Célian Ramis

LGBTIQ+ : Fièr-es !

Posts section: 
List image: 
Summary: 
« Y en a assez ! assez ! assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! » Colorées et festives, les manifestations prônent des revendications fortes concernant les droits, le respect et l’inclusion de tou-tes.
Text: 

« Y en a assez ! assez ! assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! » Juin 2021, les Marches des Fiertés s’élancent dans plusieurs villes de France, dont Rennes, Paris, Lyon, Nantes, Strasbourg, Troyes ou encore Metz et Tours. Colorées et festives, les manifestations n’en restent pas moins engagées et militantes, prônant des revendications fortes concernant les droits, le respect et l’inclusion de toutes les orientations sexuelles et identités de genre dans une société qui rame (un peu, beaucoup) à accepter et reconnaître leurs existences.

Pas de Marches des Fiertés l’an dernier, en raison de la crise sanitaire. Pour leur retour, après un an de pandémie, de confinements, de restrictions et de gestes barrières, on sent un goût d’urgence. Un cri de colère mais aussi un cri d’amour. Le besoin vital de se retrouver et d’éprouver ce sentiment de liberté à exister pleinement dans l’espace public. Lesbiennes, gays, bis, trans, intersexes, queer, drags queens et kings, personnes en questionnement, pansexuel-le-s, asexuel-le-s, handicapé-e-s, racisé-e-s, non binaires prônent la multitude et la pluralité des identités.

Réduites à leurs orientations sexuelles et identités de genre, les personnes LGBTIQ+ sont encore majoritairement invisibilisées, discriminées, violentées et marginalisées. PMA pour TOU-TE-S, interdiction des thérapies de conversion, dépsychiatrisation de la transidentité, droit d’asile pour les personnes exilées en raison de leur sexe, orientation sexuelle et/ou identité de genre, arrêt des mutilations génitales sur les personnes intersexes… L’évolution des droits comme des mentalités est encore trop lente.

« Attention, sortie de placard ! » Sur le mail François Mitterand, HUMAN est écrit aux couleurs arc-en-ciel. Les pancartes « Queer féministes en colère », « Nos vies ≠ vos théories », « Jésus aussi avait deux papas », « Une maman peut en cacher une autre » ou encore « Une journée sans lesbienne est une journée sans soleil » côtoient les multiples drapeaux qui flottent dans la foule. La pansexualité s’exprime en rose, jaune et bleu, là où la bisexualité se colore de rose, violet et de bleu et là où la transidentité s’illustre de bleu, rose, blanc et de rose et bleu à nouveau. Sans oublier la non binarité, qui se pare de rose, blanc, violet, noir et bleu.

On entend résonner les slogans militants « Y en assez ! assez ! assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! », « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! » avant de se déhancher sur des chansons de Lady Gaga, Mylène Farmer, Beyoncé ou encore de Lykke Li. Ce samedi 5 juin, la Marche des Fiertés, organisée par Iskis, le centre LGBTI+ de Rennes, réunit plus de 5 500 personnes. Toujours plus nombreuses, toujours plus déterminées. Sans chars, comme aux origines. L’ambiance est festive, l’humour trône sur certains panneaux, aux punchlines bien senties « Dur à queer » et « Darmanin va te faire queer le cul », et les messages ne sont pas sans rappelés les origines de la manifestation : « Pas de flics dans nos Pride », indiquent les Colleuses qui zieutent de part et d’autre, avant de filer à vive allure, sourires aux lèvres et pinceaux à colle dans les mains. 

AUX ORIGINES DE LA PRIDE

Nous sommes le 27 juin 1969 à New York et dans la nuit, éclatent les émeutes de Stonewall. Les descentes policières sont fréquentes au Stonewall Inn mais ce soir-là, elle est plus tardive et non connue des client-e-s LGBT. Leurs arrestations vont entrainer la colère et la révolte des passant-e-s, qui s’insurgent et jettent pièces, briques et ordures sur les forces de l’ordre, à l’instar de Marsha P. Johnson. C’est une femme et militante trans racisée comme le rappelle une pancarte à Rennes : « Les queer racisées existent – Arrêtez de nous invisibiliser ». Au dos : « Marsha Johnson et Sylvie Rivera 2 femmes trans racisées qui ont créé la pride. » Ces événements marquent un tournant majeur dans l’histoire des luttes LGBT. Le collectif Gay Liberation Front est fondé et la Gay Pride est organisée dans le sillage des émeutes qui dureront une semaine au total, participant à la fédération du mouvement queer. 

En France, il faut attendre 1977 pour que la première marche homosexuelle prenne naissance à Paris, à l’initiative du Groupe de Libération Homosexuelle (GLH) et du Mouvement de Libération des Femmes (MLF). Deux ans plus tard, on rattache la manifestation à Stonewall et dans les années 90, on parle de Gay Pride. À partir de 1994, de nombreuses villes de province, dont Rennes, développent leurs marches. « Il y avait des femmes dans la Gay Pride alors on s’est dit qu’il fallait l’appeler la Lesbian & Gay Pride. L’année suivante, en 95, Paris a voulu s’approprier la dénomination. J’y suis allée avec l’affiche de Rennes. C’est nous qui l’avions trouvée, on était rennaises et on était fières ! », explique Mireille, militante lesbienne venue assister à la conférence de la FÉÉRIE, la FÉministe Équipe de Recherche Insolente et Érudite, le 10 juin dernier à la Maison des Associations de Rennes.

Couple de femmes qui s'embrassentÀ partir d’archives et d’interviews, Françoise Bagnaud, co-présidente d’Histoire du Féminisme à Rennes et lesbienne, Clémentine Comer, féministe, chercheuse et membre de Prendre le Droit, Alice Picard, féministe et chercheuse, et Camille Morin-Delaurière, féministe et doctorante en sciences politiques, travaillent sur le militantisme lesbien à Rennes et présentaient ce soir-là leurs recherches autour de l’engagement lesbien et ses coalitions et divergences avec les milieux respectivement gay et féministe dans les années 70 et 80. « À l’époque, on vivait cachées, c’était seulement ensemble, dans la communauté, qu’on était nous-mêmes. » Le témoignage de Sylvie n’est pas isolé et est révélateur de la lesbophobie de l’époque, qui perdure aujourd’hui encore.

En 1977, l’homosexualité constitue un délit, la société est marquée « par l’absence de figures d’identification lesbiennes et par un certain silence autour de ce terme de lesbienne, y compris dans le milieu féministe. », souligne Françoise Bagnaud. Rares sont les femmes qui vivent leur lesbianisme en public ni même auprès de leurs entourages familiaux et amicaux. La FÉÉRIE replace le contexte : la pression sociale de la norme hétérosexuelle est importante, au même titre que la pratique religieuse encore bien présente, sans oublier que l’homosexualité est considérée comme une maladie mentale. Se révéler, s’assumer au grand jour, c’est prendre le risque d’être internées. Le tabou provoque l’isolement, insistent-elles. 

DANS LE SECRET DES LESBIENNES

En 1978, une semaine homosexuelle est organisée à la MJC La Paillette et des lesbiennes du Groupe de Libération Homosexuelle y tiennent un stand, qui débouchera sur la naissance du Groupe Lesbien. Espace sécurisé dans lequel elles peuvent échanger autour de leurs vécus et rompre leur isolement, elles font leur entrée dans le militantisme homosexuel par le biais des hommes au départ, de qui elles se détachent l’année suivante, ces derniers faisant régulièrement obstacle à l’expression des femmes. Quatre ans plus tard, dans le sillon de ce premier groupe, née l’association Femmes Entre Elles dont la mission est de « promouvoir l’identité lesbienne dans le respect des droits d’une personne à disposer d’elle-même. »

Permanences hebdomadaires, débats, jeux de société, rallyes auto… Les membres peuvent ici s’épanouir dans leur vie, l’acceptation et la compréhension de leur sexualité. La non mixité sert de source d’informations mais aussi de levier d’émancipation. « Le militantisme lesbien à Rennes se singularise dans l’importance qu’occupe le wendo, une pratique d’auto-défense féministe. », signale Clémentine Comer. Mélange d’arts martiaux et de self défense traditionnelle, le wendo s’adapte aux vécus spécifiques des femmes. Les stages sont mis en place par FEE, toujours à La Paillette. La chercheuse poursuit : « Ce sont des moments où les femmes prennent collectivement conscience des violences qu’elles ont vécues et où elles acquièrent confiance en elles. L’objectif de cette pratique est de comprendre ce qui se joue au moment d’une agression, quelles postures peuvent être mises en place pour faire face, aiguiser sa vigilance dans une situation où la peur apparaît, mais aussi reconnaître sa propre force et puissance. »

Des adeptes de wendo créent en 1983 La Cité d’Elles, association se revendiquant féministe et ouvrant les stages aux femmes hétérosexuelles. Le Do It Yourself, la quête d’autonomie, concernant notamment le corps et la santé des femmes mais aussi les pratiques culturelles et artistiques, l’appropriation des savoirs universitaires, sont prônés par les deux structures. Les militantes intègrent les réseaux féministes régionaux, nationaux et internationaux, et rencontrent d’autres groupes lesbiens, à Angers et à Nantes par exemple, débouchant sur la création de la Coordination lesbienne de l’Ouest dans laquelle FEE joue un rôle prépondérant. C’est une ouverture aux voyages comme Ulli en témoigne : « On avait des adresses. Une lesbienne donnait l’adresse d’une autre, comme ça on pouvait voyager un peu partout, on était toujours hébergées. » 

Des tensions interfèrent pourtant entre les deux associations. La logique binaire de l’hétérosexualité et du genre est vivement questionnée par ce qu’on définit à l’époque comme le lesbianisme radical (appelé aussi lesbianisme politique, il remet en question l’hétérosexualité en tant que système politique, comme le théorise Monique Wittig dans son essai La pensée Straight) et la Cité D’Elles, dans un compte rendu de réunion, relate le sentiment « que le lesbianisme peut être ressenti comme un jugement de valeur envers les femmes qui ne le sont pas. » Malgré leur action conjointe visant à lutter contre la publicité sexiste en bombant des panneaux affichant des slogans choquants – à l’instar de « Violez la nuit » utilisé par une boite de nuit – les militantes féministes discréditent l’engagement de Femmes Entre Elles en parlant de « sous-culture lesbienne ».

« La Cité D’Elles est accusée de se cacher derrière le terme féminisme, par peur d’assumer le terme lesbienne, ce qui participe encore une fois à invisibiliser les lesbiennes. »
souligne les membres de la FÉÉRIE.

L’association est dissoute en janvier 1990. Nait quelques mois plus tard A Tire d’Elles qui partage le local avec FEE et c’est ensemble qu’elles initient la première Lesbian & Gay Pride à Rennes. L’événement désormais se fait connaître sous l’intitulé Marche des Fiertés LGBTI+ (lesbienne, gaie, bi, transgenre et intersexe) et l’inclusion s’inscrit jusque dans les mots d’ordre. À Rennes, sur l’affiche, trône en sous-titre : « Marre qu’on nous marche dessus – Anti-racistes, anti-fascistes et féministes, fièr-e-s et uni-e-s dans la rue ! » Pour Élian Barcelo, président d’Iskis au moment de la manifestation (depuis, le conseil d’administration a changé), « la manière d’exprimer les choses est aujourd’hui plus frontale. » Besoin de visibiliser l’ensemble des luttes. Besoin de visibiliser la pluralité des identités. D’autant plus « qu’on vient de vivre un an d’enfermement, une année dure, très dure. » 

CONFINEMENTS ET ISOLEMENT

Femme lors de la Marche des FiertésIl le dit, les membres actifs de l’association sont épuisé-e-s. « On est passé-e-s sous les rouleaux. On a eu énormément de demandes durant les confinements. Un appel à l’aide de manière générale. Pour des raisons diverses. Parce que certaines personnes n’avaient pas d’imprimante pour leurs attestations, d’autres ne savaient pas écrire, d’autres encore n’avaient plus de sous. L’accueil individuel a repris dès la sortie du premier confinement. On a reçu des personnes exilées, des personnes trans qui venaient d’engager des réflexions autour de la transition, des parents s’informant pour leurs ados… C’était déconcertant par le nombre. L’activité d’écoute n’a pas désempli depuis 2020. », relate-t-il. Et pour cause, la crise sanitaire a contraint la population à l’isolement, dans des conditions inégales selon les situations. Lors de la Marche des Fiertés, il n’est pas sans rappeler que les personnes LGBTI+ en ont largement souffert :

« Avec la fermeture des espaces communautaires, nous avons été privé-e-s de nos espaces d’écoute, de partage et de liberté. Nous n’avons pas pu vivre les moments de lutte et de joie dont nous avons besoin. Les confinements ont isolé les personnes LGBTI+ exilées qui ont dû retourner au placard pendant plusieurs mois. Les confinements ont exposé les jeunes LGBTI+ à des violences dans leur famille. La situation terrible a conduit certains d’entre nous jusqu’au suicide. Nous avons une pensée pour les étudiantes et étudiants transgenres que la transphobie administrative a broyé-e-s dans ces mois déjà si difficiles. L’isolement, le sentiment de solitude, le report de nombreux soins considérés comme non prioritaires, ont entrainé une dégradation de l’état de santé de nombre d’entre nous. »

Pour l’association Contact, qui prend également la parole en ce samedi 5 juin aux cotés d’Iskis, le Planning Familial 35, le NPA, Solidaires et AEdelphes, « la crise sanitaire a servi de prétexte pour ne pas avancer. » La structure poursuit : « Oui, il y a le projet d’ouverture de la PMA, vidé de toute substance en excluant les couples de femmes (le discours est prononcé avant le vote du projet de loi à l’Assemblée nationale, ndlr) et les personnes transgenres. Mais il y a aussi les thérapies de conversion, des tortures censées « guérir » l’homosexualité des personnes, toujours pas interdites malgré les promesses ! Il y a les mutilations des personnes intersexes, que le gouvernement et les législateurs s’obstinent à ignorer, malgré les nombreuses condamnations internationales. Il y a le changement d’état civil des personnes transgenres qui se fait toujours devant un juge. Et alors, nos droits, ils avancent quand ? »

Pancartes Pride lors de la marche des Fiertés

PMA (PAS) POUR TOU-TE-S

Le 29 juin 2021, l’Assemblée nationale adopte définitivement le projet de loi de bioéthique encadrant, entre autres, l’ouverture de la PMA – Procréation Médicalement Assistée – aux couples lesbiens et aux femmes célibataires. En France, c’est un moment historique. La joie, enfin, de ne plus réserver ce parcours, menant à la parentalité, aux couples hétérosexuels, contraignant ainsi les personnes n’entrant pas dans cette norme établie à se rendre à l’étranger. « J’ai pleuré de joie quand j’ai appris ça ! Égoïstement, j’étais trop contente ! », nous répond Bilame, militante féministe et créatrice du compte instagram Parlons lesbiennes, visant à déconstruire les LGBTIphobies.

« Je dis égoïstement, parce que la loi n’est pas inclusive pour tout le monde. On doit continuer à militer pour les droits de nos adelphes, continuer de se battre pour la PMA pour les personnes trans, pour la GPA (Gestation Par Autrui, ndlr), pour l’arrêt des mutilations génitales sur les personnes intersexes. », précise-t-elle. Rengaine électorale, cette avancée a un goût amer. Près de 10 ans que la loi est reportée. Près de 10 ans que les militantes lesbiennes luttent sans relâche pour être conviées et entendues dans les débats les concernant. Près de 10 ans que la visibilité est faite sur la Manif pour tous et son discours tradi-catho « Un papa, une maman, un enfant ». Elian Barcelo déplore la lâcheté politique des gouvernants. « On se dirige vers une PMA discount, qui arrive tardivement et est amputée. À l’image du mandat de Macron… Il n’y a aucune réflexion sur les personnes intersexes dans la loi de bioéthique et les personnes trans en ont été exclues. », commente-t-il.

Nikita, musicienne trans de Vicky VerynoLes réactions sont mitigées. L’heureuse nouvelle est rapidement remplacée par la colère, comme le souligne Nikita, musicienne et alter ego de Vicky Veryno : « Oui, c’est cool et il faut s’en réjouir ! Mais ça m’énerve, c’est marqué « Pour Tou-te-s » ! Ça me fait le même effet qu’au moment du Mariage pour tous (loi adoptée en mai 2013 après de violentes manifestations contre le droit au mariage pour tous les couples, ndlr). Quand c’est arrivé, je n’avais pas encore connaissance de ma transidentité et bisexualité. Je me demandais juste pourquoi les couples non hétérosexuels n’avaient pas autant de droits que les couples hétérosexuels ? »

Elle enchaine : « Et puis, ce que je trouve injuste dans la loi sur la PMA, c’est le fait qu’on ne parle pas de nos parcours. Ont-ils prononcé une seule fois le mot « transgenre » à l’Assemblée ? Il faut prononcer les mots. Ce n’est pas une insulte, ce n’est pas un problème. Il faut verbaliser sinon on invisibilise. Et on ne peut pas débattre de quelque chose dont on ne parle pas. On existe et il faut que la société sache qu’on existe. Les opposants prétendent que c’est contre nature pour nous d’avoir des enfants. Ils sont persuadés dans leurs convictions qu’on n’est pas normaux… »

Ces années de reports en série, de fausses excuses et promesses mollassonnes constituent une violence inouïe à l’encontre de la communauté LGBTI+. Écartée du débat, a contrario du reste de la société qui ne se prive pas de faire part de son opinion. Un cauchemar qui a réduit à néant de nombreux espoirs et désirs de grossesse et de parentalité, sans que cela ne soit le fruit d’un choix. Car c’est bien là l’enjeu de cette lutte : avoir le droit, avoir le choix, avoir le droit au choix. Au sein du militantisme trans, l’ex-président d’Iskis ressent une évolution dans les réflexions sur la transparentalité.

Grâce à des exemples désormais visibles de couples homosexuels dont au moins un-e des deux partenaires est transgenre accédant à la parentalité. « J’y avais personnellement renoncé en entamant les démarches de ma transition. J’y repense depuis un an. Et ce n’est que le début. », sourit Elian. L’action de Matergouinités, visibilisant l’homoparentalité et la transparentalité, est à valoriser et à relayer. Pour déconstruire les imaginaires autour de la famille nucléaire hétéronormée. Pour sortir du schéma binaire du modèle parental.

DES REVENDICATIONS FORTES ! 

Pancarte Fière de nous, fière de vousIl n’y a pas qu’à la Marche des Fiertés que la population LGBTI+ milite pour l’obtention de droits égaux et pour le respect de toutes les identités. Mais ce jour-là représente l’occasion d’afficher et de scander haut et fort, dans l’espace public – lieu de fréquentes et régulières violences verbales, physiques et sexuelles envers les personnes LGBTIQ+ comme le rappelle les associations, dont SOS Homophobie qui publie chaque année un rapport chiffré à ce sujet – les revendications fortes et nombreuses. Parmi elles, l’ouverture de la PMA sans discriminations et dans les mêmes conditions pour tou-te-s, l’arrêt des opérations et médications d’assignation imposées aux personnes intersexes, la dépsychiatrisation de la transidentité en France et son retrait de la liste des maladies mentales, un engagement conséquent des pouvoirs publics pour prévenir le mal-être et le suicide des personnes LGBTI+, l’interdiction des thérapies de conversion (lors du conseil municipal du 28 juin 2021, la Ville de Rennes a déposé un vœu auprès du gouvernement pour que celui-ci y mette fin ; le centre et la droite ont refusé de voter), des politiques de santé garantissant l’accès aux soins dans le respect des besoins spécifiques des minorités sexuelles et de genre et des moyens pour les appliquer ainsi que l’accord systématique du droit d’asile aux personnes LGBTI+ exilées.

« La situation se dramatise grandement pour les personnes exilées ayant fui leurs pays en raison de leurs orientations sexuelles et/ou identités de genre. Des centres LGBT ont noté des refus « type », qui ne sont pas adaptés à la situation spécifique de la personne. Ces questions sont liées aux quotas et à la stratégie politique de Macron… », appuie Elian Barcelo. Une pancarte affiche la critique : « France = pays des droits humains* - *Offre soumise à conditions », rappelant ainsi que toutes les vies comptent. Et c’est bien cela que défend, entre autres, Nikita qui participait à sa « première vraie pride depuis l’out ». Deux ans auparavant, elle assistait à la Marche, en marge du cortège, précise-t-elle.

« C’est ça que j’ai envie de voir. Il y a des personnes torses nus, il y a en fait tous les types de corps, maigres, gros, cassés, handicapés… Il fait beau et on se sent safe. Moi, je m’étais bien maquillée et je portais une belle robe. Il y a, je trouve, un côté festif « désespéré ». Dans le sens où c’est ce jour-là qu’on peut s’afficher pleinement. Les corps des personnes trans sont encore considérés de nature hors norme dans la société. Là, on est au milieu de gens qui ne risquent pas de nous taper. Ça devrait être comme ça 365 jours par an ! », scande-t-elle.

En échangeant sur le sujet, un sentiment de colère l’assaille. Et sa colère est légitime. Des insultes homophobes et transphobes, elle en voit tous les jours : « Il faut arrêter d’être surpris-e que les queer en aient marre. Si j’avais pu ne pas faire de transition, je ne l’aurais pas fait. Le ressenti que j’ai en moi, ce n’est pas un choix. La vie est déjà assez compliquée comme ça. Je veux juste des câlins. Moi aussi je pourrais être fâchée. » Fâchée contre une société qui prive une partie de la population de ses droits. D’une société qui ne respecte pas les identités dans leur entièreté. D’une société qui considère certaines existences comme anormales. Et qui de fait les en exclut. Jusque dans la Pride…

Illustration d'une femme nueLES TERFS ET LA TRANSPHOBIE

Le 26 juin, c’est en Ile-de-France qu’avait lieu la Marche des Fiertés. Pour la première fois, elle s’est élancée depuis Pantin, en Seine-Saint-Denis, pour rejoindre la capitale. Un point de départ symbolique tout comme l’avait été le point de ralliement de la manifestation du 8 mars à Rennes, initié à Villejean, élargissant le parcours aux femmes des quartiers, souvent oubliées des luttes féministes. Ce samedi de célébrations des fiertés et de revendications politiques a néanmoins été marqué, à Paris, de banderoles lesbophobes et transphobes par un groupe de TERFs - trans exclusionary radical feminism - c’est-à-dire des militantes féministes n’acceptant pas les femmes trans dans la lutte pour les droits des femmes (elles s’opposent par exemple à l’emploi du terme « personnes menstruées » quand on aborde les règles ou « personnes sexisées » quand on parle des violences sexistes et sexuelles, pensant que l’on « décentralise » les femmes du sujet en incluant les personnes trans).

« On a besoin de féminisme, pas de transition mutilante », peut-on lire dans le cortège. Vice-présidente de l’association Acceptess-T et co-fondatrice du média transféministe XY Média, Sasha déchire les pancartes et pour cela, est interpelée par la police qui photographie son titre de séjour et la somme de s’en aller, en l’avertissant qu’elle finirait au commissariat si elle était revue dans le périmètre de la Marche. Au magazine Têtu, elle déclare : « Aux personnes qui pensent que c’est un acte de violence d’arracher et déchirer les pancartes, je peux dire que je considère que des pancartes portant des messages de haine sont déjà un acte de violence, je les ai vécues comme une violence et donc, ma résistance à cette violence n’est rien de plus que de l’auto-défense. » Elle poursuit, déplorant que d’autres femmes la renvoient à sa « prétendue masculinité et virilité » : « En fait, je vis les violences des hommes et le sexisme depuis le début de mon adolescence et d’autant plus depuis ma transition. »

Pancarte "Les queer racisés existent arrêtez de nous invisibiliser"Depuis, la militante est victime de nombreuses attaques, de cyber harcèlement en clair, sur les réseaux sociaux. Nikita soutient Sasha et réagit aux événements : « Les TERFs se trompent de cible à mon sens. La cible, c’est le patriarcat et le capitalisme. » L’injonction à la féminité ultra normée s’impose et pèse fortement sur les femmes trans. « Je ne crois pas du tout en la douceur féminine et tout ce qui constitue cette image d’Épinal. C’est un problème important de vivre en dichotomie. Je ne peux pas sortir sans me maquiller énormément. J’ai juste envie de vivre sereinement. Les personnes trans passent par la question de l’apparence. Pour moi, être femme n’est pas définissable. C’est mouvant. Ma femme à moi, elle est tout ce que je n’ai pas eu avant. Je me définis en tant que femme trans plutôt binaire, même si je pense que chaque personne a de la non binarité en elle. », explique-t-elle. 

CHANGER LE REGARD

Dans les représentations, on rame encore à sortir des carcans du genre. Qu’elles soient cinématographiques, littéraires, artistiques ou médiatiques, elles influencent la perception que nous avons de la société qui classe sa population en groupes d’individus. Que se passe-t-il quand on n’entre pas dans les cases ? Ou qu’une partie de nous ne figure pas dans la liste des critères normatifs ? Scinder son identité : impossible. La militante écologiste, féministe et antiraciste, Priscilla Zamord, également conseillère municipale à Rennes et vice-présidente Solidarités, égalité et politique de la ville au sein de Rennes Métropole, nous en parlait il y a quelques mois, à l’occasion de notre Focus sur les révolutions féministes. Elle se qualifie de bretonne d’outre-mer et se revendique queer : « C’est une identité hybride et je n’ai pas envie de choisir mon identité selon le jour de la semaine, ni ma lettre LGBTI… » On manque de modèles présentant les personnes LGBTIQ+ dans leur entièreté.

Avant de réaliser Ouvrir la voix, documentaire dans lequel témoignent 24 femmes noires, françaises et belges, Amandine Gay a vécu les refus de financement de ces projets. Quand elle a voulu porter à l’écran, dans une fiction, l’histoire d’une femme noire lesbienne et sommelière, on lui a rétorqué qu’un tel profil n’existait pas. Bug du système qui ne peut concevoir l’accumulation des cases pensées comme hors de la norme. À savoir : homme blanc cisgenre hétérosexuel valide bourgeois. L’invisibilisation des personnes queer renforce par conséquent les stéréotypes que l’on intègre à leur propos. Des stéréotypes façonnés par un système basé sur une longue de série de dominations. Sexisme, racisme, validisme, classisme… se mélangent et hiérarchisent les individus, échelonnant ainsi la prise en compte des vécus et ressentis.

« Les lesbiennes sont encore très invisibilisées. De partout. On a encore l’image de la lesbienne en marcel, qui regarde le foot et rote. C’est un cliché. Et on a aussi, très souvent, une image hypersexualisée. Vous tapez sur Google « Lesbienne », vous tombez sur du porno. Et le porno, ce n’est pas la réalité ! », regrette Bilamé. Il n’existe pas un profil « type » de la lesbienne. Elle est très active sur les réseaux sociaux pour justement rompre avec ces représentations stéréotypées. « Je suis originaire d’une petite ville, Annecy, où il y a pas ou peu d’événements LGBTI. J’ai lancé Queer Gaies (en décembre 2019, ndlr), une micro-entreprise me permettant d’en organiser. Mais il y a très vite eu la crise sanitaire et je cherchais un moyen pour faire du contenu à destination des personnes qui participaient aux événements. Sur Tik Tok, ça a rapidement pris de l’ampleur et je me suis aperçue que les gens me suivaient moi. J’ai créé Bilamé – un pseudo clin d’œil à son prénom et son surnom – pour lutter contre les injonctions qui pèsent sur les femmes lesbiennes, en me demandant ce que moi j’aurais aimé avoir comme conseil. », explique-t-elle. Elle a 25 ans et affiche dans l’espace public son homosexualité :

« Je tiens la main de ma copine, je l’embrasse. Mais il y a quelques années, je n’en aurais pas eu l’idée. Des lesbiennes qui ressentent de la peur, j’en ai tous les jours en message privé. »

En cause, le manque de visibilisation. 

Portraits de militantes lors de la Marche des FiertésÇA BOUGE, MAIS…

On peut se réjouir du succès de la Marche lesbienne, organisée à Lyon et à Paris les 24 et 25 avril, à l’occasion de la journée de visibilité lesbienne (26 avril). Mais dans les arts et la culture, leur présence est largement insuffisante. « On représente les lesbiennes dans les scènes de sexe. Quand on regarde La vie d’Adèle, ce n’est pas réaliste. On grossit le trait. Elles ne sont pas les sujets d’histoires intéressantes. Alors, on s’identifie aux couples hétéros, par manque de représentation. », précise la militante. Un jour, elle découvre la série The L Word, créée par Ilene Chaiken en 2004, qui met en scène des femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres et racontent leurs histoires d’amour et de sexe. « C’était tout ce que je pensais dans ma tête ! Mais avant ça, je n’avais pas conscience que ça existait. Ça a un vrai impact sur les sexualités des jeunes. », s’enthousiasme Bilamé. De son côté, Nikita cite la série Sense8, créée par Lana et Lily Wachowski en 2015, sur Netflix.

« À l’époque, j’avais peu conscience du monde LGBTI. Pour moi, c’est une série feel good. Les personnages sont là parce qu’ils existent. », souligne-t-elle, sans oublier de citer l’actrice trans Jamie Clayton qui dans la série incarne Nomi Marks, une femme trans, blogueuse et hackeuse, en couple avec une femme noire. A l’instar de la comédienne, la musicienne n’en peut plus « de voir les personnes cis jouer les personnes trans, c’est très inapproprié. » Selon elle, ça bouge, ça évolue. « Entre la fin d’Ace Ventura (et sa scène transphobe) et Sense8, en passant par Orange is the new black (créée par Jenji Kohan en 2013 sur Netflix, ndlr), série très queer avec des lesbiennes et une femme trans, on a fait du chemin. Mais ce qui se passe à la télé et au cinéma traduit ce qui se passe dans la société : les personnes trans constituent encore aujourd’hui une minorité opprimée. », signale Nikita. Elle poursuit : « Un enfant blanc a plein de personnages pour se construire. J’aimerais porter le costume de Super Trans Woman ! Qu’on puisse nous créer une mythologie de pop culture qui nous permette de nous construire. C’est en cela que la représentation est utile aussi ! » 

Montrer des identités plurielles. Proposer autre chose. Faire exister le monde queer en dehors des espaces dédiés et militants. C’est ce qu’elle fait dans l’univers pop rock avec Vicky Veryno. Un cri du cœur : « Plus on avance, plus j’ai envie de radicaliser mes positions et je sais que ça peut m’invisibiliser. » Un cercle vicieux qui devrait pourtant être un cercle vertueux si seulement on ne résistait pas constamment à la remise en question de nos privilèges. « Mais comme on casse les codes en n’étant pas dans la moulure du patriarcat, on nous décrédibilise, on est traitées d’hystériques en tant que féministes. Il n’y a rien qu’à voir Alice Coffin… Son livre Le génie lesbien n’a rien de choquant. Elle dit simplement tout haut ce qu’on pense tout bas. Ils l’ont pourri ! Ils n’ont pas respecté cette femme ! On leur fait peur. Ils ont peur de ne plus avoir de place si nous on prend la notre. Il faut continuer de manifester, de militer : on a une place dans la société, on a notre place dans la société ! Il faut que nous soyons visibles ! », s’écrie Bilamé. 

LE CIS GAZE DANS LE VISEUR

Les représentations artistiques, culturelles et médiatiques proposent une vision restreinte de la société. En cela, elle exclut tout un pan de la population présentée comme marginale. Ce qui crée des écarts entre les individus et fige les personnes LGBTI+, la plupart du temps, dans des parcours de souffrance, ayant pour seule possibilité d’exister la difficulté à s’accepter, à s’aimer. Le collectif Représentrans œuvre pour de meilleures représentations des transidentités et non binarités. Les membres de l’équipe définissent sur leur site la notion de cis gaze, en s’appuyant sur les écrits de Galen Mitchell, écrivaine et musicienne, et de Julia Serano, chercheuse et militante trans-bi.

« La première écrit en 2017, dans TransSubstanciation, que le « cis gaze fait référence aux moyens mis en œuvre pour présenter les personnes trans’ comme si elles existaient uniquement pour satisfaire le voyeurisme des personnes cis et pour les divertir. » La seconde souligne notamment, dans son Manifeste d’une femme trans, que cette vision tend à naturaliser les identités cis et à artificialiser les identités trans. », peut-on lire, ajoutant que « le cis gaze est un regard systémique » qui a « une réelle influence sur la manière dont les personnes trans’ ont conscience de leurs corps et de leurs apparences qui sont constamment épiées à travers le cis gaze. » Un regard intériorisé par les personnes trans, qui « cristallise des comportements violents, fétichisants, menaçants et globalement stigmatisants. » On retrouve là les mécanismes à l’œuvre dans le male gaze théorisé en 1975 par Laura Mulvey et dénoncé par les militantes féministes et lesbiennes. En clair, les individus sont imprégnés des inconscients patriarcaux et capitalistes qui infusent dans toutes les sphères de la société.

Militant-es qui portent le drapeau LGBTIQ+Ainsi, les stéréotypes, tant qu’ils ne sont pas conscientisés et déconstruits, biaisent nos regards et orientent la projection de ceux-ci dans nos quotidiens. Dans le système binaire, hommes et femmes peuvent être influencé-e-s par le male gaze et le cis gaze. Au cinéma, à la télévision, dans la littérature, la peinture, la bande dessinée, la musique, les médias, etc. nous reproduisons l’objectification des femmes, personnes LGBTI+, personnes handicapées, personnes racisées… Le problème étant que la majorité des œuvres grand public, mainstream, sont dictées par les personnes blanches, cisgenres, hétérosexuelles, valides, ayant accès aux postes à responsabilité et aux espaces de décisions et de représentations. 

POUR UNE AUTRE REPRÉSENTATION

Alors oui, on pourra toujours citer Le portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma, et Sex education, de Laurie Nunn, ça reste maigre comme contre-exemples. Il faut les multiplier à travers les personnes concernées. S’ouvrir à une esthétique dans laquelle les corps en transition exécutent des mises en scène tirées du quotidien, où la banalité se revêt de couleurs vives, c’est la proposition de l’artiste non binaire canadien-ne Laurence Philomène. Dans son œuvre, « ces activités (repas en sous-vêtement, échange d’un joint, prise hormonale, sieste au soleil, etc.) ont muté, elles questionnent la binarité de l’identité de genre. », commente La Chambrée – co-production de Crab Cake, Corporation et du Collectif Contrefeux et espace d’exposition vivant, intimiste et convivial – à Rennes, qui accueille en son sein l’exposition « Arrêt sur image », composée des photographies de Laurence Philomène et de Marie Rouge, artiste articulant son travail autour du portrait et du reportage, s’intéressant particulièrement aux femmes et au milieu LGBTQI+.

Parce que comme l’analyse le philosophe Paul B. Preciado, « le corps est la chose la plus politique et la plus publique qui soit », les clichés accrochés constituent « une façon de plus de refuser les interprétations pathologisantes ou pathétiques des vécus queer, les récits dramatiques auxquels ils sont trop souvent confinés (entre autres, par le cinéma, la télévision, la littérature). Nous voulons croire que les regards que nous jettent ou nous refusent les sujets à l’image sont peut-être tournés vers cet autre film, alternatif, que construisent des pratiques que celles de Marie Rouge et Laurence Philomène. » 

En juin dernier, le comédien et réalisateur Océan a diffusé la saison 2 « En infiltré-e-s » de sa série documentaire éponyme sur la plateforme Slash de France TV. Il explique à Fraiches : « J’ai été filmer des personnes trans, intersexes, non binaires de mon entourage. Je pense que c’est très important la visibilité pour les personnes LGBTQI+, les trans en particulier, parce qu’on est souvent le parent pauvre de la commu’. Je pense qu’aujourd’hui en France, les gens connaissent très peu de personnes trans. Dans la vie quotidienne, il y a encore beaucoup de préjugés sur la transidentité, les non binaires, les gens comprennent pas bien. C’est pour ça que dans la saison 2, j’avais vraiment envie d’aller voir plein de gens, avec des parcours spécifiques. Ça reste très positif. J’ai voulu montrer des gens qui avaient beaucoup de force, beaucoup d’énergie, beaucoup d’humour. Ce n’est pas du tout larmoyant parce que c’est vrai que la représentation des personnes trans souvent elle est hyper « oh, les pauvres petits chatons qui s’en sortent pas et qui souffrent et qui vont mal, ils ont un problème parce qu’ils sont trans ». Moi je dis on n’a pas de problème, être trans est une expérience extraordinaire, par contre ce qui est dur, c’est la transphobie qu’on subit. »

Sortir du voyeurisme, écouter les récits, prendre en compte les existences. Ne pas banaliser les propos et spécificités des personnes LGBTIQ+ mais les rendre sujets dans leur entièreté et pleinement citoyen-ne-s en octroyant les mêmes droits à tou-te-s (et en les respectant, évidemment…). « Je rêve que le queer devienne un non sujet ! », confie Nikita, qui ponctue : « Je suis une musicienne avant d’être une meuf trans bi. » 

ÉCRIRE D’AUTRES HISTOIRES

Illustration de couples lesbiens qui s'embrassent et s'enlacent On le sait, l’Histoire est écrite par les hommes pour les hommes. Le patrimoine n’est que trop peu teinté de couleurs et les récits alternatifs échappent à ce qui devrait pourtant constituer l’héritage culturel commun. En introduction du premier tome de 40 LGBT+ qui ont changé le monde, Florent Manelli écrit : « Cet ouvrage aborde également la question de la mémoire LGBT+ et des archives éparpillées un peu partout en France, peu visibles et encore si peu accessibles. Cette mémoire est terriblement essentielle car elle prouve que les luttes LGBT+ ont un passé, qu’elles ont existé et que nous avons existé, écrit l’histoire, nous nous sommes battus et avons lutté pour nos droits. Les archives participent aussi à la construction d’une identité, à la façon dont chacun peut se définir au monde et aux autres. » Au total, l’illustrateur brosse le portrait de 80 activistes, personnalités, célèbres ou inconnues, qui, à leur échelle font ou ont fait avancer le mouvement LGBT+. Parmi ces personnes, figurent Marsha P. Johnson, Jean Chong, Hanne Gaby Odiele, Mykki Blanco, Harvey Milk, Hande Kader, Marielle Franco, Laverne Cox, Monique Wittig, Sylvia Rivera, Audre Lord ou encore Janet Mock.

Personnes trans, intersexes, travailleur-euse-s du sexe, non binaires, lesbiennes, bis, gays, issu-e-s de toutes les origines et classes sociales… Tou-te-s ont participé à l’évolution des droits et des mentalités. Pourtant, dans nos bouquins d’histoire, dans nos cours d’instruction civique, lesquels de ces noms avons-nous entendu ? Quelles trajectoires ont été étudiées ? Lesquelles ont été balayées, minorées, méprisées ?

« Dans beaucoup de mouvements, les lesbiennes sont invisibilisées. Alors qu’on a été hyper présentes ! Par exemple, les lesbiennes ont beaucoup donné leur sang pour aider la lutte contre le VIH aux Etats-Unis et ça, on oublie de le dire ! »
rappelle Bilamé.

Tout comme on les a longtemps écartées des luttes féministes des années 70 et 80 alors qu’elles y ont largement participé, comme l’a démontré FÉÉRIE à Rennes (les circulations militantes des lesbiennes et leur lien avec les associations féministes sont également étudiées en ce moment à Toulouse et Dijon).

À Paris, même problème. Les Gouines Rouges, d’abord affiliées au Front homosexuel d’action révolutionnaire dont elles souhaitent combattre la misogynie, et ensuite au MLF, sont invisibilisées dès lors que la pensée se radicalise : on revient à La pensée straight de Monique Wittig, interrogeant la binarité du système hétérosexuel. La militante et autrice écrira même que « les lesbiennes ne sont pas des femmes ». Comprendre ici que la construction « femme » ne prévaut que dans le cadre hétérosexuel. L’idée du féminisme en tant que théorie et du lesbianisme en tant que pratique dérange. On rend le discours minoritaire. On les fait taire. Leur participation à l’évolution des droits des femmes, concernant la contraception, l’avortement, la lutte anticapitaliste, la liberté à disposer de son corps, l’accès à la santé, etc. n’est que très peu visibilisée dans l’histoire des luttes.  

Heureusement, des initiatives diverses les réhabilitent dans l’Histoire, comme le fait notamment Queer Code en relatant les parcours de vie, engagement, résistances, chemins d’émancipation des femmes ayant aimé des femmes, qu’elles furent cisgenres ou transgenres, durant la Seconde guerre mondiale. Et des collectifs se mobilisent pour valoriser les personnes LGBTI+ dans les arts et la culture. À Rennes, l’an passé, deux labels indépendants, féministes et LGBTI+ ont vu le jour : Elemento Records et Black Lilith Label. L’objectif : déconstruire le sexisme et les LGBTIphobies qui nourrissent les imaginaires populaires et collectifs, et permettre aux artistes sexisées d’accéder aux scènes, festivals et circuits de diffusion. 

DES ESPACES SAFE

Qu’on l’appelle non mixité, mixité choisie ou entresoi, peu importe. Elle est un outil de soutien et d’émancipation pour les personnes qui en ont besoin. Elle permet d’échanger autour des vécus et ressentis, de sortir de l’isolement, de conscientiser les discriminations comme composantes d’un système oppresseur et parfois de se sentir en sécurité, là où ailleurs ce n’est pas possible. En créant Queer Gaies, Bilamé propose un espace safe aux minorités sexuelles et de genre à l’occasion de pique nique, de sorties en boite de nuit (quand elles étaient ouvertes et non soumises au pass vaccination…) ou autres événements culturels. « Pour l’instant, c’est un peu à l’arrêt à cause du covid. Je déménage à Bordeaux et je ne sais pas encore si je décale tout là bas ou si je laisse la micro entreprise à Annecy, je verrais. Ce qui est sûr, c’est que je veux reprendre les activités mais je veux avoir la certitude de pouvoir faire quelque chose de safe. Je veux réunir les personnes de ma communauté, pas créer un cluster… », rigole-t-elle.

Deux femmes se peignent les seins lors de la Marche des FiertésElle poursuit : « Je trouve que c’est cool de se réunir entre nous, on a des choses en commun, des vécus en commun. J’avoue que je déserte un peu les bars et boites hétéros. Si j’ai le choix entre un bar hétéro et un bar LGBT, c’est bien simple, j’irais au bar LGBT. Je nous vois comme une famille. Il y a un lien de sororité, d’adelphité. » Parce qu’en tant que femme lesbienne, quand Bilamé sort dans un espace non dédié, elle est régulièrement victime de remarques ou de comportements intolérables. « Je suis dans l’hypersexualisation H24 dans les lieux hétéros. En soirée, je me faisais beaucoup embêter par des hommes. Je tolérais pendant un temps et maintenant je ne supporte plus. Les mecs qui me touchent le cul parce que j’embrasse ma copine, me parlent de plan à 3, veulent me forcer à avoir un rapport en me disant que je suis lesbienne parce que j’ai pas connu le bon… Stop ! Et ça n’arrive pas qu’à moi. C’est relou et c’est tout le temps. Quelques semaines avant la crise sanitaire, un mec est venu me montrer son érection parce que je venais d’embrasser ma copine… Alors oui, en soirée, je préfère être avec des gens qui comprennent et qui partage un esprit adelphe. Je ne vis pas dans une utopie, je sais que toutes les personnes LGBTI ne sont pas bienveillantes. Mais je n’ai jamais eu d’embrouille dans le milieu queer. », conclut la militante. 

Quand on est agressé-e, discriminé-e, méprisé-e, insulté-e, relayé-e à la marge au quotidien, les espaces safe permettent de souffler et de considérer que le problème n’est pas personnel mais bien collectif. Intégré à un système qui hiérarchise et priorise les existences. Parler, discuter, être simplement soi, réfléchir ensemble à des biais d’émancipation et des chemins de déconstruction, trouver de l’aide, temporairement ou régulièrement, écouter les récits des un-e-s et des autres, les mettre en partage et en résonnance avec son propre vécu… ça fait du bien. Et c’est tout aussi important que les actions publiques et les manifestations, comme les Marches lesbiennes, les Marches des Fiertés, l’ExiTransInter – manifestation existant depuis 1997 sous la dénomination ExiTrans jusqu’en 2019, elle lutte contre la psychiatrisation des personnes trans et les mutilations génitales des personnes intersexes – ainsi que les journées du souvenir trans, journée mondiale contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie ou encore la journée de la visibilité lesbienne et la journée de la visibilité bi. Sans oublier l’importance des réseaux sociaux dans l’évolution des mentalités.

Sur Instagram, particulièrement, qui voit fleurir des comptes notamment dédiés à la pédagogie autour des droits et existences LGBTI+. On peut citer entre autres le compte de Lexie, Agressively Trans (dont on recommande la lecture de son livre Une histoire de genres – Guide pour défendre et comprendre les transidentités), de intersex.info, Malo, ou encore celui de Bilamé, Parlons lesbienne, il y en a une multitude. Autour de la transidentité, de l’homoparentalité, de l’accès à la santé, des personnes intersexes, de l’intersectionnalité, etc. Une manière de casser les clichés et d’afficher la pluralité des identités et des orientations sexuelles. De visibiliser les spécificités de la communauté LGBTI+. Pour prendre en compte leurs récits, leurs revendications et intégrer dans la société des représentations singulières, variées et contrastées. Faire évoluer les mentalités et les droits. Briser les normes, s’en affranchir. La quête de toute une vie. Alors autant la vivre en adelphité. 

 

Tab title: 
LGBTIQ+ : revendiquer les fiertés
Reconnaître les existences LGBTIQ+
De quoi parle-t-on ?
L'injonction à la pédagogie

Célian Ramis

Sciences : performer le genre binaire

Posts section: 
List image: 
Summary: 
Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes ».
Text: 

Interroger la binarité et la performance du genre dans les sciences, et notamment dans les domaines du numérique et du sport, était l’objet des conférences de Cécile Plaud et Ludivine Brunes, jeudi 9 mars, à l’occasion de la journée « Égalité et sciences : la place des femmes », organisée par l’Université de Rennes, à la fac de Sciences économiques. 

« L’informatique a attrapé un sexe et ce sexe est masculin. », affirme Cécile Plaud, en introduction de sa conférence « Pour dégenrer le numérique, cassons les codes ! ». L’enseignante chercheuse en science de l’éducation à l’ENSTA Bretagne, à Brest, cite Grace Hopper, Ada Lovelace, Margaret Hamilton ou encore Betty Holberton, « des femmes qui ont marqué de leurs découvertes le monde de l’informatique mais n’ont été que tardivement reconnues. » Et explique l’effet Matilda – appelé ainsi par sa théoricienne Margaret Rossiter en femmage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage – comme un phénomène définissant « comment les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches et ce, souvent au profit des hommes. » Un effet qui malheureusement se retrouve dans tous les domaines majoritairement masculins, comme le soulignera également Raphaëlle Rannou, de l’Institut National d’Histoire de l’Art, lors de la conférence suivante sur la place des femmes en archéologie.

DES CHIFFRES ÉDIFIANTS

En 2018, les femmes représentaient 33% des salarié-e-s des secteurs de l’informatique. Elles occupent principalement (75%) les fonctions supports, à savoir les ressources humaines, l’administratif, le marketing et la communication, « souvent les moins prestigieuses et les moins rémunérées » et se font rares (15%) dans les fonctions techniques de développement, gestion de projets, etc. Et certains métiers sont particulièrement fermés aux femmes comme dans les start up dans le domaine de la tech (9%) et le big data (12%). Autre chiffre édifiant : en 2020, dans les écoles d’ingénieur-e-s, « alors qu’en 1983, l’informatique était la spécialité la plus féminisée », c’est désormais la moins féminisée avec 16,6% de femmes. « Ce chiffre illustre à lui seul le retournement de situation sans précédent dans le champ professionnel : le numérique est la seule filière scientifique ayant enregistré une nette baisse de la proportion de femmes depuis les années 80. », signale Cécile Plaud, qui interroge alors : « Pourquoi en est-on arrivé là ? » Et la réponse est sans équivoque : c’est une question de pouvoir. Partout où les activités se professionnalisent, les femmes sont écartées. Alors qu’elles ont souvent été à l’initiative du secteur et de son développement :

« Le numérique est partout dans nos vies et est devenu un monde d’hommes. Et cela pèse fortement sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Au-delà des inégalités systémiques et durables, cela participe à la reproduction du sexisme. »

DES ALGORITHMES SEXISTES

L’enseignante chercheuse se base sur une série d’exemples démontrant le sexisme intégré de la société et diffusé à travers les algorithmes des GAFA. C’est Amazon qui ouvre le bal en 2018 en développant un algorithme permettant d’automatiser le recrutement sur les postes techniques. Systématiquement, celui-ci excluait les CV de femmes : « L’algorithme a déduit, sur la base des postes techniques d’Amazon déjà en fonction, qu’être une femme était un critère discriminatoire. » Fin 2019, c’est Apple qui se rend compte que l’algorithme de sa carte de crédit défavorise largement les femmes. « Les données enregistrées étaient vieilles. Comme leur émancipation financière est récente, il en a déduit que les femmes disposaient de crédits moins élevés. », analyse Cécile Plaud. Vient ensuite le tour de Facebook et Google. Une ONG fait une étude sur les algorithmes des offres d’emploi diffusées par les deux firmes et achète des espaces publicitaires en Suisse, en Allemagne, en Espagne et en France pour des postes de développeurs en machine d’apprentissage, camionneurs, coiffeurs, éducateurs jeunes enfants, conseillers juridiques ou encore infirmiers. Toutes les annonces sont volontairement rédigées au masculin : « Facebook, surtout, a automatiquement ciblé un sexe pour chaque emploi. » Pas de surprise sur la catégorie choisie selon le secteur. Cécile Plaud réagit :

« Il est urgent de dégenrer le numérique pour en faire un champ d’égalité professionnelle et inclusif, pour ne plus reproduire, à notre insu, les stéréotypes de genre. »

On peut aussi constater que les sites de rencontre agissent de manière sexiste par le même processus, tel que l’a démontré la journaliste Judith Duportail, journaliste dont l’enquête sur Tinder a fait l’objet d’un livre, L’amour sous algorithme. Et on retrouvera les mêmes mécanismes concernant les discriminations racistes et validistes, entre autres. 

POIDS DE L’ÉDUCATION GENRÉE

Elle le dit, les femmes n’ont pas toujours été sous-représentées dans le champ du numérique : « Au début de l’informatique et jusqu’au milieu des années 60, les femmes étaient présentes. L’ordinateur était le prolongement de la machine à écrire, associé à la machine de bureau, au secteur tertiaire. » Puis, dans les années 80 et 90, le retrait des femmes s’opère et la micro-informatique y joue un rôle important puisque l’ordinateur familial a été préempté par les hommes, devenus les utilisateurs prioritaires. « Côté professionnel, on passe d’un monde artisanal – je caricature un petit peu – à un monde scientifique et les sciences sont des champs masculins. », déclare l’enseignante chercheuse en science de l’éducation. Elle cite l’anthropologue Alain Testart : « Le travail reste féminin quand il se déroule dans un cadre domestique et devient masculin quand il s’érige en métier. » Au fil des siècles, et des derniers principalement, les hommes se sont appropriés les savoirs en matière de reproduction, dépossédant ainsi les femmes de leurs propres connaissances et compétences concernant leur corps, leur fonctionnement, les plantes médicinales, etc., mais aussi les outils de production et le savoir scientifique.

Aujourd’hui, on associe les sciences du numérique, de l’informatique et des techniques à la rationalité et aux connaissances, caractéristiques que l’on pense au masculin. Et ces stéréotypes sont intégrés et diffusés dans tous les secteurs de la société, le domaine de l’éducation n’en fait pas exception. « L’école n’est pas neutre. C’est un lieu de production et de reproduction des normes binaires de genre. Ces pratiques ne sont pas conscientes. », précise Cécile Plaud qui revient sur l’éducation genrée, la différence de traitement entre les filles et les garçons à l’école mais aussi dans tous les lieux et espaces d’apprentissage, y compris à la maison. Les filles sont littéraires et les garçons, scientifiques. C’est encore une pensée de la société actuelle. Elle pointe les énoncés des exercices de mathématiques qui établissent par association des prénoms, du genre et du rôle, que les hommes pratiquent des métiers et les femmes achètent des choses : « Les hommes sont utiles, les femmes sont futiles. » Les mathématiques étaient à l’origine de l’informatique, les mêmes stéréotypes y seront accolés. La binarité infuse profondément le langage de ce secteur. 

SOUS-REPRÉSENTATIONS ET CLICHÉS

La socialisation genrée influe sur l’orientation scolaire qui elle précède l’organisation genrée du travail. C’est donc à la racine qu’il faut agir, tout en œuvrant en parallèle à la réhabilitation du matrimoine (et en dénonçant les nombreuses spoliations dont ont été victimes les femmes dans les sciences) et la déconstruction des idées reçues et représentations proposées : « La représentation des métiers du numérique passe encore par l’image du hacker et du geek. Encore aujourd’hui, on image un homme asocial, plutôt laid, qui passe son temps avec sa machine, qui a peur des filles, etc. Ce qui n’est pas représentatif du tout ! Mais cette figure agit comme repoussoir auprès des filles. » Sans compter que les modèles féminins présentés sont souvent soit inaccessibles soit référencées en tant qu’épouses de, filles de, etc. Les clichés ont la vie dure et entrainent dans leur sillon ce que l’on appelle « la menace du stéréotype » ou l’effet Pygmalion : les filles intégrant qu’elles sont mauvaises en maths sabotent leur réussite aux tests. Celles qui franchiront les obstacles rencontreront dans leurs carrières professionnelles des difficultés à se sentir légitimes et subiront dans de nombreux cas des violences sexistes et sexuelles dans le cadre de leur travail.

C’est pourquoi Cécile Plaud conclut sur l’importance d’actions à mettre en place à plusieurs niveaux, en valorisant les professions techniques directement auprès des filles « mais en faisant attention à ne pas leur faire porter la responsabilité » de cette sous-représentation actuelle. Elle évoque le dispositif L Codent, L Créent, mis en place pour la 5e année dans 6 collèges brestois : « Ce sont des ateliers de programmation par des étudiantes pour des collégiennes de 3e. Les étudiantes interviennent en binôme ou en trinôme, pendant 45 minutes. On a intégré récemment des étudiants, que l’on a formé à l’égalité et qui doivent accepter de laisser le leadership aux filles et aux femmes. Pendant ces temps, des liens de proximité se créent. Des rôles modèles, aussi. ». Et désormais, les collégiennes ayant participé forment à leur tour leurs camarades masculins. La perception change et les mentalités évoluent. 

SEXISME ET TRANSPHOBIE DANS LE SPORT…

Autre domaine dans lequel s’exerce la binarité de genre : le sport. La place des femmes trans dans le milieu sportif, c’est le sujet de thèse de Ludivine Brunes, doctorante à l’Université de Rennes. Si au départ, elle réalise des entretiens avec des personnes trans tous niveaux confondus, elle en vient rapidement à recentrer la thématique aux sports de loisirs. « Le haut niveau en France comprend 4000 athlètes qui représentent 1% des sportif-ve-s français. C’est donc très faible pour y étudier la transidentité. La majeure partie des français pratique le sport en loisirs. », souligne-t-elle. Ce jeudi 9 mars, elle s’attache principalement toutefois à décrypter le sujet sous l’angle de la pratique professionnelle. « Les athlètes sont autorisé-e-s dans les compétitions dès 2003 par le Consensus de Stockholm. Sous condition d’avoir eu recours à une opération de réassignation sexuelle. Ce qui sera modifié en 2015. », explique-t-elle. La participation des personnes trans aux événements d’ampleur nationale et internationale dérange et suscite des réticences dans les rangs.

« À part l’Ultimate et le Quidditch, tous les autres sports font des distinctions de genre. En 2022, aux JO de Tokyo, on a vu un tournant à ce sujet avec des athlètes trans ou non binaires, sélectionné-e-s et/ou participant à la compétition, notamment en haltérophilie, BMX, foot, triathlon et skateboard. », poursuit la doctorante. Elle parle d’une réelle évolution en terme d’ouverture aux sportif-ve-s LGBTIQ+, s’appuyant sur le chiffre de 182 athlètes queer présent-e-s, « dont une dizaine transgenres », tandis qu’en 2016, iels étaient moins de 100 au total. 

DES CRITÈRES DOUTEUX

Si le premier texte de 2003 oblige les athlètes trans à la réassignation sexuelle pour les femmes et les hommes trans, la deuxième version de 2015 fixe, pour les femmes trans, un taux de testostérone en dessous de 10 nmol/L. Rien pour les hommes. « Déjà, il faut savoir que le Consensus tient sur une page qui contient 5 points à peine développés. Mais pour les hommes, il n’y a pas du tout de critère d’hormones. Ils sont contrôlés comme les hommes cisgenres, pour s’assurer qu’ils ne sont pas doppés. », signale Ludivine Brunes. Pour les femmes, l’accès à l’Olympiade est bien différent. Aujourd’hui, les tests de féminité ne sont plus valables mais ils l’ont été jusqu’en 2012 au moins : « On teste, lors des compétitions sportives, que l’athlète répond bien aux critères associés à la féminité : cheveux longs, minceur, musclée mais pas trop… En dehors, on remet en question leur féminité par des contrôles hormonaux, des examens gynécologiques, voire la vérification de leurs chromosomes… » Un moyen de s’assurer que la sportive appartient bien au sexe féminin biologiquement parlant.

« Aujourd’hui encore, on s’appuie sur le taux de testostérone alors que le féminin et le masculin se basent sur bien d’autres choses ! »
poursuit la doctorante.

Selon les fédérations, les sportives trans devront suivre entre 1 an et 4 ans de traitements médicamenteux pour atteindre le seuil jugé comme tolérable. 

UN RAPPEL À LA NORME

Le scandale apparait à chaque fois qu’une femme dépasse le taux d’hormones accepté. Cis, trans, non binaires et intersexes doivent se soumettre, si iels veulent concourir, à une médicalisation de leur corps. On se souvient de Caster Semenya en 2019 jugée par les instances sportives comme étant un homme. Double championne olympique et triple championne du monde du 800 mètres, elle a été contrainte de suivre le traitement afin que la Fédération internationale d’athlétisme ne retire pas les résultats de ses performances et a fini par refuser de faire baisser son taux d’hormones. Pendant plusieurs mois et années, débat a été fait dans la presse autour de son identité de genre sans prendre en compte la parole de la concernée. La binarité réduit les athlètes à performer le genre et à afficher publiquement leur identité de genre et à s’en justifier. Les femmes trans sont particulièrement visées et la transphobie s’exprime sans complexe.

Même si la doctorante affirme que les difficultés évoquées lors des entretiens menés dans le cadre de sa thèse dépassent la question de la transidentité et s’appliquent à un public plus large (femmes victimes de grossophobie, par exemple), il reste clair que dans l’opinion publique, ce sont les femmes trans qui « sont souvent vues comme tricheuses et voulant gagner facilement des médailles. On oublie la personne en tant que telle, la femme qu’elles sont. » Un rappel à l’ordre pour rester à sa place et entrer dans le moule de la norme cisgenre. Et en 2024 ? « Pas encore de communication à ce propos puisqu’il n’y a pas encore eu de retours sur les athlètes sélectionné-e-s pour les prochains JO. »

 

 

 

 

 

Les définitions proposées par Ludivine Brunes en introduction de la conférence : 

• Queer : ensemble des identités de genre et d’orientations sexuelles qui se vivent en dehors de la cisidentité et/ou de l’hétérosexualité.

• Non binaire : Non identification (partielle ou totale) aux genres masculin et féminin.

• Transidentité : Fait de s’identifier à un genre différent de celui assigné à la naissance. Contraire de cisidentité. 

Célian Ramis

Lumières sur les féminicides à l'encontre des personnes sexisées

Posts section: 
List image: 
Summary: 
C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Main images: 
Text: 

C’est une marche lumineuse et quasi silencieuse qui s’est lancée depuis République ce jeudi 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. À Rennes, à l’appel du collectif NousToutes35, plusieurs centaines de personnes se sont réunies pour une manifestation en femmage aux victimes de féminicides.

ON NE NAIT PAS FEMME MAIS ON EN MEURT - Chaque année, plus d’une centaine de femmes meurent en France, tuées par leur conjoint ou ex conjoint. Le 24 novembre, le compte Féminicides par compagnons ou ex indiquait que ce nombre était porté à 103 depuis le 1erjanvier 2021. Depuis, 2 autres féminicides ont été recensés.

Samedi 20 novembre, l’association Ouest Trans organisait un rassemblement dans la capitale bretonne pour la Journée du Souvenir Trans – Trans Day of Remembrance (TDoR) – afin de commémorer la mémoire des personnes trans assassinées ou poussées au suicide. Cette année, selon les chiffres du Trans Murder Monitoring, ce sont 375 personnes trans tuées, soit 7% de plus que l’an dernier.

La structure rappelle : « Ce que ce chiffre nous montre c’est que certaines personnes trans sont plus touchées par cette violence que d’autres. Dans ces chiffres, on trouve quasiment exclusivement des femmes trans, une grande partie d’entre elles sont aussi travailleuses du sexe, racisées ou migrantes. L’intersection entre les différentes oppressions, la transmisogynie, la putophobie, le racisme, la xénophobie est d’autant plus dangereuse. Le climat actuel ouvertement islamophobe et raciste et les politiques visant à criminaliser les travailleuses du sexe vont dans ce sens-là et ce sont donc sur ces points que nous devons lutter. »

En effet, à la suite de la marche de ce 25 novembre et de la projection du filmEmpower au 4 Bis à Rennes, Doris, secrétaire du Strass (Syndicat du travail sexuel en France) et fondatrice des Pétrolettes (Association de développement communautaire pour lutter contre les violences faites aux femmes et autres minorités avec et pour les travailleur.ses du sexe) souligne que les assassinats de travailleuses du sexe ne sont pas pris en compte au même titre que les meurtres de femmes dans le cadre des violences conjugales. 

VOUS N’AUREZ PLUS JAMAIS LE CONFORT DE NOS SILENCES

La banderole trône en tête du cortège qui s’élance de République jusqu’à l’esplanade Charles de Gaulle, en passant par l’avenue Janvier et la gare. À 18h, bougies et flambeaux s’embrasent parmi la foule qui brandit lumières, drapeaux syndicaux et militants et pancartes, rappelant que « Céder n’est pas consentir » ou encore la lutte « contre les violences sexistes et sexuelles au travail ». 

La sono laisse entendre des chants partisans, contre les féminicides. Pas de prise de paroles militantes ce soir-là, le collectif NousToutes35 souhaitant les réserver pour la grande marche organisée ce samedi 27 novembre, mais la foule fait tout de même entendre sa voix et entame l’hymne qui rythme les manifestations féministes. « Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes et radicales et en colère ! »

Une autre manifestation a réuni plusieurs milliers de personnes ce samedi 27 novembre pour dénoncer l’ensemble des violences sexistes et sexuelles subies par les personnes sexisées. Un départ était donné à 14h de Kennedy, Henri Fréville et Joliot-Curie, en direction de l’esplanade Charles de Gaulle, d’où est parti le cortège à 15h. Prochainement, on en (re)parle sur yeggmag.fr !

Célian Ramis

Elemento Records, label féministe et LGBTIQ+

Posts section: 
List image: 
Summary: 
La démarche du label, féministe et LGBTIQ+, interroge la place des femmes, personnes trans et personnes non binaires dans le secteur de la culture en questionnant nos représentations et les conditionnements dans lesquels nous évoluons.
Text: 

Le talent n’a ni sexe ni genre. Et pourtant, les femmes sont moins présentes dans les festivals, moins programmées dans les lieux culturels et artistiques. Moins visibles, moins médiatisées, sauf quand il s’agit de commenter leur physique, juger leur niveau de vocabulaire, les remettre à leur place lorsqu’elles outrepassent les limites de la condition féminine. Un discours rétro, à faire péter les plombs et surtout à déchainer les éléments…

Dans son diagnostic sur la place des femmes dans le spectacle vivant et les arts visuels, publié en 2019, HF Bretagne signale qu’elles représentent « 60% des étudiant-e-s, 40% des artistes actif-ves, 20% des artistes aidé-e-s par des fonds publics, 20% des dirigeant-e-s, 20% des artistes programmé-e-s, 10% des artistes récompensé-e-s. »

Selon le rapport du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes de 2018, à poste égal et à compétences égales, une femme artiste gagne en moyenne 18% de moins qu’un homme artiste. Dans les musiques actuelles, l’association bretonne qui défend l’égalité HF dans les arts et la culture présente les chiffres et ils ne sont pas bons. La part d’artistes programmées dans les salles et festivals ne dépasse pas les 20% et se situe, sur 51 structures étudiées, principalement entre 10 et 20%. 

Compter constitue la première étape. Celle qui mène à la prise de conscience. Celle qui met sur la table les questions qui fâchent tant de monde : pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes artistes sur le devant de la scène ? Si le talent n’est pas un critère, doit-on alors en déduire que les femmes n’investissent pas les différents domaines des arts et de la culture ?

« Je suis issue du monde de la fête depuis pas mal de temps maintenant et en teuf, elles ne sont pas nombreuses les femmes. Avec DGTL, j’ai découvert plein d’artistes talentueuses et je me suis alors demandé pourquoi elles n’étaient pas plus reconnues ?! C’est un milieu très masculin, j’en ai parlé avec Emilia Sagués, Léna Morvan et Marie Bergot et on s’est demandé comment on pouvait changer les choses. C’est là qu’on a eu l’idée d’un collectif réunissant différents savoir-faire. Ça permet de créer la force du nombre et des compétences ! », explique Charline Patault, co-fondatrice du label de musiques électros et culture rave Elemento Records, lancé officiellement en décembre 2020 à Rennes.

« Les artistes avec qui on travaille sont pointues, elles bossent d’arrache pied. C’est important qu’elles soient valorisées comme elles le méritent. »
poursuit-elle. 

VALORISATION GLOBALE DES ARTISTES

Elles font bouger les lignes, bâtissant un projet ambitieux basé sur la musique, le street art, les arts graphiques et le spectacle vivant. Et la déconstruction des préjugés, à travers l’identité même d’Elemento Records qui prône des valeurs d’émancipation et d’inclusion et promeut la pluralité des artistes femmes, transgenres et non binaires à travers ses activités de production musicale (podcast, various artist…), de booking et d’organisation d’événements.

L’accueil et l’accompagnement des artistes dans le développement de leurs carrières est également un point central du collectif. L’occasion d’aborder la question de la valorisation dans sa globalité : de la présence scénique à la représentation médiatique, en passant par le contrat juridique mais aussi économique.

« Je n’avais pas conscience au départ de ces inégalités, je me suis intégrée assez facilement en tant que DJ. Au fur et à mesure, je me suis interrogée sur le fait d’être DJ et femme. Et le projet m’a parlé direct. On a fait pas mal de recherches et je me suis rendue compte de l’ampleur du mécanisme d’exclusion. Le plafond de verre, je ne le nommais pas mais il existe. Dans l’asso, on a une spécialiste des droits d’auteur chargée de la partie législative. C’est important de comprendre, par exemple, le fonctionnement de la Sacem et comment récupérer nos droits. Avec ça, on peut guider nos artistes vers une juste rémunération. », explique Léna Morvan. 

LÉGITIMITÉ & SAFE SPACE

Elles connaissent les freins auxquels sont souvent confrontées les artistes, elles les ont identifiés et proposent des leviers en adéquation avec les difficultés relevées.

« La question de la légitimité est essentielle. Ce n’est pas propre à l’électro. Même dans les musiques classiques, on voit que les femmes doivent se battre pour leur légitimité. Il y a plein de filles qui mixent mais qui ne se sentent pas légitimes à monter sur scène. Organiser des ateliers, dans le cadre d’un festival ou autre, ça peut les aider à casser cette barrière. »
analyse Emilia Saguès.

Les membres d’Elemento Records affichent leur volonté et leur détermination à pouvoir monter leurs propres événements, quand ceux-ci seront de nouveau autorisés… Réflexion est faite sur les espaces safe. Des lieux qui favorisent le bien-être et la sécurité non seulement du public mais également de toutes les personnes qui participent à l’événement, qu’il s’agisse des équipes techniques, des organisateur-ices, des bénévoles ou encore des artistes.

« Grâce à la parole des femmes, sur les violences sexistes et sexuelles en milieu festif, on peut travailler sur des protocoles à mettre en place. Ce sont des protocoles qui doivent à chaque fois être pensés et adaptés selon l’événement, le festival, etc. Et puis en amont, il faut faire des campagnes aussi pour expliquer. Il y a des gars qui n’ont pas conscience de mal se comporter car c’est tellement commun de harceler les meufs en soirée… », précise Emilia.

Endroit cosy pour se poser tranquillement, espace dédié à l’échange, charte des festivalier-e-s et des bénévoles, affiche de prévention, identification du numéro de téléphone de l’organisation en cas de soucis, sensibilisation des équipes de sécurité, conférences et tables rondes sur ces sujets, cours de self défense en non-mixité…

Elles s’inspirent des actions mises en place aux festivals Visions ou Astropolis mais également de tout le travail de fond réalisé par l’association Consentis qui nomme les situations, invite à penser nos comportements sociaux et accompagne témoins et victimes à réagir en cas d’agressions, sans soumettre le processus à une injonction. 

LE CHAMP DES POSSIBLES

La démarche du label, féministe et LGBTIQ+, interroge la place des femmes, personnes trans et personnes non binaires dans le secteur de la culture en questionnant nos représentations et les conditionnements dans lesquels nous évoluons, dans une société encore largement patriarcale.

Par dessus tout, Elemento Records valorise des arts, des compétences et des savoir-faire, des manières de penser et d’agir, de s’exprimer à travers différents biais culturels, des parcours et le croisement des disciplines artistiques. Au-delà du sexe et du genre, songent-elles.

Qu’il n’y ait plus de disparités entre les genres. Qu’il n’y ait plus d’étiquettes. Mais des intentions, du partage d’émotions, des espaces d’expression visuels ou sonores. Ou même les deux. Elemento Records, c’est avant tout de la découverte de talents brut et l’ouverture du champ des possibles.