Célian Ramis

La résilience, entre rage, rap et paillette

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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. Trou témoigne du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience.
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Un cri. Un hurlement. Une fête. Une pente glissante. Un tourbillon. Un spectacle coup de poing. Un spectacle qui fait du bien. Une histoire noire aux couleurs de l’arc-en-ciel. On pourrait s’y perdre mais pas du tout. Mathilde Paillette et Lauren Sobler nous ont guidé, le 15 mars dernier, à la MJC Bréquigny, avec agilité dans Trou, témoignant du parcours d’une femme victime de viol en chemin vers la résilience. 

« Je ne ferme pas ma gueule ! Je suis une enfant tombée du nid… Je ne ferme pas ma gueule ! » Elle chante de plus en plus fort. Avec ses samples, les voix et rythmiques prennent l’espace. Elles amplifient l’effet et donnent le ton : Paillette est une jeune femme libre, qui conduit des poids lourds, n’est pas biodégradable et est « méga giga indestructible. » Elle brille à l’infini et scintille, partout. Liberté, grain de folie, jovialité, légèreté… Paillette cultive tout ça en elle. Elle ne ferme pas sa gueule et elle a bien raison. Il y a chez elle cette insouciance et cette candeur de l’enfance. Et puis il y a aussi cette pression et ces injonctions de l’âge adulte, en particulier quand on est une femme. Elle passe beaucoup de temps sur les chantiers avec sa chatte, Cindy, qui adore regarder les grues et flirter avec. Mais ce jour-là, aux abords des travaux près de la gare, une grue écrabouille sa chatte et se barre, laissant Cindy meurtrie…

UNE QUÊTE COMPLEXE

Point de départ de l’histoire, le viol n’est pas directement au centre du spectacle qui s’attache, avec rage et panache, à valoriser la quête de Paillette vers la résilience. Pour cela, elle sera accompagnée de la resplendissante sirène, aux gros jambons, à l’allure décapante et aux airs de diva. Dans l’océan de larmes, le trou, le chemin qui pue, le pays magique… Paillette le dit : « Il ne faut pas mourir, je ne courberais pas l’échine. » Annihiler la souffrance. La faire disparaitre. La nier pour ne plus y penser. La colère, contre la culture du viol. L’ivresse, pour s’en échapper et ne plus étouffer. Mais même dans un pays enchanté, sans grues et sans mort-e-s, Paillette est hantée par les questions incessantes et culpabilisantes. Se justifier. Sans arrêt. Elle, la femme qui jouit sans honte et sans détour, la femme qui prend le mic’ face à un gang de mecs qui rappent, la femme qui n’a pas peur de se lancer à l’aventure, d’assouvir ses désirs et de l’ouvrir… Elle se perd. Ne sait plus ce qu’elle veut. Assaillie par la dureté des jugements, elle manque de souffle dans un univers qu’elle croyait bon mais qu’elle découvre nauséabond. Dès lors, une seule obsession : retrouver Cindy.

DE L’AUTRE CÔTÉ DU MIROIR

Cabossée, apathique… Sa chatte est abîmée. Comme les bras de Paillette et son cœur paillasson. Alors, face à la grue, elle se confronte et affronte sa colère, qu’elle libère dans un flot de paroles assassines. Elle renverse le stigmate et lui jette à la figure. Le propos est cinglant et cathartique. Empouvoirant. La sirène peut s’en aller désormais : « Tu sais la défendre maintenant et elle, elle te guide partout ». Cindy et Paillette ne font plus qu’une et avancent, conjointement, sur le chemin de la résilience. Puisqu’il est là le sujet principal de l’histoire de Trou qui déploie humour, poésie, rap et rage dans une pièce musicale contée qui nous happe et nous saisit avec force et finesse. Au fil de ses concerts, spectacles et travaux d’écriture, Mathilde Paillette a fini par réunir tous les morceaux en un seul, Trou en est l’aboutissement. Avec Lauren Sobler, dans le rôle de la sirène, la comédienne et musicienne nous propose une exploration d’émotions diverses et contradictoires qui mènent tout droit à l’explosion et l’apaisement. C’est riche, intense et éblouissant. Parce que le duo s’autorise à puiser dans l’imaginaire enfantin, à tirer les fils de l’insouciance et de l’innocence, à dire, hurler, mimer, danser, rapper… à entremêler le rire et l’horreur, à affirmer que non c’est non et à assumer de continuer à dire oui. Parce que le duo touche au cœur, sans user la corde sensible ni les cordes vocales. Là où le bât blesse, elles trouvent les mots pour renforcer le propos. Dans des situations pourtant si difficiles à décrire, elles parviennent à doser le témoignage tout en poésie, réalisme et en ressenti. 

PLONGER SANS FILET AVEC UN DUO DE TALENT

Paillette, protagoniste et artiste créatrice, s’affranchit des codes et des étiquettes. Elle convoque les émotions, les paroles, les styles, les notions et les concepts, les secoue et se les approprie. Ne pas déranger. Ne pas faire de bruit. Ne pas bouleverser l’ordre établi. Ne pas baigner dans la vulgarité. Ne pas déborder. Paillette et Sirène envoient tout péter. Elles prennent leur place et leur espace, elles vont trop loin, elles sombrent dans la caricature, elles crient, elles tapent des pieds, elles éclatent les carcans de leur condition de femmes, elles ne revendiquent pas un engagement en particulier. Elles disent, elles font, elles cherchent, elles questionnent, elles avancent, elles s’aident, elles expérimentent et ressentent, elles s’accompagnent, elles nous embarquent avec elles, dans leurs peurs, angoisses, combats, forces, singularités, univers artistiques, succès, etc. Et on plonge. On plonge avec elles dans le trou. On tombe dans le désarroi et la solitude et on comble le vide et le trauma. On remonte à la surface, avec la puissance de l’espoir et la force de la sororité. On se délecte de cette proposition sensible qui explore les recoins d’une âme en souffrance sur le chemin de la résilience. Avec son lot de doutes, de contradictions, de faiblesses, de déni mais aussi de forces, de capacités à rebondir, à s’adapter et à sublimer et à nuancer la noirceur de la réalité. Sans la renier. Ne pas juste survivre. Remonter à la surface, respirer et vivre.

Célian Ramis

Solidarité avec les femmes du quartier

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Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que les politiques publiques prennent les mesures adéquates ? C’est la question que pose Kuné, le collectif de femmes de Villejean.
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Villejean, Rennes – Le 12 avril, c’est le choc. Marie, 45 ans, a été tuée, étranglée par son mari à son domicile sous les yeux de leurs deux filles. Le 23 avril, une Marche blanche réunissait plusieurs centaines de personnes dans le quartier. Combien de féminicides faudra-t-il encore pour que les politiques publiques prennent les mesures adéquates ? C’est la question que pose Kuné, le collectif de femmes de Villejean.

Déjà 64 femmes tuées par leur conjoint ou ex conjoint depuis le début de l’année. Et toujours la même rengaine : dans la plupart des cas, elles avaient déjà porté plainte pour des faits de violences conjugales ou intrafamiliales. « La police nous a dit que depuis la mort de Marie et la Marche, 236 femmes avaient porté plainte. Son décès a fait peur aux femmes du quartier. », déclare Régine Komokoli, co-fondatrice du collectif Kuné. 

MAIN DANS LA MAIN

« En esperanto, ça veut dire Faire ensemble. Nous sommes des femmes de Villejean, migrantes de Normandie et d’un peu plus bas aussi. », rigole-t-elle. Le collectif prend vie en 2020. Alors qu’elle anime un atelier de couture avec les femmes voilées, la crise sanitaire et le confinement secouent la planète. Elles répondent par un élan de solidarité en créant des masques.

« On sert à quelque chose, on participe à l’effort national ! », signale-t-elle, en poursuivant : « On a fixé ça à Villejean : on se mêle de nos affaires dans nos quartiers ! » Elles envoient une énergie colossale au service de la vie du quartier et de la création de lien social. Elles organisent des événements fédérateurs, à l’instar des repas solidaires, qui mobilisent les acteur-ice-s de la dalle Kennedy et tissent des partenariats avec les structures et associations des environs, dans une démarche solidaire et écologique, basée sur le respect et la valorisation des savoirs et compétences : « Selon les affinités, les envies, on organise des événements. La participation est libre. »

Rencontrer les habitant-e-s, les prendre en considération et revendiquer la richesse des forces créatives et ingénieuses des quartiers populaires. Faire entendre leurs voix. « On n’est pas des assisté-e-s, on veut rendre la dignité à chacun-e. Il y a 52 nationalités qui se côtoient, c’est chouette, on valorise tout le monde ! », s’enthousiasme Régine Komokoli.

Son dynamisme et son aplomb sont représentatifs de la détermination et de l’engagement de Kuné qui comptabilise déjà 31 actions visant à visibiliser les bonnes initiatives de Villejean afin d’en redorer l’image souvent stigmatisée dans le cliché du territoire populaire.

« On est une vingtaine de femmes dans le collectif et on est toutes co-présidentes. L’idée, c’est de s’émanciper, sortir, réaliser son rêve. Je suis élue au Département parce que les femmes de Kuné m’ont portées. On veut améliorer la vie du quartier. »
affirme-t-elle.

Son sourire s’estompe : « On ne pensait pas enterrer une amie. »

FRUIT DU SYSTÈME PATRIARCAL

Le drame de la mort de Marie n’est pas un fait isolé. En France, chaque année, une femme meurt tous les trois jours, assassinée par un homme de sa famille. À Villejean, en avril, c’est le coup de massue, l’électrochoc. Ça n’arrive pas qu’aux autres. « Elles touchent toutes les femmes et encore plus particulièrement les femmes issues de la diversité », clame la co-fondatrice de Kuné. Sans oublier les personnes LGBTIQ+, les femmes handicapées, etc.

Dans une société patriarcale, les mécanismes de domination s’intègrent dès la petite enfance et se transmettent dans l’éducation (maison, école, loisirs), les arts et la culture, les médias, la publicité, etc. Les violences sexistes et sexuelles s’exercent à tous les niveaux et dans tous les domaines et l’espace privé reste un des espaces les plus dangereux pour les personnes sexisées souvent soumises à l’emprise psychologique, physique et/ou économique du compagnon, frère ou père.

« Je suis restée dedans pendant 20 ans. En venant d’un autre pays, il y a souvent de la dépendance administrative, du chantage des familles au pays et une banalisation des violences. Moi, je me suis retrouvée dans la rue puis à l’hôtel et aujourd’hui encore, je suis en hébergement d’urgence. C’est une réalité que souvent les gens ne voient pas. Je suis partie en 2019 et je subis encore les conséquences. J’ai des marques de coups de couteaux dans le dos. », confie Régine Komokoli. 

UNE MAISON DES FEMMES À RENNES ?

Le sentiment de culpabilité s’empare de son quotidien. Parce que Marie avait signalé les violences infligées et qu’elle était sur le point de partir :

« On a organisé la Marche et on a emmené beaucoup de monde avec nous. Il faut que les victimes puissent sortir du silence et les témoins aussi. On essaye de se rattraper… »

Mobilisé à chaque manifestation féministe – les 8 mars, 25 novembre et autres dates selon les actualités – le collectif investit l’espace public aux côtés des militantes, prend la parole et instaure, en partenariat avec Nous Toutes 35, un départ de cortège depuis Villejean, sans oublier le soutien et la collaboration à Big Up, organisé à la Maison de quartier en mars dernier.

Face au micro, Régine Komokoli défend les droits des femmes, rappelle les rouages de la domination masculine et n’oublie pas d’insister sur les ponts à créer et à consolider entre toutes les femmes et les minorités auxquelles elles appartiennent. Les mots sont puissants et les actions concrètes. Mais les moyens manquent.

Pourtant, la création d’un lieu dédié à l’accueil et l’accompagnement des femmes victimes de violences à Rennes est lancée officiellement depuis mars 2022 par le CHU, l’Asfad – centre d’accueil des victimes de violences familiales – et la municipalité, et devrait ouvrir ses portes à l’été 2023 à l’Hôpital sud. Sur le papier, ce lieu pluridisciplinaire s’inspire de la Maison des femmes de Saint-Denis, prévoyant un cadre d’accueil et d’écoute bienveillant-e-s, un accès aux soins et un accompagnement social, administratif et juridique, sans oublier un espace multimédia, des ateliers de reconstruction d’estime de soi, l’hébergement de la ligne téléphonique départementale de la plateforme de lutte contre les violences conjugales (02 99 54 44 88), etc.

« L’équipement est également pensé comme un lieu thérapeutique, avec des espaces de vie et de repos et, par exemple, la possibilité d’y déposer des affaires, d’y laver son linge et de se faire à manger. », indique le communiqué à ce sujet.

UNE PERMANENCE D’ÉCOUTE ET DE SOUTIEN

Pour le collectif de femmes de Villejean, le projet ne répond pas à l’urgence et aux attentes. « À l’hôpital ?! Qu’est-ce que ça veut dire ? Les femmes victimes ne sont pas malades. Et puis, le mec qui veut retrouver sa victime, il n’a qu’à prendre le métro ! Sans oublier que c’est un accueil de jour… La victime doit rentrer chez elle le soir. Ça change complètement le projet… », regrette Régine Komokoli.

Elle poursuit : « On a travaillé sur moi. En tant que personne test, je me suis confiée, j’ai tout dit. Et je n’ai même pas été associée à la suite. On m’a éloignée du projet à cause de mon histoire. Je ne peux pas me détacher de ce qui m’est arrivé, je suis un témoin vivant. Et il y en a plein d’autres… » Le temps manque pour se laisser envahir par la colère et le désarroi. D’ici là, que fait-on ? Kuné réfléchit aux actions possibles pour répondre à la réalité.

« C’est un problème de société qui devrait être traité en société, à travers les politiques de l’Etat. C’est un vrai mépris des femmes et des enfants. On est tout le temps sollicitées pour des questions de violences. On écoute les gens, on les reçoit mais ça ne suffit pas, on n’est pas formées. », réagit la co-présidente.

En juin, elles convoquent la presse sous l’arbre à palabres du square du Docteur Zamenhof. L’occasion de rappeler le constat que les femmes ouvrières, précaires, issues de la diversité, sans papiers ou sans statut sont souvent laissées sans moyens et sans écoute, d’exiger une réponse politique digne de l’ampleur du problème et surtout d’annoncer la mise en place dès septembre d’une permanence d’écoute bénévole et associative, menée de front par Kuné, les structures féministes et de quartier.

« Certaines d’entre nous guérissent de leurs souffrances. Mais ça ne résout pas le problème. Ça fait du bien de pouvoir pleurer et d’être écoutées. Mais comme je le disais, on n’est pas toutes formées. Alors, on va se lancer en mode financement participatif pour aider les femmes de Villejean à se former. »
souligne Régine Komokoli.

Elles demandent l’obtention d’un local fixe et confidentiel pour instaurer une relation de confiance avec toutes les bénéficiaires. En attendant, elles investissent les espaces tels que l’arbre à palabres et le hall de la Maison de quartier de Villejean. 

Kuné lance un appel fort et puissant : « Il faut agir pour que toutes les victimes de violences puissent sortir de la culture du silence. Que tout le monde puisse s’approprier le sujet ! » Dire stop au système patriarcal, sa diffusion et sa transmission. Rompre l’isolement et briser les rouages de la domination masculine. Solidarité et sororité. 

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