Célian Ramis
Girls, une exposition déculottée
Jusqu'au 10 février prochain, l'exposition Girls mise en scène par le collectif Runbyfeu, dévoile, à l'Hôtel Pasteur de Rennes, les dessous de la véritable image des femmes de notre société contemporaine, grâce à de jeunes artistes en devenir, aussi cru-e-s qu'intimistes.
Alors que l'Hôtel Pasteur est en pleine rénovation intérieure, l'exposition Girls s'est invitée dans la cage d'escaliers du bâtiment. Suspendues aux rampes, des jupes se soulèvent sous les yeux des visiteur-e-s, dévoilant une intimité souvent mystifiée par la société actuelle. Sous l'effet artistique, le sexe féminin se désigne entre autre par une pilosité abondante, une lingerie en dentelle ensanglantée, ou encore par un miroir brisé, chaque buste racontant une histoire, un tabou.
Les interprétations concernant chaque buste peuvent ainsi diverger selon les vécus, les ressentis des visiteur-e-s, placé-e-s malgré eux/elles en position du voyeur. « Tout le monde regarde sous les jupes des filles », sourit Morgane Curt, co-fondatrice du collectif Runbyfeu face à certains regards surpris des spectateurs/trices.
Créé en janvier 2016 avec Alice Delauney, présidente de l'association, le collectif vise à promouvoir de jeunes artistes en devenir et à dynamiser la création artistique. « On cherche surtout à promouvoir des artistes sans critères particuliers, en étant ouvert à tous les styles, aussi bien l'écriture, la sculpture, ou encore la musique», explique Charlotte Velter, également co-fondatrice.
Girls est leur quatrième exposition, « cette dernière étant beaucoup plus officielle grâce au cadre dans lequel on l'expose, rajoute Charlotte en parlant de l'Hôtel Pasteur, car on avait l'habitude d'exposer dans des bars à Rennes au départ». « C'est notre plus grosse exposition, termine Morgane, et comme à chaque exposition, on choisit un thème selon les envies et inspirations de chacun. Et celui de la féminité s'est imposé naturellement ».
Un choix que partage Charlotte, qui expose actuellement ses photographies, représentant différents portraits de jeunes femmes :
« Ce que j'ai envie de capter dans mon travail, c'est un moment dans la vie de quelqu'un, qui appartient à son quotidien. Et avec cette exposition, l'idée était de rencontrer d'autres points de vues que les miens sur la féminité et les femmes en général ».
Un thème dont de nombreux jeunes artistes réuni-e-s pour l'occasion, se sont inspiré-e-s pour leurs œuvres, mêlant différents médiums artistiques, comme la peinture, la photographie ou encore le moulage. Face à cette première performance artistique dans la cage d'escaliers par le collectif Sans Titre, la suite de l'exposition s'annonce cependant plus classique, l'image de la nudité féminine devenant le fil conducteur, attirant le regard et quelques froncements de sourcils.
UN ENGAGEMENT FÉMINISTE IMPLICITE
C'est dans une ambiance baignée d'une certaine quiétude que l'artiste Charlotte V. nous montre à travers son objectif, des jeunes femmes modernes, fumeuses, pensives, portant des lunettes, des piercings, et fixant l'objectif avec détermination ou au contraire, le fuyant. Les couleurs sont à la fois vives et douces, les protagonistes en mouvement ou dans l'attente de quelque chose, observatrices d'une société en pleine stagnation tout en prônant le changement.
Loin de ces photographies intimistes, le corps féminin est revisité par certains artistes, à travers des poèmes à l'érotisme explicite mais aussi, par des tableaux, comme l’œuvre pop et décalée de l'artiste Misst1guett, qui donne sa vision tout en forme des femmes, comme maîtresses de la Vie et de la Mort.
Maîtresses aussi d'un corps leur appartenant de droit, et dont l'usage ne peut être monopolisé par la société, l'interprétation du tableau laissant envisager une possible vision autour de l'avortement et du choix de la fécondité.
Cette volonté de montrer les femmes sous un autre angle est affirmé également dans les œuvres de l'artiste suivante, Émilie Aunay, qui expose près de ses peintures, une œuvre particulière, celle d'un corps de femme moulée dans le plâtre. À partir de différentes parties du corps de plusieurs femmes, toutes générations confondues, l'artiste a reconstitué un corps féminin à l'apparence harmonieuse et bien proportionnée.
Une silhouette qui laisse perplexe quelques visiteur-e-s, dont Rémi, étudiant infirmier, qui ressent une certaine incompréhension concernant l'interprétation de certaines œuvres. « Je ne vois pas en quoi cette création est féministe, dit-il en désignant le mannequin de plâtre, pour moi elle représente juste l'image de la femme conforme aux canons habituels ». Laissé indifférent par l'exposition, ce visiteur souligne inconsciemment le manque d'engagement de l'exposition Girls.
Se désignant comme une exposition féministe mais sans parti pris, les jeunes femmes tenaient avant tout à se démarquer dans le milieu associatif, où le sexisme ordinaire est un réel problème au quotidien.
« Il n'est pas rare que l'on nous fasse la réflexion du genre, mais vous y arrivez toutes seules ?, explique Morgane. Du coup, on avait envie de surprendre en créant cette exposition, de prouver qu’on était capable de monter ce genre de projet, et ça marche », sourit la jeune femme.
PRÊTER ATTENTION AUX RECOINS DU FÉMININ
Pourtant, Girls cherche à montrer à travers ces œuvres les moindres recoins du corps féminin, allant jusqu'à effacer les limites du genre et développer l'imaginaire des spectateurs/trices, comme le démontre les œuvres de Jlacastagne. Ses peintures donnent l'impression d'être une fois de plus dans une situation de voyeurisme, véritable phénomène sociétale dans la réalité du quotidien.
Un effet accentué face à cette œuvre, poussant le visiteur à l'étudier de plus près pour tenter de comprendre ce qu'il voit. En peignant les moindres replis et recoins du corps des femmes, le peintre marque à l'état brut la beauté d'un corps nu, avec ses plis et les défauts que peuvent lui prêter la société, tout en démontrant par exemple, que le sexe féminin imaginé est en réalité une paupière close.
Et prouver par la même occasion qu'un corps plissé par endroit ne peut être laid, contrairement aux normes de beauté habituelles. Frontière entre l'imaginaire et la réalité du sexe des femmes se dessine enfin à travers l’œuvre.
Une scène érotique très explicite est d'ailleurs mise en exposition, du même auteur, faisant disparaître les idées reçues sur le genre et la domination dans l'acte sexuel. La scène en devient par la suite, presque ordinaire et sans étiquette quant à savoir qui domine qui, l'acte devenant un plaisir partagé et non une consommation rapide et une soumission.
L'érotisme est aussi mis en évidence avec l'exposition d'un fanzine, Galante, mis en consultation libre avec sa consœur de papier, Citad'elles. Le premier, connu « pour aborder l'image des femmes à travers la notion de l'érotisme de manière très crue » se détache de Citad'elles, écrit par et pour les femmes incarcérées à la prison de Rennes. L'exposition permet ainsi de présenter un véritable panel de portraits et de situations de femmes, « où chacune d'entre elles sont représentées », rajoute Morgane.
UNE EXPOSITION POUR TOUS LES PUBLICS
La sexualité des femmes est donc abordée en toute légèreté, avec sa pilosité, sa lingerie, son sexe et ses règles, des sujets encore relativement tabous. Ces dernières sont croquées dans tous leurs états, par exemple sous forme de dessins aux traits simples sur un ton humoristique comme pour expliquer aux enfants qu'une femme boit du vin, fait la fête, crie, danse, saigne, s'arrondit et parfois, rugit.
Rugit contre une société qui impose beaucoup trop souvent une image encore biaisée, de l'image d'une femme conventionnée à des normes absurdes concernant son attitude en société mais aussi, sur son apparence.
« On espère qu'il y aura des enfants parmi les visiteur-e-s, nous confie Charlotte, c'est important pour eux de se retrouver face à ces images, dans le sens où il ne faut pas les éduquer dans le mysticisme du corps féminin comme on a l'habitude de faire encore aujourd'hui. Parce que nous sommes tou-te-s confronté-e-s à la question de la féminité dans sa vie ».
« C’est pour cela que l’exposition doit forcément passer par le nu », rajoute Camille Pommier, bénévole au sein de l’association. Ce qui amène à entraîner d'autres visiteur-e-s un peu perdus par cette audace assumée, à venir se rendre compte de cette nudité.
« Il y a des réfugié-e-s qui viennent prendre des cours de français à l'Hôtel Pasteur, alors quand ils/elles commencent à monter la cage d'escaliers, on va dire qu'ils/elles sont quelque peu surpris-es et on assiste à un sacré choc des cultures », raconte Morgane, amusée.
Une nudité plurielle qui ne devrait plus être aujourd'hui un tabou. Pourtant, la diffusion d'un modèle unique perdure encore. L’œuvre étrange de Polygon dénonce l’image d'une femme fantasmée et ultra sexualisée par les médias.
En utilisant des outils datant des années 80-90, l'artiste met en scène une version burlesque et visuellement agressive sur l'industrie musicale, montrant une image corrompue par le fantasme de corps démesurément maigres, épilés et maquillés à l'extrême. Une énième dénonciation qui ne manque pas de piquer l’œil désormais averti du visiteur.
Girls laissera sûrement indifférent-es certain-e-s mais en fera sourire d'autres, par le culot de quelques œuvres, par la douceur de ces regards volés, et donnera peut être l'envie de poser son épilateur et d'aller se promener en petite robe sans avoir honte des recoins d'un corps qu'il faut apprendre à aimer, contre une société qui nous empêche de le faire correctement.