Célian Ramis

Écrire les luttes féministes algériennes au pluriel

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Le 13 mars, Amel Hadjadj, militante féministe et co-fondatrice du Journal Féministe Algérien, est revenue sur l'histoire des luttes des femmes, d'hier et d'aujourd'hui, en Algérie, à la Maison Internationale de Rennes.
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Le 13 mars, l’association de Jumelage Rennes-Sétif invitait Amel Hadjadj, co-fondatrice du Journal Féministe Algérien, à la Maison Internationale de Rennes pour une conférence sur les luttes féministes, d’hier et d’aujourd’hui, en Algérie. 

« L’Histoire a été écrite par les hommes, pour les hommes. », rappellent la militante féministe Amel Hadjadj. « On manque de ressources et d’archives. On retrouve toujours les mêmes figures féminines dans l’Histoire. Il y en a 6 ou 7 qui reviennent régulièrement. », précise-t-elle. Le matrimoine algérien est minimisé. Ainsi, dans le récit féministe que les militantes entreprennent de raconter, un grand travail est effectué à ce niveau-là. « Les femmes sont la moitié de la société. 44 millions de personnes en Algérie. 22 millions de femmes donc… », souligne-t-elle. Une moitié d’humanité qui a besoin de connaitre son héritage sans que celui-ci soit amputé d’une partie de son histoire et sans que celui-ci soit dénaturé par les stéréotypes de genre. « On décrit les femmes pendant la guerre comme infirmières. C’est très bien, il en fallait mais on minimise leur rôle. Pendant la guerre de libération, les femmes poseuses de bombes ont pris des risques énormes ! Certaines sont mortes, SDF, dans l’anonymat… Pour transporter les armes, il fallait des femmes car les hommes se faisaient fouiller. Si elles se faisaient prendre, elles étaient violées, emprisonnées, etc. », scande Amel Hadjadj. Aux détracteurs qui estiment que la réhabilitation des femmes à travers l’Histoire est un argument biaisé pour simplement se donner une légitimité, elle répond :

« Je veux qu’on rende justice à ces femmes ! » 

SCOLARISATION ET TRAVAIL 

C’est en 1947 qu’est créée la première association de femmes en Algérie - l’Association des femmes musulmanes algériennes – venant préciser ici la spécificité de la condition des femmes. Quelques années plus tard, l’indépendance est déclarée et l’Algérie organise sa première assemblée constituante. Les femmes y sont quasiment absentes. « Elles sont 5 ou 6 sur plus d’une centaine de personnes ! Même les progressistes disaient que les femmes devaient retourner en cuisine… », signale Amel Hadjadj. L’Union des femmes organise la première manifestation le 8 mars 1965. Les pancartes prônent le soutien à toutes les femmes dans le monde vivant encore sous l’oppression du colonialisme mais ce jour-là est aussi l’occasion de revendiquer leur droit de travailler. 

« Seulement 3% des algériennes travaillaient après l’indépendance. Le patriarcat et la mentalité algérienne acceptaient les enseignantes et les infirmières… » Elles se battent également pour la scolarisation des filles et des ainés, de manière générale, souvent envoyés tôt au travail pour aider le patriarche. À Alger, elles marchent du centre de la ville jusqu’à la baie où elles jettent leurs voiles : « C’est un acte éminemment politique mais cela n’a rien à voir avec le débat sur le port du voile. Il s’agit là d’un symbole : elles jettent le voile que portent les femmes au foyer. Les travailleuses, elles, ont une autre tenue. Elles luttent ici pour le travail. »

INSTAURATION DU CODE DE LA FAMILLE

Vont se multiplier les projets de loi concernant un code de la famille. Les codes français (civil, pénal, etc.) seront traduits. « Cela ne s’inscrivait pas du tout dans le reste des progressions du pays. Cela amenait la société vers quelque chose qu’elle n’avait jamais vécue ! », explique la militante. Après deux versions avortées – que les femmes des parlementaires ont faites fuiter auprès des étudiantes pour qu’elles les dénoncent – le code de la famille est promulgué en 1984. Dedans figure, entre autres, « le devoir d’obéissance à son mari et à la famille de son mari et tout un tralala… ». Amel Hadjadj réagit :

« C’est toute une idéologie qui opprimait les femmes des autres pays qu’on a importé ici. Aux luttes pour la scolarisation et le travail, s’ajoute l’abrogation du code de la famille. »

À cette époque, c’est un parti unique qui gouverne le pays. D’autres mouvances s’organisent en souterrain, dans la clandestinité, et font naitre à la fin des années 80 – à la création du multipartisme - des associations luttant contre cette répression politique à l’encontre des femmes. « Mais les années 90 arrivent et avec elles, le terrorisme. » Les féminicides se multiplient. Elles meurent parce qu’elles refusent de porter le voile. Elles meurent parce qu’elles s’assument féministes. Le mouvement est meurtri et entame les années 2000 fatigué. Les associations historiques des années 80/90 disparaissent quasiment toutes. 

UNE NOUVELLE DYNAMIQUE

La société algérienne n’est plus la même, signale Amel Hadjadj : « Il y a eu une rupture. On n’est plus dans l’organisation. Certains traumas de l’Histoire du pays n’arrivent pas à être dépassés. Beaucoup de féministes de ces années sont d’ailleurs venues vivre en France. Ma génération arrive et finalement, on revient inconsciemment à la clandestinité. Des associations naissent, les sujets ne sont plus les mêmes… » On y parle harcèlement, communauté LGBT, violences, etc. mais le contexte ne les rend ni visibles ni audibles. Un tournant s’opère en 2015 et, comme elle le dit, la force des réseaux sociaux met en lien des féministes d’hier et d’aujourd’hui et fait la lumière sur l’ampleur des féminicides. « On organise des rencontres intergénérationnelles féministes algériennes. Ce n’est pas simple de se comprendre et de comprendre les traumatismes des anciennes. », poursuit-elle.

En 2016, à Constantine, sa ville natale, un nouveau féminicide pousse les militantes à organiser un sit-in : « L’assassin était en cavale, il fallait qu’on diffuse partout sa photo. Des sit-in ont été organisés à Constantine, à Alger, à Oran et ailleurs. Le bruit incroyable que ça a suscité a permis d’arrêter l’assassin. Et ça nous a obligé à sortir du cocon des réseaux sociaux ! » En 2019, elles réalisent qu’un mouvement d’ampleur s’organise : « J’ai déménagé à Alger pour avoir plus de liberté et pour pouvoir lutter. Un mouvement grandiose se passe. Le collectif féministe d’Alger se cache toujours mais il y a une vraie volonté de rencontrer les autres. » Un besoin immense de reprendre en main l’histoire effacée de toutes les femmes dont le rôle a été minimisé, bafoué, méprisé, écarté, etc. Des carrés féministes s’instaurent dans la capitale mais aussi à Oran et en Kabylie. « Les survivantes des années 90 reprennent les associations qui avaient disparu. Ce qui n’a pas plu à tout le monde. Mais tant pis, le principal, c’est de s’organiser. », se réjouit la militante féministe. 

DES FÉMINISMES, AU PLURIEL !

Né ainsi le renouveau des dynamiques féministes. Elles sont de plus en plus dans l’espace public mais aussi dans les sports et d’autres secteurs de la société. Elles s’imposent. Mais cela n’est pas suffisant. De nombreuses revendications perdurent et les militantes sont sans cesse attaquées et décrédibilisées. « On a essayé de mettre les féministes dans les cases de tous les traumas, y compris ceux qui n’ont pas été traités. Pour moi, il y a une urgence à décoloniser les luttes. La peur des autres, de son passé et la violence sont encore présentes. En plus du patriarcat… La révolution, c’est pas les bisounours. Il faut continuer de sortir et de s’organiser malgré les divergences et les rejets. », commente Amel Hadjadj. Les médias et partis politiques adaptent leurs discours, intégrant de plus en plus les problématiques et revendications féministes. En parallèle, est créée l’association du Journal Féministe Algérien. « En 2015, on a ouvert une page sur les réseaux sociaux pour annoncer le sitting. On a eu de l’impact. On couvre tout ce qui se fait, les mouvements féministes, les lettres ouvertes, etc. Il faut continuer à s’organiser. », insiste-t-elle. Elle poursuit :

« Le vécu nous a poussé à réaliser qu’il n’y a pas un seul féminisme, mais plusieurs. C’est pour ça qu’on a fondé l’association. On veut rassembler toutes les femmes, qu’elles soient toutes représentées, qu’elles puissent toutes s’exprimer. »

L’idée : aller à la rencontre des groupes locaux, à travers tout le pays, afin de les accompagner dans leurs luttes. « On travaille à un manifeste des mouvements féministes algériens, pour créer le rapport de force. », signate-t-elle. Intrinsèquement liées aux territoires, les revendications diffèrent selon les zones : manque de gynéco, taux minime de travailleuses, absence de maternité… « Il y a des luttes qui sont plus visibles que d’autres. Notre association lutte pour qu’on ait toutes le même niveau d’informations. », insiste Amel Hadjadj. Visibiliser tous les combats sans les hiérarchiser et les prioriser. Valoriser les militantes, leur courage, leur diversité, leur pluralité, singularité et résilience. « En 2019, proche d’une des frontières Sud de l’Algérie, a lieu un viol collectif d’enseignantes dans leur logement de fonction. En mai 2021, une manifestation est organisée contre le viol. Des femmes sont venues de partout ! Elles n’ont pas simplement dénoncé les viols, les violences et l’insécurité, elles ont aussi réaffirmé leur volonté de travailler. Malgré le drame, elles ont dit : « On n’arrêtera pas de travailler ! » Il n’y a pas une seule région dans le pays où il n’y a pas de femmes en mouvement. », poursuit-elle avec hargne.

De nouvelles générations de militantes féministes émergent en Algérie et Amel Hadjadj témoigne de l’ampleur grandissant de l’engouement. Les revendications se multiplient. Les mouvements prônent la liberté d’être et d’agir, la pluralité des voix et des voies de l’émancipation, la diversité des identités et l’importance de la reconnaissance et de la prise en considération de toutes les personnes concernées, leurs spécificités, leurs trajectoires, traumatismes, souffrances et moyens d’organisation. 

Célian Ramis

8 mars : En Algérie, la mobilisation des femmes pour l'environnement

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Maison Internationale de Rennes
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Le 16 mars, invitée à la MIR par l’association Rennes-Sétif, la sociolinguistic Dalila Morsly est revenue sur la mobilisation inédite des femmes d’In-Salah, opposées en 2014 à l’exploitation du gaz de schiste.
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Sociolinguiste à Alger jusqu’en 1995, Dalila Morsly quitte son pays natal avec son mari lors de la décennie noire et s’installe en France. À Paris. Puis à Angers, où elle enseigne à présent à l’université. Présidente de l’association Aicha durant les années 80 jusqu’à son départ, la sociolinguiste s’intéresse de près à la question de l’engagement féministe en Algérie. Le 16 mars, invitée à la Maison Internationale de Rennes par l’association de jumelage Rennes-Sétif, elle est revenue sur la mobilisation inédite des femmes d’In-Salah, opposées en 2014 à l’exploitation du gaz de schiste.

« Je ne suis pas allée à In-Salah directement mais je reviens de Tamanrasset. In-Salah se situe dans la wilaya (en Algérien, wilaya, ça veut dire la préfecture) de Tamanrasset. J’ai recueilli beaucoup de documents dans la presse et des contacts avec des associations investies dans le soutien à ce combat, à savoir la lutte contre l’exploitation du gaz de schiste. Je ne vais pas parler technique, je ne suis pas experte dans ce domaine là, mais du combat des femmes et en quoi il est singulier, dans le contexte algérien. », explique Dalila Morsly en introduction de sa conférence.

Pour bien comprendre, elle commence par situer In-Salah, ville – en partie berbère - de 35 000 habitant-e-s environ, à 1 000 kms d’Alger. Dans le désert du Sahara. C’est une des villes où les températures sont les plus chaudes d’Algérie. Entre 30° et 46°, avec des pics jusqu’à 50° et en moyenne avec 2 jours de pluie par an.

Dans cette ville à l’inspiration soudanaise, construite en argile – « l’argile est traditionnellement pour la poterie, c’est un de mes dadas d’ailleurs, la poterie féminine en particulier » - la verdure n’est pas absente, en raison d’une importante nappe phréatique qui alimente Tamanrasset en eau.

LE DÉBUT DU MOUVEMENT

La présence d’hydrocarbures est importante, les sols sont riches en gaz, en pétrole et en gaz de schiste : « En 2012, le constat est établi que le gaz de schiste est exploité à In-Salah. Né alors un mouvement important anti gaz de schiste. Au début, c’est surtout le fait d’experts avant de devenir ce que les médias vont qualifier de ‘contestation populaire, citoyenne et pacifique’ qui s’étend en 2014, avec le soutien de villes du sud et du nord. Ça dépasse In-Salah. »

C’est un forage, fin 2014, à une quarantaine de kilomètres de la ville, qui va mettre le feu aux poudres. Les étudiants manifestent pour l’arrêt de l’exploitation. S’en suit la création d’un collectif pour un moratoire sur le gaz de schiste, qui rejoint les collectifs nationaux. La population locale a conservé en mémoire les essais nucléaires aériens et souterrains réalisés par l’armée française dans la région, dans les années 60.

« C’est une explication possible de la contestation partie de cette ville qui est jusque là perçue comme silencieuse et peu contestataire justement. »
souligne la sociolinguiste.

Ce qui explique encore davantage l’aspect inédit de la mobilisation des femmes. Parce qu’à In-Salah, elles n’avaient pas particulièrement réagi aux luttes menées dans le nord du pays contre le Code de la Famille et pour l’égalité femmes-hommes. Au contraire, elles étaient restées silencieuses.

Là, elles réclament l’écoute et l’attention du président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika – qui a obtenu dans le coin un excellent score aux élections - en déclarant : « Nous avons voté pour lui, nous lui demandons de nous écouter et de répondre à nos demandes. »

LES FEMMES EN ACTION

La mobilisation des femmes va prendre différentes formes. Celle du sit in tout d’abord. Quatre mois durant, chaque matin, elles vont se retrouver au centre de la ville et s’asseoir, ensemble. « J’aime beaucoup ce mélange de tenues touaregs et de tenues avec le voile islamique. Et voyez, le drapeau de l’Algérie est constamment présent. C’est pour défendre leur pays et pas uniquement leur ville. », s’enthousiasme Dalila.

Ensuite, elles vont participer aux marches et déambuler avec le cortège. Séparées des hommes toutefois : « Ce sont les habitudes traditionnelles mais je trouve que ce n’est pas ça le sujet. Elles ont voulu dire qu’elles étaient là et qu’elles voulaient faire nombre. Elles affirmaient leur position : « Non à la fracturation hydraulique » ! Elles avaient des banderoles, des pancartes, faisaient des graffitis, trouvaient des slogans comme « Résistance, résistance contre le gaz de schiste », parce que les manifestations se déroulaient sur la place de la Résistance. »

De cette mobilisation émergent des figures emblématiques. Comme celle de Hacina Zegzeg, porte parole anti gaz de schiste :

« Personne n’a le droit d’expérimenter sur nous. Le problème est que tout le monde sait que l’eau est polluée par la fracturation et on continue à polluer et à fracturer sans que ça ne dérange personne. Le pire, c’est le mensonge autour de cette communication ! »

Les femmes s’engagent pour la préservation de l’environnement et des ressources naturelles, comme l’eau par exemple, dont elles sont responsables. Elles sont sourcières mais aussi nourricières (pendant la contestation, les hommes font les courses et les femmes font les repas) et citoyennes.

Elles transmettent. À l’instar de Fatiha Touni, professeure d’anglais au lycée d’In-Salah. Elle consacre certaines de ses leçons au gaz de schiste et à ce « soulèvement populaire contre ce projet nuisible à l’environnement qui a opéré un bouleversement total à In-Salah. »

De là, d’autres projets environnementaux vont éclore : SMART Sahara, par exemple, dont l’objectif est de faire d’In-Salah une ville verte aux jardins entretenus par les femmes, ou encore un projet basé sur l’aquaculture. « L’eau est un élément vital dans le désert. In-Salah a pris son destin en main. », soulignera Hacina Zegzeg, dans la presse.

À QUOI DOIT-ON L’ÉMERGENCE DE CE MOUVEMENT ?

Pour Dalila Morsly, deux aspects sont à creuser et à retenir. Le premier : « La mobilisation montre les effets de la scolarisation massive dans la construction d’une prise de conscience citoyenne. Les femmes ont acquis une expertise technique de l’exploitation du gaz de schiste mais aussi une expertise politique du combat qu’elles mènent. Si la scolarisation de la population ne donne pas encore toutes les satisfactions que l’on attend, elle est massive et c’est un signe positif quand on se dit que 90% de la population était analphabète lors de l’indépendance. »

Ainsi, il est démontré que la scolarisation désorganise le système en place. On assiste alors à une diminution du nombre de mariages précoces, une baisse de la fécondité, l’apparition d’un célibat prolongé chez les femmes algériennes qui marquent là la contestation envers l’ordre établi ou encore une diminution de la polygamie et de la répudiation. La société se transforme et les femmes accèdent à une plus forte autonomie financière.

Le deuxième aspect concerne la charge de l’eau qui leur revient à elles. « On peut se dire que la responsabilité de l’eau cantonne les femmes à un rôle traditionnel. Mais on peut aussi considérer que passe par là la possibilité pour elles de mobiliser les femmes de la ville. C’est justement une réappropriation du rôle traditionnel des femmes pour lieux sensibiliser les femmes au combat qu’elles sont en train de mener. Surtout pour sensibiliser les plus anciennes, qui elles n’ont pas eu accès à la scolarité. », analyse la sociolinguiste.

La mobilisation des femmes marque une nouvelle forme de militantisme. Proche de la mouvance féministe écolo. Dans les années 80 et 90, les associations luttaient pour l’égalité entre les femmes et les hommes et attaquaient les écrits du Code de la Famille. Si aujourd’hui, le combat continue pour les droits des femmes, il se poursuit également dans des revendications environnementales.

« Ici, l’enjeu n’est pas les droits des femmes directement mais la mobilisation a installé une nouvelle sensibilité des droits des femmes. C’est ça qui pour moi est important à signaler. »
poursuit Dalila Morsly.

Les femmes sont de plus en plus nombreuses à être cultivatrices, par volonté et non obligation, et se constituent en associations de femmes rurales, la question de l’environnement est davantage portée aussi par les structures, comme certaines associations en Kabylie qui se mobilisent pour le tri sélectif et la propreté des villages.

La conférencière insiste : les sociologues constatent que les femmes sont porteuses de dynamiques qui amènent des évolutions dans le pays. Parce qu’aujourd’hui, les femmes sont dans tous les domaines. « Pas comme dans certains quartiers de Rennes que je ne nommerais pas ici. », lance une personne du public. La remarque passe mal. Difficile à partir de ce moment-là de recentrer le débat sur le sujet.

Si c’est un aspect précis qui est pointé durant l’exposé de Dalila Morsly, l’événement se détourne de son fond premier pour virer au jugement sur le port du voile. On a du mal à comprendre, si ce n’est que l’instant est révélateur d’un problème majeur : on ne peut pas parler des femmes arabes sans les associer à la religion et à une opinion jugeante et moralisatrice. Navrant.  

 

Célian Ramis

8 mars : Femmes musulmanes, libres et investies

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Maison Internationale de Rennes
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Si vous avez raté la diffusion de Women SenseTour – In muslim countries, réalisé par Sarah Zouak et Justine Devillaine, le 17 octobre 2016, une séance de rattrapage est organisée dans le cadre du 8 mars.
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Si vous avez raté la diffusion de Women SenseTour – In muslim countries, réalisé par Sarah Zouak et Justine Devillaine, le 17 octobre 2016, une séance de rattrapage est organisée dans le cadre du 8 mars. L’association Coexister Rennes, en partenariat avec Lallab/JMR, propose la projection du premier épisode d’un road movie positif, à la rencontre des femmes musulmanes au Maroc. Le 19 mars, à 20h, à la Maison Internationale de Rennes.

Dans notre numéro 52 – Novembre 2016, notre Décryptage était dédié à ce documentaire (dont la séance avait rapidement affiché complet), à ne surtout pas manquer !

Tollé pour Sarah Zouak, 25 ans, diplômée d’une école de commerce, militante féministe et antiraciste, qui écume les quatre coins de la France pour présenter le premier éspisode du Women SenseTour – In muslim countries.

Franco-marocaine, musulmane, femme épanouie, elle a souvent eu la sensation que pour légitimer sa place dans la société, elle devait renier une partie d’elle-même. « Comme si la religion était un obstacle à son émancipation et l’empêchait d’être libre de ses choix », précise le communiqué de presse.

Engagée depuis plusieurs années pour les droits des femmes, elle décide en 2014 de préparer un projet qui mettra « en lumière des femmes musulmanes, plurielles, bien loin des clichés habituels », souligne la jeune femme qui devra décliner notre demande d’interview pour des raisons d’emploi du temps chargé mais qui nous renverra vers le site du Women SenseTour, extrêmement détaillé.

Ainsi, elle a sillonné, cinq mois durant, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, l’Iran et l’Indonésie, à la rencontre de 25 héroïnes à découvrir dans cinq épisodes distincts dont elle négocie actuellement les droits avec les chaines TV.

C’est un regard positif et alternatif qu’elle pose sur les cinq protagonistes du premier épisode (au Maroc) : Aïcha Ech-Channa, fondatrice et présidente de l’association Solidarité Féminine, Maha Laziri, fondatrice de l’association Teach4Morocco, Nora Belahcen Fitzgerald, fondatrice de l’association Amal pour les arts culinaires, Khadija Elharim, fondatrice de la coopérative d’argan Tifawin et Asma Lamrabet, médecin biologiste et directrice du Centre d’études et de recherches sur la question des femmes dans l’Islam.

Dans une optique de revalorisation de l’image des femmes musulmanes dans les pays musulmans. Tout d’abord pour briser le stéréotype visant à les imaginer par essence soumises et oppressées. Ensuite, pour les sortir de l’ombre et proposer des figures inspirantes :

« Pour se construire, elle a eu besoin de modèles. Sauf que ces femmes qui allient sereinement leur engagement et leur foi, on ne les voit jamais ! »

Sarah Zouak présente une autre réalité dans un feel good movie résultant d’un voyage initialement entrepris comme une quête personnelle. « On a trop souvent parlé à la place des femmes musulmanes, pour ma part, je préfère leur donner la parole. », précise-t-elle. 

Célian Ramis

Pour une assemblée théâtrale poélitique

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Le Manuel d’AutoDéfense À Méditer est officiellement lancé, après deux mois de résidence aux Ateliers du Vent à Rennes et une immersion auprès des féministes musulmanes de l’association Al Houda.
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Le Manuel d’AutoDéfense À Méditer est officiellement lancé ! Après deux mois de résidence aux Ateliers du Vent à Rennes et une immersion auprès des féministes musulmanes de l’association Al Houda, la metteuse en scène, Hélène Soulié, en lien avec la sociologue et ethnographe Aurélie Marchand, a présenté le 3 juin dernier le premier volet de MADAM, J’ouvre les yeux sur ta bouche.

Le titre est temporaire. Peut-être. Parce qu’au fil du processus de création, un sous-titre se profile. « Est-ce que tu crois que je doive m’excuser quand il y a des attentats ? » se veut plus percutant, selon Hélène Soulié. Fascinée par l’influence du contexte et des lieux sur la parole, elle questionne « comment on parle, comment on peut encore parler et comment on peut mettre des mots sur des maux. On est constitué-e-s de phrases que l’on entend, comme « t’es nulle en maths » par exemple. On est constitué-e-s de phrases, de discours, de choses que l’on se dit à soi. »

C’est lors d’une résidence à La Chartreuse (Centre national des écritures du spectacle) à Villeneuve lez Avignon que le projet MADAM va éclore dans l’esprit de la metteuse en scène qui travaille alors à l’adaptation du roman de Lola Lafont, Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce.

« C’est un texte qui parle beaucoup des femmes et du fait de dire non. Non, comme premier signe d’émancipation. J’ai relu alors ma bio féministe et ça m’a déprimé. J’avais aussi pris Non c’est non d’Iréne Zeilinger et ça c’était assez enthousiasmant. J’étais là-bas avec une autrice, Magali Mougel, et il y avait aussi Marine Bachelot Nguyen. On a beaucoup discuté. On a réalisé qu’en tant qu’artistes, au lieu d’être dans la plainte, on pouvait voir ce qui est bien : nous, on est là. On est des artistes, on est des femmes, et on agit. », raconte-t-elle.

Cet esprit d’empowerment va alors nourrir l’idée d’une création hors-norme, basée sur des groupes de femmes développant des stratégies pour être visibles et entendues.

UN CADRE AMBITIEUX

Rencontrer, relayer, faire entendre les voix de celles qui se réunissent et rendre compte de ce qu’elles mettent en place. Et parce qu’en France et ailleurs, des cours d’auto-défense féministe éclosent, le projet sera un Manuel d’AutoDéfense À Méditer en six chapitres « poélitiques », avec une distribution « 100% meufs ». À chaque volet, sont associées une autrice, une actrice et une experte (sociologue, chercheuse, philosophe…).

Car la forme est aussi ambitieuse que le fond : chaque chapitre est décliné en une assemblée théâtrale, comprenant une performance basée sur des récits de vie, un apport scientifique conférencé et un débat public. Le 3 juin sonnait l’heure de la restitution de la résidence entamée deux mois plus tôt, dans le cadre du cycle de 4 résidences en containers, « Du quartier vers l’ailleurs », élaboré par les Ateliers du Vent.

Face aux marches de la Place des containers, Lenka Luptakova, parée d’un pantalon bleu, une chemise blanche et un foulard rouge, déclame en chantant en français, puis en arabe, un verset du Coran. La première parole du texte sacré. « Lis ». Originaires de Casablanca, Angers, Damas, Rennes ou encore Tanger, elles sont françaises, musulmanes, féministes :

« On va tous les dimanches matins à la mosquée. Les maris gardent les enfants pendant qu’on étudie les textes sacrés. De 5 ou 6, on se retrouve presque avec toute une classe. »

Les voix des femmes de l’association rennaise Al Houda, passées fidèlement sous la plume de Marine Bachelot Nguyen, s’élèvent au-delà de la comédienne.

DÉPLACER LES PRATIQUES ET LES MENTALITÉS

« La rencontre a duré une dizaine de jours. On a rencontré les femmes d’Al Houda, sur une proposition de Marine, individuellement et collectivement. Moi, je venais avec mes a priori, je n’ai pas d’amies musulmanes. Elles mènent des ateliers de danse, d’écriture, de spiritualité. Elles lisent le Coran, traduisent, interprètent et cherchent à comprendre. On s’est rendues compte qu’on faisait le même boulot. », se passionne Hélène Soulié, rejointe par Lenka Luptakova :

« On est dans l’adaptation. Elles aussi elles adaptent leur religion selon leurs vies, leur conscience. Elles ne définissent pas des règles globales applicables à toutes. C’est chacune qui choisit. Dans l’association, ce n’est pas un problème de penser différemment. »

La manière de procéder, de l’immersion à la restitution volontairement effectuée sur l’espace public, et la singularité de cette cartographie des espaces féminins, obligent les protagonistes du projet à « se déplacer dans nos façons de faire théâtre » et profitent au public qui a alors les cartes en main pour déplacer son regard sur les sujets traités.

UN DISCOURS QUI DÉRANGE ET POURTANT…

Impossible de restituer ici l’ensemble des paroles. J’ouvre les yeux sur ta bouche est une réussite. Parce que ce premier chapitre est plein d’espoir et de garanties. Celles de rendre l’invisible visible. De donner à entendre les voix de celles que l’on entend rarement parce que la société préfère s’exprimer à leur place.

« Dès que j’ai le foulard, les gens changent de regard. Ils pensent que je suis soumise, aliénée, forcée par mon père ou mon mari, que je suis une victime, que je viens du bled et que je suis incapable de penser par moi-même. Il faut me l’arracher pour que je devienne une femme libre ? L’Islam est un océan et tout le monde patauge dans la même flaque. »

Les paroles des membres d’Al Houda sont saisissantes et éclatantes de vérités. Ce discours dérange parce qu’il met à mal les idées reçues, les arguments des politiques sécuritaires bâties sur fond d’islamophobie et la pensée de certaines féministes occidentales qui reproduisent ici les systèmes de domination dont elles essayent pourtant de s’émanciper. Mais l’émancipation n’a pas un modèle unique :

« Les féministes institutionnelles disent qu’on vient abolir les avancées, qu’on vient pour retourner en arrière et qu’on est des dangers pour les françaises. Moi aussi je suis française et je suis sûre qu’on est d’accord sur plein de choses. Mais elles sont bloquées sur notre foulard. » Rappelons qu’Al Houda n’est pas une réunion de femmes voilées mais défend la liberté de chacune à pouvoir choisir de porter le foulard ou non.

Laïcité, attentats, stigmatisation mais aussi respect, non jugement, liberté. MADAM#1 nous rappelle que le tableau n’est jamais tout noir ou tout blanc. La complexité de la situation est mise en lumière et en voix, puis remise dans le contexte et dans la perspective du quotidien par la chercheuse doctorante en sociologie à Strasbourg et militante féministe Hanane Karimi.

Les exemples de stratégies utilisées par différents groupes de femmes musulmanes démontrent l’importance de l’auto-émancipation et la puissance de leurs capacités à agir, loin de l’image infantilisante véhiculée par les médias et politiques. Ainsi, dans les mois et années à venir, viendront s’écrire les cinq prochains chapitres du Manuel qui bruisseront au son des voix des basketteuses, des street artists, pour sûr, et peut-être des soldates, des prostituées ou encore des motardes.

 

Célian Ramis

Cherchez la femme, sous le voile intégral

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Cinéma Gaumont Rennes
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Sou Abadi signe son premier long-métrage de fiction avec Cherchez la femme. Le 15 juin, la réalisatrice était accompagnée de Félix Moati, pour présenter le film, au cinéma Gaumont de Rennes.
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Sou Abadi signe son premier long-métrage de fiction avec Cherchez la femme. Le 15 juin, la réalisatrice était accompagnée de son acteur principal, Félix Moati, pour présenter le film en avant-première, au cinéma Gaumont de Rennes.

Leïla (Camélia Jordana) et Armand (Félix Moati), tous les deux à Sciences Po, sont en couple. Un couple que Mahmoud (William Lebghil), le grand frère de Leïla tout juste revenu de plusieurs mois au Yémen, désapprouve. Au point de séquestrer sa sœur dans l’appartement. Pour la voir, Armand se cache sous un voile intégral, en se faisant passer pour Schéhérazade. Séduit par cette dernière, Mahmoud se met en tête de l’épouser.

La situation de départ est casse-gueule et la comédie, un genre périlleux. « C’est un thème que tout le monde connaît, dont tout le monde parle. Autant le traiter avec humour ! », explique la réalisatrice, Sou Abadi. Inspirée par Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder, elle souhaitait faire un film de travestissement à son tour, en y intégrant le voile, à partir de son expérience personnelle.

L’IRAN, EN TOILE DE FOND

« En 2001, j’ai dû me rendre en Iran pour mon documentaire (SOS à Téhéran, ndlr). Pour aller dans les institutions, il faut mettre le tchador. Les situations que vit Schéhérazade, je les ai vécues. Pour le thé, par exemple, c’est une coutume. On vous sert le thé, on vous considère comme une invitée. A ce moment-là, je ne savais pas du tout comment faire pour le boire. Je ne comprenais plus ce qu’on me disait et je ne comprenais plus ce que je disais. », souligne-t-elle.

En racontant ses diverses anecdotes, elle prend conscience du ressort comique de ces situations, qu’elle n’a pourtant pas vécu de manière humoristique : « Dans ce film, je rigole d’abord de moi-même. Les parents d’Armand sont mes parents, en plus exagérés évidemment. Et puis, il y a aussi toutes les réflexions que fait Mahmoud sur Sciences Po qui sont là aussi parce que j’ai voulu chatouiller les élites. Tout le monde en prend pour son grade, pour qu’on arrive à rire tous ensemble. »

D’origine iranienne, elle souhaite également rendre hommage à toutes les femmes de son pays qui essaient de lutter depuis la fin de la Révolution et l’arrivée des religieux au pouvoir. Elle le dit et le revendique : toute religion peut devenir dangereuse dès lors qu’elle prend le pouvoir. La Pologne, la Hongrie, l’Iran en sont des exemples. Ce à quoi elle ajoute que la religion doit rester dans la sphère privée et ne doit pas diriger la dimension politique et citoyenne.

« Mitra (la mère d’Armand, incarnée par la talentueuse Anne Alvaro, ndlr) est représentative de cette génération, de ces femmes qui se battent pour faire du vélo, pour chanter, pour montrer leurs cheveux, pour mettre du vernis. Ça peut paraître risible comme ça mais pour elles, c’est une réalité. », insiste Sou Abadi.

L’ISLAM, PAS QU’UNE RELIGION

Dans le film, la douleur du destin iranien se confronte au repli identitaire de certains individus des quartiers stigmatisés. Et la réalisatrice ne fait pas dans la demie mesure en opposant volontairement « les éduqués aux ignorants ». Ses positions sont claires : « c’est par l’éducation qu’on pourra sortir de cette tragédie. L’Etat doit aussi tenir ses promesses envers les quartiers sensibles pour éviter le repli. Le sentiment d’humiliation est réel. Le constat sur la société française est vrai. Je ne suis pas d’accord avec la solution du djihad mais l’humiliation est réelle. »

Ainsi, elle opte pour un Mahmoud qui, par faille affective, se réfugie avec rigidité dans la religion. Sur une pente glissante, il s’embarque vers une interprétation stricte et sévère des préceptes du Coran, sans véritablement le connaître. C’est Schéhérazade qui lui insufflera les valeurs de l’Islam : « Je tenais à ce qu’il ne tombe pas dans l’extrémisme, sans pour autant qu’il perde ses croyances. »

Subtilement, Sou Abadi dévoile la poésie de l’Islam, comme civilisation à part entière et non uniquement restreinte à sa religion et ses stigmates. Avec des références à Mahmoud Darwich tout d’abord, des citations du Coran mais aussi la lecture du Cantique des oiseaux, de Farîd od-dîn ‘Attâr, avec des vers qu’elle mêle en parallèle à ceux de Victor Hugo.

« La spiritualité, les maths, la médecine, Avéroès, l’âge d’or du 13e siècle,… C’est délirant en terme artistique ! L’Europe régresse à un tel niveau consternant avec son idéologie de la peur et du déclin. Et du rejet ! », ajoute Félix Moati.

ET VIENT LE DÉBAT AUTOUR DU VOILE

Cherchez la femme n’est pas un procès grossier à l’Islam mais illustre les opinions politiques de la réalisatrice qui souhaite également témoigner des vécus de son entourage :

« Quand ma petite cousine est venue en France pour son doctorat en génétique, elle portait le foulard. Puis elle a décidé de l’enlever. J’ai beaucoup discuté avec elle à ce moment-là parce que je ne voulais pas qu’elle l’enlève à cause de la pression sociale. Et elle m’a répondu qu’elle l’enlevait parce que le Coran recommande de ne pas se faire remarquer. Alors que le voile produit l’inverse. Ça je l’ai mis dans le film. »

Il s’agit donc bien de pression sociale puisque le débat sur le voile en France est sans fin et agite particulièrement l’opinion publique, cristallisant précisément la peur et le rejet. « Oui, c’est vrai, reprend-elle alors. Ce que je lui disais, c’est de ne pas enlever son voile tant qu’elle n’était pas à l’aise. Je suis pour la liberté d’expression. Le port du voile, c’est quelque chose qui me dérange mais nous sommes en démocratie et il faut respecter les choix des un-e-s et des autres. »

Elle ne peut s’empêcher de penser à la brigade des mœurs en Iran et à l’effet que cela produit sur elle de voir là-bas les femmes voilées. Elle entend également les discours de ses amies demandant pourquoi les françaises portent le voile tandis qu’elles n’y sont pas contraintes. Parce qu’elles, voudraient l’enlever. Un discours que tiennent aussi une partie des féministes occidentales, dont Elisabeth Badinter par exemple.

Et cette manière dont tout le monde s’empare du sujet dans l’Hexagone, et dont chacun-e voudrait arracher le voile à la femme musulmane qui le porte, donne lieu à une scène assez violente, révélatrice de vérités, dans laquelle Schéhérazade se voit devenir l’objet de tous les commentaires des usagers du bus, dont sa mère, qui s’est battue en Iran pour que cela n’arrive pas.

« J’ai une amie iranienne qui fait ça constamment. Dès qu’elle voit une femme voilée, elle lui tient ce genre de discours. Comme la femme qui lui dit « On n’a pas de voile et on n’est pas des putes pour autant »… »

Félix Moati se souvient de la violence ressentie sur le tournage : « J’aime beaucoup le costume qu’enfile l’acteur. Là, en enfilant le tchador, j’ai senti l’animosité et l’hostilité dans les regards. Et pendant cette scène, je n’étais pas bien, je voulais la défendre. Je crois qu’en tant qu’acteur, on fait des choix politiques, malgré nous. Ici, ce qui était intéressant, c’est que le film traite d’une question et d’une angoisse contemporaine. Pour le voile, je pense que la question est très épineuse et qu’elle ne me concerne pas. Il faudrait vraiment interroger les femmes voilées, c’est elles qui peuvent en parler. »

Pas de quoi rire à première vue. Il faut l’avouer, Cherchez la femme ne nous a pas rendu hilares. Mais au moins, Sou Abadi prend le risque de montrer les choses telles qu’elle les pense et les vit, loin de la bienveillance niaise et lourde de comédies telles que Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? ou À bras ouverts. Et nous invite tout de même à découvrir de jolies choses que les grosses ficelles du genre n’écrasent pas.

Célian Ramis

8 mars : La littérature, pour exprimer l'intime

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Le 29 mars, à l'Antipode, la romancière Fawzia Zouari revenait sur son parcours, ses origines, sa passion de l’écriture et sa quête de l’intime, à travers son ouvrage Le corps de ma mère.
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Le 29 mars, au café de l’Antipode MJC à Rennes, la romancière Fawzia Zouari revenait sur son parcours, ses origines, sa passion de l’écriture et sa quête de l’intime, notamment à travers celui de sa mère qu’elle dévoile dans son ouvrage Le corps de ma mère.

Elle est née en Tunisie dans une famille de quatre frères et cinq sœurs et vit en France depuis 30 ans. Et elle est la première des filles de la famille à avoir poursuivi son cursus scolaire. Parce qu’elle est « fille de Bourguiba ». Façon de parler, évidemment. Ses sœurs n’ont pas eu cette chance, celle de vivre leur adolescence après l’indépendance.

« Vous voyez le film Mustang ? C’était exactement ça. A un certain âge, on enlève les filles de l’école, on les enferme entre quatre murs et on lève les grilles en attendant qu’elles se marient. Moi, c’est d’abord mon père qui m’a sauvée, j’allais au lycée à 30 km de mon village. Après mon bac, ma mère a voulu que je rentre. Là, c’est encore un homme qui m’a sauvée. Mon frère. Je suis allée à l’université de Tunis puis j’ai poursuivi mes études de littérature comparée en France. J’ai un mari français et des enfants français. », dit-elle.

Arrivée dans l’Hexagone, elle fait une thèse avant de travailler à l’Institut du monde arabe et de se rendre compte que ce n’est pas pour elle. Elle, elle veut écrire. Ce qu’elle entreprend alors auprès du média Jeune Afrique. Là encore, ce n’est pas pour elle. « Je pige encore de temps en temps mais ça a été une violence de découvrir que l’écriture journalistique n’a rien à voir avec l’écriture. », précise Fawzia Zouari.

LE RAPPORT À L’ÉCRITURE

L’écriture est pour elle pour manière d’explorer l’intime. Celui de son enfance en particulier. Il constitue sa matière privilégiée. Dès le début de sa carrière, elle a souhaité en finir « avec Shéhérazade ». Cette figure exotique qui fait fantasmer. « On peut écrire le jour, pas uniquement la nuit, pas uniquement pour les hommes. », souligne-t-elle, croisant des récits en lien avec la famille, la relation entre la France et la Tunisie, la relation entre l’Occident et l’Orient.

Dans Le corps de ma mère, elle inscrit les femmes de sa famille dans la tradition écrite de la littérature. Comme pour réparer une injustice. Car entre femmes, tout est oral. On taira les confidences d’une mère enceinte à sa future fille et on gardera en mémoire les silences et les mythes racontés. Et dans l’arbre généalogique, elles ne seront que les absentes.

« J’ai regardé l’arbre généalogique de ma famille. Il va jusqu’à Eve et Adam, en passant par Noé et le Prophète. Il n’y a que les hommes dessus. Comme il n’y a pas assez de places, on ne met pas les femmes. »
raconte Fawzia Zouari.

Après mure réflexion et une révolution tunisienne, elle décide de transgresser la tradition maghrébine. Celle qui dépeint des femmes mères manifestement sacralisées. Comme elle le dit, elle taille dans la légende : « Nous avons une phrase qui dit « Le paradis est sous le pied de vos mères » mais les mères sont humaines et elles ne correspondent pas toujours au modèle. »

Sacrilège donc. L’auteure outrepasse cet interdit officieux, privant quiconque de coucher sur papier l’intime de sa famille. Pire celui d’une mère. Défunte qui plus est. Et dans la langue des « Infidèles ». Il s’agit là d’un tour de passe-passe. Pour que les sœurs de Fawzia ne puissent comprendre le texte. Comprendre qu’elle a rompu à ce niveau-là avec la tradition.

LE RAPPORT À SES RACINES

À la fin de sa vie, sa mère tombe amoureuse du concierge de son immeuble. Et entretient avec cet homme des relations sexuelles. « Elle tient un discours obscène, ça a choqué mon lectorat tunisien. Alors pour la version arabe et pour mes sœurs, on a mis sur le livre qu’il s’agissait d’un roman et non d’un récit comme on l’indique en France. Pour qu’on puisse leur dire qu’il ne s’agissait pas réellement de ma mère mais d’un personnage de fiction. », justifie-t-elle.

Pour le reste, elle se défend de ne pas avoir renié ses origines. Elle garde en elle les valeurs inculquées, les souvenirs, les contes racontés par sa mère qui craignait les démons et les djinns et insiste sur le fait qu’elle n’a « pas rompu avec le socle fondamental de (ses) racines ». Au contraire, pour elle, l’exil a renforcé son ancrage dans ses terres et son ouverture d’esprit.

Mais elle se souvient aussi du jour où ses sœurs n’ont plus pu aller à l’école. Du choix de certaines de se voiler. De ce que les femmes subissaient avant l’indépendance (polygamie, répudiation, interdiction d’avorter, de s’instruire,…). De ce qu’elles ont cru acquérir lors de la Révolution tunisienne et de ce qu’elles doivent continuer à combattre, aujourd’hui encore.

Elle semble fatiguée de se justifier. De prouver sa légitimité à s’exprimer. A refuser le voile et à prendre position contre le port du voile. Sa nationalité tunisienne ne constitue pas un rempart à l’esprit critique. A la réflexion autour de l’éducation, la religion, la culture et la langue. Elle qui a étudié la littérature et s’intéresse de près au langage. Elle s’interroge sur ce que sa mère appelait « la langue des Infidèles », autrement dit, le français :

« La langue maternelle est pour moi celle dans laquelle on arrive à raconter nos mères sans les trahir. L’arabe est pour la langue paternelle puisqu’elle est celle des hommes qui enferment les femmes et els rendent absentes. »

LE RAPPORT À LA MÈRE

Et ce qu’elle essaye de transmettre ici, dans sa propre langue maternelle – qu’elle envisage avec des mots français sur fond de chants coraniques et de psalmodies – c’est le monde maternel. Celui qui a vu sa fin lors de la révolution de Jasmin : « La Tunisie basculait, son monde se terminait. J’ai eu envie d’écrire sur elle à ce moment. Pendant longtemps je me suis demandée si j’avais bien fait. J’ai plusieurs fois culpabilisé et au cimetière de mon village, j’ai plusieurs fois demandé pardon. »

Plusieurs réalités s’entrecroisent dans Le corps de ma mère. Celle que Fawzia retient de sa mère, dont elle verra les cheveux pour la première fois lorsque celle-ci sera dans le coma, les jours derniers jours durant de sa vie, celle que sa mère leur a léguée avec les rituels et les légendes et celle que sa mère a vécu.

Elle est une femme secrète et discrète. Recluse dans sa maison, le voile tunisien sur la tête. Dans le ventre de sa mère, elle a été sa confidente. Celle à qui le combat contre la polygamie revient. Jusqu’à la hanter et l’obséder. Derrière les murs de la demeure, elle sait pourtant tout ce qu’il se passe à l’extérieur. Et semble même contrôler le cours des choses dans le village. Tout le monde le sait, tout le monde la craint.

Lorsqu’elle tombe malade, ses enfants l’emmènent à Tunis, loin de son village qu’elle veut à tout prix retrouver. « C’est là que j’appelle ça l’exil de ma mère. A ce moment-là, elle devient aveugle. Tous les jours, elle s’imagine dans son village. Pour punir ses enfants, elle va simuler un Alzheimer, ne se souvenant plus de nous. Et elle ne racontera jamais ses histoires à elle, à part à ses aides à domicile. », précise Fawzia.

Néanmoins, l’intimité de cette mère loyale à ses valeurs est dévoilée. On y découvre une figure de force et de courage, en proie à des peurs transmises par son héritage familial, fidèle à ses croyances, amoureuse de son époux et assurément apathique envers ses enfants. On se demande alors si son silence relève de la punition ou de la protection. Ou simplement de l’indifférence pour sa progéniture qu’elle ne considère pas digne de recevoir le patrimoine familial en transmission.

Et à travers ce récit, l’auteure nous invite à nous plonger dans notre propre histoire. Notre rapport à la famille, à nos origines profondes. Et à ce que l’on dit, et ce que l’on ne dit pas. Ce que l’on transmet en tant que femme et entre femmes. Dommage que parce que l’auteure est tunisienne, la discussion dévie forcément en polémique sur le port du voile. Un glissement que Fawzia Zouari craint à chaque rencontre et regrette.

Tout autant qu’elle regrette l’islamophobie de gauche ambiante, prétendant secourir les musulmans. « On considère qu’un musulman est forcément une victime. Je n’aime pas ce mépris, cette façon de pleurer sur les musulmans. C’est une nouvelle forme de colonisation. », conclut-elle, parlant d’omerta et de protectionnisme envers les musulmans.

Célian Ramis

8 mars : Le féminisme de la frontière contre le maternalisme politique

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Maison Internationale de Rennes
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Soumaya Mestiri, philosophe à l’université de Tunis, présentait son ouvrage "Décoloniser le féminisme, une approche transculturelle", aux côtés de l’anthropologue et historienne Jocelyne Dakhlia, le 8 mars à la MIR.
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Elle appelle à en finir avec l’hégémonie du féminisme majoritaire, blanc et occidental, et à questionner les traditions orientales pour tendre vers un féminisme de la frontière, plus solidaire et horizontal.

Soumaya Mestiri, philosophe et professeure de philosophie à l’université de Tunis, était l’invitée de la librairie Planète Io pour présenter son ouvrage Décoloniser le féminisme, une approche transculturelle, aux côtés de l’anthropologue et historienne franco-tunisienne Jocelyne Dakhlia, le 8 mars dernier à la Maison internationale de Rennes.

« Ne me libère pas, je m’en charge ». Elle ne le dira pas durant ce temps d’échanges mais l’esprit de ce slogan, emprunt d’émancipation, résonnera dans les esprits au fil de son discours. Pour Soumaya Mestiri, exit le féminisme universaliste d’Elisabeth Badinter ou Caroline Fourest.

Elle pose le diagnostic qu’il existe un féminisme majoritaire, blanc, occidentalo-centré, « qui défend un certain mode de vie et qui tente de l’imposer à toutes les femmes en dépit de leur diversité. C’est une vision bien particulière de la liberté. Celles et ceux qui établissent ce diagnostic sont souvent stigmatisé-e-s. »

DÉCOLONISER LE FÉMINISME 

Décoloniser – terme qu’elle estime galvaudé, souvent vidé de sa substance et de son potentiel subversif et qui attise la rancœur – revient pour la philosophe à déconstruire, soit repérer les non dits, les hiatus, exhiber les préjugés inhérents au féminisme majoritaire blanc.

« Il faut déconstruire les discours et approches féministes appréhendés comme voulant être inclusifs alors qu’ils ne le sont pas. Il s’agit là de critiquer aussi bien le caractère colonial de ce féminisme mais aussi de critiquer sa propre tradition orientale. »
souligne-t-elle.

La pensée décoloniale, qui se distingue des études postcoloniales, ne nie ni ne rejette l’Occident. Mais il s’agit de lutter contre la verticalité des relations, qui revient souvent à engendrer un nouveau rapport de domination. Et dans les féminismes, qu’il provienne de l’Occident ou non, on reprochera souvent le « maternalisme politique, souvent vertical et élitiste, qui se donne pour mission de prendre en charge les femmes et leur faire comprendre ce qu’elles n’ont soi-disant pas compris. »

Pour Jocelyne Dakhlia, « nous sommes à un tournant. Durant le XXe siècle, on a fonctionné de manière convergente. Tous les Suds étaient dans la catégorie Tiers monde et devaient agir comme l’Occident pour avancer, en suivant la logique émancipatrice (par le haut, par les lois, par les interdits). En Occident, on continue de penser qu’on est le modèle tandis que les autres réfléchissent à d’autres moyens. »

La sociologue Zahra Ali, auteure de l’essai Féminismes islamiques, défend également l’idée d’un féminisme décolonial pour tendre vers un féminisme international et pluriel. Lors d’un entretien à la revue Ballast, elle définit ce concept :

« Décoloniser le féminisme veut dire reconnaître les dimensions de classe et de race dans la pensée féministe hégémonique, et mettre à l’égalité les différentes expressions de la lutte contre le patriarcat, sans supposer une forme linéaire d’évolution des formes de luttes sociales et politiques. »

ACCEPTER LA PLURALITÉ

Elle prône, dans cette même interview, l’intersectionnnalité des luttes, la reconnaissance de la pluralité des expressions de l’émancipation des femmes et des hommes, la prise en compte des différentes dimensions de l’oppression et des inégalités.

« J’aime cette idée de Chandra Talpade Mohanty qui dit qu’être féministe, c’est reste « au plus près » des réalités – et donc les analyser telles qu’elles émergent, et non à partir d’un schéma idéologique ou politique préétabli. Il faut écouter et être attentif à la souffrance pour ce qu’elle est, et non pas uniquement à partir de notre manière personnelle et située de la vivre et de la définir. Commencer par se situer soi-même est essentiel. Situer sa parole, situer d’où l’on parle, plutôt que d’universaliser ses énoncés, est une première étape. Tout le monde est situé socialement, économiquement, politiquement, etc. », explique Zahra Ali.

Et comme dans les féminismes occidentaux laïcs, les féminismes religieux sont pluriels. En Tunisie, Soumaya Mestiri distingue le féminisme islamique du féminisme musulman. Le premier serait issu de la diaspora islamique : « C’est un parti de femmes islamiques. Elles n’essayent pas de faire avancer les choses ou à promouvoir la cause des femmes musulmanes à la manière du féminisme musulman qui essaye lui de déconstruire les lectures et interprétations du Coran et à en comprendre le patriarcat. »

Si le second lui apparaît comme plus propice à l’émancipation, elle ne lui voit pas un avenir prospère. Au contraire de Jocelyne Dakhlia qui, elle, voit en ce féminisme un mouvement positif.

« Le problème, c’est que l’on envisage le féminisme comme le dernier refuge anti-colonial. Tout le blocage n’est pas dans la religion musulmane. Si on regarde la France, voyez la Manif pour tous, si on regarde la Pologne et sa tentative de recul sur l’IVG… Moi, je pense qu’il y a aussi des bonnes choses, le féminisme religieux compte aussi, on peut prendre l’exemple du travail anglican, des femmes ordonnées rabbins, évêques, etc. En Tunisie, le féminisme musulman est un mouvement embryonnaire. Mais il est important de mettre en lumière le dynamisme de ce mouvement qui montre que l’on peut interpréter les textes et qui montre qu’il y a des générations pour qui on peut être homosexuel-le-s et musulman-e-s, prier ensemble et que les femmes peuvent diriger la prière devant les hommes. Cela aide à faire bouger les lignes. Il existe des mosquées inclusives LGBT mais on n’en parle pas. L’Islam peut être new age, écolo… On se dit que ce n’est pas l’Islam mais si. », souligne-t-elle.

Sans oublier que le danger réside dans la récupération politique que certains partis effectuent sans vergogne. En ligne de mire, le Front National, qui instrumentalise actuellement le féminisme, un point que le réalisateur Lucas Belvaux ne manque pas de mettre en perspective dans son dernier film, Chez nous (lire Chez nous, les rouages néfastes d’un parti extrémiste – 20/02/2017 – yeggmag.fr).

« Lorsque les politiques disent dans leurs discours « Nous, nos femmes sont libres », ils insinuent clairement les autres, les orientales en autre, ne le sont pas. »
précise l’anthropologue.

L’OCCIDENT CONTRE L’ISLAM

Deux exemples illustrent leurs propos. Tout d’abord, la manière dont les banlieues ont été pensées en France. Non pas en tant que monde en soi mais comme marge avec un dysfonctionnement structurel. « D’emblée, on a pensé que les femmes des banlieues étaient les bons éléments à extraire. Une étude sur « la beurrette » l’a montrée comme une fille docile qi ne demande qu’à s’intégrer. Mais la réalité est que les mêmes problèmes se posent pour les filles et les garçons. Cela a provoqué un rejet massif des banlieues et des filles qui ont eu le culot de se voiler. », analyse Jocelyne Dakhlia.

Et la création de Ni putes, ni soumises n’y changera rien. Loin de là, souligne-t-elle en précisant que l’association a été « parachutée par le politique, dans une logique de stigmatisation des gens qu’ils ont prétendus aider. »

Autre exemple plus récent, celui des agressions survenues la nuit de la Saint Sylvestre, en 2015, à Cologne en Allemagne. Ou plutôt celui des réactions à cette affaire. Bon nombre de polémiques divisant sur le sexisme ou le racisme qu’il en ressortait. Et ce qui a particulièrement choqué Jocelyne : l’article de Kamel Daoud, écrivain algérien, publié dans le journal Le Monde, qui se plaçait selon elle dans une perspective coloniale :

« Il disait clairement aux Occidentaux que s’ils accueillaient des orientaux, il fallait les rééduquer. Cela a créé un malaise profond. »

Elle remet les choses dans leur contexte. La France est choquée des attentats du 13 novembre et se défoule, après que la population se soit vue interdite de manifestation, à cause de l’état d’urgence. Au même moment, un million de réfugiés étaient en train d’être accueillis en Allemagne « alors que personne en Europe n’en voulait. » L’affaire devient alors l’occasion de brandir la haine contre les musulmans.

« La femme blanche contre l’homme de couleur. On ne parle que des femmes allemandes. Où étaient les hommes allemands ? Qu’en est-il des femmes réfugiées ? À cette période, un foyer de femmes réfugiées a porté plainte contre les gardiens qui les ont filmées sous la douche ou en train d’allaiter. Et a aussi porté plainte pour harcèlement. Ça, on n’en a pas parlé. On aborde le sujet quand les victimes sont des femmes blanches et les bourreaux des réfugiés. Mais quand les victimes sont des réfugiées contre des bourreaux blancs, non. On instrumentalise le corps des femmes blanches et la cause féministe contre l’accueil des réfugiés et contre le politique d’accueil d’Angela Merkel. », commente-t-elle.

L’ALTERNATIVE : LE FÉMINISME DE LA FRONTIÈRE

Les deux expertes se rejoignent : la morale du Nord en direction du Sud doit cesser. Soumaya Mestiri insiste, le féminisme de la frontière peut permettre une cohabitation harmonieuse entre les Nords et les Suds. Elle établit une distinction entre « à la frontière » et « de la frontière ».

La première notion prétend hypocritement prendre en compte la différence et la diversité. Mais, à l’instar du féminisme majoritaire occidentalo-centré et du féminisme islamique, elle « reproduit généralement la dichotomie qu’elle dit vouloir dépasser. Si c’était le cas, chacun opérerait une double critique comme on le fait ici mais chacun ne fait au moins qu’une seule critique. »

La seconde notion, celle qu’elle prône, propose d’habiter la frontière.

« Comme on dit « je suis de Rennes », on dirait « je suis de la frontière », sans gommer les frontières et sans les reconstruire de manière figée et manichéenne.»
souligne-t-elle.

Pour Soumaya, les vécus, expériences et narrations sont incommensurables.

Le féminisme de la frontière ne revendique pas la compréhension mais l’acceptation, pour vivre ensemble. « On n’a pas besoin de nous retrouver les unes dans les autres mais de nous trouver dans notre diversité. Pour moi, il est important d’essayer de remplacer l’égalité par la réciprocité, qui est une manière de penser la solidarité au plus juste et de penser horizontal. Il faut casser la verticalité : les élites qui s’adressent à des peuples qui ne connaitraient soi-disant pas leurs droits. En finir avec le maternalisme politique visant à sauver les femmes d’elles-mêmes et de leurs males basanés. », conclut Soumaya Mestiri.

Elle le sait, son constat peut s’avérer violent et paraître agressif. En tout cas, il suscite interrogations et débats. Voire vives contestations. Pourtant, il est essentiel de l’entendre. Pour interroger ses propres pratiques et tendre vers une remise en question essentielle pour envisager les féminismes avec une approche plus inclusive et davantage orientée vers l’intersectionnalité des luttes.

Célian Ramis

Que les femmes arabes arrachent leur liberté !

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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prônait l’avocate Nadia Aït Zaï, le 15 mars dernier, à la MIR, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie.
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prône l’avocate Nadia Aït Zaï, également professeure à la faculté de droit d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme. Le 15 mars dernier, à la MIR, la militante pour les droits des femmes abordait les conditions de vie des femmes algériennes mais aussi tunisiennes et marocaines, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie, organisée par l’association de jumelage Rennes-Sétif.

« Les images qui vous viennent en France, de par les faits divers, les journaux, les journalistes, etc. donnent une image de la femme algérienne sans aucun droit. La situation est encore inégalitaire et discriminatoire mais elle évolue favorablement. Je fais partie d’un mouvement féminin, je ne sais pas si je suis féministe mais il faut toujours essayer de défendre les droits des femmes, considérer la femme comme un individu, un sujet de droit. Car tout tourne autour de ça. », lance Nadia Aït Zaï au commencement de sa conférence.

Tout comme le précise Fatimata Warou, présidente de l’association Mata, à Rennes, dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, « on considère souvent que la femme n’a pas de valeur, elle est chosifiée ». Et cette image colle à la peau des femmes du continent africain, du Moyen Orient et du Proche Orient. En témoignent toutes les intervenantes invitées à s’exprimer dans le cadre de la programmation du 8 mars à Rennes. Une explication pour l’avocate algérienne : les guerres d’indépendance et les périodes post libération.

BAISSER LES ARMES

Pourtant, les femmes du monde arabe – Maghreb et Egypte – ont participé à ces luttes. « Elles ont bravé la tradition pour la guerre d’indépendance (1954 à 1962, en Algérie, ndlr), certaines ont fait le maquis, ont pris les armes, ont brisé la digue des interdits ! », scande Nadia Aït Zaï. Mais, poursuit-elle, une fois l’indépendance déclarée, la digue a été refermée sur les femmes, lâchées par les hommes :

« Elles ont été éloignées du vrai combat, de la vie politique. C’est à partir de là que va se nourrir l’image qu’ont les politiques, les sociétés sur nous. »

Malgré le droit de vote (droit d’être éligibles et électrices) obtenu en 1944, elles n’ont pourtant pas un réel accès à la représentativité, une petite dizaine d’élues seulement accédant au Parlement dans les années 60 et 70. Le droit au travail n’est pas non plus saisi comme élément libérateur, seul 18% de la population féminine travaillant en Algérie.

« C’est le taux le plus bas du Maghreb. Il a été libérateur à un moment mais il n’est plus considéré tel quel. Selon une enquête de 2013, 18% des célibataires travaillent, 11% des femmes mariées, 30% des femmes divorcées et 6% des veuves. En fait, quand les femmes trouvent des maris, elles quittent leur emploi. Elles travaillent pour se faire un trousseau comme on dit ! Pour le jour du mariage…, ironise Nadia Aït Zaï. Il y a eu tout un travail insidieux de la part des islamistes dans les années 90. »

En effet, quelques années plus tôt, le Code de la famille est voté. En 1984, précisément. Et sur ce point, les femmes n’ont pas voix au chapitre, malgré les manifestations et contestations de la part des féministes, y compris de Zohra Drif, sénatrice et épouse de Rabah Drif, alors président de l’Assemblée populaire nationale. Le Code de la famille réinstaure des éléments de la charia, instaure une tutelle pour diminuer les droits juridiques des femmes, maintenues sous la coupe masculine et patriarcale, et légalise entre autre la polygamie. Sans oublier qu’il vient contredire et rompre les articles et principes de la Constitution de 1976 signifiant l’égalité de tous les citoyens.

Une double dualité s’instaure : être des citoyennes dans la sphère publique et être considérées comme mineures dans la sphère privée.

50 ANS DE MOBILISATION

« Pourtant, il y a 50 ans déjà, la liberté et l’émancipation semblaient promises aux femmes arabes. Alors que leurs pays accédaient à l’indépendance, certaines d’entre elles, comme les actrices et danseuses égyptiennes exposaient fièrement un corps libre et sensuel. Et les leaders politiques de l’époque, libérateurs des peuples, déclaraient tous aussi vouloir libérer les femmes. 50 ans plus tard, les femmes arabes doivent pourtant lutter plus que jamais pour conquérir ou défendre leurs droits chèrement acquis. Et leur condition ne s’est pas vraiment améliorée. Ou si peu. Que s’est-il passé ? Et comment les femmes arabes parviendront-elles à bousculer des sociétés cadenassées par le sexisme et le patriarcat ? »

C’est l’introduction et les questions que pose la réalisatrice Feriel Ben Mahmoud en 2014 dans le documentaire La révolution des femmes – Un siècle de féminisme arabe. Un film qui raconte leurs luttes et leur histoire. Et montre surtout la détermination de ces femmes à acquérir leur liberté et l’égalité des sexes. Pour la présidente du Ciddef, « l’égalité est virtuelle, elle est à construire. Mais des efforts ont été faits. »

Dès le début du XXe siècle, des hommes, comme le penseur tunisien Tahar Haddad, et des femmes, comme la militante égyptienne Huda Sharawi – désignée dans le documentaire comme la première femme féministe arabe, elle a retiré son voile en public en 1923, créé l’Union féministe égyptienne et lutté pour la coopération entre militantes arabes et militantes européennes – se mobilisent pour défendre les droits des femmes et affirmer l’idée que la libération des pays arabo-musulmans ne peut passer que par l’acquisition de l’égalité des sexes, la modernité d’une société se mesurant sur ce point-là, comme le précise l’historienne Sophie Bessis en parlant de « pensées réformistes, modernistes », concernant l’Egypte, le Liban, la Syrie et la Tunisie.

Un discours que tiendra également la présentatrice radio et télé, et militante féministe Fathia Saidi, le 23 mars lors de son intervention à la conférence "La lutte des femmes à travers le monde pour un espace public de paix et de non-violence", organisée à la Maison des Associations de Rennes : "C'est à travers les droits des femmes que l'on mesure les progrès d'une société. L'avenir pour la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités."

C’est dans cet esprit que le penseur égyptien Kassem Amin, en 1899, affronte l’idéologie religieuse interprétée par des hommes. Il ne s’oppose pas à l’Islam mais bel et bien à l’interprétation des traditions et des textes, considérant que la libération des femmes permettrait de lutter contre le déclin d’un pays. « Imposer le voile à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage. C’est quand même étonnant, pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile, de dérober leur visage au regard des femmes s’ils craignent de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle de la femme ? », s’interroge-t-il.

L’INSPIRATION DE LA TUNISIE

Habib Bourguiba, en 1956, devient le premier Président de la république en Tunisie. Il proclame le Code du statut personnel, qui abolit la polygamie et la répudiation, instaure le divorce et fixe l’âge légal du mariage à 17 ans. Il dévoilera même plusieurs femmes en public et, sans aller jusqu’à l’égalité entre les femmes et les hommes, inaugurera le féminisme d’Etat. Education gratuite, droit au travail, création du planning familial, accès à la contraception dès la deuxième moitié des années 60, légalisation de l’avortement, sans condition et pour toutes les tunisiennes, en 1973… La Tunisie est et reste une exception au sein du monde arabe.

Car si certains pays ont essayé de promouvoir une autre image de la femme, notamment en Egypte, qui dans les années 50 sera le centre du cinéma arabe et montrera des figures féminines modernes, le colonel Nasser, au pouvoir depuis 1956, ne pourra s’opposer très longtemps aux conservateurs que sont les membres de la Société des frères musulmans.

Malgré la marginalisation du combat des femmes dans la plupart des pays arabes après l’obtention de leur indépendance, les mouvements féministes ne vont pas se contenter des quelques droits obtenus et vont créer une cohésion entre pays maghrébins. Pour l’Algérie, ce sont de longues années de lutte profonde qui voient le jour dans les années 90.

CHANGER LES LOIS ET LES MENTALITÉS

Le Ciddef, créé en 2002, ne lâche rien et travaille constamment sur des actions et des plaidoyers permettant de faire évoluer les lois. Pendant 12 ans, la structure a lutté pour obtenir une loi instaurant des quotas (2012), permettant ainsi aux femmes d’accéder aux fonctions électives et administratives. Ainsi, 147 femmes ont été élues au Parlement lors des dernières élections législatives.

Mais si les lois évoluent, les mentalités sont quant à elles extrêmement difficiles à changer. Et les femmes que Charlotte Bienaimé, auteure de documentaires sur France Culture et Arte Radio, a rencontrées et interviewées - en sillonnant à partir de 2011 divers pays arabes – l’affirment. Elles s’insurgent, critiquent, analysent, décryptent, observent et témoignent de leurs vécus dans le livre de la journaliste, Féministes du monde arabe, publié aux éditions Les Arènes en janvier 2016.

Madja est algérienne. Elle a 27 ans au moment de l’échange avec Charlotte Bienaimé et vit à Alger. Elle explique, page 76 : « Les gens estiment que pour que les femmes sortent, il faut qu’elles aient une bonne raison. Et après 18h, il n’y a plus de bonnes raisons. On n’est pas censées travailler, ni avoir cours. Pour eux, le soir, si les femmes sont dehors, c’est qu’elles veulent être agressées ou c’est qu’elles se prostituent. La nuit, tout est permis. Les mecs, on dirait des loups-garous. Ça devient très agressif. Les agressions sont verbales et physiques. »

LES LUTTES RÉCENTES ET EN COURS

Actuellement, les militantes œuvrent pour l’égalité sur l’héritage. « Nous y travaillons depuis 2010 et nous n’avons pas encore eu de réactions violentes… Il faut savoir qu’il y a des discriminations sur l’héritage, les femmes n’ont pas les mêmes parts. Et il y a des familles avec que des filles. Là, un cousin mâle éloigné peut se pointer pour hériter avec elles. C’est injuste. La Tunisie a déjà exclu cette possibilité et nous souhaitons l’exclure également. », explique Nadia Aït Zai.  

Si le gouvernement a abrogé la notion du chef de famille en Algérie (un combat actuellement mené par les tunisiennes et les marocaines) et par conséquent le devoir d’obéissance au chef de famille, la tutelle est, elle, toujours effective lors de la conclusion du contrat de mariage. Un point devant lequel le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas voulu fléchir en 2005 lors de la réforme du Code de la famille. Il impose néanmoins le consentement comme élément essentiel de l’acte matrimonial, notamment en ce qui concerne la polygamie.

Côté divorce, l’homme peut toujours répudier sa femme. « Elles en souffrent depuis 1985 ! Et le ministère ne donne pas les vrais chiffres de la répudiation », précise la présidente du Ciddef. Pour les femmes, le divorce par compensation financière est autorisé. L’ex-épouse doit alors restituer la dot.

« Elles utilisent toutes ça ! Pendant un temps, la pension alimentaire était dérisoire, voire pas versée du tout. Aujourd’hui, on vient juste de créer un fonds de pension, une garantie pour la pension. », souligne-t-elle.

Autres avancées récentes en faveur des femmes : la transmission de la nationalité de la mère à son enfant et la garde prioritaire de l’enfant à sa mère en cas de divorce. Rien n’est à noter cependant concernant le fait que l’homme conserve tous les biens matrimoniaux, comme le logement conjugal par exemple, après la séparation. Mais si des progrès permettent à la société d’évoluer vers des conditions de vie moins critiquables, les féministes algériennes réclament l’abolition complète et totale du Code de la famille.

CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

En mars 2015, les députés votent une nouvelle loi contre les violences faites aux femmes, durcissant les peines de réclusion mais permettant aussi à l’auteur du crime de s’en sortir indemne si son épouse lui pardonne. Les élus islamistes s’insurgent contre cette nouvelle mesure. Disant que cela déstructure la famille :

« Pour eux, il ne faut pas toucher à ce qui se passe dans l’espace privé. Mais c’est là que les violences ont lieu. C’est bien la preuve que la femme ne peut pas être libre. »

Dans son enquête, Charlotte Bienaimé aborde la question des violences sexuelles dans un sous-chapitre intitulé « Terrorisme sexuel ». Tandis que les tentatives d’explications se multiplient, la plus avancée nous informe-t-elle subsiste celle de la frustration due à l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage. Amina, militante en Algérie, s’offusque, pages 98 et 99 :

« Nous aussi, les femmes, nous sommes frustrées et on n’agit pas comme ça. Alors, on se dit que c’est peut-être l’âge, mais les gamins et les vieux le font aussi. Ou alors, ce sont les vêtements qu’on porte, mais les filles voilées aussi sont agressées. Ce n’est pas non plus le milieu social parce qu’il y a des hommes aisés harceleurs alors qu’ils ont fait de grandes études. C’est pour ça que maintenant, on identifie le patriarcat en tant que tel comme cause principale. »

Elle explique alors que c’est le terrorisme qui a amené le pays à parler des viols, en reconnaissant aux femmes violées le statut de victime du terrorisme. De là, le ministère de la Santé a souhaité lancer une enquête sur les violences conjugales.

« Il en va de la responsabilité de l’Etat de protéger les femmes de la violence conjugale. Mais c’est une question de contrôle du corps de la femme aussi. »
interpelle Nadia Aït-Zaï.

Pour la militante, les politiques publiques doivent redoubler d’effort et donner aux femmes, depuis trop longtemps enfermées dans des carcans traditionnalistes, le droit de prendre part au développement économique du pays.

« Les textes ont suivi dans le Code civil, le Code du travail, la Constitution avec le principe de l’égalité, l’accès à la santé et à l’éducation. Aujourd’hui, 62% de filles sortent de l’université, c’est plus que les hommes. On atteint presque la parité en matière de scolarisation. Pareil pour la santé. Avec une politique de planning familial repensant le nombre d’enfants par famille à 3 ou 4. Le Planning familial travaille actuellement à la dépénalisation de l’IVG. Il y a la possibilité de l’avortement thérapeutique mais certains médecins refusent de le faire. Les Algériennes vont en Tunisie pour avorter. Tout prend du temps car il faut que les politiques publiques se mettent en place. Mais les droits, nous les arrachons ! », développe-t-elle.

ARRACHER LEURS DROITS, LEUR LIBERTÉ

Son leitmotiv : la liberté, c’est à la femme de s’en saisir, de la prendre. « Mais certaines n’ont pas le courage de faire une rupture avec la tradition. Elles se disent modernes mais en public elles parlent de Dieu », regrette-t-elle. La question du voile ressurgit. La liberté serait-elle acquise par le voile ? Serait-ce une forme de libération ? Ce n’est pas un débat qu’elle souhaite avoir. Néanmoins, elle se permet de donner son point de vue, sans s’étaler :

«  Le foulard ne libère pas mais celles qui le portent pensent que ça libère. Car il les libère d’une interdiction. Celle d’aller dans l’espace public. Elles le pensent alors comme une protection. À Alger, j’ai constaté qu’elles l’enlevaient de plus en plus. Mais à l’intérieur du pays, toutes les femmes sont voilées. » Pour elle, pas de secret. C’est l’indépendance économique qui permettra la libération des femmes.

En décembre 2013, comme dans tous les numéros de la revue, elle signe l’édito du magazine du Ciddef et termine ainsi : « Ne soyons pas en dehors de cette histoire qui doit se faire avec nous. Sans nous il n’y aura pas de société saine et équilibrée ni de politique appropriée. » Elle le répète jusqu’à la fin de la conférence :

« C’est la femme qui doit arracher sa liberté ! ».

Un discours qui concorde avec celui de l’ancienne journaliste algérienne Irane, révélé dans l’enquête et ouvrage Féministes du monde arabe. Charlotte Bienaimé met en perspective la révolte, lutte du quotidien, à travers l’expérience d’Irane, dans une société de communication, page 39.

« On parle souvent des femmes victimes, des femmes violées, des femmes battues, du harcèlement sexuel dans la rue, etc. Mais on ne parle jamais de ces femmes algériennes actives qui sont violentées, mais extrêmement violentées tous les jours à la maison, au travail, parce qu’elles sont tout simplement des femmes. Si les femmes reprennent la parole, si elles disent ce qu’elles pensent, si elles le balancent comme ça, ça va choquer, mais ça va faire, disons, un équilibre, un contre-pouvoir. Les femmes doivent avoir accès à la parole. » (…)

« Chaque fois, on me renvoie à ma position de femme. ‘’Tu es une femme, on devrait pas t’écouter, d’ailleurs tu ne sais pas.’’ Donc, quand je fais des réunions, je dis, ‘’écoutez, vous la bande de machos là-bas’’, je dis ça comme ça, ouvertement, je les secoue, et je leur dis : ‘’Je sais, ça vous fait très mal parce que je suis une femme mais vous devez changer votre mentalité, le monde ne marche plus comme ça, il faudra se remettre en cause. Je sais, vous n’êtes pas d’accord parce que je suis une femme et ce n’est pas ma place, mais malheureusement, je suis là et c’est ma place et je suis votre responsable et vous devez m’écouter.’’ Donc, quand on voit que je suis assez forte, je le dis d’une manière assez directe, je leur laisse pas trop le choix, ça marche. Pas tout le temps, mais ça marche. »