Célian Ramis

Travelling 2016 : Les femmes prennent la colère et s’en vont en lutte

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Cinéma Arvor, Rennes
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Lors du festival Travelling était projeté le documentaire Quand les femmes ont pris la colère, réalisé par Soazic Chappedelaine et René Vautier, mardi 9 février, au cinéma Arvor de Rennes.
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L’association Clair Obscur a profité du festival Travelling pour rendre hommage au réalisateur breton, René Vautier, décédé début 2015. À cette occasion, était projeté mardi 9 février, au cinéma Arvor de Rennes, le documentaire Quand les femmes ont pris la colère, réalisé par Soazic Chappedelaine, sa femme. En présence d'Eve Meuret-Campfort, docteure en sociologie et spécialiste de la lutte à Tréfimétaux.

1975. Couëron, près de Nantes. Les ouvriers de l’usine Tréfimétaux sont en grève. Ils revendiquent une augmentation de salaires. Lorsque la direction envoie un courrier aux familles sommant les hommes de plier, le coup de pression est difficile à digérer. Les femmes prennent la colère. Peu d’entre elles travaillent mais leurs maris connaissent des conditions de travail déplorables, les couples en pâtissent, ne connaissant le « confort » qu’en période de vacances. Elles s’indignent, viennent grossir les rangs des grévistes investissant alors le piquet de grève devant l’usine.

Douze d’entre elles vont rencontrer le directeur afin de négocier et lui signifier leurs revendications deux heures et demie durant. En vain. Les présentes l’assurent, discussions et échanges ont été les seuls objets de cette réunion dans le bureau. Mais de son côté, le patron ne l’entend pas de la même oreille et porte plainte pour séquestration, donnant lieu à plusieurs procès contre les femmes inculpées, les années suivantes.

En 1976, les réalisateurs René Vautier et Soazic Chappedelaine s’intéressent aux accusées, les suivant lors des manifestations organisées pour demander leur relaxe mais aussi dans leur intimité, alternant ainsi entre le collectif et l’individuel. Le duo signe un documentaire militant abordant la place des femmes dans les luttes ouvrières et les sections syndicales mais aussi leurs rapports avec leurs conditions de vie et surtout de femmes.

MUTATIONS SOCIALES

Les bouleversements sociaux sont au cœur de cette période post 68. Lutte des classes mais aussi lutte des sexes s’organisent, se côtoient mais peinent encore à se rejoindre, malgré l’évolution des mentalités. Du côté des femmes, la prise de conscience est plus nette, même si toutes ne réagissent pas simultanément. Les combats concernant la contraception, l’avortement et la sexualité ont permis un rassemblement, une bataille collective.

Mais si les groupes et sections de femmes commencent à se dessiner dans le paysage sociétal et syndical, il semblerait qu’ils ne soient encore considérer que comme secondaires. L’affaire de Tréfimétaux portera les femmes dans la lumière, placées en première ligne des manifestations et portant toutes une écharpe sur laquelle trône le mot Liberté, en référence à inculpation pour séquestration.

Un symbole fort et clair, qui s’assombrit au fil du documentaire, témoin des pensées et réflexions des 12 accusées, communistes ou non, militantes ou non, travailleuses ou non. Qui ne regrettent rien. Qui referaient la même chose si c’était à refaire.

LES FEMMES DANS LES LUTTES

Féministes ? « Il y a une prise de conscience féministe à ce moment-là mais je ne suis pas sûre qu’elles se diraient féministes… C’est aujourd’hui encore un mot qui fait peur ! », souligne Eve Meuret-Campfort, docteure en sociologie et spécialiste de la lutte à Tréfimétaux, présente pour échanger avec les spectatrices et spectateurs, à l’Arvor ce mardi 9 février.

Si cette lutte est aujourd’hui emblématique de la rencontre entre les ouvriers et les femmes, l’analyse féministe n’est apparue que bien plus tard. Sur le moment, la CGT se concentre sur l’aspect répressif et dénonce la condition de cette classe sociale avec laquelle les femmes vont être solidaires, majoritairement en qualité de « femmes d’ouvriers ».

« Cette lutte a permis de questionner les pratiques syndicales, de voir la place laissée aux femmes dans les instances… On s’est demandé alors s’il fallait soutenir les luttes quand les femmes prennent la parole même si ce n’est pas dans le fond féministe. », précise la sociologue. Le livre Elles s’en vont en lutte – Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965 – 1985), écrit par les militantes rennaises Lydie Porée et Patricia Godard, fait état dans sa deuxième partie « Rennaises en mouvement » de l’investissement des femmes dans les luttes sociales.

Les auteures mettent en relief cette mise à l’écart des femmes au sein des combats « généralistes ». Pourtant, elles y prennent part, défilent dans les manifestations, se battent pour leurs droits, leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Mais sont cantonnées aux problèmes de femmes, dans des groupes de femmes et dans des actions entre femmes.

« Les années 70 marquent une remise en question des mœurs, de la famille, de la maternité. Mais il faut comprendre que c’est très compliqué pour elles de remettre ça en question et de l’afficher. Elles invoquent donc la solidarité des classes. », insiste Eve Meuret-Campfort. L’image publique est donc celle de femmes qui défendent leurs maris, le documentaire pointant précisément cet angle de surface.

ÉMANCIPATION INDIVIDUELLE

Car au delà de l’apparence, du lien montré entre maris et femmes, Soazic Chappedelaine et René Vautier vont creuser la réflexion qui se joue en coulisses, dans l’intimité individuelle ou en non-mixité. Certaines livrent leurs ressentis, de manière spontanée et naturelle. Des discours poignants qui démontrent l’épuisement des femmes qui s’occupent du foyer et se font battre le soir par des maris lessivés de leurs journées et conditions d’ouvriers.

C’est aussi une plongée dans le couple qui doit surmonter les conditions de vie difficiles et fatigantes. En plus des aléas de la vie. Certaines se mettent à travailler, d’autres s’engagent dans le militantisme. Toutes gardent en mémoire la lutte de Tréfimétaux et éprouvent de la fierté. Si le changement de mentalité et le chemin de l’émancipation sont longs, elles auront agi – pour leurs maris principalement – pour défendre ce qu’elles pensent être juste et gouté à une forme de liberté.

« La projection de ce film a été très subversif. A Couëron, en 1977, tout le monde, y compris les femmes, n’approuvait pas ce qui était dit dans le documentaire. », précise la docteure en sociologie. En effet, l’intime, le couple, la sexualité, la condition féminine y sont les éléments principaux, bien au delà d’une lutte syndicale. Aujourd’hui, les discours résonnent et font écho à la société contemporaine : les époques ne sont plus les mêmes, les contextes également, les luttes sont mouvantes mais qu’en est-il des combats actuels et de la place des femmes dans les syndicats ?

Le 3 mars prochain, l’association Histoire du féminisme à Rennes organise une conférence intitulée « Les ouvrières de l’usine textile SPLI (Société parisienne de lingerie indémaillable, implantée en 1966 dans la capitale bretonne, ndlr) à Rennes en 1978 : quand les femmes luttent pour leurs droits et leurs emplois », en présence de Fanny Gallot, spécialiste de l’histoire des femmes dans les luttes ouvrières. À la Maison des associations, à 18h30.

 

Travelling 2016 : Quelles représentations des femmes sud-coréennes à l'écran ?

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Le festival rennais proposait un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.
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Du 2 au 9 février se déroulait le festival Travelling, à Rennes, abordant un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.

Photos et titres nous interpellent en feuilletant le programme de Travelling. Sur 36 films, 21 femmes illustrent les synopsis. Moins flagrant, un quart de la proposition cinématographique, articulée autour de la ville de Séoul, dévoile un intitulé féminin : La vierge mise à nu par ses prétendants, Une femme libre, La servante, Une femme coréenne, The Housemaid, My sassy girl, The satelitte girl and milk cow, A girl at my door ou encore Madonna. Sans compter le nombre de résumés dans lequel figure un personnage féminin.

« C’est peut-être parce que je suis une femme que j’y suis sensible… », avance Anne Le Hénaff, responsable artistique du festival. Mais l’explication de cette tendance féminine réside ailleurs. Le décalage entre la modernité – surtout technologique - apparente de la Corée du Sud et l’image de la femme l’interpelle, le classement du pays - figurant à la 108e place sur 135 en matière d’égalité des sexes - la choque.

FEMME OBÉISSANTE

« On attribue à la femme une image associée à la femme docile, belle, soignée… Sa place dans le cinéma coréen reflète largement sa place dans la société coréenne. », précise la directrice artistique. Assignée au foyer, la femme coréenne est vouée à s’occuper de la vie familiale, soumise à son mari. Ce sera d’ailleurs le point de départ du film de Im Sang-soo, Une femme coréenne, en 2005, ou encore de celui de Han Hyeong-mo, Une femme libre, plusieurs décennies plus tôt, en 1956.

« Elle se doit d’être dévouée à la réussite de l’homme ! », souligne Anne Le Hénaff qui s’est passionnée pour le sujet et plongée dans l’histoire de la Corée du Sud, très imprégnée de la morale confucéenne. Le confucianisme étant une école de pensées initiée par le philosophe Confucius qui a infusé des siècles durant dans les pays asiatiques et a été instrumentalisé politiquement faisant régner le principe d’obéissance.

Ainsi, jusqu’aux années 70, le cinéma propose un regard machiste sur les sujets traités à travers le regard de l’homme toujours dominant. Pour la cinéphile, cette vision s’explique par le contrôle des gouvernants : « À cette époque, le cinéma coréen est sous une chape de plomb, face à un gouvernement autoritaire. » Pourtant, les mentalités évoluent et engendrent des mutations dans la représentation de la figure féminine dans le 7e art.

« Elle revient dans des histoires sur des ados, des jeunes couples. Elle peut prendre son envol mais en restant quand même à sa place. »
souligne Anne.

Quand on s’intéresse de plus près au fonctionnement de la Corée du Sud, les chances d’avenir pour les nouveaux-nés sont identiques, sans distinction de sexe. Dans l’éducation des enfants, depuis plusieurs années, il ne serait plus question de discrimination envers les petites filles qui effectuent la même scolarité et atteignent le même niveau d’études que les garçons.

FEMME AU FOYER

Le tableau s’assombrit. Après l’université, le temps du mariage et des enfants. Si les femmes débutent des carrières, celles-ci sont écourtées par leur devoir envers le cercle familial, reprendre un travail devient compromis par la suite.

Un système qui contraint aujourd’hui les Coréennes à choisir entre vie professionnelle et vie familiale, comme le dénoncent les militantes féministes Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong dans une interview publiée en mars 2014 sur le site lesinfluences.fr :

« Quand elles se marient ou encore à l’arrivée du premier enfant, elles arrêtent de travailler ; les frais de garde de l’enfant étant souvent supérieurs au salaire perçu. Quand les enfants sont plus grands, elles reprennent un travail. Mais cette coupure d’une dizaine d’année, leur interdit de reprendre leur carrière. Elles se retrouvent donc caissière ou femme de ménage, des emplois les moins rémunérés. »

Un phénomène qui diminue, voire disparaît, avant la crise de 1997 qui frappe la Corée du Sud. Après, selon les deux femmes interviewées, le dilemme travail/mariage renait de ses cendres. Malheureusement, le pays assiste à un recul de la part de la gent féminine qui se tourne majoritairement vers le cercle familial au détriment de leur épanouissement professionnel.

FEMME OBJET

Dans cette même décennie, le cinéma inclut davantage les personnages féminins, qui restent toutefois une minorité. Et surtout l’image donnée tend à montrer une femme objet. Objet de désir, pulpeux, vénéneux… la femme coréenne est uniformisée et hypersexualisée. Elle apparaissait déjà séductrice dans La servante de Kim Ki-young, en 1960, histoire revisitée en 2010 par Im Sang-soo dans The Housemaid.

Dans les films de Hong Sang-soo, les femmes sont maitresse, amante, amoureuse, objet d’un amour fantasmé, comme dans Conte de cinéma, sorti en 2005, ou au centre d’un triangle sentimental, à l’instar de La vierge mise à nu par ses prétendants, sorti en 2002.

« Elle continue d’avoir la place qu’on lui a assignée. Mais certains films proposent quand même des regards plus respectueux, comme ceux avec l’actrice Moon So-ri, Oasis (l’histoire d’un homme qui tombe amoureux d’une jeune femme handicapée, ndlr) et Hill of freedom (un Japonais attend une ancienne amante dont il est toujours amoureux, ndlr). », soulève Anne Le Hénaff.

FEMME SECONDAIRE

Autre problématique soulevée à l’occasion du festival, le manque d’héroïnes dans les scénarios. Une carence que de nombreux cinéastes dénoncent à l’échelle internationale – comme l’ont fait quelques jours plus tôt les frères Nasser, réalisateurs palestiniens venus à Rennes présenter leur premier long métrage Dégradé en avant-première – à l’instar de la réalisatrice Shin Su-won. Jeudi 4 février, elle donnait une conférence de presse à l’Étage du Liberté :

« Les actrices le disent, elles ne reçoivent pas beaucoup de scénarios. Et c’est un phénomène en Asie, il n’y a pas beaucoup de films d’héroïnes. »

Elle-même avoue rencontrer des difficultés en tant que réalisatrice. Son rapport avec les acteurs en pâtit. « Ils ont tendance à ne pas me faire confiance, à avoir des préjugés envers moi. », explique-t-elle, adulée par son producteur qui la soutient face aux journalistes avec un sourire : « Moi, je pense qu’elle est très brillante ! »

Shin Su-won interroge de son regard critique la société coréenne et propose dans Circle Line (2012) et Madonna (2015), qu’elle présentait en avant-première les 5 et 9 février, de dévoiler des drames sociaux. Jusqu’où va le pouvoir de l’argent ? De quelles difficultés souffrent les habitant-e-s ? La réalisatrice filme les inégalités entre les classes sociales, parfois de manière radicale, pour une prise de conscience terrible mais efficace. On ne ressort pas de la projection indemne.

FEMME SANS ISSUE ?

Dans ce film, Madonna, plusieurs facettes des femmes sont mises en lumière. Discrètes, paumées, écrasées, en proie à leurs doutes, leurs faiblesses et leurs convictions, elles troublent et crèvent le cœur quant à la condition féminine qui donne peu d’espoir pour le futur.

« Je suis classée satirique comme réalisatrice. Et ça me va que les gens pensent ça. Mes films ne sont pas grand public. En Corée, ce sont principalement les thrillers qui sont investis financièrement. Avant, certains essayaient des choses différentes mais la génération de cinéaste d’aujourd’hui a du mal à survivre. », explique Shin Su-won.

Si la programmation présentait au départ une belle couleur féminine, la réalité de sa représentation calme l’enthousiasme initial. « Même quand la femme décide de prendre sa liberté, de s’émanciper, comme dans Une femme libre, et qu’elle sort du moule, l’histoire se termine de manière dramatique. Conclusion : mieux vaut rester dans le moule. », analyse Anne Le Hénaff qui trouve l’adage coréen très révélateur et symbolique de la supériorité masculine : « L’homme est le ciel, la femme est la terre. »

Le patriarcat va même jusqu’à créer des mouvements d’hommes en colère, dénonçant des discriminations par rapport aux femmes, comme en atteste l’article de Courrier International daté d’avril 2015, « La ‘’haine des femmes’’ prend de l’ampleur ». Seong Jae-gi, défunt fondateur de Solidarité des hommes, en 2008 (rebaptisé depuis Solidarité pour l’égalité des sexes), proteste contre les prétendus privilèges accordés aux femmes dont : « les quotas (d’emploi dans les administrations), les installations réservées aux femmes (dans les transports et les espaces publics), le ‘’congé menstruel’’ (un jour par mois), etc. Et surtout elles ne sont pas soumises au service militaire obligatoire, contrairement aux hommes (la norme étant de deux ans). »

Pour M.Kim, actuel président de l’organisation, « Seong Jae-gi a eu le courage de violer un tabou en accusant les femmes au pouvoir au risque d’être ridiculisé et méprisé, y compris par les hommes qu’il essayait de défendre. Il a défendu la cause jusqu’à la mort, celle-ci ne doit pas rester vaine. »

Les deux militantes féministes, Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong, reconnaissent quelques évolutions en matière de droits de femmes, notamment sur l’intérêt qu’accordent à présent les journaux politiques à des sujets tels que le stress de la femme au foyer ou la pénibilité du travail. Toutefois, elles se montrent bien pessimistes quant au pouvoir en place, la Corée du Sud étant présidée depuis 2012 par une femme, Park Geun-Hye, fille de l’ancien dictateur, Park Chung-hee, toujours très en prise au confucianisme et donc aux valeurs de fidélité à la famille.  

Célian Ramis

Dégradé : la réalité des femmes de Gaza sur fond de conflits

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Ciné-TNB, Rennes
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Fortes, courageuses et sensibles, les femmes de Gaza sont au premier plan du film Dégradé, projeté en avant-première lors de Travelling, le 5 février dernier, au ciné-TNB.
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Peut-on parler de Gaza sans évoquer la guerre ? Pas tellement. Mais pour les frères Nasser, réalisateurs palestiniens, on ne peut pas non plus occulter les regards féminins trop souvent dissimulés dans le cinéma arabe. Fortes, courageuses et sensibles, les femmes de Gaza sont au premier plan du film Dégradé, projeté en avant-première lors de Travelling, le 5 février dernier, au ciné-TNB.

« On parle peu de la femme palestinienne, on la connaît peu. Souvent, on véhicule d’elle une mauvaise image : une femme qui n’a pas de point de vue. Dans les productions artistiques, il y a beaucoup d’hommes et on trouvait intéressant d’avoir un point de vue féminin. », explique Arab Nasser, réalisateur originaire de la bande de Gaza, venu à Rennes présenter son premier long-métrage, Dégradé, écrit et réalisé avec son frère jumeau. L’objectif de ce film ? « Montrer les femmes de Gaza telles qu’elles sont, de manière très claire, très fidèle à la réalité. », répond Tarzan Nasser.

HOMMAGE À LEUR MÈRE

Avant la projection, Arab se délecte d’une anecdote significative pour lui, à propos de sa mère, « une femme très belle, très simple, obsédée par la propreté de sa maison ». En juillet 2014, une nouvelle guerre éclate à Gaza. Pour la première fois en 26 ans, les frères Nasser vivent le conflit de l’extérieur.

Menacés de mort par le Hamas dont ils dénoncent la tyrannie dans un court-métrage, ils ont du quitter leur territoire – vivant désormais en France – et sont alors en Jordanie pour tourner Dégradé. Les contacts avec l’intérieur de la ville sont compliqués. Ils réussissent malgré tout à établir une connexion Skype avec leur mère, installée dans un camp de réfugiés.

« Elle était magnifique mais elle était essoufflée. J’entendais les bombardements, les tirs, les explosions. Je pensais qu’elle avait peur. Je lui ai donc demandé pourquoi elle était essoufflée et elle m’a dit avec un grand sourire qu’elle était en train de nettoyer les escaliers. »
se souvient-il.

Il poursuit : « Elle m’a ensuite dit quelque chose que je n’oublierais jamais. Elle a dit ‘Y a la guerre dehors, qu’est-ce que tu veux que je fasse ? S’ils bombardent la maison, on dira qu’on a retrouvé une magnifique femme dans une maison propre. S’ils ne bombardent pas, j’aurais une maison propre dont je peux profiter.’ »

GAZA AUTREMENT

C’est là tout le propos du film, qui a été l’an dernier présenté lors de la semaine de la critique du festival de Cannes, et qui voyage à travers le monde, excepté à Gaza où il ne sera pas diffusé. Arab et Tarzan souhaitent parler de celles et de ceux qui peuplent cette petite ville à la population si dense (2 millions ½ de personnes sur 360 km2). Avant même de parler du conflit. Ou plutôt des conflits.

Dégradé offre alors la possibilité de découvrir Gaza autrement. À travers 13 femmes réunies plusieurs heures durant dans un salon de coiffure. « Le seul endroit où il pouvait y avoir autant de femmes en Palestine. Ou à l’intérieur d’une maison. », précisent les réalisateurs qui se saisissent d’un fait divers survenu en 2007 pour mettre leur message en lumière.

Une famille mafieuse kidnappe le lion du zoo et l’affiche clairement devant leur maison, signe de leur résistance et de leur pouvoir. L’animal volé servira d’excuse au Hamas qu viendra à bout de cette famille. Les frères Nasser imaginent alors : et s’il y avait eu un salon de coiffure de l’autre côté de la rue ?

PORTRAITS DE FEMMES

Il y a la divorcée amère, la religieuse, la gérante russe, l’assistante amoureuse d’un mafieux, la droguée, la jeune fille, la future mariée, la femme enceinte, la fille, la sœur, la belle mère acariâtre, la mère asthmatique et la divorcée soulagée. Chacune représente une catégorie de femme bercée par ses illusions, ses rêves, ses espoirs, ses faiblesses, ses déceptions.

« À l’international, le conflit est connu. On introduit souvent les mêmes sujets et on a l’impression que les internationaux ne comprennent pas bien les palestiniens. Ils subissent l’occupation et la guerre mais ils ne sont pas différents des autres gens dans le monde. »
souligne Arab, après la diffusion du film.

C’est ce qu’il tend à montrer dans les discussions de ces femmes, différentes les unes des autres et pourtant embarquées dans la même galère.

Ce jour-là, dans le salon de coiffure, il est question d’amour, de jalousie, d’impuissance sexuelle, de drogue ou encore de religion. Des problématiques qui traversent les frontières et les milieux sociaux. Elles sont là pour se faire coiffer, épiler, maquiller, laver. Ou simplement pour accompagner une autre femme.

Et autour de leurs conversations se tisse le lien vers l’extérieur, vers une situation complexe dont elles parlent tantôt avec lucidité, tantôt avec naïveté. Des réflexions qui évoquent l’occupation israélienne mais aussi les conflits internes que connaît la Palestine avec la prise de pouvoir du Hamas à Gaza et la résistance de certaines familles mafieuses.

COMME TOUT LE MONDE ?

Arab Nasser insiste quant à l’universalité de l’histoire racontée : « Il y a toujours un drone israélien au dessus de nos têtes mais on reste une société qui va de l’avant et qui essaye de rire de cette situation. Ici, on a voulu peindre un portrait social d’une société féminine gazaouie avec des archétypes des problèmes rencontrés et des femmes. On est tous comme ces femmes. On raconte nos histoires personnelles, on ment, on rit, on est hypocrites… C’est notre histoire à tous. »

Néanmoins, les jumeaux, diplômés des Beaux Arts de Gaza, l’école de cinéma n’existant pas, tout comme les salles de cinéma, détruites un an avant leur naissance -, n’écartent pas la guerre de leurs propos. Elle est prégnante, omniprésente, quotidienne. Dans le film, elle s’exprime par les sons extérieurs, l’histoire se déroulant en huis clos dans le salon afin de maintenir fixe le regard porté sur et par les protagonistes.

Petit à petit, les bruits prennent une place de plus en plus importante. Un générateur électrique, des 4x4 qui démarrent rapidement, des tirs, des bombardements. Et plus ils envahissent l’espace du film, plus la lumière diminue. Et plus l’angoisse s’intensifie.  « D’où le nom Dégradé. En référence à la coiffure mais aussi à la dégradation des sons et des lumières. Gaza est tout le temps submergée par les sons, les gens se parlent d’un immeuble à l’autre, les marchands de fruits et légumes ont des mégaphones, et en plus il y a la guerre avec les drones, les avions, les tirs, on voulait en rendre compte », justifie Arab.

LA RÉSISTANCE AVANT TOUT !

Les frères Nasser réussissent le pari de montrer le quotidien de Gaza, de dénoncer les forces armées qui en ensanglantent les rues – aussi bien l’armée israélienne que le Hamas – tout en se concentrant sur ces femmes, qui subissent les conséquences de ces guerres, dépeintes dans les médias comme dures et sans opinion. Au contraire, Dégradé est une opportunité de leur rendre hommage et d’expliquer que la dureté des conflits favorise le blindage de l’esprit. Dans le salon, elles se dévoilent telles qu’elles sont et telles qu’elles agissent, au delà de l’esprit conscient que la mort borde leurs journées.

Fières, courageuses, caractérielles, sensibles, elles détiennent toutes en leur fort intérieur des blessures mais aussi et surtout des âmes de résistantes :

« Depuis 1948, elles ont toujours été en résistance. Elles recherchent la vie ! L’acte du maquillage, de la coiffure, etc. peut paraître dérisoire mais c’est déjà un acte de résistance. ».

Le premier long-métrage d’Arab et Tarzan Nasser, dont la sortie est prévue le 27 avril prochain, est déjà un chef d’œuvre, loin des clichés et des polémiques religieuses dont se régalent les médias depuis de nombreuses années. Les jumeaux nous donnent à voir le quotidien de ces femmes par le trou de la serrure pour qu’apparaisse enfin la vision plus large de la réalité de Gaza, le salon en étant la métaphore vibrante. Pour la gent féminine, c’est le double enfermement.

 

NB : Petite pointe de fierté régionale, Dégradé est co-produit par la société rennaise .Mille et une films et la post production a été réalisée par les rennais d’AGM Factory. Aussi, il bénéficie du soutien de la région Bretagne et du Breizh Film Fund.

Mihaela Murariu

Le cancer du sein raconté aux enfants

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Atteinte en 2011 d’un cancer du sein, Rosanne Ribatto a vécu le combat contre la maladie avec sa famille. De son expérience, elle en a fait un livre illustré pour les enfants, Khâki-ann et le crabe.
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Atteinte en 2011 d’un cancer du sein, Rosanne Ribatto a vécu le combat contre la maladie avec sa famille et ses ami-e-s. De son expérience, elle en a fait un livre illustré pour les enfants, Khâki-ann et le crabe, édité en 2015 à 1000 exemplaires.

« Je l’ai annoncé tout de suite à mes enfants alors âgés de 4 et 7 ans. Je ne voulais pas leur mentir et trouver les bons mots pour ne pas les traumatiser, sans minimiser les choses. », explique Rosanne Ribatto.

Lorsqu’elle apprend qu’elle est atteinte d’un cancer du sein, en 2011, elle a déjà conscience de ce que l’on peut vivre à cause de cette maladie, son amie Anne-Frédérique Coureau l’ayant affronté au précédent.

C’est avec elle que va naitre l’idée du livre Khâki-ann et le crabe (Kaki étant son nom d’artiste peintre et Annette, le surnom de son amie). « Elle m’avait raconté ce qu’elle disait à ses filles. Pendant que je vivais ça, j’ai noté ce que me disaient mes enfants et ce que je ressentais, c’était une sorte d’exutoire. », précise Rosanne.

Elle écrit le livre, dans un premier temps, pour sa famille et son entourage « car des bouquins existaient sur le sujet mais ne correspondaient pas à nos envies », le transmet ensuite à une amie, à Marseille, atteinte également de la maladie, qui elle aussi le diffuse au sein de son réseau. Les retours sont positifs et encourageants, hormis certains avis opposés à l’idée d’en parler aux enfants.

« Je ne dis pas avec ce livre que c’est ce qu’il faut faire. Je dis que c’est ma solution à moi, ce n’est en aucun cas la manière de vivre de tout le monde »
rationalise l’auteure.

Accompagnée de l’artiste roumaine Mihaela Murariu, Rosanne Ribatto se lance dans l’auto-édition de son ouvrage (les bénéfices seront reversé à la recherche contre le cancer), aujourd’hui diffusé dans des écoles, des collèges, des bibliothèques et peut-être, prochainement traduit dans plusieurs langues : « Il est fait pour être lu avec un ou des adulte-s. Il faut savoir que ce n’est pas un livre triste ! »

COMBAT COLLECTIF

À l’image de Boris Vian qui imaginait un nénuphar dans la poitrine de Chloé, dans L’écume des jours, Khâki-ann, elle, doit affronter le crabe logé en son sein. Jalla, son fils aux initiales des enfants de Rosanne et Anne-Frédérique, dessine un monstre en plusieurs parties, à découper après chaque séance de chimiothérapie, et s’invente une chanson autour de cette créature.

« Ce sont des choses que nous avons fait ensemble. Avec mes enfants, mon mari, ma maman, ma grand-mère. Chaque coup de ciseaux était une victoire ! On a aussi fait une soirée perruques pour dédramatiser un peu », se rappelle l’auteure, partisane de la franche rigolade en toute circonstance. La rémission est le résultat d’un combat collectif : « Mon fils dit « On a tué le cancer ». On était une armée ! »

D’où l’importance selon elle d’en parler à ses enfants. Tout comme Magali Lebellegard, membre des Roz’Eskell, qui a toujours souhaité répondre aux interrogations de son fils, 5 ans ½, et sa fille, 9 ans ½ (au moment du cancer) : « J’ai utilisé les vrais mots avec ma fille aînée qui a très vite compris la gravité de la situation : cancer, opération, chimiothérapie en expliquant les effets secondaires, radiothérapie, hormonothérapie. Elle avait besoin de réponses donc j'ai toujours répondu avec des mots simples et en restant toujours très positive. Je n'ai jamais rien anticipé mais je me suis adaptée à leurs inquiétudes. »

Les deux femmes sont unanimes : l’annoncer, oui, mais avec positivisme et espoir ! « À la question « Maman, est-ce que tu vas mourir ? », je répondais que j’allais me battre et que tout le monde allait m’aider à gagner contre le cancer, les docteurs et tous les gens qui m’aiment. », souligne Magali.

LE RISQUE DE LA GÉNÉTIQUE

Elle et Rosanne vont vivre deux cas assez similaires ; leurs filles démontrant plus de craintes vis-à-vis de la maladie que leurs fils, plus jeunes, qui vont eux y trouver des avantages.

« Pour ma fille, ce qui était difficile, c’était la perte des cheveux. De son côté, mon fils me trouvait belle et rigolote chauve. »
confie Rosanne Ribatto.

L’aînée de Magali se rapproche de sa mère, dans une relation fusionnelle, et devient son infirmière personnelle durant les traitements en lui faisant des massages ou en l’aidant à la pose quotidienne du vernis afin d’éviter la chute des ongles.

« Mon fils était content que je sois « en vacances à la maison » et que je l’accompagne tous les jours à l’école. Le fait de me voir jolie (foulard chatoyant et maquillage), rire et continuer à jouer mon rôle de maman lui suffisait. », explique-t-elle. Aujourd’hui encore, ils s’inquiètent d’une potentielle récidive et appréhendent les rendez-vous médicaux de leur mère, qui prend soin de leur en parler le moins possible, excepté lorsqu’ils sont demandeurs de réponses.

Pourtant, leurs filles pourraient être confrontées à l’avenir à un cancer du sein, qui peut être génétique. La problématique est complexe et entraine de nombreuses interrogations, dont certaines suscitent la polémique comme la mastectomie – opération qui consiste en l’enlèvement partiel ou total d’un sein, voire des deux seins - par exemple. Raison pour laquelle le choix de Rosanne Ribatto s’est orienté vers un protagoniste masculin dans son ouvrage.

Face à l’éventualité d’un cancer génétique, les deux femmes se montrent donc plus décontenancées, inquiètes d’un drame qui pourrait survenir à leurs enfants. Magali Lebellegard avoue que cela a même été la question la plus difficile pour elle à affronter : « Sans vouloir lui mentir ni l'apeurer, je lui ai répondu qu'elle serait extrêmement bien suivie (d'autant plus qu'il y a un fort risque génétique). Je ne veux pas qu'elle grandisse avec la peur d'être touchée à son tour. Mais j'y pense souvent... »

Célian Ramis

Les Innocentes, entre pureté esthétique et horreur de la situation

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Cinéma Gaumont, Rennes
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La réalisatrice Anne Fontaine revient sur un fait tragique de l’Histoire, lors de la Seconde guerre mondiale en Pologne, dans son nouveau film Les Innocentes.
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La réalisatrice Anne Fontaine revient sur un fait tragique de l’Histoire, lors de la Seconde guerre mondiale en Pologne, dans son nouveau film Les Innocentes, qu’elle présentait en avant-première le 18 janvier dernier, au cinéma Gaumont de Rennes.

Décembre 1945, Pologne. Mathilde Beaulieu est en mission pour la Croix-Rouge française. Elle y assiste un chirurgien dans le but de soigner les rescapés de la guerre avant leur rapatriement en France. Appelée à l’aide par une religieuse polonaise, elle va accepter de se rendre dans le couvent où vivent trente bénédictines coupées du monde, enchainées à une tragédie survenue quelques mois plus tôt. Violées par des soldats de l’Armée Rouge, plusieurs d’entre elles sont sur le point d’accoucher.

La trame est historique. Ignorés encore aujourd’hui de la majeure partie de la population polonaise, mais confirmés par des historiens du pays, les faits ont eu lieu à divers endroits, souvent situés vers la frontière de Silésie, au Sud-Ouest de la Pologne. Violées, tuées pour certaines, laissées enceintes pour d’autres. Dans le film d’Anne Fontaine, l’action se concentre sur le cas des bénédictines soignées par Madeleine Pauliac, médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie en ruines, et chargée de la mission de rapatriement à la tête de la Croix-Rouge française.

LA VÉRACITÉ D’UNE AMBIANCE

Dans un carnet, dévoilé par Philippe Maynial, son neveu, elle y écrit son quotidien auprès des patients et témoigne de cet épisode au couvent où elle rencontre des femmes en proie à une problématique tragique, qu’elle garde secrètement par peur de mettre le couvent en péril. Les Innocentes en est une adaptation, non la copie exacte. « Il y a très peu de choses écrites sur ce carnet. C’est très bref, tel jour j’ai fait ça, point. », explique Anne Fontaine, lors de son passage à Rennes.

Pour nourrir les personnages et relater de l’atmosphère monacale avec véracité et fidélité, la réalisatrice de Gemma Bovery ou encore Perfect Mothers s’est rendue à 2 reprises dans un couvent : « La première fois, 3 jours, la deuxième fois, 4 jours. Je faisais tout comme elles, j’étais considérée comme une novice. J’ai été très touchée par cette expérience. C’était important pour ma façon de filmer. Les visages cadrés par le voile, les mains qui sont les seuls membres à apparaître en dehors du chasuble, les corps ensevelis par les tissus… ça change vraiment la manière de regarder une personne. »

L’occasion de contempler et d’observer les rythmes qui structurent les journées des nonnes entre les instants de silence, les prières et les chants. Pour les reproduire au plus près du réel et ainsi pouvoir nous plonger dans l’ambiance et le contexte. Défi relevé puisque la pureté des couleurs contrastées entre le noir anthracite et les nuances de blanc, dans un décor épuré, accentue la violence du propos et nous maintient sous pression, comme pour nous dire que jamais cela ne s’arrête, malgré quelques instants de respiration et d’espoir.

FOI ET VOCATION

Un propos qui n’est d’ailleurs pas singulier mais qui s’attèle à saisir chaque réaction manifestée par les protagonistes et leur évolution, sans porter de jugement moral et sans imposer de vision manichéenne, la complexité de l’être humain étant un élément sous-jacent à l’histoire (et à l’Histoire). Gérer le drame, vivre une grossesse imposée, conséquence d’un viol, affronter des dénis, se buter contre les règles, se battre et se débattre avec sa foi. C’est là l’essence même du film. Comment garder la foi dans une situation comme celle-ci ? La foi peut-elle être inébranlable ?

« La maternité pour une Sœur, c’est ce qu’il y a de plus difficile à abandonner quand elle s’engage devant Dieu. C’est ce qui est ressorti dans ce qu’elles m’ont raconté quand je suis allée au couvent. Là, en plus, elles y sont confrontées de force. Chacune d’entre elles va alors dialoguer à sa manière avec cet événement. », livre la réalisatrice transcendée par le sujet dès lors que ses producteurs le lui ont proposé.

Et le film ne se limite pas à la foi religieuse touchant plus largement à la vocation et à l’espérance. L’importance de l’espérance, s’il en est. Confrontant ainsi le monde spirituel à celui du monde laïc, à travers le personnage de Mathilde, communiste par éducation, pragmatique, scientifique. Une jeune femme qui s’est jetée tête baissée dans l’horreur de la guerre et qui est arrivée en Pologne avec ses certitudes, dénuées de certaines réflexions philosophiques.

DE LA BEAUTÉ JAILLIT L’HORREUR

Interprétée par Lou de Laâge, elle captive spectatrices et spectateurs. De son comportement transgressif – femme médecin, bravant les ordres de sa hiérarchie, entamant une relation « non conventionnelle » (pour l’époque) avec le chirurgien, gardant le secret des Sœurs, agissant en pleine nuit malgré les dangers des barrages des soldats russes – elle tire un roman d’apprentissage à travers un enchainement d’expériences initiatiques.

« J’ai voulu Lou pour sa grâce. C’est très fort au cinéma d’avoir de la grâce. Je l’ai dirigée d’une manière particulière car au départ elle devait être froide, ne pas montrer ses émotions. Si son personnage était trop atteint, elle ne pouvait plus faire correctement son travail. », justifie Anne Fontaine. Et entre Mathilde Beaulieu et les Sœurs se nouent des relations profondes qui vont rompre avec le quotidien et s’immiscer dans cette communauté à la dramaturgie semblable à celle de chaque groupe identitaire, composé  d’égos, de tensions et de tempéraments différents.

La beauté des Innocentes réside dans la découverte de l’autre et l’acceptation, ou non, des événements en cours. Dans le choix du renoncement ou de l’espérance, dans les motivations à commettre un acte répréhensible comme le sacrifice d’un enfant pour préserver sa communauté du déshonneur et de la disgrâce. Sans minimiser ou grossir le trait, la réalisatrice rend le poids de la religion, la rigidité de la pensée catholique tout comme celle de la pensée scientifique, malléables. Interrogeant ainsi qui de l’individu ou de la foi guide l’autre.

Tout est travaillé, chaque détail est peaufiné. Décors, lumières, dialogues (français soutenu pour la polonaise Sœur Maria), interprétations sans failles des comédiennes, tout est confiné dans la plus grande pureté et dans la plus grande sobriété. Comme pour déclencher un choc entre la perfection esthétique et l’horreur du sujet, qui, réunis, bouleversent les spectatrices et les spectateurs.

Sortie de son contexte, la situation exposée se transpose à notre époque contemporaine, la cruauté des actes infligés n’ayant pas cessé à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le film nous invite à réfléchir à la réalité des violences sexuelles, pas seulement crimes de guerre mais aussi et surtout crimes du quotidien. En France, c’est en moyenne 84 000 femmes par an (âgées entre 18 et 75 ans) qui sont victimes de viols ou de tentatives de viols, selon le site gouvernemental contre les violences faites aux femmes.

Au cinéma à partir du 10 février 2016.

Célian Ramis

Joséphine s'arrondit, le poids de la comédie

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Rencontre avec Marilou Berry, Medhi Nebbou et Bérangère Krief, venus présenter Joséphine s'arrondit en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, jeudi 7 janvier.
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Pour la première fois réalisatrice, Marilou Berry est venue présenter Joséphine s’arrondit, en compagnie de Medhi Nebbou et Bérangère Krief, jeudi 7 janvier au cinéma Gaumont de Rennes. Sortie prévue le 10 février 2016.

En juin 2013, Agnès Obadia adapte au cinéma Joséphine, personnage créé par la dessinatrice Pénélope Bagieu, dans sa bande dessinée du même nom. Marilou Berry en est l’actrice principale. Deux ans plus tard, cette dernière s’entoure de la scénariste du premier volet, Samantha Mazeras, et d’une partie de l’équipe d’acteurs, dont Medhi Nebbou et Bérangère Krief, et passe derrière la caméra pour réaliser la suite des aventures de Joséphine.

Au chômage, hébergeant sa sœur dépressive depuis qu’elle a fui son mariage, entourée de sa bande d’ami-e-s, elle a trouvé l’amour et vit en ménage depuis 2 ans. « C’est un couple qui marche, un couple très amoureux. Ils sont un peu dans leur monde, décalés, s’en foutent presque du reste », précise Medhi Nebbou, qui à l’écran incarne Gilles, le compagnon de la jeune femme. Ensemble, ils vont vivre l’expérience de la grossesse.

ANGOISSES DE GROSSESSE

« Ce n’est pas un film sur les mamans, mais sur les angoisses et les projections des futurs parents », explique Marilou Berry. L’occasion d’aborder le couple sous l’angle du bouleversement dans la relation à deux à travers les ressentis individuels. « L’arrivée d’un enfant pose de nouvelles questions. Cela révèle celui qui veut être rassuré, celui qui ne veut pas être rassuré, celui qui a besoin de rassurer… », signale Medhi Nebbou, rejoint par la réalisatrice qui précise : « Ça va permettre à Gilles de penser à lui, de s’énerver, de pouvoir être égoïste. C’est important aussi dans la vie. Et à Joséphine de, pour une fois, penser moins à elle… »

Peur que l’enfant naisse sans bras, qu’il ne l’aime pas, qu’il hérite de son cul (disproportionné selon les normes de beauté, dans le premier épisode), de devenir comme sa mère… Joséphine s’arrondit dévoile un florilège d’inquiétudes aussi rationnelles qu’absurdes autour d’une femme « attachiante mais attachante quand même » pour Marilou Berry et de son compagnon parfait qui va s’affirmer dans sa personnalité à l’approche de l’accouchement.

COMÉDIE (TROP) LOUFOQUE

Une comédie loufoque, selon l’acteur principal, novice dans ce registre-là. « J’ai eu des choses à jouer qui étaient assez extrêmes. C’est comme le saut en parachute quand on n’en a jamais fait. Ne pas être drôle c’est inquiétant. Mais finalement, on enlève le harnais et c’est jouissif. » Il insiste : il s’agit là d’une comédie déjantée sur un sujet universel. Ainsi, les péripéties gonflées de stéréotypes et de névroses en tout genre s’enchainent, sans trop laisser le temps aux spectateurs-trices de souffler, étouffant les quelques éléments comiques qui sont, hélas, poussés à leur paroxysme, créant une overdose dans l’exagération.

Dommage car la réflexion initiale, sans être novatrice, est intéressante et libère les complexes et tabous que l’on pourrait avoir dans la projection d’une grossesse. « Pas besoin d’être maman pour avoir des angoisses », souligne Bérangère Krief. Pour coller au rôle, Marilou Berry s’inspire donc de vidéos sur le sujet, se renseigne auprès de son entourage, sans toutefois échanger avec Josiane Balasko, sa mère à la vie comme à l’écran : « Qui de mieux que ma mère pour jouer ma mère ? Je serais incapable de jouer un autre rôle avec elle, de jouer une inconnue pour elle… (…) Je n’ai même pas pensé à lui demander si elle avait eu des angoisses lorsqu’elle était enceinte car ce ne sont certainement pas les mêmes inquiétudes qu’aujourd’hui. Je suis une enfant des années 80. »

L’actrice-réalisatrice travaille actuellement à un nouveau long-métrage, dans le registre de la comédie d’aventure, et avoue ne pas savoir ce que deviendra son personnage de Joséphine. L’envie de poursuivre à ses côtés est présente et envisage, en plaisantant, un « Joséphine et Gilles divorcent ». La suite logique d’une vision cynique de la vie à deux ?

 

Célian Ramis

Et la rencontre créa l'oeuvre

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Centre culturel colombier, Phakt, Rennes
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Actuellement en résidence au PHAKT, la commissaire d’exposition Raphaële Jeune est en passe de conclure son projet « L’événement ou la plasticité des situations ».
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Actuellement en résidence au PHAKT – centre culturel Colombier, la commissaire d’exposition Raphaële Jeune est en passe de conclure son projet « L’événement ou la plasticité des situations ».

Dernière phase de la résidence qui a déjà expérimenté la collaboration de Nico Dockx puis de François Deck : l’exposition de l’artiste-chorégraphe israélienne - depuis 2007 installée à Bruxelles - Adva Zakaï. Depuis le 13 novembre, elle présente au PHAKT « Last seen standing between brackets – indoors » qui s’achèvera le 18 décembre, avec la performance « on stage » au musée de la danse de Rennes.

LA RENCONTRE

Avant cela, Raphaële Jeune, commissaire d’exposition indépendante, a obtenu un DEA en culture et communication, travaillé dans des musées, des galeries, des instituts français à l’étranger et a été critique d’art. Installée dans la capitale bretonne depuis 9 ans, elle sillonne la France là où les projets l’inspirent comme à Montreuil, la Rochelle ou encore Marseille. Sans oublier qu’elle a également dirigé les Ateliers de Rennes – Biennale d’art contemporain en 2008 et 2010.

« J’ai adoré cette expérience, c’était un grand format, passionnant. Mais je préfère être indépendante, rester mobile et pouvoir vivre de « vraies » rencontres avec les artistes. C’est frustrant dans ces grosses structures de ne pouvoir creuser un sujet et produire ensemble. », explique-t-elle.

C’est là ce qui l’anime dans son métier, dans sa pratique et sa réflexion :

« De la rencontre, on transforme ensemble. On ne sait jamais ce qui va se passer quand on rencontre une personne. On prend et on donne forme, c’est le principe de la plasticité. »

L’EXPÉRIENCE

À 47 ans, cette passion pour l’interaction de la relation, plus que pour l’issue du travail artistique, fait partie de son quotidien de chercheuse puisqu’elle mène en parallèle une thèse de doctorat, à l’université Rennes 2. Son thème de prédilection : la mise en place de dispositifs.

« La résidence au PHAKT est un laboratoire de recherches sur l’art et l’événement autour du dispositif de présence. On met en présence des gens dans un lieu. », précise Raphaële Jeune. La présence mais aussi l’absence, implicite ou explicite du corps d’Adva Zakaï qui se signale par des lettres projetées sur les murs, formant des mots d’après le langage binaire de l’informatique, mais qui disparaît également des textes dont elle se dégage.

Ensemble, les deux femmes lancent et poursuivent la réflexion autour du devenir de nos corps et des espaces numériques qui ne peuvent les accueillir. En repensant la place des spectateurs-trices et des artistes, Raphaële Jeune entend également au travers de ses projets interroger notre rapport à la rencontre, à l’expérience.

L’INSTANT PRÉSENT ET LA SUBJECTIVITÉ PLURIELLE

Avec Nico Dockx, c’est l’expérience de l’instant présent qui a été primée dans « La psyché de l’univers – Hommage à Francisco J. Varela ». Le monde ici et maintenant, la seconde suivante n’étant qu’un autre recommencement. « C’est la rencontre entre un « je » et un environnement. Chaque instant va être différent. L’instant présent est source de nouveauté permanente. », explique la commissaire d’exposition. Ainsi, une communauté éphémère a été créée autour d’un événement : une cinquantaine de participant-e-s ont cuisiné et mangé ensemble.

Avec François Deck, dans « L’école erratique », c’est la problématique de la subjectivité plurielle qui est posée. Dans la mesure où le numérique capture nos comportements et les analyse via des algorithmes, il en vient à saisir nos goûts et a s’en approcher en nous proposant en permanence des liens vers ce qui nous pourrait nous plaire ou intéresser. Un système qui influence sans cesse le cours de nos vies.

« Je m’intéresse au sujet digital. À ce que l’on est aujourd’hui et au fait que l’on est déjà en partie digitalisés. Qu’en est-il de nous en tant que corps dans un espace qui ne peut accueillir un corps ? »
s’interroge Raphaële Jeune, saisie par la richesse des réflexions approfondies lors de la résidence.

LA DISPARITION

L’artiste israélienne Adva Zakaï vient compléter le travail orchestré par Raphaële Jeune avec un dispositif littéraire interactif et original. Sur les murs, des phrases apparaissent. D’abord des l et des O, puis des lettres, des mots et enfin un enchainement qui crée des phrases, des paragraphes. Et à la disposition des visiteur-e-s, des livres.

Le principe est simple : des lignes de texte qui s’ajoutent au fil des pages. Il faut tourner les pages pour découvrir la deuxième, la troisième, la quatrième phrase et ainsi de suite. Jusqu’à ce que l’artiste s’efface et se détache du texte qui n’existe que par lui-même et non plus avec un-e auteur-e :

« Elle voulait marquer l’accumulation, signifier que les traces ne s’effacent jamais. Et par le gris choisi, elle montre l’impossibilité de faire disparaître la trace. »

« Last seen standing between brackets - Indoors » allie et alimente les pistes de réflexion lancées par les deux premiers artistes, et le trio s’imbrique autour de la pensée et du corps dans l’ère du digital. Adva Zakaï, chorégraphe, se saisira de l’art de la danse pour mettre son corps en mouvement et illustrer la disparition de cette enveloppe charnelle au profit d’une interface plus robotique. La performance « on stage » sera à découvrir le 18 décembre à 19h au musée de la danse, à Rennes.

LE FINISSAGE

Pour conclure la résidence, Raphaële Jeune organise un finissage au PHAKT le 19 décembre, de 14h30 à 16h. À cette occasion, la commissaire d’exposition reviendra sur les actions entreprises, les expositions présentées et l’articulation des projets. François Deck sera présent pour expliquer le processus de « L’école erratique » et Adva Zakaï effectuera une performance de la série « Solo solutions », avant un échange avec le public.

Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : Monika, déferlante de bonne humeur

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Parc Expo, Rennes
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Samedi 5 décembre, dernier soir des Trans au Parc expo de Rennes. Monika assure le show et prouve que sa notoriété en Grèce est justifiée de par son talent.
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Samedi 5 décembre, dernier soir des Trans Musicales au Parc expo de Rennes. À peine 1% de femmes programmées sur l’ensemble des 4 halls. Pour chance, mais qui n’excuse en rien cette inégalité, Monika a assuré le show et prouvé que sa notoriété en Grèce, son pays d’origine, était justifiée de par son talent.

Depuis l’annonce de la programmation des Trans, sa chanson « Secret in the dark » – également titre de son 3e album, sorti le 13 novembre – circule. Disco entrainant, on se prête au jeu, on se déhanche et on imagine que son concert sera un enchainement de chansons du genre.

Monika Christodoulou nous prouve que l’on avait tort de penser ainsi. Car la chanteuse grecque dévoile une palette bien plus nuancée et plus complète que cela et gère le rythme de son set de manière à nous la faire découvrir sans lenteur, sans redondance et sans frustration.

Pour son premier concert en France, elle foule la scène des Trans Musicales, accompagnée d’un batteur, d’un trompettiste, d’un bassiste et d’un guitariste. Les sonorités jazzy se mélangent à des premiers morceaux folk rock qu’elle alimente d’une belle voix grave qui résonne dans le hall 3, rempli de spectateurs-trices envouté-e-s par la proposition.

L’ambiance est paisible sur les premières notes. Le public est saisi par la particularité de ce qui pourrait s’apparenter à un hymne porté simplement par la voix, et soutenu par la batterie qui intensifie la profondeur du chant. Monika, debout, droite, main sur le cœur, air grave. On ne peut décoller le regard de la chanteuse et se concentrer sur rien d’autre que la pureté de ce qu’elle renvoie en émotion. Une émotion forte et poignante, renforcée par la vision de son poing serré, tremblant, et de sa musculature contractée.

Elle enchaine en se rapprochant du public, descendant dans l’espace réservé aux photographes séparant le public de la scène, pour une « song d’amour ». Et éloignée de son micro durant une poignée de seconde, elle fait entendre la beauté de sa voix saisissante, à laquelle elle mêle ballade romantique et sonorités traditionnelles, lors d’un instant magique qui marque nos esprits.

De retour sur la scène, elle sonne le coup d’envoi vers des chansons teintées de disco. Musique et danse se mélangent, une bulle se forme autour du hall, le temps s’arrête, on vit l’instant présent sans penser à rien d’autre. Munie de sa guitare, elle balance un disco empli de funk tout en gardant son empreinte vocale rock et soul. Rien ne bascule jamais dans la démonstration et l’équilibre du groove et de l’émotion, transmise à travers une sensation de bien-être, nous fait chavirer.

Le côté Madonna dans Evita à la fenêtre pour entamer « Don’t cry for me Argentina » au début de la chanson « Shake your hands » est magistral et immédiatement suivi d’une rupture dans le rythme du morceau. La voilà qui sautille et parcourt la scène en dansant, derrière les musiciens. Une déferlante de bonne humeur a envahi l’espace de notre bulle et le public, timide au départ, reprend le refrain avec plaisir et enthousiasme.

Son spectacle est fort, percutant, emprunt de sensualité dont elle ne joue pas ni n’abuse dans un jeu de séduction naturel. De la spontanéité, Monika en déborde, rien ne semble too much et on apprécie son lâcher prise, même quand elle oublie les paroles et se ressaisit avec force et rage pour livrer au public les dernières notes de son concert qui se clôt, après l’excellente « Secret in the dark », sur une chanson qui allie une intro sonnant légèrement à la Abba, des airs traditionnels grecs et une partition très rock sur la suite.

Pour son premier concert en France, la chanteuse-musicienne marque les esprits du public des Trans Musicales. Son énergie communicative séduit instantanément et ne nous quitte pas de la soirée. Une révélation qui nous laisse sans voix mais nous emplit d’espoir et d’optimisme.

Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : Danse alternative et cinématographique

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La Triangle, Rennes
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Le crew féminin Swaggers livrait une version spéciale et incroyable de leur création "In the middle", au Triangle, le 4 décembre dans le cadre des Danses aux Trans.
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Dix ans que la danse s’invite aux Trans Musicales. Vendredi 4 décembre, le Triangle accueillait le crew féminin Swaggers pour une version spéciale et incroyable de leur création « In the middle ».

Quand le hip hop rencontre l’art contemporain, quand la danse devient un concert, quand le spectacle se transforme en film… La liste pourrait être longue. Car Marion Motin en a sous le pied, dans le bide et dans la caboche et ne cesse de construire de nouveaux univers. Chorégraphe et danseuse, elle est une pointure dans son domaine.

En 2009-2010, elle décide d’insuffler un élan féminin au milieu hip hop, secteur à l’origine – et encore aujourd’hui - très masculin. Ainsi, elle crée le crew Swaggers, composé exclusivement de danseuses. « Tous mes mentors étaient des hommes. J’ai voulu fédérer les femmes, leur permettre de faire des battle entre elles, de s’imposer. », explique Marion Motin.

L’art de s’imposer, elles en maitrisent les rouages pourtant aléatoires, jamais certaines que le succès sera au rendez-vous. Mais leur création, longue de 20 minutes supplémentaires pour les Trans Musicales exceptionnellement (1h au total), est le fruit d’un travail collaboratif et marque surtout un désir de s’affranchir des codes. De ne pas rentrer dans les cases, ni dans les catégories simplistes et réductrices.

SHOW CINÉMATOGRAPHIQUE

De la scène peu éclairée se distingue une silhouette. La salle est plongée dans le noir, le public dans un silence emprunt de curiosité. Une femme, seule, lookée comme une indienne d’Amérique, chante a capella et donne immédiatement le ton. Entre puissance vocale, maitrise de la technique, note d’humour sur fond d’attitude diva, elle est la bande-annonce d’un show innovant et palpitant.

Et c’est sur une chanson des Doors, « This is the end », que les danseuses entrent en scène, presque les unes après les autres, d’un pas lent, parfaitement mesuré. Vêtues de trenchs et de chapeaux, elles nous transportent sur un autre continent, à l’époque des western et des saloon, le ralenti accroissant l’impression de duels à venir.

Tout de suite, le jeu de lumière, flirtant avec les nuances feutrées et brumeuses et maniant le contraste du clair-obscur, nous permet de pénétrer dans un univers fascinant dont l’esthétique se rapproche de celle d’un film expérimental.

Les mouvements sont synchronisés, longs et aboutis, tantôt lents, tantôt accélérés. En permanence pleins d’énergie. Et toujours une danseuse s’en détache, semblant perdre le fil et chercher son équilibre. Corps et esprits momentanément en décalage, les danseuses pourraient être assimilées à des marionnettes dotées de pensées, de réflexions et de libres-arbitres, dont les ficelles invisibles seraient tirées de chaque côté de la scène.

« La base de cette pièce, c’est de trouver notre équilibre, dans nos vies comme dans un groupe de danse. », souligne la chorégraphe du crew. L’équilibre physique comme l’équilibre intérieur. D’où l’alternance des rythmes, qui jamais ne vacille et qui ne cesse de nous laisser bouche-bée, happés par la singularité de cette danse « qui commence ‘straight’ » pour ensuite les laisser disparaître jusqu’à pouvoir se transformer en notes de musique, en instrument, en émotions…

VOYAGE TRANSÉMOTIONNEL

Car les danseuses incarnent leur chorégraphie, dans laquelle plusieurs séquences se succèdent, « comme des minis clips indépendants, sauf que pour nous, qui avons toutes notre histoire, l’ensemble fait sens. » L’atmosphère est envoutante. Il y a de la folie, des corps et des esprits possédés, de la joie et de la légèreté mais aussi de l’aisance, du soulagement, de l’apaisement, du tâtonnement.

Les musiques, comme celle des Pixies, « Hey », appuient et renforcent les sentiments dévoilés et théâtralisés. Sans oublier l’importance des lumières, qu’elles soient faisceaux linéaires et horizontaux, pour ne saisir que des expressions faciales ou des parties du corps insinuant ainsi l’évaporation des danseuses, ou qu’ils soient un rond de battle ou des carrés colorés de show artistique complet. Toutes mettent en valeur des différences et des personnalités propres à chacune des individues présentes sur la scène de la cité de la danse.

Les spectateurs-trices voyagent d’un genre à l’autre, grâce au mélange de danse contemporaine, de hip hop, de krump ou encore de house, mais aussi d’une ambiance à une autre. On passe ainsi du saloon à la plage de sable fin, bordant la Méditerranée. D’une battle hispanique quasi flamenca à une culture plus urbaine d’Amérique du Sud. Pour finir en divas féminines-masculines.

Les Swaggers se jouent d’une dualité entre douceur et urgence et mêlent dans les danses des sentiments personnels exprimés avec justesse et générosité, et parfois même des sourires lâchés par le bien-être du moment et l’adrénaline de la prestation alternative. La signature de Marion Motin ne passe pas inaperçue, puisant dans toutes ses influences et expériences, que ce soit en tant que danseuse aux côtés de Madonna ou en tant que chorégraphe de plusieurs clips de Stromae et de Christine and the Queens.

« Avec eux – Stromae et Christine – je suis dans l’échange. Je donne mon interprétation et ils me donnent la leur. Forcément, cela laisse des séquelles sur ma corporalité et pareil pour eux. », répond la chorégraphe quand on souligne que ces deux artistes sont également reconnus pour la spécificité de leur danse.

La beauté esthétique du spectacle se rend l’égale et l’alliée du talent des danseuses qui maitrisent le mélange des genres en terme de danses urbaines-contemporaines. L’occasion pour elles de s’en affranchir pour les chambouler, et nous au passage. Une découverte qui laisse une trace dans nos esprits, un choc optimiste et bénéfique.

Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : L'art de la différence

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Parc Expo, Rennes
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Deuxième soir aux Trans Musicales, premier soir au Parc expo de Rennes. Une programmation éclectique et féminine pour ce jeudi 3 décembre.
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Deuxième soir aux Trans Musicales, premier soir au Parc expo de Rennes. Jeudi 3 décembre, les halls se sont animés au son des concerts éclectiques de la programmation. Et à la venue de quelques artistes féminines.

3SOMESISTERS – HALL 3

C’est le groupe que l’on retiendra dans cette soirée. Anthony, Bastien, Florent et Sophie marquent les esprits de par leur univers singulier et original. Coiffes et boucles d’oreilles bleues, robes-toges et attitudes de divas, la quatuor soigne l’esthétisme de son show et interpelle.

« Au départ, nous n’avions d’envie farouche de travestissement. Nous voulions être dans la tradition des groupes vocaux qui s’appellent « sisters quelque chose ». Et pour cela, il fallait ressembler à des sisters. », rigole le groupe avant d’expliquer l’envie de décalage, de ralliement visuel autour de l’outrancier. Et si leur paraître se teinte d’humour derrière un transformisme réfléchi, le lien et la cohérence avec la musique ne sont jamais rompus : « Car la musique, c’est la base de notre projet. On était bien plus doués pour la musique mais nous avons développé ces créatures en parallèle. »

Dès les premières notes, les 3somesisters imposent le silence. La voix est grave et n’est pas sans rappeler la signature vocale de Depeche Mode. Munis de claviers, de percussions et de voix maniées à souhait, ils mêlent électro, soul et dance des années 90 (le groupe ayant commencé par réaliser des cover des tubes 90’s comme « Free from desire » ou « I like to move it ») et s’en font les ambassadeurs modernes.

Car leurs arrangements ne sont pas restés perchés deux décennies en arrière. Loin de là. La pop transgenre des 3somesisters puise aussi bien dans le baroque que dans les sonorités ethniques et tribales. Les harmonies de leur voix, les polyphonies majestueuses, leur maquillage style aztéco-égyptien, et leurs attitudes de madonnes des banlieues populaires forment un ensemble homogène sans faille, jouant du décalage avec la modernité de leur proposition et entretenant le côté urbain-streetwear.

« On est de partout de par nos origines, de par les milieux dont nous sommes issus. On était tous musiciens. On a chacun fait des musiques du monde. », arbore fièrement le quatuor. Les emprunts ethniques seraient donc la matérialisation de ce qu’ils sont. Et en fin d’interview, Sophie exprime également le bien fondé d’explorer son côté féminin. Ce qu’il apporte va au-delà de la question du sexe et du genre.

« Je suis plutôt masculine à la base et ça m’a beaucoup apporté. On devient alors des individus. Il n’y a plus de distinction. », conclut-elle. 3somesisters, un groupe composé de 4 personnes donc, et non pas de 3 hommes et une femme. C’est ce qu’il en ressort sur scène où chaque diva androgyne est magistrale. Les membres du groupe s’amusent de la théâtralité de leurs personnages, tenant leurs rôles à merveille. Une démarche qui n’est pas incompatible avec le partage et la générosité de leur groove entrainant et enthousiasmant.

 

GEORGIA – HALL 8

Elle aurait pu devenir footballeuse professionnelle, nous signale le programme des Trans Musicales. Mais son amour pour Missy Elliott lui fait prendre la voie de la musique et de la batterie pour accompagner sa compatriote britannique Kate Tempest.

Celle-là même que l’on découvrait l’an dernier, un jeudi soir également des Trans, dans un hall voisin.

La jeune artiste se différencie de la poétesse anglaise dans un hip hop plus épuré et moins émotif. Pourtant, elle ne semble pas manquer d’émotions et d’inspiration mais les contient encore peut-être trop à l’intérieur en faveur d’une puissance vocale largement démontrée.

Georgia est néanmoins loin de n’avoir que sa voix comme talent puisqu’elle a réalisé, seule, son premier album dans lequel elle personnalise son univers. Des sonorités synthétisées, des notes tribales, du trip hop et une voix légèrement criarde, elle souligne très rapidement son style métissé.

Des arguments qui sèment l’incompréhension dans nos esprits face à une émotion peinant à circuler. Pourtant, l’enthousiasme et la présence de Georgia sont au rendez-vous et son envie de le partager avec son public - « le plus gros public devant lequel j’ai joué ! » - apparaît comme une évidence.

On l’attend dans la confidence, dans le déversement de ses tripes, encore trop calfeutré derrière une musique énergique et dynamisante.

Mais lorsqu’elle s’installe à la batterie, le concert prend une autre ampleur. L’énergie monte, l’intensité que l’on attendait s’amplifie jusqu’à exploser.

Georgia, confiante derrière son premier amour musical, lâche prise et nous embarque dans une intimité viscérale sans limite jusqu’à casser une partie de son instrument – « C’est comme ça à chaque fois que je joue de la batterie, je suis une fille puissante » - et lancer ses baguettes dans le public.

« I’m so London », déclare-t-elle, à l’aise, comme soulagée, délivrée d’un poids. De l’appréhension, certainement. Ne reste plus qu’à démarrer son concert de la même manière.

 

QUEEN KWONG – HALL 3

Repérée par Trent Reznor, leader de Nine Inch Nails, la californienne Carré Callaway est Queen Kwong. Une reine déjantée qui assure le show et entretient la caricature de la rockeuse désinvolte et survoltée.

Sur la scène, elle enchaine les allers-retours, d’un pas rapide et énervé, et les mouvements épileptiques d’un corps qui semble envahi et hanté par un trop plein d’émotions. Guitares et batterie crachent d’emblée des notes rock et une énergie puissante s’en dégage.

C’est explosif et furieux, corrosif aussi. Dans les textes comme dans la composition musicale. L’urgence agressive. La chanteuse et guitariste a quelque chose d’impulsif, et semble prête à imploser à cause d’une démangeaison incessante et gênante. Presque invivable.

Hormis une gestuelle qui paraît un brin superficielle, fruit d’une ébullition constante qui peine à jaillir à travers le corps, la musicienne démontre une maitrise de son concert.

Alternant entre sons agressifs et parties plus alternatives, quasi sereines. Entre voix de Lolita, parlé psychédélique et cris de « bad girl ».

Elle manie la puissance de son organe vocal mais également celle de son show, l’intensité n’en finissant pas d’accroître, allant de la scène, à la table du dj set, installée juste devant, pour finir debout sur la barrière de la fosse avant de se laisser tomber dans la foule.

Surprenante, Carré Callaway va là où on ne l’attend pas avec un final un peu mystique, a cappella et alimenté de respirations haletantes, marquant la fin de sa folle course.

 

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