Célian Ramis

Youtubing ou l'accessibilité de la danse moderne

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Le Triangle, Rennes
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Pour le festival Agitato, Florence Casanave présente Youtubing, les 2 et 3 juin, au Triangle, à Rennes. Inspirée d’un solo de Trisha Brown, elle nous invite au cœur de sa réflexion et dans les coulisses de sa démarche.
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À l’occasion du festival Agitato - au Triangle jusqu’au 5 juin – la danseuse Florence Casanave présente Youtubing, les 2 et 3 juin, dans divers endroits de la Cité de la danse. Inspirée d’un solo de Trisha Brown, la Bretonne nous invite au cœur de sa réflexion et dans les coulisses de sa démarche.

Originaire de Lannion, Florence Casanave danse depuis qu’elle a 5 ans. Après le bac, elle passe un concours à Rennes pour une formation en danse contemporaine entre Paris et la Bretagne. Et en 2004 intègre P.A.R.T.S (Performing Art Research and Training Studios) à Bruxelles où elle rencontre Lance Gries, ancien danseur de la Trisha Brown Dance Company, qui enseigne là-bas.

« On a appris des techniques somatiques. Comment danser de manière efficace sans faire trop d’effort. Avec une forme de bienveillance tout en poussant ses limites. Pour danser de manière fluide sans se faire mal. C’est là-bas que j’ai découvert le travail de Trisha Brown, j’en ai été assez bluffée. Watermotor viendra plus tard… », explique Florence Casanave.

C’est par le biais d’un ami danseur que la jeune femme va accéder au solo de la chorégraphe américaine, une des figures emblématiques de la danse moderne, qui a été filmé en 35 mm par Babette Mangolte et déposé plus tard sur la plateforme Youtube. La Costarmoricaine va aider son ami artiste à comprendre « par le faire » et à déchiffrer la partition par une transmission de mouvement.

Une fois les 2 minutes 30 intégrées et achevées, elle met ce solo « sur pause » et 3 ans plus tard, le présente avec son binôme avant que Boris Charmatz, qui dirige le musée de la danse à Rennes, lui demande de le réinterpréter lors de l’édition 2015 de Fous de danse : « La passerelle, à Saint-Brieuc en a entendu parler et a souhaité que je le fasse lors du festival 360 degrés. J’en ai fait mon propre Watermotor. »

AU-DELÀ DE TRISHA BROWN

Mais l’intérêt de Youtubing ne réside pas uniquement dans une nouvelle version de la chorégraphie de Trisha Brown. Car ce que Florence Casanave propose n’est pas une reprise pure et dure des mouvements. C’est toute une réflexion qui réside autour de l’accessibilité et de la création.  

Alors que l’on reproche à la danse contemporaine de manquer d’accessibilité, l’ère numérique apparaît comme une opportunité de découvrir des choses qui seraient restées ignorées sans cela. Youtube, nouvelle manière de « consommer » un art ? Oui, dans un sens. Et la danse ne fait pas exception. « Youtube est un outil. C’est une bibliothèque populaire. Ça me fait penser à l’arrivée de l’imprimerie qui a donné accès à tout le monde à la Bible ! », sourit Florence Casanave.

Pour autant, elle ne signe pas ici l’apologie de la plateforme et exerce même un regard critique sur cet outil :

« Ça interroge sur comment on regarde les choses… Ce que l’on voit au-delà des images… Youtube est un outil qui ne suffit pas à lui-même, on doit aussi aller chercher d’autres sources. »

Les 2 et 3 juin, au Triangle, la danseuse s’établira sur l’esplanade, dans la galerie et la salle Archipel, sur des temps courts allant de 2 minutes 30 à 15 minutes. Les différents espaces seront l’occasion de s’imprégner du travail de Florence Casanave, qui dévoile et décortique le travail accompli et le processus de création utilisé pour aller au-delà du solo de Trisha Brown pour en arriver à son propre solo, inspiré de Watermotor.

La danseuse brise les barrières de la création habituellement présentée au public de manière aboutie. Elle s’expose ici à un autre regard. Et guide les participant-e-s dans une expérience intelligente et intelligible qui casse la froideur stéréotypée qui entoure l’art contemporain. Aux côtés de Trisha Brown, sur écran, elle fait tomber toutes les frontières.

Célian Ramis

Mythos 2016 : Quand les ouvrières prennent la parole

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Théâtre de la Paillette, Rennes
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Impossible de passer à côté du spectacle de Mohamed El Khatib, Moi, Corinne Dadat, au théâtre La Paillette les 20 et 21 avril. Un ballet pour une femme de ménage et une danseuse.
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Impossible de passer à côté du spectacle de Mohamed El Khatib, Moi, Corinne Dadat, joué au théâtre La Paillette les 20 et 21 avril, à l’occasion du festival Mythos. Un ballet pour une femme de ménage et une danseuse, dont les corps sont leur principal outil de travail.

Blouse de travail, sac poubelle à la main, Corinne Dadat, femme de ménage, trône déjà au milieu de la scène, accompagnée de Mohamed El Khatib, metteur en scène, et Elodie Guezou, danseuse et contorsionniste, lorsque le public entre dans la salle. Sur l’écran, des phrases défilent, provoquant déjà quelques rires des spectatrices et spectateurs :

« Le « capital sympathie » de Corinne Dadat s’élève à 164 / Le « capital talent » de Corinne Dadat s’élève à 42 / Le « capital souplesse » de Corinne Dadat s’élève à 7 / Le « capital lexical » de Corinne Dadat s’élève à 8 / Le « capital capillaire » de Corinne Dadat s’élève à 25,8 / La capacité de Corinne Dadat à sublimer son quotidien : élevée. »

Et précise enfin que la protagoniste « n’a pas été maltraitée pendant son exploitation ». Elle mesure 1m68, pèse 70kg, aura 54 ans la semaine prochaine, a 4 enfants, gagne le SMIC – en conjuguant des ménages dans un lycée à Bourges mais aussi chez des particuliers, notaires, magistrats, etc. ainsi que des baby-sitting en guise d’extras – a un physique pas facile, fume 1 paquet / 1 paquet et demi par jour.

Elle ne dit pas bonjour quand Mohamed El Khatib la croise dans l’enceinte du lycée, lors d’une édition du Printemps de Bourges. Quand il lui demande pourquoi, elle lui répond qu’il ne peut pas imaginer le nombre de fois où les gens ne lui ont pas rendu la politesse. C’est le départ de cette création. Une rencontre qui va donner lieu à un spectacle insolite, un portrait documentaire et une critique sociale.

L’idée est de transmettre au public le quotidien et le vécu de cette femme de ménage désillusionnée.

« Je me lève à 5h du matin, c’est pour tenir un balai dès 6h, jusqu’à 19h/19h30. Ça m’arrive d’y penser en dehors, d’en rêver. »
confie-t-elle en interview.

Mais ce qu’on ne peut pas lui enlever, c’est son piquant, son répondant, son humour et son auto-dérision.

Et sa capacité à monter sur scène, sans trembler : « Quand Mohamed m’a parlé de son idée, j’ai dit ok on y va. Ça marche, ça marche, ça ne marche pas, ça ne marche pas ! Je n’ai pas peur du côté voyeuriste. Vous savez les femmes de ménage, on est les femmes de l’ombre. On sait qu’on est là mais on ne nous connaît pas. »

Elle n’a pas sa langue dans sa poche, un caractère bien trempé, et est bien décidée à parcourir les villes de France, mais aussi d’Angleterre et de Belgique, pour jouer la pièce. Même si elle ne se souvient pas toujours de son texte ou qu’elle n’arrive plus à faire certains mouvements, son corps la tiraillant. Et ce point-là, le metteur en scène s’en saisit pour délivrer un témoignage percutant autour de la condition ouvrière et prolétaire.

Il établit alors une comparaison avec le corps d’une danseuse. Les mouvements répétitifs de la femme de ménage résonnant comme une chorégraphie. C’est ainsi qu’Elodie Guezou intègre le spectacle. Elle a 24 ans, pèse 47kg, danse depuis ses 7 ans, n’a pas d’enfant, n’en aura surement jamais à cause de son activité physique, n’a pas de crédit revolving, pas de plan de reconversion non plus. Elle livre cet autoportrait poitrine au sol, fesses en l’air et pieds au dessus la tête. En off, elle précise avoir été malmenée par sa professeure à l’école de cirque qui tirait sur son corps.

Elles vont toutes les deux se livrer à des démonstrations aussi cyniques que drôles, l’humour s’intégrant à la partition avec tendresse et ironie. C’est là que le spectacle interpelle. Cette frontière entre esprit décapant et bienveillance est troublante. On rit. Mais pourquoi ?

Parce que Corinne Dadat est comparée à une danseuse mais quand « je nettoie les chiottes, personne ne m’applaudit à la fin » ? Parce qu’elle avoue ne pas être favorable à l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne parce qu’ils ont une autre mentalité que nous et qu’ils vont nous piquer du travail quand on n’a pas ? Parce qu’elle n’a pas « encore » voté FN ? Ou parce qu’elle préfère la musique de Schubert à celle de Sardou ?

Parce qu’Elodie Guezou avoue qu’elle n’a pas « encore » été sodomisée ? Ou parce qu’elle passe la serpillière avec ses cheveux et son corps ? Ou encore parce qu’elle bouscule le metteur en scène, talent émergent des auteurs issus de l’immigration ?

Après l’instant trop court de délectation d’un spectacle humoristique en surface, le fond de la pièce glace le sang. Et mérite son ovation, son succès. Comme l’analyse la danseuse contorsionniste, Mohamed El Khatib ne réduit pas les deux personnages à leurs corps meurtris par des professions physiques et ingrates :

« On a la parole dans ce spectacle qui cherche à voir comment mon corps peut parler avec le vécu et la pratique de Corinne. »

On est pris entre le manque d’espoir évident, la fatalité d’un lendemain morne et sombre et les sourires des deux femmes sur scène. Leur manière d’accepter leur quotidien. Leurs conditions. Entre courage ou lâcheté, on hésite. Mais ce n’est peut-être pas là la finalité du propos. Peut-être faut-il se libérer de tous nos jugements pour n’y voir qu’une simple réalité et un spectacle inspirant.

Aujourd’hui, Corinne Dadat rêve à nouveau. Jouer la pièce sur l’île de la Réunion. Là où habite son fils. Là où elle veut s’établir une fois à la retraite. « Mais bon, la retraite, je sais même pas quand c’est. Ça fait 37 ans que je travaille, c’est tout c’que j’sais. Tu sais toi à quel âge j’aurais la retraite ? », lance-t-elle à la chargée de production. On ne pose pas la question à Elodie Guezou qui pour l’instant n’est « même pas assez connue pour jouer ses productions ».

Célian Ramis

Porte-parole des dominé(e)s par l'Occident

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La chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales dans son spectacle en création, Tapis rouge, prévu pour 2017.
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En résidence au Musée de la danse en février, la chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré a travaillé avec le musicien Seb Martel sur son spectacle Tapis rouge prévu pour 2017, qui dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales.

Mettre les invisibles sur le devant de la scène. La chorégraphe Nadia Beugré en ressent la nécessité, en tant que « personne qui questionne », qui dénonce les injustices pour « contribuer au changement ». Dans son nouveau spectacle Tapis rouge, encore au stade expérimental, elle s'attaque aux conditions des personnes exploitées, femmes et enfants, dans les mines d'or et les champs de cacao en Afrique.

Elle a pris conscience de cette réalité lors de vacances au Burkina Faso, il y a deux ans. Pendant une fête, Nadia remarque des blessures sur les bras de femmes mineures. « Elles se coupent car le sang fait remonter l'or », raconte la danseuse d'origine ivoirienne, installée en France.

SOUS LES PAILLETTES

À son retour en France, où elle vit depuis sept ans, elle se sent obligée d'en parler lors de sa résidence « Sujets à Vif » proposée par le festival d'Avignon, la même année. « C'est un luxe, il y a du public ! », constate Nadia. Et ce public, c'est l'élite intellectuelle, celle qui décide, sacralisée sur un tapis rouge.

Le moment lui semble opportun pour « parler de ce qui se passe en dessous du tapis, des paillettes », des petites mains qui contribuent à la richesse des puissants vénérés.

Celle qui reconnaît elle-même faire partie de ce système le sait bien. Et la danseuse se fait porte-parole de ces Africain-e-s victimes d'une économie basée sur les intérêts financiers, avec la complicité des États :

« Nous ne sommes pas différent-e-s, aucun individu n'est plus important qu'un autre. »

RAPPORTS DE FORCE

Durant une semaine au Musée de la danse en février, le duo qu'elle forme pour ce projet depuis 2014 avec le guitariste Seb Martel, a exploré des sensations, des états intérieurs en improvisant avec un tas de terre. Lors des répétitions, « on ne cherche pas des mouvements ni des chorégraphies précises. Peu importe la forme, c'est ce qui ressort. Durant les répétitions, il y a des moments où on improvise pendant une heure, des rapports de force se créent entre nous et se modifient. On ne s'installe jamais dans un rôle précis », développe le musicien.

Tous les deux se sont focalisés sur les contraintes que subissent les travailleurs dans les mines : le manque d'oxygène lorsqu'ils se hissent au fond du puits, la terre qu'ils grattent sans s'arrêter, les bouts d'or qu'ils coincent entre leurs dents.

« Comment trouver la bonne manière d'en parler ? » Nadia Beugré a ce souci continu, afin d'essayer de se mettre à leur place et rapporter au plus près leurs vécus. Prochaine étape du projet  : partir travailler seule quelques semaines avec ces mineur-e-s au Congo ou au Burkina Faso.

« J'ai envie de prendre des risques, admet-t-elle. Ces jeunes qui ont besoin de manger en prennent. »

DOMINATION BLANCHE

Tapis rouge est aussi l'espace dans lequel la chorégraphe interroge les rapports de force entre Blanc-he-s et Noir-e-s, qu'elle vit toujours aujourd'hui. « Lorsque j'ai voulu passer les frontières américaines il y a un an, on m'a demandé mon passeport alors que toutes les autres personnes qui m'accompagnaient sont passées. Ce n'est pas moi qui ai crée ça, le racisme. Même si ce n'est pas de votre faute », se rappelle-t-elle, encore affectée, en s'adressant aux personnes de couleur blanche. Et toute cette colère, la chorégraphe l'utilise pour nourrir ce spectacle qui sera présenté en 2017.

Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : Danse alternative et cinématographique

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La Triangle, Rennes
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Le crew féminin Swaggers livrait une version spéciale et incroyable de leur création "In the middle", au Triangle, le 4 décembre dans le cadre des Danses aux Trans.
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Dix ans que la danse s’invite aux Trans Musicales. Vendredi 4 décembre, le Triangle accueillait le crew féminin Swaggers pour une version spéciale et incroyable de leur création « In the middle ».

Quand le hip hop rencontre l’art contemporain, quand la danse devient un concert, quand le spectacle se transforme en film… La liste pourrait être longue. Car Marion Motin en a sous le pied, dans le bide et dans la caboche et ne cesse de construire de nouveaux univers. Chorégraphe et danseuse, elle est une pointure dans son domaine.

En 2009-2010, elle décide d’insuffler un élan féminin au milieu hip hop, secteur à l’origine – et encore aujourd’hui - très masculin. Ainsi, elle crée le crew Swaggers, composé exclusivement de danseuses. « Tous mes mentors étaient des hommes. J’ai voulu fédérer les femmes, leur permettre de faire des battle entre elles, de s’imposer. », explique Marion Motin.

L’art de s’imposer, elles en maitrisent les rouages pourtant aléatoires, jamais certaines que le succès sera au rendez-vous. Mais leur création, longue de 20 minutes supplémentaires pour les Trans Musicales exceptionnellement (1h au total), est le fruit d’un travail collaboratif et marque surtout un désir de s’affranchir des codes. De ne pas rentrer dans les cases, ni dans les catégories simplistes et réductrices.

SHOW CINÉMATOGRAPHIQUE

De la scène peu éclairée se distingue une silhouette. La salle est plongée dans le noir, le public dans un silence emprunt de curiosité. Une femme, seule, lookée comme une indienne d’Amérique, chante a capella et donne immédiatement le ton. Entre puissance vocale, maitrise de la technique, note d’humour sur fond d’attitude diva, elle est la bande-annonce d’un show innovant et palpitant.

Et c’est sur une chanson des Doors, « This is the end », que les danseuses entrent en scène, presque les unes après les autres, d’un pas lent, parfaitement mesuré. Vêtues de trenchs et de chapeaux, elles nous transportent sur un autre continent, à l’époque des western et des saloon, le ralenti accroissant l’impression de duels à venir.

Tout de suite, le jeu de lumière, flirtant avec les nuances feutrées et brumeuses et maniant le contraste du clair-obscur, nous permet de pénétrer dans un univers fascinant dont l’esthétique se rapproche de celle d’un film expérimental.

Les mouvements sont synchronisés, longs et aboutis, tantôt lents, tantôt accélérés. En permanence pleins d’énergie. Et toujours une danseuse s’en détache, semblant perdre le fil et chercher son équilibre. Corps et esprits momentanément en décalage, les danseuses pourraient être assimilées à des marionnettes dotées de pensées, de réflexions et de libres-arbitres, dont les ficelles invisibles seraient tirées de chaque côté de la scène.

« La base de cette pièce, c’est de trouver notre équilibre, dans nos vies comme dans un groupe de danse. », souligne la chorégraphe du crew. L’équilibre physique comme l’équilibre intérieur. D’où l’alternance des rythmes, qui jamais ne vacille et qui ne cesse de nous laisser bouche-bée, happés par la singularité de cette danse « qui commence ‘straight’ » pour ensuite les laisser disparaître jusqu’à pouvoir se transformer en notes de musique, en instrument, en émotions…

VOYAGE TRANSÉMOTIONNEL

Car les danseuses incarnent leur chorégraphie, dans laquelle plusieurs séquences se succèdent, « comme des minis clips indépendants, sauf que pour nous, qui avons toutes notre histoire, l’ensemble fait sens. » L’atmosphère est envoutante. Il y a de la folie, des corps et des esprits possédés, de la joie et de la légèreté mais aussi de l’aisance, du soulagement, de l’apaisement, du tâtonnement.

Les musiques, comme celle des Pixies, « Hey », appuient et renforcent les sentiments dévoilés et théâtralisés. Sans oublier l’importance des lumières, qu’elles soient faisceaux linéaires et horizontaux, pour ne saisir que des expressions faciales ou des parties du corps insinuant ainsi l’évaporation des danseuses, ou qu’ils soient un rond de battle ou des carrés colorés de show artistique complet. Toutes mettent en valeur des différences et des personnalités propres à chacune des individues présentes sur la scène de la cité de la danse.

Les spectateurs-trices voyagent d’un genre à l’autre, grâce au mélange de danse contemporaine, de hip hop, de krump ou encore de house, mais aussi d’une ambiance à une autre. On passe ainsi du saloon à la plage de sable fin, bordant la Méditerranée. D’une battle hispanique quasi flamenca à une culture plus urbaine d’Amérique du Sud. Pour finir en divas féminines-masculines.

Les Swaggers se jouent d’une dualité entre douceur et urgence et mêlent dans les danses des sentiments personnels exprimés avec justesse et générosité, et parfois même des sourires lâchés par le bien-être du moment et l’adrénaline de la prestation alternative. La signature de Marion Motin ne passe pas inaperçue, puisant dans toutes ses influences et expériences, que ce soit en tant que danseuse aux côtés de Madonna ou en tant que chorégraphe de plusieurs clips de Stromae et de Christine and the Queens.

« Avec eux – Stromae et Christine – je suis dans l’échange. Je donne mon interprétation et ils me donnent la leur. Forcément, cela laisse des séquelles sur ma corporalité et pareil pour eux. », répond la chorégraphe quand on souligne que ces deux artistes sont également reconnus pour la spécificité de leur danse.

La beauté esthétique du spectacle se rend l’égale et l’alliée du talent des danseuses qui maitrisent le mélange des genres en terme de danses urbaines-contemporaines. L’occasion pour elles de s’en affranchir pour les chambouler, et nous au passage. Une découverte qui laisse une trace dans nos esprits, un choc optimiste et bénéfique.

Célian Ramis

Danse : Animées par le mouvement

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Rennes
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En quoi la pratique de la danse est-elle levier d'insertion et créatrice de lien social ? Décryptage d'un langage sociétal, personnel et universel.
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Cette phrase de Pina Bausch, danseuse et chorégraphe allemande, grande figure de la danse contemporaine, résonne en tout un chacun. « Dansez, sinon nous sommes perdus », comme une nécessité, une urgence, un besoin… Pourquoi ? Certainement parce que la danse n’a pas de parole. Chaque corps en mouvement est alors invité à inventer son propre langage, sa propre manière de s’exprimer et surtout à prendre conscience de cette enveloppe charnelle et osseuse et des possibilités offertes par cette dernière. Il est ainsi évident que cet art s’impose comme tisseur de lien social, levier d’insertion et créateur d’ouverture sur la société. Au croisement des genres et des cultures, la danse nous a transporté ce mois-ci dans une valse enivrante et bienveillante, libératrice, et parfois réparatrice de corps et esprits meurtris par les épreuves de la vie.

Les danses en couple, avec ou sans échange de partenaire, répondent à l’appellation de danses sociales, dites aussi danses de société. Un terme qui interpelle. À partir de là, la réflexion est lancée : la pratique de la danse serait un art social, levier d’insertion et créateur de lien entre les individus.

Dimanche 3 mai, de timides rayons de soleil percent les nuages flottant au dessus de la capitale bretonne. Cet après-midi là, l’ancien Champs de Mars est devenu l’esplanade dansante des pratiques amateures, entremêlées aux performances professionnelles. Cercles de danses urbaines, rondes bretonnes et celtiques, entrainements collectifs… Fous de danse, manifestation initiée par le Musée de la danse, a réussi son coup d’une main de maitre à l’occasion des Premiers dimanches aux Champs Libres, réunissant des milliers de Rennaises et de Rennais au cœur d’une piste de danse éphémère et fédératrice.

Quel attrait pour cette pratique artistique ? Quelles actions développer pour maintenir et susciter du lien et de l’échange entre les populations ? Décryptage d’un langage sociétal, personnel et universel.

PRENDRE CONSCIENCE DE SON CORPS

« Ces ateliers permettent d’avoir conscience de son corps, ce qui permet de reprendre confiance en soi, et au niveau social de rencontrer des gens, d’être plus à l’aise dans la relation avec les autres. », explique Sandra, entourée de Lucie et Ségolène, et rapidement rejointe par Stéphanie qui apprécie également de travailler « sur les sensations que l’on peut ressentir dans son corps alors que l’on avait pu se mettre en pilote automatique et que l’on ne prenait plus le temps de se poser, de ressentir notre corps. »

Ces ateliers, ce sont ceux proposés par l’association Danse à tous les étages – implantée à Rennes et à Brest - dans le cadre du programme Les Créatives (existant aussi à Brest, Morlaix et Guichen) à destination des femmes en situation de précarité et en recherche d’emploi. Ce matin du 9 avril, les participantes arrivent au compte goutte au Garage, prêtes à travailler sur le spectacle « Temps de pose » qu’elles dévoileront au public le 19 mai, au Triangle.

Deux fois par semaine, depuis le mois de mars, elles se réunissent et à travers les techniques artistiques de la danse contemporaine, enseignées et transmises par la chorégraphe Anne-Karine Lescop – en binôme avec le photographe Richard Louvet - pour cette 11e édition, composent des enchainements nourris par leurs émotions, leurs envies et leurs motivations diverses.

Au fil de cette expérience, elles prennent conscience de leurs capacités à créer un projet et à le faire aboutir.

« La notion d’engagement est importante. Participer aux Créatives permet de se dire que l’on est capables, de prendre confiance en nos capacités pour ensuite peut-être accéder à une formation ou à un boulot. En tout cas, cela nous remobilise autour d’un projet, c’est très intéressant »
concède volontairement Lucie.

Engagement et remobilisation, deux termes qui reviennent souvent dans la bouche de Malika Teneur, coordinatrice 35 au sein de Danse à tous les étages : « Les Créatives, c’est une étape pour continuer leurs parcours, un tremplin. Certaines lancent des projets, d’autres trouvent du travail, pour d’autres encore ce sont des souvenirs et des émotions. Il y en a qui abandonnent, ce n’était pas le bon moment pour elles. »

Des femmes de différents âges, milieux sociaux, avec des histoires diverses, accompagnées et orientées vers ces ateliers par des structures partenaires de l’association, que ce soit Pôle emploi, Fil Rouge, le CIDFF, le CCAS, ou encore le CDAS, pour n’en citer que quelques uns. En amont, des réunions d’informations sont organisées, et tout au long de l’expérience, les participantes sont régulièrement amenées à s’entretenir avec les référents associatifs, sociaux et professionnels.

L’ART DE L’EXIGENCE

Mettre la danse contemporaine au cœur d’un accompagnement socioprofessionnel n’est pas un hasard. Au-delà de la confiance acquise et de la valorisation éprouvée, c’est une reconstruction personnelle qui est engagée, basée sur un ressenti interne et intime, délayée dans un langage collectif et commun. Les participantes, pour certaines dubitatives au départ de l’approche contemporaine, parlent maintenant de « liberté », de « relâchement », de « moments d’échange ». Et apprécient l’exigence requise par la chorégraphe « qui sait bien ce qu’elle veut », sourit Ségolène, et « qui attache beaucoup d’importance à la dimension de sensation ».

Concentration, rigueur et dépassement de soi transparaissent lors de cette matinée de travail. Les danseuses avancent et reculent lentement, passant de la pénombre à la lumière, du regard fuyant au regard déterminé. Arrivées à quelques mètres des gradins, elles posent, dévoilent des figures travaillées, en constante évolution d’un aller à un autre, montant en intensité. « Le regard, il est où ? La pose, il faut la montrer… Tu poses pour un peintre, il y a une relation à l’autre ! Voilà, c’est bien, très bien. », commente Anne-Karine Lescop. Alice, à l’entrée remarquée pour son retard, s’agace de ne pas réussir à entreprendre ce qu’elle voudrait. Ramenée sur la scène par une autre danseuse, elle poursuit néanmoins l’exercice.

« Il faut qu’elles apprennent à concilier les ateliers à la vie quotidienne, à être à l’heure, à s’investir dans les projets pour lesquels elles s’engagent. En général, ça se passe bien, un noyau dur se forme lors des premiers ateliers et puis nous essayons de créer des groupes hétérogènes avec des personnalités qui peuvent s’entendre. On se demande principalement à qui cela sera le plus bénéfique, qui a envie de travailler sur son projet personnel, toujours dans l’idée d’une insertion professionnelle », détaille Malika Teneur.

L’AFFIRMATION DE SOI

Même discours du côté de Portraits en mouvement, autre initiative de Danse à tous les étages. Des ateliers proposés de novembre à fin mai – pour une représentation en juin - à Brest et à Rennes, à destination des 16-25 ans en situation de décrochage scolaire ou professionnel, toujours en partenariat avec des structures socio-professionnelles, telles que la Mission locale, la Mission d’insertion des jeunes de l’enseignement catholique de Rennes, l’Afpa, etc.

Un jeudi après-midi d’avril, 4 jeunes s’entrainent à la MJC Bréquigny avec le chorégraphe Fadil Kasri, co-fondateur en 2004 de la compagnie Eskemm (échange en breton) basée à Lorient, qui réunit danse contemporaine et danse hip-hop. « Avec Karine Le Bris, on développe nos créations autour d’échanges. Nous avons travaillé avec un comédien, fait un spectacle avec des marionnettes, intégré la Langue des Signes… Et nous travaillons quasiment toujours avec des publics amateurs. », explique ce Rennais d’origine qui a découvert le hip-hop à la télé en 1983.

Alors âgé de 14 ans, il suit les 42 leçons données par l’animateur Sydney. Il avait déjà eu un attrait pour la danse, sept ans auparavant avec la série Fame : « Il y avait des mecs qui dansaient et des gens de couleurs ! C’était fou. J’ai voulu faire de la danse jazz mais je ne m’y suis pas retrouvé. »

À cette époque, il fait des détours dans le quartier du Blosne pour aller suivre ses cours de danse, pour ne pas être vu par ses copains, qui eux font du foot. Un autre déclic aura lieu au lycée, il reprend le jazz, mais arrête à nouveau, puis lance un trio avec une connaissance et un camarade de classe et monte sur la scène du Triangle – qu’il a vu se construire lorsqu’il était gamin – et de là commencera à donner des leçons à la Cité de danse. Il oscillera ensuite entre son activité d’animateur, des stages de hip-hop, des groupes qu’il monte, des période sans danser, avant de décider en 1999 de se consacrer à la pratique artistique et de se sentir enfin légitime et reconnu.

« En dansant, on s’affirme. Et le hip-hop a la particularité d’être très accessible, il y a très vite des publics et des corps différents. Personnellement, quand je danse, je ne peux pas tricher. Quand j’ai décidé d’en faire mon métier, j’ai eu comme l’impression de renaitre », confie-t-il.

S’affirmer, se sentir libre et à l’aise dans son corps, décoincer le corps… Voilà ce qu’il veut transmettre aux jeunes qu’il encadre dans cet atelier. Avec la langue des signes, il opte pour une approche ludique des gestes et des mouvements. Une manière de démocratiser la danse « qui n’est pas uniquement spectaculaire pour le hip-hop ou élitiste pour la danse contemporaine ». Mélange de genres et de styles, accélération ou décélération des enchainements, présentation individuelle et collective signée, la palette d’outils de Fadil Kasri est large.

Et le groupe touche de plus en plus à son but avec des danseurs amateurs dont les bustes et mentons se relèvent, dont les langages corporels se personnalisent, s’affinent et se développent et dont les corps se libèrent, malgré quelques réticences passagères ou quelques tensions du quotidien. « Les voir s’affirmer, c’est fort. Dans ce que l’on construit ensemble, il y a une marche commune, des valeurs du vivre ensemble, des identités individuelles, et tout les relie à la fin. », s’émeut le chorégraphe, qui n’hésite pas à les encourager et féliciter ; chose qui n’est pas sans impact sur eux, décontenancés par les compliments et la confiance accordée.

DANS LES PAS DE LA DÉMOCRATISATION

Linda Claire, péruvienne d’origine, installée en France depuis plus de 10 ans, a dû se passer du soutien de sa famille, ne reconnaissant pas la danse comme un métier. Mais depuis son arrivée à Rennes – elle n’avait auparavant reçu qu’une initiation à la danse classique, dispensée par sa mère lorsqu’elle était enfant – elle persévère et puise dans toutes les danses qu’elle découvre, de la salsa au hip-hop, en passant par le flamenco, la samba et la danse contemporaine.

« J’ai fait des études pour rassurer mes parents et m’assurer un diplôme. », déclare-t-elle avant d’ajouter, convaincue, que sa vie réside dans les arts du spectacle. Aujourd’hui, elle navigue entre Rennes et Paris, et évolue principalement dans des compagnies spécialisées dans les danses latines. Mais elle avoue avoir un vrai coup de cœur pour la danse contemporaine, permettant le lien entre techniques, intériorité personnelle et mouvements du corps.

« On peut véritablement le vivre ! », s’enthousiasme-t-elle. Linda Claire est de nature pudique, réservée. Quand elle exécute des enchainements libres, son rapport à l’autre change. Elle incarne alors la passion qu’elle vit au quotidien et se livre sans timidité à l’exercice.

De son côté, Laina Fischbeck n’a jamais connu de réticence familiale face à son choix de vie professionnelle. Rien d’étonnant pour cette américaine de Philadelphie, fille de parents danseurs et fondateurs d’une compagnie en Allemagne, puis au Etats-Unis.

« Ma mère a dansé jusqu’à 7 mois de grossesse quand elle était enceinte de moi. J’ai donc toujours dansé, et même avant de naitre », plaisante-t-elle.

Elle apprend la danse à 4 ans, pratique cet art « à l’école publique, au milieu du ghetto », vit dans le théâtre avec la troupe et entre dans la compagnie de son père, avant de venir s’installer en France et de perpétuer la tradition de la danse en transmettant sa passion à son fils. Aujourd’hui, la danseuse et chorégraphe réunit au sein de sa danse expérimentale, dans la compagnie qu’elle a lancé en 2003 à l’Élaboratoire – D.E.A.D Company (Driving Evolutionary artistic dimensions) - le butô, le condomblé, la capoeira, la danse jazz, le yoga mais aussi la musique, le chant, la sculpture, la vidéo, le théâtre d’objets…

« J’ai toujours pensé que la danse et la musique allaient sauver le monde. C’est la plus vieille langue universelle ! », explique-t-elle, dans le hall du Triangle, structure dans laquelle elle enseigne. La danse est vitale et accessible, physique et spirituelle, outils d’expression inépuisable et inébranlable, langue unique et comprise de tous : « C’est très riche comme art, c’est plein d’échange entre les disciplines, de liberté. Y a pas de cadre, de règle. C’est pour ça que je n’aime pas la catégorie ‘Danse contemporaine’, ça fait chiant, pas accessible. On est trop dans la tête, le conceptuel, alors qu’il s’agit de l’expression du corps. Ça libère les gens, ça sort de la tête justement vers une sorte de transe. Personnellement, quand je suis malade, je danse pour me guérir. »

Plus qu’une pratique sportive et/ou artistique, elle s’en saisit comme un mode de vie. Une vie en communauté, que ce soit avec la troupe de ses parents, avec les gens qu’elle rencontre à l’Élabo – elle vit alors dans une caravane à Talensac – ou dans les stages qu’elle effectue chez l’habitant ou dans la nature. Tout est une histoire de rencontres et de partage, dont l’origine est la danse, et elle y ajoute et croise les disciplines.

Sa prochaine création, Shadows of light, visible le 8 mai au festival de l’Élabo, réunit ainsi la danse, la musique et la sculpture. Une manière de sans cesse enrichir son langage corporel et scénique, mais aussi personnel. « Dans les danses à 2 par exemple, on apprend à écouter l’autre, à donner, à recevoir, à lâcher prise, à faire confiance. Dans le kung-fu, avec le contact, on va apprendre à anticiper par le mouvement. », précise Laina Fischbeck.

UN LANGAGE PERSONNALISÉ

Ce que décrit cette dernière est précisément ce qui a séduit Marie Houdin, chorégraphe de la compagnie Engrenage depuis 2004, orientée hip-hop funkstyle. Elle pratique la danse depuis ses 8 ans mais découvre le hip-hop à la fin du collège, malgré « une pratique peu répandue à Laval. » Elle se passionne pour son histoire, mais aussi celle de la diaspora africaine, pour les danses afro-américaines et les claquettes.

Et continue encore aujourd’hui d’effectuer des recherches, « notamment sur les danses de la Nouvelle-Orléans, qui n’ont pas forcément de noms, d’étiquettes, mais qui continuent d’exister et de rassembler. » Celle qui s’est entrainé à danser au Colombier ou à la maison de quartier Villejean, en parallèle de ses études dans la capitale bretonne, est happée par l’énergie de la danse, sa spontanéité et surtout par son message :

« Peu importe qui tu es, tu dois t’inventer. Ta place, si tu la veux, il faut te la créer. Ça m’a interpelée. »

La liberté, l’expression, le rapport à la musique, le croisement des danses, l’esprit festif, traditionnel, les rites… Marie Houdin n’est pas avare d’arguments expliquant son épanouissement dans cet art dans lequel elle a inventé son propre langage. Mais surtout qui permet partages et rencontres. « Le spectacle est un prétexte pour les rencontres avec les publics. Le Soul Train ou le Bal funk par exemple ont une visée pédagogique. Et dans le processus de création, notre démarche implique toujours des actions culturelles et de médiation. », souligne la chorégraphe.

Ainsi, les écoles, centres sociaux, les prisons, les maisons de quartier, les MJC, etc. deviennent des laboratoires expérimentaux autour du déracinement, de l’identité et de l’enracinement, comme tel a été le cas avec la création de Roots.

Chaque public, chaque individu, apporte son propre langage, sa propre manière de penser et donc de s’exprimer à travers le corps. Les cultures se mélangent, offrant ainsi des danses métissées, en évolution constante, et ainsi susceptibles d’être accessible à toutes et à tous. À 50 ans, la chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets, Morgane Rey, croit toujours en la force et la résonnance des rencontres humaines dans l’inspiration à la création.

Que ce soit pour Burkas Gurkkas ou encore Le solo d’amour, des témoignages ont été recueillis auprès de plusieurs femmes faisant état de leur enfermement physique et mental, « sans forcément porter le voile », pour le premier, et de leur histoires d’amour pour le second. « Le lien à l’autre est très fort et très présent dans notre danse. Par exemple, au sein de la compagnie, nous dansons toujours sans miroir. Cela oblige à être présent à soi, aux autres, aux sons… », explique la chorégraphe.

Originaire du Bénin, elle a toujours refusé de s’enfermer dans les danses traditionnelles, souhaitant développer une écriture, un vocabulaire propre à sa compagnie, liant comédiens, musiciens et danseurs. « Il ne faut pas être isolés dans notre tour d’ivoire. Nous faisons partis de l’éducation populaire, nous avons un rôle de citoyen à jouer. », conclut Morgane Rey, qui présentera sa prochaine création Notre terre qui êtes aux cieux, autour des rites funéraires en Afrique, le 9 mai au Garage, à Rennes.

UN LIEN INDÉFECTIBLE

Partir du témoignage pour énoncer un message universel, s’emparer de son rôle d’artiste pour briser les tabous, dénoncer, ou simplement faire parti de la cité, de la société, du monde… C’est aussi la démarche de Mireille Abaka, musicienne et danseuse, et Gladys Tchuimo, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Poo-Lek.

Toutes les deux sont nées au Cameroun, se sont rencontrées à Yaoundé, la capitale, et ont décidé de créer le spectacle Plus femme que femme, « pour faire prendre conscience aux femmes du pouvoir qu’elles ont, les amener à comprendre la place qu’elles ont, que dans la douceur, on dépasse la guerre. Ainsi, le sexe fort, il se situe dans la douceur ! », selon Gladys.

En résidence au Triangle tout au long du mois d’avril, elles dévoileront leur création le 28 mai, initieront des training, tous les mercredis, et des spectacles courts hors les murs (principalement dans le quartier du Blosne mais aussi à République) et inviteront les habitant-e-s de Rennes à un temps d’échange intitulé « De Rennes à Yaoundé, le quotidien de femmes d’aujourd’hui », le 20 mai.

« On parle aussi de nous dans le spectacle. La danse permet de dire avec le corps ce que je ne peux pas dire avec la voix »
explique Mireille, qui vient pour la première fois en France.

Ainsi, elles ont rencontré les participantes des Créatives lors d’une discussion : « Elles se sont beaucoup intéressées à la démarche de notre pièce mais aussi aux femmes que nous sommes, c’était un très bon échange. » Les liens se tissent au fur et à mesure, entre les professionnelles, les danseuses amateures et le public, venu assister à un spectacle ou interpelé par des actions culturelles. La danse est un lien indéfectible entre les individus et à l’intérieur même de l’individu.

Emmanuelle Huynh, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Mua, est à l’initiative de Cribles, pièce créée en 2009 sur le principe de la ronde. Elle adapte aujourd’hui cette création à Rennes, rebaptisée Cribles Gold, dans le cadre des ateliers Corps Sensibles – proposés par Danse à tous les étages – à destination des personnes âgées, retraitées isolées, rencontrant des difficultés sociales. Un mardi après-midi, fin avril, de nouvelles têtes se présentent au Centre de prévention Agirc-Arrco pour expérimenter l’atelier, lancé au début du mois, tandis que d’autres annoncent qu’elles ne pourront poursuivre les séances.

L’une d’entre elles s’étant foulée la cheville, une autre devant s’occuper de son mari, la prise en charge par une tierce personne entrainant des frais bien trop lourds. L’échauffement permet une détente globale du corps, les participant-e-s (un homme figure dans le groupe ce jour-là, au milieu d’une petite dizaine de femmes) étant invité-e-s à masser les différentes parties du ventre, de buste et du visage avant de se lier par les mains pendant plusieurs dizaines de minutes. La ronde dévoile ses vertus à mesure que le temps passe et que les rires se font entendre.

L’ambiance est sérieuse, studieuse, et se voit dynamisée par des instants de rigolade et d’échanges. Si certaines se font plus timides que d’autres, que l’une se plaint de douleurs chroniques aux jambes, tout le monde participe et persévère dans l’exercice d’un cercle fermé par les liens des mains, dans lequel l’écoute de son corps et de celui des autres prime, dans lequel les contraintes s’expriment avec force et dans lequel chaque individu doit prendre sa place et reconnaître ses responsabilités.

« Il y a de la solidarité, du vivre ensemble et de l’écoute. On doit écouter nos corps, c’est ce qui se passe dans la danse contemporaine », commente Emmanuelle Huynh, enthousiaste à l’idée de perpétuer cette ronde chorégraphique avec des personnes âgées de 60 ans et plus « qui ont d’autres aptitudes physiques, et surtout ce qui m’intéresse aussi c’est la question des corps. »

Claudine vient, invitée par une amie, pour la première fois. Sa motivation première : la danse. « Je ne suis pas là pour écouter les malheurs des autres. Je veux bien redonner de l’élan, que ce soit un tremplin pour bien repartir dans la vie, mais je ne veux pas porter. », confie-t-elle avec une grande franchise. Cette ancienne prof d’éducation physique, tout juste âgée de 60 ans, a déjà pratiqué à diverses reprises, à droite à gauche comme elle dit, et apprécie le côté « Bien vieillir » de l’atelier :

« Cela transcende les émotions, et permet de développer la créativité. Et dans retraite, j’entends re-traite. Se traiter de manière différente, prendre soin de soin dégager les émotions par le mouvement. »

Un principe qu’il serait bon d’adapter sans attendre. Vraiment, on insiste lourdement mais joyeusement : Dansez, sinon nous sommes perdus (Pina Bausch) !

 

 

Comédienne, metteure en scène, art-thérapeute et plasticienne, elle s'intéresse notamment dans son travail au rapport entre masculin et féminin. À travers les pratiques artistiques, elle développe, à Rennes, des pistes pour prendre conscience de soi, des autres et ainsi agir sur ce qui nous entoure.

YEGG : En 2013, vous avez monté, en tant que directrice artistique, le spectacle Alternatives avec 10 danseurs et danseuses amenés à réfléchir sur les relations hommes-femmes. D'où est venue cette idée ?

Véronique Durupt : Ce projet m'a été proposé par Jean-Luc Dussort, coordinateur du pôle jeunesse de la MJC Bréquigny et Benoît Bauchy, animateur, car ils travaillent depuis longtemps sur les questions de discriminations et du masculin-féminin. J'ai accompagné des jeunes danseurs hip-hop, avec leurs spécialités, sur le plan dramaturgique pour savoir ce qu'ils avaient envie de dire sur le sujet et comment les danses des uns et des autres pouvaient s'interpeller.

Je leur ai amené des univers chorégraphiques différents, comme Pina Bausch et Anna Teresa de Keersmaeker, issues de l'école allemande. Ils s'en sont emparés, parfois avec réticence. Les détours vers d’autres pratiques que la danse hip-hop sont très importants pour nourrir leurs univers. C'est bien d'aller voir complètement ailleurs, sans renier la genèse de son travail.

Qu'est-ce qui en est ressorti ?

C'est un spectacle sur l'altérité. Des fois, on est dans l'accueil, la défense ou l'observation. Tout ça fait qu'une relation est complexe mais riche car elle nous fait découvrir des choses. Il y a eu pour eux la découverte de travailler sur une thématique commune et de nourrir son propre langage gestuel.

Vous êtes principalement metteure en scène, pourquoi avoir choisi la danse hip-hop pour aborder ce sujet ?

Je viens du théâtre gestuel donc je m'intéresse énormément à la danse, comme toute autre forme de représentation. Il y a un investissement corporel fort. J'ai accepté la direction artistique d'Alternatives parce qu'il y a une complicité entre les porteurs du projet et moi sur ces questions sociétales engagées.

Et je m'intéresse beaucoup à la danse hip-hop, à son émergence et son arrivée en France. Quant à la rencontre avec les jeunes danseurs, c'est réjouissant de voir des artistes, amateurs et semi-professionnels, s'emparer d'une question comme ça et chercher à y répondre avec leurs univers, leurs imaginaires et même leurs peurs.

Est-ce que la danse permet de mieux prendre conscience de son corps ?

Oui, elle donne d'autres outils ! Sur scène, il y a un mouvement par rapport à l'espace. Ce  mécanisme d'impression sensorielle va nous permettre d'écrire avec notre corps. Donc automatiquement, on accueille des émotions, des énergies, des rythmes, des silences.

J'aime bien le mot de « vocabulaire » qui recherche, avec une syntaxe et une grammaire propres, une dramaturgie du geste et des tensions dramatiques pour porter quelque chose. Dans la genèse d'un spectacle, on doit toujours l'alimenter et le redécouvrir. En tant qu'artiste, c'est aussi notre travail.

En 2012, vous avez travaillé avec des élèves de l’Établissement Régional d'Enseignement Adapté (EREA) de Rennes sur les thèmes de la boxe et du respect. Comment cela s'est mis en place ?

Je travaille avec l'EREA depuis plus de six ans sur des projets artistiques autour du masculin-féminin. Le but est d'impulser un spectacle avec les jeunes, à travers des improvisations, des recherches et des thèmes. Nous avons beaucoup travaillé sur l'écriture gestuelle. Cela leur a permis de découvrir leurs corps comme moyen d'expression.

Pour ce spectacle, on s'est inspirés des cordes qui composent le ring et autour du masculin-féminin, de l'offensif et du défensif dans des duos composés d'un personnage fragile et l'autre plus fort. En mars dernier, j'ai fini un nouveau projet avec des élèves autour de la figure de l'acteur dans le cinéma muet. Les personnages, habillés et maquillés en noir et blanc, se rencontrent de façon positive, des fois négative, et explorent leur altérité.

Comment réagissent-ils face à ces questions de masculin-féminin, relations hommes-femmes ?

On discute beaucoup de ça ! Il y a de nombreux questionnements, de la pudeur, de la défense. C'est complexe de toute manière et c'est intéressant ! Au niveau de la question artistique, ils ne sont plus filles ou garçons, ils sont interprètes. On s'entraide comme une vraie équipe.

Ce sont des personnes dites en grande difficulté scolaire, est-ce que créer un spectacle sur le long terme leur permet d'avoir une cohésion ?

J'aime bien le mot cohésion. De partage, de confiance en eux-mêmes, dans les autres, d'affirmation, de ce qu'ils ont envie de faire et de quelle manière, leurs goûts, de travailler une curiosité. Ils se rendent compte également que tout est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît et qu'ils ne sont pas les seuls à avoir des difficultés. La question du sensible est aussi importante. Tout ça, c'est à travers la création de ce spectacle. C'est ça qui est intéressant.

Vous êtes également plasticienne et art-thérapeute. Qu'est-ce l'art en général apporte dans sa recherche d'identité ?

Plein de choses ! Faire une pratique artistique, notamment pour des personnes en difficulté, permet de développer leur sensorialité, leur goût, leur style, leur conscience d'être, découvrir l'autre... C'est beau, bon, ça fait du bien ! (Sourire) Tout le monde a ce droit qui nous permet d'agir sur le monde. C'est important. Cela permet de se battre aussi contre des évidences, des préjugés, d'être ouverts sur l'autre et soi-même. C'est aussi pour ça que je fais ce métier-là. Tous ces publics m'apportent énormément. Mon travail en est enrichi.

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Dansez, sinon nous sommes perdus !
Femmes en mouvement, un art social
Développer la proximité universelle
Faciliter la création contemporaine
Dancefloor éphémère et fédérateur
Véronique Durupt, l'art comme révélateur

Célian Ramis

"Plus femme que femme" : Girl power au coeur du Blosne

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Le Triangle, Rennes
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Présenté au Triangle le 28 mai prochain, le spectacle entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes et des hommes, et lancer un message clair : les femmes sont puissantes.
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Depuis le 20 avril, les danseuses camerounaises Gladys Tchuimo et Mireille Akaba, de la compagnie Poo-Lek, travaillent au fil d’une résidence au Triangle sur leur spectacle « Plus femme que femme », à découvrir le 28 mai prochain, dans le cadre d’Agitation, qui s’installe au cœur du Blosne les 27, 28 et 31 mai.

« Dans ce spectacle, nous souhaitons amener les femmes à prendre conscience du pouvoir qu’elles ont, de la place qu’elles ont. Et dire que les femmes peuvent choisir ! » Gladys Tchuimo et Mireille Akaba sont la preuve de cette liberté de choix qu’elles revendiquent dans la création « Plus femme que femme ». D’autant qu’elles ont décidé de vivre de la danse, un chemin loin d’être évident au Cameroun et pas toujours compris, surtout dans le cercle familial.

La danse « arrive comme une passion », dès l’âge de 8 ans, se souvient Gladys qui l’a d’abord pratiquée à l’école puis utilisée pour payer sa scolarité, comme une bourse artistique. « C’est arrivé malgré moi et ça s’est imposé comme un métier. Mais pour mes parents, ce n’était pas envisageable. », explique-t-elle. Originaire de Douala – capitale économique du Cameroun, située à l’ouest du pays – elle s’installe à Yaoundé – capitale politique – qu’elle considère comme « plus ouverte » et y intègre un groupe de danse traditionnelle.

Rencontres avec des chorégraphes, animations dans des stades, démonstrations d’un caractère de leader, Gladys Tchuimo franchit les étapes pas à pas vers une carrière riche d’expériences jusqu’à souhaiter élargir ses compétences de danseuse-chorégraphe :

« J’ai commencé à m’orienter vers les danses modernes car pour devenir vraiment danseuse, je devais ne pas rester que dans le traditionnel. Et dans les années 2000, les compagnies de danse contemporaine ont commencé à naitre. »

Après une tournée en Europe avec une troupe de comédie musicale, elle se lance en solo et grâce à sa première pièce en 2004, elle bénéficie des Visas de la Création, un programme d’aide et de résidence de l’Institut français pour les jeunes talents résidant en Afrique ou dans les Caraïbes. C’est en 2005 qu’elle vient donc pour la première fois dans l’Hexagone, et passe plusieurs mois a enseigné et dansé à Grenoble (38), monte un projet avec une association française. De retour dans son pays natal, et après avoir foulé quelques scènes maliennes, congolaises ou encore burkinabè, elle entre à l’École des Sables (grande école de danse en Afrique, implantée au Sénégal).

FEMMES DES ARTS

« Très peu de filles dansent au Cameroun. Je me suis mis le défi de danser avec des femmes », souligne la chorégraphe de la compagnie Poo-Lek qui, en travaillant avec des danseuses de l’École des Sables, rencontre Mireille Akaba avec qui elle collabore sur un projet de danse avant de développer leur création en 2014. Ce duo aurait pu ne jamais voir le jour, puisque Mireille, qui vient en France pour la première fois avec cette résidence dans le quartier du Blosne à Rennes, elle, est issue du milieu de la musique : « J’ai commencé en 2008, dans un groupe camerounais, de world music. Chez nous, il n’y a pas d’école de musique, il faut t’inviter à travailler avec des gens, moi j’ai appris à chanter avec eux. »

De fil en aiguille, de projets en rencontres, elle effectue un stage dans un groupe congolais. De là nait son envie de danser, ce qu’elle fait en intégrant un groupe de danse traditionnelle, avant de découvrir la danse contemporaine, d’entrer à son tour dans la fameuse école de danse et créer ses spectacles, dont son solo « Fashion Victim », que le public rennais pourra découvrir le 20 mai, à l’occasion de la soirée « Sous la lumière », intitulée « De Rennes à Yaoundé, la quotidien de femmes d’aujourd’hui » dans laquelle les 2 danseuses seront entourées d’autres professionnelles comme Anne-Karine Lescop et Morgane Rey, d’associations telles que Danse à tous les étages et HF Bretagne, de Djaïli Amal Amadou, auteur de L’art de partager un mari et de Kouam Tawa, auteur en résidence au Triangle également.

« Au Cameroun, j’ai créé une performance dans la rue, où je me transforme en tout. Je m’inspire de certaines pratiques que l’on voit dans les rues pour obtenir de l’argent. Je jette des mots, je crée des poèmes… », précise Mireille. Une sorte d’illustration dansée et mimée de la folie ambiante qui inspire aux passant-e-s diverses réflexions entre « Mais qu’est-ce qui arrive aux jeunes femmes au Cameroun ? » et « Elle est trop jeune pour devenir folle » ou encore « Ça a vraiment commencé… »

CONDITIONS DES FEMMES

L’observation et l’analyse utilisée dans cette performance constituent des outils indispensables à son travail de création et de transmission, qu’elle aime partager avec les habitants, dans la rue, dans les quartiers, sur les marchés. Et des outils essentiels dans le processus de réflexion qui mènera à la chorégraphie et mise en scène de « Plus femme que femme », puisque les deux comparses ont récolté plusieurs témoignages de femmes camerounaises autour de la question « C’est quoi le bonheur ? »

« Pour 4 femmes sur 5, c’est d’avoir un mari et des enfants », lancent-elles en chœur, en rigolant de ce constat qu’elles considèrent comme effarant. Et à la question de la sexualité dans le couple, la majorité répond qu’il s’agit d’un acte à « subir » quand « le mari le veut / pour s’en débarrasser / pour faire plaisir à l’homme ». Les réponses font écho en elles, Gladys particulièrement, Mireille étant plus réservée sur son histoire personnelle.

L’homme détient le pouvoir. Les deux danseuses expliquent qu’au Cameroun, quand les femmes travaillent, c’est par préoccupation pour leurs enfants principalement. « En général, le mari donne 1000 francs, 1,50 euros en gros, pour l’alimentaire. C’est tout, et les femmes ne peuvent pas sortir de la maison en dehors de ça ! », s’indigne Gladys Tchuimo qui se souvient avoir été traumatisée par la relation « pas facile » entre son père et sa mère.

« Je n’avais vraiment pas envie de me marier, et je demandais à ma mère comment elle faisait pour continuer de faire des enfants avec lui ?! Je réfléchissais à pourquoi elle acceptait d’être traitée comme il le faisait, et moi je ne voulais pas de ça… Je crois que mon père aimait trop sa femme, qu’il était jaloux de sa femme… »

UN MESSAGE UNIVERSEL

À 37 ans, pourtant, Gladys est mariée. Ce qui fait beaucoup rire cette femme au caractère trempé et bien affirmé : « J’ai fini par trouver quelqu’un qui accepte que je sois libre et que j’exerce mon métier, comme quoi ça existe ! » Et quand on dévie sur le terrain des générations qui changent et évoluent avec leur temps, le duo recadre tout de suite, sourires aux lèvres, le discours : « Les générations ne changent pas. Nos voisines au Cameroun sont encore mères de 5 ou 6 enfants, et elles ont nos âges… », affirme Mireille, soutenue par Gladys :

« Les femmes peuvent choisir. Les femmes, on a des choses à dire, une place à prendre, du pouvoir, on a le choix. »

C’est là le point de départ et l’essence même de la pièce qu’elles dévoileront aux Rennais-es le 28 mai, à 20h, au Triangle. Une pièce qui parle d’elles mais pas seulement. « Personnellement, je dis avec le corps ce que je ne peux pas dire avec la voix, même si certaines fois, et pour nous faire comprendre, nous allons utiliser la voix », poétise Mireille, âgée de 35 ans, dont la douceur semble contenir un tourbillon d’émotions à l’intérieur d’elle-même. Les deux danseuses ont puisé dans leurs ressentis justement mais aussi leurs différences pour bâtir un spectacle au message universel, pas uniquement basée sur la condition des femmes au Cameroun, s’inspirant et s’appuyant également sur des textes de Kouam Tawa ou de l’histoire de Lilith, figure féminine infernale.

« Plus femme que femme » entend réveiller les consciences, bousculer le quotidien des femmes, et des hommes - « qui doivent savoir que derrière chacun d’eux il y a une femme, une mère, une sœur, une amie ! Ils doivent les chouchouter ! Nous ne jetons pas la pierre aux hommes mais ils doivent comprendre que le sexe fort ne se fait pas forcément dans la guerre, au contraire il s’effectue dans la douceur, donc chez les femmes. » - et lancer un message clair et précis : puissantes, les femmes doivent s’accomplir en réalisant la place qu’elles occupent et le pouvoir dont elles disposent.

LIEN ARTISTIQUE ET CULTUREL

En parallèle de ce spectacle, les deux danseuses se font le lien artistique et culturel entre la structure de la Cité de la danse et les habitant-e-s du quartier du Blosne. Plusieurs rencontres sont organisées jusqu’à leur départ. Entre débat (Sous la lumière, le 20 mai, dans le hall du Triangle), training de danses traditionnelles et afro-contemporaines (dernière séance le 19 mai de 18h30 à 20h30, dans le hall du Triangle) et spectacles courts hors les murs*, le duo crée l’événement et permet surtout à la danse de délivrer son pouvoir créateur de lien social et sa force fédératrice.

« Les enfants avaient vu la vidéo de Gladys et Mireille pour apprendre les pas de la chorégraphie. Là, ils ont vu les danseuses en vrai, faire les mêmes pas. Ils n’en revenaient pas ! C’est ça qui est intéressant et qui est important. », explique Marion Deniaud, chargée des actions culturelles au Triangle, qui parle de mission de service public, dans une démarche d’écoute du territoire avec lequel il est primordial d’être en phase (lire p. 15, Focus, YEGG #36 – Mai 2015).

 

* Mercredi 20 mai, 15h, Centre commercial Italie
   Jeudi 21 mai, 14h30, Foyer de la Thébaudais
   Vendredi 22 mai, 19h, Square Alexis Le Strat
   Samedi 23 mai, 16h, Métro Charles de Gaulle
   Samedi 30 mai, 11h, Marché de Zagreb

Célian Ramis

Violence animale dans l'art de la contorsion

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Théâtre du Vieux Saint-Etienne
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Le duo nous livre une performance corporelle et musicale en parfaite harmonie. De là se dégage une série d’émotions viscérales entre la violence à l’état brut, l’animalité et la brutalité.
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Dans le cadre du Temps Fort des Arts du cirque, organisé par Ay-Roop, les deux artistes britanniques Iona Kewley et Joseph Quimbly ont livré une performance originale de contorsion accompagnée d’arrangements musicaux progressifs, les 25 et 26 mars au Théâtre du Vieux Saint-Etienne, de Rennes.

Géraldine Werner, co-directrice de la structure “Ay-Roop” a repéré le duo dans le cadre du dispositif Circus Next, dispositif européen de soutien et de repérage dans les Arts du Cirque. Le duo nous livre une performance corporelle et musicale en parfaite harmonie. De là se dégage une série d’émotions viscérales entre la violence à l’état brut, l’animalité et la brutalité, dans un lieu particulièrement bien choisi, le Théâtre de Vieux Saint-Etienne. Un cadre permettant de révéler le duo : la danseuse Iona Kewney se saisit de tout l’espace offert pour l’occuper pleinement, à l’image de l’intensité de l’écho du style électronique progressif utilisé par le musicien Joseph Quimby.

La performance gestuelle de Iona Kewney, femme à la fois féminine, musculaire avec un corps enfantin et sans tabou, est un coup de poing, un combat que la contorsionniste livre contre elle-même et que l’on prend en pleine face.

Son corps qui se déforme, se transforme, s’agite, n’est pas accompagné de parole, juste des respirations hâletantes, râles et cris évoquant une forme de communication animale. Le spectateur assiste de manière très brute à cette violence, et se voit mis en difficulté par effet de transposition sur son proper corps. Une situation qui peut s’avérer stressante sans toutefois parler d’agression.

Les gestes déshumanisés, presque animaux, sont en parfaite harmonie avec le caractère progressif de la musique électronique type scandinave de Joseph Quimbly, au clavier. Cette harmonie et progression permet au spectateur une compréhension des émotions dégagées : le spectacle semble une approche primaire du combat de la vie, de son intensité, de sa difficulté et bien sûr de sa rapidité.

L’aspect animal apporté par la danseuse se fait également de par l’utilisation des élements (terre, eau, branche d’arbre) entremelés aux déformations et mouvements de son corps. Ce spectacle provoque le spectateur, l’amenant également à une recherche, une interrogation sur le sens de leur utilisation autour des contorsions.

Le public est alors absorbé par la magie de la prestation et cherche à comprendre cette progression des contorsions afin de partager les émotions avec Iona Kewley.

Célian Ramis

Nudité : Striptease, un art ?

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Rennes
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Reportage dans les fumées voluptueuses d'un monde de la nuit emprunt d'érotisme, où l'art du déshabillé se confond souvent avec l'amour de l'argent.
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Si les prémices et évolutions du striptease sont incertaines, en revanche la sulfureuse Mata Hari a parfaitement gravé sa légende dans l’Histoire, en partie à travers l’effeuillage. Reine de la Belle Époque grâce à la création d’une danse orientale qu’elle enrobe d’origines divines, elle est un archétype de la femme fatale et moderne, libérée dans une société puritaine, et lève le tabou sur la nudité. Plus d’un siècle plus tard, le striptease n’est plus seulement l’affaire de courtisanes et de danseuses de cabaret.

Discothèques, clubs de strip, enterrements de vie de garçon/jeune fille, salon de l’érotisme… on parle aujourd’hui de banalisation d’une profession entachée de clichés liant l’art du déshabillé à la vulgarité et la légèreté, et d’amalgames entre effeuillage et prostitution. Des stéréotypes qui ne semblent atteindre les danseuses qui envisagent la nudité de leurs corps comme un accessoire indispensable de leur business artistique. Elles sont au cœur du monde de la nuit et nous les avons rencontrées afin qu’elles nous livrent leur vision de leur condition.

Dévoiler son corps, lentement, sensuellement. Privilégier l’esthétique d’un corps au service de la création d’un show élaboré et travaillé. Pour susciter le désir des plaisirs charnels, sans y céder. Quand l’érotisme se met à nu, qu’il ne reste plus un seul bout de tissu pour cacher les soi-disant vertus, les réalités sont autres et se confondent avec les voluptés enivrantes de l’argent.

« On insiste beaucoup : on veut vraiment donner une autre image du striptease et du métier », explique Maya Cortes, chargée de la logistique et de l’animation sur la tournée Eropolis. Les 17 et 18 janvier, le salon célébrait l’érotisme au Parc expo de Rennes, avec une trentaine d’artistes stripteaseurs/stripteaseuses. L’autre image, c’est celle de pros qui élaborent des spectacles sur scène, principalement. Pour Little Priss, aujourd’hui :

« tout le monde peut prétendre être stripteaseuse, et il y a une sacrée concurrence. Il faut faire du show, faire primer le côté artistique, la beauté du corps, la sensualité. Et surtout toujours innover. »

À 21 ans, la jeune femme débute dans le milieu, côtoyant le monde de la nuit depuis plusieurs années. En 8 mois seulement, elle s’est initiée à l’art de l’effeuillage, vidéos et bases de modern-jazz à l’appui, et l’a pratiqué dans des boites de nuit, des clubs de strip, des clubs échangistes, des salons ou encore chez des particuliers. Et rapidement, son expérience lui a permis de comprendre « ce qui fonctionne, ce qui fait crier », loin des fantasmes ordinaires de la policière frivole ou de la candide écolière, plus appropriés aux enterrements de vie de garçon.

Ce jour-là, une trentaine de curieux principalement masculins s’agglutinent au pied de la scène. Ana-Lys fait son entrée, sourire aux lèvres, valisette à la main, vêtue d’un frou-frou blanc, d’une parure blanche et de talons hauts. Sur un air légèrement swing échappé de la bande originale de Mary Poppins, elle débute son show en dénouant sa chevelure rouge et en brandissant un sextoy assorti d’une moue malicieuse. Elle a tout d’une artiste burlesque, un art qu’elle pratique depuis 2 ans, pour le côté humoristique, vintage et rockabily. Elle dévoile au fil des tissus qui tombent sur le sol un tatouage floral courant le long de son bassin, de sa hanche et de sa cuisse.

La sulfureuse Ana-Lys est pétillante, pleine de grâce, dotée d’un corps harmonieusement charnel. « Le burlesque permet de s’assumer comme on est. J’en fais autant que du striptease, qui est plus hot en général. Si les shows ne sont pas les mêmes, on travaille dans les deux cas sur les costumes, la mise en scène, les musiques et sur l’art de l’effeuillage, avec un côté glamour et très sexy, analyse-t-elle, expliquant une différence entre les lieux de représentation. En soirée privée, en spectacle pour les comités d’entreprise, dans les conventions de tatouage ou de moto, on me demande du burlesque. Sinon, c’est du strip plus classique. » La jeune femme, engagée sur la tournée pour faire découvrir la particularité de cet art, termine sa prestation intégralement nue sur scène. Seuls les bouts de ses seins seront cachés par des nippies.

BANALISATION DE LA NUDITÉ

Pour de nombreuses artistes françaises et américaines notamment, le burlesque incarne un courant féministe, engagé. Le corps comme arme et symbole de pouvoir. Des femmes puissantes s’éclatant à montrer leur sensualité, s’affranchissant des codes de la domination masculine et détruisant les diktats de la mode des jeunes-minces-blanches, selon Louise de Ville – croisée en 2013 sur la scène du Grand Soufflet dans le spectacle « Porte-jarretelles et piano à bretelles ». Montrer son corps serait par conséquent une preuve d’indépendance. À noter que toutes les féministes ne s’accordent pas sur ce sujet. Niveau striptease, la tendance est plutôt à l’indifférence.

L’indifférence face aux critiques qui peuvent être formulées quant à son côté dégradant : se déshabiller pour vendre du rêve, pour agrémenter les fantasmes, pour satisfaire les désirs des spectateurs. Elles invoquent aujourd’hui la banalisation de la profession, avec une prolifération du nombre de danseuses – qui n’est pas recensé ou calculé clairement mais qui apparaît au vu du nombre de sites et d’annonces – qui se ressent à travers le regard de la population nocturne. « Avant, quand on se déshabillait dans les boites, tout le monde sortait son portable. Maintenant, ça paraît normal de voir des stripteaseuses et des gogos danseuses. Et puis, les clientes sont encore moins habillées que nous, parfois ! Enfin, elles finissent en soutif...», rigole Julie, alias Bambye.

DE L’INTERMITTENCE À L’AUTO-ENTREPRENARIAT

À 27 ans, elle bénéficie d’une expérience de 10 ans dans ce métier. À l’origine, elle est embauchée par une agence en tant que gogo danseuse et se contente de faire l’animation sur scène, en dansant, simplement. « J’aime danser, j’aime voyager, j’aime l’argent. Surtout l’argent », lâche-t-elle d’un ton franc et désinvolte. Elle avait, au départ, le statut d’intermittente du spectacle, statut auparavant adopté par toutes les artistes stripteaseuses : « Maintenant, on est obligées d’être auto-entrepreneures, financièrement c’est plus intéressant pour les établissements qui nous payent à la prestation. Si t’es intermittente, ils ne te prendront pas.»

Elle termine sa séance de sport quotidienne, a les yeux rivés sur son téléphone et se marre quand on lui demande comment elle prépare ses prestations :

« Je ne fais que de l’improvisation ! J’ai la chance de pouvoir danser sur toutes les musiques, en rythme et de manière sensuelle. »

Cette ancienne candidate de télé-réalité – aperçue dans Secret Story en 2011 – ne ressent aucune appréhension et aucun besoin de répéter ses chorégraphies.

« C’est simple, en discothèque, ils aiment les prestations qui sortent de l’ordinaire, genre Catwoman ou cow girl mais n’imposent pas de thèmes. Dès l’instant que tu te désapes et que tu montres ton cul, c’est tout ce qui leur importe. Comme en club de strip, même pas besoin d’ambiances et d’univers. Il n’y a que pour les enterrements de vie de garçon qu’il y a des critères imposés, et ce sont souvent les mêmes : policières, écolières, infirmières, militaires… », détaille la jeune femme qui, la journée, gère un centre équestre à Goven, fondé et ouvert depuis septembre 2014.

AU SOMMET DE LA BARRE

La nuit, en semaine comme le week-end, elle découpe son emploi du temps entre Nantes, Saint-Nazaire et Rennes. Principalement à l’Ile de Rhodes, derrière le centre Colombia, bordant le boulevard de la Tour d’Auvergne. Un mercredi soir de janvier, elle y arrive un peu après minuit. Cheveux noués, pas coiffés, jogging, baskets… Elle part se préparer dans les appartements alloués à cet effet, au dessus du plus vieux club de striptease de Rennes, ouvert depuis 53 ans, et revient moulée dans une robe longue, à la dentelle noire et au voile blanc transparent. Une tenue réalisée sur mesure par une couturière angevine. « Ça va entre 80 et 800 € pour les fringues. Et il y a aussi la lingerie à acheter, les porte-jarretelles, les bas. Faut que ce soit classe et élégant », précise-t-elle.

Elle entame une danse lascive autour de la barre, fixée au milieu de la piste de danse. Incontournable, elle est un accessoire primordial pour les artistes qui peuvent soit s’en servir comme appui, quasi un partenaire, soit pour exécuter quelques figures de Pole Dance : « Je n’en fais pas beaucoup. Ce ne sont pas celles qui montent à la barre qui gagnent le plus. Et moi, je suis bête et méchante, je vais là où il y a l’argent. Je fais des shows reptile par exemple, en boite de nuit. Ça chiffre bien, 2 fois plus que le strip de base qui est souvent facturé aux alentours de 250/300€. »

Mêmes tarifs pratiqués par la nantaise Priscilla Jones, régulièrement en pays rennais, qui confirme qu’en une nuit en boite, une stripteaseuse peut espérer récupérer un cachet de 700 € pour un show sensuel avec un serpent, et 300 € pour un effeuillage classique. Même efficacité en privé : 1h de présence dont 15 minutes de passage, « c’est bien payé, c’est peu de temps de travail mais il y a des inconvénients. On n’a peu de place pour danser et pas de liberté dans les personnages. » Car après 9 ans de métier, ce qui continue d’épanouir cette trentenaire déjà vue dans le télé-crochet À la recherche de la nouvelle star, c’est le spectacle, le côté artistique, le développement des chorégraphies.

Elle, qui joue des petits rôles dans certains films comme Bodybuilder de Roschdy Zem, aime incarner des personnages de cinéma, comme Jessica Rabbit, Maléfique ou encore les James Bond girls… « Que des personnages dark et sévères qui collent à ma personnalité », précise-t-elle. Pour Priscilla, le striptease ne se résume pas à l’exhibition de son corps. Ou plutôt, elle refuse d’y être réduite. Pas question de simplement « montrer cul et nichons à un mec en particulier », raison pour laquelle elle évite farouchement les clubs de strip, dans lesquels on pratique les shows privés.

AMOUR DE LA DANSE ET ARGENT

À l’Ile de Rhodes, ce soir-là, Bambye est entourée de 2 danseuses – 2 autres étant en train de « flyer » afin de rameuter des clients - et de Nadine, surnommée Nanou, responsable depuis 3 ans et employée du club depuis 23 ans. En attendant que les clients débarquent, au compte goutte, elles discutent frais kilométriques, remboursés selon les distances parcourues, et échangent leurs expériences. Magora, 21 ans, a débuté le striptease il y a 2 mois. Pour l’amour de la danse. Parce qu’après un bac hôtellerie et une expérience en restauration, elle ne supporte plus de se « faire traiter comme de la merde par les patrons et les clients ». Direction l’usine. Mais le boulot est contraignant, les horaires également. Elle entend parler d’un bar à hôtesse dans les Côtes d’Armor et enchaine avec le club rennais, dans lequel elle se forme sur le tas, en regardant les autres, et en utilisant ses compétences de Pole Dance.

Laurine, 27 ans, a mis les pieds dans le métier il y a 2 ans. Pour l’argent, très clairement. Après 8 ans à bosser dans une grande surface, elle teste le striptease en boite de nuit. Parce qu’elle y passe tout son temps. « J’avais plein d’idées reçues à ce sujet. J’ai vu que c’était propre et clean, je suis partie à l’aventure », lance-t-elle, amusée. Pour elle, avoir des horaires de nuit, dormir toute la matinée et profiter de son après-midi se résume en un mot : vacances.

Pourtant, elle n’aime pas danser, « ou alors sur du Rammstein, il faut que ça bouge, je suis un peu bourrine. Je n’arrive pas du tout à être sensuelle… De toute manière, quand les mecs prennent un strip, c’est pour voir mon corps, c’est ça qui séduit. Un sourire et c’est bon. Les hommes sont faibles. » D’où sa préférence pour, dès l’ouverture de l’établissement, s’afficher en tenue légère et affriolante, poitrine joliment mise en évidence. Autre détail marquant chez Laurine, elle parle, en référence à son lieu de travail, de « terrain », terme très spécifique et peu employé par les artistes rencontrées.

CONSOMMATION OBLIGATOIRE

Vers 1h du matin, les premiers clients arrivent dans le club, s’installent sur les banquettes en velours et commandent du champagne, à 250 € la bouteille. Ils reprendront la même dans l’heure. Les 3 danseuses enfilent alors leur casquette d’hôtesses et prennent place à la table des messieurs. Un rôle dans lequel Laurine se sent plus à l’aise. L’objectif étant alors de faire consommer le client, en boissons et shows privés, dans des salons intimistes avec rideaux transparents ou à la table.

« Mieux vaut qu’elles ne soient pas farouches pour le contact avec les clients, elles sont payées sur les ventes de champagne », rappelle Carly, 26 ans, gérante du bar à champagne et club de striptease, La Luna, situé à quelques pas du pont de Nantes. Ici, pas d’obligation de danser, si les filles ne le souhaitent pas. Le principe est le même chez elle qu’à l’Ile de Rhodes, à quelques détails près, comme celui du nu intégral conseillé dans ce dernier et proscrit à La Luna (string/topless). Ici, les filles doivent impérativement se munir d’une tenue de soirée et d’une tenue de prestation.

Dans les deux établissements, les danseuses/hôtesses répondent aux offres postées par les responsables ou sont envoyées par des agences. Souvent pour des contrats de 2 semaines, le renouvellement étant important pour les habitués. À cause des difficultés à obtenir des visas, les clubs ne peuvent désormais plus embaucher des femmes étrangères, principalement des russes, des ukrainiennes et des moldaves.

« C’est dommage, les hommes aiment bien les étrangères, les russes notamment, qui sont très belles », confie Carly. Il devient difficile aujourd’hui de dénicher de nouvelles recrues : « Elles sont plus prudes qu’avant, ont moins l’appât du gain. Elles n’ont plus autant la hargne qu’avant. Elles se contentent surtout de faire les hôtesses. Sachant que les clients veulent toujours plus, en payant moins parce que c’est la crise… » Prendre des billets sans trop se fatiguer.

CONTRÔLE DE SOI

Les femmes n’oseraient-elles plus se dénuder dans les clubs de striptease ? Les raisons restent obscures. Quand on aborde la nudité et le rapport au corps, elles s’accordent toutes sur l’obligation de ne pas être pudique. « Ce qui ne veut pas dire que l’on accepte nos corps…», précise Bambye, qui ne supporte plus la vision de graisse nichée dans certaines parties de son corps. Un point sur lequel la rejoint Laurine. Ainsi que Amira, inquiète du rendu de nos photographies. « Faudra retravailler, vous affinerez la taille, parce que je n’ai plus le corps de ma jeunesse, j’ai 33 ans et j’ai du ventre », nous glisse cette danseuse érotique, après son passage à La Luna.

Après avoir enchainé les grandes scènes parisiennes, avoir été chorégraphe pendant 7 ans dans une école d’afro-jazz et de danse contemporaine, avoir dansé dans des clips et des comédies musicales, elle pose ses valises à Rennes. « J’ai un enfant maintenant, et ça me convient mieux ce rythme-là. Tranquillement, au club, les soirs que je veux. », explique-t-elle. Elle aime le jeu de la séduction, de l’érotisme. Même si elle trouve qu’en France, la culture du « strip-club » n’est pas aussi développée qu’en Angleterre ou qu’aux Etats-Unis. « Certains clients jouent le jeu, d’autres non », évoque-t-elle, légèrement furtive.

La clientèle, Carly la décrit en souriant :

« Des hommes de 20 à 70 ans, qui viennent par curiosité ou parce que ce sont des habitués. Des hommes seuls ou mariés, qui s’emmerdent dans leur couple ou pas, qui n’ont pas trop de vie sociale. Il y a aussi les mecs qui viennent s’amuser… Il y a toute sorte de clients ! ».

Et du côté de l’Ile de Rhodes, même combat. On parle aussi bien de commerciaux, accompagnés de leurs clients pour signer des contrats, que d’hommes seuls ou de jeunes en bande.

Et concernant les dérapages, si les filles parlent parfois de « mains placées là où il faut pas », elles sont toutes sereines quant aux règles et aux limites à s’imposer et à imposer. « Perso, je suis très claire. Je suis assez froide de tempérament en plus. Je fais ma prestation, je prends mon chèque et je me casse. En club, pour les shows privés, le mec n’a pas intérêt à dépasser les limites, sinon il aura un show tout pourri et la nana rasera le mur… », signale Bambye, assurée d’avoir toujours l’ascendance sur le client.

Entre les murs de La Luna, on nous murmure en off qu’un des points intéressants à travailler dans ces lieux-là est très certainement de mieux se connaître, en tant que femme. « Ça apprend la manipulation, c’est fascinant », avoue une petite voix.

Graphisme : Clara Hébert

Graphisme : Clara Hébert

À 34 ans, Sébastien alias Yevan est stripteaseur - aussi appelé parfois chippendale - depuis cinq ans. L’un des deux seuls à pratiquer cette activité dans l’Ouest, il allie au quotidien effeuillage, travail et vie privée.

Comment êtes-vous arrivé au striptease ?

C’est vraiment un pur hasard. Je faisais déjà beaucoup de sport et entretenait mon corps. Un ami de Nantes qui faisait du strip s’est retrouvé en galère un soir et m’a demandé de l’aider pour un show James Bond en duo, alors que son partenaire avait eu un accident. Il s’agissait d’une prestation pour un comité d’entreprise, cela s’est bien passé, j’ai apprécié et je connaissais déjà le milieu, j’ai pu être engagé.

Quel est votre rapport au corps, au physique ?

Il ne faut pas être pudique, ça c’est certain. Cependant pour moi faire du striptease, c’était assez inopiné. Montrer mon corps n’était pas le problème, le plus compliqué c’est le show en lui-même ; les gestes, suivre la musique par exemple. Ce souci du physique est plus vis-à-vis des clients, notamment pour les shows privés, il faut être professionnel mais simple. À un anniversaire organisé par exemple, à la différence d’un enterrement de vie de jeune fille, le conjoint et/ou la famille seront présents. Il peut y avoir une certaine jalousie, il ne faut pas que ça déborde. Pour entretenir mon physique, je fais du sport toutes les semaines pour rester dessiné. Les gens ne cherchent pas à voir des bodybuilders mais plutôt des gens bien faits, quand c’est trop, cela peut presque effrayer.

En parlant de débordements, quelles limites fixez-vous dans vos shows ?

Contrairement à ce que l’on peut voir au Salon de l’érotisme par exemple, où on parle justement d’érotisme voire de X, dans les shows privés ou en discothèque, à aucun moment on ne voit mon sexe. Le drapeau est toujours devant moi et même lorsqu’une femme monte sur scène, tout est illusion, elle ne voit rien, ne touche rien.

Peut-on vivre du striptease ?

On peut en vivre oui mais c’est assez compliqué, il faut démarcher les bars, les professionnels. Ceux qui le peuvent ont monté leur société mais tout le monde ne peut pas le faire. Les budgets sont très serrés avec les frais kilométriques, les tenues, etc… Pour moi c’est un loisir et un plaisir, en dehors de cette activité je suis salarié d’une entreprise. Le striptease ce n’est que le week-end, tout au long de l’année mais plus particulièrement du printemps au mois de septembre où il y a beaucoup plus de demandes, notamment avec la saison des mariages. Vu que nous ne sommes que deux, moi près de Rennes et mon ami à Nantes, nous nous partageons le Grand Ouest. Pour ma part cela peut aller du Mans à Deauville en passant par le Finistère. C’est beaucoup de route.

Qu’en est-il de la rémunération d’un stripteaseur ?

Que ce soit pour des shows privés ou dans une discothèque, nous sommes payés à la prestation, entre 250 et 280 euros. En privé cela comprend une heure sur place dont quinze minutes de danse et striptease. En tant qu’auto-entrepreneur, j’ai le choix de mes prestations et limite de plus en plus celles en discothèque. Après, cela dépend beaucoup du réseau de chacun, il faut savoir être très réactif, surtout pour un homme, il y beaucoup plus de concurrence.

Quelle est la différence avec les shows en discothèque ?

En discothèque, la prestation est plus longue et on te paye un forfait peu importe ce que tu fais. On nous demande souvent de faire des shows de gogo danseur également, c’est-à-dire que l’on va danser en tenue, principalement pour vanter une marque, d’alcool par exemple, en partenariat avec la discothèque. Mais surtout, les horaires sont plus compliqués, ce qui n’est pas facile à concilier avec une vie privée. 

Même en tant qu’auto-entrepreneur, travaillez-vous avec des agences ?

Oui, mais la plupart des agences sont basées à Paris. Elles ont des contacts en région et vont nous appeler pour connaître nos disponibilités. Le problème avec les agences est que plus il y a d’intermédiaires, plus la commission de l’artiste sera réduite.

Comment conciliez-vous striptease et vie privée ?

J’ai la chance d’avoir une compagne très compréhensive et qui me fait énormément confiance. Mais le striptease me prend beaucoup de temps, j’ai maintenant 34 ans, je me laisse encore deux ans dans le milieu pour pouvoir profiter pleinement de mes fins de semaine avec elle.

Et qu’en est-il de l’image du striptease dans votre entourage ?

Dans mon entreprise, mes collègues ne sont pas au courant, notamment parce que je travaille au contact de clients. Ce qui est plus compliqué c’est de savoir gérer sa propre image auprès des personnes qui payent pour les shows privés en discutant avec eux, en restant souriant afin que les gens puissent sortir des a priori qu’ils pourraient avoir, comme l’homme à femmes par exemple. C’est toujours la différence entre les anniversaires et les enterrements de vie de jeune fille, pendant les anniversaires on peut se retrouver face à la grand-mère, voire des enfants. Les gens sont généralement assez curieux et me pose beaucoup de questions, je leur explique qu’un stripteaseur peut avoir une vie intime malgré son activité, si la personne avec qui il partage sa vie est prête à l’accepter.

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Stripteaseuses, des danseuses comme les autres ?
Striptease, la mise à nu de la vie nocturne
Mystère, cachoteries et infos rares
Salon de l'érotisme : Les femmes aussi veulent y goûter...
Effeuillage au masculin

Célian Ramis

Fighting Spirit, l'esprit guerrier des danses urbaines à l'Opéra

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Opéra de Rennes
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Affranchies de tous codes, elles nous libèrent d’un poids le temps d’un spectacle surnaturel qui nous laisse un goût de plaisir intense dû à leur capacité à partager.
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Brutalité, joie, violence et partage… Les représentantes du krump et de l’Afro-house nous ont fait frissonner samedi 14 février à l’Opéra de Rennes, dans le cadre du festival Urbaines. Deux démonstrations originales de l’esprit guerrier et combattant des danses hip hop avec Krump’n’break Release et Fighting Spirit.

Un choc. Une décharge électrique. Une explosion d’émotions. Ce jour-là, samedi 14 février, la rencontre des cultures urbaines et de la scène de l’Opéra est brute et puissante, et convainc avec aisance l’audience venue assister à cette fusion anticonformiste. Excepté peut-être notre voisin de gauche qui ne cessera de se plaindre « de se coltiner un spectacle de danse plutôt que d’assister à un match de foot à Paris. »

En guise d’introduction, une leçon de krump. Par Emilie Ouedraogo Spencer, alias Girl Mad Skillz, de la compagnie Shifts, actuellement en résidence au Triangle (dont les créations sont à découvrir les 25 et 26 février au Triangle). La jeune femme, dans une mise en scène simple et épurée – seule sur scène, avec ses compagnons de route sur écran – livre sa vision du krump, danse née à los Angeles, dans les années 90, à la suite d’émeutes. « C’est une violence de joie, d’amour, sans que ce soit négatif (….) Une rage de se lever, d’avancer, c’est un choc, une explosion, un ressenti », précise-t-elle avant de demander à tout le public de se lever, de tendre les bras au ciel, de bouger le bassin, de l’encourager dans sa démonstration et on en passe (leçon approfondie de krump à lire dans le prochain numéro de YEGG – le 5 mars prochain).

UN MÉLANGE FRACASSANT

Après 15 minutes de performance, la krumpeuse laisse place aux neuf danseuses de Paradox-Sal, réunies autour de l’Afro-house par le chorégraphe Ousmane « Baba » Sy. Une à une, elles rejoignent la scène et exécutent, dos au public, des pas de base harmonieusement synchronisés à mesure que la musique résonne dans l’Opéra. De l’ensemble émane l’esprit de Fighting Spirit, une création singulière qui va mêler l’œuvre collective à l’individualité de chaque performeuse mais également à l’individualité de chaque danse urbaine.

Elles ont des personnalités et des univers différents. Elles viennent du popping, du locking ou encore du waacking, et se sont rassemblées dans ce projet pour faire tomber toutes les barrières. Aussi bien artistiques que sociétales. Elles transcendent les questions de genre, que ce soit en terme de danse ou que ce soit en terme de sexe, pour s’affranchir de tous les codes et ne laisser subsister que la pureté et la beauté d’une chorégraphie qu’elles incarnent de tout leur être en cet instant enchanté. Elles vont jusqu’à inventer leur propre langage d’expression et dessinent ensemble des tableaux animés qu’elles gravent brutalement dans nos esprits.

Alignées, les pieds battant les planches de plein fouet, elles envoient une énergie détonante à travers la salle, que l’on se prend en pleine face avant de l’ingérer au plus profond de nos entrailles. Elles livrent un combat sans relâche, elles ont le regard rageur, le corps tendu, leurs mouvements sont précis et nets, les silences sont rapidement effacés par les respirations haletantes des danseuses, tandis que les spectateurs sont suspendus à chaque émotion.

LIBÉRATION CORPORELLE ET SPIRITUELLE

Tout dans Fighting Spirit opère comme un boomerang. Les corps, utilisés comme unique et simple moyen d’expression, libèrent toute forme de pression. La combattivité des performeuses circule dans la salle comme un tourbillon infernal, voué à confronter la violence à la douceur du discours. Des rythmes afros et r’n’b ainsi que des techniques de danse parfaitement maitrisées, avec légèreté, fluidité et condensé de rage et puissance, se dégagent une alternance équilibrée entre grâce, sensualité et force guerrière.

La musique vient renforcer leurs arguments de par la sensation de souffles saccadés et de battements de cœur qui s’en détache. Les représentantes de l’esprit Paradox-Sal offrent un spectacle époustouflant en toute modestie et avec générosité. Parfois divas, parfois félines, parfois dans l’ombre et parfois dans la lumière, elles se soutiennent grâce à leur cohésion indestructible. Elles font front et forment un bloc uni qui donne envie de partager passionnément la scène, simplement pour s’approcher de cet instant de trans palpable et pour se saisir de cet esprit combattif et combattant qu’elles parsèment derrière cette approche quasi animale des danses urbaines.

Affranchies de tous codes, elles nous libèrent d’un poids le temps d’un spectacle surnaturel qui nous laisse un goût de plaisir intense dû à leur capacité à partager sans peine leurs émotions.

Célian Ramis

Cendrillon l'Universelle, au-delà du genre

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Le Triangle, Rennes
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Les 28 et 29 janvier, le Triangle accueille Cendrillon, un ballet pour 20 danseurs créés par le célèbre Malandain Ballet Biarritz. L’occasion de s’intéresser au genre dans la danse contemporaine, un art qui souvent transcende la question du sexe.
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Les 29 et 30 janvier, le Triangle accueille Cendrillon, un ballet pour 20 danseurs créé par le célèbre Malandain Ballet Biarritz. L’occasion de s’intéresser au genre dans la danse contemporaine, un art qui souvent transcende la question du sexe.

Le corps a-t-il un sexe quand il s’agit d’un outil d’expression ? Une question qui sonne comme une ritournelle quand on assiste à certains spectacles de danse contemporaine. En novembre dernier, le TNB, le Triangle et la Cité de la danse présentaient dans le cadre du festival Mettre en scène le désopilant Antigone Sr., véritable bombe culturelle qui nous assommait par surprise de par la singularité de la représentation destinée à mettre le voguing à l’honneur.

« Le voguing, porté par une communauté noire, homosexuelle, drag ou transgenre, emprunte ses mouvements à ceux des défilés de mode et travaille sur un enchaînement de figures, d’une étonnante rapidité et souplesse. », indique la plaquette du Triangle en guise de résumé. Sur scène, 5 danseurs réalisent une performance croisant danse post-moderne et clubbing. Leurs corps semblent instinctivement se mettre au service de l’art et s’affranchir de toute catégorisation genrée.

CENDRILLON, PERSONNAGE UNIVERSEL

Dans son conte chorégraphié, Thierry Malandain, chorégraphe et directeur de production, se veut fidèle à la dramaturgie de Cendrillon et à la partition du compositeur russe Prokofiev. Et à cela, il ajoute une scénographie épurée, un simple mur teinté d’escarpins, et magnifie la mise en scène de ruses empruntes au système D.

« Pour le bal, nous avons pris des mannequins pour doubler le nombre de couples. C’est vraiment de la débrouille et il ne faut y voir aucun symbole autour de l’image de la femme. J’aurais été gêné de le faire sciemment… Par contre, le fait que l’objet soit inanimé justifie que le prince n’y voit aucun intérêt ! »
Thierry Maladain, chorégraphe du Malandain Ballet Biarritz.

Quand il a conçu le ballet, l’artiste n’a pas réfléchi en terme de genre. Ni dans les autres créations d’ailleurs. Il avoue aisément se détourner de ce sujet. « J’aime bien jouer avec les traditions. Avec mon langage. Du classique de maintenant », explique-t-il. Et dans sa manière d’envisager la danse et la création de tableaux chorégraphiques, se concentrer sur la question du sexe serait certainement une contrainte réductrice de créativité.

Ainsi, la difficulté de la distribution des rôles est amoindrie lorsqu’il s’agit d’attribuer un personnage féminin à un danseur masculin. C’est par exemple le cas de l’acariâtre belle-mère et ses deux pestes de filles.

« Elles sont maléfiques et méchantes. Je n’ai pas choisi expressément de mettre des hommes dans ces rôles féminins mais je trouve que finalement ça grossit les traits », précise le chorégraphe.

Quand il s’empare de la féérie « cendrillonesque », c’est pour sublimer cette étoile qui danse. Il créé une pièce originale et captivante, au message symbolique : « C’est le symbole de celle qui cherche à être aimée et reconnue. C’est l’attente de chaque être humain. » Au-delà du sexe et du genre, Thierry Malandain perçoit alors, à travers ce ballet, l’individu dans son universalité.

SOUS L’ANGLE DU GENRE

Même son de cloches quasiment du côté du Triangle. Quand on interroge Odile Baudoux, chargée de la danse et de la coordination secteur artistique, sur le genre dans la danse, elle nous répond en souriant : « Certains s’interrogent sur le genre et pour d’autres cette question est tout sauf la préoccupation principale. »

« Ce qui nous intéresse quand on conçoit la saison culturelle, c’est la création, le cheminement des artistes. Il y a donc des femmes, naturellement. Mais ce n’est pas notre critère principal », précise-t-elle.

Ce jour-là, dans son bureau, elle se saisit de la plaquette et nous propose une lecture nouvelle de la programmation 2014/2015, sous l’angle du genre.

Au fil des pages et des spectacles, on croise le thème de la séduction et de l’hyperféminisation des corps avec Our pop song will never be popular (octobre), on gomme parfois la féminité des danseuses de hip hop avec Bliss (décembre), on se travestit avec Antigone Sr. (novembre) et Cendrillon (janvier), on invente un langage avec Fighting Spirit (février), on se réapproprie son corps avec Les Créatives (mars à mai), on s’engage pour la condition féminine avec Plus femme que femme (mai) et on en passe.

UN GRAND POTENTIEL D’IMAGINATION

Le champ de la danse contemporaine est vaste, multiple. L’absence de codes, le choix de l’abstrait, ou non, le mouvement… Pour la programmatrice :

« La danse contemporaine ne nous donne pas toutes les clés. Elle requiert une interprétation personnelle, chacun peut s’approprier la proposition artistique du chorégraphe qui crée, invente… Il y a un grand potentiel d’imagination pour le spectateur. »

Au delà de la représentation très féminine qui subsiste, la danse transcende les questions de genre pour se libérer des contraintes, des codes et des cadres. Pour se centrer sur l’individu propre, l’individu mis à nu. « La danse n’est pas faite pour gommer les différences mais pour les réunir. Sans distinction. », résume Odile Baudoux qui insiste sur la nécessité pour chacun de s’approprier cet art et sa manière de le recevoir dans son individualité.  

Elle conclut :

« C’est tout l’enjeu de l’éducation artistique que nous pratiquons avec les jeunes. C’est de casser les a priori pour les amener vers une meilleure appréciation de la danse. Par exemple, dans Jours étranges de Dominique Bagouet que nous avions présenté en 2013. La thématique du genre était présente mais pas principale. Nous les avons vu progresser dans le danser ensemble alors que ce n’était pas simple au début. Ils ont fini par dépasser et transcender la question filles/garçons. »

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