Célian Ramis

Banalisation des viols

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Depuis 2012, la structure féministe Prendre Le Droit accompagne les femmes victimes de violences sexuelles dans les procédures judiciaires. À Rennes, les militantes pointent le problème de la correctionnalisation du viol.
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« Selon la loi, toute personne est considérée comme consentante à une pénétration sexuelle en toute circonstance sauf si elle démontre que l’agresseur a usé de violence, contrainte, menace ou surprise. » Le 22 novembre, au CRIJ, l’association rennaise Prendre Le Droit dénonçait le recours massif de la Justice à la correctionnalisation du viol. 

« La fellation forcée ne va pas être qualifiée de viol par les jurés (…). On a d’autres priorités pour les assises. », explique par téléphone la procureure de la République à la juge d’instruction, dans une scène imaginée – fortement inspirée de la réalité - par l’association Prendre Le Droit. 

Depuis 2012, la structure féministe accompagne les femmes victimes de violences sexuelles dans les procédures judiciaires. Le 22 novembre, les militantes pointaient la correctionnalisation du viol, «qui permet de décider qu’un homme accusé de viol, qui devrait normalement être jugé par la Cour d’assises car il a commis un crime, sera jugé par un Tribunal correctionnel, pour un délit : le crime de viol est « transformé » en délit d’agression sexuelle. », indique le fascicule de PLD remis à la fin de la conférence. 

De l’organisation de la Justice aux enjeux actuels, en passant par l’histoire de la pénalisation du viol et les définitions des violences sexuelles, elles défendent l’accessibilité au droit «malgré sa complexité. » 

Dans ce cas particulier s’ajoute l’emprise du patriarcat dont la Justice est loin d’être exempte puisqu’en France « on estime qu’entre 50 et 80% des viols font l’objet d’une correctionnalisation. » Elles constatent sur le terrain que, du dépôt de plainte au jugement, les faits sont minimisés.

« L’enjeu est de faire reconnaître la caractérisation d’un des 4 modes opératoires : violence, contrainte, menace ou surprise. Et c’est d’autant plus difficile quand on sait que les violences sont souvent commises par des proches ou des personnes qui exercent des fonctions d’autorité. »
explique Clémentine. 

Pour Laure, la correctionnalisation réside dans un « tour de passe-passe », celui « d’oublier la pénétration qui caractérise le viol. » Elles militent pour que l’agresseur accusé démontre qu’il s’est assuré du consentement de la personne. 

« On exige des femmes que sans arrêt elles se battent. Au moment du viol, du dépôt de plainte, de la procédure, du procès, etc. Des fois, on ne peut pas se battre contre tout. », précise Laure, rejointe par Ornella : 

« Nous souhaitons que les hommes qui sont jugés le soient à la hauteur du crime commis. Tant que ce ne sera pas le cas, le monde n’ira pas droit. »

Célian Ramis

8 mars : Quelle réalité des mesures prises contre les violences sexuelles au travail ?

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Laure Ignace témoigne du parcours des combattantes imposé aux femmes victimes de violences sexuelles, notamment au travail, et dénonce le manque de moyens mis en place par les pouvoirs publics pour y répondre.
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« À cette prise de conscience collective, il n’y a pas de réponse institutionnelle pour répondre à ce cataclysme. Il y a un phénomène de masse, les femmes parlent, hurlent, mais rien n’est mis en place. Il faudrait un plan d’urgence. Ça concernerait les accidents de la route, on aurait tout de suite eu une grosse campagne. Pour les femmes, non. Rien. » Laure Ignace est juriste au sein de l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT). Invitée à Rennes le 8 mars à la MIR par Questions d’égalité, en partenariat avec la CFDT, elle témoigne du parcours des combattantes imposé aux femmes victimes de violences sexuelles, notamment au travail, et dénonce le manque de moyens mis en place par les pouvoirs publics pour y répondre.

Octobre 2017. Affaire Weinstein. Le choc, l’incompréhension, la colère, la gronde, la prise de conscience. Soi-disant. On parle d’une libération massive de la parole des femmes. Certaines militantes, comme la dessinatrice féministe Emma, recadrent les choses : les femmes ont toujours parlé mais elles n’ont pas été écoutées, il serait donc plus juste de parler de libération de l’écoute.

Laure Ignace, juriste au sein de l’AVFT, précise également : « On parle du contexte de ces derniers mois mais on pourrait dire de ces dernières années. Avec l’affaire Baupin et d’autres. Moi, j’interviens sur l’ampleur que ça a depuis octobre et sur le constat de ce que cela a entrainé en bien et en moins bien pour les femmes et pour l’AVFT. »

Parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses à oser franchir la porte des commissariats et des gendarmeries pour porter plainte. Pour dénoncer des actes de violences sexuelles. En novembre 2017, on notait une augmentation d’environ 30% des dépôts de plainte en gendarmerie et quasiment le même pourcentage dans les commissariats.

LÂCHETÉ GOUVERNEMENTALE…

Une avancée positive qui n’est pas sans conséquence puisqu’en parallèle forces de l’ordre, système judiciaire et associations ne voient pas leurs moyens, humains et financiers, renforcés.

« 14 ans que la subvention à l’AVFT n’a pas augmenté ! Il faut un renfort des politiques de prévention et de la politique pénale. Ça a été le cas pour les violences conjugales, spécifiquement mais on n’observe pas la même tendance pour les violences sexuelles, au travail notamment. Dans ces conditions, l’État peut difficilement se prévaloir de défendre et de lutter pour les droits des femmes. », rétorque-t-elle quand on ironise sur « la priorité du quinquennat ».

Elle tire la sonnette d’alarme : il est temps que le gouvernement sursaute et se réveille ! Temps qu’il accomplisse et assume son rôle. Qu’il arrête de compter sur les associations, au bord de l’asphyxie, et le Défenseur des droits, qui a par exemple lancé une campagne contre le harcèlement sexuel :

« Ce n’est pas l’Etat qui s’en est chargé. Sans dire que, au niveau de l’inspection du travail, de la médecine du travail, c’est la catastrophe ! Pas de moyens, trop de boulot. On assiste à un cumul de professionnels surchargés qui de fait défaillent souvent. Mais on ne renforce pas les acteurs… On ne peut pas dire qu’on lutte contre les violences. »

Les chiffres sont effarants : 1 femme sur 3 déclare subir ou avoir subi du harcèlement sexuel ou une agression sexuelle sur son lieu de travail. Et pourtant, plus de 80% des employeurs n’ont toujours pas mis en place de plan de prévention. Une réalité que le site 8mars15h40.fr souhaite mettre en lumière à travers sa grande enquête sur les violences au travail.

LES CONSÉQUENCES DU MANQUE DE MOYENS

Ainsi les associations, seules, ne peuvent décemment répondre à toutes les demandes et tous les besoins. En novembre dernier, dans le cadre de la préparation de notre dossier sur les violences sexuelles, SOS Victimes 35 répondait à notre demande que personne ne pouvait assurer la réponse à notre interview, en raison d’une surcharge de travail.

Le 31 janvier 2018, l’AVFT a annoncé la fermeture de son accueil téléphonique en raison d’une incapacité à y répondre tant la demande était forte. Actuellement, 150 femmes sont soutenues par l’association de manière extrêmement poussée, « cela veut dire qu’on les reçoit en entretien puis que l’on intervient dans les procédures, avec les Parquets, les employeurs, les conseils des Prud’Hommes, que l’on se constitue partie civile, etc. »

En parallèle, une centaine de femmes est accompagnée de près. « Elles n’ont pas été reçues en entretien mais on les soutient, on les conseille. On va écrire pour savoir où en est l’enquête, contacter les médecins pour leur demander d’écrire un certificat médical décrivant les symptômes constatés, les aider à saisir le Défenseur des droits, corriger les courriers qu’elles vont envoyer à leurs employeurs parce qu’en fonction des femmes, elles n’ont pas toutes le même rapport à l’écriture. Ce sont des choses qui prennent du temps. Saisir le Défenseur des droits, ça peut demander une demi journée de travail. Cela prend énormément de temps. », précise la juriste.

Au total, les 5 professionnel-le-s de l’AVFT (4 CDI et 1 CDD) accompagnent 250 femmes. Comptabilisant dans ce chiffre des dossiers ouverts depuis 10, voire presque 15 ans. Parce que les procédures sont longues, compliquées et pleines de rebondissements, « parce que parfois les agresseurs attaquent en diffamation, parce que parfois y a l’instance, l’appel et le pourvoi en cassation… » Et depuis l’affaire Weinstein, c’est entre 2 et 3 nouvelles victimes par jour qui font appel à la structure.

LOIN DE S’ARRANGER

Et le contexte économique et politique ne va pas arranger les choses. Loin de là. Laure Ignace dénonce à ce titre les ordonnances qui vont précariser les parcours des femmes, faciliter les licenciements et renforcer les moyens de pression des harceleurs, profitant de la dépendance financière des femmes.

Elle le répète, le gouvernement n’est absolument pas dans une volonté de lutte contre le harcèlement sexuel : « Il faut mener des enquêtes sérieuses au sein des entreprises et aucune circulaire n’a été donnée dans ce sens. Pour 24 millions de salarié-e-s en France, il y a 2000 agents de contrôle ! Imaginez… Pas simple ! Et puis, ça dure des années les enquêtes tellement les agents ont du boulot ! C’est un travail conséquent. Et quels moyens sont donnés au sein de gendarmeries ? des commissariats de police ? des parquets ? Il n’y a aucun effectif spécifique de prévu sur ces enquêtes là. Alors les plaintes augmentent mais elles sont très souvent classées sans suite. »

Pourtant, quand une accusation vise un ministre, les procédures s’accélèrent et on assiste à des affaires éclairs, comme tel a été le cas pour Gérald Darmanin. Laure Ignace y voit là un message parlant, envoyé de la part du gouvernement, celui d’une justice de classe. Avec deux poids, deux mesures.

LE PARCOURS DES COMBATTANTES

Dans le cas d’une accusation envers un homme de pouvoir, le crédit de bonne foi est accordé à celui qui est accusé plutôt qu’à la victime. Pour les femmes accompagnées par l’AVFT, « c’est plutôt l’inverse, on les soupçonne en première intention et cela se traduit par des poncifs tels que « Pourquoi dénoncer que maintenant ? », qui montrent qu’on n’a toujours pas compris le mécanisme des violences, toujours pas compris que c’est un risque qu’elles prennent en parlant enfin, toujours par rapport à cette fameuse dépendance financière. Pourquoi n’ont-elles pas mis une claque à leur agresseur ? Pourquoi ne l’ont-elles pas dit à leur supérieur ? Elles doivent se justifier sur toutes les réactions qu’elles ont pu avoir ou ne pas avoir. Le classique ! Et puis ensuite, viennent les remarques sur leurs attitudes avec les hommes, leurs habillements, etc. Une jupe courte une fois et c’est une fois de trop. »

Aussi, les enquêtes vont-elles venir insidieusement interroger les capacités professionnelles de la plaignante. On va alors se demander si elle ne chercherait pas en accusant un collègue ou un supérieur à dissimuler un squelette dans le placard. Pour la juriste, le fait même d’enquêter sur les compétences de la salariée incite les autres à se positionner, à se braquer.

Et si les employeurs ont en règle générale bien intégré leur obligation de mener des enquêtes, elle précise que celles-ci sont souvent mal menées ou que la réponse finale consistera simplement à muter la plaignante, ou les deux personnes concernées. Une sanction injuste qui camoufle le problème mais ne le résout pas.

« Pour beaucoup, c’est quand elles sont extraites du travail, parce qu’elles sont en arrêt maladie, qu’elles se rendent compte qu’elles ne peuvent plus y retourner. Elles réalisent la gravité des faits et des conséquences. La reprise du travail et les conditions de reprise surtout sont très anxiogènes. », précise Laure Ignace.

Elle ne mâche pas ses mots en parlant de parcours de la combattante. Ce n’est pas une exagération. Mais la réalité des démarches et des procédures n’est que trop peu connue. Voire ignorée. La phase pré-contentieuse, déjà saturée de courriers à rédiger et de démarches, coûte cher et n’est pas prise en compte par l’aide juridictionnelle.

DÉMARCHES LONGUES, COÛTEUSES, ÉNERGIVORES

Le 27 février dernier, Libération publiait d’ailleurs un article sur le sujet : « Aller au procès, une montagne financière pour les femmes victimes de violences ». Laure Bretton et Soizic Rousseau expliquent alors que si le coût financier ne dissuade pas au premier abord les plaignantes, cela devient tout de même vite un frein, voire une contrainte trop forte pour aller jusqu’au bout.

Sans compter qu’il n’y aura pas seulement les honoraires d’avocat-e-s mais aussi potentiellement des consultations médicales, des accompagnements psychologiques, des frais de déplacements aux procès (l’affaire peut passer devant plusieurs juridictions : tribunal administratif, conseil des Prud’Hommes, tribunal correctionnel…).

Les enquêtes seront longues, pénibles, parfois injustes, souvent retournées contre celles qui osent rompre le silence et briser l’omerta. Les démarches requièrent donc du temps, de l’énergie, de l’argent. À long terme.

RENFORCER LES BUDGETS, LES MOYENS HUMAINS, LES FORMATIONS ET LA PRÉVENTION

Sans moyens supplémentaires, les associations suffoquent. Et ce sont les plaignantes qui trinquent. Pour l’AVFT, il n’y a pas de détours à prendre, les solutions sont claires, on ne peut plus reculer face aux mesures qui s’imposent, mais n’arrivent pas. L’affichage d’une politique de lutte contre les violences sexuelles doit être clair.

« Tous les parquets doivent orienter leurs priorités contre les violences. Il faut défendre une politique pénale de lutte contre les violences sexuelles au travail, au même titre que l’on met en place une politique de lutte contre le travail illégal, contre le terrorisme, etc. Et évidemment, il faut un renforcement du personnel en charge de ces politiques de lutte. Donc des moyens humains. Nous avons bien conscience que les parquets sont débordés, submergés de plaintes de tout ordre, des dossiers sont même perdus… Leurs moyens doivent être renforcés, qu’ils aient des formations sur comment on rapporte la preuve, avoir un pôle spécialisé sur les violences sexuelles. », scande Laure Ignace.

Les budgets des forces de l’ordre doivent être augmentés, des formations sont nécessaires autour du harcèlement sexuel, des violences, des agressions sexuelles et des viols, pareil du côté de l’inspection du travail et de manière plus largement du côté de tous les acteurs concernés. Mais surtout que le message passe : les violences sont graves, elles doivent être l’objet de répression sur le plan pénal et les victimes doivent être indemnisées à hauteur du préjudice.

« Il faut faire de la prévention dans tous les sens car pour l’instant, c’est un message d’impunité qui est répandu. Tant qu’on ne se dit pas que commettre ces actes va coûter cher, on n’a pas d’intérêt à prendre le problème à bras le corps. Aujourd’hui, les agresseurs ne risquent pas grand chose, les entreprises ne risquent pas grand chose, les femmes risquent gros. », soupire-t-elle.

NE RIEN LÂCHER

Difficile de se montrer optimiste dans une situation sclérosée par manque de volonté politique claire en faveur des droits des femmes. La juriste peine à trouver des éléments positifs auxquels raccrocher nos espoirs. Elle souligne tout de même son admiration pour toutes celles qui s’engagent dans la bataille : « Des femmes parviennent à obtenir justice et à franchir toutes les barrières. Elles font preuve d’une combattivité extrême pour aller au bout de tout ça. Je suis admirative de la longévité de leur combattivité. »

Elle se réjouit, tout comme Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, de l’ouverture prochaine de centres spécialisés pour la prise en charge psychotraumatique des victimes de violences, pour lesquels le gouvernement a donné son feu vert le 25 novembre dernier. Toutefois, elle nuance, persiste et signe :

« C’est positif car c’est extrêmement important de donner accès aux soins médicaux à toutes les femmes abimées par ces violences mais attendons de voir dans quelles conditions cela va fonctionner. En tout cas, ce n’est pas suffisant vu l’ampleur du problème. On attend d’autres réponses de la part du gouvernement. Les discours restent des discours. Nous, on attend la transformation en actes. »