Célian Ramis

Sciences : Laboratoire des inégalités ?

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Rennes
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Les filières scientifiques sont-elles encore réservées aux hommes ? Quelles difficultés demeurent dans ce secteur pour les filles/femmes ? Enquête auprès de celles qui prouvent que la parité n'est pas une inconnue.
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Le 10 décembre se tient la journée « Filles et maths, une équation lumineuse ». Elle vise à encourager les jeunes filles à s’orienter vers des études scientifiques, à intégrer des écoles d’ingénieur… Car elles y sont encore trop peu nombreuses. À Rennes, pour la 3e édition, l’École Normale Supérieure, l’Institut National des Sciences Appliquées, l’École Nationale de la Statistique et de l’Analyse de l’Information, les universités Rennes 1 et Rennes 2, le rectorat et l’Office National d’Information sur les Enseignements et les Professions, reçoivent 80 lycéennes venues de Saint-Malo, Combourg et Saint-Brieuc.

L’occasion pour YEGG de s’interroger sur l’absence des filles dans ses filières et sur la place des femmes dans les sciences. Un état des lieux consternant. Si on note un frémissement quant à la prise de conscience sur ce manque cruel de filles dans ces cursus et du besoin de plus de mixité dans les écoles et les entreprises, les mentalités n’évoluent que trop lentement, les stéréotypes de genres persistent et le conditionnement des enfants génère toujours trop d’inégalités.

Connaissez-vous Stephanie Kwolek, Lise Meitner, Françoise Barré-Sinoussi, pour ne citer qu’elles. La première a inventé le Kevlar, fibre textile synthétique très résistante. La seconde a découvert la fission nucléaire, pour laquelle son collègue Otto Hahn a reçu le Prix Nobel en 1944. La troisième a été co-lauréate du Prix Nobel de Médecine en 2008, mais on a oublié son nom, ne retenant que celui de son confrère avec lequel elle a isolé le virus du Sida, Luc Montagnier.

Des découvertes essentielles pour l’humanité, des femmes brillantes, totalement ignorées. Aujourd’hui encore, quand une scientifique publie l’objet de ses travaux d’études, on lui conseille de co-signer avec un homme afin d’apporter du crédit à ses propos, ou on remet ses recherches en cause.

Quand ce ne sont pas leurs compétences, c’est leur physique ou leur caractère soi-disant spécifique à leur sexe qu’on attaque.

Le prix Nobel de médecine, Timothy Hunt, a ainsi déclaré cet automne : « Laissez-moi vous dire ce qui se passe quand elles arrivent dans les labos, vous tombez amoureux, ou alors elles tombent amoureuses de vous, et si jamais vous leur faites une critique, elles se mettent à pleurer ». Dévalorisées et dissuadées de suivre des carrières scientifiques, les filles en sont arrivées à s’auto-persuader de leur incapacité à faire des sciences.

ESPRIT CONDITIONNÉS ET STÉRÉOTYPES PERSISTANTS

De la même façon qu’on dit encore aux petits garçons qu’ils doivent être forts et aimer le foot, on dit aux petites filles qu’il n’est pas grave et même normal qu’elles ne soient pas bonnes en maths. « Au lycée, oui, les profs peuvent encore dire cela, c’est pesant ! Même si ce n’est ni conscient ni malveillant », assure Andréa, 19 ans, en 3e année de Génie Maths à l’INSA (Institut National des Sciences Appliquées, situé sur le campus de Beaulieu). Nous en sommes encore là.

Rozenn Texier-Picard, mathématicienne, maître de conférence, vice-présidente de l’ENS (École Normale Supérieure) de Rennes, chargée de la parité et de la diversité, s’appuie sur l’étude La menace du stéréotype pour démontrer le phénomène :

« C’est un test neuro-scientifique classique réalisé auprès d’élèves de 6e et 5e séparés en deux groupes mixtes. On leur demande d’observer une figure géométrique complexe pendant une minute, puis de la reproduire, individuellement. À l’un des groupes on dit qu’il s’agit d’un exercice de dessin, à l’autre d’un exercice de géométrie. Dans le premier groupe, les filles réussissent mieux. Ce sont des résultats probants et troublants. Les clichés sont si présents qu’ils nuisent aux performances des filles ! ».

Plus tard encore, on continue de les stigmatiser, comme le raconte Anne-Marie Kermarrec, ancienne directrice de recherche à l’INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), fondatrice de la startup Mediego :

« J’ai vu beaucoup de lettres de recommandations dans lesquelles il est écrit « gentille » pour les étudiantes et « brillant » pour les étudiants ».

Un déterminisme social et éducatif fort instauré dès l’enfance qui perdure donc.

« Il faut former les instituteurs et les enseignants et faire en sorte que les gens de l’enseignement supérieur aillent plus encore à la rencontre des plus jeunes. Mais les filles sont aussi formatées par leur entourage familial et amical… En outre, le combat contre les préjugés se fait des deux côtés et en même temps : dire aux filles qu’elles peuvent conduire un camion et aux garçons qu’ils peuvent avoir peur et pleurer ! », affirme Marie Babel, maître de conférence à l’INSA.

Prises au piège dès l’enfance, les femmes se laissent donc convaincre et finissent par s’interdire d’envisager des études scientifiques.

LES FILLES S’AUTOCENSURENT

Déjà en 1990, la sociologue Marie Duru-Bellat racontait - dans son ouvrage L’Ecole et les filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ? - comment le conditionnement pèse sur leur manque d’ambition et leur autocensure. Même arrivées à un haut niveau, elles continuent d’éprouver ce sentiment d’incertitude :

« Ça m’a touchée, à 35 ans ! J’ai alors pris conscience que j’avais au fond de moi cette idée de ne pas avoir les compétences, pourtant je suis maître de conférence dans une grande école ! »
confie Rozenn Texier-Picard.

En s’auto-dévalorisant, les filles finissent par avoir peur d’échouer et cela joue sur leurs performances. Sur les 15 derniers thésards qu’elle a jugé à l’INRIA, Anne-Marie Kermarrec se rappelle qu’il y avait deux filles, et deux filles en manque cruel de confiance en soi. La cheffe d’entreprise nomme cela les « biais de l’inconscient ».

Chimiste théoricienne, chercheuse au CNRS de Rennes, Karine Costuas l’observe également lors des tables rondes et des rencontres auxquelles elle participe comme « Un métier ça n’a pas de sexe » : « Les filles pensent faire un bac +2 ou 3, c’est tout, elles ne comptent pas aller plus loin, elles se cantonnent à cela puisqu’au départ on ne les aide pas à imaginer qu’elles peuvent faire plus. Tout cela est lié à la structuration sociale : c’est l’homme qui doit avoir une bonne situation, un bon métier ».

Mais comment se projeter et envisager de suivre de telles études quand peu d’efforts sont faits au niveau même des locaux et de l’accueil des filles dans les prépas et les écoles : « À l’internat du lycée Chateaubriand, en 2010, chaque garçon de prépa avait sa chambre à lui quand les filles étaient « parquées » par dortoir de 4. On les accueille mal ! », signale Fabienne Nouvel, maître de conférence à l’INSA. Romane, 22 ans, en 4e année de Génie des Matériaux dans la même école, indique qu’il suffit de vouloir aller aux toilettes pour constater que les filles ne sont pas attendues dans les écoles d’ingénieur :

« Les WC des filles sont tout petits ! Parce que ce sont de vieux locaux, pas réaménagés, mais c’est révélateur ».

Tout est donc fait pour rebuter les filles.

MÉCONNAISSANCE DES MÉTIERS ET MAUVAISES ORIENTATIONS

Étudiantes, enseignantes, chercheuses, entrepreneuses, toutes s’accordent à dire qu’il y a un problème de représentation et d’orientation. Une étude s’est récemment intéressée à ce que les enfants imaginent du métier de scientifique à travers des dessins : « Dans la majorité des cas, ils dessinent des hommes avec des machines. Ils ne voient pas le contact humain, le travail d’équipe. Je suis persuadée que le fait de croire à tort qu’il n’y a pas de relations humaines dans nos métiers est un frein pour les filles », relate Rozenn Texier-Picard.

Un sentiment confirmé par l’enquête Rose, réalisée auprès de jeunes de 15 ans dans une vingtaine de pays sur la perception des scientifiques et la projection dans leur vie professionnelle.

Les réponses sont assez variables d’un pays à l’autre, c’est donc un fait culturel. Il y a néanmoins un point commun : la réponse des filles à la question « Voudriez-vous travailler avec des machines ou avec des humains ? », 80 % d’entre elles répondent « avec des humains ». Des éléments pertinents dans la compréhension de l’orientation.

Andréa, Fanny, Diane, Marie, Iman et Romane, élèves de l’INSA, sont formelles : elles ne savaient rien des filières scientifiques avant de croiser, par hasard, une prof de math, le père ingénieur d’une amie, ou d’aller surfer elles-mêmes sur Internet… « Peut-être que les conseillers d’orientation sont aussi mal renseignés », avance Andréa.

Iman, 20 ans, en 3e année d’informatique l’assure : « L’orientation est très vague au lycée, il faut l’améliorer et ce dès le collège, il faut aller montrer les métiers scientifiques aux enfants ! ». Son amie Diane, 20 ans, en 3e année d’informatique, acquiesce, navrée :

« Si on a envie de faire quelque chose, on le fait, peu importe le qu’en dira-t-on, mais encore faut-il savoir que ça existe ! Or, on ne nous dit rien, c’est à nous d’aller chercher les informations ».

Outre ce problème de méconnaissance des débouchés des cursus, des concepts surannés encombrent encore les esprits : l’image du geek enfermé dans sa chambre ou celle du matheux boutonneux asocial ont la vie dure. Là aussi, les stéréotypes demeurent, et les filles en souffrent.

FÉMINITÉ, BEAUTÉ, MATERNITÉ

À l’origine de la journée « Filles et maths, une équation lumineuse », les Associations Femmes et Mathématiques ont fait un constat surprenant : « Elles ont découvert que faire des maths et être féminine peut générer trop de pression chez beaucoup de jeunes filles. Cette image de matheuse pèse notamment très fort sur les collégiennes. De surcroit, comme elles sont peu nombreuses dans ces filières, elles sont trop regardées. Ce sont des questions très subtiles sur la féminité », commente Barbara Schapira, mathématicienne et maître de conférence.

La scientifique raconte comment elle-même s’est laissée prendre au piège face à une consœur belle et élégante, dont elle a découvert par la suite les brillants travaux. Trop féminine et trop belle, ou pas assez, il y a toujours quelque chose de douteux chez les femmes scientifiques. Une autre pression pèse sur elles : la maternité.

« Le désir d’enfant est un autre facteur qui freine les filles, car on pense que ces métiers sont inconciliables avec la vie de famille, c’est totalement faux ! »
remarque Rozenn Texier-Picard.

Si l’on peut se réjouir de vivre dans un pays où le congé maternité est relativement assuré et où les enfants sont accueillis dans des structures publiques dès leur plus jeune âge, restent certaines ombres au tableau.

« Lors de ma première grossesse, je me suis rendue compte qu’à la fac personne ne savait à quoi j’avais droit et que si j’accouchais l’été, comme nos heures de cours sont annualisées, je n’avais droit à aucune décharge d’enseignement. Deux de mes trois filles sont nées l’été, ce n’est pas une science exacte ça ! », reproche Barbara Schapira.

Elle s’est battue et a contribué à ce qu’en avril 2012 un décret réglemente les congés maternité des enseignantes chercheuses. Car le monde universitaire est encore archaïque par certains côtés.

Il n’a ainsi pas encore pris en compte que parmi ses membres il y a aujourd’hui beaucoup de couples. « Or, on nous demande de la mobilité mais nous n’avons pas le droit au rapprochement familial. Mon mari a obtenu son poste à la fac de Rennes en 2012, il a été très compliqué pour moi d’obtenir ma mutation ici, je viens juste d’arriver… » poursuit Barbara Schapira.

LA CONQUÊTE DE BASTIONS MASCULINS

« Les garçons de notre école adorent quand on organise une fête avec Pharma ! », sourit Fanny, 20 ans, en 3e année d’informatique à l’INSA. Car il est des secteurs scientifiques que les filles ont largement investis. « Des filières où les filles sont même devenues majoritaires, c’est le cas en médecine. Cette inversion s’est produite y’a 15 ans », relève Rozenn Texier-Picard. Elles sont également majoritaires en Pharma et Véto.

Mais tout n’est pas si rose, puisqu’on entend, depuis l’arrivée en masse des filles dans ces métiers, qu’ils sont dévalorisés ! Comme on le dit de l’Éducation Nationale.

« Quand un métier perd du prestige, il se féminise, ou inversement. L’autre souci de ces disciplines aujourd’hui dominées par les femmes, est qu’il n’y a plus de mixité »
note Anne-Marie Kermarrec.

Heureusement, pour briser la prédestination des sexes, les clichés et le sexisme, des projets sont mis en place depuis quelques années.

LES INITIATIVES POSITIVES

« En France, on commence à faire des efforts, par le biais de la discrimination positive notamment. Quand on m’appelle pour des jurys parce qu’il faut une femme de rang A, je joue le jeu même si je ne suis pas pour. Car il faut provoquer les choses, les imposer pour que ça devienne une habitude. Si cela permet de mettre en valeur les capacités des femmes, pourquoi pas. Ce n’est pas la panacée, mais je l’accepte », confie Karine Costuas.

Maître de conférence, mais également élue à Acigné, Marie Babel travaille avec le collège de sa ville sur la prochaine journée de la femme (8 mars 2016) avec le projet « Casser les clichés sur les métiers ». Si les métiers n’ont pas de genre, la scientifique note néanmoins que « notre société patriarcale est difficile à faire bouger ! ». Enfin, à Rennes, le premier trimestre de l’année scolaire est ponctué de plusieurs journées organisées pour inciter les filles à s’orienter vers les sciences.

« Lors de la journée du 10 décembre des témoins, étudiantes et scientifiques, viennent parler de leurs cursus aux collégiennes afin de désacraliser les maths. On leur montre que c’est possible pour tout le monde, pour qu’elles n’aient plus peur d’y aller. Cela se déroule autour de rencontres et d’une pièce de théâtre suivie d’un débat »
énonce Fabienne Nouvel.

En octobre les élèves de 3e et de seconde peuvent assister à la journée « Le Numérique, des métiers en tous genres ». Fin novembre, une action est consacrée aux sciences de l’ingénieur au féminin.

« Si beaucoup d’associations sont investies et que depuis 30 ans le Ministère a des politiques en ce sens, que l’égalité est inscrite dans la loi, les choses bougent très lentement, c’est effrayant car ça reste sporadique finalement, la sensibilisation est trop peu faite et les politiques ne sont pas appliquées partout. En outre, il faut aborder le sujet avec une approche scientifique, s’appuyer sur des travaux de recherches, des études et ne pas tenir de discours militant et passionné, au risque d’échouer dans notre mission », confie Rozenn Texier-Picard. Le chemin est encore long et périlleux.

Regard infiniment bleu sur lequel glisse une mèche brune, Claire Livet, 18 ans et demi, ne se départit jamais de son sourire. Heureuse et bien dans sa peau, assurément, déterminée aussi. La jeune fille est en 1ère année de mécatronique à l’École Nationale Supérieure de Rennes. Comme un poisson dans l’eau, elle évolue là avec aisance, parmi les 14 garçons de sa promo, et aux côtés des deux autres filles de sa classe.

Quel est votre parcours ?

En seconde générale, je voulais faire médecine et m’orienter vers un bac S option SVT. Mais j’ai réalisé que certaines choses me gênaient, je ne supportais pas les dissections ! Alors j’ai changé de lycée pour faire un bac S option Sciences de l’ingénieur, c’était plus simple pour moi : apprendre comment ce qu’on a créé marche !

Puis j’ai poursuivi avec une prépa PTSI (Physique, technologie et sciences industrielles) et en 2e année de prépa j’étais en PT Etoile (PT*. Les meilleures prépa sont étoilées, ndlr). J’ai passé les concours et j’ai réussi l’ENS. J’y suis entrée en septembre 2015 en mécatronique.

Qu’est-ce que la mécatronique ?

C’est une jeune discipline, ça ne fait qu’une vingtaine d’années qu’elle existe. C’est de la mécanique et de l’électronique. Ce sont deux systèmes différents, découplés. Là, on a les deux enseignements pour une parfaite synergie des deux, car il était stupide de les séparer finalement, c’est assez logique d’avoir les deux ensemble, et même totalement cohérent.

Et justement, le mélange des deux c’est ce qui me plait. Vraiment, j’aime beaucoup, on apprend énormément pour mettre en pratique tout de suite. (Pluridisciplinaire – car aussi automatique et informatique - cet enseignement vise la conception de systèmes automatiques, de produits dont on augmente ainsi le fonctionnement, les performances, ndlr)

Aviez-vous beaucoup de filles à vos côtés dans vos classes ?

Le bac S Sciences de l’ingénieur est peu connu, alors nous n’étions que 3 filles sur 30 élèves en première, puis plus que 2 sur 30 en terminale… En classe prépa PTSI nous étions 8 filles sur 38 élèves… Peu donc.

Est-ce qu’on est plus solidaires entre filles du fait d’être peu nombreuses ?

Pas forcément, cela dépend du tempérament. Pour ma part j’ai un contact plus naturel avec les garçons, je suis plus à l’aise avec eux.

Avez-vous souffert de sexisme de la part des élèves garçons, des enseignants ?

Des blagues, oui forcément, mais que des blagues. Je n’ai jamais eu aucun problème. Plutôt de la discrimination positive, comme j’étais tête de ma classe, les profs me faisaient plus confiance. Quand il s’agissait de faire un choix par exemple, de « piocher », on me choisissait comme « main innocente » ! Je ne souffre d’aucun sexisme, néanmoins je ne nie pas que certaines filles le subissent et je trouve cela aberrant ! Moi, j’ai sans doute beaucoup de chance.

Comment avez-vous été accueillie à l’ENS en mécatronique ?

On est plutôt bien accueillies, comme il n’y a pas beaucoup de filles, les garçons et les enseignants ne veulent pas nous effrayer ! Ils sont tellement contents qu’on soit là et veulent faire venir plus de filles, donc ils agissent en conséquence. Ils nous mettent très à l’aise, ils sont bienveillants, ils ne font pas de différences, en tout cas c’est ce que je ressens.

Alors oui, les choses ont évolué, ce n’était peut-être pas comme ça avant, je suis sans doute arrivée au bon moment ! Ma génération souffre sans doute moins de la situation !

Comment expliquez-vous la quasi inexistence des filles dans les sciences ?

Je pense que c’est un problème d’éducation : on apprend encore aux petites filles à jouer à la poupée et à faire la cuisine et aux garçons à jouer aux voitures, et les idées préconçues durent, les clichés sont toujours très forts. Moi, mon père m’a guidée quand j’ai dit que je ne voulais pas faire de bac S SVT, que je ne pouvais pas suivre d’études de médecine.

Chez moi, il y avait l’exemple de mes deux frères aînés. Ils ont également fait des études de mécatronique. Et donc, sous l’impulsion de mon père, je suis le même cursus, sans que personne ne se pose la question de savoir s’il peut y avoir une différence avec mes frères…

Il y a peut-être aussi un problème au niveau de l’orientation, il faudrait revoir le procédé, moi ça m’a saoulée ! On nous en parle tout le temps, trop tôt, on n’a aucune idée de ce que l’on veut faire et dès la 3e on nous parle du bac… Et finalement on n’a pas beaucoup d’informations sur les différents bacs, il faut revoir tout ça !

Qu’est-ce qui pourrait faire évoluer cette situation ?

Pour changer les choses il faut faire des campagnes d’information – d’ailleurs je participe à l’une d’elles - cela permet de faire bouger les choses, mais c’est progressif, c’est lent, trop lent. Peut-être qu’à force de voir des filles en sciences, cela va devenir normal. Je crois qu’on a déjà bien avancé, il y a déjà une belle évolution.

À quoi vous destinez-vous ?

J’aimerais être professeure de prépa en sciences de l’ingénieur. J’ai adoré l’ambiance de la prépa, vraiment super, j’ai trouvé hyper intéressant ce que faisait mes enseignants. Et le chemin le plus direct pour y parvenir c’est l’ENS, c’est la voix royale.

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Femmes & Sciences, la mauvaise équation ?
Les femmes prennent la tangente
Les entreprises ont besoin de femmes
Les mentalités engluées dans les clichés
Florilège de réflexions sexistes
Élève en mécatronique, le bel exemple de Claire

Célian Ramis

Pompières : 100% engagées

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Encore un bastion masculin, le service des sapeurs-pompiers tend progressivement à se féminiser. L'évolution est lente. Reportage auprès de celles qui s'imposent pour vivre leur passion.
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Les corps des pompiers sont encore un bastion majoritairement masculin, l’arrivée des femmes dans les rangs n’étant que très récente : moins de 40 ans ! Les soldats du feu sont érigés en héros nationaux et siègent parmi les grands fantasmes populaires de la gent féminine. Pourtant, aujourd’hui, la féminisation de la profession est inéluctable, celle du terme également et l’on parle à présent de pompières plutôt que de « femmes pompiers ». Elles agissent à leurs côtés et témoignent de tout autant de compétences et de motivation, tout autant enchainées à leur passion.

Les Services Départementaux d’Incendie et de Secours lancent un appel au volontariat, sans distinction de sexe, l’affiche aux deux visages féminin/masculin en est une première étape. Le plan d’action pour les sapeurs-pompiers volontaires, soufflé par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France et mis en lumière en 2013 par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, et François Hollande, président de la République, marque un tournant : les femmes, ainsi que les jeunes, seront la nouvelle priorité.

Mais qu’en est-il de l’évolution des mentalités ? Comment intégrer les femmes à un secteur masculin depuis longtemps ? Et surtout, comment le vivent les principales concernées ?

Un vendredi d’octobre, 18h30. La tranquillité de la commune de Saint M’Hervé, située à quelques kilomètres de Vitré, est brutalement interrompue par la sirène d’un véhicule prioritaire. Celui des sapeurs-pompiers volontaires. Un VSAV, comme on dit dans le jargon, soit un véhicule de secours et d’assistance aux victimes. Sonia Peniguel, engagée comme pompier volontaire depuis 13 ans, maintenant gradée sergent, arrive sur les lieux de l’accident.

« Des témoins ? Personne ? Pas de témoins ? » Elle rejoint l’homme à terre, immobile, sur le dos mais conscient. Il a chuté d’une échelle. Elle répartit les tâches auprès des deux collègues qui l’accompagnent et couvre les jambes de l’accidenté d’une couverture de survie.

L’une tient la tête de la victime, lui parle, la rassure. L’autre se charge de vérifier sa tension, sa saturation, sa ventilation et son pouls.

En parallèle, Sonia, chef d’agrès sur cette intervention, qualifiée donc pour « armer » le véhicule, retourne dans le fourgon pour communiquer via radio avec le CODIS (centre des appels basé à Rennes pour tout le département, en charge de la transmission des interventions auprès des centres de secours et d’incendie d’Ille-et-Vilaine), le 15 et la gendarmerie qui doit être avisée. À son retour, une attèle à dépression est placée autour du poignet de l’accidenté qui semble n’avoir aucun autre traumatisme.

Ce dernier est installé sur un brancard et transféré dans le camion dans lequel un bilan de surveillance est ordonné par la pompière en charge de l’intervention, le corps ayant été bougé il est indispensable de vérifier que cela n’a créé aucun impact supplémentaire.

INTÉGRATION ET LÉGITIMITÉ

La manœuvre est terminée, l’exercice est un succès. Ce soir-là, les pompiers volontaires de Saint M’Hervé inauguraient leur nouveau VSAV et procédaient à une démonstration pour les élus et les collègues. La victime n’en était pas une mais l’intervention a été réalisée dans les conditions d’une situation réelle de secours à la personne.

Une heure et demie plus tôt, Sonia Peniguel avait déjà été bipée et avait dû partir sur les chapeaux de roue aux abords de Vitré. Pour un accident de voiture. « Ce que j’aime, c’est d’aider mon prochain, j’ai cette fibre là et j’aime me surpasser. Après, donner des ordres et porter l’uniforme, ça me plait aussi ! », rigole-t-elle.

Elle aurait voulu intégrer les rangs de l’armée mais sa vie familiale en a décidé autrement. C’est à Domalain qu’elle a rejoint les pompiers volontaires du SDIS 35 (Service Départemental d’Incendie et de Secours d’Ille-et-Vilaine), dans une caserne où elle était la seule femme entourée de 18 hommes.

« Il n’avait jamais vu une femme là dedans ! C’était une grande famille, avec père, fils, cousins et les autres étaient des amis à eux. C’était compliqué pour moi, ils me mettaient de côté. »
se rappelle-t-elle, sans toutefois avoir souvenir d’attaques ou de réflexions sexistes.

Depuis juin 2015, elle fait partie à 44 ans du centre de secours, constitué uniquement de volontaires, de Saint M’Hervé, un de ceux qui accueille le plus de femmes actuellement : soit 6 femmes pour 14 hommes. Pour elle, aucun problème à signaler dans les rapports avec ces homologues masculins. « Quand je suis arrivée à Domalain, je n’étais pas sous-officier à cette époque, explique Sonia. En règle générale, les hommes sapeurs-pompiers acceptent la présence des femmes car l’examen légitime notre fonction. On est alors « cheffes » mais c’est un bien grand mot. Ils écoutent mais on est toujours dans la discussion. »

RESPONSABILITÉS ET ORGANISATION

Un avis que partage Catherine Vidal, officier capitaine au siège de Rennes, chef du groupement Prévision, dirigeant ainsi le service opérations et le CODIS (lire son interview pages 22 et 23). Ici se trouve la salle de Centre de Traitement des Appels, gérée par des pompiers professionnels et des pompiers volontaires, selon leur garde. Les pompiers professionnels alternant entre garde postée de 24h et repos réglementaire de 48h. Lorsque nous la rencontrons dans son bureau, un de ses hommes vient fermer la porte qui sépare les pièces de travail. « Parce que tu sais nous, on en raconte des conneries ! », plaisante-t-il.

Dans une ambiance détendue mais bosseuse, ils prennent les alertes concernant l’ensemble du département, traitent les informations redirigées ensuite vers les centres de secours concernés (l’Ille-et-Vilaine en compte 89). En 2014, le SDIS 35 comptabilise 267 474 appels décrochés pour 44 933 interventions. « Pour une grosse opération, on reçoit plusieurs appels », explique-t-elle. Catherine Vidal intervient lors de ces interventions conséquentes, en cas d’orage, d’inondation ou d’incendie important et ouvre la salle de débordement et si besoin la salle de crise.

C’est là que l’organisation de l’opération sera engagée en fonction de la situation, des risques potentiels, de l’objectif à atteindre, de l’idée de manœuvre, des moyens mis en œuvre pour l’exécution ainsi que tout ce qui concerne la sécurité et la logistique : « Il faut filtrer les informations pertinentes, prendre des décisions et donner les directives que les équipes vont appliquer sur le terrain. À ce moment-là, je ne dirige pas l’ensemble des moyens humains et techniques. J’ai des intermédiaires qui eux se chargent de relayer. On ne peut pas gérer à un seul cerveau. Et je suis aussi en lien avec le Préfet, les communes concernées et la presse. »

Des responsabilités lourdes que la capitaine n’envisage qu’à travers le collectif et l’esprit d’équipe, même si elle pilote et suit de près ce qui se passe sur le terrain.

FAIRE SES PREUVES

Et sur le terrain, ce sont principalement des volontaires qui constituent le service. Sur 3584 sapeurs-pompiers, 2941 ne sont pas des professionnels, soit 82% de l’effectif. Et parmi ces derniers, 469 sont des pompières. Les femmes n’ayant accédé aux fonctions de pompier qu’à partir de 1976 à la suite du décret n°76-1007 du 25 octobre 1976 qui précise : « Les corps de sapeurs-pompiers communaux peuvent être composés de personnels tant masculins que féminins. »

Auparavant, plusieurs pistes montrent que les épouses de pompiers aidaient aux interventions, sur des tâches à moindre importance, et qu’au Moyen-Âge - selon un ban (appel militaire) du 15 juin 1383, à Lille - la gent féminine était appelée à porter secours en cas d’incendie : « Quand la cloche sonnera, incontinent, ceux et celles, tant hommes que femmes, iront aider au feu. » Mais on gardera en mémoire l’image virile de l’homme courageux bravant les flammes.

Encore aujourd’hui, les pompiers sont désignés sous l’appellation héroïque de « soldats du feu ». Oubliant que les femmes s’y collent également et que les incendies ne représentent qu’une partie infime du travail du SDIS (environ 8%). Peut-être est-ce la raison qui pousse les nouvelles recrues de sexe féminin à se surpasser lors des entrainements collectifs, qui ont généralement lieu une fois par mois, et peuvent être agrémentées de séances diverses au cours des semaines et en fonction des besoins, ainsi que de formations pour monter en grade.

En sport ou en manœuvre, elles redoublent d’effort pour faire leur preuve. « Il faut montrer que l’on est capables de faire les choses », souligne Véronique Brassier, caporale chef au centre de secours de pompiers volontaires de La Guerche de Bretagne.

« Certains ne font pas de différence entre les hommes et les femmes. D’autres se basent sur nos performances, au début. »
précise Virginie Bouvet, volontaire à Chateaugiron, qui ne semble pas affectée par ce besoin de légitimer les compétences.

S’AFFIRMER ET RECADRER

Elles n’ont pas le même âge, 42 ans et 24 ans, ni les mêmes parcours. L’une, agent administratif au SDIS 35, est pompière depuis 21 ans, l’autre, aide soignante dans une maison de retraite (pôle Alzheimer), depuis 7 ans. Au-delà de la passion pour leur fonction, elles partagent la même analyse et manière de voir les choses autour du secteur masculin dans lequel elles évoluent.

À son arrivée à la caserne, Véronique Brassier a dû affronter le vote de l’équipe visant à décider de son intégration ou non parmi les membres. « Le chef de centre était plutôt pour. Finalement, 21 personnes ont voté pour et 6 ont voté contre. Et ça s’est fait facilement, c’est une petite caserne, c’est familial et l’ambiance est saine. », se souvient-elle. Lorsqu’elle se présente, un homme la taquine :

« Il m’a dit « Super, tu pourras faire la vaisselle ! ». Je me suis levée et je lui ai dit : « Je ne crois pas. ». Selon moi, il faut poser les choses d’emblée. Ne pas laisser les choses s’installer. »

Poser les limites rapidement et recadrer si nécessaire. Avoir de la personnalité et de la force de caractère. Même son de cloches du côté de Virginie que ses collègues appellent « la petite ». Pour elle, rien de péjoratif. Simplement un surnom qu’elle a depuis son arrivée, alors âgée de 17 ans.

« Ce n’est pas méchant. Au travail, on m’appelle comme ça aussi et je travaille dans un secteur féminin. Je n’ai aucun problème avec les hommes, au contraire, c’est souvent plus coton avec les filles. Avec eux, quand quelque chose ne va pas, je leur dis, quand je trouve qu’ils vont trop loin. Dans une équipe masculine, le dialogue est plus direct je trouve, les choses sont dites tout de suite. Avec les femmes, c’est plus malsain », commente-t-elle.

Seule femme parmi une dizaine d’hommes lors d’un entrainement au centre un samedi matin, elle semble à l’aise, habituée. D’humeur enjouée, elle se montre partante pour chaque exercice testé. Ce jour-là, le groupe « révise » les procédures et techniques d’intervention en cas de chutes.

Dans une montée d’escaliers, destinée aux manœuvres et au sport, sur une dalle ou suspendue à une corde en habit complet de feu, avec masque et bouteille à oxygène, elle n’apparaît à aucun moment gênée par une quelconque différence de force ou de condition physique.

« Les filles sont souvent très motivées et montrent qu’elles sont à la hauteur. Des réflexions sexistes, il y en aura toujours. Il faut passer au dessus. J’ai été imprégné du milieu des pompiers avec mon père qui était volontaire, j’ai toujours entendu des langages machistes. Il y en aura toujours… C’est le problème. Mais ceux qui font ça deviennent minoritaires aujourd’hui. »
relativise Déborah Le Reste.

Elle ne nie pas l’existence de différences entre les hommes et les femmes mais considère que chacun doit trouver sa place, ne pouvant exceller dans tous les domaines. À 39 ans, elle est pompier volontaire au centre mixte (pros et volontaires) de Tinténiac et a connu différents centres en 22 ans pour suivre son mari, muté dans le département. Un lundi soir, après le travail – secrétaire médicale en neurochirurgie au CHU de Pontchaillou - elle entreprend avec quelques membres de son équipe un exercice en situation d’incendie.

Naturellement directive, elle impose sans bras de fer la direction des opérations. Les co-équipiers, une femme et un homme, s’exécutent au coude à coude, et chacun s’attèle à l’effort collectif. Les deux femmes déploient les lances et s’en saisissent, munies de leurs tenues de feu qui semblent peser leur poids, et enfin procèdent à l’extinction d’un feu virtuel provenant d’une voiture garée sur le parking.

PASSION ET CONTRAINTES

Elle aime le sport, l’esprit d’équipe, l’univers des pompiers, l’ambiance des casernes. Et comme tous les pompiers professionnels et volontaires, témoigne d’une grande passion pour ce métier au service des autres. Sans préférence pour l’incendie, le secours à personne, les risques naturels ou autre, elle reste marquée par une intervention : « Ce n’était pas ma garde. J’ai remplacé un collègue. On a pratiqué un accouchement à domicile. C’était très fort ! »

Là réside sans doute le cœur de sa passion. Devoir s’adapter à la situation et faire appel au système débrouille et à son imagination. Si les manœuvres nécessitent la connaissance des techniques, des procédures et des consignes de sécurité, quand le bip sonne les sapeurs-pompiers ne savent pas ce qui les attend précisément.

Du côté de Virginie Bouvet, il est certain que sa vocation est celle-là : « J’aime tout ! Chaque situation est différente et fait vivre des choses différentes. »

Recalée au concours national pour devenir pompière professionnelle il y a 3 ans, elle n’en démord pas, ne se décourage pas et le repassera à l’avenir. Sonia Peniguel et Véronique Brassier, elles, n’y songent pas. Préférant s’épanouir uniquement dans ce loisirs passion, sans la contrainte d’en faire leur métier.

« Pompier volontaire, c’est contraignant quand même. Mais quand on aime on ne compte pas ! Je préfère bien faire les choses quand je suis disponible et conserver ce côté passion pour la passion. »
commente Véronique.

Exit l’appât du gain, les gardes prioritaires étant indemnisées ainsi que les interventions. Une semaine par mois environ, les pompiers volontaires effectuent une garde prioritaire du vendredi soir, au vendredi suivant. Ne pouvant s’absenter de leur travail, ils se mettent alors en disponibilité dès lors qu’ils débauchent et interviennent lorsqu’ils sont bipés. « Ce n’est pas très souvent. Et de toute manière, on est chez nous, pas loin de la caserne puisqu’il faut arriver vite au centre pour s’habiller et partir. », explique Sonia. En effet, on compte 20 minutes entre l’appel et l’arrivée du premier véhicule sur les lieux signalés.

TROUVER SON ÉQUILIBRE

Si elles avouent toutes avoir déjà traversé des phases de démotivation ou avoir pris de la distance à la naissance de leurs enfants, les quatre pompières volontaires n’envisagent pas à l’heure actuelle de quitter le SDIS. Étroitement liées à leur fonction, elles sont passionnément engagées et investies dans ce qu’elles entreprennent. Sans mensonges ou discours fuyants, elles font face aux difficultés et à l’impact que cela peut avoir sur une vie de famille.

Mais chacune affronte et assume ce choix, bien décidées à ne pas faire une croix sur ce qui les anime dans cet espace de liberté qui s’apparente à un foyer, leur foyer personnel qu’elles partagent avec leurs collègues.

« En 2006, je me suis retrouvée veuve avec mes 2 enfants qui avaient 5 et 2 ans. Je me suis débrouillée, je les ai fait garder par la famille. C’est un engagement familial malgré tout. Il faut que tout le monde comprenne et mes enfants, qui ont toujours bercé là dedans, m’ont dit à ce moment là de continuer ! »
témoigne Véronique Brassier.

Et si pour Déborah Le Reste les choses ne se passent pas tout à fait de la même manière, son indisponibilité parfois pour sa famille et ses ami-e-s n’étant pas toujours entendue par tout son entourage, elle reste convaincue que l’équilibre est possible.

« Cela nécessite de prendre de la distance et oui de trouver son équilibre ! », précise-t-elle.

Femme et pompière ne sont donc pas antinomiques, c’est à n’en pas douter. Pourtant les clichés autour des différences physiques et psychologiques entre les femmes et les hommes peinent à se décoller de ce métier.

Malgré leur faible nombre, les femmes rencontrées croient en l’évolution des mentalités et espèrent voir une relève mixte arriver.

Sapeur-pompier depuis 13 ans, Catherine Vidal est aujourd’hui officier capitaine au SDIS 35, à Rennes. Chef de service opérationnel, elle pense et gère les techniques d’intervention et procédures. Adaptabilité, communication et commandement, la professionnelle mêle rigueur et bonne ambiance.

YEGG : Quel est votre parcours ?

Catherine Vidal : Je suis diplômée de l’INSA de Lyon et j’ai travaillé 7 mois en tant qu’ingénieure. Fin 2001, j’ai passé le concours de lieutenant chez les sapeurs-pompiers et je suis arrivée en poste au SDIS 35 en mars 2002 comme adjointe chef de service formation du groupement de Rennes.

Pourquoi avoir intégrer le SDIS ?

J’étais contente de mes études, ça me correspondait assez bien mais la dernière année ne m’a pas trop attirée. Il faut se spécialiser, c’est restreint et ça limite les débouchés. À cette époque, les pompiers de Lyon étaient en grève. Ils intervenaient quand même. Et j’ai aussi eu l’occasion de parler avec un pompier. J’étais déstabilisée d’avoir cette idée d’un coup. Et je ne me voyais pas monter à la grande échelle ! (Rires)

J’ai rencontré plusieurs officiers. Au fil de mes recherches, j’ai fini par trouver un poste d’ingénieure dans une entreprise de matériaux d’isolement, en lien avec le feu ! (Rires) Ça ne se passait pas très bien avec mon chef et je n’étais pas à l’aise dans le secteur privé, ça ne coïncidait pas avec mes valeurs. J’ai passé le concours de la fonction publique, spécifique aux sapeurs-pompiers.

En quoi consiste ce concours ?

Il change très souvent. À mon époque, il y avait un questionnaire sur la sécurité civile, un QCM sur plusieurs thèmes. C’est parce que j’avais mon diplôme d’ingénieure que j’ai pu passer le concours de lieutenant. Une fois qu’on obtient le concours, après avoir passé l’écrit, avoir été admissible à l’oral puis admis sur liste d’aptitudes, on peut choisir un poste dans un SDIS mais on n’a pas d’assurance d’avoir ce poste.

Vous êtes donc arrivée à Rennes…

J’étais déjà à Rennes à ce moment-là. Et ils venaient d’ouvrir 4 postes. J’ai postulé sur l’un d’eux, je n’ai pas été retenue mais j’ai bénéficié d’un autre. En tant qu’adjointe chef au service formation. Ce qui est marrant puisqu’il fallait aussi que je suive la formation initiale de lieutenant. À l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers. Pour la méthodologie, ma formation universitaire me facilitait les choses. Et j’ai suivi en parallèle des interventions sur le terrain dans les ambulances, les fourgons d’incendie.

Vous entrez donc lieutenant. Vous êtes maintenant capitaine…

Oui j’ai passé le concours, un oral seulement cette fois, en 2006. Le 1er janvier 2007, j’ai été nommée capitaine. J’ai été adjointe au chef de centre à Rennes, celui de Saint-Georges. Ce n’est pas rien, c’est le plus gros centre de secours en terme de personnel et d’opération.

Vous avez beaucoup d’hommes sous vos ordres. Les rapports sont-ils compliqués ?

Franchement, ça se passe plutôt bien. J’ai une expérience dans l’ingénierie et l’industrie, c’est à peine 30% de femmes. Et quand on travaille à l’usine, on en voit des choses. Dans l’administration, il n’y a que des femmes et dans l’usine, que des hommes. C’est là que j’ai appris à dire bonjour en regardant droit dans les yeux. Ce sont eux qui détournaient le regard.

Chez les pompiers, une fois le concours en poche, le leadership est établi. Ça veut dire que l’on est capable. Ce que je n’ai pas ressenti avec les ingénieurs. Mais par contre, et c’est normal, il ne faut pas les prendre de haut. Et respecter leur travail qui demande des compétences élevées. Ça, chez les sapeurs-pompiers, c’est clair : peu importe le poste, cela demande forcément des compétences.

Donc pas de discriminations, même en début de carrière ?

Jeune officier et femme sont indissociables. J’ai constaté certaines attitudes mais comment savoir si cela venait du fait que j’étais jeune officier ou femme ? Certains hommes n’apprécient pas la présence des femmes mais en général ils mettent de côté pour le travail. À l’extérieur, on ne devient pas amis, c’est tout. Personnellement, je parle avec tout le monde. Appréciée ou non, ce n’est pas mon problème.

Après quand je suis pompier, je n’arrête pas d’être femme ! (Rires) Et j’ai des retours très positifs. Ils me disent que ça fait du bien que les débats s’élèvent à table par exemple. Et je sais que quand je suis là, ils font un effort. Je ne laisse pas passer beaucoup de choses non plus. Mais je n’ai jamais eu d’attaques violentes ou directes.

Vous ne laissez pas passer beaucoup de choses, ça veut dire que vous les recadrez ?

Je recadre… ça arrive mais j’ai de l’humour quand même ! Toutefois je ne suis pas pareille que dans le civil, je mets la barrière assez vite. Mais c’est important que l’ambiance soit bonne. J’ai une philosophie : les gens que j’encadre sont ma raison d’être. C’est bien d’être officier mais un officier sans ses troupes, ça ne sert à rien.

Combien d’hommes dirigez-vous ?

Au Service, on est 2, j’ai un adjoint. Et en salle opérationnelle, ils sont maximum 8. Deux de plus si on ouvre la salle de crise et six à huit en plus si on ouvre la salle de débordement. Mais je ne les dirige pas tous, il y a des chefs de salle. Et quand je suis chef de colonne, ils peuvent être entre 20 et 40 mais c’est pareil il y a des intermédiaires. Sur la trentaine d’opérateurs qui sont ici, il doit y avoir 2 femmes chez les sapeurs-pompiers professionnels et pareil chez les volontaires.

Qu’est-ce qui vous plait dans ce métier ?

J’aime beaucoup commander ! (Rires) Et j’aime les valeurs des pompiers : l’assistance, l’aide, l’altruisme. Au sein des équipes, nous sommes également beaucoup dans l’échange, dans la discussion. Au final, c’est moi qui décide mais je ne peux pas travailler toute seule. Je suis nourrie par la vision des autres. J’écris des procédures pour celles et ceux qui sont sur le terrain ou en salle.

Je ne peux pas faire abstraction de ce qu’ils vivent. J’ai ma technicité, mes outils, mon cerveau. On peut imposer des choses, évidemment, mais il faut le faire en intelligence, c’est-à-dire écouter. Et quand il y a plusieurs propositions, il faut savoir choisir, savoir ne pas se laisser déborder. Pour moi, ils n’ont pas ma technicité et je n’ai pas la leur.

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Pompier, je n'arrête pas d'être femme !

Célian Ramis

Joséphine s'arrondit, le poids de la comédie

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Rencontre avec Marilou Berry, Medhi Nebbou et Bérangère Krief, venus présenter Joséphine s'arrondit en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, jeudi 7 janvier.
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Pour la première fois réalisatrice, Marilou Berry est venue présenter Joséphine s’arrondit, en compagnie de Medhi Nebbou et Bérangère Krief, jeudi 7 janvier au cinéma Gaumont de Rennes. Sortie prévue le 10 février 2016.

En juin 2013, Agnès Obadia adapte au cinéma Joséphine, personnage créé par la dessinatrice Pénélope Bagieu, dans sa bande dessinée du même nom. Marilou Berry en est l’actrice principale. Deux ans plus tard, cette dernière s’entoure de la scénariste du premier volet, Samantha Mazeras, et d’une partie de l’équipe d’acteurs, dont Medhi Nebbou et Bérangère Krief, et passe derrière la caméra pour réaliser la suite des aventures de Joséphine.

Au chômage, hébergeant sa sœur dépressive depuis qu’elle a fui son mariage, entourée de sa bande d’ami-e-s, elle a trouvé l’amour et vit en ménage depuis 2 ans. « C’est un couple qui marche, un couple très amoureux. Ils sont un peu dans leur monde, décalés, s’en foutent presque du reste », précise Medhi Nebbou, qui à l’écran incarne Gilles, le compagnon de la jeune femme. Ensemble, ils vont vivre l’expérience de la grossesse.

ANGOISSES DE GROSSESSE

« Ce n’est pas un film sur les mamans, mais sur les angoisses et les projections des futurs parents », explique Marilou Berry. L’occasion d’aborder le couple sous l’angle du bouleversement dans la relation à deux à travers les ressentis individuels. « L’arrivée d’un enfant pose de nouvelles questions. Cela révèle celui qui veut être rassuré, celui qui ne veut pas être rassuré, celui qui a besoin de rassurer… », signale Medhi Nebbou, rejoint par la réalisatrice qui précise : « Ça va permettre à Gilles de penser à lui, de s’énerver, de pouvoir être égoïste. C’est important aussi dans la vie. Et à Joséphine de, pour une fois, penser moins à elle… »

Peur que l’enfant naisse sans bras, qu’il ne l’aime pas, qu’il hérite de son cul (disproportionné selon les normes de beauté, dans le premier épisode), de devenir comme sa mère… Joséphine s’arrondit dévoile un florilège d’inquiétudes aussi rationnelles qu’absurdes autour d’une femme « attachiante mais attachante quand même » pour Marilou Berry et de son compagnon parfait qui va s’affirmer dans sa personnalité à l’approche de l’accouchement.

COMÉDIE (TROP) LOUFOQUE

Une comédie loufoque, selon l’acteur principal, novice dans ce registre-là. « J’ai eu des choses à jouer qui étaient assez extrêmes. C’est comme le saut en parachute quand on n’en a jamais fait. Ne pas être drôle c’est inquiétant. Mais finalement, on enlève le harnais et c’est jouissif. » Il insiste : il s’agit là d’une comédie déjantée sur un sujet universel. Ainsi, les péripéties gonflées de stéréotypes et de névroses en tout genre s’enchainent, sans trop laisser le temps aux spectateurs-trices de souffler, étouffant les quelques éléments comiques qui sont, hélas, poussés à leur paroxysme, créant une overdose dans l’exagération.

Dommage car la réflexion initiale, sans être novatrice, est intéressante et libère les complexes et tabous que l’on pourrait avoir dans la projection d’une grossesse. « Pas besoin d’être maman pour avoir des angoisses », souligne Bérangère Krief. Pour coller au rôle, Marilou Berry s’inspire donc de vidéos sur le sujet, se renseigne auprès de son entourage, sans toutefois échanger avec Josiane Balasko, sa mère à la vie comme à l’écran : « Qui de mieux que ma mère pour jouer ma mère ? Je serais incapable de jouer un autre rôle avec elle, de jouer une inconnue pour elle… (…) Je n’ai même pas pensé à lui demander si elle avait eu des angoisses lorsqu’elle était enceinte car ce ne sont certainement pas les mêmes inquiétudes qu’aujourd’hui. Je suis une enfant des années 80. »

L’actrice-réalisatrice travaille actuellement à un nouveau long-métrage, dans le registre de la comédie d’aventure, et avoue ne pas savoir ce que deviendra son personnage de Joséphine. L’envie de poursuivre à ses côtés est présente et envisage, en plaisantant, un « Joséphine et Gilles divorcent ». La suite logique d’une vision cynique de la vie à deux ?

 

Célian Ramis

Les différences en tous genres et en couleurs

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Editions Goater, Rennes
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Les dessins peuvent être des armes pour faire bouger les lignes de la société. Et constituent également un support pour l'éducation à l'égalité avec le cahier de coloriage C'est quoi ton genre ?, publié aux éditions Goater.
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Deux mariées sur un gâteau, un enfant en fauteuil roulant sur le chemin de son cours de majorettes, des princesses rock en skate… Le cahier de coloriage C’est quoi ton genre ?, adapté en français et publié en octobre dernier aux éditions rennaises Goater, entend bouger les codes de la construction sociale.

Finis les clichés autour du rose pour les filles, du bleu pour les garçons dans les catalogues de jouets ? De la vie domestique pour les femmes et de la vie active et sportive pour les hommes dans les livres pour petits ? Non, loin de là malheureusement. L’éducation à l’égalité devient une priorité pour combattre les stéréotypes ingurgités dès la petite enfance, les normes de genre étant rapidement intégrées par les enfants qui assimilent alors des fonctions spécifiques selon le sexe.

Si la littérature jeunesse commence doucement à bouger les lignes du schéma classique d’une princesse sauvée par son prince charmant ou d’une mère qui s’occupe des enfants et de la maison pendant que papa travaille, qu’en est-il des cahiers de coloriage ?

CASSER LES NORMES DE GENRE

En juin 2015, l’auteure et dessinatrice québécoise Sophie Labelle – connue pour sa bande-dessinée Assignée garçon, lire notre coup de cœur de novembre 2015 – publiait Ça déborde !, un cahier de coloriage sur les genres et les sexes. Bien décidée à casser les idées reçues sur les représentations destinées aux petites filles et aux petits garçons, Sophie Labelle prend le parti de banaliser les différences et de dire, à travers les dessins, qu’un-e individu-e peut se sentir parfois garçon et parfois fille et surtout s’identifier au-delà du sexe.

« Une fille peut chevaucher un dinosaure, être téméraire. Un garçon peut bouquiner dans son lit ou rêver d’être Wonder Woman ! Il faut casser les normes de genre. »
explique Corinne Gallou.

Militante féministe, elle a été engagée dans plusieurs collectifs tels que la MESSE (Mobilisation pour une égalité sexuelle et sociale émancipatrice), l’Entre-Genres ou encore la Bibliothèque féministe.

C’est en toute connaissance de son engagement pour ces luttes que Jean-Marie Goater lui a proposé de participer à l’adaptation du cahier de coloriage C’est quoi ton genre ? – initialement de Jacinta Bunnell et Nathaniel Kusinitz - repéré lors d’un séjour à Londres.

Accompagnée de Nardjès Benkhadda pour la traduction et de Marie Le Marchand pour la mise en page, Corinne Gallou s’est attelée à quelques modifications et ajustements au niveau des dessins mais aussi des textes qu’elle a souhaité féminiser, la langue française - à l’inverse de l’anglais - étant particulièrement genrée.

ÉDUCATION NEUTRE

En 2012, en Suède, un mouvement militant né pour que la nation ne soit plus simplement sexuellement égalitaire mais sexuellement neutre. Que l’on puisse attribuer un nom de garçon à une petite fille et inversement, que l’on supprime les rayons « filles » et les rayons « garçons » dans les boutiques (même chose avec les toilettes qui ne devraient plus être catégorisés) ou encore que l’on emploie le pronom « Hen » pour remplacer le « il » - han - et le « elle » - hon. Et le pronom neutre a d’ailleurs été ajouté à la version numérique de l’Encyclopédie nationale suédoise.

Dans le cahier de coloriage, la neutralité sexuelle s’intègre dans l’ensemble des pages, à travers la question du pronom neutre que deux enfants inventent à leur manière (page 27), mais aussi la manière de dessiner les personnages ainsi qu’à travers les situations montrées. L’objectif étant de laisser l’enfant « briser [les] moules qui nous enferment », indiquent Corinne, Marie et Nardjes dans le texte final, visant à expliquer le choix d’un cahier de coloriage contre les stéréotypes de genre.

Au fil des pages, on croise alors une sirène désireuse d’escalader le Mont Blanc, un garçon avec une fleur dans les cheveux construisant une petite maison pour jouets, des hommes dans un cours de zumba ou encore une petite fille se rendant à son entrainement de football américain. Tout ça en noir et blanc. Libre aux enfants d’y ajouter les couleurs et les histoires qu’ils imaginent.

SOULIGNER LES DIFFÉRENCES ET ACCOMPAGNER LES ENFANTS

« Cela peut heurter les sensibilités de voir un cahier de coloriage différent, qui ne répond pas aux normes et à ce que l’on voit dans les pubs ou les dessins animés qui montrent des princesses passives… Il fallait veiller à rester accessible aux parents afin qu’ils puissent accompagner leurs enfants au fil des pages. »
analyse-t-elle.

Si elle regrette que le cliché sur les filles et les princesses persistent malgré tout dans cet ouvrage (erreur de notre part, il ne s’agit pas de cet ouvrage là comme indiqué dans le mensuel YEGG#41 – Novembre 2015, mais d’un cahier de coloriage féministe prévu pour l’année 2016, ndlr), Corinne pointe néanmoins l’apparition de certaines situations encore trop peu visibles dans les livres pour enfants, comme le handicap, l’homosexualité, le transgenre ou la non violence.

C’est quoi ton genre ? ouvre les esprits sur les différences entre les individu-e-s pour une société, à terme, plus égalitaire. Prochainement, au cours du premier semestre 2016, les éditions Goater devraient se munir d’un autre cahier, intitulé Mon premier cahier de coloriage féministe. Corinne Gallou y participera, accompagnée de plusieurs dessinateurs-trices rennais-es.

Célian Ramis

Le sexisme, un mâle politique

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Rennes
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Les 6 et 13 décembre, les citoyen-nes français-es sont appelé-e-s à voter pour désigner leur président-e de région. Dans son numéro 41 - novembre 2015, la rédaction s'intéressait alors au sexisme en politique...
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Les femmes politiques sont régulièrement la cible de réflexions et d’insultes sexistes émanant de leurs confrères et des journalistes. Attaques contre leur physique ou remise en cause de leurs compétences, un sexisme quotidien et insupportable.

Comme Laurent Fabius, qui s’est inquiété de savoir « Mais qui va garder les enfants ? » au moment où Ségolène Royal était candidate à la Présidentielle en 2007, un journaliste rennais a demandé « Mais qui va s’occuper des petits bouts ? », à Nathalie Appéré au soir de son élection à la Mairie de Rennes en mars 2014. Il voulait rendre son interview « humaine », s’est-il défendu. Ok. Mais pourquoi alors ne pas être aussi « humain » avec les hommes ?

Parce que depuis qu’elles sont entrées en politique, les femmes souffrent du sexisme. Simone Veil maltraitée en 1974 lors du vote de la loi sur l’IVG ; Edith Cresson, première femme Premier Ministre en 1991 dont un député a dit « C’est La Pompadour qui rentre à Matignon » ; Les candidates RPR aux Régionales de 1998 sur lesquelles Charles Pasqua a balancé, très gracieusement, en répondant à la question de Philippe Séguin : « qu’est-ce qu’on va faire des gonzesses ? », « Il n’y a qu’à proposer une chose simple : toutes les femmes qui veulent avoir l’investiture doivent être baisables ! ».

Les « Jupettes » du premier gouvernement Juppé en 1995, alibi et faire-valoir féminin rapidement mis au placard ; Ségolène Royal, encore, lors des primaires socialistes de 2005 qui a entendu un brillant « L’élection présidentielle n’est pas un concours de beauté », de la part de Jean-Luc Mélenchon ; Roselyne Bachelot - qui dénonçât « la focalisation permanente sur notre aspect physique » et dû, à contre cœur, laisser ses tailleurs roses dans sa penderie ; Cécile Duflot et sa robe à fleurs sifflées en pleine Assemblée, ou encore son jean porté en Conseil des Ministres montré du doigt comme une « honte protocolaire » ; Véronique Massonneau interrompue dans l’Hémicycle par les caquètements d’un confrère… La liste est longue. S’arrêtera-t-elle un jour ?  

« ÇA ME HEURTE, PAR PRINCIPE »

Dernières victimes, Emmanuelle Cosse, cheffe de file d’EELV, - percutée par un tweet monstrueux sur son physique émis par un Républicain - et la ministre du travail, Myriam El Khomri, attaquée par un journaliste, dont la première question portait sur le fait qu’elle ait choisi de garder son nom de jeune fille… Quand la France compte près de 6 millions de chômeurs, on croit rêver.

En local ? Il se murmure qu’un élu indélicat aurait fait un vilain jeu de mot avec le nom du mari de Nathalie Apperé… quand ce n’est pas L’Express qui titre cet été : « Est-elle à la hauteur ? ». Intolérable. « Ça me heurte, par principe », assure Sylvie Robert, adjointe à la maire de Rennes et Sénatrice d’Ille-et-Vilaine. À son arrivée au Sénat, les huissiers lui ont demandé comment elle voulait qu’on l’appelle, sénateur ou sénatrice ? L’élue a fait modifier sa carte.

« Dit clairement ou plus insidieux, on vit le sexisme presque au quotidien. Quand, par exemple, on ne m’écoute pas, ou juste poliment, en réunion, ça m’énerve, alors je m’arrête ou je fais une réflexion »
confie la sénatrice.

Selon elle, le combat est permanent et ne s’arrêtera jamais, il faut l’intégrer et être en veille constante, « c’est une responsabilité collective, il ne faut jamais baisser la garde ».

LA PARITÉ, UNE NÉCESSITÉ

« J’ai été naïve au début de ma carrière, j’ai pensé que nous n’avions pas à légiférer, que la société évoluait. Je me suis bien trompée ! Il fallait la loi sur la parité, la société bouge trop lentement sur le sujet ! De naïve je suis devenue pragmatique », avoue Sylvie Robert. Sa consœur Nadège Noisette, élue EELV en charge des achats, était elle aussi sceptique sur cette loi, or :

« Il y a parité au Conseil Municipal et aucune tension. Peut-être est-ce parce que la cheffe de groupe est une femme (Nathalie Appéré, NDLR), j’imagine. À Rennes Métropole, en revanche, l’ambiance et le ton sont plus autoritaires, plus agressifs, les prises de becs plus nombreuses »
constate Nadège Noisette.

La jeune femme, ingénieure en électronique - après avoir fait Maths Sup et Maths Spé - est parfaitement qualifiée en technique, mais pas aux yeux de tous : « J’ai à faire face à des comportements sexistes ou irrespectueux en lien avec mon poste d’élue en charge d’une mission technique. Bien sûr, cela dépend du domaine et de l’interlocuteur, mais pour être légitime et crédible, il faut que j’en fasse plus. Les regards se portent vers mes collègues masculins, pas vers moi… Il faut constamment faire ses preuves et cela complexifie ma mission. On demande plus de garanties aux femmes », raconte Nadège Noisette.

Ainsi, quand elle intervient dans le domaine des travaux, du bâtiment, de la voirie, elle est confrontée à des techniciens qui émettent des réserves quant à ses aptitudes.

« Ils ne me traitent pas d’égal à égale, c’est désobligeant, c’est fréquent et pesant. Je ne peux pas me balader tout le temps avec mon diplôme d’ingénieure sur moi ! »
confie-t-elle.

UN LONG COMBAT À MENER ENCORE

À 38 ans, elle assure son premier mandat et l’élue EELV pense ainsi que ses consœurs plus âgées sont plus aguerries et qu’elles ont peut-être plus de crédibilité. Peut-être. Pour autant, Sylvie Robert s’offusque toujours et pointe du doigt, par exemple, les Départements où, si des binômes femmes/hommes ont été imposés lors des dernières élections, au moment de la construction des exécutifs les femmes ont été exclues.

Au Palais du Luxembourg, le combat est le même. Malgré l’arrivée de 40 femmes aux dernières sénatoriales, elles ne représentent que 26 % des élus de la chambre haute.

« Il y a encore du travail à faire, mais j’entends aussi dans l’hémicycle des choses affreuses dans la bouche des femmes ! »
dénonce Sylvie Robert.

Nadège Noisette, elle, siège au Syndicat d’Energie Départemental. Sur la soixantaine d’élus elle est la seule femme, et elle entend régulièrement que « c’est normal, le sujet est très technique ! » Même si, selon elle, ce n’est pas forcément dit de façon malveillante, la réflexion revient tel un leitmotiv, et devient vraiment lassante.

Il est donc incontestable que les femmes politiques ont encore du chemin à parcourir pour devenir les égales de leurs homologues masculins. L’égalité sera sans doute atteinte « Le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente », comme le disait Françoise Giroud en 1983… il y aura bientôt 33 ans.

Célian Ramis

Cidre : Redorer le blason du pétillant

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Ille-et-Vilaine
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Considéré comme boisson du pauvre, le cidre souffre d'une image en berne. Entre tradition familiale et modernisation, elles remettent l'emblème breton au goût du jour. Reportage.
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Dans l’imagerie populaire, le cidre est la boisson emblématique bretonne, participant volontairement au folklore régional. Longtemps considéré comme boisson du pauvre – d’où l’expression « ça vaut pas un coup de cidre ! » - accompagnant tous les repas, le cidre était fabriqué dans toutes les fermes et exploitations bénéficiant d’un petit verger en dépit de toute qualité.

L’image de tord-boyau aura bien du mal à se décoller du breuvage pétillant, et l’Ille-et-Vilaine perdra même son 1er rang en terme de production de cidre au profit des départements normands. L’industrialisation, dans les années 70, standardise le goût du cidre et participe au désintérêt des français hors période de l’Épiphanie, la Chandeleur et Mardi gras.

Aujourd’hui, les professionnels de la filière cidricole tentent de redorer le blason de cette boisson complexe dont la fabrication est encore bien méconnue du grand public qui se laisse plus aisément convaincre par le vin et la bière.

Cet été, la rédaction de YEGG a parcouru quelques vergers brétilliens à la rencontre des femmes qui travaillent à la transformation des pommes à cidre et à la vente des produits résultant de savoir-faire traditionnels et familiaux, ces dernières ayant pour la plupart repris le flambeau des parents, grands-parents, voire des arrières-grands-parents. Elles nous invitent à découvrir la singularité et le caractère personnel de leur pétillant doré.

Issue de l’arbre symbolisant le lien entre le monde des vivants et le monde des morts, selon les Celtes, la pomme serait le fruit de la science et de la connaissance. La pomme à cidre ainsi que son processus de transformation sont quant à eux encore ignorés ou très peu connus. Comment l’expliquer dans une région cidricole comme la Bretagne ? Et surtout, comment remettre la boisson populaire au goût du jour ?

S’intéresser à l’histoire et à la fabrication du cidre, c’est découvrir une facette de notre région et de notre département. Se laisser surprendre par des chiffres paraissant démentiels en apprenant que les habitants d’Ille-et-Vilaine consommaient en moyenne entre 300 et 350 litres par an (et par habitant).

Deux cent ans plus tard, en 2014, la consommation nationale est estimée à 5,4 litres par an et par ménage. Surviennent alors des questions sur cette importante diminution, au-delà d’une problématique de santé publique. Entre l’image populaire en berne du cidre et l’industrialisation du produit, reste malgré tout la transmission d’un savoir-faire traditionnel de génération en génération, de parents à enfants ou même de viticulteurs à cidriculteurs.

Car le pétillant doré pourrait bien être plus proche du vin qu’on ne le pense, plus complexe et plus noble qu’on ne l’imagine. Les consciences s’éveillent, la modernisation est en route et le regain d’intérêt se fait légèrement sentir. Quelles valeurs sont assimilées à cet art, s’il en est un ? Quel processus de fabrication ? Et quels moyens mis en œuvre pour redonner à cet emblème régional ses lettres de noblesse ?

DE L’ÂGE D’OR À LA DISPARITION

Le cidre n’a pas d’âge. Connue depuis l’Antiquité, la boisson n’a pas non plus de provenance exacte et définie précisément. Mais ne serait ni d’origine bretonne, ni normande. « Beaucoup de régions françaises ont produit du cidre. Partout en Europe en fait. Partout où il y avait des poires et des pommes. Il est ensuite resté du côté Ouest. », raconte Carine Bigot, sommelière exerçant sa profession dans le bar à cidre de Saint-Malo, le Comptoir Breizh Café (lire encadré).

On situe de nombreux vergers au Nord de l’Espagne et dans le pays Basque, expliquant leur arrivée et la propagation du savoir en Bretagne, Normandie et Angleterre par les routes commerciales au Moyen-Âge. Aidé par l’invention de la presse au XIIIe siècle, le cidre, alors à base de jus de pommes sauvages fermenté, est fabriqué de manière importante et se développe au cours des siècles suivants.

Il résiste à travers les époques et concurrence sans difficulté le vin et la bière, de par son accessibilité tarifaire. Si les techniques s’améliorent et que l’on parle d’âge d’or, les productions rurales servant simplement de boisson de table n’atteignent pas la qualité d’aujourd’hui et sont associées à une image de tord-boyaux qui persiste encore actuellement dans la représentation, erronée, des cidres fermiers.

Au XXe siècle, les dommages naturels, le désintérêt de l’État après la Seconde Guerre Mondiale et l’industrialisation de la fabrication vont jouer un rôle décisif dans la chute des ventes de cidre et le désintérêt de la population pour cette boisson renvoyée au rang de simple emblème breton.

« À une époque, à la cour du roi, les pomologues (la pomologie étant généralisée à la connaissance des fruits, elle n’est pas uniquement cantonnée à la pomme, ndlr) étaient très bien vus et on appréciait le cidre ! Il a peu à peu disparu, surtout après 1945, pour réapparaitre dans les années 1970 avec le développement de l’industrie. Mais cela n’a pas amélioré son image. », explique la sommelière.

« Aujourd’hui en Ille-et-Vilaine, le cidre n’a plus la cote. L’expression « ça vaut pas un coup de cidre » le prouve. On essaye de vendre nos produits aux institutions pour leur réception, pas moyen ! C’est perçu comme la boisson du pauvre »
déclare Sylvie Forel, 57 ans.

Installée avec son conjoint Etienne le Huger aux portes de Rennes, à Saint-Grégoire, à la ferme Les vergers de l’Ille, elle se définit comme paysanne travaillant des pommes à couteaux (2 hectares) et transformant des pommes à cidre (5 hectares) issues de l’agriculture biologique.

Pour elle, la faible exigence en terme de qualité dont ont fait preuve les fabricants de cidre, principalement pour leur consommation personnelle, a joué en la défaveur du breuvage. Si depuis une dizaine d’années, l’image évolue doucement, le cidre reste accolé au folklore breton et peine à se hisser au même rang que le vin et la bière dans les habitudes de consommation.

Florence Loisel - 34 ans - dont l’exploitation est située à la ferme de Gosne à Noyal-sur-Vilaine, y voit également un manque de transmission de la part des producteurs eux-mêmes : « Quand on voit qu’il y a confusion entre cidre brut et cidre doux, amertumé ou non, etc… on se dit qu’on n’a pas su transmettre. C’est frustrant de ne pas pouvoir expliquer le produit. C’est un produit vivant ! »

Un produit vivant qui commence dès la plantation du verger avec le choix des variétés de pommes à la vente en passant par la récolte, le tri, la fermentation, l’assemblage et l’embouteillage.

L’ART DU VERGER

Un point sur lequel la rejoint entièrement Sylvie Forel qui insiste sur l’importance de bien cultiver ses vergers, « c’est un art même ! ». À quelques mètres de la ferme cidricole s’étendent plusieurs alignements d’arbres à pommes à cidre, ceux-là même qui ont été planté en 1995 et 1996 (avant d’étendre leur culture sur d’autres communes du département).

Mi-août, les fruits n’ont pas encore atteint leur maturité idéale. Si certaines sont encore de petite taille, leur surnombre est de bonne augure, l’alternance faisant, 2014 a été une année faible en production. « Nous avons une variété précoce que l’on pourra ramasser en septembre mais pour le reste il faut attendre octobre-novembre-décembre. Les pommes à cidre se ramassent au sol et non sur l’arbre comme pour les pommes à couteaux, les pommes de table. », explique l’agricultrice.

En attendant, pas question de chômer, les vergers doivent être entretenus, l’herbe tondue pour faciliter le passage de l’engin lors du ramassage, les arbres traités. « Uniquement à l’aide de produits naturels !, souligne Sylvie avec insistance. Nous avons même planté une haie, pour couper le vent et abriter les insectes auxiliaires permettant de stopper les insectes prédateurs. Nous devons composer avec la nature. »

Les trois derniers mois de l’année seront propices à la récolte pour les professionnels bénéficiant de vergers, comme tel est le cas pour Sylvie Forel et Florence Loisel (12 hectares s’étendent à perte de vue à quelques kilomètres de sa ferme). Le surplus de pommes sera ensuite livré à un des seuls groupes industriels de l’Ouest, Loïc Raison.

Les cidreries artisanales, quant à elles, achètent leurs fruits aux particuliers ou producteurs de pommes à cidre locaux qui viennent leur livrer sur le parvis de leurs établissements, choisissant de planter des vergers sur une superficie plus restreinte que les cidreries fermières.

« Nos parents ont toujours fonctionné comme ça, mais nous avons choisi de commencer à replanter des arbres, pour avoir certaines variétés directement ici. Cela prend beaucoup de temps d’avoir ses vergers. »
précise Aurélie Chesnais.

Elle co-dirige à 31 ans l’entreprise familiale et artisanale Cidre Sorre – Établissements Chapron, avec son frère Michaël Chapron, à Plerguer.

Selon les cidreries, les fabricant-e-s travaillent avec plus ou moins de choix pour l’assemblage, allant de 6 variétés différentes pour la ferme de Gosne à 40 pour Coat Albret, établissement artisanal fondé et dirigé par Loïc Berthelot à Bédée avant de transmettre le flambeau à sa fille, Morgan, 28 ans, d’ici l’année prochaine.

PROCESSUS DE TRANSFORMATION

« On récolte un jour, on presse le lendemain. Il faut bien s’organiser. », précise Sylvie Forel. En effet, très rapidement, les professionnel-le-s vont s’activer au lavage et au tri des fruits avant d’en extraire la pulpe à l’aide d’une presse à bande, répartie entre un tapis et des rouleaux cylindriques.

Le jus récolté est alors mis en cuve, dans une chambre froide, dont la température varie selon les structures de 8 à 12 degrés, essentielle pour ne pas stopper la fermentation. Commence alors la première étape, celle de la clarification naturelle, pendant laquelle les pectines remontent à la surface et forment le « chapeau brun ».

« Cette phase est très importante, on a qu’une chance ! Bon après ça ne sera pas foutu mais on en bavera pour centrifuger. Heureusement, depuis 2 ou 3 ans, nous n’avons raté aucun chapeau brun… », rigole Morgan Berthelot. Lors de cette étape, les levures se développent, fermentent, transformant le sucre en alcool.

Après 7 à 10 jours, un jus clair est soutiré pour une deuxième phase de fermentation. « Ici, on centrifuge pour enlever les levures impérialistes. Ça permet de laisser la place à des levures qui avaient du mal à s’imposer mais qui souvent sont plus intéressantes au niveau du goût. », poursuit la jeune femme. Plusieurs mois en cuve seront nécessaires pour cette fermentation avant de procéder à l’assemblage des jus.

Aux Vergers de l’Ille, on assemble selon la typicité de l’Ille-et-Vilaine :

« Dans le pays de Rennes, en général et en gros, le cidre est composé de 40% de pommes amères, 50% de pommes douces et 10% de pommes acidulées. Il y a des différences de terroir, comme pour le vin. Par exemple, dans le Finistère, ce sera beaucoup plus amer comme produit. »

Et la différence se notera à la couleur de la robe, le cidre brétillien tirant majoritairement vers un liquide jaune paille, et le cidre finistérien vers un liquide marron-ambré.

Dernière étape dans la fabrication du cidre : la mise en bouteille. Après suivi régulier de la fermentation et vérification des levures, par microscope ou par filtrage, le jus est embouteillé, la plupart du temps sans être pasteurisé. « Pas question de saper le goût ! », s’exclame Morgan Berthelot, rejointe par Sylvie qui tient particulièrement à obtenir un produit naturel. La fermentation se poursuit encore légèrement et est prêt à la consommation.

CARACTÈRE ET SINGULARITÉ

Au-delà des caractéristiques territoriales et de la multiplicité des variétés, le breuvage pétillant se définit selon les sensibilités de chaque fabricant. Favorisant ainsi la complexité et la singularité de tous les produits cidricoles circulant dans le commerce, de la vente directe aux rayons de la grande distribution, en passant par les épiceries fines, les boutiques de produits régionaux ou encore les regroupements de producteurs tel que Brin d’herbe, situé à Chantepie et à Vezin-le-Coquet.

Le processus étant quasiment le même d’une cidrerie à l’autre, excepté les cidreries industrielles qui stoppent très rapidement la fermentation et certaines cidreries artisanales qui ajoutent du gaz carbonique à l’embouteillage, des différences sont à noter dans le choix des arômes mais également de la diversité des produits.

« On fait un jus de pomme et un cidre. Point barre. Ce sont des produits qui nous ressemblent, qui ont du caractère, sans être agressifs. C’est ça qui est intéressant dans le cidre, qu’il y ait des disparités en fonction des terroirs et des caractères des personnes. »
argumente Florence Loisel, adossée au bar qu’elle vient d’installer dans la pièce qui deviendra une boutique pour la vente directe et la dégustation.

« Un bar d’époque, qui a bien servi, on voit encore les piliers de comptoir accoudés là ! », plaisante-t-elle. La jeune agricultrice, après un cursus en droit, une licence Management en grande distribution et une expérience dans ce secteur, décide de reprendre en 2010 l’exploitation familiale, transmise depuis quatre générations.

« Ils ont tous fait du cidre, sauf mon grand-père. Nous, mon mari a également une exploitation de vaches laitières, ne faisons pas que ça, nous faisons aussi du lait donc et des céréales. », explique-t-elle. Elle obtient alors son diplôme au CFPPA de Robillard, près de Caen, seul établissement à dispenser une formation spécialisée en production cidricole.

De même pour Sylvie Forel, qui avant de s’installer à Saint-Grégoire était ingénieure agronome en développement de l’agriculture biologique. « Quand Etienne a voulu s’établir en tant qu’agriculteur, je ne savais pas trop si j’en avais envie. Mais je savais que je voulais travailler un produit transformé. Et j’adore être polyvalente, pouvoir être dans la cave, dans les vergers, jouer les chimistes ou la marchande ! », confie-t-elle.

Toutes les deux ont en commun leur franc parler, leur côté brut de décoffrage et leur priorité pour fabriquer des produits de qualité. Et surtout, elles partagent l’attachement à la terre et aux valeurs qui en découlent. Le naturel, la simplicité, l’authenticité.

TRANSMISSION DE LA TRADITION

La reprise de l’entreprise familiale participe à cette volonté et cette dynamique de valoriser l’image du cidre. « Mon père, quand il était plus jeune, avait honte de dire que son grand-père faisait du cidre. Il n’a pas tout de suite créé sa cidrerie mais je pense que quand il l’a fait, c’était avec beaucoup d’émotions et surtout avec l’envie de faire bien. », explique Morgan Berthelot qui a rejoint Loïc depuis 2 ans et s’apprête à en reprendre les rennes.

Pourtant, elle n’a pas toujours été aussi déterminée. « Petite, je voulais travailler là. Puis je me suis posée la question : est-ce que je veux vraiment faire ça ? J’ai fait un IUT gestion des entreprises et des administrations à Beaulieu, j’ai eu différentes activités professionnelles, notamment en contrôle de gestion. », retrace-t-elle.

L’envie lui revient et ne la quitte plus. Elle poursuit : « J’ai pris conscience de pourquoi je voulais reprendre ». Ce qui lui plait dans la cidrerie, c’est « la conscience sociétale de ce qu’est une entreprise ». Participer à l’économie locale en achetant les pommes, maintenir les vergers existants dans les alentours, offrir de bonnes conditions de travail aux employés. Et proposer un produit accessible à tous.

Trois cidres sont produits chez Coat Albret et un jus de pomme, depuis peu. Des produits vendus en crêperies ou en vente directe, aussi exportés hors des frontières du département et de la région, et même exportés à l’étranger. Elle souhaite conserver l’image sympathique et populaire de la boisson emblématique. Pas besoin pour elle donc de décliner les gammes et les produits.

Idem pour Florence Loisel :

« Je fais un produit que mes clients apprécient. Je n’ai pas l’ambition de faire 1 million de bouteille par an. Je ne précise même pas sur l’étiquette s’il s’agit d’un cidre brut ou doux. Pour moi, il y a juste besoin d’y mettre de la sincérité, du vrai, de l’affection, des liens familiaux. Pas du flon flon ! C’est simple, je ne pense pas qu’on puisse faire des bons produits quand on n’y croit pas. »

UNE OFFRE DIVERSIFIÉE

Si de nombreux professionnels s’accordent sur le fait de conserver le côté populaire, certains s’attèlent à la diversification de la gamme proposée. Cidre rosé, cidre à la fraise, cidre à la châtaigne, cidre à la framboise ou encore cidre à variété unique comme Le Guillevic – mentionné comme le « champagne » du cidre – les fabricant-e-s suscitent l’attraction et l’intérêt de la clientèle.

Aurelie Chesnais et Michaël Chapron, des Cidres Sorre, l’ont bien compris et ont su adapter les traditions familiales transmises par les grands-parents. « On a toujours été dans la cidrerie, on connaît bien. Aujourd’hui, ce que l’on veut c’est aussi écouter nos clients et répondre à leurs attentes. On a réfléchi avant de reprendre et on a investi, il ne faut pas avoir peur d’investir dans la modernisation », explique Aurélie, en charge de l’arrivage des pommes, de la vente et de la comptabilité à la cidrerie.

Le renouvellement de l’offre entraine alors l’évolution de l’image du cidre et participe à son retour sur la table. Petit à petit, des bars à cidre se créent, mettant en avant la multiplication des produits et les différences existantes entre chaque cru. De même pour les restaurants à l’instar de Sylvain Guillemot, chef de L’Auberge du Pont Acigné à Noyal-sur-Vilaine, « précurseur dans ce domaine avec une carte des cidres ! », nous glisse Morgan Berthelot.

L’occasion de faire la lumière sur les cidriers artisans et fermiers, sur leur activité et leur savoir-faire proche des viticulteurs. « Aujourd’hui, on maitrise la technique, on maitrise la fermentation, on a des œnologues, de la diversité dans les produits. Il y a une dynamique dans la filière qu’il n’y avait pas avant, mais je crois qu’on peut en avoir encore plus. », observe Florence Loisel.

Davantage de cohésion entre les professionnel-le-s serait souhaitable pour éviter les rivalités. Morgan Berthelot est d’accord, la complémentarité ne peut que jouer en leur faveur pour une mise en avant positive :

« Tout comme le vin, on n’aime pas tous les cidres. Il faut trouver celui qui nous convient. C’est pour cela je pense qu’il faut s’aider entre nous. Et surtout, il ne faut pas prendre le consommateur pour un idiot. Comme quand on dit qu’on fait du cidre rosé avec une variété particulière de pommes, c’est pas possible ! Si on rajoute des colorants ou des produits, alors il faut l’assumer et le signaler ».

100% BRETON

Et ce qui est souvent signalé, c’est le côté « Cidre breton ». La garantie d’un produit fabriqué uniquement avec des pommes de Bretagne et une manière de jouer sur l’identité régionale.

« Nous avons l’Identification Géographique Protégée qui mentionne que nos cidres sont 100% bretons. Et nous tenons aussi au 100% pur jus, comme nous l’ont transmis nos parents et grands-parents, nous sommes très exigeants là dessus et sur la qualité des pommes que l’on achète », signale Aurélie Chesnais.

Même exigence aux Vergers de l’Ille qui attache une grande importance à l’agriculture biologique, en essayant également de valoriser la qualité de leurs produits par un étiquetage élégant ou par une cuvée particulière, dans laquelle le cidre est mélangé avec du houblon, cultivé non loin de là, à Melesse par Drao, agricultrice-brasseuse.

Les quatre professionnelles sont unanimes : il reste encore du chemin à parcourir avant que l’image du cidre ne se détache de son étiquette de boisson du pauvre. Pourtant, c’est incontestable, les choses bougent.

L’augmentation des prix de la bière, la diversification des cidres, l’appui des œnologues et des restaurateurs, l’arrivée des bars à cidre – encore peu étendus – et l’engouement des fabricants de cidre pour la qualité, favorisent le développement des connaissances en terme de production du cidre mais aussi et surtout en matière de dégustation et d’appréciation du breuvage pétillant, qui conserve avant tout son caractère populaire et folklorique.

 

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De la tradition familiale à la modernisation du cidre
La goût du caractère populaire ?
Sommelière, dans le cidre aussi !

La Forêt Sacrée - Vivement lundi !

Le tabou de l'excision et l'ambigüité du combat

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Rennes
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Combattre pour préserver des milliers de jeunes filles de l'excision en Afrique, mais aussi sur le sol français, Martha Diomandé s'y dédie. Et c'est d'ailleurs l'objet du documentaire de Camille Sarret, intitulé La Forêt Sacrée.
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La lutte contre l’excision, elle en a fait son combat. Depuis 15 ans, Martha Diomandé vit à Rennes, où elle a créé ACZA (Association culturelle zassa d’Afrique). Son but : faire évoluer les mentalités des matrones contre cette pratique. La journaliste Camille Sarret l’a suivie en Côte d’Ivoire et de là résulte un très beau documentaire, La Forêt Sacrée, projeté en avant-première au cinéma Arvor, à Rennes, le 10 octobre à 11h puis diffusé sur TVR, à partir du 20 octobre.

Actualisation 26/02/2016 : Dans le cadre du 8 mars à Rennes, le film sera projeté le 12 mars à 16h30 aux Champs Libres (Comptoir du doc, 13e édition de Documentaires au féminin), et le 26 mars à 14h à la salle de la Cité (suivie d'une table ronde et d'un échange avec le public).

Plus de 125 millions de femmes sont excisées dans le monde, selon le rapport de l’Unicef en 2013. Et on estime à plus de 50 000 le nombre de femmes excisées en France. Martha Diomandé est l’une d’entre elles. Originaire de Côte d’Ivoire, elle a subi l’ablation du clitoris à 7 ans et lutte aujourd’hui contre cette pratique, répandue dans de nombreux pays d’Afrique, dans les villages surtout, les grandes villes ayant davantage accès aux campagnes de sensibilisation.

Souhaitant faire un reportage sur l’excision, Camille Sarret, journaliste originaire de la capitale bretonne, féministe - qui a milité aux côtés de Mix-Cité Rennes - a rencontré des femmes militantes excisées – originaires du Sénégal – et des associations qui travaillent sur le sujet, comme Gynécologues Sans Frontières.

Et c’est en découvrant l’histoire de Martha Diomandé, qui lui propose de venir avec elle en Côte d’Ivoire afin d’observer les actions menées concrètement dans son village, que Camille décide d’en faire un documentaire, se rendant à 3 reprises sur place tout d’abord pour découvrir l’environnement, habituer les femmes à la caméra, puis filmer.

L’EXCISION AUTREMENT

« J’étais curieuse et j’avais du mal à saisir la démarche de Martha. Elle n’est pas classique dans son regard sur l’excision. Elle n’a pas la même vision que la plupart des Occidentaux ou certaines féministes ont. Elle est pleine de contradictions. », dévoile la journaliste qui réalise ici son premier documentaire de 52 minutes, en co-production Vivement Lundi et TVR 35 Bretagne. Des contradictions dont la fondatrice d’ACZA ne se cache pas. Si Martha s’engage contre l’excision, elle milite également pour une autre méthode :

« En Europe, la vision de l’excision n’est pas la même. Ma culture est entre la France et l’Afrique. Je suis pour dire non à l’excision mais je ne suis pas pour la tolérance 0. C’est toute l’ambigüité de mon combat. ».

Et cette ambigüité, elle s’en sert pour dialoguer avec les matrones. Pour elle, pas question de rester sans agir. Soit elle devenait exciseuse, soit elle s’en faisait un combat, explique-t-elle au début du documentaire.

Mais quand elle raconte son histoire, qu’elle retourne dans son village de Kabakouma pour comprendre les matrones et, doucement, les amener vers l’unique mission d’accoucheuse, délaissant ainsi la pratique ancestrale de l’excision, elle ne peut s’empêcher de penser qu’elle va à l’encontre de sa culture, qu’elle brise quelque chose et qu’elle trahit sa famille ainsi que ces femmes.

« Elle a du mal à renier cette tradition. Certaines militantes qui ont été excisées sont dans une telle rage qu’elles ont besoin de dénigrer tout ça justement. Pas Martha. »
souligne Camille Sarret.

Et c’est là dessus qu’elle base son documentaire : sur les réflexions de Martha Diomandé, son parcours et son travail de sensibilisation. Une démarche bien accueillie par les femmes du village qui demanderont seulement à ce que les activités spirituelles ne soient pas filmées.

Camille se souvient : « Martha a fait une cérémonie dans laquelle elle invoquait les esprits. Nous n’avons pas pu filmer ça, ce qui se comprend et se respecte. Pour le côté mystique, il y a quelques images de la forêt, qui pour nous n’a rien de sacrée. C’est une forêt qui se traverse au quotidien, mais pour les rituels on ne peut pas rentrer dedans. Les femmes nous ont emmené sur le chemin mais se sont arrêtées à l’entrée. Ce sont leurs limites. »

UNE RÉALITÉ BRUTALE

Au delà des pratiques animistes et des cérémonies sacrées qui définissent de manière réductrice le mode de vie de ces villages, La Forêt Sacrée cherche à livrer un regard neuf, loin de tout jugement, vis-à-vis d’une réalité qui nous apparait brutale et qui engendre douleurs, traumatismes et complications dans sa vie de femme. Une réalité que Martha a pardonnée.

Accepter d’être filmée en Côte d’Ivoire est pour Martha Diomandé « une manière de s’exprimer sur un sujet tabou et dire la vérité car on dit que c’est interdit mais on sait très bien ce qu’il se passe là-bas, personne ne s’en cache ». Et surtout, l’occasion de montrer la manière dont « les vieilles » du village conçoivent cette pratique.

« Ce ne sont pas des meurtrières et je ne veux pas les brutaliser. Il faut aller à leur rencontre et être dans le respect. On peut procéder à des arrestations de villages entiers, elles continueront tant qu’elles ne comprendront pas que c’est mauvais pour elles. »

Douceur et apaisement règnent sur le film qui pourtant capte la tension omniprésente. Sous-tendue par l’enjeu si important de l’évolution des mentalités et des pratiques, La Forêt Sacrée montre des réunions, des discussions, des échanges personnels visant à établir une relation de confiance mais aussi à accompagner les matrones dans le rôle d’accoucheuse.

Pour la réalisatrice, le combat de Martha pose la question du droit à la parole pour ces femmes. Combattre cette pratique dans le respect des cultures n’est pas incompatible. Elle soulève alors une autre question, essentielle dans les réflexions autour des droits des femmes : celle de l’universalisme. Et ajoute :

« L’objectif est de susciter des questions autour de ce sujet mais aussi autour de l’universalisme du féminisme, l’universalisme des droits humains. »

UN COMBAT UNIVERSEL

Les femmes excisées sont-elles les seules à pouvoir faire bouger les lignes ? Et doivent-elles se lever seules face à cet acte considéré comme barbare ? Quel est le rôle des Occidentaux/Occidentales ? Dans le documentaire, pas de réponses, simplement l’instauration d’un dialogue dont résulte la possibilité de comprendre ce que signifie cette pratique dans les villages. Et de potentielles solutions pour doucement faire évoluer les mentalités des matrones.

« Personne d’autre que les femmes excisées n’ont la légitimité de porter ce combat. Mais tout le monde peut les soutenir et participer. Leur permettre de mener ce combat. Je ne suis pas pour le « Chacun sa culture, chacun fait ce qu’il veut ». Mais il est indispensable de comprendre la culture des autres et de comprendre ici les conditions de l’excision. Tout le monde peut s’accaparer de ce sujet. Il y a aussi des jeunes filles qui vivent cette injustice sur le sol français ! », rappelle la journaliste.

Depuis septembre 2015, l’ACZA souhaite mettre en place un système de parrainage/marrainage afin de financer les études de jeunes filles africaines en contrepartie de la promesse faite et tenue par la famille de ne pas l’exciser. « Un compromis avec celles qui ne veulent pas arrêter de pratiquer !, conclut-elle. Progressivement, ça va aller, il y a déjà des avancées, mais ça ne pourra se faire que dans le respect de ces femmes et dans la discussion. ».

 

La Forêt Sacrée sera diffusée sur TVR le 20 octobre à 20h45 et 23h, le 21 octobre à 10h et le 24 octobre à 15h et 23h. Une édition DVD devrait voir le jour en décembre prochain.

Actualisation 26/02/2016 : Le film de Camille Sarret a été sélectionné pour la compétition Premier film documentaire des 15e Rencontres du cinéma européen de Vannes qui se dérouleront du 2 au 8 mars.

Célian Ramis

Le Marché Noir cherche à s'ancrer

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Rennes
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Donner une meilleure visibilité aux arts imprimés, tel est le but du festival rennais Le Marché Noir depuis 4 ans. Cette année, il aura lieu du 25 au 27 septembre dans la capitale bretonne.
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Donner une meilleure visibilité aux arts imprimés, tel est le but du festival rennais Le Marché Noir depuis quatre ans. Cette année, il aura lieu du 25 au 27 septembre à l'Ecole des beaux-arts et se prolongera, à travers des expositions et des projections dans le centre-ville, jusque début octobre.

Sur l'affiche du festival Le Marché Noir se dessine une tête à deux visages : à gauche, une apparence masculine, à droite, féminine. Seule la barbe brouille les pistes. « Il y a une étrangeté qui fait qu'on ne sait pas trop ce qu'on voit », explique Julie Giraud, membre de l'atelier La Presse Purée, l'un des trois cofondateurs de l'évènement avec L'Atelier du Bourg et La Barbe à Papier. Et comme tous les ans, l'atelier d'initiation à la sérigraphie et à la gravure, qui se déroulera les 26 et 27 septembre, a puisé sa thématique, « Cul-de-jatte et femme à barbe », dans le visuel.

Réalisé par l'association Le Marché Noir, regroupement des ateliers, il « donne une liberté » à l'imaginaire des personnes qui y participeront. « Les inscrits créent en une après-midi une image à partir du thème : ils la dessinent puis la façonnent et l'impriment, détaille Anna Boulanger, illustratrice à l'Atelier du Bourg. Le résultat peut être aussi bien imprimé sur des affiches, que des cartes postales ou des t-shirts. » Pour simplifier, la sérigraphie utilise la méthode perfectionnée du pochoir. « C’est-à-dire qu’on imprime couleur par couleur, développe Julie Giraud. Quant à la gravure, on creuse sur une plaque pour réaliser le motif puis l’encre, à l’aide d’une machine, rentre dans les vides. »

ESPACE D’ÉCHANGES

L'envie de faire connaître leur savoir-faire est à la base du Marché Noir, monté en 2011. « Nous souhaitons accompagner les collectifs qui démarrent et même ceux qui n'ont aucun soucis. On pense juste que ce qu'ils font, ça déchire ! », sourit Maud Chatelier, plasticienne à L'Imprimerie, un autre atelier rennais qui a rejoint l'équipe en 2012. La ville ou le pays ne sont pas des critères de sélection, seule « la volonté de créer des ponts et des accroches » entre professionnels. Cette année, une quarantaine d'ateliers sera représenté sur 36 stands.

« Les arts imprimés regroupent beaucoup de choses : sérigraphie, gravure, livres... Ce sont des éditions limitées, de l'impression manufacturée et du multiple même si cela reste artisanal. Il y a une volonté de faire tout nous même », définit Maud.

Le système D caractérise l'esprit même du festival.

« La première année, on n’avait rien !, se souvient la créatrice de La Presse Purée. D'où un côté débrouille très créatif puisque pas le choix. »

TOUCHER UN LARGE PUBLIC

Comme l'édition précédente, le Marché Noir se prolonge jusqu'en octobre à travers des expositions, conférences et projections, cette fois-ci, dans neuf endroits de la ville. «Cela crée une dynamique pour pouvoir voir au moins un événement », développe Maud Chatelier. Car hormis les connaisseurs de ce milieu artistique, le grand public a été peu présent les deux premières années. De cette réalité, l'équipe du Marché Noir en a conscience.

Le nom du festival vient d’ailleurs de là : « L'expression "le marché noir" est un peu comique. À l'époque, cela partait du constat de ce qu'était l'estampe (terme généraliste pour désigner la gravure et la sérigraphie, ndlr) : un petit milieu où tout se faisait sous le manteau et se donnait de main à main. Dans les salons, on retrouvait tout le temps le même monde aussi bien au niveau des ateliers que du public », se rappelle Julie. Les animations pour enfants et le concert à chaque soirée d'ouverture participent à cette envie de s'ouvrir à un plus large public.

Passée de main à main, mise sous le manteau… C’est aussi de cette façon qu’est apparue la sérigraphie en France, pendant la Seconde Guerre mondiale, importée par les soldats américains pour marquer leurs appareils.

« Elle a survécu grâce aux résistants, ils cachaient le matériel en le remplaçant par des objets du quotidien, comme des tableaux ou des rideaux. Ce qui leur permettait de le transporter sans se faire attraper ! »
raconte l’enseignante aux Beaux-Arts de Rennes.

PLACE ARTISTIQUE À DÉFINIR

Lors de cette quatrième édition, Le Marché Noir proposera, pendant plusieurs semaines, des temps de réflexions sur les livres d'art, autre volet des arts imprimés. Des étudiants de l’école de Rennes exposeront onze projets à l'Institut Pasteur autour du « livre mutant », sur lesquels ils travaillent depuis avril. L'objectif : le détourner de sa fonction première. « L'exposition Au-delà de la réserve, les mutations du livre au Frac (Fonds régional d'art contemporain) interroge aussi les limites du livre et son contenu. L'art contemporain a ces questionnements depuis les années 60 », rajoute Maud. Et ces thématiques traversent autant les travaux de cette dernière que ceux d'Anna Boulanger.

Or, sont-elles artistes ou artisans ? La question se pose, puisque beaucoup des organisateurs du Marché Noir ont étudié dans des écoles d'arts plastiques. Pour Julie Giraud, pas de doute : elle se définit artiste. « Ma sérigraphie est liée à mon travail plastique. L'artisan est à la recherche de la perfection technique, il réalise, tandis que l'artiste conçoit et crée », nuance-t-elle. Mais, en France, le milieu professionnel ne le voit pas de cette manière.

« L'estampe est fortement dévaluée par les galeristes car ce n'est pas vu comme un art mais une reproduction, contrairement à l'Allemagne, la Belgique, la Hollande ou les États-Unis où la pratique est équivalente à la peinture et au dessin », constate Julie. Pour autant, elle revient sur le devant de la scène dans le pays depuis plus d'une dizaine d'années.

« La mode du Do It Yourself est arrivée d'une part, puis l'envie de retourner au côté manuel, après l'époque de la perfection du numérique, d'autre part »
explique-t-elle.

Ce temps de rencontres que permet Le Marché Noir amène ainsi à réfléchir sur la pratique, le rôle et l'avenir des sérigraphes, graveurs et éditeurs dans les arts.

Célian Ramis

Alice Schneider, mauvais esprit et faux sanglants

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Galerie DMA, Rennes
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Mauvais esprit et impertinence s'invitent à la galerie DMA de Rennes jusqu'au 29 octobre. L'occasion d'apprécier le talent d'Alice Schneider qui a réalisé 200 dessins à l'encre de Chine.
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Faux sanglants, l’exposition de l’artiste plasticienne Alice Schneider, regroupant 200 dessins réalisés à l’encre de Chine, est présentée jusqu’au 29 octobre, à la galerie DMA de Rennes.

Faux sanglants, c’est le titre de l’exposition de la mancelle Alice Schneider, écrit en majuscules dégoulinantes, fruit du déversement d’une bouteille de Ketchup sur une banale feuille A4. « Ça résume bien la série de dessins, avec le côté cheap, la référence au fake, à la marque Ketchup… Tout le monde connaît ce jeu du sang avec le Ketchup », explique-t-elle, quelques heures avant le vernissage de l’exposition, jeudi 17 septembre.

Après avoir passé trois mois à entreprendre cette série, elle vient de coller ses 200 dessins sur les murs de la galerie DMA. Des dessins en noir et blanc, à l’encre de Chine. « Pour ne pas changer de feutre tous les 4 matins, mais aussi pour obtenir un vrai noir, qui garde un vrai contraste même sur les photocopies », commente l’artiste plasticienne. L’exposition ne présente pas les originaux, volontairement. Pour Alice Schneider, l’important est de pouvoir les diffuser, les photocopier, les multiplier.

DÉSACRALISER LE CÔTÉ PRÉCIEUX

« Le choix du dessin, et non de la peinture qui est pourtant mon premier amour, est une économie. C’est simple, facile à diffuser. Je suis parfois frustrée par le côté précieux des œuvres. » Elle prône la liberté du regard, la simplicité du rapport à l’art et la libre circulation de l’œuvre. Auparavant, elle avait déjà travaillé sur une série de magnets à coller sur le frigo et à reconstituer à sa guise.

Ici, elle opte pour des dessins que chacun peut photocopier directement dans la galerie, pour 1 euro, et repartir avec : « Il faut désacraliser ce côté précieux. Je veux qu’on puisse jouer et parler avec l’œuvre. Et que le dessin puisse partir à la poubelle sans complexe au final. »

Briser les frontières entre le visiteur et le travail de l’artiste, s’approprier les œuvres, les faire vivre selon nos propres références… Une démarche séduisante et engagée, en parfaite symbiose avec le contenu des dessins accrochés par thèmatique. Animaux, princesses Disney (ou Death Né), bouffe, mannequinat, amour, sexualité, désillusions, monde du travail, jeux, religion, actualité et nouvelles technologies, tout ce qui inspire la diplômée des Beaux-Arts d’Angers est recensé dans Faux sanglants.

LE TALENT AU SERVICE DE L’IRRÉVÉRENCE

« Au quotidien, j’ai toujours un petit carnet sur moi. Je note tout ce qui me vient en tête, des blagues Carambar, des jeux de mots, des sujets, des choses que je vois. C’est ma façon de procéder. J’aime mettre sous cloche des envies. Créer et mettre en images ensuite. », précise-t-elle, en balayant du regard les centaines de feuilles légendées affichées aux murs. Après ses études, Alice Schneider a travaillé brièvement dans une agence de pub à Paris, mais l’ambiance lui déplaisant, elle a préfèré voler de ses propres ailes. Parler de ces références, de ce qui la touche, ce qui la titille.

Des punks à chattes, une société française lubrifiée par le vin rouge ou boostée à la caféine, une pomme pomme girl, une femme aux seins doux (ou plutôt au Saindoux), une pharmachienne ou encore des migrants jamais aussi célèbres que Léonardo Di Caprio et Kate Winslet… la dessinatrice distille dans chaque pièce de la série une dose d’humour noir, de sarcasme et de regard critique. Simplement dans l’objectif de rendre compte de ce qu’elle constate : « Je ne cherche pas forcément à être critique mais généralement quand on écrit sur quelque chose, c’est quelque chose qui nous titille. On soulève rarement ce que l’on aime bien mais plutôt ce qui ne tourne pas rond. »

Sans prétention, Alice Schneider propose sa vision du monde à travers des dessins pouvant être appréhendés de manière personnelle comme universelle. Fortement influencée par les mutations sociétales des années 90 et 2000, l’artiste de 28 ans soulève avec simplicité et talent tous les « faux sanglants » de notre environnement. Impertinence et mauvais esprit s’invitent à la galerie DMA jusqu’au 29 octobre, on vous conseille d’en prendre une tranche…

Célian Ramis

Sexualité : Plaisirs intimes, et non tabous

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Rennes
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La sexualité féminine reste hélas objet de fantasmes et de mystères néfastes à l'épanouissement des individus. Comment briser les tabous et s'affranchir des normes sociales ? Enquête sur la découverte du corps et des plaisirs sexuels.
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Non, le corps des femmes n’est pas une conquête. Ni un continent noir, comme a pu le dire Freud… Celui ou celle qui cherche absolument à planter le drapeau de la victoire sur le point G fait fausse route. Les cultes se succèdent et se juxtaposent : performance, orgasme, libre sexualité… et finissent par semer la pagaille d’une norme à une autre, sans prendre en compte la réalité du quotidien et surtout sans envisager la différence des corps.

Femme ou homme, chaque individu possède une enveloppe charnelle unique, forte d’un héritage des générations familiales et sociétales passées d’où découle des blocages et des leviers propres à chaque personne et son histoire. À cela s’ajoute une pression journalière liée à l’évolution de la société, dont le comportement est dicté aujourd’hui par un marketing genré et des stéréotypes relayés dans les médias, sans mesure (ou plutôt en se fichant) des conséquences.

La sexualité ne peut se résumer à des techniques, des positions, des chantages affectifs, encore moins à des mystères et à des sornettes dignes des romans Arlequin (ou plus récemment Cinquante nuances de Grey).

Il est temps d’en finir avec les distinctions clivantes et aberrantes entre clitoridiennes et vaginales mais également entre sexualité féminine à l’eau de rose et sexualité masculine mécanique. Temps de nous connaître, précisément.

Les femmes veulent vivre une passion, les hommes tirer un coup. Mais quelle vision entretient-on des femmes et des hommes ? Et comment se libérer de tels carcans imposant une sexualité féminine opposée à une sexualité masculine ?

« Les femmes aujourd’hui sont infiniment plus libres dans leur sexualité que leurs ainées. Le désir féminin est reconnu ; la masturbation n’est plus taboue ; elles expriment leurs fantasmes et se trouvent, pour la plupart, belles et sensuelles. Reste que l’orgasme ne survient que dans un rapport sur cinq. Et qu’un quart des femmes y accèdent rarement ou jamais. »

Une utopie présentée en 2012, dans l’émission « Sexualité, plaisir et désir féminin », sur France Inter, visant à entendre les témoignages des femmes d’aujourd’hui, avec leurs réalités et leurs désillusions. Moderne et libérée. C’est ainsi que l’on veut présenter la sexualité féminine. Mais le sujet, bordé de tabous dus aux dissonances des discours religieux, scientifiques, psychanalytiques ou encore médiatiques, a la vie dure.

Le philosophe Michel Foucault le souligne dans Histoire de la sexualité (1976-1984), le corps des femmes reste un enjeu de pouvoir. Et c’est d’ailleurs le cheval de bataille du féminisme pro-sexe : utiliser le corps et le plaisir sexuel comme armes politiques, dont les femmes doivent s’emparer. Comment comprendre qu’elles ne soient toujours pas maitresses de leurs désirs et de leurs sexualités, au même titre que les hommes ?

PLONGÉES DANS LA PASSIVITÉ

Au début du XXe siècle, Freud, père de la psychanalyse, établit des théories bancales sur la sexualité féminine, néfastes pour l’évolution des mentalités et des générations à venir. Partant du principe que le clitoris est un pénis tronqué, il en déduit que la petite fille est un petit garçon qui se masturbe en fonction de pulsions et plaisirs virils.

Pour accéder à la féminité, la jeune fille devra opter pour la passivité et le refoulement de ces pulsions. En découvrant qu’elle ne possèdera jamais de pénis, et que les hommes en sont dotés, elle va se détourner de sa mère et tourner son désir vers son père (complexe d’Œdipe), avant de le remplacer, en vieillissant, par un désir d’enfant.

La découverte du clitoris appartiendrait donc à la petite fille, qui apprendra à s’en détacher et à vivre avec la frustration transfigurée en envie du pénis, et la découverte du vagin à la femme, objet et passive, face à l’homme sujet et actif.

Son travail lui vaudra la célèbre phrase comparant la sexualité féminine à un continent noir. Une métaphore que Marine Bachelot Nguyen, auteure et metteure en scène à Rennes, a souhaité creuser dans son spectacle « À la racine », dans le cadre du projet Féministes ? en 2011.

« C’est mystérieux et obscur mais c’est aussi une référence coloniale, explique-t-elle. Qu’est-ce que le corps de la femme quand il est vu comme un continent ? Ça implique que l’on peut le conquérir, le violer, le coloniser, se l’approprier ?! »

Tout cela avec la vision de l’homme occidental, blanc, hétérosexuel. La militante féministe va alors s’amuser des codes de la domination masculine, représenté par le phallus, comme norme et référence autour de la sexualité pour mettre en exergue le propos de Freud : « En manquant de pénis, on manque le droit d’être reconnues comme des êtres humains… » Mais aussi souligner ce clivage désastreux entre jouissance vaginale et jouissance clitoridienne qui reste encore et toujours d’actualité.

On pourra lire en octobre 2014, sur le site de Madame Figaro : « Oubliez tout ce que l’on vous a dit : il n’y a pas d’orgasme vaginal, ni d’orgasme clitoridien. Il n’y a qu’un orgasme féminin. Et le point G ne serait qu’un mythe, selon les conclusions de deux chercheurs italiens, parues dans la revue Clinical Anatomy ».

Pour Marine Bachelot Nguyen, les discours livrés au grand public sont dangereux dans la mesure où on l’éduque à une distinction nette et précise de la sexualité psychologique chez les femmes et de la sexualité mécanique chez les hommes.

« On a des connaissances autour du sexe des femmes mais très peu diffusées. Aujourd’hui, on a plus accès au porno mainstream, qui prône l’humiliation et met en scène l’assujettissement des femmes et privilégie les fantasmes des hommes, qu’à des documentaires. Dans le spectacle, je parle du clitoris et du schéma anatomique que les femmes elles-mêmes ne connaissent pas. », souligne-t-elle, mettant ainsi en lumière la méconnaissance persistante du corps et de son fonctionnement.

CLITORIS, AU PLACARD !

Le clitoris est pourtant connu depuis des millénaires. Dans l’Antiquité, le médecin grec Hippocrate expliquait déjà l’importance du plaisir ressenti lors de la procréation. Au XVIe siècle, les premières planches d’anatomie montrent avec précision le clitoris, dessiné par l’italien Mateo Renaldo Colombo qui le définit comme un organe du plaisir.

Mais en 1875, la découverte du système de fécondation le renvoie au placard, puisque incohérent avec l’idéologie religieuse, et il sera même diabolisé par la suite. Il faudra attendre 1998 pour que l’urologue Helen O’Connell rétablisse la vérité anatomique du seul organe actuellement connu pour ne procréer que du plaisir.

Le documentaire Le clitoris, ce cher inconnu se propose de faire un bilan des connaissances sur l’anatomie et la physiologie sexuelle féminine, montrant un organe dont la partie visible, recouverte par un repli de peau appelé le capuchon et munie de 8000 fibres nerveuses permettant ainsi l’érection et le plaisir, se situe au sommet des petites lèvres. Si on l’aperçoit en général qu’un centimètre maximum, le clitoris mesure entre 8 à 10 centimètres de long et de 3 à 6 centimètres de large, le corps entourant le vagin et l’urètre.

Il apparaît alors que les femmes peuvent jouir de manière aussi mécanique que les hommes, voire au-delà puisque la stimulation du clitoris pourrait procurer des orgasmes multiples (et mêmes nocturnes, la nature de ces derniers n’étant pour l’instant pas précisément affirmés). Pourquoi alors tant de mystères et de tabous autour de cette partie du corps ?

LES NORMES PERSISTENT…

« Il y a un interdit de la masturbation féminine. Elle est compliquée car elle n’est pas envisagée comme une découverte de connaissances de son corps et de son plaisir. On se pense sexuellement et sentimentalement dépendantes de quelqu’un d’autre. Homo ou hétéro, le but est d’avoir un couple stable. », analyse Marine Bachelot Nguyen. La sexualité se définirait donc par rapport à la vision du couple.

Ce que confirme le sexologue Michel Bozon, dans le documentaire réalisé par la féministe pro-sexe Ovidie, également réalisatrice de pornos féministes, À quoi rêvent les jeunes filles ?, diffusé sur France 2 dans Infrarouge, en juin 2015. Un héritage de la culture judéo-chrétienne et de la norme sociale qui en découle, impliquant quasi obligatoirement la vie à 2. Elle se définirait aussi selon le modèle de domination homme/femme, pré-existant depuis la naissance de l’espèce.

Ainsi, Marie-Laure Déroff, docteure en sociologie et enseignante au département de Sociologie de l’université de Bretagne occidentale, publie en 2007, aux Presses Universitaires de Rennes, Homme/Femme : la part de la sexualité – Une sociologie du genre et de l’hétérosexualité, dans lequel elle constate :

« Hommes et femmes sont ainsi définies comme deux catégories distinctes, déterminées par une Nature fondatrice des identités féminines et masculines. »

Elle a réalisé pour cet ouvrage de nombreux entretiens avec des femmes et des hommes, qui indiquent des différences dans le langage, dans la manière d’aborder le sujet et de correspondre dans les réponses à l’ordre social pré-établi de son genre. Pour comprendre, elle s’est intéressée à l’analyse du discours médiatique, à travers deux titres de presse féminine, Marie Claire et Cosmopolitan, et un titre de presse masculine, Men’s Health.

Marie-Laure Déroff y démontre des messages conservateurs et stéréotypés, fondés sur la Nature. En 2002, dans Men’s Health, on rappelle les rôles : « À la femme revient l’intérieur, l’univers de la maison, à l’homme, l’extérieur, c’est un chasseur. » Et dans Cosmopolitan, on explique en 2001 le désir féminin comme l’illustration d’un besoin hystérique de plaire « parce qu’elle est programmée pour assurer la survie de l’espèce, grâce à son utérus, elle a développé ce besoin-là. »

… ET SE DÉPLACENT

Pourtant, dans les médias, l’émancipation des femmes ne manque pas d’être prise en compte et est même poussée à son paroxysme. La sexualité féminine prend un virage radical, et son sexe préalablement destiné à la procréation devient l’objet de toutes les conquêtes. La libération sexuelle de 1968 et la lutte pour l’IVG et les méthodes de contraception permettant de ne plus vivre les relations sexuelles dans la peur d’une grossesse.

La femme doit maintenant devenir l’amante idéale, la performance prévalant encore sur la connaissance de son corps. Hypersexualisation, corps lisses et parfaits, chirurgie des grandes lèvres, la norme glisse et se déplace. Comment prendre son pied quand la société nous oblige à jouir ? La WonderWoman doit maitriser parfaitement sa sexualité.

Toutefois, sa libération et sa jouissance ne lui sont pas offertes, elles sont le prix à payer pour sauver son couple, principalement hétérosexuel, les autres « catégories » n’étant que très peu signifiées (hétéro, bi, homo, trans, pansexuel, polysexuel, hétéroflexible, etc.). Les médias, féminins mais pas que, multipliant les articles et dossiers sur les secrets d’une sexualité épanouie pour garder son homme, sur les mystères féminins basés sur les petites attentions, les jeux de séduction et les caresses, ou encore sur les positions préférées de ces messieurs (eux, seront servis des positions préférées de ces demoiselles).

Marie-Claire Bouchery Carlier, sexologue et psychothérapeute à Rennes, en voit régulièrement des « executive women », comme elle les appelle. Des femmes célibataires, trentenaires principalement, qui gèrent leur vie d’une main de maitre, mais se coupent de l’affectif :

« Elles ont des relations avec des hommes, sans le versant affectif, elles prennent du plaisir et du bon temps. Mais elles sont bloquées côté amoureux. Et quand elles lâchent prise, là, ça bloque dans le sexuel… Mais c’est normal, l’humain reprend ses droits. Et il y a une peur de la sexualité. La pression sociale leur dictant d’être des WonderWoman ! »

La professionnelle est catégorique, la souffrance derrière les problèmes sexuels est réelle, et est en partie due aux dictats de la société. En 23 ans, le sujet l’anime toujours autant, « la sexualité vient dire dans le corps que quelque chose ne va pas. » Pour elle, pas de réponse organique, seulement des causalités psychiques.

« Je recommande aux femmes de s’autoriser à prendre du temps pour se découvrir. Mais les causes appartiennent au psychisme. La sexualité vient vous parler de vous, dans votre intimité. Les traumatismes accumulés, les blocages sexuels, l’incapacité à lâcher prise, l’éducation, l’héritage familial, les complexes d’infériorité dont s’emparent les médias… Tout est lié à l’intime. Et parfois, ce sont des histoires hyper douloureuses qui se dénouent ici. C’est toute une souffrance qui se met en mot ! Ça peut être des secrets de famille, une histoire de transmission mère-fille, une question de respect de l’intégrité dans l’enfance… C’est hyper confrontant de faire l’amour avec quelqu’un ! », lâche-t-elle naturellement.

RELÂCHER LA PRESSION

Elle plaide pour la déculpabilisation des individus et pour décomplexer les discours pour ne pas tendre à une tyrannie du bonheur. Parler et se soulager pour identifier la nature du blocage et en trouver le levier. Elle évoque également la gestion de l’énergie, que l’on soit en couple ou non. « Il y a tout un travail sur l’équilibre global, apprendre à gérer les différents espaces de sa vie ne va pas de soi. Et le désir n’est pas naturel, il est culturel. Il n’existe que dans l’interaction avec l’autre. », rappelle-t-elle.

La sexologue insiste, les humains ne sont pas des robots, et quand le corps dit stop, il s’exprime, « c’est l’inconscient de la personne, le vécu de la personne ». Ainsi, l’injonction à avoir une vie sexuelle épanouie, fondée sur la performance et la technique, ne peut créer que des blocages. « Réussir sa vie, c’est réussir impérativement sa sexualité », déclare Ovidie dans son documentaire. Et femmes et hommes en pâtissent assurément.

« Les hommes sont pris pour des robots et les femmes ne comprennent pas quand ça ne marche pas. Il faut qu’ils soient performants. Ils ont une grosse pression et certains viennent me voir car ils vivent de profondes souffrances, ils s’effondrent. Il y a une vraie solitude chez eux car ils parlent moins entre eux que les femmes, entre copines. »
note-t-elle, signifiant la dangerosité à perpétuer des discours sur la virilité masculine.

Les hommes n’étant pas non plus habilités à explorer leurs corps, autrement que par la masturbation acquise de leur pénis, certains articles commençant à peine à évoquer le plaisir anal.

Pourtant, le sujet s’est invité naturellement à Trégunc en avril dernier, lors du festival Clito’Rik, organisé par le collectif Gast ! de Quimper et Douarnenez, qui prône le féminisme inclusif, la déconstruction des normes et la réflexion sur le genre. « On avait envie de parler de sexualité de manière positive, avec la question du plaisir. », explique Camille. Aborder le sexe anal n’était pas au programme mais s’est révélé comme un besoin.

Après l’atelier « Chatte », dans lequel les participantes ont été invitées à construire leur « chatte à modeler » et à découvrir, dans l’intimité et la confidentialité, l’intérieur de leur vagin en présence d’une gynécologue et d’une médecin généraliste, la discussion s’est poursuivie dans un café de Trégunc et s’est élargie. De quoi réjouir le collectif qui a su impulser un festival innovant dans la proposition et le sujet, qui a séduit un public hétérogène.

« Il y a un climat de crise religieuse, politique… Et de la pudeur sur le sujet. On est tou-te-s concerné-e-s par les questions de liberté, de sexualité. Et pourtant on ne parle pas beaucoup de plaisir… Alors que ça pourrait être évident et décomplexé. »
s’enthousiasme Camille.

Au programme : questions du consentement, de la contraception masculine, du polyamour, de la masturbation féminine, d’éducation non-sexiste, projections de documentaires tels que Clito va bien, réalisé par le Planning familial 29 (1979), Alors, heureux ? d’Yvonne Debeaumarché (2006) ou encore Les branleuses de Frédérique Barraja (2010) et conférences gesticulées.

Dont « Le clito, un petit nom qui en dit long. Plaisir et politique au pays de la sexualité féminine », créée en 2012 à l’initiative de l’association féministe rennaise Questions d’égalité. Sur scène, 7 femmes – 3 lesbiennes et 4 hétéras, blanches, sans enfants, entre 30 et 40 ans – racontent leur rapport à la sexualité.

LA RECONQUÊTE

« Nous avons voulu mêler expériences et théories. Il y a des parcours plus ou moins accidentés, des questions de transmissions familiales, de violences dans l’enfance, l’adolescence, des premières expériences, des notions de tabous, des casseroles de la religion, de la médecine, des médias, du capitalisme… », détaille rapidement Marine Bachelot Nguyen, qui participe à la conférence gesticulée.

Un savant mélange de récit d’expériences concernant la prise de conscience de femmes face à leur sexe et face à leur condition de femme. « Je raconte par exemple le jour où ma mère a voulu m’expliquer, à 9 ans, comment on fait les bébés. Elle a pris un bouquin pour expliquer et m’a mis un miroir entre les jambes. Aujourd’hui, je lui suis très reconnaissante d’avoir fait ça ! », précise-t-elle.

Avec ce spectacle, elles entendent également mettre des mots sur leurs vécus intimes devenant universels, transmettre des savoirs anatomiques et aborder concrètement la phase de reconquête. À travers l’auto-défense féministe mais aussi par l’éducation sexuelle, qui passe alors par la formation des professionnels. Comme le propose par exemple le Planning familial de Rennes.

Pour Marine Bachelot Nguyen, « Il n’y a pas assez de représentations alternatives, dans les livres pour enfants par exemple, dans les romans pour ados, les films, les courts-métrages. Et il n’y a pas assez de prise en charge. On n’aborde pas dans l’éducation des petits garçons la question des violences sexuelles. Et pourtant, ils vont peut-être rencontrer une femme qui aura vécu ça, et ce sera une réalité à prendre en compte dans la relation sexuelle. »

Elle soulève alors la question de chaque réalité à prendre en compte. De chaque bagage, chaque vécu, chaque personnalité, chaque corps. Autant d’individualité et de différences que la société ne veut pas saisir.  « On veut taper sur le porno pour ne pas remettre la société en cause. On pense que c’est le porno qui amène ça dans la société alors que c’est le contraire. Tout comme les jeux vidéos et la violence. », observe Ortie, réalisatrice de films érotiques sur Internet.

Elle se définit enfant d’Internet et de la sexualité 2.0. Elle aime poser nue ou en lingerie, pour se sentir belle et assumer son corps, et diffuser les photos sur les réseaux sociaux. Elle pointe alors le paradoxe de cette génération : « J’ai beau savoir que je m’expose, je ne supporte toujours pas les commentaires de certains… Je veux participer à l’image de la femme forte, libérée, mais je participe aussi à l’image de la femme objet. »

Avec Internet, les corps s’exposent, les langues se délient, suscitant le sentiment que la sexualité a pris un nouveau tournant, que les femmes assument désormais leur sexe et prennent en main le contrôle de leur condition. Mais ne confondrait-on pas le tabou avec l’intime ? Et finalement, on peut s’interroger sur le lien réel avec leur corps.

RENOUER AVEC SON CORPS

« Beaucoup de femmes sont dissociées de leur corps, couper de leur énergie et pas du tout dans le présent. L’image du corps parfait, mince et bronzé… Les femmes l’acceptent ! Mais il faut savoir qu’elles se pénalisent, elles et seulement elles, en n’aimant pas leurs corps. Le regard sur soi et la prise en charge de soi-même sont souvent très passifs. », recadre Anne Koch, énergéticienne dans le Morbihan depuis peu, jusqu’alors installée en Ille-et-Vilaine, et formée à Rennes en bioénergie.

C’est la trentaine passée que la professionnelle a vécu un déclic. Son corps se braque, elle ne ressent plus l’envie de faire l’amour, plus l’envie d’être pénétrée. Lorsqu’elle rencontre son compagnon, ils décident ensemble de se lancer dans un apprentissage d’une sexualité partagée et approfondie. Le simple fait de se regarder dans les yeux, de se recentrer sur l’acte quand l’esprit vagabonde, en parler pour elle, être à l’écoute pour lui, apprendre à dire non…

« Au départ, on s’est détachés de l’objectif orgasme. On sait maintenant relâcher nos corps pour des orgasmes plus intenses, plutôt que de maintenir les muscles serrés au moment de jouir. Le corps est plus ample et l’orgasme prend tout le corps. »
explique-t-elle lentement.

Sans complexes, elle livre son ressenti et les étapes de son parcours personnel vers l’épanouissement sexuel : « En apprenant cela, on peut vivre nos fantasmes avec tendresse et respect. On peut aussi ne pas toujours passer par la pénétration mais par les câlins et caresses. Et il m’est déjà arrivé de jouir en même temps que lui pendant une fellation. »

Aujourd’hui, l’énergéticienne propose des soins et des stages liés aux points spécifiques de la sexualité. Le but étant de faire circuler l’énergie du vagin et de l’utérus, en partant du plancher pelvien jusqu’au bas du ventre, à travers des massages, de la méditation ou des exercices énergétiques.

« Elles ne viennent pas spécifiquement pour cela en général mais le blocage se sent vite. Je dialogue alors avec le corps pour identifier la source et débloquer le problème, sans mettre de mots dessus si elles n’en ont pas la volonté. », décrit-elle. Elles ont entre 35 et 45 ans en moyenne, et viennent à la suite d’un changement de situation sentimentale et d’une remise en question globale. L’occasion de découvrir ou redécouvrir son corps, son désir et son plaisir.

Car malgré l’injonction à réussir sa vie sexuelle, dès le début de l’âge adulte, il n’est jamais trop tard pour s’initier à sa propre sexualité et à s’affranchir des carcans moraux et normatifs imposés par la société. Et cela passe la découverte et la connaissance de son corps et de ce qui l’anime. Alors, un conseil : osez vous y plonger !

Après plusieurs années à exercer sa profession dans le milieu hospitalier, Isabelle Peyrode, sage-femme, s’est lancée il y a un an en libéral. Elle lève le voile sur une compétence peu connue de son métier : aborder avec les patientes la sexualité et le plaisir féminin.

YEGG : Cette thématique est-elle abordée précisément lors de la formation de sage-femme ?

Isabelle Peyrode : Cela fait partie de la formation à l’école, mais elle est abordée de manière assez brève. On a des bases puis on apprend par expérience. On peut ensuite passer un DU (diplôme universitaire) en gynécologie-sexologie si l’on souhaite se spécialiser davantage ou suivre des formations.

Les femmes viennent-elles vous voir spécifiquement pour parler sexualité et plaisir féminin ?

Non, elles viennent pour leur grossesse ou post-accouchement. À cette occasion, elles nous parlent beaucoup. Peut-être plus qu’aux gynécos. Quand elles ont des douleurs après l’accouchement, elles posent des questions. Six semaines après avoir eu leur bébé, elles reviennent pour la rééducation du périnée.

On va pouvoir parler de si elles ont repris les rapports, s’il y a des soucis… La rééducation aide les femmes à comprendre et à prendre conscience de leur périnée. Je peux leur donner des pistes si elles ont besoin. Et quand je ne sais pas, j’oriente vers une sage-femme qui, elle, aura plus de compétences à ce sujet.

C’est donc plutôt associé à des douleurs…

Souvent oui, à des douleurs ou à des peurs. Forcément, si elles ont eu mal lors des rapports ou qu’elles ont peur d’avoir mal, le cerveau dit stop. Dans ce cas-là, je suis là pour identifier le problème et lever le soucis. Par le massage par exemple. Il faut soigner le traumatisme. Et il y a souvent de l’appréhension.

Quel type d’appréhension ?

La peur des rapports sexuels pendant la grossesse, par exemple. Chez les mamans, mais aussi chez les papas. Peur de toucher le bébé, de lui faire mal. À cela se mêle, pour certaines, le fait de se trouver grosses, changées… D’autres n’ont aucun problème et ne changent rien à leur vie sexuelle.

Tout dépend des personnes. Elles peuvent aussi avoir une libido plus intense lors de la grossesse.

Y a-t-il des recommandations particulières niveau sexualité quand une femme est enceinte ?

Quand il y a menace d’accouchement prématuré, on peut conseiller de faire attention en effet. Mais il n’y a aucune contre-indication ! Au contraire. Chacun fait comme il souhaite. Ça peut même parfois aider pour déclencher l’accouchement. Une fois l’enfant né, on recommande de prendre son temps.

On compte un mois à 6 semaines en général mais là encore tout dépend des personnes et de comment s’est déroulé l’accouchement.

Et en ce qui concerne la masturbation féminine ?

Pareil. Elles font comme elles veulent. Ce qui est surtout difficile, c’est qu’avec l’arrivée du bébé, elles sont fatiguées la plupart du temps. Nous sommes là pour leur dire qu’il y a un temps pour tout. Que de retrouver des moments à 2, c’est important pour le couple.

Après l’accouchement, le corps est modifié, les organes aussi. Est-ce une redécouverte de la sexualité et du plaisir féminin ?

Complètement. C’est même parfois une découverte tout court ! C’est là qu’elles posent pas mal de questions. Et d’autres redécouvrent, en effet. Il faut s’adapter au bébé, à une potentielle baisse de désir… Mais il faut bien savoir qu’il n’y a pas de norme.

Elles viennent spécialement en parler ?

Non, encore une fois, c’est ce que l’on disait précédemment, c’est lors de la rééducation. Sinon après on peut faire le suivi gynéco, mais on va moins aborder la sexualité comme ça peut être le cas pendant la grossesse et juste après. C’est à ce moment-là que certaines nous disent « J’ai mal, faites quelque chose ! ».

À quoi sont dues les douleurs en général ?

La sécheresse, due à une chute hormonale, peut provoquer des douleurs. La sensation de béance aussi peut les gêner car elles ressentent moins de sensations lors de l’acte. Le fait d’en parler déjà est une première étape qui fait du bien. Entre la rééducation du périnée, le ventre et les seins modifiés…

Elles ont besoin à mon sens de se retrouver en tant que femmes. Pas uniquement en tant que mamans. D’autant qu’avec la fatigue et le manque de temps, certaines vont se « laisser aller » et ne plus se retrouver. Souvent, les femmes veulent « récupérer » leur corps d’avant, le plus vite possible.

Quelle est la différence avec un-e sexologue ?

Je pense que le/la sexologue est davantage en mesure d’expliquer les différents rythmes car l’homme et la femme ne sont pas « réglés » pareil. Il/Elle pourra donner des pistes pour aborder cela entre eux. J’entends souvent dire « Mon mari s’y prend mal »… C’est symptomatique du manque de communication.

Il faut en parler, garder en tête aussi l’importance des préliminaires, etc. Par exemple, certains hommes refusent les rapports pendant la grossesse, pensent que c’est impur ou ont peur de toucher le bébé. Je leur explique et je leur fais des dessins en général pour qu’ils visualisent. La communication reste le meilleur moyen d’avancer et de s’accorder.

Vous recevez aussi des couples lesbiens ?

En 8 ans, j’en reçu un couple de femmes lesbiennes en consultation, c’était en Belgique. Nous n’avons donc pas pu développer les questions liées à la sexualité. Mais les peurs et les douleurs ressenties lors de la grossesse et post-accouchement doivent être a priori semblables.

 

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