Célian Ramis

Le Marché Noir cherche à s'ancrer

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Rennes
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Donner une meilleure visibilité aux arts imprimés, tel est le but du festival rennais Le Marché Noir depuis 4 ans. Cette année, il aura lieu du 25 au 27 septembre dans la capitale bretonne.
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Donner une meilleure visibilité aux arts imprimés, tel est le but du festival rennais Le Marché Noir depuis quatre ans. Cette année, il aura lieu du 25 au 27 septembre à l'Ecole des beaux-arts et se prolongera, à travers des expositions et des projections dans le centre-ville, jusque début octobre.

Sur l'affiche du festival Le Marché Noir se dessine une tête à deux visages : à gauche, une apparence masculine, à droite, féminine. Seule la barbe brouille les pistes. « Il y a une étrangeté qui fait qu'on ne sait pas trop ce qu'on voit », explique Julie Giraud, membre de l'atelier La Presse Purée, l'un des trois cofondateurs de l'évènement avec L'Atelier du Bourg et La Barbe à Papier. Et comme tous les ans, l'atelier d'initiation à la sérigraphie et à la gravure, qui se déroulera les 26 et 27 septembre, a puisé sa thématique, « Cul-de-jatte et femme à barbe », dans le visuel.

Réalisé par l'association Le Marché Noir, regroupement des ateliers, il « donne une liberté » à l'imaginaire des personnes qui y participeront. « Les inscrits créent en une après-midi une image à partir du thème : ils la dessinent puis la façonnent et l'impriment, détaille Anna Boulanger, illustratrice à l'Atelier du Bourg. Le résultat peut être aussi bien imprimé sur des affiches, que des cartes postales ou des t-shirts. » Pour simplifier, la sérigraphie utilise la méthode perfectionnée du pochoir. « C’est-à-dire qu’on imprime couleur par couleur, développe Julie Giraud. Quant à la gravure, on creuse sur une plaque pour réaliser le motif puis l’encre, à l’aide d’une machine, rentre dans les vides. »

ESPACE D’ÉCHANGES

L'envie de faire connaître leur savoir-faire est à la base du Marché Noir, monté en 2011. « Nous souhaitons accompagner les collectifs qui démarrent et même ceux qui n'ont aucun soucis. On pense juste que ce qu'ils font, ça déchire ! », sourit Maud Chatelier, plasticienne à L'Imprimerie, un autre atelier rennais qui a rejoint l'équipe en 2012. La ville ou le pays ne sont pas des critères de sélection, seule « la volonté de créer des ponts et des accroches » entre professionnels. Cette année, une quarantaine d'ateliers sera représenté sur 36 stands.

« Les arts imprimés regroupent beaucoup de choses : sérigraphie, gravure, livres... Ce sont des éditions limitées, de l'impression manufacturée et du multiple même si cela reste artisanal. Il y a une volonté de faire tout nous même », définit Maud.

Le système D caractérise l'esprit même du festival.

« La première année, on n’avait rien !, se souvient la créatrice de La Presse Purée. D'où un côté débrouille très créatif puisque pas le choix. »

TOUCHER UN LARGE PUBLIC

Comme l'édition précédente, le Marché Noir se prolonge jusqu'en octobre à travers des expositions, conférences et projections, cette fois-ci, dans neuf endroits de la ville. «Cela crée une dynamique pour pouvoir voir au moins un événement », développe Maud Chatelier. Car hormis les connaisseurs de ce milieu artistique, le grand public a été peu présent les deux premières années. De cette réalité, l'équipe du Marché Noir en a conscience.

Le nom du festival vient d’ailleurs de là : « L'expression "le marché noir" est un peu comique. À l'époque, cela partait du constat de ce qu'était l'estampe (terme généraliste pour désigner la gravure et la sérigraphie, ndlr) : un petit milieu où tout se faisait sous le manteau et se donnait de main à main. Dans les salons, on retrouvait tout le temps le même monde aussi bien au niveau des ateliers que du public », se rappelle Julie. Les animations pour enfants et le concert à chaque soirée d'ouverture participent à cette envie de s'ouvrir à un plus large public.

Passée de main à main, mise sous le manteau… C’est aussi de cette façon qu’est apparue la sérigraphie en France, pendant la Seconde Guerre mondiale, importée par les soldats américains pour marquer leurs appareils.

« Elle a survécu grâce aux résistants, ils cachaient le matériel en le remplaçant par des objets du quotidien, comme des tableaux ou des rideaux. Ce qui leur permettait de le transporter sans se faire attraper ! »
raconte l’enseignante aux Beaux-Arts de Rennes.

PLACE ARTISTIQUE À DÉFINIR

Lors de cette quatrième édition, Le Marché Noir proposera, pendant plusieurs semaines, des temps de réflexions sur les livres d'art, autre volet des arts imprimés. Des étudiants de l’école de Rennes exposeront onze projets à l'Institut Pasteur autour du « livre mutant », sur lesquels ils travaillent depuis avril. L'objectif : le détourner de sa fonction première. « L'exposition Au-delà de la réserve, les mutations du livre au Frac (Fonds régional d'art contemporain) interroge aussi les limites du livre et son contenu. L'art contemporain a ces questionnements depuis les années 60 », rajoute Maud. Et ces thématiques traversent autant les travaux de cette dernière que ceux d'Anna Boulanger.

Or, sont-elles artistes ou artisans ? La question se pose, puisque beaucoup des organisateurs du Marché Noir ont étudié dans des écoles d'arts plastiques. Pour Julie Giraud, pas de doute : elle se définit artiste. « Ma sérigraphie est liée à mon travail plastique. L'artisan est à la recherche de la perfection technique, il réalise, tandis que l'artiste conçoit et crée », nuance-t-elle. Mais, en France, le milieu professionnel ne le voit pas de cette manière.

« L'estampe est fortement dévaluée par les galeristes car ce n'est pas vu comme un art mais une reproduction, contrairement à l'Allemagne, la Belgique, la Hollande ou les États-Unis où la pratique est équivalente à la peinture et au dessin », constate Julie. Pour autant, elle revient sur le devant de la scène dans le pays depuis plus d'une dizaine d'années.

« La mode du Do It Yourself est arrivée d'une part, puis l'envie de retourner au côté manuel, après l'époque de la perfection du numérique, d'autre part »
explique-t-elle.

Ce temps de rencontres que permet Le Marché Noir amène ainsi à réfléchir sur la pratique, le rôle et l'avenir des sérigraphes, graveurs et éditeurs dans les arts.

Célian Ramis

Alice Schneider, mauvais esprit et faux sanglants

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Galerie DMA, Rennes
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Mauvais esprit et impertinence s'invitent à la galerie DMA de Rennes jusqu'au 29 octobre. L'occasion d'apprécier le talent d'Alice Schneider qui a réalisé 200 dessins à l'encre de Chine.
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Faux sanglants, l’exposition de l’artiste plasticienne Alice Schneider, regroupant 200 dessins réalisés à l’encre de Chine, est présentée jusqu’au 29 octobre, à la galerie DMA de Rennes.

Faux sanglants, c’est le titre de l’exposition de la mancelle Alice Schneider, écrit en majuscules dégoulinantes, fruit du déversement d’une bouteille de Ketchup sur une banale feuille A4. « Ça résume bien la série de dessins, avec le côté cheap, la référence au fake, à la marque Ketchup… Tout le monde connaît ce jeu du sang avec le Ketchup », explique-t-elle, quelques heures avant le vernissage de l’exposition, jeudi 17 septembre.

Après avoir passé trois mois à entreprendre cette série, elle vient de coller ses 200 dessins sur les murs de la galerie DMA. Des dessins en noir et blanc, à l’encre de Chine. « Pour ne pas changer de feutre tous les 4 matins, mais aussi pour obtenir un vrai noir, qui garde un vrai contraste même sur les photocopies », commente l’artiste plasticienne. L’exposition ne présente pas les originaux, volontairement. Pour Alice Schneider, l’important est de pouvoir les diffuser, les photocopier, les multiplier.

DÉSACRALISER LE CÔTÉ PRÉCIEUX

« Le choix du dessin, et non de la peinture qui est pourtant mon premier amour, est une économie. C’est simple, facile à diffuser. Je suis parfois frustrée par le côté précieux des œuvres. » Elle prône la liberté du regard, la simplicité du rapport à l’art et la libre circulation de l’œuvre. Auparavant, elle avait déjà travaillé sur une série de magnets à coller sur le frigo et à reconstituer à sa guise.

Ici, elle opte pour des dessins que chacun peut photocopier directement dans la galerie, pour 1 euro, et repartir avec : « Il faut désacraliser ce côté précieux. Je veux qu’on puisse jouer et parler avec l’œuvre. Et que le dessin puisse partir à la poubelle sans complexe au final. »

Briser les frontières entre le visiteur et le travail de l’artiste, s’approprier les œuvres, les faire vivre selon nos propres références… Une démarche séduisante et engagée, en parfaite symbiose avec le contenu des dessins accrochés par thèmatique. Animaux, princesses Disney (ou Death Né), bouffe, mannequinat, amour, sexualité, désillusions, monde du travail, jeux, religion, actualité et nouvelles technologies, tout ce qui inspire la diplômée des Beaux-Arts d’Angers est recensé dans Faux sanglants.

LE TALENT AU SERVICE DE L’IRRÉVÉRENCE

« Au quotidien, j’ai toujours un petit carnet sur moi. Je note tout ce qui me vient en tête, des blagues Carambar, des jeux de mots, des sujets, des choses que je vois. C’est ma façon de procéder. J’aime mettre sous cloche des envies. Créer et mettre en images ensuite. », précise-t-elle, en balayant du regard les centaines de feuilles légendées affichées aux murs. Après ses études, Alice Schneider a travaillé brièvement dans une agence de pub à Paris, mais l’ambiance lui déplaisant, elle a préfèré voler de ses propres ailes. Parler de ces références, de ce qui la touche, ce qui la titille.

Des punks à chattes, une société française lubrifiée par le vin rouge ou boostée à la caféine, une pomme pomme girl, une femme aux seins doux (ou plutôt au Saindoux), une pharmachienne ou encore des migrants jamais aussi célèbres que Léonardo Di Caprio et Kate Winslet… la dessinatrice distille dans chaque pièce de la série une dose d’humour noir, de sarcasme et de regard critique. Simplement dans l’objectif de rendre compte de ce qu’elle constate : « Je ne cherche pas forcément à être critique mais généralement quand on écrit sur quelque chose, c’est quelque chose qui nous titille. On soulève rarement ce que l’on aime bien mais plutôt ce qui ne tourne pas rond. »

Sans prétention, Alice Schneider propose sa vision du monde à travers des dessins pouvant être appréhendés de manière personnelle comme universelle. Fortement influencée par les mutations sociétales des années 90 et 2000, l’artiste de 28 ans soulève avec simplicité et talent tous les « faux sanglants » de notre environnement. Impertinence et mauvais esprit s’invitent à la galerie DMA jusqu’au 29 octobre, on vous conseille d’en prendre une tranche…

Célian Ramis

Sexualité : Plaisirs intimes, et non tabous

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Rennes
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La sexualité féminine reste hélas objet de fantasmes et de mystères néfastes à l'épanouissement des individus. Comment briser les tabous et s'affranchir des normes sociales ? Enquête sur la découverte du corps et des plaisirs sexuels.
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Non, le corps des femmes n’est pas une conquête. Ni un continent noir, comme a pu le dire Freud… Celui ou celle qui cherche absolument à planter le drapeau de la victoire sur le point G fait fausse route. Les cultes se succèdent et se juxtaposent : performance, orgasme, libre sexualité… et finissent par semer la pagaille d’une norme à une autre, sans prendre en compte la réalité du quotidien et surtout sans envisager la différence des corps.

Femme ou homme, chaque individu possède une enveloppe charnelle unique, forte d’un héritage des générations familiales et sociétales passées d’où découle des blocages et des leviers propres à chaque personne et son histoire. À cela s’ajoute une pression journalière liée à l’évolution de la société, dont le comportement est dicté aujourd’hui par un marketing genré et des stéréotypes relayés dans les médias, sans mesure (ou plutôt en se fichant) des conséquences.

La sexualité ne peut se résumer à des techniques, des positions, des chantages affectifs, encore moins à des mystères et à des sornettes dignes des romans Arlequin (ou plus récemment Cinquante nuances de Grey).

Il est temps d’en finir avec les distinctions clivantes et aberrantes entre clitoridiennes et vaginales mais également entre sexualité féminine à l’eau de rose et sexualité masculine mécanique. Temps de nous connaître, précisément.

Les femmes veulent vivre une passion, les hommes tirer un coup. Mais quelle vision entretient-on des femmes et des hommes ? Et comment se libérer de tels carcans imposant une sexualité féminine opposée à une sexualité masculine ?

« Les femmes aujourd’hui sont infiniment plus libres dans leur sexualité que leurs ainées. Le désir féminin est reconnu ; la masturbation n’est plus taboue ; elles expriment leurs fantasmes et se trouvent, pour la plupart, belles et sensuelles. Reste que l’orgasme ne survient que dans un rapport sur cinq. Et qu’un quart des femmes y accèdent rarement ou jamais. »

Une utopie présentée en 2012, dans l’émission « Sexualité, plaisir et désir féminin », sur France Inter, visant à entendre les témoignages des femmes d’aujourd’hui, avec leurs réalités et leurs désillusions. Moderne et libérée. C’est ainsi que l’on veut présenter la sexualité féminine. Mais le sujet, bordé de tabous dus aux dissonances des discours religieux, scientifiques, psychanalytiques ou encore médiatiques, a la vie dure.

Le philosophe Michel Foucault le souligne dans Histoire de la sexualité (1976-1984), le corps des femmes reste un enjeu de pouvoir. Et c’est d’ailleurs le cheval de bataille du féminisme pro-sexe : utiliser le corps et le plaisir sexuel comme armes politiques, dont les femmes doivent s’emparer. Comment comprendre qu’elles ne soient toujours pas maitresses de leurs désirs et de leurs sexualités, au même titre que les hommes ?

PLONGÉES DANS LA PASSIVITÉ

Au début du XXe siècle, Freud, père de la psychanalyse, établit des théories bancales sur la sexualité féminine, néfastes pour l’évolution des mentalités et des générations à venir. Partant du principe que le clitoris est un pénis tronqué, il en déduit que la petite fille est un petit garçon qui se masturbe en fonction de pulsions et plaisirs virils.

Pour accéder à la féminité, la jeune fille devra opter pour la passivité et le refoulement de ces pulsions. En découvrant qu’elle ne possèdera jamais de pénis, et que les hommes en sont dotés, elle va se détourner de sa mère et tourner son désir vers son père (complexe d’Œdipe), avant de le remplacer, en vieillissant, par un désir d’enfant.

La découverte du clitoris appartiendrait donc à la petite fille, qui apprendra à s’en détacher et à vivre avec la frustration transfigurée en envie du pénis, et la découverte du vagin à la femme, objet et passive, face à l’homme sujet et actif.

Son travail lui vaudra la célèbre phrase comparant la sexualité féminine à un continent noir. Une métaphore que Marine Bachelot Nguyen, auteure et metteure en scène à Rennes, a souhaité creuser dans son spectacle « À la racine », dans le cadre du projet Féministes ? en 2011.

« C’est mystérieux et obscur mais c’est aussi une référence coloniale, explique-t-elle. Qu’est-ce que le corps de la femme quand il est vu comme un continent ? Ça implique que l’on peut le conquérir, le violer, le coloniser, se l’approprier ?! »

Tout cela avec la vision de l’homme occidental, blanc, hétérosexuel. La militante féministe va alors s’amuser des codes de la domination masculine, représenté par le phallus, comme norme et référence autour de la sexualité pour mettre en exergue le propos de Freud : « En manquant de pénis, on manque le droit d’être reconnues comme des êtres humains… » Mais aussi souligner ce clivage désastreux entre jouissance vaginale et jouissance clitoridienne qui reste encore et toujours d’actualité.

On pourra lire en octobre 2014, sur le site de Madame Figaro : « Oubliez tout ce que l’on vous a dit : il n’y a pas d’orgasme vaginal, ni d’orgasme clitoridien. Il n’y a qu’un orgasme féminin. Et le point G ne serait qu’un mythe, selon les conclusions de deux chercheurs italiens, parues dans la revue Clinical Anatomy ».

Pour Marine Bachelot Nguyen, les discours livrés au grand public sont dangereux dans la mesure où on l’éduque à une distinction nette et précise de la sexualité psychologique chez les femmes et de la sexualité mécanique chez les hommes.

« On a des connaissances autour du sexe des femmes mais très peu diffusées. Aujourd’hui, on a plus accès au porno mainstream, qui prône l’humiliation et met en scène l’assujettissement des femmes et privilégie les fantasmes des hommes, qu’à des documentaires. Dans le spectacle, je parle du clitoris et du schéma anatomique que les femmes elles-mêmes ne connaissent pas. », souligne-t-elle, mettant ainsi en lumière la méconnaissance persistante du corps et de son fonctionnement.

CLITORIS, AU PLACARD !

Le clitoris est pourtant connu depuis des millénaires. Dans l’Antiquité, le médecin grec Hippocrate expliquait déjà l’importance du plaisir ressenti lors de la procréation. Au XVIe siècle, les premières planches d’anatomie montrent avec précision le clitoris, dessiné par l’italien Mateo Renaldo Colombo qui le définit comme un organe du plaisir.

Mais en 1875, la découverte du système de fécondation le renvoie au placard, puisque incohérent avec l’idéologie religieuse, et il sera même diabolisé par la suite. Il faudra attendre 1998 pour que l’urologue Helen O’Connell rétablisse la vérité anatomique du seul organe actuellement connu pour ne procréer que du plaisir.

Le documentaire Le clitoris, ce cher inconnu se propose de faire un bilan des connaissances sur l’anatomie et la physiologie sexuelle féminine, montrant un organe dont la partie visible, recouverte par un repli de peau appelé le capuchon et munie de 8000 fibres nerveuses permettant ainsi l’érection et le plaisir, se situe au sommet des petites lèvres. Si on l’aperçoit en général qu’un centimètre maximum, le clitoris mesure entre 8 à 10 centimètres de long et de 3 à 6 centimètres de large, le corps entourant le vagin et l’urètre.

Il apparaît alors que les femmes peuvent jouir de manière aussi mécanique que les hommes, voire au-delà puisque la stimulation du clitoris pourrait procurer des orgasmes multiples (et mêmes nocturnes, la nature de ces derniers n’étant pour l’instant pas précisément affirmés). Pourquoi alors tant de mystères et de tabous autour de cette partie du corps ?

LES NORMES PERSISTENT…

« Il y a un interdit de la masturbation féminine. Elle est compliquée car elle n’est pas envisagée comme une découverte de connaissances de son corps et de son plaisir. On se pense sexuellement et sentimentalement dépendantes de quelqu’un d’autre. Homo ou hétéro, le but est d’avoir un couple stable. », analyse Marine Bachelot Nguyen. La sexualité se définirait donc par rapport à la vision du couple.

Ce que confirme le sexologue Michel Bozon, dans le documentaire réalisé par la féministe pro-sexe Ovidie, également réalisatrice de pornos féministes, À quoi rêvent les jeunes filles ?, diffusé sur France 2 dans Infrarouge, en juin 2015. Un héritage de la culture judéo-chrétienne et de la norme sociale qui en découle, impliquant quasi obligatoirement la vie à 2. Elle se définirait aussi selon le modèle de domination homme/femme, pré-existant depuis la naissance de l’espèce.

Ainsi, Marie-Laure Déroff, docteure en sociologie et enseignante au département de Sociologie de l’université de Bretagne occidentale, publie en 2007, aux Presses Universitaires de Rennes, Homme/Femme : la part de la sexualité – Une sociologie du genre et de l’hétérosexualité, dans lequel elle constate :

« Hommes et femmes sont ainsi définies comme deux catégories distinctes, déterminées par une Nature fondatrice des identités féminines et masculines. »

Elle a réalisé pour cet ouvrage de nombreux entretiens avec des femmes et des hommes, qui indiquent des différences dans le langage, dans la manière d’aborder le sujet et de correspondre dans les réponses à l’ordre social pré-établi de son genre. Pour comprendre, elle s’est intéressée à l’analyse du discours médiatique, à travers deux titres de presse féminine, Marie Claire et Cosmopolitan, et un titre de presse masculine, Men’s Health.

Marie-Laure Déroff y démontre des messages conservateurs et stéréotypés, fondés sur la Nature. En 2002, dans Men’s Health, on rappelle les rôles : « À la femme revient l’intérieur, l’univers de la maison, à l’homme, l’extérieur, c’est un chasseur. » Et dans Cosmopolitan, on explique en 2001 le désir féminin comme l’illustration d’un besoin hystérique de plaire « parce qu’elle est programmée pour assurer la survie de l’espèce, grâce à son utérus, elle a développé ce besoin-là. »

… ET SE DÉPLACENT

Pourtant, dans les médias, l’émancipation des femmes ne manque pas d’être prise en compte et est même poussée à son paroxysme. La sexualité féminine prend un virage radical, et son sexe préalablement destiné à la procréation devient l’objet de toutes les conquêtes. La libération sexuelle de 1968 et la lutte pour l’IVG et les méthodes de contraception permettant de ne plus vivre les relations sexuelles dans la peur d’une grossesse.

La femme doit maintenant devenir l’amante idéale, la performance prévalant encore sur la connaissance de son corps. Hypersexualisation, corps lisses et parfaits, chirurgie des grandes lèvres, la norme glisse et se déplace. Comment prendre son pied quand la société nous oblige à jouir ? La WonderWoman doit maitriser parfaitement sa sexualité.

Toutefois, sa libération et sa jouissance ne lui sont pas offertes, elles sont le prix à payer pour sauver son couple, principalement hétérosexuel, les autres « catégories » n’étant que très peu signifiées (hétéro, bi, homo, trans, pansexuel, polysexuel, hétéroflexible, etc.). Les médias, féminins mais pas que, multipliant les articles et dossiers sur les secrets d’une sexualité épanouie pour garder son homme, sur les mystères féminins basés sur les petites attentions, les jeux de séduction et les caresses, ou encore sur les positions préférées de ces messieurs (eux, seront servis des positions préférées de ces demoiselles).

Marie-Claire Bouchery Carlier, sexologue et psychothérapeute à Rennes, en voit régulièrement des « executive women », comme elle les appelle. Des femmes célibataires, trentenaires principalement, qui gèrent leur vie d’une main de maitre, mais se coupent de l’affectif :

« Elles ont des relations avec des hommes, sans le versant affectif, elles prennent du plaisir et du bon temps. Mais elles sont bloquées côté amoureux. Et quand elles lâchent prise, là, ça bloque dans le sexuel… Mais c’est normal, l’humain reprend ses droits. Et il y a une peur de la sexualité. La pression sociale leur dictant d’être des WonderWoman ! »

La professionnelle est catégorique, la souffrance derrière les problèmes sexuels est réelle, et est en partie due aux dictats de la société. En 23 ans, le sujet l’anime toujours autant, « la sexualité vient dire dans le corps que quelque chose ne va pas. » Pour elle, pas de réponse organique, seulement des causalités psychiques.

« Je recommande aux femmes de s’autoriser à prendre du temps pour se découvrir. Mais les causes appartiennent au psychisme. La sexualité vient vous parler de vous, dans votre intimité. Les traumatismes accumulés, les blocages sexuels, l’incapacité à lâcher prise, l’éducation, l’héritage familial, les complexes d’infériorité dont s’emparent les médias… Tout est lié à l’intime. Et parfois, ce sont des histoires hyper douloureuses qui se dénouent ici. C’est toute une souffrance qui se met en mot ! Ça peut être des secrets de famille, une histoire de transmission mère-fille, une question de respect de l’intégrité dans l’enfance… C’est hyper confrontant de faire l’amour avec quelqu’un ! », lâche-t-elle naturellement.

RELÂCHER LA PRESSION

Elle plaide pour la déculpabilisation des individus et pour décomplexer les discours pour ne pas tendre à une tyrannie du bonheur. Parler et se soulager pour identifier la nature du blocage et en trouver le levier. Elle évoque également la gestion de l’énergie, que l’on soit en couple ou non. « Il y a tout un travail sur l’équilibre global, apprendre à gérer les différents espaces de sa vie ne va pas de soi. Et le désir n’est pas naturel, il est culturel. Il n’existe que dans l’interaction avec l’autre. », rappelle-t-elle.

La sexologue insiste, les humains ne sont pas des robots, et quand le corps dit stop, il s’exprime, « c’est l’inconscient de la personne, le vécu de la personne ». Ainsi, l’injonction à avoir une vie sexuelle épanouie, fondée sur la performance et la technique, ne peut créer que des blocages. « Réussir sa vie, c’est réussir impérativement sa sexualité », déclare Ovidie dans son documentaire. Et femmes et hommes en pâtissent assurément.

« Les hommes sont pris pour des robots et les femmes ne comprennent pas quand ça ne marche pas. Il faut qu’ils soient performants. Ils ont une grosse pression et certains viennent me voir car ils vivent de profondes souffrances, ils s’effondrent. Il y a une vraie solitude chez eux car ils parlent moins entre eux que les femmes, entre copines. »
note-t-elle, signifiant la dangerosité à perpétuer des discours sur la virilité masculine.

Les hommes n’étant pas non plus habilités à explorer leurs corps, autrement que par la masturbation acquise de leur pénis, certains articles commençant à peine à évoquer le plaisir anal.

Pourtant, le sujet s’est invité naturellement à Trégunc en avril dernier, lors du festival Clito’Rik, organisé par le collectif Gast ! de Quimper et Douarnenez, qui prône le féminisme inclusif, la déconstruction des normes et la réflexion sur le genre. « On avait envie de parler de sexualité de manière positive, avec la question du plaisir. », explique Camille. Aborder le sexe anal n’était pas au programme mais s’est révélé comme un besoin.

Après l’atelier « Chatte », dans lequel les participantes ont été invitées à construire leur « chatte à modeler » et à découvrir, dans l’intimité et la confidentialité, l’intérieur de leur vagin en présence d’une gynécologue et d’une médecin généraliste, la discussion s’est poursuivie dans un café de Trégunc et s’est élargie. De quoi réjouir le collectif qui a su impulser un festival innovant dans la proposition et le sujet, qui a séduit un public hétérogène.

« Il y a un climat de crise religieuse, politique… Et de la pudeur sur le sujet. On est tou-te-s concerné-e-s par les questions de liberté, de sexualité. Et pourtant on ne parle pas beaucoup de plaisir… Alors que ça pourrait être évident et décomplexé. »
s’enthousiasme Camille.

Au programme : questions du consentement, de la contraception masculine, du polyamour, de la masturbation féminine, d’éducation non-sexiste, projections de documentaires tels que Clito va bien, réalisé par le Planning familial 29 (1979), Alors, heureux ? d’Yvonne Debeaumarché (2006) ou encore Les branleuses de Frédérique Barraja (2010) et conférences gesticulées.

Dont « Le clito, un petit nom qui en dit long. Plaisir et politique au pays de la sexualité féminine », créée en 2012 à l’initiative de l’association féministe rennaise Questions d’égalité. Sur scène, 7 femmes – 3 lesbiennes et 4 hétéras, blanches, sans enfants, entre 30 et 40 ans – racontent leur rapport à la sexualité.

LA RECONQUÊTE

« Nous avons voulu mêler expériences et théories. Il y a des parcours plus ou moins accidentés, des questions de transmissions familiales, de violences dans l’enfance, l’adolescence, des premières expériences, des notions de tabous, des casseroles de la religion, de la médecine, des médias, du capitalisme… », détaille rapidement Marine Bachelot Nguyen, qui participe à la conférence gesticulée.

Un savant mélange de récit d’expériences concernant la prise de conscience de femmes face à leur sexe et face à leur condition de femme. « Je raconte par exemple le jour où ma mère a voulu m’expliquer, à 9 ans, comment on fait les bébés. Elle a pris un bouquin pour expliquer et m’a mis un miroir entre les jambes. Aujourd’hui, je lui suis très reconnaissante d’avoir fait ça ! », précise-t-elle.

Avec ce spectacle, elles entendent également mettre des mots sur leurs vécus intimes devenant universels, transmettre des savoirs anatomiques et aborder concrètement la phase de reconquête. À travers l’auto-défense féministe mais aussi par l’éducation sexuelle, qui passe alors par la formation des professionnels. Comme le propose par exemple le Planning familial de Rennes.

Pour Marine Bachelot Nguyen, « Il n’y a pas assez de représentations alternatives, dans les livres pour enfants par exemple, dans les romans pour ados, les films, les courts-métrages. Et il n’y a pas assez de prise en charge. On n’aborde pas dans l’éducation des petits garçons la question des violences sexuelles. Et pourtant, ils vont peut-être rencontrer une femme qui aura vécu ça, et ce sera une réalité à prendre en compte dans la relation sexuelle. »

Elle soulève alors la question de chaque réalité à prendre en compte. De chaque bagage, chaque vécu, chaque personnalité, chaque corps. Autant d’individualité et de différences que la société ne veut pas saisir.  « On veut taper sur le porno pour ne pas remettre la société en cause. On pense que c’est le porno qui amène ça dans la société alors que c’est le contraire. Tout comme les jeux vidéos et la violence. », observe Ortie, réalisatrice de films érotiques sur Internet.

Elle se définit enfant d’Internet et de la sexualité 2.0. Elle aime poser nue ou en lingerie, pour se sentir belle et assumer son corps, et diffuser les photos sur les réseaux sociaux. Elle pointe alors le paradoxe de cette génération : « J’ai beau savoir que je m’expose, je ne supporte toujours pas les commentaires de certains… Je veux participer à l’image de la femme forte, libérée, mais je participe aussi à l’image de la femme objet. »

Avec Internet, les corps s’exposent, les langues se délient, suscitant le sentiment que la sexualité a pris un nouveau tournant, que les femmes assument désormais leur sexe et prennent en main le contrôle de leur condition. Mais ne confondrait-on pas le tabou avec l’intime ? Et finalement, on peut s’interroger sur le lien réel avec leur corps.

RENOUER AVEC SON CORPS

« Beaucoup de femmes sont dissociées de leur corps, couper de leur énergie et pas du tout dans le présent. L’image du corps parfait, mince et bronzé… Les femmes l’acceptent ! Mais il faut savoir qu’elles se pénalisent, elles et seulement elles, en n’aimant pas leurs corps. Le regard sur soi et la prise en charge de soi-même sont souvent très passifs. », recadre Anne Koch, énergéticienne dans le Morbihan depuis peu, jusqu’alors installée en Ille-et-Vilaine, et formée à Rennes en bioénergie.

C’est la trentaine passée que la professionnelle a vécu un déclic. Son corps se braque, elle ne ressent plus l’envie de faire l’amour, plus l’envie d’être pénétrée. Lorsqu’elle rencontre son compagnon, ils décident ensemble de se lancer dans un apprentissage d’une sexualité partagée et approfondie. Le simple fait de se regarder dans les yeux, de se recentrer sur l’acte quand l’esprit vagabonde, en parler pour elle, être à l’écoute pour lui, apprendre à dire non…

« Au départ, on s’est détachés de l’objectif orgasme. On sait maintenant relâcher nos corps pour des orgasmes plus intenses, plutôt que de maintenir les muscles serrés au moment de jouir. Le corps est plus ample et l’orgasme prend tout le corps. »
explique-t-elle lentement.

Sans complexes, elle livre son ressenti et les étapes de son parcours personnel vers l’épanouissement sexuel : « En apprenant cela, on peut vivre nos fantasmes avec tendresse et respect. On peut aussi ne pas toujours passer par la pénétration mais par les câlins et caresses. Et il m’est déjà arrivé de jouir en même temps que lui pendant une fellation. »

Aujourd’hui, l’énergéticienne propose des soins et des stages liés aux points spécifiques de la sexualité. Le but étant de faire circuler l’énergie du vagin et de l’utérus, en partant du plancher pelvien jusqu’au bas du ventre, à travers des massages, de la méditation ou des exercices énergétiques.

« Elles ne viennent pas spécifiquement pour cela en général mais le blocage se sent vite. Je dialogue alors avec le corps pour identifier la source et débloquer le problème, sans mettre de mots dessus si elles n’en ont pas la volonté. », décrit-elle. Elles ont entre 35 et 45 ans en moyenne, et viennent à la suite d’un changement de situation sentimentale et d’une remise en question globale. L’occasion de découvrir ou redécouvrir son corps, son désir et son plaisir.

Car malgré l’injonction à réussir sa vie sexuelle, dès le début de l’âge adulte, il n’est jamais trop tard pour s’initier à sa propre sexualité et à s’affranchir des carcans moraux et normatifs imposés par la société. Et cela passe la découverte et la connaissance de son corps et de ce qui l’anime. Alors, un conseil : osez vous y plonger !

Après plusieurs années à exercer sa profession dans le milieu hospitalier, Isabelle Peyrode, sage-femme, s’est lancée il y a un an en libéral. Elle lève le voile sur une compétence peu connue de son métier : aborder avec les patientes la sexualité et le plaisir féminin.

YEGG : Cette thématique est-elle abordée précisément lors de la formation de sage-femme ?

Isabelle Peyrode : Cela fait partie de la formation à l’école, mais elle est abordée de manière assez brève. On a des bases puis on apprend par expérience. On peut ensuite passer un DU (diplôme universitaire) en gynécologie-sexologie si l’on souhaite se spécialiser davantage ou suivre des formations.

Les femmes viennent-elles vous voir spécifiquement pour parler sexualité et plaisir féminin ?

Non, elles viennent pour leur grossesse ou post-accouchement. À cette occasion, elles nous parlent beaucoup. Peut-être plus qu’aux gynécos. Quand elles ont des douleurs après l’accouchement, elles posent des questions. Six semaines après avoir eu leur bébé, elles reviennent pour la rééducation du périnée.

On va pouvoir parler de si elles ont repris les rapports, s’il y a des soucis… La rééducation aide les femmes à comprendre et à prendre conscience de leur périnée. Je peux leur donner des pistes si elles ont besoin. Et quand je ne sais pas, j’oriente vers une sage-femme qui, elle, aura plus de compétences à ce sujet.

C’est donc plutôt associé à des douleurs…

Souvent oui, à des douleurs ou à des peurs. Forcément, si elles ont eu mal lors des rapports ou qu’elles ont peur d’avoir mal, le cerveau dit stop. Dans ce cas-là, je suis là pour identifier le problème et lever le soucis. Par le massage par exemple. Il faut soigner le traumatisme. Et il y a souvent de l’appréhension.

Quel type d’appréhension ?

La peur des rapports sexuels pendant la grossesse, par exemple. Chez les mamans, mais aussi chez les papas. Peur de toucher le bébé, de lui faire mal. À cela se mêle, pour certaines, le fait de se trouver grosses, changées… D’autres n’ont aucun problème et ne changent rien à leur vie sexuelle.

Tout dépend des personnes. Elles peuvent aussi avoir une libido plus intense lors de la grossesse.

Y a-t-il des recommandations particulières niveau sexualité quand une femme est enceinte ?

Quand il y a menace d’accouchement prématuré, on peut conseiller de faire attention en effet. Mais il n’y a aucune contre-indication ! Au contraire. Chacun fait comme il souhaite. Ça peut même parfois aider pour déclencher l’accouchement. Une fois l’enfant né, on recommande de prendre son temps.

On compte un mois à 6 semaines en général mais là encore tout dépend des personnes et de comment s’est déroulé l’accouchement.

Et en ce qui concerne la masturbation féminine ?

Pareil. Elles font comme elles veulent. Ce qui est surtout difficile, c’est qu’avec l’arrivée du bébé, elles sont fatiguées la plupart du temps. Nous sommes là pour leur dire qu’il y a un temps pour tout. Que de retrouver des moments à 2, c’est important pour le couple.

Après l’accouchement, le corps est modifié, les organes aussi. Est-ce une redécouverte de la sexualité et du plaisir féminin ?

Complètement. C’est même parfois une découverte tout court ! C’est là qu’elles posent pas mal de questions. Et d’autres redécouvrent, en effet. Il faut s’adapter au bébé, à une potentielle baisse de désir… Mais il faut bien savoir qu’il n’y a pas de norme.

Elles viennent spécialement en parler ?

Non, encore une fois, c’est ce que l’on disait précédemment, c’est lors de la rééducation. Sinon après on peut faire le suivi gynéco, mais on va moins aborder la sexualité comme ça peut être le cas pendant la grossesse et juste après. C’est à ce moment-là que certaines nous disent « J’ai mal, faites quelque chose ! ».

À quoi sont dues les douleurs en général ?

La sécheresse, due à une chute hormonale, peut provoquer des douleurs. La sensation de béance aussi peut les gêner car elles ressentent moins de sensations lors de l’acte. Le fait d’en parler déjà est une première étape qui fait du bien. Entre la rééducation du périnée, le ventre et les seins modifiés…

Elles ont besoin à mon sens de se retrouver en tant que femmes. Pas uniquement en tant que mamans. D’autant qu’avec la fatigue et le manque de temps, certaines vont se « laisser aller » et ne plus se retrouver. Souvent, les femmes veulent « récupérer » leur corps d’avant, le plus vite possible.

Quelle est la différence avec un-e sexologue ?

Je pense que le/la sexologue est davantage en mesure d’expliquer les différents rythmes car l’homme et la femme ne sont pas « réglés » pareil. Il/Elle pourra donner des pistes pour aborder cela entre eux. J’entends souvent dire « Mon mari s’y prend mal »… C’est symptomatique du manque de communication.

Il faut en parler, garder en tête aussi l’importance des préliminaires, etc. Par exemple, certains hommes refusent les rapports pendant la grossesse, pensent que c’est impur ou ont peur de toucher le bébé. Je leur explique et je leur fais des dessins en général pour qu’ils visualisent. La communication reste le meilleur moyen d’avancer et de s’accorder.

Vous recevez aussi des couples lesbiens ?

En 8 ans, j’en reçu un couple de femmes lesbiennes en consultation, c’était en Belgique. Nous n’avons donc pas pu développer les questions liées à la sexualité. Mais les peurs et les douleurs ressenties lors de la grossesse et post-accouchement doivent être a priori semblables.

 

Tab title: 
Libérées du culte de la sexualité
Démystifier le corps des femmes
L'oubliée de la sexualité
Toujours tabou pour vous ?
Former les professionnel-le-s
Grossesse : modification du sexe ?

Célian Ramis

Laïcité, bastion de l'émancipation

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Rennes
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À quel point laïcité et droits des femmes sont-ils liés ? Enquête au coeur d'une situation complexe.
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Croyants et non croyants, État et Églises, tous trouvaient leur compte dans la laïcité. Cette conquête républicaine est aujourd’hui ébranlée et ses défenseurs accusés d’anticléricalisme et d’islamophobie. La laïcité est devenue source de conflit et divise le peuple français. Car jamais valeur n’a autant exalté les passions, catalysant à la fois de forts ressentiments proches de la haine obscure et une grande confiance proche de l’amour aveugle.

Plus encore depuis les attentats de janvier dernier. Aussitôt, on a convié la laïcité à la table de tous les débats et dans les colonnes de tous les journaux. Parfois à tort, souvent sans savoir(s), toujours fébrilement. YEGG cèderait donc à la mode médiatique ? Pas tant que cela. Depuis un an déjà la rédaction réfléchit à cette notion en tant que vecteur d’émancipation des femmes et garantie d’impossibles régressions machistes, et s’interroge : la laïcité est-elle à la base de l’égalité des sexes ? 

NOTA BENE : La rédaction a sollicité un certain nombre d’experts, locaux et nationaux, universitaires, politiques, associatifs, religieux, qui n’ont pas pu – pour raisons de santé ou d’emploi du temps - ou voulu répondre. 

La population que l’on a fait venir du Maghreb à des fins économiques s’est sédentarisée. Dans ses bagages, une langue, une culture, des coutumes, comme dans ceux, avant elle, des Italiens, Espagnols, Polonais ou Portugais. Le fait nouveau ? Un passé colonial douloureux et sa religion. La loi de 1905 n’avait pas prévue cela, et l’État n’a pas su éviter la crise. Au contraire, ses atermoiements ont fini d’envenimer la situation. Manque de discernement ou inconscience ? Aveuglement naïf et laxisme lâche ? Peur et culpabilité ? Stratégie électoraliste ?

Quoi qu’il en soit, il règne aujourd’hui autour de la laïcité trop d’ignorance, de confusions et d’amalgames, d’idées reçues et de rumeurs. On fait passer la laïcité pour anticléricale, intolérante et liberticide, avec pour seul but de bouter le sacré et les religions hors de France et de faire de l’athéisme le nouveau crédo imposé par l’État. Pourtant, le principe est tout autre, pensé pour tous les croyants, quel que soit leur culte, pour qu’ils cohabitent en paix. Une idée plutôt saine, généreuse, libertaire qui prône et défend la liberté de conscience et qui assure la neutralité de l’Etat. Une idée des Lumières.

FILLE DES LUMIÈRES

Les penseurs du 16e siècle – ceux qu’Emile Poulat* appelle les « pères spirituels de l’idée de laïcité » - veulent mettre fin aux massacres barbares des guerres de religions, et faire revenir la paix civile. Pour cela, ils opposent passions et violences religieuses à la Raison. Ils conçoivent les prémices de la loi de 1905. Il faut attendre la Révolution Française pour que l’Ancien Régime, et avec lui le droit divin, soit aboli.

« Il s’agit au départ de l’affirmation des droits du sujet, des droits de l’Homme : chaque individu doit pouvoir se construire à partir de sa propre liberté de conscience, détaché de la vérité de l’Église, c’est le principe d’autonomie. À cela s’ajoute le principe de neutralité de l’État, lequel n’est plus au service de l’Église, du catholicisme. Il ne prend pas en compte la religion de ses sujets, et il assure la même liberté de conscience à tous. C’est ce que l’on retrouve dans l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme. C’est à partir de cela que se construit la laïcité française », explique Philippe Portier, chercheur, historien et sociologue des religions, co-auteur de La Laïcité. Une valeur d’aujourd’hui ? Contestations et renégociations du modèle français, aux Presses Universitaires de Rennes.

Le XIXe siècle est marqué par les débats et les lois qui dessinent peu à peu les contours de la laïcité. Les discussions sont riches, les disputes nombreuses. Ce n’est qu’en 1878 que le mot « laïcité » est inscrit dans le « Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » par Ferdinand Buisson. Les hommes de la IIIe République vont créer le cadre juridique nécessaire à l’application de ce principe. Hugo, Gambetta, Clémenceau, Briand, Combes, Jaurès, l’abbé Lemire mènent les députés laïques jusqu’à la loi de décembre 1905.

Elle se définit ainsi : la liberté de conscience est assurée par la République qui « garantit ainsi le libre exercice des cultes », pour peu qu’il ne s’exprime pas dans le domaine public et ne trouble pas l’ordre public. « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

L’ÉCOLE, BASTION DE LA LAÏCITÉ

De 1880 à 1882, Jules Ferry fixe les règles de l’enseignement gratuit, laïc et obligatoire. En ôtant aux religieux l’instruction des enfants, on décide de leur donner la liberté de conscience : « Par l’éducation, il faut apprendre aux enfants la liberté de penser par soi-même, leur montrer que la réflexion ne se réduit pas aux croyances », juge Elisabeth Badinter. C’est le choix de l’intelligence, du libre arbitre, de l’indépendance d’esprit, aux enfants de se forger leurs propres opinions, de devenir autonomes.

Car l’école apprend le pluralisme et la diversité en refusant de favoriser le communautarisme. Les écoliers s’épanouissent dans un espace commun où l’égalité de tous est indiscutable et pour cela il faut des règles de vie collective, la laïcité en est la première. L’école de Jules Ferry a été conçue pour cela. C’est chez elle que les jeunes esprits apprennent l’égalité et la liberté, l’égalité de tous quelle que soit leur religion et la liberté de pratiquer sa religion, en privé. En outre, l’école laïque a permis l’égalité des sexes.

LA LAÏCITÉ, ALLIÉE TARDIVE DES FEMMES

« Au départ, le principe de laïcité ne prend pas du tout en compte la question féminine et les droits des femmes, la même hiérarchie est conservée : les femmes sont minoritaires et inférieures. Cet élément de minoration durera jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est avant tout une question institutionnelle et on laisse les questions culturelles de côté. Car la relation hommes/femmes relève d’une culture qui n’a pas à être modifiée par la loi. Même sous la IIIe République, la redistribution de genre n’est pas de mise, sauf à la marge, avec Paul Bert par exemple. Si la culture des politiques de la IIIe est celle de l’émancipation, un domaine y échappe, celui de l’intime, car ils sont marqués par des normes très imprégnées de catholicisme. La famille a une définition ancestrale et ne bouge pas », expose Philippe Portier.

Certes, à partir des années 1870-1880 les écoles sont ouvertes gratuitement aux petites filles, lesquelles peuvent aussi devenir institutrices, néanmoins on ne leur donne pas la même éducation : « On les éduque pour qu’elles deviennent des mères de familles républicaines. Le programme scolaire parle de « travaux d’aiguille », ce sont de vieux schémas très stéréotypés », poursuit Philippe Portier.

La laïcité à travers l’école a donc lentement participé à l’émancipation des filles. Fondée sur les idéaux de 1789 et de la Déclaration des droits de l’Homme, elle est étroitement liée à un principe qu’on ne cesse d’évoquer depuis la Révolution, celui d’égalité. Mais comment l’assurer si la femme n’est pas l’égale de l’homme ?

« Cette dynamique de l’égalité, symbole de la modernité, ne peut plus exclure les femmes, le mouvement s’amorce au début du XXe siècle. Alors les filles ont le droit de passer le même baccalauréat que les garçons, puis on donne une personnalité juridique aux femmes. On pourrait ainsi dire que les droits des femmes dépendent plus du principe d’égalité que de celui de laïcité »
constate Philippe Portier.

L’argument de la laïcité pour servir les femmes ne sera invoqué qu’à partir des années 1960, notamment lors du vote de la loi Veil. Alors seulement la laïcité va toucher la part intime de la vie. « Il reste encore des éléments de culture chrétienne dans notre loi, le combat laïque fait obligation de les remettre en cause », analyse Philippe Portier.

LES LAÏQUES ANTI-FÉMINISTES ?

Jean Baubérot, sociologue et historien de la laïcité, dit « qu’il a existé en France, pendant le XIXe siècle et une partie du XXe, un anti-féminisme laïque. Les femmes étaient supposées être « naturellement » plus sensibles à l’autorité cléricale ». Une thèse défendue par la sociologue et militante féministe Monique Crinon : « La prépondérance du patriarcat n’est pas l’apanage des seules idéologies religieuses, il s’éploie au sein mêmes des forces laïques, qu’elles soient ou non athées ». Une société patriarcale où le poids de la culture catholique pèse sur la sphère intime, même chez les laïques les plus fervents, a donc longtemps entravé le féminisme.

Si les Républicains ont refusé l’égalité des femmes par crainte de désordre, on note également que les textes religieux ont été écrits par des hommes et seulement des hommes, « Le plus souvent les clergés, de quelque religion ou idéologie qu’ils soient, sont masculins ; en ce sens La Libre Pensée est féministe afin de combattre une funeste attitude qui perdure dans toutes nos sociétés. Aucune différence d’humanité entre les individus n’est légitime. Je refuse tout essentialisme en la matière, je ne prise rien tant que les individus égaux en droit », confie Michel Le Normand de La Libre Pensée.

1989, UN TOURNANT

« Ces deux mouvements (laïcité et féminisme, NDLR) se sont inscrits dans des temporalités différentes avant de se retrouver, non sans contradiction, en 1989 autour d’une affaire de foulard », suggère Jean Baubérot. Et l’intellectuel de poser la question : « Est-ce la femme qui doit s’émanciper ou est-ce l’État républicain qui doit émanciper les femmes ? ». Si pendant 200 ans laïcité et féminisme se sont donc peu croisés, ils ne se quittent plus depuis 30 ans, enchaînés dans une liaison houleuse. Au nom de la laïcité, qui permet la paix sociale, on demande que les signes ostentatoires restent confinés à la sphère privée et aux lieux de culte.

On parle ici à toutes les religions. Pourtant, le voile et la burqa interpellent sur la condition de la femme, quelle signification leur attribuer ? « Est-ce une aliénation ou au contraire un symbole de l’autonomie de la femme ? », interroge Philippe Portier. On a légiféré fermement sur la burqa et opté pour le compromis républicain concernant le voile simple. Invoquerait-on trop la laïcité ? Emile Poulat* le pense, elle n’avait notamment pas sa place en 2010 dans l’interdiction de la burqa : « Il suffit d’une loi qui soit dans la nature des choses. Le seul principe, c’est que chacun doit être identifiable en permanence », affirme-t-il.

Une incompréhension réciproque et beaucoup d’hypocrisie voilent le débat et empêchent de trancher entre une interdiction ferme et le fameux compromis républicain. Michel Le Normand le rappelle, La Libre Pensée a été dès le début contre le port du voile dans les écoles, mais pour une liberté absolue dans l’espace public tant qu’il n’y a pas atteinte à l’ordre public, avant d’ajouter : « Pour les horaires des piscines et toutes autres manifestations communautaristes, je suis plus circonspect parce que la promotion, sur le domaine public, de ces pratiques, me semble d’abord anti-féministe et cacher l’emprise machiste des religions sur les corps et spécifiquement des femmes ».

Il serait donc question de libertés publiques et d’intérêt général, de paix civile et de respect de tous les cultes. Des principes qui s’opposent. D’un côté le lien social, de l’autre la liberté et l’autonomie. Autant de valeurs chères à la France. « La laïcité consiste dans le fait qu’il n’y a plus de religion officielle et qu’il y a place pour tous les cultes. (…) Sous l’aspect strict de la laïcité, ces questions ne valent pas les passions qu’on y met souvent. La laïcité est une culture qui permet l’intégration de tout le monde mais qui ne peut la garantir. C’est un dispositif fondamental qui fait place à tous. Ni plus ni moins. La laïcité est structurellement ambiguë dans la mesure où elle inclut ceux qui l’excluent », retient Emile Poulat*.

L’ÉMANCIPATION DANS LA RELIGION ?

Alice Picard, étudiante à l’IEP de Rennes, a travaillé pendant presque un an à son mémoire « La cause des femmes musulmanes. Porte-parole et confiscation de leurs voix ». Au cours de ses recherches et entretiens avec différentes associations féministes rennaises, elle met le doigt sur la complexité du sujet : « On sent un malaise sur les termes employés. Et quand on aborde la question du voile, beaucoup se replient comme des huitres. On se replie souvent derrière l’argument de la laïcité. » Une carte qui pourrait être interprétée comme liberticide.

Pour cette militante altermondialiste et féministe, il apparaît rapidement que les femmes musulmanes doivent être entendues, s’intéressant précisément à celles qui vivent en France - « le port du voile ayant une signification différente selon la situation géographique » - et que ces dernières peuvent s’émanciper dans et avec leur religion. « Chez Al Houda (association des femmes musulmanes de Rennes, ndlr), elles se battent clairement pour les droits des femmes et posent toutes les questions autour de l’émancipation et du pouvoir patriarcal. », souligne-t-elle.

L’argument de l’émancipation dans la religion n’est pas sans conteste et s’opposent alors féminisme laïc et féminisme religieux, et particulièrement le féminisme musulman (ou islamique). Dans le premier, on affirme le parallèle indéfectible entre laïcité et égalité des sexes, le féminisme étant ancré dans une tradition moderne et laïque, et on prône l’universalité de ces droits. Wassyla Tamzali, militante féministe algérienne, s’insurge contre les intellectuels et la société européenne qui concèdent des droits différents aux femmes issues des pays musulmans.

« Elles n’ont pas renoncé à réaffirmer, chaque fois que c’était nécessaire, que le droit des femmes à disposer de leur corps n’était pas négociable parce qu’il était le pivot de la pensée féministe. Et pourtant, devant les hadiths, versets et autres éléments de la culture charaïque (…) devant le consentement de certaines femmes à dissimuler leur corps, à le «marquer» des signes de la domination patriarcale par le voile, s’agissant des femmes musulmanes, elles relativisent ce principe pour lequel elles se sont battues, un principe qui perdrait son sens pour des femmes de cultures différentes », écrit-elle dans son ouvrage Une femme en colère – Lettre d’Alger aux Européens désabusés.

Dans le second, on réinterprète les textes du Coran, de la Bible ou encore de la Torah. Néanmoins, l’actualité se concentre moins sur ce dernier, Delphine Horvilleur, rabbin en France, dit à propos du judaïsme qu’il est le cœur de l’interprétation des textes. Interrogée sur la place des femmes dans la religion juive, Ann Nusimovici, présidente de l’Association culturelle et cultuelle israélite de Rennes, ne s’étend pas sur le sujet. Soufflée par la voix d’un homme que l’on perçoit à travers le téléphone, elle explique : « Il y a différents courants de pensée. Pour les libéraux, la parité entre les hommes et les femmes est établie depuis longtemps. Pour d’autres, il existe des rituel religieux qui peuvent être différents pour les femmes et pour les hommes. »

Hormis cela et la transmission de la religion par la mère de famille, elle ne souligne aucune différence et le lien entre les droits des femmes et la laïcité ne semble pas évident à cela près :

« La lutte pour l’égalité femmes-hommes est nécessaire. L’État peut choisir la place des femmes dans la société. Et l’évolution de la société influence forcément les religions. »

 Pour la chercheuse Zarah Ali, la relecture du Coran réhabilite les droits des femmes dont le port du voile serait l’étendard contre le racisme et le sexisme qui se propagent en Occident. Elle note dans son livre Féminismes islamiques : « Les féministes musulmanes proposent une libération qui pose un tout autre rapport au corps et à la sexualité : un rapport marqué par des normes et une sacralisation de l’intime, et par une défense du cadre familial hétérosexuel. »

Pour Asma Lamrabet, médecin biologiste au Maroc et féministe, interviewée par Le Monde des religions (n°71 – mai-juin 2015, consacrant un dossier aux Femmes dans l’Islam) l’opposition entre ces deux féminismes n’est apparente qu’en France, où il serait difficile de discuter du fait religieux : « Au Maroc, il y a également des féministes laïques. Nous travaillons main dans la main, car elles ont conscience que, dans une société majoritairement musulmane, la religion reste incontournable. Nos objectifs sont les mêmes : la liberté et la dignité des femmes. »

QUESTION D'INTERPRÉTATIONS

Des valeurs défendues par les membres d’Al Houda, association créée à Rennes en 1996 par les femmes musulmanes de la mosquée de Villejean, qui revendiquent l’émancipation et l’épanouissement des femmes, passant par la relecture des textes : « Il faut du temps pour s’émanciper des textes sacrés. Surtout quand on pense que la femme a été créée de la côte d’Adam, plaisante Marjolaine Peurin, membre de l’association, convertie à l’Islam depuis plusieurs années. Alors que là aussi il y aurait un glissement de sémantique. »

Les interprétations masculines ont permis aux hommes d’instrumentaliser les textes pour réduire les femmes à une infériorité naturelle. À elles à présent de proposer leur vision et compréhension des écrits à travers leurs références contemporaines. Et de déconstruire les idées fausses et amalgames réunis autour de leur condition sans cesse ramenée à leur religion. « On pense que la laïcité affaiblit les religions et donc libère les femmes. Le voile est interprété comme le symbole du fascisme islamique. Mais on a le droit de s’habiller comme on le veut. », explique-t-elle, précisant que cela ne réfute en rien leur respect du principe de laïcité.

Kaoutar Assali, secrétaire de l’association, défend la liberté de conscience, de choix. Celle qui « embrassé l’Islam en faisant la prière et en portant le voile » à l’adolescence alors qu’elle n’était pas pratiquante reconnaît qu’elle a, plus jeune, estimé la religion musulmane avilissante pour les femmes. Les deux femmes pointent du doigt le raccourci établit entre condition de femmes musulmanes et liberté individuelle, qu’il s’agisse d’une question vestimentaire ou de pudeur face au professionnel chargé de les ausculter.

« La carte de la laïcité est parfois brandie pour ne pas permettre le choix aux femmes. On a quand même le droit de se sentir plus à l’aise face à une femme médecin. »
conclut Kaoutar.

L’association qui défend la place des femmes dans la société et le respect des libertés fondamentales, telle que l’égalité, ne se définit pas dans ses statuts comme féministe, contrairement à Action Catholique des Femmes. Une volonté essentielle pour la responsable départementale, Françoise Ravary-Dalibart. « C’est important pour nous, on a voulu exister autrement, prendre conscience que l’on n’a pas à tout supporter. Certaines ont pu prendre des forces et de l’énergie pour évoluer », souligne-t-elle.

Pouvoir exprimer son désaccord avec le discours de l’institution, qu’elle différencie de la foi, est une nécessité pour ne pas se laisser dicter sa vie au quotidien. Tout comme Kaoutar et Marjolaine, elle accorde une grande importance à la liberté de choix, de conscience, de diversité. « Chacun fait ses choix. L’Église propose une orientation mais n’a rien à nous imposer. Par exemple, c’est important que le Mariage pour tous soit autorisé, que la loi autorisant l’IVG existe ! Si cette loi était menacée en France, j’irais manifester. », exprime-t-elle.

Les femmes, majoritaires dans la vie de l’Église, sont néanmoins plus écartées du pouvoir décisionnaire de l’institution. Raison pour laquelle ses membres se sont attelées à la rédaction d’un plaidoyer sur la place des femmes. Leur leitmotiv dans l’association, créée en 1906 en réaction à la loi de 1905 pour défendre les curés et les bonnes œuvres, « et qui a su évoluer avec son temps par la suite », c’est le respect de chacun dans ses différences, pouvoir co-exister, co-habiter et ne subir aucun inconvénient du fait de sa religion.

Toujours dans le respect également du principe de laïcité, « une évidence pour nous et nous n’avons aucune envie de revenir en arrière ». Être ouvert à tous, accepter la diversité pour échanger et évoluer, voilà les valeurs que ce groupe de femmes défendent, en se réunissant une fois par mois et en organisant des événements à l’occasion du 8 mars, journée internationale des femmes, par exemple, et qui communient entre la religion et la laïcité.

PRIORITÉ ÉDUCATION

Ancienne enseignante en primaire, Françoise Ravary-Dalibart croit en la mission de l’éducation et regrette le tôlé, survenu l’an dernier, autour de l’ABCD de l’égalité : « Durant ma carrière, j’ai vu des enseignants pris dans les stéréotypes sur les rôle des filles et des garçons. D’autres non. C’est une démarche individuelle. »

Et ce n’est pas Françoise Soulimant qui la contredira. Défenseure des droits des femmes et de la laïcité, ancienne enseignante et directrice d’établissement, elle s’investit aujourd’hui dans différentes associations comme le CIDFF 35 dont elle est la vice-présidente, tout comme dans l’association d’éducation populaire Aroeven, membre du Comité laïcité 35 qui a rédigé une charte de la laïcité. Sans oublier sa participation en tant qu’experte au Comité consultatif de la laïcité, lancé par la Ville de Rennes (lire encadré p.22) pour lequel elle a été auditionnée.

Chapeau de la République, la laïcité représente une ouverture sur l’autre. Elle y voit un parallèle probant avec l’évolution des droits des femmes, partant du droit de vote en 1944, « période à laquelle on commence à affirmer le principe de laïcité, dans la Constitution de 1946 », jusqu’à 1975 avec la loi sur l’avortement et les lois sur la famille. « Tous les droits qui vont vers des libertés individuelles sont liées à la laïcité. Ce sont des évolutions positives dans le cadre de la République », précise-t-elle, avant de souligner :

« On le voit bien, quand il y a un État religieux, c’est au détriment des femmes. Pareil quand il y a un recul démocratique. »

Pour elle, les crispations actuelles, autour du voile, des menus de substitution dans les cantines pour les enfants ne mangeant pas de porc et autres, n’ont pas lieu d’être. Dues à la méconnaissance de la culture de l’autre, la solution réside dans le dialogue et dans l’éducation. Aborder concrètement la laïcité dans les établissements scolaires, discuter autour de la citoyenneté, des valeurs de la République, des religions, intégrer dans les programmes scolaires des auteures étrangères… Une manière de développer la richesse culturelle des élèves et de reconnaître le monde qui nous entoure.

« La laïcité est une valeur concrète. Les jeunes, dans les collèges et lycées, en ont bien conscience et n’ont pas envie d’être menés en bateau par des détournements et des récupérations politiques. Et quand on aborde la laïcité, les jeunes filles établissent d’elles-mêmes le lien avec les droits des femmes ! », mentionne-t-elle, ravie et convaincue, qu’en restant vigilant au respect des droits, acquis et valeurs de la société et République, l’optimisme est de rigueur. La laïcité étant une garantie de l’égalité entre les individus et par conséquent entre les sexes.

 

BIBLIOGRAPHIE :

*Émile Poulat, Notre Laïcité ou les religions dans l’espace public, entretiens avec Olivier Bobineau et Bernadette Sauvaget, Éditions DDB Desclée de Brouwer.

Dictionnaire amoureux de la laïcité, Henri Pena-Ruiz, Plon

Lettre ouverte au monde musulman, Abdennour Bidar, Éditions Les Liens qui libèrent

Laïcité, une valeur menacée ? Hors Série magazine Marianne, février 2015

Le Monde des religions, Les femmes dans l’Islam, Numéro 71, mai-juin 2015

Une femme en colère – Lettre d’Alger aux Européens désabusés, Wassyla Tamzali, Gallimard

Féminismes islamiques, Zarah Ali, La fabrique

 

 

Si les mentalités sont divisées quant à l’application du principe de laïcité, chacun s’accorde à penser que l’école reste le bastion privilégié de la République, agissant sur la transmission des valeurs de notre société et permettant une éducation à la citoyenneté exemplaire.

CULTURE DE L'ÉGALITÉ ET VIVRE ENSEMBLE

En octobre 2013, le ministre de l’Éducation, Vincent Peillon à l’époque, présente la charte de la laïcité à l’école, issue de la loi de refondation de l’École (juillet 2013), obligatoire dans les établissements scolaires publics, et composée de 15 points rappelant le principe de laïcité et ce qu’il permet (égalité, croire ou ne pas croire, liberté de conscience, etc.). « La loi rappelle l’importance de la laïcité mais aussi de toutes les valeurs de la République que nous devons faire partager aux élèves. », souligne Loïc Bernard, référent laïcité depuis 2013, et inspecteur de vie scolaire, au sein de l’Académie de Rennes.

La Charte aborde, au 9ème point, l’égalité des sexes : « La laïcité implique le rejet de toutes les violences et de toutes les discriminations, garantit l’égalité entre les filles et les garçons et repose sur une culture du respect et de la compréhension de l’autre. » Pour Nicole Guenneuguès, chargée de mission égalité filles-garçons à l’Académie de Rennes, les thématiques de la laïcité et de l’égalité sont transversales et font tronc commun dans les missions de l’école visant à l’émancipation de chaque individu.

« La laïcité à l’école pose le fait que les croyances religieuses ne peuvent pas être des arguments recevables pour contourner les valeurs de la république. », explique-t-elle en insiste également sur les notions de libre-arbitre, de parcours de vie et d’orientation, auxquelles Loïc Bernard ajoute la construction de l’élève. « On leur apprend à développer leur sens critique. Les contenus des programmes, l’apport en connaissances, sont indispensables. Mais ils doivent être rapprochés de leur vécu. On appelle ça l’approche par compétences : dans le domaine professionnel, dans le couple, dans la vie de citoyen, etc. », explique Nicole Guenneuguès.

Et pour elle, cela passe par des actions concrètes déclinées en 3 axes (dans la convention interministérielle 2013-2018 signée en décembre dernier par le Rectorat, l’Académie, les collectivités territoriales) : acquérir et transmettre la culture de l’égalité, favoriser le vivre ensemble avec l’éducation à la sexualité et le respect entre les filles et les garçons, et choisir son orientation (elle prend pour exemple le manque de femmes dans les filières scientifiques).

Au-delà de la question des inégalités à réduire, les deux professionnels s’accordent et se rejoignent sur la nécessité du dialogue et du bon fonctionnement autour de la pédagogie de la laïcité et des valeurs générales de la République, veillant à la formation de l’individu épanoui et citoyen.

VALEURS UNIVERSELLES ET CIVIQUES

Si les établissements privés relèvent majoritairement de l’enseignement catholique, ils partagent la volonté de former leurs élèves aux principes de la citoyenneté et de la laïcité. Sémi est le papa d’une fille de 9 ans, Inès, inscrite à Notre-Dame-des-Miracles, école élémentaire privée de Rennes. Pour lui, qui a effectué toute sa scolarité dans le public, l’éducation de son enfant est fondamentale et souhaitait lui donner accès à un enseignement de qualité supérieure.

« Quand il a fallu l’inscrire ici, je me suis renseigné sur cette école et j’y ai trouvé des valeurs auxquelles j’adhère en tant que musulman, comme l’entraide et la solidarité par exemple. », explique-t-il. Et si l’école privée permet l’expression de la croyance en un Dieu et fait vivre une identité chrétienne (axe inscrit dans le projet éducatif de l’établissement), elle dispense également l’éducation à la citoyenneté à travers la transmission des valeurs universelles et civiques, essentielles pour le père d’Inès.

« Elle a des cours d’éducation civique où elle apprend ce qu’est la République, la démocratie, la Marseillaise et elle a récemment appris ce qu’est la laïcité. C’est un peu le bordel dans sa tête avec la double culture (franco-tunisienne, ndlr) mais ça viendra. », conclut-il.

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Liberté, laïcité, égalité (des sexes) ?
La laïcité, socle de l'émancipation ?
Le principe de la laïcité
Éducation à la citoyenneté

Célian Ramis

Mathilde Seigner, dans la peau d'une mauvaise mère ?

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Une mère peut-elle et doit-elle aimer son enfant de manière inconditionnelle, même quand ce dernier dévoile « défaillances » et violence ? C’est la question que pose la réalisatrice Christine Carrière dans son film, Une mère.
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Une mère peut-elle et doit-elle aimer son enfant de manière inconditionnelle, même quand ce dernier dévoile « défaillances » et violence ? C’est la question que pose la réalisatrice Christine Carrière dans son nouveau film Une mère, qu’elle présentait mardi 16 juin, accompagnée de Mathilde Seigner, en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes.

« Il est mauvais fils, elle sera mauvaise mère ». Le synopsis est intriguant, la problématique posée. Qui de la mère ou de l’enfant influe sur l’autre ? Doit-on forcément et entièrement blâmer les parents pour la mauvaise éducation de leurs enfants ? Avec Une mère, Christine Carrière ne prétend pas répondre aux questions soulevées, simplement à présenter une certaine réalité à travers un rapport mère/fils.

« Je suis passionnée par les ados et par le rapport parents/enfants. J’ai rencontré pas mal de femmes seules face à la violence de leurs enfants et je crois qu’en France c’est un sujet tabou. J’ai voulu crever les abcès et déculpabiliser les mamans. »
explique Christine Carrière, avant la projection. 

Elle installe la caméra au cœur du conflit qui oppose Marie à son fils, Guillaume, un adolescent de 16 ans, sans se retrancher derrière une facilité narrative qui nous dévoilerait grossièrement les événements antérieurs, justifiant cette incapacité commune à communiquer l’un avec l’autre.

Elle parsème au fil de l’histoire des informations sur les « défaillances » de Guillaume, relevées par des médecins, sans en préciser la nature, et nous fait comprendre qu’il est un habitué, avec ses ami-e-s, du poste de police. Entre protection, épuisement et lassitude de ne pouvoir vivre sa vie, la figure de la mère prête à tout pour son enfant est esquintée pour présenter une autre réalité : celle d’une femme à bout, en prise à son rôle maternel et à son ressenti face à cet être, victime d’un coup d’un soir, qu’elle rêve par moment de n’avoir jamais mis au monde.

Une facette réaliste et intéressante qui nous plonge au cœur d’un sujet de société complexe dont on ne perçoit encore que la partie émergée de l’iceberg. Toutefois, on regrette que la question de l’amour inconditionnel ne soit pas portée à son paroxysme, comme si la réalisatrice n’assumait pas entièrement sa volonté de déculpabiliser les femmes, étouffant légèrement la violence qui se dégage de cette situation délicate et anxiogène.

RÔLE NUANCÉ ET FÉMININ

Pour Mathilde Seigner, mère d’un petit garçon de 8 ans, le sujet de l’adolescence ne lui est pas encore familier mais s’est glissé sans difficultés particulières dans la peau de cette mère désabusée et désillusionnée. Et elle l’incarne avec le talent et le naturel qu’on lui connaît, embarquant le spectateur dans une sorte de huis clos avec ses émotions et ses entraves, entre nostalgie, inquiétude et désir de liberté. Et ce soir-là, l’actrice témoigne également d’un besoin de se frotter à un rôle plus nuancé que ceux proposés par le registre des comédies.

Vingt ans avant Une mère, Mathilde Seigner interprétait son premier rôle au cinéma. Dans Rosine, signé Christine Carrière. L’histoire d’une adolescente en admiration face à sa mère. Deux décennies sont passées. Mathilde Seigner s’est affirmée en tant qu’actrice et s’est imposée dans le cinéma français, imprimant noir sur blanc son franc parler et sa gouaille. Aujourd’hui, elle interprète un rôle sur mesure, écrit pour elle, par celle qui a lancé sa carrière. Un rôle qui lui va bien mais aussi qui lui fait du bien, ravivant son inspiration pour les personnages dramatiques, plus intéressants selon la comédienne, qui ne renie pas complétement le plaisir de jouer dans une comédie.

« Les comédies offrent des rôles sympathiques mais la palette est plus limitée. Et ce n’est pas ce qu’il y a de plus valorisant pour une comédienne. Et il faut dire que dans les comédies populaires, ce sont souvent les hommes qui font rire et qui ont les beaux rôles. »
dénonce Mathilde Seigner avec parcimonie.

Elle a pourtant joué dans des films au casting féminin, dans Vénus beauté, Tout pour plaire, ou encore Bowling… Aucun n’aura le succès des Ch’tis, ni de Camping dans lequel elle joue « mais encore une fois, c’est le personnage masculin, celui de Franck Dubosc, qui fait rire ».

Toutefois, les deux professionnelles n’en restent pas à ce constat et font le pari d’aborder un sujet de fond et de le proposer au grand public sans l’appâter via les grands noms bankable du cinéma français, comme Kad Merad, Dany Boon ou encore Omar Sy. La réalisatrice - qui n’avait pas présenté de nouvel opus depuis Darling en 2007 (avec Marina Foïs et Guillaume Canet, livrant l’histoire forte d’une femme luttant pour sa dignité) - n’hésite pas à prendre le public à partie afin de le sensibiliser aux difficultés actuelles de produire un film de ce type (peu de noms connus, sujet sensible…), les financeurs restreignant les budgets dans ces cas-là.

Main dans la main pour alerter des problématiques actuelles qui envahissent le 7e art depuis plusieurs années, Christine Carrière et Mathilde Seigner savourent néanmoins leurs retrouvailles et la lumière donnée à Une mère, qui sera diffusé dans les salles obscures dès le 24 juin.

Célian Ramis

Danse : Animées par le mouvement

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Rennes
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En quoi la pratique de la danse est-elle levier d'insertion et créatrice de lien social ? Décryptage d'un langage sociétal, personnel et universel.
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Cette phrase de Pina Bausch, danseuse et chorégraphe allemande, grande figure de la danse contemporaine, résonne en tout un chacun. « Dansez, sinon nous sommes perdus », comme une nécessité, une urgence, un besoin… Pourquoi ? Certainement parce que la danse n’a pas de parole. Chaque corps en mouvement est alors invité à inventer son propre langage, sa propre manière de s’exprimer et surtout à prendre conscience de cette enveloppe charnelle et osseuse et des possibilités offertes par cette dernière. Il est ainsi évident que cet art s’impose comme tisseur de lien social, levier d’insertion et créateur d’ouverture sur la société. Au croisement des genres et des cultures, la danse nous a transporté ce mois-ci dans une valse enivrante et bienveillante, libératrice, et parfois réparatrice de corps et esprits meurtris par les épreuves de la vie.

Les danses en couple, avec ou sans échange de partenaire, répondent à l’appellation de danses sociales, dites aussi danses de société. Un terme qui interpelle. À partir de là, la réflexion est lancée : la pratique de la danse serait un art social, levier d’insertion et créateur de lien entre les individus.

Dimanche 3 mai, de timides rayons de soleil percent les nuages flottant au dessus de la capitale bretonne. Cet après-midi là, l’ancien Champs de Mars est devenu l’esplanade dansante des pratiques amateures, entremêlées aux performances professionnelles. Cercles de danses urbaines, rondes bretonnes et celtiques, entrainements collectifs… Fous de danse, manifestation initiée par le Musée de la danse, a réussi son coup d’une main de maitre à l’occasion des Premiers dimanches aux Champs Libres, réunissant des milliers de Rennaises et de Rennais au cœur d’une piste de danse éphémère et fédératrice.

Quel attrait pour cette pratique artistique ? Quelles actions développer pour maintenir et susciter du lien et de l’échange entre les populations ? Décryptage d’un langage sociétal, personnel et universel.

PRENDRE CONSCIENCE DE SON CORPS

« Ces ateliers permettent d’avoir conscience de son corps, ce qui permet de reprendre confiance en soi, et au niveau social de rencontrer des gens, d’être plus à l’aise dans la relation avec les autres. », explique Sandra, entourée de Lucie et Ségolène, et rapidement rejointe par Stéphanie qui apprécie également de travailler « sur les sensations que l’on peut ressentir dans son corps alors que l’on avait pu se mettre en pilote automatique et que l’on ne prenait plus le temps de se poser, de ressentir notre corps. »

Ces ateliers, ce sont ceux proposés par l’association Danse à tous les étages – implantée à Rennes et à Brest - dans le cadre du programme Les Créatives (existant aussi à Brest, Morlaix et Guichen) à destination des femmes en situation de précarité et en recherche d’emploi. Ce matin du 9 avril, les participantes arrivent au compte goutte au Garage, prêtes à travailler sur le spectacle « Temps de pose » qu’elles dévoileront au public le 19 mai, au Triangle.

Deux fois par semaine, depuis le mois de mars, elles se réunissent et à travers les techniques artistiques de la danse contemporaine, enseignées et transmises par la chorégraphe Anne-Karine Lescop – en binôme avec le photographe Richard Louvet - pour cette 11e édition, composent des enchainements nourris par leurs émotions, leurs envies et leurs motivations diverses.

Au fil de cette expérience, elles prennent conscience de leurs capacités à créer un projet et à le faire aboutir.

« La notion d’engagement est importante. Participer aux Créatives permet de se dire que l’on est capables, de prendre confiance en nos capacités pour ensuite peut-être accéder à une formation ou à un boulot. En tout cas, cela nous remobilise autour d’un projet, c’est très intéressant »
concède volontairement Lucie.

Engagement et remobilisation, deux termes qui reviennent souvent dans la bouche de Malika Teneur, coordinatrice 35 au sein de Danse à tous les étages : « Les Créatives, c’est une étape pour continuer leurs parcours, un tremplin. Certaines lancent des projets, d’autres trouvent du travail, pour d’autres encore ce sont des souvenirs et des émotions. Il y en a qui abandonnent, ce n’était pas le bon moment pour elles. »

Des femmes de différents âges, milieux sociaux, avec des histoires diverses, accompagnées et orientées vers ces ateliers par des structures partenaires de l’association, que ce soit Pôle emploi, Fil Rouge, le CIDFF, le CCAS, ou encore le CDAS, pour n’en citer que quelques uns. En amont, des réunions d’informations sont organisées, et tout au long de l’expérience, les participantes sont régulièrement amenées à s’entretenir avec les référents associatifs, sociaux et professionnels.

L’ART DE L’EXIGENCE

Mettre la danse contemporaine au cœur d’un accompagnement socioprofessionnel n’est pas un hasard. Au-delà de la confiance acquise et de la valorisation éprouvée, c’est une reconstruction personnelle qui est engagée, basée sur un ressenti interne et intime, délayée dans un langage collectif et commun. Les participantes, pour certaines dubitatives au départ de l’approche contemporaine, parlent maintenant de « liberté », de « relâchement », de « moments d’échange ». Et apprécient l’exigence requise par la chorégraphe « qui sait bien ce qu’elle veut », sourit Ségolène, et « qui attache beaucoup d’importance à la dimension de sensation ».

Concentration, rigueur et dépassement de soi transparaissent lors de cette matinée de travail. Les danseuses avancent et reculent lentement, passant de la pénombre à la lumière, du regard fuyant au regard déterminé. Arrivées à quelques mètres des gradins, elles posent, dévoilent des figures travaillées, en constante évolution d’un aller à un autre, montant en intensité. « Le regard, il est où ? La pose, il faut la montrer… Tu poses pour un peintre, il y a une relation à l’autre ! Voilà, c’est bien, très bien. », commente Anne-Karine Lescop. Alice, à l’entrée remarquée pour son retard, s’agace de ne pas réussir à entreprendre ce qu’elle voudrait. Ramenée sur la scène par une autre danseuse, elle poursuit néanmoins l’exercice.

« Il faut qu’elles apprennent à concilier les ateliers à la vie quotidienne, à être à l’heure, à s’investir dans les projets pour lesquels elles s’engagent. En général, ça se passe bien, un noyau dur se forme lors des premiers ateliers et puis nous essayons de créer des groupes hétérogènes avec des personnalités qui peuvent s’entendre. On se demande principalement à qui cela sera le plus bénéfique, qui a envie de travailler sur son projet personnel, toujours dans l’idée d’une insertion professionnelle », détaille Malika Teneur.

L’AFFIRMATION DE SOI

Même discours du côté de Portraits en mouvement, autre initiative de Danse à tous les étages. Des ateliers proposés de novembre à fin mai – pour une représentation en juin - à Brest et à Rennes, à destination des 16-25 ans en situation de décrochage scolaire ou professionnel, toujours en partenariat avec des structures socio-professionnelles, telles que la Mission locale, la Mission d’insertion des jeunes de l’enseignement catholique de Rennes, l’Afpa, etc.

Un jeudi après-midi d’avril, 4 jeunes s’entrainent à la MJC Bréquigny avec le chorégraphe Fadil Kasri, co-fondateur en 2004 de la compagnie Eskemm (échange en breton) basée à Lorient, qui réunit danse contemporaine et danse hip-hop. « Avec Karine Le Bris, on développe nos créations autour d’échanges. Nous avons travaillé avec un comédien, fait un spectacle avec des marionnettes, intégré la Langue des Signes… Et nous travaillons quasiment toujours avec des publics amateurs. », explique ce Rennais d’origine qui a découvert le hip-hop à la télé en 1983.

Alors âgé de 14 ans, il suit les 42 leçons données par l’animateur Sydney. Il avait déjà eu un attrait pour la danse, sept ans auparavant avec la série Fame : « Il y avait des mecs qui dansaient et des gens de couleurs ! C’était fou. J’ai voulu faire de la danse jazz mais je ne m’y suis pas retrouvé. »

À cette époque, il fait des détours dans le quartier du Blosne pour aller suivre ses cours de danse, pour ne pas être vu par ses copains, qui eux font du foot. Un autre déclic aura lieu au lycée, il reprend le jazz, mais arrête à nouveau, puis lance un trio avec une connaissance et un camarade de classe et monte sur la scène du Triangle – qu’il a vu se construire lorsqu’il était gamin – et de là commencera à donner des leçons à la Cité de danse. Il oscillera ensuite entre son activité d’animateur, des stages de hip-hop, des groupes qu’il monte, des période sans danser, avant de décider en 1999 de se consacrer à la pratique artistique et de se sentir enfin légitime et reconnu.

« En dansant, on s’affirme. Et le hip-hop a la particularité d’être très accessible, il y a très vite des publics et des corps différents. Personnellement, quand je danse, je ne peux pas tricher. Quand j’ai décidé d’en faire mon métier, j’ai eu comme l’impression de renaitre », confie-t-il.

S’affirmer, se sentir libre et à l’aise dans son corps, décoincer le corps… Voilà ce qu’il veut transmettre aux jeunes qu’il encadre dans cet atelier. Avec la langue des signes, il opte pour une approche ludique des gestes et des mouvements. Une manière de démocratiser la danse « qui n’est pas uniquement spectaculaire pour le hip-hop ou élitiste pour la danse contemporaine ». Mélange de genres et de styles, accélération ou décélération des enchainements, présentation individuelle et collective signée, la palette d’outils de Fadil Kasri est large.

Et le groupe touche de plus en plus à son but avec des danseurs amateurs dont les bustes et mentons se relèvent, dont les langages corporels se personnalisent, s’affinent et se développent et dont les corps se libèrent, malgré quelques réticences passagères ou quelques tensions du quotidien. « Les voir s’affirmer, c’est fort. Dans ce que l’on construit ensemble, il y a une marche commune, des valeurs du vivre ensemble, des identités individuelles, et tout les relie à la fin. », s’émeut le chorégraphe, qui n’hésite pas à les encourager et féliciter ; chose qui n’est pas sans impact sur eux, décontenancés par les compliments et la confiance accordée.

DANS LES PAS DE LA DÉMOCRATISATION

Linda Claire, péruvienne d’origine, installée en France depuis plus de 10 ans, a dû se passer du soutien de sa famille, ne reconnaissant pas la danse comme un métier. Mais depuis son arrivée à Rennes – elle n’avait auparavant reçu qu’une initiation à la danse classique, dispensée par sa mère lorsqu’elle était enfant – elle persévère et puise dans toutes les danses qu’elle découvre, de la salsa au hip-hop, en passant par le flamenco, la samba et la danse contemporaine.

« J’ai fait des études pour rassurer mes parents et m’assurer un diplôme. », déclare-t-elle avant d’ajouter, convaincue, que sa vie réside dans les arts du spectacle. Aujourd’hui, elle navigue entre Rennes et Paris, et évolue principalement dans des compagnies spécialisées dans les danses latines. Mais elle avoue avoir un vrai coup de cœur pour la danse contemporaine, permettant le lien entre techniques, intériorité personnelle et mouvements du corps.

« On peut véritablement le vivre ! », s’enthousiasme-t-elle. Linda Claire est de nature pudique, réservée. Quand elle exécute des enchainements libres, son rapport à l’autre change. Elle incarne alors la passion qu’elle vit au quotidien et se livre sans timidité à l’exercice.

De son côté, Laina Fischbeck n’a jamais connu de réticence familiale face à son choix de vie professionnelle. Rien d’étonnant pour cette américaine de Philadelphie, fille de parents danseurs et fondateurs d’une compagnie en Allemagne, puis au Etats-Unis.

« Ma mère a dansé jusqu’à 7 mois de grossesse quand elle était enceinte de moi. J’ai donc toujours dansé, et même avant de naitre », plaisante-t-elle.

Elle apprend la danse à 4 ans, pratique cet art « à l’école publique, au milieu du ghetto », vit dans le théâtre avec la troupe et entre dans la compagnie de son père, avant de venir s’installer en France et de perpétuer la tradition de la danse en transmettant sa passion à son fils. Aujourd’hui, la danseuse et chorégraphe réunit au sein de sa danse expérimentale, dans la compagnie qu’elle a lancé en 2003 à l’Élaboratoire – D.E.A.D Company (Driving Evolutionary artistic dimensions) - le butô, le condomblé, la capoeira, la danse jazz, le yoga mais aussi la musique, le chant, la sculpture, la vidéo, le théâtre d’objets…

« J’ai toujours pensé que la danse et la musique allaient sauver le monde. C’est la plus vieille langue universelle ! », explique-t-elle, dans le hall du Triangle, structure dans laquelle elle enseigne. La danse est vitale et accessible, physique et spirituelle, outils d’expression inépuisable et inébranlable, langue unique et comprise de tous : « C’est très riche comme art, c’est plein d’échange entre les disciplines, de liberté. Y a pas de cadre, de règle. C’est pour ça que je n’aime pas la catégorie ‘Danse contemporaine’, ça fait chiant, pas accessible. On est trop dans la tête, le conceptuel, alors qu’il s’agit de l’expression du corps. Ça libère les gens, ça sort de la tête justement vers une sorte de transe. Personnellement, quand je suis malade, je danse pour me guérir. »

Plus qu’une pratique sportive et/ou artistique, elle s’en saisit comme un mode de vie. Une vie en communauté, que ce soit avec la troupe de ses parents, avec les gens qu’elle rencontre à l’Élabo – elle vit alors dans une caravane à Talensac – ou dans les stages qu’elle effectue chez l’habitant ou dans la nature. Tout est une histoire de rencontres et de partage, dont l’origine est la danse, et elle y ajoute et croise les disciplines.

Sa prochaine création, Shadows of light, visible le 8 mai au festival de l’Élabo, réunit ainsi la danse, la musique et la sculpture. Une manière de sans cesse enrichir son langage corporel et scénique, mais aussi personnel. « Dans les danses à 2 par exemple, on apprend à écouter l’autre, à donner, à recevoir, à lâcher prise, à faire confiance. Dans le kung-fu, avec le contact, on va apprendre à anticiper par le mouvement. », précise Laina Fischbeck.

UN LANGAGE PERSONNALISÉ

Ce que décrit cette dernière est précisément ce qui a séduit Marie Houdin, chorégraphe de la compagnie Engrenage depuis 2004, orientée hip-hop funkstyle. Elle pratique la danse depuis ses 8 ans mais découvre le hip-hop à la fin du collège, malgré « une pratique peu répandue à Laval. » Elle se passionne pour son histoire, mais aussi celle de la diaspora africaine, pour les danses afro-américaines et les claquettes.

Et continue encore aujourd’hui d’effectuer des recherches, « notamment sur les danses de la Nouvelle-Orléans, qui n’ont pas forcément de noms, d’étiquettes, mais qui continuent d’exister et de rassembler. » Celle qui s’est entrainé à danser au Colombier ou à la maison de quartier Villejean, en parallèle de ses études dans la capitale bretonne, est happée par l’énergie de la danse, sa spontanéité et surtout par son message :

« Peu importe qui tu es, tu dois t’inventer. Ta place, si tu la veux, il faut te la créer. Ça m’a interpelée. »

La liberté, l’expression, le rapport à la musique, le croisement des danses, l’esprit festif, traditionnel, les rites… Marie Houdin n’est pas avare d’arguments expliquant son épanouissement dans cet art dans lequel elle a inventé son propre langage. Mais surtout qui permet partages et rencontres. « Le spectacle est un prétexte pour les rencontres avec les publics. Le Soul Train ou le Bal funk par exemple ont une visée pédagogique. Et dans le processus de création, notre démarche implique toujours des actions culturelles et de médiation. », souligne la chorégraphe.

Ainsi, les écoles, centres sociaux, les prisons, les maisons de quartier, les MJC, etc. deviennent des laboratoires expérimentaux autour du déracinement, de l’identité et de l’enracinement, comme tel a été le cas avec la création de Roots.

Chaque public, chaque individu, apporte son propre langage, sa propre manière de penser et donc de s’exprimer à travers le corps. Les cultures se mélangent, offrant ainsi des danses métissées, en évolution constante, et ainsi susceptibles d’être accessible à toutes et à tous. À 50 ans, la chorégraphe de la compagnie Erébé Kouliballets, Morgane Rey, croit toujours en la force et la résonnance des rencontres humaines dans l’inspiration à la création.

Que ce soit pour Burkas Gurkkas ou encore Le solo d’amour, des témoignages ont été recueillis auprès de plusieurs femmes faisant état de leur enfermement physique et mental, « sans forcément porter le voile », pour le premier, et de leur histoires d’amour pour le second. « Le lien à l’autre est très fort et très présent dans notre danse. Par exemple, au sein de la compagnie, nous dansons toujours sans miroir. Cela oblige à être présent à soi, aux autres, aux sons… », explique la chorégraphe.

Originaire du Bénin, elle a toujours refusé de s’enfermer dans les danses traditionnelles, souhaitant développer une écriture, un vocabulaire propre à sa compagnie, liant comédiens, musiciens et danseurs. « Il ne faut pas être isolés dans notre tour d’ivoire. Nous faisons partis de l’éducation populaire, nous avons un rôle de citoyen à jouer. », conclut Morgane Rey, qui présentera sa prochaine création Notre terre qui êtes aux cieux, autour des rites funéraires en Afrique, le 9 mai au Garage, à Rennes.

UN LIEN INDÉFECTIBLE

Partir du témoignage pour énoncer un message universel, s’emparer de son rôle d’artiste pour briser les tabous, dénoncer, ou simplement faire parti de la cité, de la société, du monde… C’est aussi la démarche de Mireille Abaka, musicienne et danseuse, et Gladys Tchuimo, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Poo-Lek.

Toutes les deux sont nées au Cameroun, se sont rencontrées à Yaoundé, la capitale, et ont décidé de créer le spectacle Plus femme que femme, « pour faire prendre conscience aux femmes du pouvoir qu’elles ont, les amener à comprendre la place qu’elles ont, que dans la douceur, on dépasse la guerre. Ainsi, le sexe fort, il se situe dans la douceur ! », selon Gladys.

En résidence au Triangle tout au long du mois d’avril, elles dévoileront leur création le 28 mai, initieront des training, tous les mercredis, et des spectacles courts hors les murs (principalement dans le quartier du Blosne mais aussi à République) et inviteront les habitant-e-s de Rennes à un temps d’échange intitulé « De Rennes à Yaoundé, le quotidien de femmes d’aujourd’hui », le 20 mai.

« On parle aussi de nous dans le spectacle. La danse permet de dire avec le corps ce que je ne peux pas dire avec la voix »
explique Mireille, qui vient pour la première fois en France.

Ainsi, elles ont rencontré les participantes des Créatives lors d’une discussion : « Elles se sont beaucoup intéressées à la démarche de notre pièce mais aussi aux femmes que nous sommes, c’était un très bon échange. » Les liens se tissent au fur et à mesure, entre les professionnelles, les danseuses amateures et le public, venu assister à un spectacle ou interpelé par des actions culturelles. La danse est un lien indéfectible entre les individus et à l’intérieur même de l’individu.

Emmanuelle Huynh, chorégraphe et fondatrice de la compagnie Mua, est à l’initiative de Cribles, pièce créée en 2009 sur le principe de la ronde. Elle adapte aujourd’hui cette création à Rennes, rebaptisée Cribles Gold, dans le cadre des ateliers Corps Sensibles – proposés par Danse à tous les étages – à destination des personnes âgées, retraitées isolées, rencontrant des difficultés sociales. Un mardi après-midi, fin avril, de nouvelles têtes se présentent au Centre de prévention Agirc-Arrco pour expérimenter l’atelier, lancé au début du mois, tandis que d’autres annoncent qu’elles ne pourront poursuivre les séances.

L’une d’entre elles s’étant foulée la cheville, une autre devant s’occuper de son mari, la prise en charge par une tierce personne entrainant des frais bien trop lourds. L’échauffement permet une détente globale du corps, les participant-e-s (un homme figure dans le groupe ce jour-là, au milieu d’une petite dizaine de femmes) étant invité-e-s à masser les différentes parties du ventre, de buste et du visage avant de se lier par les mains pendant plusieurs dizaines de minutes. La ronde dévoile ses vertus à mesure que le temps passe et que les rires se font entendre.

L’ambiance est sérieuse, studieuse, et se voit dynamisée par des instants de rigolade et d’échanges. Si certaines se font plus timides que d’autres, que l’une se plaint de douleurs chroniques aux jambes, tout le monde participe et persévère dans l’exercice d’un cercle fermé par les liens des mains, dans lequel l’écoute de son corps et de celui des autres prime, dans lequel les contraintes s’expriment avec force et dans lequel chaque individu doit prendre sa place et reconnaître ses responsabilités.

« Il y a de la solidarité, du vivre ensemble et de l’écoute. On doit écouter nos corps, c’est ce qui se passe dans la danse contemporaine », commente Emmanuelle Huynh, enthousiaste à l’idée de perpétuer cette ronde chorégraphique avec des personnes âgées de 60 ans et plus « qui ont d’autres aptitudes physiques, et surtout ce qui m’intéresse aussi c’est la question des corps. »

Claudine vient, invitée par une amie, pour la première fois. Sa motivation première : la danse. « Je ne suis pas là pour écouter les malheurs des autres. Je veux bien redonner de l’élan, que ce soit un tremplin pour bien repartir dans la vie, mais je ne veux pas porter. », confie-t-elle avec une grande franchise. Cette ancienne prof d’éducation physique, tout juste âgée de 60 ans, a déjà pratiqué à diverses reprises, à droite à gauche comme elle dit, et apprécie le côté « Bien vieillir » de l’atelier :

« Cela transcende les émotions, et permet de développer la créativité. Et dans retraite, j’entends re-traite. Se traiter de manière différente, prendre soin de soin dégager les émotions par le mouvement. »

Un principe qu’il serait bon d’adapter sans attendre. Vraiment, on insiste lourdement mais joyeusement : Dansez, sinon nous sommes perdus (Pina Bausch) !

 

 

Comédienne, metteure en scène, art-thérapeute et plasticienne, elle s'intéresse notamment dans son travail au rapport entre masculin et féminin. À travers les pratiques artistiques, elle développe, à Rennes, des pistes pour prendre conscience de soi, des autres et ainsi agir sur ce qui nous entoure.

YEGG : En 2013, vous avez monté, en tant que directrice artistique, le spectacle Alternatives avec 10 danseurs et danseuses amenés à réfléchir sur les relations hommes-femmes. D'où est venue cette idée ?

Véronique Durupt : Ce projet m'a été proposé par Jean-Luc Dussort, coordinateur du pôle jeunesse de la MJC Bréquigny et Benoît Bauchy, animateur, car ils travaillent depuis longtemps sur les questions de discriminations et du masculin-féminin. J'ai accompagné des jeunes danseurs hip-hop, avec leurs spécialités, sur le plan dramaturgique pour savoir ce qu'ils avaient envie de dire sur le sujet et comment les danses des uns et des autres pouvaient s'interpeller.

Je leur ai amené des univers chorégraphiques différents, comme Pina Bausch et Anna Teresa de Keersmaeker, issues de l'école allemande. Ils s'en sont emparés, parfois avec réticence. Les détours vers d’autres pratiques que la danse hip-hop sont très importants pour nourrir leurs univers. C'est bien d'aller voir complètement ailleurs, sans renier la genèse de son travail.

Qu'est-ce qui en est ressorti ?

C'est un spectacle sur l'altérité. Des fois, on est dans l'accueil, la défense ou l'observation. Tout ça fait qu'une relation est complexe mais riche car elle nous fait découvrir des choses. Il y a eu pour eux la découverte de travailler sur une thématique commune et de nourrir son propre langage gestuel.

Vous êtes principalement metteure en scène, pourquoi avoir choisi la danse hip-hop pour aborder ce sujet ?

Je viens du théâtre gestuel donc je m'intéresse énormément à la danse, comme toute autre forme de représentation. Il y a un investissement corporel fort. J'ai accepté la direction artistique d'Alternatives parce qu'il y a une complicité entre les porteurs du projet et moi sur ces questions sociétales engagées.

Et je m'intéresse beaucoup à la danse hip-hop, à son émergence et son arrivée en France. Quant à la rencontre avec les jeunes danseurs, c'est réjouissant de voir des artistes, amateurs et semi-professionnels, s'emparer d'une question comme ça et chercher à y répondre avec leurs univers, leurs imaginaires et même leurs peurs.

Est-ce que la danse permet de mieux prendre conscience de son corps ?

Oui, elle donne d'autres outils ! Sur scène, il y a un mouvement par rapport à l'espace. Ce  mécanisme d'impression sensorielle va nous permettre d'écrire avec notre corps. Donc automatiquement, on accueille des émotions, des énergies, des rythmes, des silences.

J'aime bien le mot de « vocabulaire » qui recherche, avec une syntaxe et une grammaire propres, une dramaturgie du geste et des tensions dramatiques pour porter quelque chose. Dans la genèse d'un spectacle, on doit toujours l'alimenter et le redécouvrir. En tant qu'artiste, c'est aussi notre travail.

En 2012, vous avez travaillé avec des élèves de l’Établissement Régional d'Enseignement Adapté (EREA) de Rennes sur les thèmes de la boxe et du respect. Comment cela s'est mis en place ?

Je travaille avec l'EREA depuis plus de six ans sur des projets artistiques autour du masculin-féminin. Le but est d'impulser un spectacle avec les jeunes, à travers des improvisations, des recherches et des thèmes. Nous avons beaucoup travaillé sur l'écriture gestuelle. Cela leur a permis de découvrir leurs corps comme moyen d'expression.

Pour ce spectacle, on s'est inspirés des cordes qui composent le ring et autour du masculin-féminin, de l'offensif et du défensif dans des duos composés d'un personnage fragile et l'autre plus fort. En mars dernier, j'ai fini un nouveau projet avec des élèves autour de la figure de l'acteur dans le cinéma muet. Les personnages, habillés et maquillés en noir et blanc, se rencontrent de façon positive, des fois négative, et explorent leur altérité.

Comment réagissent-ils face à ces questions de masculin-féminin, relations hommes-femmes ?

On discute beaucoup de ça ! Il y a de nombreux questionnements, de la pudeur, de la défense. C'est complexe de toute manière et c'est intéressant ! Au niveau de la question artistique, ils ne sont plus filles ou garçons, ils sont interprètes. On s'entraide comme une vraie équipe.

Ce sont des personnes dites en grande difficulté scolaire, est-ce que créer un spectacle sur le long terme leur permet d'avoir une cohésion ?

J'aime bien le mot cohésion. De partage, de confiance en eux-mêmes, dans les autres, d'affirmation, de ce qu'ils ont envie de faire et de quelle manière, leurs goûts, de travailler une curiosité. Ils se rendent compte également que tout est beaucoup plus compliqué qu'il n'y paraît et qu'ils ne sont pas les seuls à avoir des difficultés. La question du sensible est aussi importante. Tout ça, c'est à travers la création de ce spectacle. C'est ça qui est intéressant.

Vous êtes également plasticienne et art-thérapeute. Qu'est-ce l'art en général apporte dans sa recherche d'identité ?

Plein de choses ! Faire une pratique artistique, notamment pour des personnes en difficulté, permet de développer leur sensorialité, leur goût, leur style, leur conscience d'être, découvrir l'autre... C'est beau, bon, ça fait du bien ! (Sourire) Tout le monde a ce droit qui nous permet d'agir sur le monde. C'est important. Cela permet de se battre aussi contre des évidences, des préjugés, d'être ouverts sur l'autre et soi-même. C'est aussi pour ça que je fais ce métier-là. Tous ces publics m'apportent énormément. Mon travail en est enrichi.

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Dansez, sinon nous sommes perdus !
Femmes en mouvement, un art social
Développer la proximité universelle
Faciliter la création contemporaine
Dancefloor éphémère et fédérateur
Véronique Durupt, l'art comme révélateur

Célian Ramis

Adolescentes : Jeunes femmes en devenir

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Rennes
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Mais qui sont-elles ? À quoi rêvent-elles ? Quels sont leurs espoirs et leurs envies ? À qui se référent-elles ou s'identifient-elles ? Enquête sur les adolescentes d'aujourd'hui, qui deviendront les femmes de demain.
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Mais qui sont-elles ? À quoi rêvent-elles ? Quels sont leurs espoirs et leurs envies ? À qui se référent-elles ou s'identifient-elles ? Tout le monde aimerait pouvoir le savoir, résoudre cette énigme, ce grand fantasme qu'elles inspirent aux adultes. Pour cela, la tentation est forte de vouloir les cataloguer, de les faire entrer dans une seule et même case.

Or, reflet de notre société, les adolescentes ne sont pas une communauté homogène, ça serait trop simple. Néanmoins, certains traits propres à cette période de la vie - où les changements physiques viennent tout chambouler - certains codes, symptômes et questionnements permettent de les identifier comme groupe sociétal distinct.

C'est l'enjeu du Focus de YEGG ce mois-ci. Et pour ce faire, la rédaction est allée à la rencontre de jeunes filles, d'enseignantes, d'infirmières scolaires, de sociologues, de psychologues et de psychanalystes.

Souvent perçues comme une bande de midinettes en slim, fans de boys bands et accros à Facebook, les adolescentes sont bien plus complexes et profondes et ne constituent pas une confrérie homogène. Leurs attitudes et leurs maux n’ont pas changé, seul le monde dans lequel elles vivent a bougé.

« Qu’avez-vous fait de votre puberté ? », aimerait-on parfois demander à certains adultes. Ceux qui stigmatisent les adolescentes et font peu de cas de leurs opinions, leurs amours, leurs envies… C’est inévitable, on a toujours entendu, on entend et on entendra encore les « Quand j’étais jeune…», « De mon temps… », « Moi, à ton âge… », et autres discours sur l’inexpérience et l’immaturité de cette jeunesse, laquelle forcément, se brûlera les ailes.

Une vieille rengaine héritée de génération en génération, qui révèle finalement que rien ne bouge, les jeunes filles d’aujourd’hui ressemblent à celles d’hier. Pourtant, on continue de vouloir les classer dans une seule et même case. « Dans notre monde il n’y a pas d’écoute de la singularité, il faut tous marcher au même pas. Or, c’est à chacun de se fabriquer ses réponses, en se débarrassant des lieux communs et des discours des autres », indique la psychanalyste Laurence Ruas-Texier. Un sentiment partagé par sa consœur Emmanuelle Borgnis-Desbordes pour laquelle il est important de comprendre qui sont ces adolescentes et ce qu’elles veulent, de saisir leur spécificité et leur personnalité à part entière.

Et celles-ci ne sont jamais plus contentes que lorsqu’on les prend au sérieux. Ainsi, pour évoquer l’élaboration de la carte dite subjective sur leurs lieux ressources (lire encadré), Marie, 16 ans, en seconde ST2S (Sciences et Technologies de la Santé et du Social) au lycée Bréquigny l’a souligné : « Ce que l’on a dit là peut changer le point de vue des adultes sur notre intimité, leur donner des points de repères, et ça fait plaisir que l’on s’intéresse à ça. Pour une fois on ne parle pas à notre place ». De la même façon, à la question « Qu’aimeriez-vous dire aux adultes ? », Victoire et Emilie, 17 ans, élèves aux lycées Saint-Martin et Jean Macé, et Thiphaine, 18 ans, en terminale à Jeanne d’Arc, répondent en chœur :

« Qu’ils nous fassent plus confiance, parce qu’on doit toujours se justifier, prouver qu’on a bien fait les choses, en rajouter pour être crédibles ».

Les professionnels font tous le même constat : « Elles ne sont que le reflet de notre société. Si elles consomment plus d’alcool et de tabac, c’est parce que c’est une tendance sociétale. Mais, globalement, elles sont chouettes, elles ont des envies, des projets. Certes, des choses nous interpellent, c’est inévitable, c’est générationnel ! », sourit Soizic, l’une des trois infirmières du lycée Bréquigny.

Il ne faut pas pour autant nier l’existence d’écarts de plus en plus grands entre celles qui ont une sexualité plus précoce, qui jouent avec l’érotisation de leurs corps, notamment via Internet, et celles qui sont comme les adolescentes d’avant. Un état de fait remarqué par Laure Stalder, conseillère conjugale et familiale au Planning Familial. Cela dit, un marqueur fort en la matière reste stable : l’âge moyen du premier rapport sexuel, 17 ans.

« LA PLUS DÉLICATE DES TRANSITIONS »

Cette définition du psychanalyste et psychiatre Philippe Lacadée, auteur de L’éveil et l’exil, est sans doute la meilleure qui soit. Quitter l’enfance pour pénétrer un monde moins insouciant et apprendre à vivre avec les grandes transformations de son corps, les filles y sont plus rapidement confrontées : « Il y a un vrai décalage de puberté génitale entre les deux sexes, et c’est de plus en plus vrai que la puberté des filles est plus précoce, vers 10-12 ans. Elles font donc plus vite face aux questionnements liés au corps qui change, à leur identité, à leur rapport à la sexualité, elles s’interrogent sur leur capacité à être aimées, à aimer. Cela les renvoie à la construction de la personnalité », souligne Gilles Clainchard, psychologue au Centre d’Accueil et de Soins Spécialisés pour les Adolescents et Jeunes Adultes, à Beaulieu et à Villejean.

La puberté, passage confus, brutal et inéluctable, bouleverse beaucoup, « c’est le surgissement d’une étrangeté », selon Emmanuelle Borgnis-Desbordes. Et cette apparition physique de caractères sexuels secondaires a un impact sur le psychique et les comportements. « Avec l’entrée dans la vie amoureuse et sexuelle, la famille pose un autre regard sur l’adolescente et inversement : elle change de statut et cela peut être compliqué. C’est aussi pour cela qu’elle a besoin, qu’elle doit, prendre ses distances, passer par des expérimentations », note Gilles Clainchard.

Difficile donc de supporter l’âge pubertaire - ses premières règles, la naissance de sa poitrine et de sa pilosité - sans broncher, sans claquement de portes ni « Tu peux pas comprendre ! ». En outre, à cet âge, Laurence Ruas-Texier explique qu’au « réveil pulsionnel du corps, il faut ajouter l’apprentissage de sa propre construction ». Ardu. Pourtant, la plupart des jeunes filles passent ce cap difficile sans trop de remous ni de blessures. Et c’est parfois un miracle, quand on sait les pressions de notre époque moderne où l’image, l’apparence et la réputation sont omniprésentes, où la différence doit s’estomper au profit de l’uniformisation.

« À cette période de la vie, le rapport au corps est très prégnant, toujours. C’est grandir avec le souci du corps ostentatoire »
observe Caroline Moulin, docteure en sociologie, auteure de Féminités Adolescentes : itinéraires personnels et fabrication des identités sexuées aux Presses Universitaires de Rennes.

Or, les nouveaux modèles, sur lesquels les adolescentes peuvent se projeter, sont toujours plus maigres. Un constat alarmant qu’Emmanuelle Borgnis-Desbordes fait dans son cabinet : « Cette pression des idéaux contemporains de maigreur ajoutée à la puberté, poussent certaines à tenter de maîtriser l’immaîtrisable, à se façonner un corps sur lequel elles n’ont pas de prise ». Le corps cristallise donc toujours les troubles des jeunes filles.

LES MOTS CHANGENT, LES MAUX DEMEURENT

« Ce que j’entend en consultations depuis 25 ans n’a pas beaucoup changé. Les ados rêvent toujours du Prince Charmant, elles sont romantiques dans la confession, leurs interrogations existentielles sont les mêmes », confie Gilles Clainchard. En revanche, les modalités d’expressions diffèrent. Il y a moins de tabous, de pudeur et d’interdits dans notre société et les filles évoluent avec cela, à travers les réseaux sociaux, la sur-médiatisation et la présence plus forte du sexe dans le domaine public.

« Elles livrent aujourd’hui plus facilement leur désir, mais cela est sans doute en partie lié à l’évolution des conditions de la femme »
Gilles Clainchard, psychologue.

Selon Caroline Moulin, la tendance vers plus d’égalité des sexes encourage les filles à s’approprier les codes masculins en matière de sexualité. Laure Stalder tempère en indiquant que cela n’est notable que dans certains quartiers. Quoi qu’il en soit, le contexte actuel modifie la formulation des doutes et autres tourments juvéniles, le matériel à disposition des adolescentes les immerge dans l’ère de l’image prédominante et du tout Internet, « elles pensent y trouver toutes les réponses, c’est un leurre. Voilà ce qui pourrait expliquer qu’elles sont dans l’action et l’expérimentation. Elles essayent avant et réfléchissent après », suppose Laurence Ruas-Texier.

Aujourd’hui, on dit, on parle, on se montre. On peut s’en réjouir quand la lumière est mise sur des sujets graves comme le harcèlement ou les attouchements sexuels, desquels on ne parlait pas avant. Caroline Moulin parle, elle, de déplacement des zones d’intimité, influencé par les médias, la télé-réalité et le web. « Il y a une vraie érotisation du corps ces dernières années, c’est inquiétant », confie-t-elle. Ces nouveaux problèmes liés aux technologies modernes se traduisent par l’apparition de photos et de vidéos de filles dénudées ou ridiculisées, prises par le petit copain ou la bande de copines.

« Ça prend de l’ampleur. Elles se rêvent beaucoup dans le virtuel, elles ne perçoivent pas les conséquences de certaines conduites », signale l’infirmière scolaire. Aïssatou et Marie l’attestent : « N’importe quoi circule sur Facebook ! », même si leur établissement a mis en place un réseau sentinelle. De leur côté, Victoire, Emilie et Thiphaine se méfient : « il faut savoir gérer, ne pas trop s’exposer », précisent-elles. Un déferlement d’images, des verrous qui sautent emportant avec eux interdits, pudeur et intimité, les jeunes filles sont ainsi propulsées dans un tourbillon où il faut tout tester, et l’on est tenté d’y voir la cause de l’augmentation des IVG et des IST. Difficile de savoir.

Ce qu’on sait en revanche c’est qu’elles ont pris le pli d’aller chercher leur pilule du lendemain ou de demander systématiquement un test urinaire de grossesse à l’infirmerie scolaire comme au Planning Familial, où l’on s’inquiète aussi des fausses idées véhiculées : la pilule rend stérile ou provoque des cancers mais elle protège de tout, des grossesses comme du sida ! « Nous faisons du cas par cas, il est donc difficile de faire des généralités », met néanmoins en garde Laure Stalder. Une précaution valable aussi à Bréquigny : « Ce n’est pas ici le reflet de toutes les adolescentes, ces nouvelles donnes ne concernent qu’une minorité ».

12-16 ANS, CONFUSIONS ET TUMULTES

Dans le cadre de son travail auprès du service de pédiatrie de l’hôpital Sud, Emmanuelle Borgnis-Desbordes s’alarme de noter l’augmentation des pubertés précoces et l’explique ainsi :

« La question sexuelle n’étant plus tabou, on en parle ouvertement et partout, les petites filles savent très tôt tout sur le sujet. Elles sont donc prématurément confrontées à l’anxiété que cela implique chez elle ».

Parallèlement, la période la plus critique se déroule au collège. Une étape particulièrement sensible où les adolescentes sont en recherche de conformité. « Pour être accepté, il faut s’adapter au groupe », raconte Aïssatou. « C’est surtout vrai au collège, entre filles y’a de la concurrence et les critiques sont peut-être plus féminines. Au lycée on est plus libre, plus mature », renchérit Marie. La confusion peut alors être forte chez les plus jeunes et les plus fragiles tiraillées entre le besoin irrépressible de se démarquer de leur enfance et de leurs parents et l’envie farouche d’être comme leurs copines.

« C’est ce que Freud a décrit dans l’identification hystérique : l’histoire se situe dans un couvent où l’une des pensionnaires reçoit une lettre de rupture de son fiancé, alors toutes ses camarades sont prises de malaises, elles incorporent la souffrance de l’autre », rapporte Laurence Ruas-Texier. Ce souci de conformité s’accentue aujourd’hui avec la projection des jeunes filles sur les icônes modernes, lesquelles ne sont pas toujours de bons exemples… « Les filles composent avec de grands modèles orientés vers l’écoute inquiète du corps : celle de grossir, celle de vieillir, ce qui est très prématuré à l’adolescence ! », s’inquiète Caroline Moulin.

Rien de tel pour voir surgir de nouveaux troubles : scarifications et mutilations, phobie scolaire voire agoraphobie et rupture sociale, addictions aux substances alcooliques, tabagiques, chimiques, médicamenteuses (neuroleptiques, amphétamines). « Il y a augmentation et banalisation de ce type de conduites, comme les attaques contre le corps. On voit aussi de plus en plus d’adolescentes qui ne sortent plus de chez elles, cela s’est beaucoup développé chez les plus fragiles, les réseaux sociaux et les jeux vidéos étant un moyen de ne plus se confronter au monde extérieur, à la réalité », observe Gilles Clainchard.

L’archétype de la minceur a une incidence forte, il joue comme une injonction sur les jeunes filles. « L’inflation des troubles de l’oralité, des démarrages d’anorexie est alarmant. On le perçoit avec la volonté d’atteindre le fameux thigh gap, cet espace irréel entre les cuisses ! Ca débute par des restrictions alimentaires drastiques et la bascule dans l’anorexie est rapide », note Emmanuelle Borgnis-Desbordes. Dans cette détermination ferme et obsessionnelle de se ressembler et d’être mince, le groupe n’est pas innocent. Pourtant, il est une nécessité incontournable.

LA PASSION ADOLESCENTE ET LES LIAISONS EXCESSIVES

Il est rare de les voir autrement qu’en bande. Et quand elles se quittent enfin, elles s’appellent, s’envoient sms, snapchat, se croisent sur FB… Inséparables, à la vie à la mort, unies dans une amitié fusionnelle. Cette attitude agace souvent leurs parents, il est pourtant fondateur et essentiel. « Elles ont grand besoin des amitiés exclusives. Le phénomène de bande est nécessaire car la puberté favorise l’isolement, ce qui n’est pas structurant, le groupe, lui, permet de se sentir exister », explique Emmanuelle Borgnis-Desbordes.

Si cela a toujours existé, cet état de fait s’est sans doute amplifié ses dernières années, notamment via Facebook, avec parfois un effet pervers : « C’est bien, on a un tas d’amis, le revers de la médaille c’est que c’est « l’œil de Moscou », « Big Brother » et la dimension de confidence s’est perdue, les filles savent qu’en se confiant elles prennent le risque de voir leur propos exposés, leurs secrets révélés », note Laurence Ruas-Texier. De ces relations surinvesties naissent parfois des blessures profondément bouleversantes comme le rappelle Gilles Clainchard :

« C’est le temps des passions et pour les plus fragiles une rupture amicale peut être aussi douloureuse qu’une séparation amoureuse. C’est aussi une période d’incertitude et d’insécurité affectives, lesquelles se dévoilent dans la manière dont on vit ses relations. Certaines jeunes filles ne comprennent pas pourquoi elles réagissent aussi fortement à une rupture. Cela peut être révélateur de fragilités antérieures, comme la peur de perdre l’autre, qu’il nous échappe ».

ET SI LES PARENTS ÉTAIENT TROP INQUIETS ET INTRUSIFS ?

Sous la pression de la société et de la réalité économique, les parents sont angoissés pour leurs adolescentes dans la vie desquelles ils s’immiscent. « On les voit beaucoup plus en consultation. Ils sont démunis, en perte de repères », note Gilles Clainchard, lequel explique que, justement, l’arrivée de la sexualité dans la vie de l’adolescente est un processus de distanciation, que cela relève de l’ordre de l’intime, que le parent ne doit donc pas trop en dire ou trop poser de questions, au risque sinon d’être intrusif.

L’autre attitude extrême de ne rien vouloir formuler, de ne rien vouloir savoir, n’est pas bonne non plus. « Ces deux postures sont une façon de nier la différenciation, une façon de garder l’autre, en l’occurrence son enfant », précise-t-il. Pour Laurence Ruas-Texier, le problème de notre monde actuel est de croire, une fois un problème identifié ou un trouble repéré, qu’il y a un remède, une méthode, un médicament, qui va tout résoudre. « Et l’on voit de plus en plus de parents venir se soulager du trop de pression des institutions. Oui, l’adolescence est une période d’instabilité, et c’est énervant pour les parents, mais l’important est de ne pas rompre le lien », ponctue la psychanalyste.

Cette ère du « il faut tout dire » n’est donc pas bonne, on ne peut pas tout dire, tout partager. Or, leur inquiétude pousse les parents à être trop envahissants. « Les adolescentes que je vois se plaignent de cette intrusion. C’est d’autant plus vrai qu’elles se construisent avec une butée, en se confrontant à une limite symbolique, quelque chose de pas dit, par exemple, permet de s’inventer sa propre vie via son propre imaginaire », déclare Emmanuelle Borgnis-Desbordes. C’est aux adultes d’accepter de ne pas tout comprendre et de tout maîtriser, que leurs filles n’aient pas les mêmes envies, les mêmes avis, les mêmes goûts, les mêmes réactions qu’eux, sans croire qu’il s’agit là de pure provocation.

C’est l’histoire d’un conflit de générations. Une histoire sempiternelle. Les adolescentes d’aujourd’hui font comme elles peuvent avec ce qu’elles ont, ce qu’on leur offre, et souvent, elles font bien.

Isabelle Marchand et Anne-Sophie Joly, psychologues cliniciennes, assurent les permanences, gratuites et accessibles à tous parents sur rendez-vous, auprès du service Parents Ensemble (prochainement rebaptisé Service Parentalité), en collaboration avec l’UDAF 35, depuis 2003 et 2004.

Pourquoi avoir créé ce service ?

Anne-Sophie Joly : Pour un lieu neutre, d’accès, en dehors des réseaux libéraux et sociaux. Pour un lieu de ressources, de rencontres, de paroles, de questions.

Isabelle Marchand : Tout comme « être parent, c’est toute une aventure », « parent, ce n’est pas évident » ! Ici, l’objectif est de proposer quelque chose aux parents car la transmission, ce n’est pas si simple et à laisser croire que c’était simple on a culpabilisé les parents en difficulté.

Les difficultés éprouvées par les parents avec les adolescents sont-elles genrées ?

ASJ : Au moment de la rencontre, on prend en compte la question du parent et non du sexe de son enfant. Récemment on a ajouté le critère « Pour qui ? », à savoir s’il s’agit du fils ainé, de la fille ainée, etc. Mais nous n’avons rien de chiffré encore.

IM : Déjà, on peut dire que dans les cas de troubles, comme l’anorexie chez les jeunes filles par exemple, les parents s’adressent souvent à des professionnels du monde médical. Ils viennent en complément pour inscrire cela dans la durée, repérer le sens à ce trouble. Sinon je repense à des cas récents d’extrémisme, de fanatisme sur les réseaux sociaux…

ASJ : De sexualité aussi sur Internet. De ce que les jeunes filles donnent à montrer de leurs corps. Mais encore une fois, ce n’est pas chiffré, c’est une impression.

IM : J’ai aussi la sensation qu’il y a plus de filles entre filles. Ça va faire scout mais avant on pouvait partir avec son duvet chez les copains, en mixité (Rires). Maintenant, je trouve que c’est plus une bande de filles d’un côté et d’un autre une bande de garçons. Il y a peut-être l’enjeu de la sexualisation des relations garçons/filles.

ASJ : On note aussi l’évolution de la question vestimentaire. On expose davantage son corps. Avant, on masquait avec des vêtements amples au moment où le corps se transforme. Mais cela va avec les modèles que l’on propose dans la société, dans les médias. Il y a moins la fonction protectrice du vêtement, il vient sexualiser le corps de la femme. Enfin, c’est une hypothèse…

IM : Avec l’éducation des filles, la mise en valeur du corps, on accélère le cheminement de la jeune fille vers la jeune femme mais il n’y a pas de modifications de la maturité affective. Il y a donc un décalage.

Un décalage entre les générations aussi ?

ASJ : Les parents ont de nouveaux défis avec la question d’Internet, des réseaux sociaux, du corps. Sans oublier la pression scolaire qui est hyper forte ! Les outils sont encore peu connus, pas bien maitrisés. Et les parents n’ont pas forcément tous les repères.

IM : Et sur la question de la sexualité notamment, on voit une interprétation libre selon chaque parent. Le couple, aujourd’hui, arrive très tôt, 14 ou 15 ans et on demande à ce que le copain ou la copine vienne dormir à la maison. Certains refusent, d’autres préfèrent que cela se passe chez les parents de l’autre, ou chez eux, plutôt qu’à l’extérieur…

ASJ : On est de plus en plus dans le fait de protéger l’enfant de l’extérieur.

IM : Avec l’après Dolto, qui explique que l’enfant est une personne (et une petite personne, il faut préciser), on a eu la revendication des parents à ce que l’enfant devienne autonome. Et on finit par se dire « Dépêche toi de grandir ! ». Et plus le parent sera dans le « Débrouille toi », plus il y aura vertiges pour l’enfant. Là, il peut partir loin dans la provocation, pour faire réagir.

Les inquiétudes parentales peuvent-elles être genrées ? Avec l’implication des pères, dont on commence à parler, peut-être sont-ils plus nombreux à oser faire part de leurs difficultés ?

ASJ : L’an dernier, nous avions environ 30% de papas, venant seuls ou en couple. Et la part des pères ne cesse d’augmenter. Ils se saisissent de plus en plus de la question, et certainement qu’aujourd’hui, on leur fait plus de place aussi dans ce rôle là.

IM : Par contre, en entretien individuel, c’est toujours plus compliqué pour le papa de se libérer…  

ASJ : On remarque que sur les questions de sexe, il y a toujours ce réflexe de renvoyer la jeune fille vers sa mère et le jeune homme vers son père. Alors que ce qui est important, c’est justement la complémentarité et l’offre de faire différemment entre les individus participant à l’éducation de l’enfant. Ce qui est intéressant, c’est la pluralité des modèles, des valeurs, des façons de faire, les décalages de réaction… C’est ça la richesse finalement !

IM : Ce n’est pas une question de genre, en effet. Le parent doit être connecté avec qui il est, c’est ça l’important. Il doit maintenir son regard du côté de la curiosité. Il doit être chercheur de ce qu’est son enfant. Mais aussi de ce qu’il est lui-même.

ASJ : Être parent, ce n’est pas un métier, ça se tricote. Au fur et à mesure, en fonction des enfants que l’on a, qui évoluent et se transforment, tout comme l’adulte. Il n’y a pas de mode d’emploi, ce n’est pas figé pour nous, ni pour les enfants et tout sera différent avec chaque enfant, que ce soit le premier, deuxième, etc. J’ai des jumeaux et je vis une histoire différente avec les deux.

Quand on parle de parent chercheur, à quoi fait-on référence précisément ?

IM : Le parent doit être du côté de la bricole, du sur mesure, du dosage, de la complexité (ce qui n’interdit pas la contradiction). Tout en s’inscrivant dans un projet, un discours en fonction de ce que l’on veut pour l’enfant. Et de ce qu’il veut lui, car il sait dire ce qu’il veut. Ici, c’est un espace pour parler et pour penser sa place de parent. L’adulte doit être là, accompagner l’enfant dans ce qu’il a à vivre, améliorer leurs conditions de vie quand il peut, ne pas le laisser seul dans les expériences de la vie…

ASJ : Mais bien être conscient que ce sont ses expériences à lui.

IM : On ne choisit pas comment vont se présenter les épreuves de la vie. Chaque individu est différent, il faut savoir se laisser surprendre aussi. Même si on voudrait tout savoir à l’avance. (Rires)

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Adolescentes d'aujourd'hui, femmes de demain
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Être parent : du tricotage, du sur-mesure, de la complexité...

Célian Ramis

Nathalie Appéré, "le cap et la boussole" vers l'égalité des sexes ?

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Un an de mandat pour Nathalie Appéré, première femme maire de Rennes. L’occasion de faire le bilan et d’évoquer les actions et priorités pour les années à venir en matière d’égalité femmes-hommes.
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Le 30 mars 2014, Nathalie Appéré devient la première femme à accéder au poste de maire de Rennes. Un an de mandat – le conseil municipal a été constitué le 4 avril 2014 - l’occasion de faire le bilan et d’évoquer les actions et priorités pour les années à venir en matière d’égalité femmes-hommes.

YEGG : Avec du recul, comment avez-vous vécu la campagne électorale, en tant que femme, quand on sait que 13,9% seulement des maires de France étaient des femmes ?

Nathalie Appéré : Je ne l’ai jamais vécu comme un obstacle. En 2001, quand j’étais adjointe d’Edmond Hervé, il y avait un contexte de parité nouvelle dans les équipes municipales, et où à l’échelon local qui est le notre, il y avait à la fois 50% de femmes élues mais aussi la volonté d’aller plus loin avec déjà des exécutifs paritaires. Les évolutions naturelles sont à ce point lentes qu’il faut à un moment donné que des lois et des dispositifs s’attaquent véritablement à cette question de la parité en politique. Je dois dire que j’en ai peut-être bénéficié.

Alors après comment est-ce que l’on franchit d’autres marches dans la prise de responsabilités ? C’est peut-être sans doute plus par son propre travail et la capacité à convaincre mais s’agissant particulièrement de la campagne municipale, je n’ai pas eu l’impression que pour être désignée par les militants du Parti, le fait d’avoir été une femme ait été un obstacle. Parce que justement il y a une telle identité à la ville de Rennes et sur le territoire rennais, et une telle affirmation de l’égalité femmes-hommes comme un enjeu politique, que ça fait parti des choses totalement intégrées.

Lorsque nous vous interrogions en janvier 2014 sur la parité en politique et dans les instances politiques, vous disiez être un produit de la parité. N’est-ce pas jouer le jeu de l’égalité déjà acquise, qu’on sait dangereux ?

Je n’ai pas changé d’avis (Rires). J’évoquais là strictement et uniquement la question de la place des femmes dans les équipes municipales. Ce qui ne veut absolument pas dire que l’égalité est déjà acquise. Il n’y a jamais d’acquis, il y a un combat permanent, et moi je situe ce combat pour l’égalité femmes-hommes dans un combat pour l’égalité. Le combat féministe se situe dans cette démarche progressiste en faveur de l’égalité en général.

Au delà de la question du sexe…

C’est une question dans une action politique qui revendique que le cap et la boussole soient en permanence l’égalité.

Vous évoluez au niveau municipal mais aussi national, à l’Assemblée nationale, en tant que députée. En tant que femme, s’imposer sur le terrain rennais, dans la salle du conseil municipal et dans l’hémicycle, c’est le même combat ? Se positionne-t-on de la même manière ?

Non, je pense que les choses sont assez différentes effectivement. D’abord parce que numériquement les rapports hommes-femmes ne sont pas les mêmes dans un conseil municipal ou à l’Assemblée nationale. Parce que l’Assemblée nationale a ses codes, ses modes de fonctionnement et c’est sans doute moi les premières fois que j’ai ressenti ce que pouvait être le machisme, que je n’avais pas forcément vécu à Rennes.

Les anecdotes sont connues : la robe de Cécile Duflot (juillet 2012), le caquètement de Philippe Le Ray, député du Morbihan, quand Véronique Massonneau s’exprime (octobre 2013)… Et puis ce moment particulier que sont les questions au gouvernement où l’on n’est pas à l’abri des décharges de testostérone et d’un rapport ancien et viril à la question politique. Je ne ressens pas du tout ça dans un conseil municipal où aujourd’hui j’ai le sentiment, mais peut-être à tort, que l’autorité nécessaire à la fonction de maire n’est pas une question de genre.

Pendant la campagne, chaque candidat évoquait une femme à l’urbanisme et un homme à l’éducation. Un exemple récurrent quand on aborde les évolutions en terme d’égalité des sexes. Le 4 avril dernier, vous avez nommé un homme à l’urbanisme et une femme à l’éducation. Est-ce qu’on aurait pu faire bouger les lignes à ce moment-là ?

Ça n’a rien d’une volonté ! Une femme maire c’est déjà une affirmation en tant que tel. Ensuite dans la composition d’un exécutif paritaire, c’est une adéquation entre les compétences, les envies et les taches à assumer. Je ne lie pas telles ou telles responsabilités au sexe de la personne qui l’occupe, je pense que c’est la même capacité à exercer des fonctions.

Après, c’est un casting, le mot n’est peut-être pas heureux mais en tout cas c’est la volonté de faire en sorte que chacun soit le plus efficace possible là où il est. Ce qui n’a rien à voir avec une quelconque prédisposition liée aux ovaires. Je m’intéresse beaucoup à la question urbaine autant qu’à la question financière, et je ne suis pas sûre qu’il me faille me contraindre au champ social, qui est d’ailleurs une responsabilité assumée par un homme à Rennes.

Au niveau de la ville de Rennes, est-ce qu’un diagnostic local a été réalisé très précisément, comme il en est question dans la loi du 4 août 2014 ? Dans les enjeux sur les égalités femmes-hommes, Rennes et Rennes Métropole souhaitent des statistiques genrées sur chaque thème… Un diagnostic local, public, est-il prévu ?

On s’inscrit dans une continuité d’actions, de convictions et l’objectif d’une nouvelle équipe municipale n’est pas de forcément tout remettre à plat mais de s’appuyer sur ce qui fonctionne pour réinterroger, toujours aller plus loin et être fidèle à ce qui a pu être fait. Il en est de la politique égalité femmes-hommes comme d’un certain nombre de politiques, où des outils sont mis en place depuis les outils de participation - comme les comités consultatifs - depuis des politiques publiques particulières, depuis la labellisation (de l’égalité professionnelle) qui a été l’occasion d’un nouveau diagnostic, de nouvelles priorités d’actions.

Pareil pour la question de l’égalité dans la politique éducative et dans l’accompagnement que ce soit dans le temps périscolaire ou bien dans l’Éducation nationale sur le temps scolaire, sur la question de la lutte contre les clichés : cela a été réaffirmé avec de nouvelles orientations (convention avec l’Académie, signée fin 2014, entre autre ndlr). Mais je ne peux pas dire qu’il y ait eu une mise à plat spécifique et particulière sur ces questions.

Une volonté dans les prochaines années ou faut-il continuer d’évoluer sur chaque champ spécifique ?

Quand je vous dis que moi je situe cette question d’égalité femmes-hommes dans le champ plus global de l’égalité en général, ça veut dire qu’effectivement, toutes nos politiques publiques sont passées au peigne fin sur cette dimension : « En quoi est-ce que l’action publique doit toujours et en tout lieu favoriser l’égalité, l’égalité des chances en particulier ? » Et c’est vrai que ça se décline dans une philosophie et des convictions politiques plus larges.

Après, il y a des outils plus particuliers et les statistiques genrées en font parties, on est encore au balbutiement de ce type d’observations. On le fait par exemple vis-à-vis des  partenaires que l’on subventionne, que ce soit au niveau des partenaires culturels ou associatifs, dans les équipements de quartier, pour voir comment est-ce que les filles et les garçons se retrouvent de la même manière.

On le fait avec les partenaires du monde sportif au sein de l’Office des Sports pour regarder la place des filles dans les activités sportives qui sont proposées sur les quartiers. On le fait, toujours dans le champ du sport, avec nos éducateurs sportifs, pour une diversification des propositions pour que les filles s’y retrouvent. On le fait bien sûr sur ce champ singulier de l’égalité professionnelle. Ça se décline à tous les niveaux…

Discriminations, lutte contre les clichés, contre les violences, égalité professionnelle… Concrètement, comment travaille-t-on sur ces questions à l’échelle d’une ville, puisque tout n’est pas du ressort de la Ville ?

J’emploie souvent cette formule qui est de considérer que la responsabilité d’un maire, c’est à la fois de donner un cap, une orientation, de rappeler des valeurs, de mettre en œuvre un programme. Mais au delà de ce cap à rappeler, c’est de mettre autour de la table les acteurs. Et quand on est dans le champ de l’égalité professionnelle, il va de soi que le travail avec les syndicats, avec les employeurs, est un facteur sur lequel il nous faut agir.

Lorsque l’on parle égalité à l’école, c’est bien dans notre projet éducatif territorial qui implique les associations, les parents, l’Éducation nationale, que les choses peuvent se faire. Quand on travaille sur les clichés filles-garçons dans les crèches, c’est avec les professionnels, mais aussi avec les parents, avec les associations, qu’on y travaille.

Et je pense que notre responsabilité est celle-là, de considérer que notre action ne se limite pas strictement aux services publics municipaux, c’est toute l’histoire des manifestations autour du 8 mars à Rennes, où la ville n’est que d’une certaine manière le facilitateur d’un grand nombre d’initiatives.

En terme de santé, IVG, contraception, etc. on se rend compte aujourd’hui que le public « jeunes filles /jeunes adultes » est très mal informé, très mal orienté. Quel rôle avez-vous à jouer dans l’information, la prévention, de ce public en particulier, mais au delà, de tous les Rennais ?

La Ville est engagée dans un contrat local de santé, ce qui n’est pas une évidence car peu de villes ont contractualisé sur ce champ là, où on peut se dire que ce n’est pas vraiment une compétence municipale. On a une action ancienne en matière de santé, à tous les niveaux, et la prévention des conduites à risques fait partie par exemple des priorités de ce contrat local de santé.

Dans la prévention des conduites à risques, il y a bien sûr ce qui relève du champ des addictions mais peut aussi relever des pratiques sexuelles, des risques particuliers, et là dans le soutien aux associations, je pense à ce que fait le CRIJ, le 4 Bis, sur le volet prévention avec une présence d’animateurs de santé dans les grandes manifestations, voilà un exemple concret de ce qui peut être mené sur le champ de la santé.

On n’est par contre moins dans le champ du soin. Là, le lien se fait que ce soit avec le Conseil général sur le volet prévention publique ou avec le monde de l’hôpital ou de la médecine libérale sur l’organisation des réseaux de soins. Mais quand on soutient des associations comme Liberté couleurs, il y a dans leur action certes une dimension égalité filles-garçons mais il y a aussi des choses très particulières sur la protection, la prévention, l’accès à la contraception…

Et au niveau du Planning familial ? Plusieurs PF en France sont en difficulté et ont du mal à survivre. Quelle est la position de Rennes, qui a des employés dans cette structure, ce qui n’est pas le cas de toutes les autres ?

C’est essentiel qu’on les accompagne à la fois dans leur recherche de lieux de permanence, dans les quartiers, et dans le soutien à l’action qui est la leur.

Je rebondis puisqu’on est dans le champ santé, il y a aussi notre responsabilité en matière de sécurité publique, qui pour moi fait partie de l’action que peut conduire la municipalité en matière d’égalité femmes-hommes. C’est à la fois dans les engagements particuliers en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, le numéro vert, le lien avec le travail social mais aussi avec la justice, la police, le soutien aux associations, le CIDF en particulier.

Puis globalement, j’affirme toujours une politique de sécurité comme étant au service des plus fragiles et quand je mesure ce que vivent particulièrement les femmes, notamment dans le rapport à l’espace public quand il y a une dégradation de la sécurité publique, je me dis que tout ce que nous faisons aussi non seulement en matière de prévention mais y compris pour le renforcement d’une présence de police de proximité, c’est aussi une politique d’égalité femmes-hommes.

Quand je vois les jeunes femmes victimes d’agressions sexuelles, notamment sur fond de soirées festives, je me dis que ça doit être une priorité, je souhaite que nous nous engagions dans la démarche de marches exploratoires sur l’espace public. C’est aussi parce que pour un certain nombre de filles, de femmes, traverser une place en jupe est plus compliqué aujourd’hui s’il n’y a pas cette volonté d’assurer que l’espace public est à chacune et à chacun et qu’il y a à travailler en permanence sur cette question de partage de l’espace public, de la tranquillité et du respect des règles communes.

On va revenir sur les marches exploratoires mais tout d’abord on a l’impression que peu de Rennaises et de Rennais connaissent les actions de la ville de Rennes en matière d’égalité femmes-hommes. Doit-on voir un manque d’intérêt dans ce déficit de communication autour de ces questions ?

On fait mais on a un peu de mal à faire connaitre l’action de la Ville, qui est à tous les niveaux, ce n’est pas propre à l’égalité femmes-hommes. Quand on reçoit Pascale Boistard et que l’on présente tout ce qui est fait, c’est parce que l’on pense que c’est important. Lorsqu’à Rennes, la journée des droits des femmes dure un mois avec une visibilité, un affichage sur l’espace public, c’est aussi parce que l’on pense que c’est important. Dans le Rennais s’il y a régulièrement des articles là dessus c’est parce qu’on pense que c’est important. Maintenant on n’est pas toujours les meilleurs pour faire des belles plaquettes et mieux faire connaître nos actions, mais ce n’est pas spécifique à cette politique publique.

On prend l’exemple du 8 mars, c’est la première fois que la presse était conviée à une conférence de presse pour cet événement, à 2 jours de l’événement…

(Manuel Contin, son directeur adjoint de cabinet, intervient : il y a eu une tradition de conférence de presse pendant des années et des années, mais ce que vous décrivez là c’est aussi le manque d’intérêt de vos confrères sur la question, qui a conduit à ne plus organiser systématiquement de conférence de presse, parce que personne n’y venait. Ce qu’on nous renvoyait c’est : « On ne comprend pas, la journée des femmes c’est le 8 mars mais vous ça dure un mois » et « On ne comprend pas qui fait quoi, parce que c’est un mouvement associatif »… On a beaucoup de mal à intéresser les journalistes locaux à ces problématiques là. Et c’est valable sur l’ensemble du champ de la solidarité.)

Pour avoir été première adjointe en charge de la solidarité, je vois bien comment lorsqu’on cherchait à faire connaître ce qu’on faisait, on avait beaucoup de mal à faire venir du monde. On a plus facilement des gens dès qu’il s’agit de présenter une opération urbaine.

Et pourtant : Rennes, ville numéro 1 de l’égalité femmes-hommes, c’est le classement du média national Les Nouvelles News, en mars 2015. 12 réponses sur 50, Rennes est en tête de classement mais…

Et les premiers à répondre ! ça veut bien dire qu’il y a une mobilisation particulière !

Mais on se demande s’il faut se réjouir ou s’il faut s’inquiéter pour le reste de l’Hexagone…

Je fais partie de ceux qui sont résolument optimistes et qui voient toujours le fait que ça progresse. Je pense qu’en étant exemplaire, en communiquant sur le fait que l’on est exemplaire, en montrant comment une ville a des leviers, pas tous les leviers mais des leviers, en participant aux colloques, en étant présents dans les associations d’élu-e-s, en étant présent dans l’association des maires des grandes villes - où on n’est pas beaucoup de femmes - c’est aussi une manière de sensibiliser, d’amener à réfléchir. On est investis dans des réseaux et plutôt que de décrier ce qui n’est pas fait ailleurs, je préfère avoir la fierté de ce qu’on fait et penser que ça peut aussi servir d’aiguillon ou d’inspiration.

Encore une fois, là dessus, il n’y a pas eu grande communication…

Si à chaque fois qu’on était bien placé dans un classement, on faisait un communiqué de presse, les colonnes de vos journaux seraient envahies de nos communiqués de presse (Rires). Mais j’ai relayé l’information sur mon compte Twitter, sur les réseaux sociaux.

(Manuel Contin : c’est un média aussi qui fait le palmarès, c’est toujours délicat de communiquer là dessus auprès des autres médias. Mais l’information a été envoyée aux journalistes locaux, personne n’a traité le sujet.)

Que pensez des propos d’Isabelle Germain, rédactrice en chef des Nouvelles News, pendant le colloque, qui explique : « à Rennes, les associations font plus pression sur les politiques pour ces sujets. » ?

Je pense qu’il y a un tissu associatif plus développé qu’ailleurs et qu’il y a une pratique du dialogue ancien entre les associations et les élu-e-s. Que si elles font pression, c’est tant mieux et c’est leur rôle. Je pense aussi qu’elles font pression mais qu’elles trouvent en nous des interlocuteurs et interlocutrices attentifs et attentives, et qu’il n’y a peut-être pas besoin de trop de pression pour que l’on chemine et que l’on avance ensemble.

Dans les points positifs du classement, il y avait le budget. À combien s’élève-t-il précisément ?

On est incapable de le dire. Il y a effectivement ce qui relève des crédits d’intervention de la mission Droits des femmes et où on va trouver le soutien aux associations, où on va trouver le budget des manifestations du 8 mars, où on va trouver le financement du poste d’assistante sociale au poste de police… Par définition, comme c’est une politique transversale, on ne trouvera pas dans le budget ce qui est fait dans le cadre du périscolaire, sur la lutte contre les clichés, le déterminisme garçons-filles, l’action qui est menée dans les crèches, sur la communication autour de ces questions.

Je ne suis même pas sûre que la marche exploratoire que l’on va mener soit identifiée dans le budget. Donc on n’a pas, objectivement, cette clé de lecture là. Il y en a d’autres des clés de lecture mais celle là n’existe pas dans le budget municipal. Je ne voudrais pas que l’on résume cela en tout cas aux crédits de soutien aux associations. Parce que l’égalité professionnelle, la volonté de promouvoir les femmes à tous les postes de responsabilité ou la garantie de salaires égaux à compétences égales, par exemple, ça ne se chiffre pas.

Dans le questionnaire que vous avez rempli, il y a un chiffre de 85 091 euros…

Ce sont les crédits d’intervention. Uniquement les crédits d’intervention. Mais c’est très en deca de tout ce qui est fait.

On parlait des marches exploratoires, spécifiquement pour les femmes. On en parle depuis très longtemps, au Québec, c’est une pratique courante depuis plus de 20 ans, une conférence organisée par Questions d’égalité avait abordé le sujet en 2012, Najat Vallaud-Belkacem en parlait aussi juste avant de quitter ses fonctions de ministre aux Droits des femmes. Pourquoi attendre si longtemps pour mettre cette marche en place ? Car à Rennes, des marches exploratoires existent déjà…

Oui, les marches existent. On a eu des marches dans les quartiers sur la dimension nocturne par exemple et temps de la ville, ce qui était l’occasion de relever des questions spécifiques pour les femmes. On travaille à des marches exploratoires dans les quartiers pour parler sécurité, éclairage public, capacité des uns et des autres à se sentir bien sur l’espace public.

On parle sans vouloir, et ce ne sera jamais ma tentation, résumer la femme à la mère de famille, n’empêche que c’est plus fréquemment elles qui poussent les poussettes et quand on parle accessibilité, on parle aussi de cette question de l’égalité. C’est vrai que l’on n’avait pas jusqu’alors mis en place de marche exploratoire avec cet unique objet, on va voir comment ça prend. On va expérimenter, en lien avec le ministère des Droits des femmes, ce type de démarche.

Est-ce que vous avez une date ? Puisque ça fait presque un an que l’on nous dit que ça va bientôt arriver…

Non. Il y a peut-être déjà une date mais je n’en ai pas connaissance.

(Manuel Contin : il y a des échanges actuellement avec le ministère. On avait évoqué le premier semestre. Il y a des échanges depuis l’automne en tout cas.)

On termine sur les priorités de demain. Vous avez parlez dans le courrier envoyé à Isabelle Germain, à l’occasion du colloque, d’un « discours anti-féministe auquel on assiste aujourd’hui ». Quelles priorités pour demain, pour justement combattre ce discours anti-féministe ?

Dans un contexte où l’on sait que les choses sont fragiles, en particulier sur cette question du droit des femmes, je n’oublie pas avoir manifesté, ici, place de la Mairie, pour réaffirmer le droit des femmes à disposer de leur corps, en solidarité aux femmes espagnoles mais aussi parce que des leaders de la droite locale déposaient à l’Assemblée nationale des amendements pour le déremboursement de l’IVG. Ils voulaient réintroduire la notion d’IVG de confort. Et ça je considère que ces batailles idéologiques là, il faut les mener, par exemple.

On ne peut pas faire abstraction d’un contexte politique général qui peut être celui d’une défiance vis-à-vis des valeurs républicaines ou de la progression de toutes les idéologies rétrogrades, celles du Front National avec quelques fois des limites qui ne sont pas très claires entre la droite dite classique, même si je ne mets pas tout le monde dans le même panier, et le Front National. Et vraiment sur cette question du droit des femmes, sur la place des femmes, on a vite fait de lire une démarche politique.

Merci beaucoup.

Merci à vous.

Célian Ramis

Mythos 2015 : Emmanuelle Hiron brise le tabou de la vieillesse

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L'Aire Libre, St-Jacques-de-la-Lande
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Du 8 au 10 avril, Emmanuelle Hiron a présenté sa nouvelle création, Les résidents, à L’Aire Libre. Un théâtre documentaire qui a l'art d'interroger notre rapport à la vieillesse.
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Pendant trois jours – du 8 au 10 avril – la comédienne Emmanuelle Hiron a présenté sa nouvelle création, Les résidents, au théâtre L’Aire Libre, à St-Jacques-de-la-Lande. Un théâtre documentaire sur les résidents de l’EHPAD de Vezin-le-Coquet, et plus largement, sur le tabou de la vieillesse.

Pendant un peu plus d’une heure, Emmanuelle Hiron est seule sur scène. Elle interprète un monologue philosophique sur la place des personnes âgées dans notre société. Une société pleine de gêne et de rejet face à ses vieux. Derrière elle, un écran sur lequel on découvre les images qu’elle a pu filmer dans l’EHPAD (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de Vezin-le-Coquet, là où elle a suivi une gériatre, Laure Jouatel, dans son travail quotidien auprès des résidents.

Le monologue et la projection vidéo se répondent et se complètent, en alternance. Emmanuelle Hiron, dans ce travail de création élaboré avec la compagnie L’Unijambiste, s’appuie sur ce qu’elle a vu, vécu, entendu et ressenti pendant une année à l’EHPAD. Que ce soit au contact des résidents, des familles et de son amie gériatre. À travers cela, elle bâti sa réflexion et surtout son questionnement autour de ces personnes, atteintes de démence, que l’on place dans des maisons de retraite et que l’on tait de nos vies et de nos esprits. Comment expliquer et comprendre le rejet de la société, qui finit par en faire un tabou alors qu’il est de notre lot commun de vieillir ?

Le rapport à la mort est omniprésent dans la pièce Les résidents, tout comme le rapport à la vie. La comédienne, interpelée par la redondance de la question de la « qualité de vie », pose à son tour le sujet sur la table. Que signifie cette qualité de vie ? De quoi parle-t-on quand on aborde la fin de vie ? Peut-on parler de qualité de vie quand on sait que la meilleure option est de faire rester la personne âgée à domicile ?

OBJECTIF ATTEINT

Que l’on adhère ou non à son discours, qui peut s’apparenter parfois à une leçon de morale, elle atteint son objectif : nos esprits s’animent au rythme des interrogations soulevées dans le spectacle et l’envie d’en débattre se fait sentir. La prise de conscience est immédiate, prend pour certains la forme d’un électrochoc et pour d’autres d’une piqure de rappel.

Au fil du spectacle, l’artiste nous place en déroute. Entre son franc-parler et son expression neutre sur le visage, on cherche sa position sur le sujet. Peut-être une manière de ne pas chercher la notre. « Tout le monde a un avis sur la question », affirme-t-elle dès le début. Toutefois, tout le monde n’explique pas ce rejet, ce silence, face à celles et ceux qui deviennent les « boulets » de la société, qui préfère toujours garder en tête l’image de la jeunesse et de la beauté, qui vont de pair.

Culpabilité, responsabilité, rejet, fin de vie, qualité de vie… Les thématiques abordées sont lourdes de sens et Emmanuelle Hiron a la force de ne pas s’en priver, de ne pas se censurer. Elle témoigne ici, en faisant parler son amie gériatre dans sa propre bouche, de son ressenti, de son vécu et de son engagement. Elle replace les résidents, grâce aux extraits vidéos du documentaire, à la fois touchants et (trop) bienveillants, au centre de sa création mais aussi au centre du débat. On ne parle pas de soins, de prises en charge médicales, mais de volontés, désirs et besoins des personnes âgées, parfois, et souvent, aliénées par la démence.

Célian Ramis

Mythos 2015 : Procès rennais d'un Hamlet "borderline"

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Salle de la Cité, Rennes
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La salle de la Cité s'est transformée en tribunal avec un spectacle qui nous transporte dans une affaire judiciaire rennaise, entre quartiers populaires et histoires de familles malsaines.
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Le jeudi 9 avril se tenait à la salle de La Cité, dans le cadre du festival Mythos à Rennes, le premier d’une série de trois vrai-faux procès inspirés du classique de Shakespeare, Hamlet. Conçu par l’artiste néerlandais Yan Duyvendak et le metteur en scène catalan Roger Bernat, « Please, continue (Hamlet) », ne nous transporte cependant pas au royaume du Danemark mais bien dans une affaire judiciaire rennaise, entre quartiers populaires et histoires de familles malsaines.  

En arrivant salle de La Cité, on demande aux personnes du public de soigneusement noter leurs noms et âge sur une liste, avant de fournir à chacun, un carnet et un stylo, en leur précisant de bien vouloir prendre des notes pendant la séance. Le public s’installe silencieusement dans les gradins.

La situation semble assez sérieuse et plus encore quand la présidente, nous annonce les règles à suivre. Les spectateurs ne bronchent pas, il faut dire que chaque représentation voit la collaboration de membres du Barreau de la ville concernée, pour accompagner les acteurs : un président, un avocat général, un avocat de la défense, une avocate pour la partie civile et un huissier ainsi qu’un expert-psychiatre.

La pièce est jouée sans répétitions, les professionnels et acteurs n’ayant pour seules indications que les différents rapports et procès-verbaux composant le dossier d’instruction traduit et modifié en fonction de chaque pays, il est ainsi de leur fait d’interpréter leur personnage et d’adapter leur discours à leur bon vouloir. Chaque représentation est unique : « le déroulement du procès et son issue sont inconnus du public mais de nous également » précise Yan Duyvendak à l’assemblée.

Font ainsi face au public un Hamlet instable et immature voire « borderline » selon l’experte-psychiatre, une Gertrude vulgaire et au franc-parler qui fait pouffer le public et une Ophélie mal-à-l’aise et naïve. Lors d’une soirée arrosée et agrémentée de quelques « joints » selon Ophélie, qui célébrait le récent mariage de Gertrude (mère d’Hamlet) avec Claudius, oncle paternel d’Hamlet, une dispute éclate entre la mère et le fils. Polonius, père d’Ophélie, qui s’était caché derrière le rideau de la chambre, prend, en plein cœur un coup de couteau à cran d’arrêt par un Hamlet qui croyait s’en prendre à un rat.

« Ce n’est pas un homicide, c’est un raticide ! »

Accusé et témoins vont tour à tour passer à la barre sous les questions des différentes parties et avocats. Rapport d’autopsie et de dératisation, photos ou évaluation psychiatrique à l’appui, les avocats essayent de convaincre le public et peut-être les membres du futur jury, de l’innocence ou de la culpabilité d’Hamlet.

Vient le moment des plaidoiries, situation où la limite entre les métiers d’avocat et d’acteur semble presque inexistante : à coups d’envolées lyriques, de grands gestes, d’exclamations et d’une bonne dose de rhétorique, les professionnels rennais concluent les trois premières heures de ce procès qui tend vers la bouffonnerie tragique. Il est temps, quelques personnes ont déjà quitté la salle, d’autres croquent dans leur sandwich ou piquent du nez quand la présidente appelle les huit jurés tirés au sort.

Huit ans d’emprisonnement

Après un entracte de vingt minutes pendant lesquelles le tout frais jury a délibéré, la sentence tombe pour l’accusé devant un public quelque peu choqué : huit ans d’emprisonnement requis. A priori le public n’a pas cru à l’histoire du rat. Ce soir-là sera donc une nouvelle sentence pour le personnage de Shakespeare, qui dans neuf pays et sur plus de 120 procès n’aura été acquitté qu’une cinquantaine de fois. Le verdict est comme à chaque fois unique, la plaidoirie des avocats ou le jeu des nouveaux acteurs sauveront peut-être la prochaine fois, un Hamlet dont le procès n’en finit pas.

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