Célian Ramis

"Ouvrir la voix" : pour l'émancipation des femmes noires

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Cinéma Arvor, Rennes
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La réalisatrice Amandine Gay donne la parole à 24 afrodescendantes, françaises et belges, dans son film "Ouvrir la voix", diffusé à l'Arvor, lors d’une séance unique organisée par SOS Homophobie Bretagne, le 17 mai dernier.
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Elles sont femmes, noires, lesbiennes, hétéréos, pansexuelles, cis, trans, croyantes ou non, artistes, scientifiques… Mais comment construire son identité lorsque l’on est constamment ramenée à sa couleur de peau et aux clichés qui y sont associés ? Lorsque la norme est définie par les personnes blanches, invisibilisant et discriminant ainsi les personnes racisées ? La réalisatrice Amandine Gay donne la parole à 24 afrodescendantes, françaises et belges, dans son film Ouvrir la voix, diffusé au cinéma Arvor, lors d’une séance unique organisée par la délégation bretonne SOS Homophobie, le 17 mai dernier, dans le cadre du festival Rennes au pluriel.

« Bienvenue dans ce monde où il va falloir lutter ». Ce monde, c’est celui d’une petite fille de 3 ans à qui on dit « Je ne veux pas jouer avec toi, tu es noire ». Celui d’une adolescente qui s’entend dire « C’est fou comme tu parles bien français ». Celui d’une jeune femme qui découvre ‘Les mains au chocolat’, en référence aux mains coupées au Congo lors de la colonisation belge, et les ‘gâteaux Bamboula’, « c’est pas très welcome friendly ». Sans parler de la pâtisserie nommée ‘Tête-de-nègre’… Celui d’une femme que l’on associe au mouvement terroriste Boko Haram.

Pourquoi ? Parce qu’elles sont noires. Et parce qu’elles sont noires, elles vont subir toute leur vie divers interrogatoires, les obligeant à se justifier de leurs origines, n’ayant soi-disant pas les caractéristiques physiques des Françaises ou des Belges :

« On te demande d’où tu viens, tu réponds que tu viens de Gaillac et là, on te dit ‘Non mais vraiment tu viens d’où ?’… »

Et parce qu’elles sont noires, elles vont devoir s’appliquer davantage à l’école, où elles iront avec la peur que l’on se moque d’elles : « J’avais toujours peur d’être jugée par des Blancs. Fallait être nickel. Pour casser l’image ‘les Noir-e-s sont sales’. » / « Tu dois dealer entre l’image que l’on se fait du Noir et toi qui est une personne entière et pas juste ‘la Noire’. »

Comment grandir, évoluer et se construire quand on nait dans l’Hexagone avec la peau noire ? Quand on nous apprend rapidement à « ne pas faire de vague », « être invisible pour passer à travers les mailles du filet » ? Quand on nous renvoie sans cesse que « l’on ne sera jamais assez Françaises pour les Français » ?

MAUVAISES REPRÉSENTATIONS

Absentes des représentations et des modèles, les personnes racisées subissent de nombreuses discriminations et injonctions. L’actualité le prouve régulièrement avec l’assimilation « délinquance, agressions, harcèlement de rue, violences sexuelles » et étrangers.

Récemment, l’affaire Naomi Musenga – jeune femme de 22 ans décédée le 29 décembre, après avoir subi les moqueries d’une opératrice du Samu de Strasbourg qui ne prend pas au sérieux son appel au secours - (re)fait la lumière sur le ‘syndrome méditerranéen’, préjugé raciste visant à penser que les personnes originaires (et celles que l’on pense, en raison de leur couleur de peau, originaires) des pays méditerranéens expriment plus bruyamment leurs douleurs que les autres.

Impossible de nier le racisme systémique. Impossible également de ne pas constater une discrimination spécifique qui s’intensifie lorsque la personne est une femme, noire, lesbienne, musulmane, grosse…

« On ne peut pas séparer le fait d’être une femme et d’être noire. »
insiste Amandine Gay, réalisatrice afroféministe.

À l’Arvor, elle est fière de voir que la séance unique du 17 mai affiche complet. Parce qu’elle a bataillé, avec l’aide de la délégation bretonne SOS Homophobie, pour que le film arrive jusqu’à Rennes. Pour que Ouvrir la voix soit diffusé sur les écrans. Qu’il voit le jour tout simplement.

Et si son documentaire, auto-produit, est sorti au cinéma en octobre dernier, c’est uniquement de par sa volonté et sa détermination. Mais son propos n’est pas celui-là. Comédienne à Paris plusieurs années durant, elle observe que les rôles proposés sont largement stéréotypés : prostituée, sans-papiers, droguée, jeune de banlieue…

Elle passe à la réalisation et travaille sur un projet dans lequel un des personnages est une sommelière noire et lesbienne. On lui répond alors qu’une personne comme celle-là n’existe pas en France.

RENDRE VISIBLE L’EXISTANT

Être noire n’est pas un métier. Sur le tapis rouge du festival de Cannes, c’est ce que rappellent les 16 actrices, co-auteures du livre Noire n’est pas mon métier, publié début mai. Amandine Gay – comme, entre autres, Aïssa Maïga, Eye Haïdara, Firmine Richard, Sonia Rolland ou encore Nadège Beausson-Diagne – refuse à juste titre le statut de « Noire de service ».

Elle quitte la France et s’installe au Québec, là où va murir l’idée du projet Ouvrir la voix pour lequel elle va recevoir plus de 60 réponses positives pour témoigner.

« J’ai fait un appel sur les réseaux sociaux. Il y avait des femmes qui me répondaient de la Réunion, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe mais il fallait qu’elles puissent se rendre à Paris pour les entretiens. Et il fallait évidemment qu’elles adhèrent avec ma narration et la douzaine de grandes thématiques abordées. », explique la réalisatrice, qui prend le parti de filmer en gros plan les visages des concernées.

Pour montrer qu’elles existent bel et bien : « Il faut nommer pour exister. Qu’est-ce qui se passe quand on ne dit pas le mot « noir » ? On dit « black »… D’où vient le malaise ? Même quand on traduit un film de l’anglais vers le français, on laisse le terme « Black ». Ça me fascine cette question du langage. Comme quand on dit « contrôle au faciès ». Ce n’est pas un contrôle au faciès quand on arrête majoritairement des arabes et des noir-e-s (les hommes noirs sont contrôlés 6 à 8 fois plus que les autres). C’est du profilage racial. En n’utilisant pas les bons mots, on invisibilise les discriminations et on refuse d’affronter notre Histoire. Pourtant, il faut comprendre ce qui se cache derrière les termes parce qu’il y a une question de construction sociale. Qu’est-ce que ça veut dire être noir ? Qu’est-ce que ça veut dire être blanc ? »

Dans le film, elles viennent de milieux différents, de professions différentes, de villes différentes et pourtant, elles ont toutes réalisé qu’elles étaient noires par la force des choses. Parce qu’on leur a fait sentir qu’elles n’étaient pas comme les autres. On leur a touché les cheveux sans demander leur accord, on leur reproche leur communautarisme dès qu’elles trainent avec d’autres personnes noires – sans que jamais ne soit fait le même reproche aux groupes réunissant exclusivement des personnes blanches – ou encore on leur a dit dès la puberté qu’elles étaient des tigresses, des sauvages au lit.

« On projette des choses sur toi dont tu n’es pas consciente. À aucun moment, on te rencontre toi. », regrette l’une des participantes, tandis qu’une autre dénonce également que cette injonction à correspondre aux clichés « nuit à ton développement personnel de femme », dans la sexualité, la personnalité, le parcours scolaire et professionnel.

LES VOIX D’AUTRES VISAGES

Elles ne sont pas des objets d’une époque coloniale dans laquelle la France patauge encore. Vingt-quatre visages et voix, auxquels s’ajoute celle d’Amandine Gay, clament haut et fort leur droit à exister pleinement, à exprimer qui elles sont vraiment. Au-delà des amalgames et du silence dans lequel on souhaite les enfermer par confort et privilège. Au plus profond d’elles-mêmes.

Sexisme, racisme, LGBTIphobies… Ouvrir la voix s’inscrit dans les luttes intersectionnelles, dénonçant les mécanismes croisés de domination et d’oppression dont souffrent les femmes noires et soulève la question de la mémoire face à l’Histoire :

« L’afroféminisme n’est pas récent. Il y a eu dans l’Histoire des organisations de femmes. Mais qui a entretenu les mémoires de ces histoires ? Les femmes noires se sont mobilisées, se sont syndiquées. Des femmes noires ont lutté pour sortir de leur condition. Qui connaît Paulette Nardal ? Où sont nos livres ? Où sont nos films ? Aujourd’hui, à nouveau, il y a une floraison de prise de paroles, sur le cinéma, la littérature, la parentalité, le lesbianisme.

On peut s’exprimer ! Depuis le début de ce projet en 2015, je souhaite donner la parole aux afrodescendantes, dans un bar, au cours d’une table ronde, ouvrir cela au public, documenter le travail, faire un blog pour laisser des traces et filmer les conférences pour les rendre accessibles au plus grand nombre. On se bat énormément pour offrir le meilleur aux générations futures. »

Célian Ramis

Black Palabres : la Négritude transcendée par Bilor

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Librairie Planète Io, Rennes
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En avril, elle invitait les Rennais-es à la librairie Planète Io pour son cabaret poétique Black Palabres. Prennent corps les poèmes d’Aimé Césaire, de Léon-Gontran Damas ou encore de Léopold Sédar Senghor, grands poètes de la Négritude.
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L’exil, l’esclavagisme, l’héritage. Marie-Laure Thimotée – alias Bilor – aborde ces sujets avec le soupçon d’humour qui brise les tabous mais n’enlève rien à leur profondeur. Du 5 au 7 avril dernier, elle invitait les Rennais-es à la librairie Planète Io pour son cabaret poétique Black Palabres. Pendant une heure, prennent corps les poèmes d’Aimé Césaire, de Léon-Gontran Damas ou encore de Léopold Sédar Senghor, grands poètes de la Négritude.

Elle s’accompagne d’un piano et de quelques instruments africains comme un Kalimba - qu’elle appelle “Piano à pouces”. Tantôt en musique, tantôt en narration, la comédienne Bilor – Marie-Laure Thimothée, de son nom civil - met en scène les poèmes de la Négritude. Un mot inventé en 1935 par Aimé Césaire, poète et homme politique martiniquais, en réaction à l’assimilation culturelle imposée par la France dans ses colonies.

Suivi par Léon-Gontran Damas, Léopold Sédar Senghor ou encore Bigaro Diop - tous hommes de lettres - le mouvement devient un outil politique de défense des cultures et identités noires. Poèmes, essais, livres, théâtre, la Négritude condamne le colonialisme avec force par le biais culturel. Léon-Gontran Damas - poète guyanais - le décrivait comme :

“Le mouvement tendant à rattacher les noir-e-s de nationalité et de statut français, à leur histoire, leurs traditions et aux langues exprimant leurs âmes”.

C’est d’ailleurs autour du texte de Damas, Black-Label, que Bilor construit son spectacle joué à la librairie rennaise Planète Io du 5 au 7 avril. S’ajoutent à cette discussion en 12 poèmes, les grands poètes Edouard Glissant, Abdourahman Waberi et la seule femme Ananda Devi, poétesse et romancière mauricienne. Dans les textes résonnent le déchirement de l’exil et la colère de l’oppression rythmée par la citation de Damas « Black Label à boire, pour ne pas changer. Black Label à boire, à quoi bon changer » que Bilor intègre avant chaque nouveau poème.

HÉRITAGE

Et quand l’artiste ne chante pas, elle tient le recueil de Damas, et transcende le texte à coup de pas de danse, perchée sur une chaise ou clamant près de la porte de la librairie des vers durs et rugueux sans jamais tomber dans la victimisation. Son but : rendre hommage à la Négritude avec bienveillance, sans victimiser les personnes noires ni culpabiliser les personnes blanches :

Je pense qu’il faut à tout prix sortir du système de complainte. J’ai envie d’y lire ça [dans ces poèmes]. C’est un appel à la vigilance car tous les jours on a le choix de faire l’animal ou de faire appel à notre humanité : ma colère j’en suis maître”.

Elle utilise alors l’humour et ses talents d’actrice affûtés au Cours Florent dans les années 90 pour rendre le sujet moins difficile. Pourtant, l’arrachement à la terre, à la tradition et cette errance qui en résulte font écho à l’histoire de l’artiste. Elle-même née à Paris d’un père martiniquais et d’une mère algérienne :

“J’ai toujours eu le sentiment d’avoir le cul entre deux chaises. J’ai grandi en France et c’était important que j’aille du côté de mes racines […] Il y a quelques années, j’ai découvert le livre Du Crime d’être Noir de l’auteur Bassidiky Coulibaly et ça a résonné en moi ».

RACISME ORDINAIRE

Aujourd’hui, elle se réapproprie un héritage qu’elle remet au goût du jour dans une société où sévit encore le racisme ordinaire. En décembre 2017, le célèbre footballeur français Antoine Griezmann se trouve au cœur d’une polémique. A l’occasion d’une soirée déguisée, il arbore une “Black Face” - visage noir - afin de se grimer en joueur de basket des Harlem Globetrotters (célèbre équipe américaine).

Cette pratique, qui servait à caricaturer et stéréotyper les personnes noires dans les théâtres jusqu’aux années 1960, semble être ignorée du sportif. Il s’excuse aussitôt. Mais le constat est le même : le manque criant d’éducation. La faute à l’Histoire mal enseignée dans les manuels scolaires ? La faute aux “C’était de l’humour !”, argument donné par Anne-Sophie Leclère en 2013 après avoir comparé Christiane Taubira - alors Garde des Sceaux et Ministre de la Justice du gouvernement François Hollande – à un singe ?

ASSUMER SES RESPONSABILITÉS

Bilor apporte un début de réponse : “Dans tous les génocides, le point commun entre bourreaux et victimes est qu’ils/elles sont déshumanisé.e.s”. Et sans humanité derrière l’Histoire, les erreurs se répètent, même si la France assume petit à petit ses responsabilités. En 2012, la ville de Nantes a finalement inauguré Le Mémorial de l’abolition de l’esclavage. Un grand pas bien tardif pour la ville au “premier port négrier de France au 18ème siècle” comme on peut lire sur le site internet du monument.

Loin de tous préjugés, Bilor réussit avec Black Palabres à faire (re)découvrir les poètes de la Négritude. Un mouvement que l’artiste désormais installée à Douarnenez dans le Finistère étend à toute forme d’injustice en citant Aimé Césaire :

"La Négritude, c'est le rejet de la domination et de l'oppression dans le monde."   

Célian Ramis

8 mars : Les luttes intersectionnelles, pas toujours bien comprises...

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Le 16 mars, l’association Femmes Entre Elles proposait une conférence articulée autour des « Regards féministes sur l’intersectionnalité dans les sciences et la littérature », à la Maison Internationale de Rennes.
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Le 16 mars, l’association Femmes Entre Elles proposait une conférence articulée autour des « Regards féministes sur l’intersectionnalité dans les sciences et la littérature », à la Maison Internationale de Rennes. La structure recevait l’historienne d’art, militante de la cause féministe et auteure, Marie-Jo Bonnet qui, à cette occasion, analysait l’exemple de l’homosexualité, à travers son parcours au sein du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) notamment.

« C’est un terme pseudo-mathématique assez parlant. C’est l’intersection de plusieurs tendances, en prenant en compte plusieurs critères (inégalités sociales, ethniques, de genre, dues à un handicap,…) et leurs interactions entre elles. Pour parler d’une discrimination. » À l’initiative de la conférence, l’association Femmes Entre Elles (FEE) introduit le terme d’intersectionnalité.

Un concept développé à la fin des années 80 par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw, issue du black feminism. Plus de cent plus tôt, Sojourner Truth, ancienne esclave aux Etats-Unis, prononce un discours marquant et puissant dans lequel elle interpelle féministes et abolitionnistes et met en lumières les différentes oppressions subies par les femmes noires (lire Ne suis-je pas une femme, de Bell Hooks).

Un des exemples les plus frappants réside dans la juridiction américaine. Lors d’une plainte, les femmes noires doivent choisir le fondement de la discrimination : le sexe ou la race. Quand elles « choisissent » le sexe, elles sont déboutées et il leur est précisé que les femmes blanches ne subissent pas les difficultés qu’elles viennent soulever devant le tribunal. Et quand elles « choisissent » la race, elles sont là encore déboutées et il leur est précisé que les hommes noirs ne subissent pas les mêmes difficultés qu’elles viennent soulever devant le tribunal.

Les discriminations, si elles relèvent d’un même mécanisme de domination, sont intersectionnelles et plurielles. Et largement invisibilisées. « Il faut absolument prendre en compte tous les paramètres spécifiques de ces discriminations. », conclut l’association FEE, avant de laisser la parole à Marie-Jo Bonnet, auteure, entre autre, de Mon MLF.

L’EXEMPLE DE L’HOMOSEXUALITÉ

Nous sommes en 1971. Aux débuts du MLF. Marie-Jo Bonnet découvre un journal issu de ce mouvement. Le Torchon Brûle. « Un titre génial ! La libération des femmes me touchait. Parce qu’à ce moment-là, ça me renvoyait à la libération de la France et à toute son émotion. Il y avait la même énergie, le même phénomène de joie. On respirait, on sortait d’une oppression. Et puis sur une Une, le titre : « Et puis merde, j’aime les femmes ». Waouh génial ! », s’enthousiasme l’historienne d’art.

Pour elle, l’élan est donné par les femmes, homos, hétéros, prolos, vieilles, jeunes, bourgeoises, etc. Elle le dit, elle l’affirme, elle insiste : « La force du MLF, c’est qu’on a dit « Nous les femmes ». On n’a exclu personne. » Une affirmation remise en cause par la politologue Françoise Vergès, auteure de l’ouvrage Le Ventre des femmes, qui explique dans une interview pour Libération :

« Les féministes françaises peuvent redevenir (à la suite de la guerre d’Algérie, situe-t-elle au préalable, ndlr) des victimes du patriarcat sans avoir à s’interroger sur sa dimension racialiste. Le MLF se replie sur l’Hexagone. S’intéresser à ce qui se passe à La Réunion ou aux Antilles imposerait de réfléchir aux privilèges des femmes blanches… Ces dernières n’ont pas intégré dans leur histoire les avortements forcés de La Réunion. »

Pas un mot à ce sujet. Elle poursuit sur les fondements du MLF. Le mouvement est non mixte. Pas autorisé aux hommes qui ont « tenu le crachoir » en mai 68 et n’ont pas laissé les femmes s’exprimer. Les homosexuels sont admis dans les manifestations. « C’était le seul point de mixité. L’homosexualité, on n’en parlait jamais avant. C’était pas rigolo, je peux vous le dire, pour moi l’adolescence, ça n’a pas été marrant. Mai 68 et le MLF nous ont sauvé-e-s ! », souligne-t-elle.

Le Mouvement participe pour la première fois à la grande manifestation du 1er mai, en 1971. Avec à leurs côtés, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), qui se battait également pour le droit à l’avortement. La contestation se faisait dans la joie et la violence, se souvient Marie-Jo Bonnet qui parle du « choc des gros bras de la CGT – à l’époque, faut bien se rappeler que les communistes étaient contre l’avortement - et des petites pédales du FHAR. »

Les militantes luttent contre la dictature des normes. On refuse la perte de soi, la perte de l’esprit critique et surtout on revendique le droit de pouvoir contester l’ordre social. « Notre corps nous appartient ». Tout est dit. Les homosexuels créent leur journal, Tout !, qui défend cette même ligne.

FIN DE LA CONVERGENCE

« La convergence s’évanouit après le numéro 12. Plein de mecs venaient uniquement pour draguer les gars du FHAR. On était submergées. On a fondé Les Gouines Rouges, qui à l’origine était un groupe de liaison mais finalement on a rejoint le MLF. », explique-t-elle.

Marie-Jo Bonnet évoque une impossibilité d’établir un dialogue entre « les gouines et les pédés ». Pourtant, ils/elles se retrouvaient en manif’. Pour la militante, à la différence des hommes, les femmes ne voulaient plus accepter les rôles attribués au féminin et au masculin. Elles voulaient se définir par elles-mêmes et faire éclater les genres « à travers un processus de transformation sociale ».

Le clivage homosexuels/lesbiennes n’a pas l’air d’entacher cette période en pleine ébullition. Elle raconte l’ambiance « extraordinaire » de la plupart des événements organisés contre les violences faites aux femmes, pour l’avortement libre et gratuit ou contre la domination masculine de manière générale.

Dans les années 80, Monique Wittig, membre du MLF, déclare : « La lesbienne n’est pas une femme ». Si on peut penser la citation choquante, Marie-Jo Bonnet développe le raisonnement de son amie, qui envisage alors l’hétérosexualité comme système politique, basé sur le genre (binaire) et ses assignations et caractéristiques. Les femmes, dans le domaine privé. Les hommes, dans l’espace public.

Et encore, à l’époque, on ne parle pas des femmes. Mais de la femme :

« On voulait en finir avec le fond du silence. À la Mutualité, lors du tribunal des dénonciations des crimes contre les femmes, nous avions fait monté sur la scène les lesbiennes. On avait fait la fête ! Dans la vie ordinaire, par contre, c’était compliqué. On vivait dans un monde non mixte. Dominé par les hommes. »

L’INVISIBILISATION DES LESBIENNES

Cela ne va pas s’arranger. Elle estime que dans le langage, le terme « femme » disparaît, au profit du terme « genre », tout comme on passe des années plus tard de « mère porteuse » à « Gestation Pour Autrui ».

« Il y a eu petit à petit une occultation des lesbiennes, sur fond d’épidémie du Sida. C’était une époque terrible. Les copains du FHAR, pour la plupart, sont morts. Chez les gays, ça bougeait pour lutter contre le Sida, avec Act up, Aides, etc. Ces associations obtiennent des subventions pour s’organiser. Pendant ce temps, les lesbiennes n’existaient plus, on n’avait plus de sous. Mais comment prendre la parole face à l’horreur qui se passait ? Est alors venue la radicalisation et je trouvais ça suicidaire car notre force avait toujours été d’être ensemble. Avec les femmes hétéros. », scande-t-elle.

Le Pacs et le Mariage pour tous constituent-ils une avancée pour les personnes homosexuelles ? Elle n’a pas l’air d’y croire : « C’est le combat des gays. Le Mariage pour tous, c’était très très divisé chez les lesbiennes. Pour moi, c’est de la propagande. Mais comme la GPA, pour moi, c’est le combat des gays. »

Elle semble rejoindre la pensée de Monique Wittig. À assimiler femme mariée et femme soumise à tout ce que cela impliquait à l’époque du MLF. Se marier revient, dans la pensée straight, à épouser la charge des tâches ménagères, l’éducation des enfants, l’absence d’activité professionnelle, etc.

MOMENT D’INCOMPRÉHENSION

Pour Marie-Jo Bonnet, « être lesbienne (me) permet d’être à l’écart du mainstream dominant. C’est une liberté. C’est bien d’avoir des droits et de pouvoir faire ce que l’on veut mais je pense que pouvoir se marier n’a pas fait reconnaître l’homosexualité. Et surtout, on peut être respectées sans être mariées. »

Elle voit un glissement survenu ces dernières années : un passage de l’égalité des sexes à l’égalité des sexualités. Et va même jusqu’à exprimer un mécontentement face à un nouveau courant qui « met la pratique sexuelle au cœur de l’identité et le communautarisme au centre de la solidarité. » Clairement, elle ressent une incapacité, dans les générations actuelles, à changer les choses collectivement et parle de « face à face destructeur qui ouvre le règne des genres et du communautarisme sexuel. »

Finalement, sa conclusion sera, à la hauteur d’une certaine partie de sa conférence, quelque peu décevante : « De toute façon, je comprends rien avec l’intersectionnalité et puis c’est trop compliqué à prononcer. » Elle entend, dans ce terme, la division des sections. Un acte de séparation qui vient donc confronter sa vision universaliste du féminisme.

L’INTERSECTIONNALITÉ, C’EST L’AVENIR

Dans l’audience, ça réagit. Marine Bachelot Nguyen, militante engagée dans les luttes intersectionnelles, exprime sa vision des choses : « Le féminisme intersectionnel rend possible les solidarités. Parce qu’il permet de connaître plus précisément les mécanismes de domination. Contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, les discriminations envers les personnes handicapées, etc. Le féminisme intersectionnel crée plein de sensibilités et je ne crois pas du tout que ça nous divise. »

De son côté, l’association FEE tente également de « recadrer », en s’adressant à Marie-Jo Bonnet :

« Je pense en fait qu’on est d’accord mais c’est le terme avec lequel tu as du mal. Mais l’intersectionnalité, c’est un mode de déconstruction. C’est important et d’ailleurs c’est l’avenir ! »

Le débat se tend. On a le sentiment que la conférencière n’arrive pas à entendre les arguments des unes et des autres et revient toujours à la notion d’universalité et de combat commun, qui pourtant n’est pas en opposition avec le féminisme intersectionnel. Et l’universalité est rendue insupportable quand vient la sempiternelle morale sur le port du voile et une comparaison accablante entre la situation en France et la situation en Iran.

Marine Bachelot Nguyen et Solveig Touzé, libraire et co-fondatrice de La Nuit des Temps, à Rennes – venue vendre les livres écrits par Marie-Jo Bonnet pour une séance de dédicaces – interviennent chacune à leur tour pour démontrer que l’on ne peut pas établir un tel parallèle et qu’il est important d’écouter les paroles des unes et des autres et de les respecter.

« Je suis contre le port du voile », insiste Marie-Jo. Ce à quoi Marine et Solveig lui répondent, en chœur : « Mais êtes-vous concernée ? » Tout est dit.

 

 

Célian Ramis

Transmusicales 2017 : Un vendredi à la croisée des cultures

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Parc Expo, Rennes
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Deuxième soir des Transmusicales au Parc Expo, ce vendredi 8 décembre. Retour sur les concerts d’Altin Gün, House Gospel Choir, Oreskaband et Tank and the Bangas.
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Deuxième soir des Transmusicales au Parc Expo, ce vendredi 8 décembre. Ce soir-là, les artistes féminines se sont illustrées dans des performances explosives. Retour sur les concerts d’Altin Gün, House Gospel Choir, Oreskaband et Tank and the Bangas.

ALTIN GÜN – HALL 3 – 22H55

Altin Gün, c’est le mélange du psyché occidental et des musiques traditionnelles turques. Basé au Pays-Bas, le groupe ressuscite la scène alternative des années 60 et 70 d’Istanbul. Leur nom signifiant d’ailleurs « l’âge d’or ».

La chanteuse turque, Merve Dasdemir, porte dans sa voix le folk oriental, soutenue par le joueur de saz, Erdinc Yildiz Ecevit. Accompagné par les percussions et le clavier, le duo nous emmène en voyage à la fin des 60’s, dans une Anatolie au milieu underground bien vivant.

C’est un rock psychédélique oriental que le sextuor décortique. Les registres s’entrecroisent, sans qu’aucun n’écrase l’autre. Chacun sa place.

Chacun son moment sous les projecteurs pour mieux se retrouver ensuite et ne faire qu’un.L’énergie circule entre la scène et le public, qui se saisit de cette convergence des styles pour s’en délecter à chaque chanson.

Et quand, Erdinc Yildiz Ecevit fait vibrer les cordes de son saz, l’accompagnant simplement d’un chant traditionnel puissant, amplifié et très pur, il nous provoque inévitablement des frissons. La salle est en suspend. La foule est soudainement particulièrement attentive.

À cet instant contemplatif, les musiciens ajoutent crescendo un côté psychédélique, avant d’envoyer les guitares et la batterie, passant ainsi de la tension à la libération. Altin Gün maitrise la variation des styles, des chants, des introductions de morceaux et des rythmes.

On savoure chaque note et chaque sonorité. Chaque découverte. Parce que celle-ci est omniprésente dans le set et dans l’esprit de la formation. Le hall 3 est rapidement plein à craquer. Se balançant d’un pied sur l’autre ou agitant la tête de haut en bas, la foule semble conquise et inlassablement entrainée par la proposition.

Et tandis que l’on progresse petit à petit vers un son plus psychédélique, la chanteuse maintient de par son chant, l’attachement aux musiques traditionnelles turques, appuyé par les percussions.

Et quand elle pousse la voix, les instruments répondent à son appel et prennent entièrement possession de l’espace.

La dynamique est sans faille et plus on s’approche de la fin du concert, plus les sonorités aigues s’aiguisent à allure folle, jusqu’à mettre la foule en trans, acclamant et applaudissant sans relâche le sextuor.

Altin Gün n’hésite pas à s’amuser avec les styles, les influences et les rythmes pour fabriquer une musique résolument moderne, dans un set explosif qui ne lasse jamais son auditoire. On en redemande même.

 

HOUSE GOSPEL CHOIR – HALL 9 – 00H25

C’est acclamée par la foule que la chorale gospel britannique entre sur scène. Ou plutôt l’envahit de sa vingtaine de chanteurs-euses et de musiciens. Si les premières notes sont jazzy et plutôt lentes, House Gospel Choir brise le rythme et envoie la sauce en quelques secondes seulement.

La chanteuse déploie sa voix puissante de soprano et la bonne humeur générale se répand dans les rangs qui dansent et sautent avec entrain et enthousiasme.

On passe du gospel à la house et on se balade entre les années 80 et 2000. Avec ou sans transition, on s’en fout, on se prend au jeu instantanément.

C’est une ébullition de joie sur la scène comme dans la fosse à laquelle on assiste, ébahi-e-s par l’énergie et l’immédiateté de sa contagion. Tout le monde, quasiment, danse.

Dans le hall 9, les corps s’expriment et les voix se chauffent. Si SheZar mène la danse de sa troupe gospel, les choristes prennent à tour de rôle le lead des chansons.

Entre gospel, r’n’b, house et soul, les voix, toujours accompagnées du saxo, du clavier et de la batterie, sont toutes impressionnantes. À couper le souffle. Les sourires trônent sur tous les visages et c’est à regret qu’il nous faut quitter le hall au milieu du concert.

 

ORESKABAND – HALL 3 – 00H35

Parce qu’au même moment, les six japonaises d’Oreskaband montent sur la scène du hall 3 pour y balancer un ska hallucinant sur une reprise de Wannabe, des Spice Girls, qui nous scotche radicalement sur place.

Au saxo, à la guitare électrique, à la basse, au trombone et à la trompette, les musiciennes sont alignées – devant la batterie – et assurent le show avec une patate à vous clouer le cul par terre sans avoir le temps de réaliser ce qui vous arrive. Décoiffant et délirant.

Pour les sceptiques du ska dans notre genre, la claque est magistrale. Les cuivres envoient un sacré son groovy qui se marie parfaitement avec la rythmique ska punk et les chœurs pop.

Le phénomène Oreskaband, qui prend parfois des airs de fanfare à la  Molotov Jukebox – qui avait d’ailleurs foulé la scène de ce même hall quelques années auparavant – avant de bien rappeler sa singularité, met le feu à la foule.

Elles ont la pêche et donnent la pêche. Leur aisance, leur manière de posséder la scène et leur constant partage avec l’audience… Tout est orchestré pour nous maintenir dans un état d’excitation intense. Magique.

Les musiciennes ne relâchement jamais la pression et enchainent les chansons, plus énergiques et plus rythmées les unes que les autres. Les rythmiques sont rapides et la rencontre entre le ska et le punk est explosive. Autant que leur manière de bouger et de s’éclater d’un côté à l’autre de la scène.

« Nous sommes japonaises, vous êtes français, mais la musique n’a pas de frontière. La musique peut justement nous connecter. Quel merveilleux monde ! », lance la chanteuse avant de balancer un gros son très punk qui ne manquera pas de confirmer l’étendue de leurs talents de musiciennes et de performeuses à l’énergie débordante.

Oreskaband, c’est de la dynamite pure qui prend aux tripes et qui nous ordonne de tout envoyer péter, de lâcher prise et de se défouler. Et pour une fois, on répond sans aucun signe de protestation à cette injonction au bien-être !

Surtout au moment du rappel, lorsqu’elles demandent au public de s’asseoir afin de pouvoir se lever d’un coup, de bondir et de danser. Sans plus penser.

Ce sont des meufs en folie qui s’illustrent sur la scène des Transmusicales et qui fédèrent les festivalier-e-s derrière leur délire bien barré. Et putain, ça fait du bien.

 

TANK AND THE BANGAS – HALL 8 – 1H30

C’est peut-être pour ça qu’on aura du mal par la suite à entrer pleinement dans la proposition de Tank and the Bangas qui pourtant ne nous laisse pas indifférent-e-s. Accompagnée de ses musiciens et de sa choriste, Tarriona Ball a elle aussi le sens aigu du show.

Elle n’hésite pas à théâtraliser sa prestation, à jouer de nombreuses mimiques ou encore à robotiser sa gestuelle. Sans pour autant négliger les performances vocale et instrumentale. Le show est complet et le public y adhère, interagissant régulièrement avec la mise en scène.

D’une voix nasillarde, qui pourrait s’apparenter à celle de Duffy, à une voix de reine de la soul, en passant par une voix enfantine, elle se construit un personnage humoristique, attachant, qu’on aurait tendance à aimer détester tant elle s’engage des bouffées délirantes pleines d’artifices.

Néanmoins, elle intrigue et la proposition est loin d’être sans intérêt, et surtout loin d’être sans énergie et inventivité. Parce qu’elle présente dans son set sa propre vision de l’héritage afroaméricain, mêlant jazz, r’n’b, blues, soul et bounce music (forme de hip hop née à la Nouvelle Orléans à la fin des années 80).

On aime la regarder et on aime l’écouter exprimer cette sorte de dialogue entre voix pleine et puissante et voix nasillarde et enfantine, entre adulte et enfant. Mais l’émotion est plus franche lorsqu’elle s’empare uniquement de sa voix jaillissante et profonde. Il y a plus de frissons, plus de facilité à se laisser porter par la pureté de son instrument vocal.

Si elle explore différents styles de musique et impressionne de par sa tessiture, soutenue par la force des cuivres et de la batterie, elle n’en oublie pas dans ses textes d’être sérieuse et engagée. Voire enragée. Parce que le système est répressif et que la politique actuelle est nauséabonde.

Et parce qu’elle propose sa vision singulière de l’héritage afroaméricain dans sa musique, elle l’expose également dans son écriture, dénonçant un système dressé contre la jeunesse noire américaine et un esclavagisme invisible car banalisé et ordinaire mais bel et bien réel, encadré par des violences et des pressions psychologiques.

Célian Ramis

8 mars : Aux USA, même ambivalence dans le sport et la culture

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Le 7 mars, l'Institut franco-américain de Rennes mettait sur la table la question de la promotion des femmes américaines à travers le sport et la culture, avec la venue d'Hélène Quanquin, spécialiste des mouvements féministes aux USA, à la Sorbonne.
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Elle n’est pas spécialiste du sport, a-t-elle précisé d’emblée, lors de la conférence qu’elle tenait le 7 mars, à l’Institut franco-américain. En revanche, la question des mouvements féministes aux Etats-Unis est le domaine de prédilection d’Hélène Quanquin, de Paris 3 – Sorbonne nouvelle.

La conférence ne pouvait pas mieux tomber. Le soir même, ou plutôt la nuit, la finale du championnat She Believes Cup (2e édition de la compétition visant à inciter les jeunes filles et les femmes à jouer au foot, réunissant les USA, la France, l’Allemagne et l’Angleterre) se déroulait à Washington et opposait l’équipe féminine de football des USA à celle de la France. Diffusée en direct sur C8, on pouvait assister à la victoire écrasante des Françaises, qui se sont imposées 3 à 0, face aux tenantes du titre.

Pour Hélène Quanquin, l’ascension des femmes dans le sport et la culture est due aux mouvements féministes. Parce que les femmes se sont battues pour se faire entendre et pour faire avancer leurs droits, vers l’égalité des sexes. Elles n’ont pas attendu la présidence de Donald Trump pour se mobiliser.

MOBILISATIONS FÉMINISTES

La marche du 21 janvier 2017, qui a réuni au lendemain de l’investiture plus de 4,5 millions de personnes aux USA – « la manifestation qui a réuni le plus de participant-e-s de toute l’histoire » - est en effet issue d’une tradition féministe basée sur le rassemblement.

Elles organisaient déjà des marches de femmes au début du XXe siècle, notamment en 1911 à New-York marquant leur volonté d’occuper l’espace ou encore en 1913 à Washington pour le droit de vote.

« Le mouvement féministe et suffragiste incorporait beaucoup d’éléments de la culture populaire, comme le théâtre, la chanson, les cartoons, la caricature… Toutefois, on voit que l’incorporation des revendications féminismes est graduelle. À cette époque, quand des femmes noires voulaient participer, certaines femmes blanches menaçaient de ne pas y participer. C’est l’époque de la ségrégation aux USA et le racisme est présent dans le féminisme. On parle alors pour ces marches de White women’s march. Pareil pour les revendications des femmes lesbiennes ! », développe la spécialiste des mouvements féministes américains.  

Elle poursuit :

« C’est là que l’on voit la différence avec janvier 2017. Dès novembre, dès l’élection, le comité d’organisation de la marche a voulu que l’événement réunisse tout le monde. Des blanches, des noires, des arabes, des latinas, des femmes voilées, des femmes trans, des hommes… ».

À quelques détails et années près, le féminisme américain connaît les mêmes vagues qu’en France et les années 60 et 70 représenteront également deux décennies importantes pour les droits des femmes, militant contre les discriminations liées au sexe, à la race et à l’ethnicité.

ÉGAL ACCÈS AUX SPORTS ET ACTIVITÉS

C’est dans ce contexte que sera adopté l’amendement Title IX qui protège les individus des discriminations basées sur le sexe dans les programmes éducatifs et activités recevant des fonds fédéraux (No person in the United States shall, on the basis of sex, be excluded from participation in, be denied the benefits of, or be subjected to discrimination under any education program or activity receiving Federal financial assistance.).

Un amendement qui enclenchera également une réflexion autour de la lutte contre le harcèlement sexuel dans les universités. Et qui empêchera, dans les écoles et facultés américaines, de restreindre la participation aux activités en raison de son sexe et de son genre. Et fera naitre également une loi imposant une réglementation de ce type dans les sports amateurs.

« Le sport fait partie intégrante de la vie des écoles et des universités américaines qui organisent beaucoup de compétitions. En 2002, 160 000 femmes y avaient participé. Maintenant, elles sont plus de 200 000. Il y a presque la parité. Et beaucoup de sportifs olympiques ont participé à ce type de compétition. Cela prouve l’incidence de certaines lois sur l’évolution du nombre de sportives de haut niveau », souligne Hélène Quanquin.

Et la dernière édition des JO, qui s’est déroulée à Rio en 2016, a mis en lumière plusieurs femmes athlètes, parmi lesquelles figurent l’équipe féminine de gymnastique – dont Simone Biles sera la plus médiatisée et mise en avant grâce à ses 4 médailles d’or -, Simone Manuel, première femme noire à remporter un titre olympique en natation ou encore Ibtihaj Muhammad, la première escrimeuse médaille à porter un voile lors de la compétition.

Pour les Etats-Unis, l’ensemble des performances les place au premier rang des JO de Rio avec 121 médailles. Dont 61 ont été gagnées par des femmes.

« Ce sont les deuxièmes Jeux olympiques qui marquent la supériorité des femmes aux USA, même si là c’est très léger. Elles ont remporté 27 médailles d’or, soit le même nombre que toute l’équipe britannique. »
indique la spécialiste.

POURTANT, LES HOMMES L’EMPORTENT…

Néanmoins, la promotion des femmes dans le sport interroge. Les performances prouvent leurs compétences et pourtant dans les médias quand Michael Phelps remporte l’argent, il remporte également le titre principal de Une, tandis que sur la même couverture, en plus petit, on inscrira la victoire de Katie Ledecky. Après tout, championne olympique à cinq reprises et championne du monde en grand bassin neuf fois, elle n’est que la détentrice des records du monde sur 400m, 800m et 1500m nage libre…

C’est ainsi que l’on constate l’ambivalence du domaine. D’un côté, le sport est un moyen pour promouvoir les droits des femmes. D’un autre, il est aussi un lieu d’inégalités subsistant entre les femmes et les hommes. Ces derniers gagnent plus d’argent, se réclamant d’un plus grand intérêt de la part des spectateurs/trices et par conséquent, des publicitaires et des sponsors.

Outre les mouvements féministes et les lois, les sportives doivent également se battre contre les préjugés, les idées reçues et les sportifs. À l’instar de Billie Jean King, grande joueuse de tennis, qui en 1973 a menacé de boycotter l’Open des Etats-Unis, revendiquant le droit des femmes à gagner le même salaire que les hommes en tournoi. La même année, elle crée une association de tennis féminin et bat Bobby Ricks – joueur réputé pour son machisme - en trois sets lors d’un match que ce dernier envisageait comme un moment voué à démontrer la supériorité masculine.

Pour Hélène Quanquin, « Billie Jean King a marqué l’histoire du tennis et l’évolution des droits des femmes dans ce sport. D’autant que c’est la première femme athlète à faire son coming-out. Ce qui lui coûtera plusieurs spots publicitaires, donc de l’argent. »

DANS LE CINÉMA, MÊME COMBAT

Les réflexions sexistes (des sportifs, des médias, des commentateurs sportifs…), la supériorité masculine très prégnante et les inégalités, notamment de salaires, se retrouvent également dans le domaine de la culture. En 2015 – 2016, cette problématique occupera une part importante du débat hollywoodien. Pour cause, l’affaire des piratages des mails de Sony qui fera découvrir à Jennifer Lawrence qu’elle était moins bien payée sur les pourcentages et les ventes du film.

Lors des cérémonies américaines, aux Oscars notamment, les voix féministes commencent à s’élever. Dans les discours de Patricia Arquette ou de Meryl Streep par exemple, l’égalité salariale est en première ligne des revendications. Suit ensuite le faible nombre de rôles principaux ou secondaires, mais importants, attribués aux femmes. Des messages que l’on entend également dans la bouche des anglaises Kate Winslet ou Emma Watson, et de plus en plus de la part des réalisatrices et actrices du cinéma français.

On notera alors que seules 28% environ des actrices obtiennent des rôles significatifs au cinéma et qu’aux Oscars seules 4 femmes ont été nominées dans la catégories des meilleur-e-s réalisateurs/trices dans l’histoire des récompenses. « Et les chiffres sont pires pour les femmes issues des minorités. On constate bien souvent que quand des femmes réalisent, il y a plus de rôles pour les femmes. », conclut Hélène Quanquin.

DANS LA MUSIQUE, PAREIL

Les chiffres sont révélateurs. Dans le secteur de la musique également. Moins de 5% des producteurs et ingénieurs sont des femmes, révèle la conférencière, qui enchaine immédiatement avec l’affaire Kesha. La chanteuse accuse son producteur, Dr Luke, de viol et demande alors à être libérée de son contrat, ce que le tribunal refusera, lui accordant seulement le droit de changer de producteur mais la sommant de rester chez Sony pour honorer l’acte signé.

La question tourne alors autour du pouvoir et de l’influence de l’industrie musicale, qui aurait tendance ces dernières années à instrumentaliser le féminisme. « Le pop féminisme serait-il la 4e vague ? », interpelle Hélène Quanquin. Le pop féminisme rassemble les chanteuses populaires actuelles, prônant leurs engagements féministes dans leurs discours et leurs chansons, comme Beyonce, en tête de cortège, Katy Perry, qui jusqu’à récemment hésitait tout de même à se revendiquer féministe, ou encore Miley Cirus, jugée plus trash.

UNE AMBIVALENCE PREGNANTE

Ce mouvement semble plus inclusif, à l’image de la marche de janvier 2017. Mais l’ambivalence persiste dans le secteur de la musique, du cinéma comme dans celui du sport. Là où on note des progrès, à ne pas négliger puisqu’ils influencent bon nombre de jeunes femmes, on ne peut nier également l’instrumentalisation marketing de ces milieux, régis par l’industrie, dans lesquels les inégalités persistent fortement.

« Les progrès sont liés aux mouvements féministes et à l’avancée de la législation. Mais on voit des limites à ce progrès. Les femmes n’ont toujours pas d’égal accès aux positions de pouvoir, sont toujours représentées de manière différente dans les médias et font face à un fonctionnement de l’industrie extrêmement inégalitaire. Pas seulement pour les femmes mais aussi pour les personnes issues des minorités. », conclut Hélène Quanquin.

À noter qu’en France, les mentalités stagnent aussi. La preuve avec les remarques sexistes – et racistes – des commentateurs sportifs. « Elles sont là nos petites françaises », pouvait-on entendre dans la nuit du 7 au 8 mars lors de la finale de la She Believes Cup. Aurait-on dit la même chose de l’équipe de France masculine ?

 

Célian Ramis

L'afro-féminisme, le réveil des consciences

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Les féministes d’aujourd’hui et d’hier auraient-elles intégré la suprématie blanche, créant ainsi un rapport de supériorité vis-à-vis des femmes non-blanches, et particulièrement des femmes noires ?
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Les féministes d’aujourd’hui et d’hier auraient-elles intégré la suprématie blanche, créant ainsi un rapport de supériorité vis-à-vis des femmes non-blanches, et particulièrement des femmes noires ? C’est la théorie défendue par le Black Feminism – afro-féminisme en France – et démontrée au cours de deux conférences organisées à la MIR dans le cadre du 8 mars. Quand les médias, les publicités, les arts, etc. dépeignent la femme comme blanche, mince, hétérosexuelle, jeune et on en passe, comment se considèrent les femmes non-blanches à travers ce modèle quasi unique ? Surtout que les clichés persistent à décrire les femmes noires comme sauvages, aux lèvres pulpeuses, aux grosses fesses et on en passe…

De la première vague du féminisme, on retient la lutte pour le droit de vote. De la seconde, on se remémore les combats pour le droit à l’avortement, la contraception, et plus largement à disposer de son propre corps. Et de la troisième, que conserve-t-on ? Qu’elle a été influencée par les Etats-Unis, contre le racisme. Mais de cette dernière, on cherche aussi à remettre en cause la naissance, l’évolution, à se demander si elle a vraiment existée…

Sa potentielle existence, toutefois, sert à justifier que la lutte contre le racisme, pour les femmes de couleur précisément, a bel et bien eu lieu. Qu’il n’y a pas/plus matière à revenir dessus. Angela Davis symbolise et incarne une partie de ce combat, et cela convient. Mais est-ce réellement suffisant de ne pouvoir citer qu’une seule figure emblématique de ce que l’on considère longtemps comme une période révolue ?

BLACK FEMINISM, AFRO-FÉMINISME

Plusieurs femmes et mouvements ont milité, et militent toujours, contre le racisme et le sexisme, subis conjointement, notamment envers les femmes noires, parmi lesquels figure bell hooks. Inspirée par le discours de Sojourner Truth, « Ain’t a woman ? » - esclave vendue enfant à un autre esclave, abolitionniste et militante des droits des femmes qui interpella au milieu du XIXe siècle les féministes blanches car elle ne se reconnaissait pas dans les interventions – l’intellectuelle et militante féministe signe une œuvre majeure en 1981 dans la littérature féministe moderne.

Cet ouvrage, Ain’t a woman ? Black Women and feminism, les éditions Cambourakis ont décidé de le faire traduire en français, optant pour une écriture inclusive, et de le publier en septembre 2015 dans la collection Sorcières, créée par Isabelle Cambourakis, sous le titre Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme. Et cela servira d’introduction à la conférence du 4 mars, organisée à la MIR par la librairie Planète Io, en présence de l’éditrice et de Raphaële Guitteaud, du collectif rennais Les Peaux Cibles, fondé en juin dernier.  

« C’est pour nous, le premier texte afro-féministe. Bell hooks est très appréciée pour ce qu’elle a écrit. Elle explique que s’aimer entre noir-e-s, c’est politique ! »
explique Raphaële Guitteaud.

Le Black feminism, s’il a des prémices dès la première partie du XXe siècle, trouve un essor aux Etats-Unis dans les années 60, dans le Mouvement des Droits Civiques, et se développe également en France quelques années plus tard (là aussi, le mouvement a commencé au préalable, Raphaële indiquant que la première française afro-féministe dont on connaît l’existence serait Paulette Nardal, la première femme noire, d’origine martiniquaise, à étudier à la Sorbonne au début du XXe siècle).

CATÉGORISATION PAR COULEUR

Et le mouvement se renforce dans les années 70 lorsque les luttes féministes s’amplifient. Quel mélange alors du côté des militantes ?

La suprématie blanche emboite le pas au sexisme vécu par les femmes noires du temps de l’esclavage ainsi qu’à la domination patriarcale qui instaure une hiérarchie entre les hommes et les femmes.

Et ce que soulignent bell hooks dans ces publications, Christine Delphy également, le Combahee River Collective dans son action et son manifeste de 1979 (rappelons aussi qu’un Manifeste des Femmes Noires est paru en 1970) ou encore le collectif Les Peaux Cibles et bien d’autres, qui utilisent maintenant les réseaux sociaux pour susciter la prise de conscience, c’est la remise en cause d’un rapport systémique intégré par les hommes mais aussi par les femmes blanches.

« On ne peut pas parler de sexisme sans parler de racisme. Pour moi, la misogynie peut aussi venir des femmes. J’appelle ça la misogynoire : on ne vit pas le même sexisme que les femmes blanches. Il y a des similitudes : les viols, la culpabilisation, par exemple. Mais les procédés sont différents. Les femmes blanches peuvent être misogynoiristes. », précise Raphaële Guitteaud qui abordera plus tard la question du harcèlement de rue, qui se traduit de manière plus importante et violente envers les femmes noires.

Elles dénoncent alors une hiérarchisation dans les revendications. Quand les Blanches réclament la réhabilitation des figures féminines dans l’Histoire, pensent-elles aux Noires qui elles aussi ont lutté pour leurs droits, ont combattu pour leur libération et celle de leurs peuples, et ont pris les armes (encore aujourd’hui des groupes de femmes défendent leur territoire comme le montre le documentaire de Stéphanie Lamorré, diffusé depuis 2014 sur LCP, Combattantes du Nord-Kivu, l’impossible destin) ?

MÉCONNAISSANCE PRÉGNANTE

Et si quelques efforts de sensibilisation et d’intégration sont à relever et saluer, comme entre autre le portrait combattant de Nzinga, reine du Ndongo et du Matamba, ou le parcours évolutif de Joséphine Baker, dressés respectivement le 18 janvier et le 7 mars dernier, sur le blog Les culottées, réalisé par la dessinatrice Pénélope Bagieu, la méconnaissance et l’ignorance restent prégnantes dans notre société qui accueille depuis une trentaine d’années une immigration venue de l’Afrique Subsaharienne – représentant environ 12% de l’immigration totale en France – et comptant un pourcentage légèrement plus important d’afro-descendant-e-s sur deux, voire trois, générations.

« On lutte pour que la notion féministe ne soit pas une notion blanche. Il faut savoir que peu importe ce que les féministes blanches ont fait, les féministes noires ont du lutter ensuite pour les faire appliquer à elles. », signale Raphaële Guitteaud, rejointe par Isabelle Cambourakis, qui souligne alors que la Coordination des Femmes Noires s’était également mobilisée sur les questions d’avortement, d’accès aux soins et à la contraception dès le début des années 70.

Pourtant aujourd’hui, une image stéréotypée continue de se répandre autour des femmes de couleur. Ce mois-ci, Leïla témoigne dans les colonnes du YEGG #45 – mars 2016 quant à l’association permanente qu’elle subit entre peau non blanche et son statut social. Née en France, d’une mère française et d’un père marocain, elle souffre constamment de l’image qu’on lui renvoie.

« On me demande sans cesse d’où je viens. Je réponds de France, je dis la ville dans laquelle je suis née mais ça ne suffit pas. On me dit toujours ‘’Nan mais tu vois ce que je veux dire… Tes origines quoi !’’ Et au-delà de ça, on pense toujours que je suis en situation de précarité. Alors que non pas du tout, je travaille par contre sur le sujet de la précarité mais je ne la vis pas ! », nous a-t-elle confié.

Et comme on hiérarchise le pouvoir entre les sexes, entre les milieux sociaux, etc. on distingue également une supériorité entre les races, entre les couleurs de peau. Et les femmes noires seraient en bout de chaine. Et parmi elles, le collorisme est indéniable. Plus la couleur de la peau sera foncée, moins elle sera représentée dans les sociétés. C’est le point que Audrey Diane Ngako, journaliste au Monde Afrique depuis 2 ans, a mis en relief lors de son intervention initiée par l’association rennaise Afrikentraide autour du traitement médiatique du genre chez les afro-descendant-e-s, le 12 mars à la MIR.

REPRÉSENTATION CONFUSE

Elle prend alors l’exemple qui agite actuellement l’actualité. Un biopic sur Nina Simone se prépare et l’actrice choisie pour y incarner la chanteuse est Zoe Saldana. Sa peau est plus claire, ses traits plus fins, ses lèvres moins charnues. Pourquoi ne pas « caster » une femme qui pourrait davantage s’apparenter à Nina Simone ? C’est le sujet du débat.

Libération, dans son article « Visage noir, idées pâles », daté du 16 mars dernier et signé Tania De Montaigne, assassine violemment la polémique jugée aussi absurde que grotesque : « Donc, pour jouer Nina Simone, il faut être Nina Simone, ou sa fille ou sa cousine ou une actrice dont la carnation et la frisure auront été validées par un comité spécial autoproclamé, un comité qui sait ce qu’est une bonne noire, une vraie noire. Faudra-t-il aussi que cette actrice soit réellement maniacodépressive ? Faudra-t-il qu’elle ait vraiment commencé le piano à l’âge de 3 ans ? »

Avant de conclure : « Voilà pourquoi nous ne verrons probablement jamais Zoe Saldana jouer dans le biopic de Nina Simone, parce que des racistes noirs sont parvenus à faire taire la pensée. Voilà pourquoi, noirs, blancs, rouges, jaunes, cathos, musulmans, juifs… il faudra toujours se souvenir des mots de Senghor : « Les racistes sont des gens qui se trompent de colère. » Remettons la colère au bon endroit. »

Pour la journaliste du Monde Afrique, d’autres actrices auraient pu prétendre au rôle de Nina Simone, à l’instar de la talentueuse Aduba Uzo, alias Suzanne « Crazy eyes » dans la série Orange is the new black. Pour Tawana, membre des Peaux Cibles, installée dans le public, un problème subsiste :

« Personne ne parle de la réalisatrice, blanche, qui a choisi Zoe Saldana. Tout le monde s’acharne sur l’actrice alors qu’elle, elle n’y est pour rien, c’est un choix qu’a fait la réalisatrice (Cynthia Mort, ndlr). »

DIVERSITÉ COMPLIQUÉE

Le cinéma français, mais pas seulement, a du mal à accorder une place aux actrices noires. Ou à ne pas leur réserver des rôles stéréotypés. Et les médias, dirigés et investis par des blancs pour la majorité, jouent le jeu et entretiennent les clichés, voire l’invisibilité de ces femmes. Pour Diane Audrey Ngako, pas de doute. La perception que l’on fait miroiter découle de l’époque de l’esclavage et coloniale.

D’un côté, la femme objet sexuel dont on peut disposer, image amplifiée par les articles sur la relation prostitution et immigration, mais aussi par l’industrie musicale qui permet par exemple à Nicky Minaj de renvoyer une image de femme hypersexualisée, et de l’autre, la « mama », la femme de confiance à qui l’on peut se confier mais que l’on n’estime que trop peu. Difficile alors pour les afro-descendantes de s’identifier :

« Quand on voit des noir-e-s à la TV, ce sont des jeunes de banlieue. Quand je suis arrivée en France à 12 ans, j’ai détesté être black. Car j’ai grandi dans un monde où le Noir représente l’échec. Et aujourd’hui, mes petites sœurs sont persuadées qu’elles ne seront jamais visibles. »

Embauchée au Monde depuis 2 ans, elle est affectée au service Afrique. Cela pose la question, sans toutefois cracher dans la soupe de son employeur : faut-il être originaire d’un pays africain pour parler de l’Afrique ? Et est-ce parce qu’une personne est noire qu’elle souhaite se spécialiser dans les sujets sur les populations noires ?

ESSENTIELLE PRISE DE CONSCIENCE

Le débat est sans fin. Les discours divisent et les deux conférences créeront des scissions Blancs / Noires, Blanches / Noires, Noirs / Noires, Noirs / Blanches. Mais le constat doit être établi, la prise de conscience est essentielle. Comme le souligne Raphaële Guitteaud lors de la conférence du 4 mars, « les femmes noires ont toujours accès aux mêmes jobs qu’à l’époque coloniale : le ménage, le baby-sitting. » Et la réalité démontre que tandis que les femmes blanches s’émancipent et partent à la conquête du monde professionnel, les femmes noires gardent leurs enfants et pâtissent toujours d’une mauvaise image.

Pourtant, les solutions ne semblent pas se multiplier ou s’accorder. L’écart entre les luttes des différentes femmes pourra-t-il se réduire ? Les combats restent encore nombreux et les victoires lointaines. Sans se décourager, les femmes doivent intégrées dans leur militantisme une manière de ne pas exclure des groupes de personnes sans toutefois parler en leurs noms.

Pas évident de trouver l’équilibre mais comme le précise la présidente de l’association Afrikentraide, il est déjà important de réaliser l’importance des si peu nombreux espaces de parole offerts pour en débattre. Tout comme il est indispensable que l’on questionne toutes les pratiques féministes, afin d’évoluer et avancer vers l’objectif commun : l’égalité des sexes. Pour toutes. Sans craindre d’être taxées de racistes, sexistes, ségrégationnistes, etc.

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