Célian Ramis

Inspiration Riot Grrrls

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De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.
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De Buenos Aires à Rennes, en passant par Olympia et Washington DC, le Jardin Moderne proposait en juin et juillet un tour d’horizon, non exhaustif, dans le féminisme underground et DIY, des années 90 à aujourd’hui.

Au début des années 90, Internet n’existe pas. Le grunge s’apprête à exploser mais il n’est pas encore délimité. Sur la côte Ouest des Etats-Unis, la ville d’Olympia est en pleine émanation musicale. Et les femmes sont partie prenante de la production.

« Elles vont se rendre compte que le personnel est politique, que ce qu’elles ressentent est politique, qu’elles ont envie de prendre des instruments et faire de la musique : elles s’interrogent alors sur la place des femmes dans la société underground et plus largement dans la société. », explique Manon Labry, docteure en civilisation nord-américaine, dont la thèse a porté sur les relations entre culture mainstream et sous-cultures underground, à travers l’étude du cas de la sous-culture punk-féministe.

FAIRE ENTENDRE LEURS VOIX ET LEURS IDÉES

Le 28 juin dernier, au Jardin moderne, elle racontait la naissance du mouvement Riot Grrrls. Un récit qu’elle publie en avril 2016 dans son ouvrage Riot Grrrls, chronique d’une révolution punk-féministe. Newsletters, fanzines féministes, concerts, esprit DIY, la création est en pleine ébullition. Et prend d’autant plus d’ampleur quand la scène olympienne rencontre la scène washingtonienne, « plus politique, plus organisée ».

Les musiciennes féministes de l’underground étatsunien vont révolutionner le paysage musical punk et porter des revendications encore tristement d’actualité en 2017. Les groupes emblématiques tels que Bikini Kill (qui comptabilise dans ses rangs Kathleen Hanna et Toby Vail), Bratmobile ou encore Heavens To Betsy font entendre leurs voix et dénoncent des pratiques qu’elles trouvent inacceptables.

« Les féministes s’emparent de la scène underground et produisent des choses qui n’ont encore jamais été entendues, même si le terrain avait déjà été tâté par L7 », précise Manon Labry. En effet, L7 abordait déjà la question du plaisir féminin et de la masturbation, entre autres. Pourtant, elles ne prendront pas part au mouvement.

« Pour autant, elles ont beaucoup influencé les Riot Grrrls, ont collaboré et se sont entraidées. Elles étaient, si on peut dire ça comme ça, des collègues de lutte. Les Riot Grrrls ont continué sur la lancée, en ajoutant les violences faites aux femmes, les viols, les incestes. », souligne-t-elle.

SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE

Entre 1990 et 1995 – période sur laquelle Manon Labry focalise son récit, correspondant alors à la naissance du courant – les groupes émergent, tout comme les fanzines féministes se répandent, comme Jigsaw ou Riot Grrrls. On prône alors l’esprit DIY, l’émancipation (sans jalousie entre meufs) mais aussi le retour aux idéaux premiers du punk :

« À cette époque, on déchante un peu du punk qui se veut horizontal mais les scènes masculines sont majoritaires et les comportements machos sont pléthores. « Girls to the front » (réclamer que les femmes accèdent aux devants des scènes et faire reculer les hommes) est alors une stratégie, que Bikini Kill explique lors des concerts mais aussi sur des tracts, pour que l’espace ne soit pas dominé par des hommes. »

Le mouvement est inspirant, puissant, contagieux. Et controversé. Pas au goût de tout le monde. Elles sont régulièrement la cible des médias mainstream qui les décrédibilise, les faisant passer pour des hystériques criant dans leurs micros. Dans son ouvrage, la spécialiste détaille l’ampleur que prendra cette médiatisation de la haine, allant des menaces (de viol, de mort…) jusqu’à l’exécution de ces dernières.

Si le mouvement a disparu de sa forme originelle, il a fait des émules – comme par exemple avec l’ovni Le Tigre, groupe dans lequel on retrouve Kathleen Hanna - et a poursuivi son chemin en souterrain.

À l’instar du collectif dont les dessins, manifestes et photos étaient à découvrir au Jardin Moderne jusqu’au 31 juillet dans l’exposition « Desde Buenos Aires, Contra Ataque Femininja Mutante » mais aussi du groupe punk féministe Nanda Devi (trio rennais), « qui compte parmi les 12% du Jardin moderne », qui jouait le 28 juin, après la conférence, et portrait fièrement l’inscription « No, no, no »  (du nom d’une de leurs chansons) sur leurs t-shirt :

« Parce que c’est important de se positionner en tant que meufs et de savoir dire non ! »

Célian Ramis

À la conquête de nos libertés !

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Et si bientôt la société interdisait l’espace urbain aux femmes une fois la nuit tombée ? La réalisatrice rennaise, Pauline Goasmat, nous plonge dans un futur proche avec son court-métrage, Conquérantes.
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Et si bientôt la société interdisait l’espace urbain aux femmes une fois la nuit tombée ? La réalisatrice rennaise, Pauline Goasmat, nous plonge dans un futur proche avec son court-métrage Conquérantes – tourné au Blosne - en lice du Nikon Film Festival (mars 2017).

Le sujet est fort et terriblement d’actualité. Pas facile de l’aborder en quelques minutes. Pourtant, Pauline Goasmat, réalisatrice de fictions courtes et photographe, réussit à interpeler et questionner grâce à son court-métrage, dans lequel elle imagine, en noir et blanc, une société en devenir aux restrictions fortes.

C’est un secret pour personne, certains pays régressent en matière de droits des femmes. Pauline appelle les un-e-s et les autres à la plus haute vigilance : « Ce qui se passe avec Trump, c’est aberrant. Et ce n’est que le début. On retombe vraiment dans des schémas archaïques. » Elle regrette qu’aujourd’hui « féministe » soit devenu un gros mot et que les femmes n’osent se revendiquer comme tel.

Bien consciente des inégalités entre les hommes et les femmes, conséquence d’un patriarcat encore bien imprégné dans les mentalités, elle souhaitait depuis plusieurs années aborder la question de la condition féminine, de la lutte pour l’égalité des sexes et la problématique du harcèlement de rue.

RETOUR VERS LE FUTUR

Tandis que certaines ont traité ce dernier point sous l’angle de la révélation et la dénonciation de ce fait de société, en filmant en caméra cachée ou en proposant d’inverser les rôles, Pauline Goasmat nous projette dans un futur proche. Celui qui verra la génération d’enfants d’aujourd’hui devenir des adolescents.

Dans Conquérantes, Lila a 16 ans. Dans sa tour, à sa fenêtre, en observant une bande de filles à vélo, munies de sécateurs, défiant les zoneurs du quartier, elle trouve la force de braver l’interdit. Celui qui la prive de sortir le soir, pour aller chez sa copine de l’autre côté de la rue.

« Elles défient les hommes mais ne vont pas au combat. Je ne veux surtout pas véhiculer l’image inverse. Elles sont à vélo, ce qui est symboliquement fort, et se déplacent. Elles sont des femmes dans l’espace urbain et elles prennent leur place parce qu’elles ont leur place. Les hommes prennent la place sans problème, et ils investissent les installations publiques, les skatepark, les terrains de sport, etc. », scande la réalisatrice.

LA MAUVAISE ÉDUCATION

Dans leur éducation, les petites filles intègrent très rapidement, comme le soulignait Nicole Abar, ancienne championne de France de football, venue à Rennes le 3 mars dernier, que leur place dans les espaces publics est minime. Et une fois la nuit tombée, filles et femmes désertent bien souvent la rue, ou mettent des stratégies – dites d’évitement - en place pour rentrer chez elles, conscientes des dangers potentiels de cet espace.

« Dans Conquérantes, on est proche de l’idée d’un couvre feu pour les filles le soir. Les parents de Lila pensent la protéger. On se dit que pour préserver, il faut interdire. »
souligne Pauline Goasmat qui met alors un coup de pied dans la fourmilière.

En effet, la société préfère confiner les filles dans l’espace privé afin de se tenir à l’écart d’une potentielle agression physique, sexuelle, morale ou autre plutôt que d’éduquer les garçons et les hommes au respect.

RÉ-AGIR POUR NOS LIBERTÉS

Le déclic du scénario lui vient en lisant un article, au cours de l’été 2016, sur les Ovarian Psycos, une brigade féministe sillonnant à vélo les rues de l’Eastside Los Angeles pour lutter contre les violences faites aux femmes. Une phrase de Simone de Beauvoir résonne dans son esprit :

« N’oubliez pas qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Sans cesse l’actualité nous le rappelle. Et pour Pauline, le risque est de « glisser en douceur sans réagir ». Et c’est ce qu’elle met en scène dans son court-métrage, dans lequel la prochaine génération se réveille, tandis que la notre a laissé les discours insidieux agir sur les mentalités.

« Lila reproche à sa mère de ne pas s’être battue pour sa liberté. Aujourd’hui, certes, on n’est pas fondamentalement en danger. Mais on met beaucoup trop en avant le discours de la Manif pour tous ou des anti-IVG. En tant que femme, on met en place des stratégies quand on sort le soir, les hommes ne se posent pas autant de questions que nous. Perso, j’ai l’impression de me faire emmerder partout. On est éduquées à la peur de l’homme le soir tandis qu’on les dédouane. C’est la culture du viol. », s’exclame-t-elle.

Conquérantes est puissant et revigorant. Et découle d’un travail d’équipe qui a également investi les habitant-e-s du Blosne et les structures du quartier, comme le Triangle qui a prêté une salle pour le casting.

UNE ÉQUIPE ENGAGÉE

« J’avais participé à un projet au Blosne et j’avais envie d’impliquer les gens du quartier car il y a ici des assos et une vie de quartier dynamique. Crabe rouge a trouvé des figurant-e-s, on a tourné dans un appart ici, les gamins venaient beaucoup voir le tournage et poser des questions. Vraiment, la vie de quartier m’intéressait et puis les tours, c’est très cinématographique. », précie la réalisatrice.

L’équipe technique est 100% bretonne et les comédien-ne-s, hormis les parents, sont amateur-e-s, repérés en casting sauvage, comme la cheffe de bande rencontrée sur le campus de Villejean.

« Pour Lila, on avait mis une annonce sur Facebook. La mère de la jeune fille qui joue ce rôle m’a envoyé un message. Elle est au lycée alternatif de Saint-Nazaire et avait envie de s’impliquer dans le projet. Elle était déjà très engagée dans la lutte pour les droits des femmes. En règle générale, tout le monde l’était plus ou moins. J’ai vu une douzaine, voire une quinzaine de jeunes filles en casting et toutes se sentaient concernées. Et pour les hommes, les pousser à injurier les femmes pour les besoins des différentes scènes, leur a montré ce qui se produisait au quotidien dans la rue. », explique-t-elle.

On voudrait en voir davantage. Pauline Goasmat aussi. Voilà pourquoi elle explore actuellement la possibilité de l’adapter en long-métrage. Car le sujet concerne tout le monde et relève d’une thématique universelle dans le vécu des femmes :

« Que ce soit à nous que ça arrive ou que ce soit des copines qui racontent, on accumule des histoires de femmes jusqu’à un trop plein. Après avoir fait le film, j’ai eu l’impression de voir encore plus d’articles sur le sujet. »

Sans avoir la prétention de faire changer la société, elle se dit, à juste titre, que la fiction peut accrocher certain-e-s qui seraient passé-e-s à côté et donner envie alors de s’intéresser à cette thématique. Une thématique fondamentale à mettre sur la table pour une prise de conscience générale. Et donner la possibilité à la jeune génération d’investir ce combat pour l’égalité des sexes et le droit au respect pour tou-te-s et éviter les retours en arrière.

Célian Ramis

Agnès Varda et JR, visages d'une humanité sensible

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Ciné TNB, Rennes
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Agnès Varda et JR ont sillonné les routes de France, à la recherche de visages et surtout d’histoires à partager. Le duo fantasque présentait Visages, Villages, le 20 juin dernier au Ciné-TNB de Rennes.
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À la manière de Raymond Depardon, Agnès Varda et JR ont sillonné les routes de France, à la recherche de visages et surtout d’histoires à partager. Le duo fantasque présentait en avant-première le documentaire Visages, Villages, le 20 juin dernier au Ciné-TNB de Rennes.

« Il fait toujours ça. Il croit qu’il va me casser le moral mais ‘faut se lever de bonne heure pour ça ! » Au Ciné-TNB, Agnès Varda et JR s’amusent à se taquiner. Surtout lui. Que ce soit à propos de ses couleurs de cheveux, sa petite taille ou son grand âge, le photographe - âgé de 55 ans de moins qu’elle - charrie la célèbre réalisatrice au doux franc parler qui elle, préfère transmettre ce qui lui tient à cœur et qui a motivé et animé tout le film, à l’instar de toute sa filmographie.

Ils se rencontrent en 2015, grâce à Rosalie Varda, et instantanément, décident de travailler ensemble. Comment ? Sur quoi ? Ils ne savent pas mais ne vont pas tarder à le découvrir. « JR est un artiste urbain, j’avais envie de lui faire faire la campagne. On ne savait pas qui on rencontrerait. On était dans l’attente, dans l’écoute. Et on a eu de la chance, le hasard nous a fait rencontrer des gens formidables. Certains nous ont été portés sur un plateau d’argent. », explique Agnès Varda.

Ainsi, tous les deux ont embarqué à bord du « camion magique » de JR – dans lequel un photomaton est installé et imprime les portraits en taille affiche – et ont sillonné les routes de France, de village en village, partageant ensemble leur passion pour les images « et l’amour des gens », souligne-t-elle.

Sans chercher à établir une cartographie exhaustive des cœurs des villages français, le duo part à la rencontre de Jeannine, Daniel et Yves à Bruay-la-Buissière dans le Pas-de-Calais, de Vincent, Nathalie, Jacky, Marie et Jean-Paul à Bonnieux dans le Vaucluse, de Claude, Didier et Amaury entre autre à Château-Amoux-Saint-Auban dans les Alpes-de-Haute-Provence ou encore d’une partie des habitants de Pirou-Plage dans la Manche. Et de plein d’autres.

Les souvenirs d’enfance remontent et défilent jusqu’au moment présent. Le quotidien des familles de mineurs dans le Nord, l’histoire d’amour d’un arrière grand-père et d’une arrière grand-mère, le dernier jour de travail d’un employé de l’usine Arkéma, la transmission du carillon de père en fils, l’évolution du métier de facteur ou encore l’engagement d’une agricultrice résolument décidée à laisser leurs cornes aux chèvres – là où certains les brûlent à la naissance pour éviter les bagarres et ainsi augmenter la productivité des bêtes -, les récits sont passionnants.

Sobres et simples. Voilà ce qui en fait l’extraordinarité du résultat. Comme lorsque les deux co-réalisateurs provoquent le destin en organisant une fête des voisins dans un village fantôme ou en introduisant les épouses des dockers du port du Havre parmi les containers qui d’habitude ne fréquentent que des hommes.

« On n’a jamais pris au sérieux l’aspect sociologique. On a juste voulu rencontrer des personnes qui parlent de ce qu’ils connaissent, aiment, veulent. Et c’est ce qu’on voit. Des gens très variés. On avait envie de vous mettre de bonne humeur. Que vous ayez une curiosité pour toutes ces personnes, que vous les rencontriez à votre tour. Ils sont en situation de vous intéresser et que vous ne les oubliez pas. Alors on l’a fait de manière un peu fantaisiste avec quelques broderies autour mais ce sont surtout des visages et des surprises. », s’émeut la réalisatrice des Glaneurs et la Glaneuse, plusieurs fois primée pour l’ensemble de son œuvre.

La fantaisie dont elle parle, et les quelques broderies, résident dans leur écriture d’un documentaire qui s’amuse à les mettre en scène. Eux qui apprennent à se connaître, se découvrent, se jaugent et se lient au fur et à mesure. Ainsi, leurs voix et leurs visages accompagnent le long-métrage, faisant éclater leur complicité, leur complémentarité et leurs différences.

Varda, qui s’était dévoilée il y a quelques années dans son documentaire Les plages d’Agnès, laisse JR l’observer de près, elle qui commence à voir flou. Sa vue baisse mais son regard sur ce qui l’entoure et sa soif de voir l’âme humaine ne diminuent pas quant à eux.

Et tout cela, elle l’offre au jeune photographe. Ses yeux, ses rides, ses mains, ses pieds… Agnès Varda en fait des modèles pour ces photos à lui, qu’il aime tant coller en format géant sur tous les supports extérieurs et parfois éphémères, tels que les façades de maison, les trains, les châteaux d’eau ou encore les hangars de ferme ou un blockhaus écrasé sur la plage.

Et partant de cette plage, elle partage avec lui, mais aussi avec nous par extension, ses souvenirs d’une shooting. Quand elle a pris Guy Bourdin en photo en 1954. Ses souvenirs aussi pour des artistes qu’elle admirait beaucoup, comme l’écrivaine Nathalie Sarraute, dont on aperçoit la maison, ou encore les photographes Henri Cartier-Bresson et Martine Cartier-Bresson, dont elle évoque la mémoire au pied de leurs tombes.

L’émotion est vive. Agnès Varda ne cache pas sa sensibilité. Que ce soit face aux personnes rencontrées ou face à ces instants vécus pas encore tombés dans les trous de sa mémoire, comme elle le dit dans le documentaire. Celle qui dit attendre la mort avec impatience, « comme ça, ce sera fini », va même jusqu’à raviver des sentiments profonds et douloureux en emmenant JR chez son ami de longue date, Jean-Luc Godard.

Parce qu’en 1961, dans son court-métrage extrait de Cléo de 5 à 7 intitulé Les fiancés du pont Mac Donald ou (Méfiez-vous des lunettes noires), elle avait fait retirer ses lunettes au cinéaste de la Nouvelle Vague. Un défi qu’elle se lance à nouveau avec ce nouvel ami de route et de cœur. « Lui, il a observé la vieillesse. Moi, je n’avais pas besoin de m’occuper de sa santé. Mais dès que je l’ai vu, j’ai vu qu’il ne voulait pas enlever ses lunettes qui me rappelaient Godard. », précise-t-elle.

La poésie et l'humour dominent Visages, Villages, autant que la majestueuse beauté des paysages. Accompagnés d’une infinie douceur. Le duo est bouleversant. Elle, particulièrement. Le film fait du bien de par sa capacité à montrer la particularité simple de chaque individu. Et parce qu’on peut toujours compter sur la réalisatrice, photographe et artiste plasticienne, pour mettre en valeur les femmes autant que les hommes, elle nous apaise et rend l’humain beau à travers son art.

 

Sortie au Ciné-TNB prévue le 28 juin.

Célian Ramis

Cherchez la femme, sous le voile intégral

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Cinéma Gaumont Rennes
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Sou Abadi signe son premier long-métrage de fiction avec Cherchez la femme. Le 15 juin, la réalisatrice était accompagnée de Félix Moati, pour présenter le film, au cinéma Gaumont de Rennes.
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Sou Abadi signe son premier long-métrage de fiction avec Cherchez la femme. Le 15 juin, la réalisatrice était accompagnée de son acteur principal, Félix Moati, pour présenter le film en avant-première, au cinéma Gaumont de Rennes.

Leïla (Camélia Jordana) et Armand (Félix Moati), tous les deux à Sciences Po, sont en couple. Un couple que Mahmoud (William Lebghil), le grand frère de Leïla tout juste revenu de plusieurs mois au Yémen, désapprouve. Au point de séquestrer sa sœur dans l’appartement. Pour la voir, Armand se cache sous un voile intégral, en se faisant passer pour Schéhérazade. Séduit par cette dernière, Mahmoud se met en tête de l’épouser.

La situation de départ est casse-gueule et la comédie, un genre périlleux. « C’est un thème que tout le monde connaît, dont tout le monde parle. Autant le traiter avec humour ! », explique la réalisatrice, Sou Abadi. Inspirée par Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder, elle souhaitait faire un film de travestissement à son tour, en y intégrant le voile, à partir de son expérience personnelle.

L’IRAN, EN TOILE DE FOND

« En 2001, j’ai dû me rendre en Iran pour mon documentaire (SOS à Téhéran, ndlr). Pour aller dans les institutions, il faut mettre le tchador. Les situations que vit Schéhérazade, je les ai vécues. Pour le thé, par exemple, c’est une coutume. On vous sert le thé, on vous considère comme une invitée. A ce moment-là, je ne savais pas du tout comment faire pour le boire. Je ne comprenais plus ce qu’on me disait et je ne comprenais plus ce que je disais. », souligne-t-elle.

En racontant ses diverses anecdotes, elle prend conscience du ressort comique de ces situations, qu’elle n’a pourtant pas vécu de manière humoristique : « Dans ce film, je rigole d’abord de moi-même. Les parents d’Armand sont mes parents, en plus exagérés évidemment. Et puis, il y a aussi toutes les réflexions que fait Mahmoud sur Sciences Po qui sont là aussi parce que j’ai voulu chatouiller les élites. Tout le monde en prend pour son grade, pour qu’on arrive à rire tous ensemble. »

D’origine iranienne, elle souhaite également rendre hommage à toutes les femmes de son pays qui essaient de lutter depuis la fin de la Révolution et l’arrivée des religieux au pouvoir. Elle le dit et le revendique : toute religion peut devenir dangereuse dès lors qu’elle prend le pouvoir. La Pologne, la Hongrie, l’Iran en sont des exemples. Ce à quoi elle ajoute que la religion doit rester dans la sphère privée et ne doit pas diriger la dimension politique et citoyenne.

« Mitra (la mère d’Armand, incarnée par la talentueuse Anne Alvaro, ndlr) est représentative de cette génération, de ces femmes qui se battent pour faire du vélo, pour chanter, pour montrer leurs cheveux, pour mettre du vernis. Ça peut paraître risible comme ça mais pour elles, c’est une réalité. », insiste Sou Abadi.

L’ISLAM, PAS QU’UNE RELIGION

Dans le film, la douleur du destin iranien se confronte au repli identitaire de certains individus des quartiers stigmatisés. Et la réalisatrice ne fait pas dans la demie mesure en opposant volontairement « les éduqués aux ignorants ». Ses positions sont claires : « c’est par l’éducation qu’on pourra sortir de cette tragédie. L’Etat doit aussi tenir ses promesses envers les quartiers sensibles pour éviter le repli. Le sentiment d’humiliation est réel. Le constat sur la société française est vrai. Je ne suis pas d’accord avec la solution du djihad mais l’humiliation est réelle. »

Ainsi, elle opte pour un Mahmoud qui, par faille affective, se réfugie avec rigidité dans la religion. Sur une pente glissante, il s’embarque vers une interprétation stricte et sévère des préceptes du Coran, sans véritablement le connaître. C’est Schéhérazade qui lui insufflera les valeurs de l’Islam : « Je tenais à ce qu’il ne tombe pas dans l’extrémisme, sans pour autant qu’il perde ses croyances. »

Subtilement, Sou Abadi dévoile la poésie de l’Islam, comme civilisation à part entière et non uniquement restreinte à sa religion et ses stigmates. Avec des références à Mahmoud Darwich tout d’abord, des citations du Coran mais aussi la lecture du Cantique des oiseaux, de Farîd od-dîn ‘Attâr, avec des vers qu’elle mêle en parallèle à ceux de Victor Hugo.

« La spiritualité, les maths, la médecine, Avéroès, l’âge d’or du 13e siècle,… C’est délirant en terme artistique ! L’Europe régresse à un tel niveau consternant avec son idéologie de la peur et du déclin. Et du rejet ! », ajoute Félix Moati.

ET VIENT LE DÉBAT AUTOUR DU VOILE

Cherchez la femme n’est pas un procès grossier à l’Islam mais illustre les opinions politiques de la réalisatrice qui souhaite également témoigner des vécus de son entourage :

« Quand ma petite cousine est venue en France pour son doctorat en génétique, elle portait le foulard. Puis elle a décidé de l’enlever. J’ai beaucoup discuté avec elle à ce moment-là parce que je ne voulais pas qu’elle l’enlève à cause de la pression sociale. Et elle m’a répondu qu’elle l’enlevait parce que le Coran recommande de ne pas se faire remarquer. Alors que le voile produit l’inverse. Ça je l’ai mis dans le film. »

Il s’agit donc bien de pression sociale puisque le débat sur le voile en France est sans fin et agite particulièrement l’opinion publique, cristallisant précisément la peur et le rejet. « Oui, c’est vrai, reprend-elle alors. Ce que je lui disais, c’est de ne pas enlever son voile tant qu’elle n’était pas à l’aise. Je suis pour la liberté d’expression. Le port du voile, c’est quelque chose qui me dérange mais nous sommes en démocratie et il faut respecter les choix des un-e-s et des autres. »

Elle ne peut s’empêcher de penser à la brigade des mœurs en Iran et à l’effet que cela produit sur elle de voir là-bas les femmes voilées. Elle entend également les discours de ses amies demandant pourquoi les françaises portent le voile tandis qu’elles n’y sont pas contraintes. Parce qu’elles, voudraient l’enlever. Un discours que tiennent aussi une partie des féministes occidentales, dont Elisabeth Badinter par exemple.

Et cette manière dont tout le monde s’empare du sujet dans l’Hexagone, et dont chacun-e voudrait arracher le voile à la femme musulmane qui le porte, donne lieu à une scène assez violente, révélatrice de vérités, dans laquelle Schéhérazade se voit devenir l’objet de tous les commentaires des usagers du bus, dont sa mère, qui s’est battue en Iran pour que cela n’arrive pas.

« J’ai une amie iranienne qui fait ça constamment. Dès qu’elle voit une femme voilée, elle lui tient ce genre de discours. Comme la femme qui lui dit « On n’a pas de voile et on n’est pas des putes pour autant »… »

Félix Moati se souvient de la violence ressentie sur le tournage : « J’aime beaucoup le costume qu’enfile l’acteur. Là, en enfilant le tchador, j’ai senti l’animosité et l’hostilité dans les regards. Et pendant cette scène, je n’étais pas bien, je voulais la défendre. Je crois qu’en tant qu’acteur, on fait des choix politiques, malgré nous. Ici, ce qui était intéressant, c’est que le film traite d’une question et d’une angoisse contemporaine. Pour le voile, je pense que la question est très épineuse et qu’elle ne me concerne pas. Il faudrait vraiment interroger les femmes voilées, c’est elles qui peuvent en parler. »

Pas de quoi rire à première vue. Il faut l’avouer, Cherchez la femme ne nous a pas rendu hilares. Mais au moins, Sou Abadi prend le risque de montrer les choses telles qu’elle les pense et les vit, loin de la bienveillance niaise et lourde de comédies telles que Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? ou À bras ouverts. Et nous invite tout de même à découvrir de jolies choses que les grosses ficelles du genre n’écrasent pas.

Célian Ramis

Mythos 2017 : Calypso Rose, reine de l'humanité

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Parc du Thabor, Rennes
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Calypso Rose, c’est un vent chaud de liberté et l’expression joyeuse d’un monde empreint d’inégalités. Rien de mieux pour clôturer la 21e édition du festival Mythos, dimanche 9 avril, dans le cabaret botanique.
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Calypso Rose, c’est un vent chaud de liberté et l’expression joyeuse d’un monde empreint d’inégalités. Rien de mieux pour clôturer la 21e édition du festival Mythos, dimanche 9 avril, dans le cabaret botanique.

Elle aura 80 ans en 2020. Si en entrant dans le magic mirror, ses pas sont lents, Calypso Rose, une fois le pied sur la scène et la musique dans les oreilles, place son énergie au service d’un spectacle aussi enflammé que sa carrière – initiée en 1955 - et que la ferveur de son engagement.  

À 23 ans, elle est la première femme dans l’histoire à remporter le concours Calypso King. Son titre lui colle encore à la peau, à une exception de langage près.

Elle est la « Calypso Queen » comme elle le chante sur une reprise travaillée de « Clandestino », clin d’œil à Manu Chao, producteur artistique de son dernier disque, Far from home.

Elle est loin de chez elle, loin de Trinité-et-Tobago, où elle est née, loin des Etats-Unis, où elle habite, loin de l’Afrique, où elle puise ses racines.

C’est avec « I’m an african » qu’elle débute son concert dans le magic mirror. Son sourire est aussi communicatif que son énergie. Des deux, elle en déborde.

Pourtant, les sujets qu’elle traite dans ses chansons ne prêtent pas à rire ou à se réjouir. Avec « No Madame », elle aborde la condition de travail, en 1974, des domestiques de son archipel natal et appelle à la désobéissance parce qu’elle se souvient des pleurs de ces derniers qui travaillent pour un salaire de misère.

Elle qui a toujours cru au pouvoir de la musique pour renverser les choses est servie : avec cette chanson, le gouvernement se voit voter une loi pour une augmentation significative des salaires des domestiques.

Elle dénonce la situation de son arrière-grand-mère kidnappée et vendue tout comme elle s’insurge contre les violences conjugales, dans « Abatina » par exemple. Elle s’engage pour les droits des femmes, pour l’égalité entre les sexes. Les applaudissements retentissent quand elle invite les femmes à ne pas épouser des hommes riches :

« N’épousez jamais un homme comme Donald Trump. Sa femme est toujours derrière, avec l’air triste. Lui, il est à la Maison blanche. Elle, elle est dans la tour Trump à New-York. N’épousez jamais un homme qui a de l’argent ! »

La Miriam Makeba des Caraïbes, comme certain-e-s la surnomment, fait passer ses messages avec un sourire large et chaleureux. Elle est solaire et sa bonne humeur est contagieuse. Tout comme son sens de l’humour et sa manière de bouger le bassin et le ventre, qu’elle nous montre à plusieurs reprises soulevant son haut d’un air malicieux, avant de donner plusieurs baisers à un homme du public auprès de qui elle déclare sa fougue : « J’adore ton sourire et j’adore ta barbe ! »

Calypso Rose transpire la liberté et l’indépendance. Elle qui a du s’affirmer contre son père pasteur convaincu que le calypso était la musique de l’enfer a choisi de briser ses chaines et les tabous sur des airs fortement endiablés. Mélange de jazz, blues, soca et ska, l’alliance des percussions, cuivres et cordes se marie à son énergie et son envie d’en découdre joyeusement.

Et si la chanteuse quitte deux fois la scène pour recharger les batteries, son groupe composé de musiciens et de choristes assure l’intérim sans problème, maintenant la dynamique généreuse et colorée de l’esprit Calypso Rose. Un instant gravé dans les mémoires qu’il est bon de se remémorer lorsque la pression devient trop forte, pour se laisser chalouper sur les rythmes enjoués de sa musique, son sourire imprimé devant nos yeux illuminés.

Célian Ramis

Mythos 2017 : The Pirouettes, joyeux brassage dans la pop française

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Parc du Thabor, Rennes
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Samedi 8 avril, le duo hype de la pop synthé française, The Pirouettes, répandait leur feel good musique dans le parc du Thabor, au cabaret botanique précisément, à l’occasion du festival Mythos.
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Samedi 8 avril, le duo hype de la pop synthétisante française, The Pirouettes, répandait leur feel good musique dans le parc du Thabor, au cabaret botanique précisément, à l’occasion du festival Mythos.

Au lycée, Léo écrit une chanson d’amour à Vickie. Depuis, le couple a donné naissance à un duo musical prénommé The Pirouettes. Sur scène comme sur leur premier album, Carrément carrément, Vickie Chérie et Léo Bear Creek naviguent à travers les époques et entre les styles.

Dès les premières chansons, les inspirations sautent à la tronche. Il y a là la vague sur laquelle surfe La Femme, repêchant les sonorités pop synthé des abysses des années 80 en les mélangeant à un rap des années 90. Ainsi, The Pirouettes convoquent leurs multiples et éclectiques influences, allant de Michel Berger à Booba, en passant par Jacno. Large.

Mais on croise aussi Etienne Daho – qui les a d’ailleurs pris sous son aile -, Lio, Oxmo Puccino et bien d’autres. Et on s’amuse de cette vive effervescence, alliée à une écriture faussement naïve et expressément second degré. Ils chantent l’amour, le couple, le quotidien, le succès, l’ailleurs et la fête.

Le Magic Mirror, ce soir là, ressemble à une boom pour adultes, ou grands ados, sans les slow et le quart d’heure américain. Ou devrait-on dire le quart d’heure français puisque le duo prône la langue de Molière, honorant leur génération, leurs idoles et la nouvelle catégorie d’électro pop hexagonale.

Ça fonctionne plutôt bien. L’ambiance est bonne, les attaques instrumentales permettent de lâcher la pression, les accords répétitifs défoulent, le flow est rapide et efficace, et le tout file la patate. On se voit « chanter sous les cocotiers », avec « Un mec en or » avant de se jeter dans le « Grand bassin ».

Pourtant, on n’est pas carrément carrément conquis-es par la prestation live. Après 5 ou 6 chansons, on se lasse de la redondance musicale. Malgré leur énergie communicative, on sait que la scène n’est pas leur domaine de prédilection. Peut-être leur retenue apparente mériterait le lâcher prise auquel leurs chansons nous incitent pour dépasser le stade du concert « sympa ».

 

Célian Ramis

Mythos 2017 : Claire Diterzi, dans les coulisses de son inspiration

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Parc du Thabor, Rennes
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Raconter la genèse de son album, « ce n’est pas ce qu’on attend d’une chanteuse », proclame Claire Diterzi, qui était vendredi 7 avril sur la scène de Mythos, au cabaret botanique, pour partager avec le public son Journal d’une création.
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Raconter la genèse de son album, « ce n’est pas ce qu’on attend d’une chanteuse », proclame Claire Diterzi, qui était vendredi 7 avril sur la scène de Mythos, au cabaret botanique, pour partager avec le public son Journal d’une création.

En mars 2015, l’ovni Diterzi sort un nouvel album. 69 battements par minute. La chanteuse-compositrice-auteure a décidé pour de prendre des chemins de traverse pour sa carrière. Elle veut faire de la chanson contemporaine. Mais ça n’existe pas dans les cases étriquées de l’art en général.

« Aujourd’hui, c’est la consécration des chanteuses avec des histoires d’amour archi connues qui rassurent les ménagères de plus de 50 ans. Mais je n’veux pas, moi, rassurer les ménagères de plus de 50 ans, je n’vois pas l’intérêt ! », s’exclame-t-elle. Alors Claire Diterzi fabrique son univers, résolument rock et extravagant, et impose son style.

Tenant un journal de bord durant la création de son disque, elle s’extirpe des cases étroites et explose les codes en proposant au public une manière originale de découvrir les sources de son inspiration. Concrètement, l’artiste dématérialise l’objet musical l’incluant dans une démarche globale, réunissant photos, collages, vidéos, théâtre, littérature et live au ukulélé.

Si ses chansons sont des extraits métaphoriques d’instants de vie vécus, sur scène, elle en donne les clés, pour décrypter les messages, comprendre les sens cachés. Des réflexions alambiquées, des jeux de mots, des private joke, des références, etc. Derrière les filtres de l’humour et l’esprit punk qu’on lui connaît, elle livre son histoire personnelle.

Elle, la fille d’Abdel, père kabyle tuberculeux obsédé par l’envie d’avoir un fils qui l’appellerait Sauveur. Elle, la fille d’une mère qui avait la main lourde sur ses filles parce qu’elle avait été abandonnée par son mari. Elle qui a grandi en cité HLM près de Tours, qui a été interpellée par le nombre de molosses – souvent des bergers allemands – tabassés par leurs propriétaires.

Elle qui ne veut pas d’enfant a eu deux filles et qui a divorcé de son époux metteur en scène après 10 ans de mariage. Elle qui a vécu dans le rue Poulet. Elle qui a une amie prénommée Kaka. Elle qui n’a annulé qu’une seule fois un concert pour cause de pneumonie et qui en passant une radio des poumons a aimé voir écrit « cul de sac pleuraux libres ».

Elle raconte des souvenirs, les couleurs et les motifs des papiers peints de son enfance, qu’elle alimentera de dessins de pénis, des passions, comme celle qu’elle entretient pour Rodrigo Garcia, des anecdotes qui semblent sans intérêt mais que tout le monde a vécu en observant les gens dans le métro, des faits médicaux en passant la visite médicale obligatoire au renouvellement de son statut d’intermittente du spectacle…

Elle a des troubles du sommeil, parce qu’elle a essuyé « un bon gros coup de pute cet hiver mais elle en a vu d’autres », elle a un penchant – et un déni pour celui-ci – pour l’alcool, elle considère que vieillir n’est pas nécessaire, n’a plus peur de la mort et a vécu pendant deux ans avec un homme impuissant. Du gâchis selon elle, puisqu’elle boxe dans la catégorie « bonnasse ».

De tous ces détails jaillissent des raisonnements parfois absurdes, parfois tirés par les cheveux, parfois poétiques et parfois trash. Et finalement, comme les mille pièces d’un puzzle, tous ces fragments de vie et de pensées s’emboitent pour devenir « Un pédé refoulé », « Infiniment petit », « L’avantage avec les animaux c’est qu’ils t’aiment sans se poser de questions », « 69 battements par minute »…

Libre, rebelle et indépendante, elle affiche sa transgression et son esprit irrévérencieux dans un seule en scène qui semble de temps en temps manquer de naturel et de spontanéité mais qui démontre une manière nouvelle d’exprimer l’art et la musique. Une forme intéressante et intrigante.

 

Célian Ramis

Mythos 2017 : PJ Harvey, vision poétique d'un monde en berne

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Parc du Thabor, Rennes
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PJ Harvey a publié, en amont de son dernier album, un recueil de poésies, The hollow of the hand dont elle proposait une lecture, vendredi 7 avril, au cabaret botanique, à l’occasion du festival Mythos.
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Connue pour son rock abrasif et alternatif, la chanteuse-compositrice-auteure britannique PJ Harvey a publié en amont de son dernier album, The hope six demolition project (mai 2016), un recueil de poésies, The hollow of the hand dont elle proposait une lecture, vendredi 7 avril, au cabaret botanique, à l’occasion du festival Mythos.

Elle cherchait quelqu’un pour faire des photos. En découvrant l’exposition de Seamus Murphy à Londres, elle reste sans voix face à son travail. À partir de ce moment-là, elle fera tout pour le rencontrer. « Il ne me connaissait pas, on est devenus amis. », explique-t-elle en cette fin d’après-midi ensoleillée.

Il est photojournaliste et affiche au compteur des années d’expérience dans des zones de conflit. Elle lui propose alors de collaborer sur son projet et de voyager ensemble. Le duo se rendra tout d’abord au Kosovo :

« j’ai toujours été fascinée par ce pays, été intéressée et horrifiée par la guerre là-bas. C’est là qu’on commence. »

Debout sur la scène, elle déclame ses poèmes dans la langue de Shakespeare, traduits en français sur l’écran installé derrière elle. C’est un autre univers que propose PJ Harvey qui dans The hope six demolition project distille un rock saturé, un rock incisif et un blues viscéral, sous-tendus par des sonorités orientales et des effets vocaux aigus et enfantins.

Mais c’est le même voyage dans lequel elle nous invite. Nous embarquant dans un monde qui part à vau-l’eau. Elle nous guide, à travers sa voix et sa plume, dans les villages abandonnés aux maisons en ruines, dans les sols poussiéreux auxquels les derniers espoirs se confondent, avant de visiter, de ses yeux ébahis, l’Afghanistan.

« Je vouais y aller depuis plusieurs années. Et Seamus connaissait très bien le pays. On y est allés, moi j’avais seulement un carnet dans lequel je notais tout ce que je voyais. On a vécu plusieurs situations difficiles et être poète, ça aide beaucoup. Seamus disait tout le temps que j’étais poète, ça nous a sorti de ces situations, car c’est très respecté en Afghanistan. », souligne-t-elle, précisant qu’elle a tenté, autant que possible, de se détacher d’idées préconçues, observant son environnement avec des yeux d’enfant, simplement en notant ce qu’elle voyait, « de manière naïve ».

On traverse avec elle les paysages dont les reliefs cachent des millions d’années de douleurs, dont les vallées s’illuminent et dont les montagnes voilées dominent tout ce qui a trait à l’humanité. On croise un singe orange dans la peau sage, une colombe grise qui surplombe les ruines, un garçon orphelin de maison qui n’oublie pas ses valeurs d’hospitalité en offrant du thé et du pain aux voyageurs, une main ignorée qui mendie.

La salle est suspendue à ses lèvres. À la manière d’une Cate Blanchett, elle perçoit l’entière attention de son auditoire. Elle narre une infime partie de la noirceur du monde qu’elle nuance de douceurs et de poésie sensible. La pauvreté résonne comme un thème majeur et central de son œuvre, contrecarrée par des onces de beauté qui ne peuvent avoir valeur pécuniaire.

Son voyage s’achève à Washington DC, point névralgique des hautes décisions politiques prises par les Etats-Unis en direction du Kosovo et de l’Afghanistan, entre autre.

« Nous avons gardé la même démarche : observer autour de nous. Et on a retrouvé une similitude dans la pauvreté. »
précise PJ Harvey.

La grande et longue Histoire, les migrations, la mendicité… et toujours, pour les exprimer, les refléter et les mettre en perspective, des Hommes et des animaux, des colombes en particulier. Et c’est dans un climat apaisé qu’elle entame la lecture de certains poèmes de sa nouvelle collection. Captivant.

Célian Ramis

Reem Kherici chamboule la tradition du Jour J

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Cinéma Gaumont Rennes
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Reem Kherici rempile la couronne de scénariste-réalisatrice-actrice à l’occasion de son deuxième long-métrage, Jour J, présenté en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, le 3 avril dernier.
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Reem Kherici rempile la casquette/couronne de scénariste-réalisatrice-actrice à l’occasion de son deuxième long-métrage, Jour J, présenté en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, le 3 avril dernier.

Pour s’exprimer, la comédie sera toujours le prisme par lequel Reem Kherici passera. Elle est affirmative. Sa couronne vissée sur la tête pour être la reine de Rennes, l’actrice-réalisatrice est pleine d’énergie positive. Une énergie contagieuse qu’elle distille tout au long de son deuxième long-métrage, Jour J.

Le titre en dit long sur la thématique. Le mariage. Pas parce qu’elle considère qu’il est l’objectif ultime, le si désespérant plus beau jour de la vie d’une femme, mais parce qu’elle souhaite poser la question de l’engagement. Celui qui talonne sa génération, celle des trentenaires d’aujourd’hui donc.

« Est-ce qu’on s’engage parce qu’on a peur de rester seules ? Ou est-on seules parce qu’on a peur de s’engager ? »
s’interroge-t-elle après son premier film, Paris à tout prix, en voyant plusieurs de ses ami-e-s se marier.

Le premier cas de figure est incarné par Alexia (Julia Piaton), en couple avec Mathias (Nicolas Duvauchelle) depuis plusieurs années. Un matin, en trouvant la carte de Juliette (Reem Kherici), wedding planer avec qui son compagnon vient de la tromper, elle s’imagine que ce dernier s’apprête à la demander en mariage. Déboussolé et sans ressources, il s’embarque dans l’aventure, entre sa future épouse et sa maitresse, chargée d’organiser la journée cérémoniale.

INSPIRÉE PAR SON VÉCU

Juliette représente le deuxième cas de figure. La peur de l’engagement. Mais pas que. Inspirée de son histoire personnelle, Reem Kherici en fait un personnage résolument indépendant. « J’ai grandi à Neuilly, j’étais complexée par mon physique, mon nom, mon milieu social. Alors que je viens d’un milieu social « normal » mais à côté des autres enfants qui avaient des parents riches, je me sentais Causette. Finalement, ça m’a motivée à travailler et à n’attendre après personne. », explique-t-elle.

Dans Paris à tout prix, elle abordait avec humour la question de l’identité, des origines et la différence de culture. Ici, c’est aussi son vécu qu’elle place en filigrane de cette comédie. « Sauf que dans la vie, je ne couche pas le premier soir et je ne suis pas maladroite comme Juliette », rigole-t-elle. En empathie avec l’enfant qu’elle a été, elle traite par le biais des flash back des rapports jugeants et douloureux entre gamin-e-s. Mais certaines failles ou différences deviendront par la suite de réelles forces et de véritables atouts.

Et elle n’oublie pas de s’inspirer de sa mère. Comme un clin d’œil thérapeutique puisqu’elle n’en parle librement que depuis quelques années :

« Je suis fière quand on me dit que le personnage de Chantal Lauby plait. Ça veut dire que j’arrive à faire rire à un endroit qui n’est pas drôle. Avoir une mère alcoolique, ça crée des complexes. Après dans une comédie, on pousse les traits de caractère mais oui, j’ai une mère rock’n’roll, avec de la douceur, de l’amour et beaucoup de maladresses. Mais finalement, ce n’est pas la fin du monde. Mais gamine, j’en avais très très très honte. J’ai peur de lui montrer le film. Je ne sais pas comment elle va prendre le fait que les gens rient en salle. »

ROMPRE AVEC LES TRADITIONS

Celle qui a fait ses armes à la télé et qui s’est formée avec La bande à Fifi, connaît bien les ressorts de la comédie. La sienne – la première comme la deuxième – est parfaitement orchestrée et bien rythmée. Et surtout, malgré les situations exagérées que le genre impose, Reem Kherici sait jouer de subtilités et de nuances qu’il manque (trop) souvent dans les comédies girly du moment (on pense notamment à Joséphine s’arrondit, de Marilou Berry, Les gazelles de Mona Achache, Sous les jupes des filles de Audrey Dana…). Pour faire passer son message.

« Si je n’écris pas pour moi dans mes films, on ne me propose pas de premiers rôles aussi galvanisants que ceux-là. On propose toujours des rôles de femme de, fille de,… Généralement, quand ce n’est pas écrit pour une femme, il n’y a pas de rôle de femme à part entière. Je n’en veux pas aux hommes, je pense qu’on écrit selon nos sources d’inspiration et peut-être qu’en tant que femme, je ne pense pas aux mêmes choses qu’eux. », commente-t-elle.

Parce que c’est là où elle veut en venir dans le Jour J. Fini le temps de l’engagement par obligation et tradition. Les rapports ont changé, le couple aussi. Mais surtout, la condition des femmes a évolué. La nouvelle génération fait alors face à une nouvelle problématique prise entre la peur de l’engagement et l’engagement par peur de la solitude. Une solitude pourtant nécessaire à l’accomplissement personnel et à la réalisation de son indépendance.

Reem est bien placée pour le savoir. Son bagage a fait d’elle l’actrice-réalisatrice qu’elle est aujourd’hui. Une femme déterminée qui sait ce qu’elle veut et où elle va. « Je n’ai aucun problème à m’affirmer en tant que réalisatrice. Il n’est pas question de sexe quand on me parle. Je suis un vrai leader, je tiens mon équipe parce que je sais ce que je veux. Et je fais très attention à qui je prends dans mon équipe, je ne veux surtout pas de misogynes. Je veux que les gens soient là pour se donner à fond, tout autant que moi. Pour Nicolas Duvauchelle, c’était un vrai challenge de se lancer dans la comédie. C’est comme ça que je travaille. »

Le défi est de taille dans Jour J. En effet, sur le papier, une comédie sur le mariage semble risquée, quasiment perdue d’avance de par le manque d’originalité du postulat de départ. Mais Reem Kherici emprunte des chemins de traverse, jusque dans le choix de l’affiche du film, et prouve que comédie girly ne rime pas nécessairement avec ineptie. Que l’on peut être girly et réfléchie. Que l’on peut bien rompre la tradition des Cendrillon, douces et passives en attendant le prince charmant.

On est cependant un peu moins rassuré-e-s par son prochain projet dont elle paraît fortement s’enthousiasmer : « Un film d’animation sur mon chat, Diva ! Je suis trop contente, vous imaginez, je reviendrais vous voir et vous serez payé-e-s pour m’écouter parler de mon chat ! C’est génial ! » Mais finalement, on lui fait confiance pour nous surprendre encore une fois et nous faire marrer.

 

Célian Ramis

Mythos 2017 : Sandre, dans les méandres de l'âme humaine

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Théâtre de la Parcheminerie, Rennes
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C’est une claque en plein visage que nous met le collectif Denisyak avec la pièce Sandre, dévoilée dans le cadre du festival Mythos, le 5 avril dernier au théâtre de la Parcheminerie, à Rennes.
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C’est une claque en plein visage que nous met le collectif Denisyak avec la pièce Sandre, dévoilée dans le cadre du festival Mythos, le 5 avril dernier au théâtre de la Parcheminerie, à Rennes.

Un grand fauteuil installé sur des pics menaçants trône au milieu d’un ilot installé sur la scène. C’est là, éclairée tantôt par des spots restreints, tantôt par la lumière tamisée d’une lampe de chevet, qu’elle se raconte dans l’ombre d’un esprit endolori par les blessures d’une vie passée à côté de l’être tant aimé.

Son mari, elle l’aime, elle le chérit. Il n’aimait pas les animaux, ils n’avaient pas d’animaux. Il ne voulait pas partir en vacances, ils restaient à la maison et allaient chez sa mère à lui le dimanche. Il voulait parler, elle l’écoutait. Il ne voulait pas parler, elle regardait la télé.

Elle était belle, selon elle. Son mari voulait un enfant. « Petite, tu joues à la poupée et après tu veux un enfant. », raisonne-t-elle. Mais en vérité, elle n’en avait pas envie. Pas envie de vivre une grossesse qui transformera son corps. « Ma mère me disait ‘on tient un homme par le ventre’ », alors elle lui a mitonné tous les petits plats dont dispose la gastronomie française. Et pour l’accompagner, elle se servait deux fois.

Elle a grossi, donc elle a accepté de faire un enfant. Parce que la graisse de son ventre masquait l’évolution du fœtus. Mais son mari ne l’aime plus, le petit mord et la grande ne veut plus voir sa mère. Parce que cette dernière a tué quelqu’un une fois. À cet instant, elle est sortie d’elle-même. Mais elle n’est pas folle.

Le discours est frappant. Cette femme a « tué son amour ». Parce qu’il a repris son amour, elle a repris la chair de sa chair. « Je ne suis pas qu’un ventre », explique-t-elle, calmement, pour justifier son infanticide. Ce troisième enfant, elle n’en voulait pas. « Je suis contente que Mitterand ait aboli… Même si j’ai tué quelqu’un. », poursuit-elle.

Le récit, écrit de la talentueuse plume de Solenn Denis, est bouleversant. Et renversant de complexité. L’infanticide raconté par une femme normale, interprétée par un homme, Erwan Douaphars, qui livre les tréfonds d’une âme humaine en peine et qui décortique une facette du « monstrueux » qui dégoûte tout autant qu’elle fascine.

Et là où le collectif Denisyak frappe fort réside dans le détachement naturel qui s’opère à travers ce parti pris murement réfléchi. L’intimité profonde d’une femme fictive, inspirée d’un fait divers avéré, dans la bouche d’un comédien qui ne pourra jamais enfanter de par son corps biologique d’homme.

L’auteure a souhaité ici donner la parole à celles que l’on n’entend quasiment jamais. Mais dont les motivations sont toujours plus ou moins fantasmées. De par la dimension nouvelle accordée au texte, à la mise en scène et au jeu, les émotions sont bousculent, passant du rire un peu moqueur à l’incompréhension, la colère et la souffrance.

On écoute attentivement les propos de cette femme meurtrie, en permanence à côté d’elle-même et de sa vie, prise par un quotidien domestique triste et un amour déchu. Pour autant, Sandre ne cherche pas à excuser et justifier l’acte de cette mère/épouse qui a oublié d’être femme ou à pardonner le meurtre de cet enfant. Simplement, la pièce interpelle et questionne notre rapport à cette figure, dont on ne trouve toujours pas la réponse.

La claque s’imprègne alors dans notre joue et notre esprit. On garde en mémoire la voix de cette femme, ses lèvres qui se teintent de noir en signe d’amertume, de colère et peut-être de regrets - ou non -, la lumière tamisée, l’ambiance étrange qui règne sur le plateau et envahit la salle de la Parcheminerie. Et surtout, les mots qui sonnent et résonnent comme des coups de poing qui lacèrent nos entrailles.

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