manière des hôtesses de l’air munies de pancarte demandant aux mecs cisgenres de se placer derrière la tête de cortège :

« Le Service d’Autoprotection Pailletté – le SAP – et l’ensemble de son équipage repérable par des pancartes violettes portées en sandwich sont heureux de vous accueillir pour cette manifestation « En route vers la fin du patriarcat » Nous sommes le 8 mars, à Rennes, à République et la température actuelle est… chaud bouillante nan ?

Nous vous proposons d’assurer votre confort durant cette marche en encadrant un cortège de tête en mixité choisie. Pour cela, nous vous rappelons que le principe de ce cortège est de laisser les personnes concernées prendre la tête. 

Les consignes pour ce cortège vont vous être présentées. Accordez-nous quelques instants d’attention merci. Vous êtes une femme, une personne non binaire, intersexe, un homme trans, vous êtes les bienvenu-e-s devant. Vous êtes un homme cisgenre, c’est-à-dire que votre genre ressenti homme est celui qu’on vous a assigné à la naissance. Alors votre place, en tant qu’allié de nos luttes, est derrière le cortège de tête. Vous pensez que le patriarcat c’est du pipi de chat et vous êtes arrivé-e-s ici par hasard, alors nous vous demanderons d’évacuer la manifestation. 

Le covid étant toujours parmi nous, merci de faire bien attention à mettre vos masques. Le SAP se tient à votre disposition en cas de difficulté dans le cortège de tête. Un service d’ordre plus classique se tient également à votre disposition dans le reste de la manifestation. Nous vous invitons à regagner la place qui vous sie dans la manifestation et nous vous souhaitons un très bon parcours. 

Car le patriarcat ne tombera pas tout seul, organisons-nous pour lui péter la gueule !!! »

Poings et majeurs en l’air, l’espoir perdure, les forces s’organisent, le combat progresse. Les féminismes poursuivent l’écriture de notre Histoire. Commune.