Célian Ramis
Cherchez la femme, sous le voile intégral
Sou Abadi signe son premier long-métrage de fiction avec Cherchez la femme. Le 15 juin, la réalisatrice était accompagnée de son acteur principal, Félix Moati, pour présenter le film en avant-première, au cinéma Gaumont de Rennes.
Leïla (Camélia Jordana) et Armand (Félix Moati), tous les deux à Sciences Po, sont en couple. Un couple que Mahmoud (William Lebghil), le grand frère de Leïla tout juste revenu de plusieurs mois au Yémen, désapprouve. Au point de séquestrer sa sœur dans l’appartement. Pour la voir, Armand se cache sous un voile intégral, en se faisant passer pour Schéhérazade. Séduit par cette dernière, Mahmoud se met en tête de l’épouser.
La situation de départ est casse-gueule et la comédie, un genre périlleux. « C’est un thème que tout le monde connaît, dont tout le monde parle. Autant le traiter avec humour ! », explique la réalisatrice, Sou Abadi. Inspirée par Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder, elle souhaitait faire un film de travestissement à son tour, en y intégrant le voile, à partir de son expérience personnelle.
L’IRAN, EN TOILE DE FOND
« En 2001, j’ai dû me rendre en Iran pour mon documentaire (SOS à Téhéran, ndlr). Pour aller dans les institutions, il faut mettre le tchador. Les situations que vit Schéhérazade, je les ai vécues. Pour le thé, par exemple, c’est une coutume. On vous sert le thé, on vous considère comme une invitée. A ce moment-là, je ne savais pas du tout comment faire pour le boire. Je ne comprenais plus ce qu’on me disait et je ne comprenais plus ce que je disais. », souligne-t-elle.
En racontant ses diverses anecdotes, elle prend conscience du ressort comique de ces situations, qu’elle n’a pourtant pas vécu de manière humoristique : « Dans ce film, je rigole d’abord de moi-même. Les parents d’Armand sont mes parents, en plus exagérés évidemment. Et puis, il y a aussi toutes les réflexions que fait Mahmoud sur Sciences Po qui sont là aussi parce que j’ai voulu chatouiller les élites. Tout le monde en prend pour son grade, pour qu’on arrive à rire tous ensemble. »
D’origine iranienne, elle souhaite également rendre hommage à toutes les femmes de son pays qui essaient de lutter depuis la fin de la Révolution et l’arrivée des religieux au pouvoir. Elle le dit et le revendique : toute religion peut devenir dangereuse dès lors qu’elle prend le pouvoir. La Pologne, la Hongrie, l’Iran en sont des exemples. Ce à quoi elle ajoute que la religion doit rester dans la sphère privée et ne doit pas diriger la dimension politique et citoyenne.
« Mitra (la mère d’Armand, incarnée par la talentueuse Anne Alvaro, ndlr) est représentative de cette génération, de ces femmes qui se battent pour faire du vélo, pour chanter, pour montrer leurs cheveux, pour mettre du vernis. Ça peut paraître risible comme ça mais pour elles, c’est une réalité. », insiste Sou Abadi.
L’ISLAM, PAS QU’UNE RELIGION
Dans le film, la douleur du destin iranien se confronte au repli identitaire de certains individus des quartiers stigmatisés. Et la réalisatrice ne fait pas dans la demie mesure en opposant volontairement « les éduqués aux ignorants ». Ses positions sont claires : « c’est par l’éducation qu’on pourra sortir de cette tragédie. L’Etat doit aussi tenir ses promesses envers les quartiers sensibles pour éviter le repli. Le sentiment d’humiliation est réel. Le constat sur la société française est vrai. Je ne suis pas d’accord avec la solution du djihad mais l’humiliation est réelle. »
Ainsi, elle opte pour un Mahmoud qui, par faille affective, se réfugie avec rigidité dans la religion. Sur une pente glissante, il s’embarque vers une interprétation stricte et sévère des préceptes du Coran, sans véritablement le connaître. C’est Schéhérazade qui lui insufflera les valeurs de l’Islam : « Je tenais à ce qu’il ne tombe pas dans l’extrémisme, sans pour autant qu’il perde ses croyances. »
Subtilement, Sou Abadi dévoile la poésie de l’Islam, comme civilisation à part entière et non uniquement restreinte à sa religion et ses stigmates. Avec des références à Mahmoud Darwich tout d’abord, des citations du Coran mais aussi la lecture du Cantique des oiseaux, de Farîd od-dîn ‘Attâr, avec des vers qu’elle mêle en parallèle à ceux de Victor Hugo.
« La spiritualité, les maths, la médecine, Avéroès, l’âge d’or du 13e siècle,… C’est délirant en terme artistique ! L’Europe régresse à un tel niveau consternant avec son idéologie de la peur et du déclin. Et du rejet ! », ajoute Félix Moati.
ET VIENT LE DÉBAT AUTOUR DU VOILE
Cherchez la femme n’est pas un procès grossier à l’Islam mais illustre les opinions politiques de la réalisatrice qui souhaite également témoigner des vécus de son entourage :
« Quand ma petite cousine est venue en France pour son doctorat en génétique, elle portait le foulard. Puis elle a décidé de l’enlever. J’ai beaucoup discuté avec elle à ce moment-là parce que je ne voulais pas qu’elle l’enlève à cause de la pression sociale. Et elle m’a répondu qu’elle l’enlevait parce que le Coran recommande de ne pas se faire remarquer. Alors que le voile produit l’inverse. Ça je l’ai mis dans le film. »
Il s’agit donc bien de pression sociale puisque le débat sur le voile en France est sans fin et agite particulièrement l’opinion publique, cristallisant précisément la peur et le rejet. « Oui, c’est vrai, reprend-elle alors. Ce que je lui disais, c’est de ne pas enlever son voile tant qu’elle n’était pas à l’aise. Je suis pour la liberté d’expression. Le port du voile, c’est quelque chose qui me dérange mais nous sommes en démocratie et il faut respecter les choix des un-e-s et des autres. »
Elle ne peut s’empêcher de penser à la brigade des mœurs en Iran et à l’effet que cela produit sur elle de voir là-bas les femmes voilées. Elle entend également les discours de ses amies demandant pourquoi les françaises portent le voile tandis qu’elles n’y sont pas contraintes. Parce qu’elles, voudraient l’enlever. Un discours que tiennent aussi une partie des féministes occidentales, dont Elisabeth Badinter par exemple.
Et cette manière dont tout le monde s’empare du sujet dans l’Hexagone, et dont chacun-e voudrait arracher le voile à la femme musulmane qui le porte, donne lieu à une scène assez violente, révélatrice de vérités, dans laquelle Schéhérazade se voit devenir l’objet de tous les commentaires des usagers du bus, dont sa mère, qui s’est battue en Iran pour que cela n’arrive pas.
« J’ai une amie iranienne qui fait ça constamment. Dès qu’elle voit une femme voilée, elle lui tient ce genre de discours. Comme la femme qui lui dit « On n’a pas de voile et on n’est pas des putes pour autant »… »
Félix Moati se souvient de la violence ressentie sur le tournage : « J’aime beaucoup le costume qu’enfile l’acteur. Là, en enfilant le tchador, j’ai senti l’animosité et l’hostilité dans les regards. Et pendant cette scène, je n’étais pas bien, je voulais la défendre. Je crois qu’en tant qu’acteur, on fait des choix politiques, malgré nous. Ici, ce qui était intéressant, c’est que le film traite d’une question et d’une angoisse contemporaine. Pour le voile, je pense que la question est très épineuse et qu’elle ne me concerne pas. Il faudrait vraiment interroger les femmes voilées, c’est elles qui peuvent en parler. »
Pas de quoi rire à première vue. Il faut l’avouer, Cherchez la femme ne nous a pas rendu hilares. Mais au moins, Sou Abadi prend le risque de montrer les choses telles qu’elle les pense et les vit, loin de la bienveillance niaise et lourde de comédies telles que Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? ou À bras ouverts. Et nous invite tout de même à découvrir de jolies choses que les grosses ficelles du genre n’écrasent pas.