Célian Ramis

Sport : Carton rouge pour l'égalité

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Rennes
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Femmes et sportives, c'est possible. Ce qui compte pour elles : les valeurs véhiculées dans les sports pratiqués.
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Dans le manuel de bonnes pratiques N°2 sur l’égalité homme-femme dans le sport, son auteure Clotilde Talleu choisit de citer, pour commencer son introduction, la résolution du Parlement européen « Femmes et sports », adoptée le 5 juin 2003 : « Le sport féminin est l’expression du droit à l’égalité et à la liberté de toutes les femmes de disposer de leur corps et de s’inscrire dans l’espace public, indépendamment de la nationalité, de l’âge, du handicap, de l’orientation sexuelle, de la religion ». Voilà qui est dit mais pas acquis.

Si le sport féminin gagne du terrain dans les mentalités, à travers la diffusion restreinte des matchs – que ce soit à Roland Garros, aux Jeux Olympiques ou lors des Mondiaux de foot ou de rugby – et récemment de divers documentaires sur les sportives (ou de campagne publicitaire telle que la dernière d’Always qui a créé un véritable buzz sur la toile), les stéréotypes et idées reçues subsistent. L’égalité des sexes a donc la vie dure, le sport n’étant pas une exception à Rennes et en France comme ailleurs, et les femmes pâtissent d’un manque de reconnaissance et de visibilité dans les médias.

Pourtant, elles véhiculent fièrement des valeurs identiques à celles des hommes, que ce soit en loisirs ou à haut niveau. Les valeurs de respect, d’entraide et d’esprit collectif. Reportages croisés dans le milieu féminin rennais du handball, du rugby, du tennis et du volley.

« Allez les roses », crie le speaker du club Saint-Grégoire Rennes Métropole Handball. Ce dimanche 21 septembre, l’équipe de Nationale 1 rencontre Bergerac, à domicile, salle de la Ricoquais. À l’appel de leur nom, elles entrent sur le terrain, se tapent dans les mains et saluent leur public. D’une capacité de 600 places assises, la structure est quasiment remplie, les handballeuses disputant leur premier match de la saison.

« On a repris la préparation sur le terrain, cet été, dès le 4 août. Depuis on s’entraine 4 fois par semaine et dès maintenant on joue les matchs de Coupe de France tous les week-ends »,
explique Morgane Loirat, lors d’un entrainement quelques jours plus tôt.

Les enceintes crachent les notes hérissées de « The final countdown », célèbre chanson d’Europe, et la pression monte pour les spectateurs, invités à fortement soutenir son équipe. Doucement mais assurément, les bretonnes avancent au rythme des tambours qui secouent les gradins et vibrent dans la salle. Les échanges se font de plus en plus rapides et les tentatives pour percer la défense s’enchainent. Bergerac ouvre le score. Cartons jaunes, penaltys, temps morts, minutes de pénalité, score serré… le match est cadencé par un jeu stratégique et combattif.

L’intensité du suspens explose les dix dernières minutes. Le public s’emballe, encourage les bretonnes, tape des pieds et des mains, maintient sa respiration jusqu’au coup de sifflet final. Le SGRMH s’impose 24 à 22, et ouvre ainsi la saison sur une victoire méritée. « On est super contentes ! Il y avait un bel état d’esprit au sein de l’équipe, beaucoup de rigueur et de dialogue. », commente Mélina Rolland, capitaine, après avoir félicité son homologue bergeracoise.

Les sportives se congratulent, s’enlacent, s’allongent et s’étirent pour certaines. Pour d’autres, c’est l’heure des autographes. À l’entrée de la salle, des cartes postales de chaque joueuse sont à disposition des spectateurs. Ainsi, filles et garçons, d’un très jeune âge pour la plupart, descendent des tribunes pour approcher les handballeuses.

RESPECT & FAIR-PLAY

Cartes des joueuses, affiches placardées dans les abribus, calendriers, soirée de présentation de l’équipe le 10 septembre dernier, les filles de Nationale 1 sont volontairement érigées au premier plan puisqu’elles évoluent à niveau élevé, fruit d’une réelle volonté du club. En 2006, Rennes Métropole Handball fusionne avec l’US Acigné Handball pour renforcer équipes et compétences. Six ans plus tard, le RMH rejoint Saint-Grégoire et prend ses quartiers à la Ricoquais, un équipement sportif de qualité.

« C’est la première fois que je me sens aussi « starisée ». Le club investit beaucoup pour nous mettre en avant »,
ressent Morgane Loirat, 24 ans et handballeuse depuis 17 ans.

À ses côtés, Elise Delorme, 18 ans, joue depuis 6 ans. Ensemble, elles partagent leur passion pour ce sport qui enseigne « le respect des coéquipières, des adversaires, des arbitres, et le fair-play ». Collectivité et combattivité en sont les maitres mots.

Des notions que l’on retrouve également sur le terrain de la salle Courtemanche à Rennes. C’est ici qu’est implanté le REC Volley, dont une équipe féminine évolue en Nationale 2. Le premier week-end de septembre est réservé au tournoi amical de rentrée, pour une reprise en douceur. Rennes face à Nantes.

Ici, le public est en nombre restreint et les gradins, qui ont à peine un tiers de la capacité de la Ricoquais, sont désertés. Mais les sportives n’y prêtent pas attention. Les échanges se prolongent, les effluves de joie se font entendre à chaque point marqué, les accolades et les encouragements au sein de l’équipe sont systématiques, symboliques d’un esprit fort bâti à raison de 3 entrainements par semaine et d’un match par week-end. Floriane Prévert a goûté au volley à l’âge de 17 ans et n’en a pas démordu depuis :

« Je suis arrivée au REC depuis 8 ans, à l’époque nous étions en N3. Ce qui me plait, c’est l’esprit d’équipe et la stratégie de défense ».

La communication intense est exigée. « On discute pour savoir qui réceptionne, puis on se replace. Tout de suite les filles, tout de suite. Go go go go ! », scande l’entraineur de l’équipe nantaise, qui trépigne sur le banc en voyant Rennes creuser l’écart lors de la seconde période.  

À l’autre bout de la ville, le stade Alain Crubillé accueille l’entrainement des sportives du Stade Rennais Rugby. Un jeudi soir de septembre, 3 équipes se partagent le même terrain. Parmi elles, les joueuses du Top 8, plus haut niveau national du rugby féminin. « Sport co », « respect » et « fair-play » sortent de toutes les bouches des interviewées.

Qu’il s’agisse de la capitaine, la doyenne du club ou de la fraichement arrivée, elles évoquent toute une aventure humaine. Un épanouissement qu’elles puisent dans l’ambiance conviviale offerte par les sports d’équipe.

« Quand je suis arrivée à Rennes, j’ai commencé à faire du foot. Je ne m’y retrouvais pas. Avec le SRR, j’ai compris qu’il y avait de vraies relations humaines à construire et à découvrir. Je voulais absolument monter dans le bateau ! »,
s’émerveille Anne-Sophie Demoulin, arrivée en 2000, soit un an après la naissance du club, actuellement présidente du bureau.

Mêmes propos, à quelques mots près, de la part d’Anne Berville, nouvelle capitaine. Pour cette ingénieure-animatrice de formations en élevage, le rugby permet d’exprimer son dynamisme. « Je suis assez calme dans ma vie. Quand je suis sur le terrain, on me dit que je transforme », rigole-t-elle. 

MUTATION SUR LE TERRAIN 

Et ce n’est pas la seule à évoquer ce phénomène. Blanka Szeberenyi, nouvelle recrue du SGRMH en contrat pro, est une des meilleures buteuses de sa catégorie : « Le hand, c’est du combat, c’est physique, c’est la défense du territoire. Quand on est sur le terrain, on change complètement. ». Pour elle, la comparaison avec ses homologues masculins n’a pas lieu d’être et semble n’avoir aucun mal à passer outre les commentaires sexistes.

Toutes évoquent la différence de potentiel physique. Les hommes sont reconnus pour leur force de frappes. Sans faire abstraction des caractéristiques de chaque sport, le hand féminin serait « plus subtil » pour Elise Delorme, « plus dans la créativité » pour Morgane Loirat. Le volley, « plus dans l’échange », selon Floriane Prévert. Maryse Scarfo joue au tennis depuis 20 ans, « pour le plaisir de faire des beaux coups ». Elle a rejoint en tant que licenciée le pôle tennis du Cercle Paul Bert il y a 2 ans.

De l’autre côté du filet, Amélie Murie, présidente de la section tennis féminin, lui renvoie la balle. L’objectif de l’exercice étant de forcer l’adversaire à attaquer. Si ce sport de raquette paraît moins piqué par les réflexions misogynes, les sportives ne sont néanmoins pas exemptes de certaines maladresses et lourdeurs.

« Ce n’est pas propre au tennis, et tous les hommes ne sont pas comme ça, mais on entend souvent des compliments sur le physique des joueuses. Les commentateurs et médias parlent de la belle Sharapova par exemple. On ne dit pas des hommes qu’ils sont beaux, mais qu’ils sont forts… »,
souligne Amélie Murie.

Pour leur entraineur, Nicolas Civadier, la qualité du jeu ne réside pas dans la force et il est important de ne créer aucune distinction sexuée : « Ce que l’on demande aux joueuses, on le demande aussi aux joueurs : assiduité, respect, écoute, rigueur et envie ! Et le dimanche quand il faut jouer – championnat départemental - on joue ! »

L’état d’esprit semble identique sur la pelouse du stade Alain Crubillé. Les premières minutes de l’entrainement sont houleuses. « Je dis des choses précises. Tu as le droit de te tromper une fois mais pas deux fois », crie l’entraineur, très méticuleux sur les indications et consignes à suivre. « Super, tu l’as », lance-t-il l’instant suivant.

Toutefois, les filles sont envoyées aux exercices physiques, le temps de se mettre en condition. Sans pression palpable, les joueuses du Top 8 s’exécutent dans les rires et la sueur. « Il y a une bonne ambiance dans l’équipe, c’est un peu une famille sportive. Le rugby apprend ça aussi : on n’est rien les unes sans les autres », explique la présidente du SRR. Et elles gardent le sourire quand on aborde les clichés vicieusement ancrés dans les mentalités sur les représentations viriles des femmes sportives.

« Les monstrozaures… On entend dire qu’on est des bonhommes. Le sport modifie nos gabarits mais notre demande est de rester féminine. Et dans la société, en dehors du terrain, on montre que l’on est femmes. L’essentiel, c’est d’être bien dans notre corps »,
s’esclaffe Anne Berville.

Un discours en parfait accord avec celui des handballeuses, qui expliquent de moins en moins pâtir des stéréotypes autour de leur condition. « C’est surtout quand on est jeune qu’on a des commentaires. Il y a moins de jugement je trouve », conclut Morgane Loirat. À force d’entrainement, de séances de musculation et de critiques essuyées, elles apprennent à accepter que leur corps ne s’aligne pas tous sur la norme imposée par l’actuel dictat de la minceur.

Venue d’Italie pour ses études, Marta Ferrari arrive à toute allure sur le terrain. Elle était avec le kiné du club pour une tension à l’épaule. « Vous avez toutes les épaules en avant, comme les mecs », lui dit-il, en la caricaturant, avant de préconiser des rotations latérales et des exercices de stretching. La mine empreinte de bonne humeur, la joueuse enfile son tee-shirt « Peroni, la birra del rugby » :

« En Italie, le cliché de la fille qui ne peut pas faire de sport de combat est encore plus fort. Il faut être réaliste, on fait des mêlées, on plaque, on court sur la même superficie de terrain. On doit accepter de travailler nos corps et modifier nos gabarits pour les besoins du sport ».

À 23 ans, Marta Ferrari se moque des critiques adressées aux sportives : « On travaille pour nous, parce qu’on aime ça – et heureusement parce qu’on est pas payées - pour la reconnaissance de l’effort ».

LES MANQUES PERSISTENT

Et au SRR, la valeur du travail et de l’effort est capitale. Dans cette équipe de haut niveau, seule la motivation compte. La rémunération n’étant pas au rendez-vous, tout comme la médiatisation, malgré la présence de plusieurs joueuses recrutées par le XV de France féminin, qui a disputé la Coupe du monde de rugby cet été. « Cet événement a fait du bien à notre discipline. Les gens s’y sont intéressés », se réjouit la capitaine.

Et pourtant des zones d’ombre les tracassent comme la baisse de leurs subventions « à cause d’une réévaluation des critères d’attribution de subventions », précise Anne-Sophie Demoulin dont la mission va être prochainement de se plonger dans les dossiers. Ou encore l’absence de structure, de club house.

« Nous sommes des SDF de terrains et de structures d’accueil », plaisante Anne Berville, sur fond de vérité puisque le stade du Vélodrôme connaît actuellement quelques travaux. Le SRR doit alors composer avec les disponibilités des terrains et des salles de muscu, à partager avec plusieurs associations et clubs de la ville de Rennes.

Le REC Volley regrette aussi de son côté le manque de visibilité accordée à la pratique féminine.

« Déjà que le volley masculin n’attire pas les foules… Alors les filles ! C’est très difficile de trouver des partenaires pour elles dans des villes telles que Rennes. Le gros tissu économique est favorable aux hommes mais les femmes, ce n’est pas vendeur. Quel dommage ! »,
commente l’entraineur, Gildas Thanguy.

Le club, conscient de la réalité du milieu, souhaite développer sa communication à destination des publics et des potentiels financeurs. « Nous essayons de faire des affiches, des calendriers », précise Floriane Prévert à la fin du tournoi. Idem pour le SRR qui pratique la parution des calendriers depuis plusieurs années maintenant ! « Nous nous rapprochons également du SGRMH qui ont une forte communication », dévoile la présidente du SRR.

Côté handball, l’ambition a été affichée clairement avec la fusion des équipes et le recrutement de 3 nouvelles joueuses, réputées « gros calibres », comme Blanka Szeberenyi, citées précédemment. Flirter avec le haut du tableau ne devrait donc bientôt plus être un idéal mais une réalité afin de progresser en 2e division et accéder au haut-niveau dans un futur proche.

Les volleyeuses, elles, ont l’ambition de figurer en N1 d’ici 3 ans. « Nos résultats doivent devenir plus attractifs et pour cela nous devons réaliser une saison plus régulière.», confie Gildas Thanguy. Concernant les rouges et noires du SRR, déjà à haut niveau, l’exigence est à la stabilisation des performances.

« Ces dernières années ont été difficiles. L’objectif de l’an dernier était le maintien dans le Top 8. Pareil cette année, match par match », explique la capitaine de l’équipe qui va devoir redoubler d’effort, la saison ayant commencé sur des défaites. Heureusement, Anne-Sophie Demoulin se rattache à sa philosophie :

« L’important, c’est les amitiés qu’on garde, les choses qu’on vit avec ces personnes là. Je préfère être championne de France avec des amies qu’avec des connasses ».

Si l’ouverture des esprits progresse sur le terrain de l’égalité, des disparités subsistent. Une fois crampons et tenues rangés, les sportives ne semblent pas compter les points d’un match qui n’est pas prêt de prendre fin tant les stéréotypes sexistes sont imprégnés dans les mentalités.

Passionnées, elles le sont tout autant que les hommes, parfois plus. Drapées dans des écharpes rouges et noires, elles encouragent le Stade Rennais Football Club depuis les tribunes. Les supportrices du club des Socios ont chacune leur caractère, leur histoire, leur avis. Mais toutes ont la passion du football chevillée au corps et vibrent avec leur équipe favorite. YEGG les a suivi lors du match Rennes – Toulouse, le 23 septembre dernier.

Femmes de supporters elles le sont parfois, mais leur dénominateur commun c'est d'être des supportrices avant tout. Les membres du club des Socios arrivent bien avant le match dans le bungalow qui leur est attribué sur le parking du stade. Un petit préfabriqué qui côtoie ceux des autres clubs de supporters. Face au stade qui se dresse tel une proue d'un immense paquebot dans la lumière descendante du début de soirée, il paraît minuscule.

L'intérieur est chaleureux : un bar, quelques bancs et surtout des hommes et des femmes venus partager une passion. Le coup d'envoi est prévu à 21h. Dès 19h les supporters affluent par petits groupes. Parmi la majorité d'hommes, quelques femmes sont là. La volubile Marie-Hélène Delfosse fait partie du bureau de l'association depuis deux ans. Elle est derrière le bar à servir les arrivants. Coca ou jus d'orange, bière ou mousseux, les bouteilles s'ouvrent, les bulles pétillent et les yeux aussi. Toulouse est moins bien classée que Rennes qui joue à domicile.

L'espoir d'une victoire gonfle les cœurs. L'ambiance est joyeuse, détendue. Certaines évoquent la défaite, 3 à 0 contre Marseille du week-end précédent à demi-voix :

« On a pris une sacrée raclée quand même... »

Le club des Socios fait partie des 3 principaux clubs de supporters du SRFC. Créé en 1992, ses valeurs sont axées autour d'une ambiance conviviale et familiale. Il peine un peu à attirer des jeunes, mais dénombre un public nettement plus féminin que celui du Roahzon Celtic Kop, par exemple. Elles ont chacune leur histoire. Les plus âgées sont souvent arrivées au foot par leur conjoint ou leur fils. C'est le cas de Ginette Porée qui vient de Saint Lo, en Normandie. Elle explique :

« Quand j'ai rencontré mon mari, à 18 ans, il était supporter du Stade Rennais. La première sortie que nous avons faite ensemble c'était pour aller voir un match au stade. »

Betty Pitnain, elle, a récupéré l'abonnement de son fils lorsqu'il a eu des jumeaux et qu'il ne pouvait plus se déplacer. Les plus jeunes, ont souvent un parcours un peu différent. Audrey Desisles a entrainé sa mère dans les tribunes ce soir là. Elle explique: « Je voulais découvrir l'ambiance d'un stade. Ma tante avait une place et je me suis prise au jeu. Dans ma famille il y avait déjà des supporters, mon cousin, ma cousine, mon oncle et ma tante. Maintenant, c'est moi qui amène ma mère. »

D'autres ont remporté des places à la radio et ont attrapé le virus du football.

DE PLUS EN PLUS DE FEMMES

Un constat émerge quant au nombre de femmes parmi les supporters : minoritaires mais de plus en plus nombreuses. Dans le bungalow elles sont présentes, boivent un verre et parlent de tout, foot ou pas. Plus tard, dans les tribunes, des femmes de tout âge et de toute condition sociale assistent au match. Elles râlent contre l'état du terrain et au fur et à mesure que le temps file, contre l'équipe de Rennes : « Mais ils ne jouent pas là ! », s'énervent-elles.

Elles ne connaissent pas encore tous les joueurs de la nouvelle équipe, onze changements ont eu lieu à la rentrée de la saison 2014. Elles s'insurgent tout de même : « C'est qui celui là ? Il ne peut pas faire ça ! » Score final : 3-0 pour Toulouse, Marie-Thérèse Lahaye nous glisse mi-triste, mi-amusée : « Faudra pas leur annoncer le score dans votre article... »

Après le match, un détour par le bungalow s'impose pour tous les sympathisants du club, inscrits ou non. « Ils ne vont pas rester longtemps ce soir », analyse Marie-Hélène Delfosse. Les soirs de défaite, les gens repartent plus rapidement. Accoudée au bar avec son mari, Yaelle Pertuisel boit un café avant de reprendre la route.

Avant le match elle était toute sourire; maintenant, elle tourne de grands yeux tristes vers nous : « Ah on est déçus quand même, mais on reviendra pour le prochain match à domicile. »

FOOTBALL FÉMININ

Le Stade Rennais n'a pas d'équipe féminine, contrairement à l'Olympique Lyonnais ou au Paris- Saint-Germain. Les femmes sont donc reléguées au rang de supportrices de l'équipe masculine à défaut de pouvoir exercer leurs talents sur le terrain. Une situation que déplore Sylvie Joly, supportrice depuis dix ans :

« Ce serait bien que Rennes aille puiser dans les talents féminins. »

Elle apprécie le foot féminin qu'elle trouve « plus fin, plus technique ». Toutes ne partagent pas ce constat. Marie-Hélène Delfosse s'en veut un peu de son discours : « Oh la la ça ne va pas vous plaire si je dis ça ! » Mais elle renchérit : « Je pense que les femmes devraient laisser le foot aux hommes. Au basket et au hand, d'accord, elles ont leur place, mais le foot, non, c'est plus viril. »

DElle a déjà regardé des matchs de foot féminin et critique leur lourdeur sur le terrain. Betty Pitnain, retraitée, a été pendant 18 ans responsable du bar des Socios. Elle regarde beaucoup le foot féminin à la télévision et supporte l'équipe de France féminine notamment « parce qu'il y a deux bretonnes ».

Toutes font néanmoins le même constat : l'absence de barrières entre les supporters masculins et féminins. Une bonne nouvelle pour un sport régulièrement entaché de scandales sexistes.

 

Arrivée dans le tennis sur le tard, après en avoir longtemps rêvé, Danielle Autin est vice-présidente de la ligue de tennis de Bretagne et présidente de la commission au tennis féminin. Elle livre bataille depuis quelques années afin d'attirer plus de filles et de femmes dans les clubs. Rencontre.

Pourquoi avoir eu besoin de créer une commission au tennis féminin ?

En tennis, on compte 1 femme pour 2 hommes et seulement 1 fille pour 4 garçons. Pourtant le tennis a énormément d'atouts pour séduire les femmes. Avant elles n'avaient pas beaucoup de place. Les règles du jeu étaient faites en fonction des pratiquants masculins.

Aujourd'hui les choses sont en train de changer.La création d'une commission répond à une demande de représentation de la part des femmes. La ligue de Bretagne est assez réactive sur cette question. C'est d'ailleurs l'une des seules ligues avec une présidente et une vice-présidente.

Quelles sont les actions de la commission ?

Premièrement, il y a des actions fédérales qui sont déclinées sur un plan régional. Par exemple les « raquettes FFT » sont une compétition qui s'adresse à des femmes avec des petits niveaux. Elles jouent par équipe de 4. Deuxièmement, j'ai mis en place des actions spécifiques à la Bretagne afin d'amener des petites-filles ou des ados vers ce sport. « J'amène ma copine » est une action sur une journée.

C'est un moment festif où des jeunes pratiquantes peuvent amener une proche afin de leur faire découvrir le tennis. J'ai aussi travaillé avec des éducateurs afin d'aller vers des gens qui n'ont pas accès au sport. J'ai vu des femmes qui n'avaient jamais pratiqué prendre rapidement plaisir au tennis. J'essaye d'ouvrir à d'autres sports : on a fait des animations de tennis-zumba ou de tennis-fitness. Il ne faut pas attendre qu'elles viennent au club mais il faut organiser des actions pour les faire venir.

Le tennis est-il paritaire ?

L'équitation est loin devant tous les sports, mais le tennis est très féminin aussi. Pourtant les femmes ne cessent de devoir se bagarrer. À ce titre, les médias jouent un rôle : au moment de Roland Garros, il est rare de voir un match féminin retransmis. Mais ça bouge. Le fait qu'Amélie Mauresmo soit l'entraineur des meilleures joueuses françaises a montré qu'il n'y avait pas que les hommes qui pouvaient entrainer.

Il faut aller voir les femmes et montrer ce que le tennis peut leur apporter en bien-être et en plaisir. Ce que j'aime dans ce sport c'est qu'il est transgénérationnel et que c'est une bonne école de la vie, où l'on apprend à se respecter.

 

 

 

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Les sportives, pas sur la touche !
Le match sans fin ?
Rouge et noir au féminin
Danielle Autin, le tennis par passion

Célian Ramis

Tiens-toi droite : le chaos de la poupée moderne toute option

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Cinéma Gaumont, Rennes
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La réalisatrice Katia Lewkowicz propose, dans Tiens-toi droite, une vision belle et sombre de l'oppression des femmes par les femmes. Rencontre.
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Tiens-toi droite, deuxième long-métrage de Katia Lewkowicz – qui sortira au cinéma le 26 novembre prochain – était présenté en avant-première au Gaumont de Rennes, vendredi 17 octobre. L’occasion de faire le point avec la réalisatrice, accompagnée de l’acteur Michaël Abiteboul, sur la condition féminine, des années 50 à aujourd’hui.

Au départ de l’histoire, 3 femmes : Louise, Lili et Sam, interprétée respectivement par Marina Foïs, Laura Smet et Noémie Lvovsky. Chacune incarne une vie différente. La première quitte le pressing familial pour travailler dans une grande entreprise de fabrication de poupée dans laquelle bosse son amant. La deuxième est Miss Pays Francophones et fait la rencontre d’un riche industriel.

Et la troisième accouche de deux jumeaux qui viennent compléter une famille nombreuse. Ce qui les réunit, c’est leur envie d’évolution, d’accomplissement personnel régi par une oppression des femmes par les femmes. Par leur entourage. Par leur famille. Par elles-mêmes.

Et finalement, la naissance d’un modèle unique caractérisé par toutes les normes, obligations et volontés féminines. Celles-là même qui vont tendre à la disparition des figures masculines qui les entourent. Dans un rythme effréné, dans la palpitation émotionnelle et dans une dynamique tendue, la réalisatrice Katia Lewkowicz déclenche aux spectateurs-trices un sentiment de suffocation dans une ambiance de chaos, qui lui est propre et chère, et que l’on retrouve dans son premier long-métrage Pourquoi tu pleures ? avec Benjamin Biolay, Emmanuelle Devos, Sarah Adler et Valérie Donzelli.

Dans ce deuxième opus, elle souhaite dresser une mosaïque des femmes, en multipliant les points de vue et les regards. Partie de l’image publicitaire des femmes dans les années 50 – « celle de la femme avec son gigot » – elle a alors observé la place que l’on donne aujourd’hui aux personnages de sexe féminin :

« Elles sont toujours pressées dans les pubs, elles courent partout ! Car elles doivent aller préparer le diner pour les enfants et parce qu’elles doivent en même temps se préparer pour aller diner avec leur amoureux… Les femmes ne sont devenues qu’une ! »
Katia Lewkowciz, réalisatrice et actrice.

La réalisatrice s’interroge alors sur l’évolution naturelle – ou pas – de ces dernières. Le constat n’est pas surprenant : deuil permanent d’une partie de nous même et culpabilité. « On ne sait pas d’où elle vient… Mais elle est typiquement féminine. Quand on regarde de près, on s’aperçoit par exemple que dans l’Histoire, à l’école, on apprend que tous les sauveurs sont des hommes. », explique-t-elle. La société est régie de règles que l’on transmet et véhicule de génération en génération, sans se poser de question, selon Katia.

« On avance sans savoir où on va. Je suis une fille de la ville et j’ai tout le temps la sensation de « faut y aller ! » Et au bout d’un moment, on se demande : « Mais quand est-ce que j’ai décidé de faire ci ou ça ? » », ajoute-t-elle.

Tiens-toi droite, expression au sens beau et noble qui cristallise le poids de l’héritage féminin, est retenue en titre du film au montage seulement. La réalisatrice ayant initialement choisi « État de femmes », pour souligner l’effet de catalogue. « Ce film ne donne pas la vérité car il n’y a pas qu’une seule vérité. On est plein de bouts, plein de points de vue. En voyant ce film, j’espère que le spectateur se dira « Là, je peux agir comme ci ou comme ça c’est vrai ! », ça peut commencer par des petites choses qui nous amènent à trouver des solutions concrètes. », imagine la réalisatrice qui conçoit le 7ème art comme un élévateur de conscience, qui ne peut fonctionner que sur la complémentarité du produit et du public. « Je fais une partie du chemin, j’espère que les spectateurs feront l’autre », précise-t-elle.

POUPÉES TOUTE OPTION

Dans le film, pas de réponse pré-fabriquée, simplement un constat tissé autour d’un fil rouge qui réunira les 3 actrices sur la fin du film, celui d’une innovation : lancer une nouvelle poupée, plus proche des caractéristiques modernes de la femme. Et ce fil rouge pousse à la réflexion – la réalisatrice niant pourtant le désir d’intellectualiser son questionnement qu’elle définit non pas comme tel mais comme un constat – autour de cet objet d’admiration : est-ce la poupée qui s’adapte à la femme ou est-ce l’inverse ? Et si le personnage de Marina Foïs donnera son avis lors de la scène finale, pour Katia Lewkowicz, la fin s’interprète différemment :

« On essaye toutes de ressembler au modèle de la poupée. On termine sur la conclusion qu’il y a encore du travail. Et Louise s’en aperçoit, on imagine une réaction de sa part… Qu’elle ne nous donne pas, mais que j’imagine tellement que je le vois ! »
Katia Lewkowicz, fascinée par ses personnages.

Car, pour elle, l’important réside dans le chemin. Le chemin de l’évolution mais également le chemin des 3 femmes qui vont finir par se rencontrer, se juxtaposer. « J’ai voulu représenter la Maternité, le Travail et la Féminité, qui sont les figures les plus connues, les plus représentées. En y ajoutant la garantie de la sœur, de la nounou, etc. (D’autres personnages satellites incarnent diverses facettes de la Femme, ndlr) Et après, ce sont les actrices et acteurs qui ont apporté le reste avec leurs corps, leurs voix… Je laissais tourner la caméra pour capter les instants les plus naturels, ceux où le corps réagit de lui-même. », raconte-t-elle.

Et c’est cette manière de travailler qui a séduit Michaël Abiteboul, qui dans le film incarne le mari de Sam (Noémie Lvovsky). Pour lui, rien de plus agréable que « de s’abandonner et d’oublier que l’on joue ! J’avais très envie de tourner avec Katia et j’ai été embarqué par le scénario. »

Pourtant, à l’écran, l’acteur doit s’effacer, disparaître écraser par sa conjointe qui s’émancipe, obnubilée par son besoin d’indépendance. « Ce n’est pas désagréable de disparaître de l’écran, dit-il en souriant. C’est très intéressant ! Surtout que j’étais le seul mec dans le décor. Mais j’étais bien. Je sortais d’un film où on était dans les tranchées, qu’avec des gars et de la boue. Alors là, ça me paraissait extrêmement doux. »

L’apaisement décrit pourrait alors faire l’objet d’une seconde lecture de l’œuvre de Katia Lewkowicz qui apparaît pourtant d’une violence inouïe. Un joyeux chaos, comme elle le définit, mais qui arbore des airs de peinture sociale brutale qui prend les tripes et qui laisse entrevoir une noirceur angoissante, parmi laquelle elle dissémine des scènes ludiques de comédie venues alléger et soulager ces réalités.

La crise identitaire liée à la condition féminine tourbillonne autour de ce film et s’abat sur les spectateurs-trices dans un fracas silencieux. Chacun serre les dents, comme un miroir de ce qui transparait à l’écran. Mais de Tiens-toi droite se dégage également une grande beauté. Celle qui inspire l’envie de marcher aux côtés de ces femmes combattantes et déterminées à se trouver et à trouver une place dans la société. La poupée moderne sera-t-elle donc toute option, « avec musculation du périnée ! » incluse ? Ou ce modèle unique sera-t-il amené à disparaître

Célian Ramis

Éducation à l'égalité : L'enjeu de la transmission

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Rennes
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L'éducation à l'égalité, un enjeu majeur dans la question du rapport féminin/masculin.
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Rumeurs, journées de retrait de l’école, récupération politique, enterrement de l’ABCD de l’égalité fin juin – qui renaitra de ses cendres, début juillet, sous le nom de Plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école – et on en passe… Côté éducation, le thème de l’égalité a été secoué au fil des différentes actualités qui ont bouleversé le 1er semestre 2014. La question du genre fait frémir quelques partisans de la Manif pour tous, emportés par Farida Belghoul et le sms terrifiant – qui ferait un bon titre de bouquin pour la littérature jeunesse – prédisant des cours de masturbation enseignés directement par les professeurs de l’Éducation nationale.

On aurait pu penser que le léger réaménagement des rythmes scolaires mis en place dès cette rentrée prendrait la relève, niveau polémique. Mais c’était sans compter les nouvelles péripéties de la fin août qui bousculent le gouvernement, qui nomme Najat Vallaud-Belkacem, jusqu’alors ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Au royaume de l’Éducation, la nouvelle reine imposera-t-elle l’égalité comme priorité ? Une chose est sûre, les professionnels de la question n’ont pas attendu pour potasser leurs leçons et tenter de les appliquer concrètement au quotidien. Mais la prise de conscience, elle, est loin d’être généralisée. 

Finies les représentations de la petite fille en princesse esseulée et du petit garçon en sauveur de ces demoiselles en détresse. La cloche a sonné et avec elle, le temps de la prise de conscience concernant l’impérative éducation à l’égalité des sexes dès le plus jeune âge.

Les filles seraient plus littéraires et les garçons plus scientifiques. Les filles seraient guidées par leur intuition, les garçons par leur sens de l’orientation. Les filles seraient plus douées pour la gestion du foyer et des tâches ménagères, les garçons pour la vie professionnelle et les postes à responsabilité. C’est du moins ce que nous dictent l’Histoire et la Science. Foutaises ! Le cerveau n’a pas de sexe. C’est ce que démontre et défend la neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, dans sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? ».

« Le bébé nait avec 100 milliards de neurones qui ne vont pas cesser de se multiplier. Mais il faut savoir qu’à la naissance, seulement 10% des neurones sont connectés entre eux », nous expliquait la neurobiologiste le 16 mai dernier, lors de la Biennale de l’égalité femmes-hommes organisée à Lorient. Ainsi, les 90% restants se fabriqueraient durant la petite enfance et tout au long de notre existence. Elle est catégorique :

« Hormis l’hypothalamus qui active chaque mois des neurones afin de déclencher l’ovulation chez la femme, il n’y a pas de différence entre les sexes pour les fonctions cognitives. »

Les connexions s’effectuent alors intrinsèquement en fonction de l’environnement, social et culturel, fréquenté. « Jusqu’à 2 ans et demi, l’enfant n’est pas capable de s’identifier au masculin ou au féminin. Il n’a pas conscience de son sexe », affirme Catherine Vidal. Dans ces années-là, l’enfant est donc inconsciemment formaté par les éléments qui l’entourent, que ce soit la décoration de sa chambre, les couleurs de ses habits ou encore les jouets qu’il manipule.

La neurobiologiste conclut alors sur l’importance de l’éducation et de l’apprentissage, ainsi que sur la nécessité pour les biologistes de s’engager auprès des sciences sociales « pour diffuser la culture de l’égalité entre les femmes et les hommes ».

NOURRIS AUX INÉGALITÉS

Les stéréotypes et les idées reçues sont donc ingérés par les tout-petits, avant même qu’ils n’aient conscience de leur sexe. « Entre 5 et 7 ans, on comprend la norme, et cela devient invariable », met en garde Rozenn Moro, co-formatrice, spécialiste techniques d’animation et éducation populaire auprès de l’association féministe Questions d’égalité, à Rennes.

La structure entre dans le vif du sujet et propose une formation « Mettre en place l’égalité filles-garçons dans le secteur de la petite enfance : pourquoi ? Comment ? », dont la première sera organisée les 8 et 9 décembre. La session de juin ayant été reportée faute de participants suffisamment nombreux : « Les professionnel-le-s de la petite enfance n’ont pas forcément connaissance de cette possibilité, n’ont pas conscience de véhiculer des inégalités ou encore sont formé-e-s par leurs employeur-e-s (lire notre encadré La ville forme ses agents) – et là c’est une bonne chose ».

Pourtant, nombreux sont les discours établissant la corrélation entre les adultes travaillant au contact des petits et la transmission de certaines idées reçues à l’enfant. L’objectif de l’association est alors de dresser un état des lieux des inégalités distinguées, de comprendre la reconstruction des rôles « traditionnellement masculins et féminins » dans les interactions adultes-enfants et d’établir des actions éducatives concrètes à mettre en place.

« On recueille les représentations que les un-e-s et les autres ont, on travaille sur les stéréotypes qui sont véhiculés dans l’univers de la petite enfance et on pointe du doigt les différences qui se révèlent très tôt et qui se nichent dans l’inconscient »,
Rozenn Moro, membre de l'association rennaise Questions d'égalité.

Sans chercher à culpabiliser les pros ou les familles, des phases d’observations, d’échanges et de travail sur divers supports vont s’alterner afin de comprendre la nature de ce qui nous conditionne en tant que femmes et hommes. La représentation de la figure maternelle, allouée aux tâches domestiques et quotidiennes, et de la figure paternelle, orientée vers le jeu et l’autorité, la construction de l’environnement avant la naissance du nourrisson, la manière de s’adresser aux petites filles et aux petits garçons… Les comportements diffèrent selon le sexe de l’individu.

Mi-mai, Questions d’égalité invitait Elsa Arvanitis et Sophie Collard, sociologues de formation qui ont fondé Artémisia à Toulouse dans l’optique d’analyser ces problématiques auprès des structures dédiées à la petite enfance et de sensibiliser les professionnel-le-s. « Elles sont parties d’un constat très parlant : Les petites filles sont souvent encouragées sur leur apparence, tandis que les petits garçons sont encouragés sur leurs performances, sachant qu’on leur accorde plus d’importance, on les réprimande davantage », résume Rozenn.

Lors de la Biennale, Nicole Abar, ancienne footballeuse internationale, chargée de l’animation de l’expérimentation ABCD de l’égalité en 2013/2014, orientait son discours dans la même direction :

« En me rendant dans les écoles, j’affichais une grande feuille blanche contre le mur et je demandais aux enfants d’aller dessiner ce qu’ils voulaient. Ce que je voyais était effarant. Les garçons se jetaient sur la feuille et prenaient un grand espace pour leurs dessins tandis que les filles attendaient qu’on les pousse à aller griffonner une toute petite fleur. C’est très révélateur. »

L’heure n’est donc plus au bilan mais bel et bien à la prise de conscience et à l’action.

LUTTER CONTRE LE SEXISME

Chez Questions d’égalité, on regrette qu’aucune crèche pilote en terme d’égalité des sexes n’existe. Une structure comme celle qui se développe à Saint-Ouen (93) depuis 2009, la crèche Bourdarias - établit sur le modèle suédois - qui lutte contre les stéréotypes de genre en adoptant une méthode éducative non-différenciée. Les enfants sont amenés à participer à des jeux, ateliers, lectures, etc. sans attribuer de sexe à l’objet ou à l’animation.

Pour remédier au manque de lieux expérimentaux et progressistes - qui sont pourtant recommandés par l’Inspection Générale des Affaires Sociales - l’association rennaise, qui serait alors formatrice et accompagnatrice, lance un appel à projets pour lancer une crèche pilote, la fiche informative étant à leur soumettre avant le 15 novembre.

De son côté, l’association féministe rennaise Mix-Cité dénonce le sexisme des jouets, dans un mini-catalogue intitulé « Pas de cadeaux pour le sexisme », et y décrypte les comportements forgés par les objets de loisirs. D’une part, des outils de bricolage, armes, jeux de guerre ou expériences scientifiques ; les garçons sont influencés par la virilité, la violence et la réflexion. De l’autre, des Barbies, des déguisements de princesse, des dinettes, des poupons et des tables de repassage ; les filles sont alors formées à la passivité et au rôle de femmes au foyer.

« Les jouets en eux-mêmes ne sont pas sexistes, ce sont leur utilisation et les représentations auxquelles nous les faisons correspondre qui sont sexistes », informe le dépliant, qui invite à être attentif à nos propres préjugés que l’on véhicule à nos petites têtes blondes. Des alternatives sont alors proposées sur les choix de jeux collectifs, de construction, de découverte et d’éveil ou encore de lectures. Ces dernières étant particulièrement décriées à l’heure actuelle par les spécialistes de la littérature jeunesse (lire notre interview).

Dans le même esprit, le 25 juin, à l’occasion de la conférence de l’auteure Jessie Magana à la MJC Bréquigny, la bibli Clôteaux-Bréquigny proposait une sélection d’albums, documentaires, romans et BD – empruntables dans toutes les bibliothèques de Rennes – recommandée en terme d’égalité filles-garçons. Un fascicule permettant ainsi de s’orienter vers des ouvrages ou supports qui bousculent les représentations de genre dans un domaine très impacté par le sexisme.

Un élément fondamental selon les spécialistes qui établissent indéniablement un lien entre ses fameuses représentations de genre – maman aux fourneaux, papa aux activités ludiques et pédagogiques, ou encore maman au foyer, papa médecin, pompier, directeur, etc. – et les orientations scolaires choisies selon le sexe, les filles osant moins se destiner à des carrières « prestigieuses », les laissant inconsciemment aux hommes.

OBJECTIF FORMATION ET APPRENTISSAGE

Nombreux sont celles et ceux qui prônent l’éducation à l’égalité. À tort ou à raison, le rôle de l’école et de l’apprentissage serait donc fondamental. Que ce soit au cours du premier ou du second degré, les alertes se sont multipliées pour sonner l’alarme et l’urgence de la mission, et le gouvernement s’est emparé du dossier. Tout d’abord, avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes de mai 2012 à août 2014, qui avait alors fait de ce sujet un cheval de bataille en instaurant l’ABCD de l’égalité en expérimentation dans 10 académies françaises, soit 247 écoles, à la rentrée 2013.

Début 2014, les événements s’enchainent et se bousculent, le sms de Farida Belghoul embrasent les esprits échauffés et terrifiés à l’idée de soi-disants cours de masturbation dès 4 ans et autres rumeurs qui poussent certains parents à retirer leurs enfants des établissements scolaires à l’occasion des Journées de retrait de l’école. La machine est en route et la ministre, en lien avec Benoit Hamon, alors ministre de l’Éducation nationale, décident d’enterrer cet outil.

Ce dernier ne disparaît pas tout à fait et revient sous le nom de Plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école. 4 axes se sont dégagés de l’ABCD de l’égalité, salué par l’inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN), à la suite de son évaluation. Dans les mesures principales du Plan figurent la formation du personnel éducatif inscrite dorénavant dans les écoles supérieures du professorat - et du personnel déjà en activité - la mise en place d’une mallette pédagogique à destination des enseignants, l’information aux parents ou encore l’intégration de séquences pédagogiques dans les programmes (EPS, éducation morale et civique, français, géographie et histoire).

Un point qui ne devrait pas déplaire à Nicole Lucas, agrégée et docteure en histoire, licenciée en histoire de l’art, membre associée du laboratoire CERHIO/CNRS/UMR 6258 – Université Rennes 2, qui a orienté ses études, depuis plusieurs années, sur les manuels scolaires, l’enseignement de l’histoire et la place des femmes dans l’Histoire.

« Elles ne sont pas totalement absentes mais leur place est minime. En 2008, les manuels scolaires ont intégré les femmes médiévales, Emilie de Chatelet et les femmes dans la Première guerre mondiale. Sinon rien n’a bougé », scande-t-elle.

Mentionner Olympe de Gouges ou Simone Weil en quelques lignes dans les textes est bien loin d’être satisfaisant. Selon la spécialiste, l’espace accordé à la gente féminine dans les livres scolaires est dramatique. Quatre ou cinq textes de femmes sur une centaine, « c’est pire que de ne pas les voir apparaître ! » Indignée, elle nous montre les chiffres publiés, sous forme d’un tableau, dans son ouvrage Éducation des femmes – Héritages, expériences, identités, co-écrit avec Danielle Ohana : pour exemples, dans un manuel édité chez Magnard en 2010, pour une classe de 2nde, sur 20 auteurs, seulement 3 femmes ! Ou encore dans un manuel édité chez Hachette, la même année pour le même public, aucune bio de femmes sur 48.

« Pour que ce soit vendeur, les femmes se trouvent en couverture de livres. Mais pas trop dans les textes… Ou alors on fait un dossier sur elles. Ce n’est pas bon, il faut les intégrer dans le continuum de l’Histoire. Il y a plein de femmes dans l’Histoire ! », précise-t-elle. Le sujet est terrifiant, la conversation passionnante. Car c’est une passionnée Nicole Lucas, qui nous liste les femmes oubliées – volontairement ?! - des manuels : celles l’Antiquité, du Moyen-âge, les aristos, les abbesses (« qui avaient autant de pouvoir que les hommes »), les paysannes…

« Toutes avaient un rôle dans la société. On fait comme si elles n’apparaissaient qu’au XXe siècle ! Les manuels nous enseignent une histoire d’hommes… Ma formule, c’est : Une histoire mixte et équilibrée », rigole-t-elle.

L’auteure de Dire l’histoire des femmes à l’école reconnaît alors les défaillances des manuels scolaires, soumis à des programmes, les problèmes de formation des enseignant-e-s et la frilosité des professeur-e-s et des familles à s’attaquer à ce sujet. Toutefois, elle se ravit de voir que la question interroge et attise la curiosité des professionnel-le-s – Magali Hardouin, de l’Université Rennes 2 également, loin d’être la seule,  a publié, en 2012, un rapport sur la représentation des femmes dans les manuels de géographie – mais aussi des élèves.

La preuve avec la pétition d’Ariane Baillon, 17 ans, envoyée à Benoit Hamon – aujourd’hui sur le bureau de Najat Vallaud-Belkacem, par conséquent – s’indignant de constater qu’une seule femme figurait au programme de philosophie en terminale : Hannah Arendt. Mi-août, elle avait déjà récolté plus de 12 000 signatures.

Elle précise également, dans un article écrit pour Rue89 Bordeaux, son indignation face à la présentation des femmes, en lettres par exemple : à travers leurs liaisons avec les « grands hommes », et prend pour exemple George Sand, abordé dans sa relation avec Alfred de Musset seulement. La prise de conscience est initiée. Espérons qu’elle ne se perde pas en chemin. Une certitude pour Nicole Lucas :

« Il faut des outils multipolaires à l’école, pour les professeur-e-s et les élèves. Les manuels restent un support pour l’enseignant comme pour l’enfant. Des femmes, il faut en parler à tous les âges ! »

Parce que l’égalité des sexes n’est pas que dans les livres…

Quelle est la politique de la ville en matière d’égalité filles-garçons, femmes-hommes ? Quels sont les outils mis à disposition des fonctionnaires municipaux ? Quels sont les programmes établis par la ville ? Des interrogations que la rédaction de YEGG est allée soumettre aux élues de la ville de Rennes, en charge de ces questions, Lénaïc Briéro, adjointe déléguée à l’éducation et aux politiques mémorielles, et Geneviève Letourneux, chargée des droits des femmes et de l’égalité.

Récemment élues (début avril), elles n’avaient pas encore eu le temps, mi-juillet, de prendre pleinement connaissance de leurs nouveaux dossiers. De surcroît, leurs agendas ne leur laissent que peu de temps pour répondre aux journalistes. Néanmoins, elles ont rapidement rappelé que cette préoccupation n’est pas récente à Rennes, que l’égalité s’inscrit « dans l’ADN de la ville » et que la nouvelle municipalité « poursuit la dynamique impulsée il y a plusieurs années ».

Concrètement ? Côté éducation, Lénaïc Briéro annonce que :

« Nous commencerons par une sensibilisation de notre personnel dans les écoles aux luttes contre les discriminations filles-garçons. Cela devrait se poursuivre par des formations ».

Quand ? Bientôt sans doute… Côté droits des femmes, Geneviève Letourneux signale que « Pour ainsi dire, il y a la dimension de la formation du personnel d’accueil, qui est importante ». Elle ajoute « Nous avons entrepris un gros travail institutionnel, qui est fondamental pour faire la preuve par l’exemple, de sensibilisation des employés municipaux ». Un bon début. La promesse la plus notable concerne le personnel municipal de la Petite Enfance.

Ainsi, en mars dernier, lors de la journée pédagogique qui lui est consacrée, a été mise en place une formation continue sur l’égalité filles-garçons. « Cela devrait permettre de donner des habitudes de travail qui irriguent le quotidien », se félicite Geneviève Letourneux. Encourageant, certes. Reste à savoir si cela sera pérennisé et suivi d’effets.

 

 

En février dernier, la rédaction de YEGG contactait l’Inspection Académique dans le cadre d’un Décryptage sur l’ABCD de l’Égalité. À l’époque, de vilaines rumeurs se diffusaient via sms, prétendant que cet ABCD n’était rien d’autre qu’une théorie du genre, que les enseignants allaient dispenser des cours de masturbation aux enfants et faire d’eux des homosexuels… etc, et incitant les parents à des journées de retrait de l’école.

La droite extrême et la droite dure se sont empressées d’envenimer les choses. Face à cela, l’Inspection Académique a choisi de pratiquer la politique de l’autruche, pensant que moins on parlerait de l’ABCD de l’Egalité, plus les parents d’élèves oublieraient la rumeur. Elle a donc refusé de répondre à nos questions. Or, on sait que la communication sur des sujets aussi sensibles est toujours meilleure que le silence.

En outre, ce programme n’avait rien de révolutionnaire (cf. Décryptage – N°23) et il aurait été intelligent de mettre les points sur les « i » une bonne foi pour toutes. L’ABCD de l’Egalité abandonné par le ministre de l’Education Benoît Hamon en juin dernier, la rédaction a fait une nouvelle demande d’entretien à l’Académie, pour évoquer plus largement l’éducation à l’égalité à Rennes, connaître les dispositifs déjà mis en place dans la ville. Nouveau refus. Sans explication. Une attitude navrante dont les esprits malveillants à l’origine des rumeurs sur les conséquences potentielles de la théorie du genre se délectent et se réjouissent.

« Nous n’avons que très peu de temps pour faire de nos élèves des citoyens intelligents humainement », explique Ronan Chérel, professeur d’histoire-géographie au collège Rosa Parks, à Rennes. L’an dernier, il a participé avec un groupe 8 élèves – 6 filles et 2 garçons - de 3e, aux Olympes de la parole, un concours annuel organisé par l’Association françaises des femmes diplômées des universités, sur le thème suivant : « De nos jours, le sport est-il un facteur d'émancipation des filles et des femmes dans la société ? Tous les sports individuels ou collectifs sont-ils ouverts aux filles et aux femmes ? »

Pour le professeur rennais, le programme scolaire permet de canaliser les énergies vers du positif. C’est ensuite la sensibilité de l’enseignant qui mène à traiter le thème de l’égalité, dont l’égalité des sexes. Se saisir des opportunités offertes par l’Institution, comme le concours d’éloquence, est alors capital pour leur donner matière à « plaider des choses civiquement, démontrer une réflexion, une implication, un militantisme naissant, peu importe. Pour construire leur humanisme. »

Il reviendra plus tard dans la discussion sur les programmes scolaires :

« La présence des femmes y est encore sous évaluée. Personnellement, je suis pour saisir les situations exemplaires dans l’Histoire, à travers les hommes ou les femmes. Celui ou celle qui illustre le mieux notre propos. »

Il conclut alors sur la situation actuelle, celle d’une démarche personnelle de la part des enseignants qui souhaitent en apprendre davantage sur les sujets. « Nous n’avons pas une connaissance universelle des choses, les manuels n’enseignent pas tout. C’est donc à nous de nous renseigner. Mais notre enseignement mériterait que l’on nous y aide », précise-t-il.  

Rennaise d’adoption, éditrice et auteure, Jessie Magana a fait de l’égalité filles-garçons son cheval de bataille. Dans ses ouvrages – Comment parler de l’égalité filles/garçons aux enfants, Editions du Baron Perché et Les mots indispensables pour parler du sexisme aux Editions Syros, co-écrit avec Alexandre Messager - elle livre des pistes éducatives pour y parvenir. Rencontre.

YEGG : Pourquoi l’éducation à l’égalité vous tient-elle tant à cœur ?

Jessie Magana: Tout le monde pense que l’égalité des sexes est réalisée, mais non ! Elle n’existe pas dans les esprits. Et les chiffres le prouvent - 80 % des tâches ménagères exécutées par les femmes, 16 à 20 % d’écart de salaires, 14% de femmes maires en France…etc.

Depuis Olympe de Gouges et les suffragettes, les choses ont bougé. Il y a eu de gros jalons historiques, 1945, les années 1970, et ce qui en a découlé est fort. Juridiquement, il y a eu des leviers puissants, comme la loi sur la parité, mais ça n’a pas été suffisant pour que les mentalités évoluent. Les femmes elles-mêmes sont conditionnées.

Comment peut-on faire évoluer les mentalités ?

La société projette des rôles avant même la naissance, il faut donc commencer à travailler avec les parents et les professionnels de la petite enfance sur les représentations, en s’affranchissant des stéréotypes notamment, sans pour autant tomber dans la neutralité.

Mon travail consiste à clarifier les choses de façon raisonnée, expliquer que le sexe biologique, le sexe culturel et l’orientation sexuelle sont trois choses bien différentes. Et toutes les combinaisons sont possibles ! On peut être très féminine et chef de chantier. On peut être très féminin et hétéro !

Le débat dépassionné est donc essentiel ?

Oui ! La confusion totale liée à l’ignorance et la crainte pose problème aujourd’hui. Nous sommes là pour discuter, mettre en perspective les choses, mais c’est très dur dans ce monde de l’immédiateté où les médias jouent sur les effets d’annonce. Il faut donc faire un travail pédagogique, malheureusement contré par les groupuscules anti-genre (Alliance Vita…etc.) qui jouent sur l’affect et la passion, eux.

Le but ?

Aboutir à une société plus juste où chacun se respecte, s’épanouit indépendamment de son orientation sexuée, accepte l’autre, est ouvert. Cela permettrait aussi de faire baisser les violences faites aux femmes. Si on continue de voir la sexualité de l’homme comme un besoin que la femme doit assouvir, alors il y aura toujours autant de viols et d’agressions.

Quel est le meilleur âge pour cela ?

Tous ! C’est mieux si on intervient tôt. Jusqu’à 2 ans, l’enfant ne sait pas s’il est fille ou garçon. C’est son entourage qui agit en fonction de son sexe. Il faut alors déconditionner les adultes. De 2 à 5 ans, les enfants construisent leur identité sexuée, en imitant l’adulte. On doit les laisser faire, les laisser jouer ensemble, favoriser la mixité. À 6-7 ans, ils restent entre sexes, et entrent dans la représentation. Là, il faut travailler sur les images, répondre à leurs interrogations.

C’est l’âge où l’on prend conscience du jugement des autres. Les adultes ont alors peur du regard de la société sur l’enfant, il ne faut pas, il faut laisser ouvert le champ des possibles. C’est plus facile pour les filles, car elles sont déjà dévalorisées. Les revaloriser est primordial afin que les garçons acceptent et accèdent à leurs jeux, sans se sentir pour autant rabaissés, voire humiliés. Ils n’ont pas le droit de jouer à la poupée, de pleurer, d’être faible… Quelle ânerie !

Enfin, chez les adolescents, le sexe est la question centrale. Or l’éducation sexuelle n’est pas faite. À l’école, on n’évoque que la prévention et la reproduction, et les parents ont du mal à discuter sur le sujet. Jamais on ne parle aux ados du sexe sous son aspect plaisir, relation avec l’autre. Résultat, ils filent vers le porno. L’âge moyen du visionnage du premier film porno est 13 ans !

Quel est l’âge le plus critique ?

L’adolescence. S’il n’y a pas d’ouverture maximale, les ados restent sur le modèle ancestral qui prétend que le sexe est un besoin physique de l’homme comblé par la femme. On a noté que dès la classe de 3e les filles s’imposent elles-mêmes des limites. Elles choisissent, spontanément, des domaines d’études en sciences humaines, psycho… Se disant, à tort, que les matières scientifiques ne sont pas pour elles.

Comment détruit-on les stéréotypes ?

Je fais des parallèles avec le racisme ou je demande « tu n’as jamais été confronté à une injustice dans ta vie ? » Il faut aussi inverser les rôles, parler aux gens de leur enfance, faire émerger des choses de cette période, qu’ils se souviennent de ce qu’ils ont vécu, ressenti alors. Il faut questionner leurs représentations. Mais aborder l’identité sexuée c’est toucher au très intime, c’est donc très complexe.

Que pensez-vous de l’abandon de l’ABCD de l’Egalité ?

Quel dommage ! Car il y a là du boulot, les enseignants sont inconsciemment conditionnés, comme nous tous. ABCD ou pas, ce qui m’importe c’est la prise de conscience de l’égalité à tous les niveaux, de la crèche à la fac, qu’elle soit au cœur de l’éducation, de la société, des mentalités. Que tous les intervenants soient formés, que l’on travaille sur les stéréotypes, à des jeux sur les métiers avec les enfants, des jouets mixtes.

On doit former les enseignants et leur fournir des outils afin que cela fasse partie de leur quotidien, soit au centre de leur enseignement. Les manuels scolaires doivent être revus, mais aussi la littérature jeunesse, et toute la culture. L’effort doit être fait pour mettre en valeur des figures féminines en littérature, en histoire. Cette année, au brevet des collèges, les élèves ont eu un texte de Charlotte Delbo ! Ce sont les enseignants qui l’ont choisi, ce qui prouve qu’ils sont des têtes de pont. L’égalité des sexes est une fragile révolution, balbutiante et remise en cause. Il faut y travailler à tous les niveaux de la société, à tout instant.

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L'égalité, sur les bancs de l'éducation
Zéro pointé : la copie est à revoir
La ville forme ses agents
L'inspection académique fait l'autruche
L'égalité, pas que dans les livres
Jessie Magana, l'égalité à tout prix

Célian Ramis

Le Grand Soufflet 2014 : La rencontre swing du hula hoop et du burlesque

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Rennes
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Une Electro Swing Party placée sous le signe du swing, de l'effeuillage, du hula hoop et de l'accordéon... La formule est insolite, pas une réussite néanmoins.
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Samedi 4 octobre, le festival rennais d’accordéon proposait une formule originale lors d’une Electro Swing Party réunissant Edith Presley, sélecta rock, Maryll Abbas, accordéoniste, Candy Scream, performeuse burlesque et Anossens, reine du hula hoop.

Après un concert énergétisant avec Manouche, Etienne Grandjean, directeur artistique du festival, relevait le pari risqué d’une deuxième partie de soirée exclusivement féminine. Le risque ne provenant pas du sexe des protagonistes mais d’une production réalisée à distance et composée de quatre femmes d’univers différents.

La sauce aurait pu prendre si les talents avaient été mis davantage en avant. Les numéros s’enchainent avec une extrême rapidité, laissant les spectateurs-trices dans une grande confusion des genres. Pour autant, les danseurs et danseuses de lindy hop sont au rendez-vous et leurs mouvements effrénés, effectués aux rythmes des chansons de DelaDap, Chinese Man, Parov Stelar ou encore des Swingrowers, produisent des instants inattendus empreints d’énergie et de bonne humeur. Néanmoins, les performances de hula hoop et de burlesque charment le public à chaque brève apparition.

Anossens, agile professionnelle des cerceaux, nous emporte dans son univers onirique et coloré, tout comme son accessoire de prédilection, et nous laisse ce goût d'enfance qui nous marque l'esprit face à un numéro de cirque et de magie. De son côté, la danseuse aux courbes fines et divines, Candy Scream, exécute deux performances d'effeuillage empreints des profondeurs parfumées des revues de cabaret. Le burlesque ne laisse personne indifférent et on aime toujours autant y assister.

Plus tôt dans la journée, c'est à l’abri du mauvais temps que nous avions rencontré Anossens et Candy Scream, dans les coulisses du Grand Soufflet. interview.

YEGG : Vous offrez, à l’occasion de l’Electro Swing Party, deux performances originales. Racontez-nous comment vous avez découvert vos disciplines respectives, le hula hoop et le burlesque.

Anossens : C’est lors d’un concert avec des performeurs de hula hoop que je suis restée scotchée. J’ai eu le coup de foudre. J’étais alors dans l’informatique mais je m’intéressais déjà à la discipline, dans le sens du mouvement, de la détection du mouvement.

Candy Scream : Moi j’ai cherché sur Internet. J’étais dans une école de théâtre mais je rêvais de faire du cabaret. C’est là que j’ai découvert le Cabaret des Filles de joie. Je suis alors allée les voir sur scène puis j’ai pris des cours dans cette école pendant un ou deux ans. J’aimais le message que pouvait faire passer cette revue féministe et rock n’ roll.

L’an dernier, à l’occasion du spectacle Porte jarretelles et piano à bretelles, produit par Etienne Grandjean et présenté au Grand Soufflet 2013, nous interrogions les danseuses burlesque sur la vocation féministe de la revue. Elles soutenaient que ça n’était pas un genre féministe mais humaniste…

Candy Scream : Chaque fille a son engagement. On défend forcément quelque chose sur scène, on s’engage. Je trouve que c’est féministe dans le sens où on est des femmes, rien que des femmes, déjà. Et ensuite parce que le message que je veux faire passer est : Je suis comme je suis et vous allez m’accepter comme je suis.

Qu’est-ce qui vous anime dans votre pratique, Anossens ?

Anossens : Je peux pratiquer le hula hoop pendant des heures ! À ce moment-là, rien d’autre ne compte. J’aime être à fond dans quelque chose. On dompte des éléments. Avec la discipline aérienne par exemple (Anossens pratique également la pole dance), on dompte l’air. Il y aussi le feu que je manie. Et avec le cerceau, on ressent le sentiment d’un élément qui coule, ça rappelle l’eau, de manière symbolique évidemment.

Les performeuses burlesque multiplient parfois les compétences. Candy Scream, quelles sont les vôtres ?

Candy Scream : Je manie aussi le feu avec les torches, les bâtons de feu, les bollasses. Ça reste de l’ordre de l’accessoire. Avec le costume et les chaussures à talons ! Après, forcément il y a beaucoup de danse puisqu’on apprend à danser au cabaret. Même si l’effeuillage et le cabaret ont évidemment leurs propres codes. En fait, on peut tout faire, selon nos personnages.

Vous êtes réunies pour un soir avec Edith Presley, et Maryll Abbas, sur la scène du Grand Soufflet. Comment s’est déroulée la rencontre ?

Candy Scream : Je connaissais Porte Jarretelles et Piano à bretelles, j’ai des amies qui dansent dans ce spectacle. Etienne Grandjean m’a contacté, il m’avait vu au Cabaret des Filles de joie. Il m’a alors proposé de participer à cette soirée.

Anossens : Moi, il m’a contacté car il voulait impérativement du hula hoop. (Rires)

Pas facile de préparer un spectacle à plusieurs lorsque tous les membres sont à distance… Concrètement, comment avez-vous travaillé ?

Anossens : On a fait nos choix de musique parmi une sélection. On en a choisi 2 sur lesquelles on allait jouer. Avec Internet et le téléphone, on y arrive !

Candy Scream : J’ai été en contact à plusieurs reprises avec Etienne Grandjean. Il m’a donné pas mal de conseils pour occuper la scène et préparer mes numéros en fonction de la surface.

Interpréter vos numéros sur de l’électro swing était une contrainte pour vous ?

Anossens : Non car c’est une rythmique très intéressante, joyeuse. Ça me donne envie de bouger donc c’est très bien. Je peux reprendre exactement les mouvements que je travaille au quotidien, en les adaptant au rythme de la chanson.

Candy Scream : J’ai l’habitude de fréquenter les soirées électro de La Java à Paris. Mais c’est vrai que j’ai plus l’habitude du milieu rock. J’ai sélectionné deux playback de femmes. Car cela permet de décrisper le visage et donner de l’expression au personnage que j’incarne lors de mon numéro. Après c’est de l’effeuillage, c’est pas sorcier de se déshabiller !

(Anossens : Alors là je ne suis pas d’accord avec toi ! (Rires) Au contraire, je trouve ça très dur !)

Candy Scream : Concrètement, cela donne une entité au personnage. Et comme c’est une nana limite hystéro que j’interprète, ça correspond très bien ! (Rires)

Merci Anossens et Candy Scream.

Anossens et Candy Scream : Merci à vous.

Célian Ramis

Harcèlement sexuel : Un fléau difficile à cerner

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Rennes
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Harcèlement sexuel : un fléau bien mal connu et très peu dénoncé. Pourquoi ?
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Harcèlement sexuel. Une notion que chacun-e a dans la tête avec une définition plus ou moins précise. Une notion dont tout le monde parle. Dont de nombreuses femmes sont victimes - souvent sans en être conscientes – mais que peu dénoncent. Qu’il s’agisse de harcèlement sexuel au travail, de harcèlement moral au sein du couple ou de harcèlement de rue, les appellations – officielles ou officieuses – différent mais désignent toutes une forme de violence à l’encontre des femmes. Symbole de domination, peur de l’abandon, besoin d’asseoir une emprise sur l’autre…le harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, s’instaure souvent de manière progressive, pour des raisons diverses et multiples, laissant les femmes victimes à leurs sentiments de honte, de culpabilité, d’humiliation. Une violence psychologique inouïe se dégage de ce fléau terriblement difficile et délicat à percer à jour, y compris dans les structures spécialisées. La loi du 6 août 2012 réactualise le délit de harcèlement sexuel, puni par le code pénal depuis 1992, et le défini dans les articles 222-33-I, II et III :

« I. ― Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. II. ― Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers. III. ― Les faits mentionnés aux I et II sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende. » Mais le harcèlement sexuel est pernicieux en cela qu’il résulte de l’intimité d’une personne et qu’il en va de la subjectivité de chacun. Où placer l’intolérable ? Peut-on attribuer une norme à la sexualité d’un individu ou d’un couple ? Comment repérer le harcèlement et se prémunir de ce fléau ? YEGG a enquêté sur le territoire rennais.

Si le harcèlement sexuel au travail semble être de plus en plus connu, il est malgré tout tabou et incarne une des formes de violence des plus délicates à dénoncer. Souvent tétanisées face à ce fléau, les femmes ressentent honte et culpabilité. Comment identifier le harcèlement sexuel dans le cadre du travail et vers qui peut-on se tourner pour agir et réagir ?

Allusions sexistes, blagues potaches un peu lourdes, tentatives de drague... Lorsque ces faits deviennent répétitifs et portent atteinte à la dignité et à la bonne santé d’une personne, cela relève d’un délit puni par la loi. Les femmes sont de plus en plus nombreuses à oser en parler. En 2013, près de 37% des femmes qui témoignent auprès de l'AVFT (Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail) sont confrontées au harcèlement sexuel. Pire encore, selon les résultats de l'enquête établie par le Défenseur des Droits en février 2014, ce fléau touche encore 1 femme sur 5. Le 24 mars dernier, un communiqué de l’AVFT annonçait ne plus pouvoir recevoir de dossier en raison de la saturation des demandes, jusqu'à ce que l’association le puisse à nouveau; « le problème n’étant pas que nous ne soyons pas assez nombreuses pour répondre à toutes les sollicitations mais qu’il y a trop d’agresseurs et donc trop de victimes ».

Seule association spécialisée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail en France – qui en 1999 était l’un des pays où le taux des violences sexistes ou sexuelles sur le lieu de travail est le plus élevé, selon une étude du Bureau International du Travail - elle se mobilise également dans le Grand Ouest et peut intervenir aux côtés du CIDFF de Rennes.

Pourtant, « elles ont encore beaucoup de mal à expliquer la cause de leur détresse psychologique », explique Frédérique Chartier, psychologue du travail formée au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers) de Paris en clinique du travail, installée à Rennes et proposant une consultation spécialisée « santé et souffrance au travail ».

« Ces femmes vont consulter car elles se trouvent dans un tel état de souffrance qu’elles souhaitent en sortir le plus rapidement possible, mais ne pensent pas forcément être victimes de harcèlement sexuel. »

En effet, à la difficulté d’analyser une situation qui leur est anxiogène voire insoutenable, s’ajoute parfois la honte et la culpabilité, leur faisant se sentir - à tort – en partie responsables. « Les victimes peinent à garder leurs repères, car le harceleur joue beaucoup sur la déstabilisation», ajoute t-elle.

Mais qu’est-ce que le harcèlement sexuel exactement ? L’article L1153-1 du code du travail le définit et interdit les « agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ». Et précise dans l’article L1153-2 qu’«aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel ».

EMPÊCHER LA VICTIME DE BÉNÉFICIER DU SOUTIEN DES AUTRES

Les mêmes situations reviennent fréquemment, comme des plaisanteries sexistes ou des questions très intrusives sur la vie personnelle et sur le conjoint… Il peut y avoir des regards malsains, une présence insistante, des gestes déplacés ou des attitudes qui jouent sur la proximité physique. Le/la harceleur-euse peut très bien être le/la patron-ne, un-e supérieur-e ou un-e collègue de bureau. Les sources sont multiples, rendant la situation encore plus complexe.

« On retrouve très souvent un processus d’isolement social, physique associé à un processus  de déstabilisation dans quasiment chaque situation. Le harceleur tente de couper la victime du soutien du collectif de travail, ce qui l’amène à se replier socialement »
Frédérique Chartier, psychologue.

Une telle pression crée rapidement un environnement de travail cauchemardesque. Quel autre recours que de se faire arrêter par le médecin traitant afin de préserver sa santé mentale ? Et cela peut parfois aller plus loin et mener à l’inaptitude professionnelle et au licenciement. Un véritable cercle vicieux ! « Attention. Si le licenciement est lié à la base au harcèlement sexuel, on peut saisir le tribunal des Prud’hommes pour licenciement abusif, puisqu’il est sans cause réelle et sérieuse, » précise Maître Lara Bakhos, avocat au barreau de Rennes, experte en droit du travail.

DÉPRESSION, STRESS, HONTE, INSOMNIES...

Dépression, crises d’angoisse, honte, autant de symptômes auxquels s’ajoutent d’autres troubles psychosomatiques tels que les insomnies ou les pertes de mémoire... Ces derniers doivent alerter la personne concernée ou son entourage proche, afin de trouver une échappatoire à cette situation qui peut paraître sans issue. « Il est nécessaire pour la victime de trouver un espace d’écoute à son vécu et de l’aider à comprendre ce qui s’est passé pour elle dans cette situation, afin de l’aider à en sortir puis de restaurer ce qui a été cassé », explique Frédérique Chartier qui reçoit régulièrement des patientes confrontées au harcèlement sexuel.

« Une part du processus d’accompagnement psychologique va consister à identifier la situation de harcèlement, notamment sexuel, en repérant le processus à l’œuvre, le nommant pour le mettre progressivement à distance. Mon rôle est aussi de crédibiliser la parole des victimes. »
Frédérique Chartier, psychologue.

Elle insiste sur l'importance de retrouver des repères, de déculpabiliser et de retrouver confiance afin qu’elles puissent reprendre la main et se projeter dans un devenir différent, y compris à l’extérieur de l’entreprise. Il est nécessaire de protéger la victime en la sortant de la situation délétère, avec l’appui d’autres professionnels, notamment le médecin du travail et le médecin traitant. Aucune sphère professionnelle n’est épargnée. Même si certains milieux sont identifiés comme potentiellement plus propices au harcèlement sexuel, comme les environnements où la proportion femmes/hommes est très inégalitaire et où la référence à la virilité peut faire partie de certaines cultures de métier, auxquelles il est difficile de ne pas adhérer sous peine de rejet.

Néanmoins, la professionnelle nous précise que la majorité des femmes qui viennent la consulter ont généralement des postes à responsabilité et se trouvent à des niveaux hiérarchiques aussi élevés. Plusieurs psychologues travaillent à Rennes sur cette même problématique, apportant à ces femmes un véritable recours à leur traumatisme.

NÉGOCIER UNE RUPTURE CONVENTIONNELLE

S’il est bénéfique pour les victimes de harcèlement sexuel de se faire aider psychologiquement, celles-ci ne vont que très rarement devant les Prud’hommes. Ne se sentant pas toujours capables de faire face au long processus juridique qui les attend, souhaitant sortir au plus vite de cette situation. Mais souvent aussi pour manque de preuves inexistantes, comme le déplore Lara Bakhos, les témoins ne voulant pas se prononcer, préférant nier la situation plutôt que risquer de perdre leur emploi.

« Les situations parfois ambigües sur le lieu de travail peuvent peser en la défaveur de la victime ».
Lara Bakhos, avocat au barreau de Rennes

Les pré-supposés jeux de séduction n’ont en effet pas de traces écrites et lorsque les seules preuves de harcèlement sont orales, elles sont non recevables devant un tribunal. 

Valérie Kerauffret, membre de la CGT (Confédération Générale du Travail) de Rennes, regrette elle aussi la longue procédure. « La plupart préfère négocier une rupture conventionnelle, quant elles n’ont pas déjà démissionné, car elles sont tellement traumatisées qu’elles ne peuvent pas continuer. On pousse beaucoup sur l'indemnisation pour réparer le préjudice, même si ce n’est pas ce que l’on aimerait, mais pour l’instant on fait avec », explique t-elle.

Il est impératif que l’employeur ainsi que les délégués du personnel en soient avertis le plus vite possible. « Parfois, cela suffit à arrêter le harceleur, ajoute Lara Bakhos, surtout dans de grosses structures. J’ai eu le cas d’une hôtesse d’accueil qui recevait des sms salaces sur son portable. Elle a alerté son patron qui a réussi à identifier le harceleur grâce au numéro de téléphone d’où provenaient les sms. » Le CHSCT (Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail), le CE ou encore les élus du personnel peuvent également être alertés.

Si, malgré tout l’employeur ne semble pas agir pour faire cesser les faits dénoncés, la victime peut se retourner contre lui pour manquement à son devoir de protection envers elle, en référence à la circulaire du 4 mars 2014, qui rappelle « les obligations des employeurs et leur nécessaire mobilisation dans la mise en place des mesures préventives à l’encontre des faits de harcèlement ».

Il est tout de même nécessaire de savoir que les juridictions compétentes à saisir en cas de harcèlement sexuel au travail sont soit le tribunal des Prud’hommes, au quel cas la victime attaque l’entreprise pour faire respecter les conditions de travail et demande des dommages et intérêts; soit le tribunal correctionnel qui oppose la victime à l’auteur, le coupable encourant une peine de prison de 2 ans et le versement d’une amende de 30 000€.

Malgré la recrudescence importante de cas de harcèlement sexuel dans le cadre du travail, les compétences juridictionnelles sont encore bien sourdes face aux victimes.

« Les salariés en parlent de plus en plus, c’est un fait, un peu comme un effet de mode »
conclu Lara Bakhos.

À  la différence que ce fléau n’a rien d’éphémère ou de ponctuel. Pourtant, dans la plupart des cas, les victimes préfèrent démissionner plutôt que de se lancer dans des procédures juridictionnelles à n’en plus finir. Certaines doutent de la recevabilité de leur plainte, ayant souvent ce réflexe infondé de se demander si elles ne l’ont pas cherché. « Elles en viennent quelquefois à se demander ce qu’elles ont bien pu faire pour attirer cette situation, si elles ne sont pas en partie responsables ou consentantes », observe Frédérique Chartier, insistant sur la nécessité de se défaire de cette culpabilité et de l’emprise psychologique du processus à l’œuvre.

La psychologue constate par ailleurs que le harcèlement sexuel est souvent englobé dans d’autres formes de violence ou situations délétères. Un processus de harcèlement moral peut s’enclencher aussi après un refus à des sollicitations plus directes.

Bien que les femmes trouvent plus ou moins des parades, appelées stratégies d’évitement, en évitant les conflits au sein de leur entreprise, ce n'est aujourd'hui plus suffisant pour combattre ce mal. L’hyper-sensibilisation et la prévention à outrance seraient-ils les seuls moyens de casser le système de domination qui infuse à tous les niveaux de la société ?

À Rennes, comme ailleurs, la mobilisation se poursuit – mise en place du site stop-harcelement-sexuel.gouv.fr par le ministère des Droits des femmes et actions quotidiennes des structures et organismes compétents en matière de droits des femmes - mais avec un visible manque de moyens visant à inciter les femmes à dénoncer les violences subies.

La question du harcèlement sexuel dans le couple est certainement la plus complexe et la plus épineuse à cerner et à dénoncer. D’une part puisqu’elle touche à l’intimité profonde d’une personne, et d’autre part car elle se confronte alors au problème de la norme concernant la sexualité d’un couple. Concrètement, comment agir ?

Les voies de lutte contre le harcèlement sexuel au sein d’un couple sont tumultueuses, voire obscures. Il semble même que la problématique se heurte au mutisme des femmes qui en sont victimes soit parce qu’elles n’en ont pas conscience, soit parce qu’elles se trouvent démunies de solutions et de recours. « Souvent la femme n’identifie pas le harcèlement sexuel mais elle emploie beaucoup d’énergie à éviter l’acte sexuel », explique Solen Degabriel, juriste au Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) depuis 6 ans. Et pour éviter l’acte sexuel non consenti, les femmes mettent en place des stratégies d’évitement :

« Ne pas aller se coucher en même temps, ne pas se retrouver seule avec lui, attendre qu’il se soit assoupi pour aller au lit si jamais il boit, faire chambre à part… Tout dépend du niveau de contrôle de sa vie, de ses actes. Il se peut même qu’elle s’enferme à clé dans sa chambre car elle a pu déjà être réveillée par une relation sexuelle forcée. »

Bien souvent, le processus de harcèlement est lent et évolutif. Difficile à repérer car le conjoint, pacsé, concubin ou compagnon passe par des phases dans lesquelles il se montre attentionné, aimant et à l’écoute. Outre le fait qu’il soit extrêmement complexe de dénoncer son partenaire, il est déjà compliqué de le formuler et de l’intégrer. « Quand les femmes viennent nous voir pour nous parler, notre rôle est de voir où elles en sont à ce moment précis et quels sont leurs freins. Mais nous avons très peu de cas de femmes qui viennent nous parler d’un problème de harcèlement sexuel. C’est une infime minorité de femmes qui en parlent », précise la juriste.

Et les cas ne sont quasiment pas chiffrés ou chiffrables. Même son de cloches du côté de l’Asfad, association rennaise spécialisée contre les violences faites aux femmes, qui a inauguré fin novembre 2013 son accueil de jour, ouvert les lundis et mercredis après-midi ainsi que les jeudis. Virginie Thoby, éducatrice employée par la structure, comptabilise deux situations de harcèlement sexuel sur une centaine de femmes reçue depuis l’ouverture du lieu. « La qualification du fait est compliquée. Le harcèlement sexuel ne figure même pas dans les fiches que nous remplissons après chaque entretien. Il faut cocher la case Autres », dit-elle en examinant de près cette fameuse fiche.

IDENTIFIER LE PROBLÈME

« C’est la forme de violence dont les femmes ont le plus de mal à parler et pourtant elle est très souvent présente. La violence sexuelle comprend un spectre très large allant du harcèlement sexuel à l’exploitation sexuelle, en passant par le viol conjugal ». C’est ainsi qu’est définie la violence sexuelle dans l’ouvrage Femmes sous emprise – les ressorts de la violence dans le couple, écrit par la psychiatre et docteur en médecine Marie-France Hirigoyen.

Le harcèlement sexuel a la spécificité de ne pas inclure l’agression sexuelle dans ce délit. C’est aussi pour cette raison qu’il n’est pas immédiatement identifié et reconnaissable : « Souvent, elles vont dire « Il ne va pas me lâcher jusqu’à la relation sexuelle » ou alors « il revient constamment à la charge » », déclare Solen Degabriel. Et la compagne va céder pour éviter la crise, apaiser le conflit et espérer une paix temporaire, un répit.

« c’est un mode de règlement de crise. Refuser la sexualité de son conjoint, c’est prendre le risque qu’une crise éclate, explose »
Virginie Thoby, éducatrice employée par l'Asfad Rennes.

Un moyen donc de se sortir d’une situation de harcèlement. Un harcèlement qui prend des formes diverses selon la personne qui peut exiger de regarder à deux des films pornographiques, alimenter la relation d’objets, vouloir que sa compagne porte des tenues spéciales, etc. Rien de choquant pour qui consent et s’épanouit librement dans la relation. « Cela peut se jouer dans l’attitude, les paroles, les gestes, il peut aussi simplement la frôler pour exercer une forme de pression tout en faisant croire qu’il s’agit d’un jeu de séduction », ajoute Solen Degabriel.

Tout cela, va alors peser sur la femme qui, elle, ne s’épanouit pas dans la sexualité imposée par son partenaire. Dans son livre, Marie-France Hirigoyen explique que la « relation sexuelle imposée est souvent passée sous silence parce qu’elle fait partie du « devoir conjugal », considéré aujourd’hui comme un droit pour l’homme et une obligation pour la femme. Beaucoup de femmes acceptent des rapports sexuels qu’elles ne désirent pas, simplement pour que le partenaire cesse de les harceler ». Car en 2005, au moment de la parution du livre, le devoir conjugal est toujours inscrit dans le code civil. Depuis, en 2006, la mention a été retirée. Mais elle n’en est pas moins gravée dans les mémoires.

« Si on a retiré la notion de devoir conjugal pour la notion de respect, il n’en reste pas moins que les femmes ont du mal à parler de violence sexuelle à cause de ça. C’est très ancré dans les idées, alors qu’aujourd’hui il n’y a plus d’obligation de dire oui ».
Solenn Degabriel, juriste au CIDFF.

Dans un témoignage que relate la psychiatre, elle décrit une situation dans laquelle Sophie manquait de confiance en elle et était en incapacité de poser des limites aux demandes sexuelles de son compagnon : « Il exige que, le soir, elle mette des tenues sexy (porte-jarretelles, bas fins, chaussures à talons très hauts…). « Au début, je le faisais pour lui faire plaisir, maintenant je le fais pour avoir la paix car, sinon, il finit par être violent. » »

LA QUESTION DE LA NORME SEXUELLE

L’obligation de ne pas dire oui signifie donc pouvoir dire non. Et non, c’est non. Une évidence malgré tout bien difficile à mettre en place lorsque l’on subit un telle menace au sein de son couple. « Quand une femme vient parler de harcèlement sexuel, c’est vraiment que c’est insupportable, intolérable ! », déclare Virginie Thoby, qui insiste sur le caractère subjectif du ressenti.

« Ce qui est invivable pour l’une ne l’est pas nécessairement pour l’autre ».
Virginie Thoby

Et c’est malheureusement là que se niche le problème. Comment définir, aux yeux de la loi et dans les consciences, le harcèlement sexuel si ce n’est en imposant une norme visant à contraindre la sexualité des couples à des conventions acceptables ou non ? Et comment définir l’épanouissement sexuel d’une femme ? Si elle est dans le partage ou non de la sexualité de son conjoint ? L’atteinte à l’intégrité et à la dignité n’est alors pas perçue de la même manière et la sonnette d’alarme ne peut venir que de celle qui la subit.

« C’est une expression très personnelle et très personnalisée. Dans mon travail, je ne suis pas dans le domaine juridique mais dans l’échange, le ressenti. Certaines femmes ont l’esprit très marqué par la violence. Il n’y a pas de marques physiques, elles n’ont pas été agressées physiquement mais ont des traumatismes bien plus profonds qui ne se guérissent pas comme une blessure sur le corps », détaille-t-elle. Honte, culpabilité, perte de confiance… les signaux et symptômes sont identiques à ceux du harcèlement moral.

Et c’est d’ailleurs en harcèlement moral que qualifie le code pénal de cette violence conjugale, dans l’article 222-33-2-1 : « Le fait de harceler son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Un délit passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ont entraîné aucune incapacité de travail et de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende lorsqu'ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours.

« S’il y a agression sexuelle, c’est le fait le plus grave qui sera retenu devant un tribunal. Je pense que ça doit être très très rare d’ailleurs qu’une femme aille devant le tribunal pour harcèlement sexuel, en général, il y a eu agression ou viol conjugal », précise Solenn Degabriel.

FEMME, OBJET SEXUEL

L’objectif des structures spécialisées dans les violences à l’encontre des femmes est alors de déculpabiliser la victime, de les aider à identifier qu’il s’agit de violence conjugale et les aider à se reconnecter avec leurs émotions. « Quand on impose une sexualité à quelqu’un, qu’on l’oblige à parler d’une manière particulière, souvent crue, qu’on lui parle de sexe de manière pornographique, etc. on réduit la personne à un objet. Nous sommes là pour écouter la personne, mettre des mots sur ce qu’elle subit et l’aider à se réattribuer le droit de dire non », explique Solen Degabriel.

« Toute violence sexuelle constitue un traumatisme majeur. Il peut se faire qu’une personne à qui l’on a imposé une violence sexuelle vive désormais avec la conviction qu’elle est méprisable et qu’aucun partenaire désormais ne l’acceptera », indique et alerte la psychiatre dans son chapitre sur la violence sexuelle. Définir la situation sans mettre la femme dans une situation dangereuse, lui apprendre à se protéger et à redevenir maitresse et actrice de sa vie. Les structures proposant également des suivis psychologiques ou des groupes de parole dans certains cas.

« Je reçois la personne pour une premier entretien et je la revois quelques temps plus tard. Je peux parfois orienter vers ma collègue psychologue, selon les cas. Après pour les groupes de parole, c’est délicat d’intégrer une nouvelle personne à un groupe qui travaille ensemble. Mais ça arrive. Après, le groupe n’est pas spécifique au harcèlement sexuel mais plus largement aux violences »
précise Virginie Thoby.

Des séances importantes et délicates pour ces femmes qui même des années après la fin des actes de violences restent encore profondément émues. Aucune des participantes à l’espace de paroles du CIDFF n’a été en mesure de répondre à nos questions pour cette raison. Au Planning Familial de Rennes, une psychologue (contactée, elle n’a pas souhaité s’exprimer sur son travail) et une conseillère conjugale animent également un groupe de paroles sur les problèmes de violences.

« On fait un entretien individuel et ensuite on peut choisir de les intégrer au groupe. Pour le harcèlement sexuel, c’est très compliqué, nous avons peu d’informations là-dessus et peu de femmes qui en parlent », nous confie Brigitte Rocher, directrice du Planning Familial 35, qui précise : « Ici, nous recevons toutes les personnes qui passent la porte et ensuite si cela dépasse nos compétences et si nous ne pouvons pas les prendre en charge, nous les orientons vers un partenaire de la plateforme violence ».

LE DÉPÔT DE PLAINTE : UNE DIFFICULTÉ SUPPLÉMENTAIRE

Le harcèlement sexuel a donc quelque chose de pernicieux, infiltrant la plus grande intimité du couple, maintenant le partenaire harcelé dans une spirale cauchemardesque, la séparation n’étant pas une solution pour toutes les femmes. N’osant pas dans un premier temps en parler et encore moins le dénoncer devant un officier de police et un tribunal. Selon Solen Degabriel, « elles ont parfois peur des représailles. Ou parfois, elles veulent juste que ça s’arrête. Elles souhaitent alors se séparer mais ne pas attaquer leur conjoint ou ex-conjoint puisque le harcèlement ne s’arrête pas forcément lors de la séparation – et cela est également condamné par le code pénal. »

La procédure judiciaire n’est donc pas une volonté de toutes les victimes, préférant tourner la page au plus vite, souvent après plusieurs années de harcèlement. « Et puis, on en entend des belles nous aussi sur l’accueil à l’Hôtel de police… Ce n’est pas évident d’aller porter plainte mais alors en plus quand on arrive dans un hall avec une vitre pour parler au policier d’accueil, à qui il faut crier la raison de notre venue et que tout le monde peut nous entendre ! », s’indigne Virginie Thoby. Un accueil déshumanisé, un manque de proximité et un manque de confidentialité. Sans compter que l’on ne sait jamais si notre plainte est comprise ou non.

L’Asfad emploie un assistant social, Dominique Boitard, pour pallier la difficulté de l’exercice. « Il retrace les éléments qui montrent de la violence. Cela permet d’être plus claire et précise lorsque la femme se présente devant l’agent chargé de recueillir sa plainte », nous explique Hubert Lemonnier, chef de service à l’Asfad. Mais même une fois cette étape franchie, l’apport de preuves sera une autre paire de manches. Si l’objectif du ministère aux Droits des femmes est d’amener la victime à déposer plainte, l’institution est bien consciente que c’est un travail de très longue haleine, qui se heurte au final « aux limites du droit, du harcèlement moral à l’agression sexuelle en passant par des faits de harcèlement aggravés, toujours avec des preuves quasi impossibles à apporter ».

Sans oublier que les langues ne sont pas prêtes à se délier même dans l’intimité d’un espace sécurisé et convivial comme l’accueil de jour.

L’espoir des politiques publiques repose alors sur les collectivités locales, les structures spécialisées et la plateforme téléphonique, 3919, permettant de parler et d’être orientées vers des professionnels. Un système qui existe également au niveau local – 02 99 54 44 88 – et qui représente un premier pas vers la prise de conscience et l’accompagnement personnalisé pour se sortir d’une situation dont personne n’arrive encore à parler librement.

Sur la voie publique, ce que l’on nomme harcèlement de rue fait rage. Témoignages, coups de gueule et actions se multiplient pour faire front face à cette calamité qui peut engendrer de sérieux traumatismes chez celles qui subissent réflexions, remarques et menaces d’ordre sexuel. À l’échelle d’une ville comme Rennes, comment lutter contre ce phénomène ?

Infographie : © Sophie Barel

« Se pose forcément la question de la domination d’un sexe sur l’autre. C’est le reflet de l’inégalité des sexes. Travailler l’égalité, c’est désamorcer les formes de domination », explique Geneviève Letourneux, conseillère municipale à Rennes, déléguée aux droits des femmes et à l’égalité.

Elles ont le goût amer de l’humiliation, résonnent comme des atteintes à la dignité et engendrent une peur de la rue, ces remarques faites dans la rue. Destinées à séduire, à draguer, à importuner ou encore à effrayer… il est indéniable que les supposés effets sont nombreux et variables selon la personne qui contraint l’autre à la relation. Qui ramènent les femmes à un statut d’objet. Et d’objet sexuel qui plus est puisque la nature de la réflexion est uniquement basée sur le physique et se rapporte souvent à l’acte sexuel.

Si les atteintes sont portées sur l’espace public, c’est souvent sur Internet que les langues se délient, comme sur le tumblr Paye ta schnek ou comme le témoignage de Jack Parker à la suite de son agression – à caractère sexuel – dans le métro, rapportant ainsi les propos et les faits subis qu’ils soient de l’ordre du quotidien ou ponctuels. Le traumatisme s’établissant selon la fréquence et/ou selon la gravité de l’acte. Si certains crient à la psychose naissante, on ne peut pourtant nié qu’une prise de conscience éclot au même moment de la part des femmes et des hommes.

ACTIONS, RÉACTIONS ?

Un ras-le-bol général souffle sur la condition féminine qui souhaite que le vent prenne enfin une direction différente. Sans dire que le vent tourne et ne s’abatte dans la figure de ceux pour qui une réflexion faite à une femme dans la rue est un compliment. Et que l’absence de réponse à ce compliment les autorise à proférer une ou toute une série d’insultes nauséabondes.

Ainsi, les medium pour dénoncer ce fléau et faire comprendre l’impact qu’il peut avoir sur les femmes affluent. Éléonore Pourriat, en 2010, réinvente l’Histoire dans le film court Majorité opprimée en imaginant une société dans laquelle les hommes sont victimes de la domination féminine. Deux ans plus tard, une étudiante belge, Sofie Peeters, réalise un documentaire en caméra cachée, Femmes de la rue, pour démontrer la férocité et l’agressivité de ces interpellations, le machisme et le sexisme ambiants dans son quartier, à Bruxelles.

Plus récemment, les internautes se sont épris du blog de l’illustratrice Diglee, qui explique avec ferveur et humour ce qu’éprouvent les femmes victimes de harcèlement de rue. Entre honte, culpabilité et peur de rétorquer… Épris aussi du Projet Crocodile dans lequel Thomas Mathieu illustre des situations vécues par les femmes en BD. La toile est florissante mais l’objectif est unique : viser la prise de conscience en sensibilisant à cette problématique rébarbative qui, au delà de l’exaspération et de la lassitude exprimée par la gente féminine, a de lourdes conséquences sur l’espace public, vidé à certains endroits et certaines heures, des femmes éprouvant un sentiment d’angoisse et d’insécurité.

ELLES DISENT NON

Du « T’es charmante » au « Hey mademoiselle, tu me fais une petite gâterie ? » en passant par « Grosse salope, t’as des grosses cuisses, j’aime bien. Ça te dirait que j’t’encule ?! », ce n’est pas l’inspiration qui manque, comme le souligne Bérangère Krief dans son sketch Cours de répartie anti-relous, ou Noémie de Lattre dans sa chronique du 23 juin sur France Inter, Cons des rues. Mais du côté des outils de lutte, il semblerait qu’il y ait une panne sèche à première vue. Pas tout à fait en réalité.

Traitée dans la rue de « viande à viol », Laura fonde en mai dernier l’association Colère : nom féminin, à Nantes, et lance une collection de sacs à mains et de débardeurs sur lesquels figurent l’inscription : Ta main sur mon cul, ma main sur ta gueule. « Moi, c’est quand je me suis fait cracher sur les jambes, dans un bus bondé et que personne n’a réagi que j’ai eu envie de faire quelque chose », nous précise Alexia Giannerini. Début juin, elle lance, avec Maud Renusson, le collectif Stop au harcèlement de rue Rennes, reprenant la ligne de conduite du collectif éponyme parisien. Leur objectif :

« Qu’on ait en France une loi contre le harcèlement de rue, sur le modèle de celle qu’ils ont en Belgique ».

En effet, dans le pays frontalier, le maire de Bruxelles a instauré en 2012 des amendes pour insultes sexistes allant de 75 à 250€. Le dépôt de plainte ou le flagrant délit étant évidemment obligatoires. Le ministère aux Droits des femmes rappelle, outre l’absence de définition officielle du harcèlement de rue, qu’en France, la loi prévoit également des sanctions en cas d’injure publique (invective, expression outrageante ou méprisante, non précédée d'une provocation et qui n'impute aucun fait précis à la victime).

Une législation spécifique n’est donc pas à l’ordre du jour dans l’Hexagone, la ministre Najat Vallaud-Belkacem insistant sur l’importance de « s’interroger sur les causes et mettre l’accent sur l’éducation. Son outil ? L’ABCD de l’égalité », écrit-elle le 22 avril dernier sur son site officiel. Un outil enterré début juillet par le ministre de l’Éducation mais une ligne de conduite qui semble rester intacte, celle de l’éducation au respect.

C’est d’ailleurs ce que prône l’association rennaise Liberté Couleurs, en organisant chaque année Le printemps de la jupe et du respect auprès des 13-25 ans afin de leur permettre d’exprimer « leurs indignations, leur volonté de faire évoluer les mentalités ainsi qu’un ensemble de valeurs de respect dans les relations aux autres ».

Pour le collectif Stop au harcèlement de rue Rennes, les actions devraient débuter à la rentrée 2014 avec une expo photo dans les bars rennais.

« Je souhaite prendre en photo des femmes, de toutes les nationalités, de toutes les tailles, de tous les âges, en jupe. Les femmes ont honte de porter des jupes à cause du harcèlement de rue ».
Alexia Giannerini, co-fondatrice du collectif Stop au harcèlement de rue Rennes.

Pour les deux initiatrices du mouvement, il est capital d’en parler pour que les victimes n’aient plus honte et que les témoins ne soient plus passifs. Sans oublier l’importance du dépôt de plainte : « Pour la prise de conscience. Pour libérer la culpabilité des femmes. Qu’un maximum de femmes portent plainte contre X ».

Les actions devraient également être semblables à celles du collectif parisien, à savoir la création temporaire de zones sans relous et la distribution de prospectus visant à informer les habitant-e-s. « Notre but n’est pas de pousser les filles à chercher les emmerdes. Il faut savoir s’adapter aux situations selon le moment, le contexte, le gabarit de la personne… », conclut-elle. C’est ce qu’enseigne l’association nantaise La trousse à outils, en partenariat avec l’association féministe rennaise Questions d’égalité, à travers des stages d’auto-défense féministe donnés à Rennes depuis 2013, adaptés aux femmes de différentes tranches d’âge (2 stages seront proposés les 14 et 21 septembre pour les adultes et le 28 septembre pour les 12-14 ans).

« Il s’agit de trouver des attitudes et des stratégies qui permettent de s’extraire d’une situation dangereuse que ce soit au niveau psychologique ou physique. Le but est aussi de partager les vécus et de travailler sur ces expériences »
explique Isabelle Pineau, coordinatrice de Questions d’égalité.

Car si la plupart des femmes craignent l’agression physique – et sexuelle notamment – elles sont nombreuses à garder un violent traumatisme psychologique. Face au harcèlement de rue, l’humiliation et le sentiment d’impuissance, de domination, marquent profondément et s’ancrent dans la mémoire de chaque personne qui en est ou en a été victime. L’auto-défense semble alors être un remède approprié et cohérent. (Re)prendre confiance. Ne plus, ou moins, craindre la rue.

Depuis le 1er juillet, l’association teste à titre expérimental des stages d’auto-défense intellectuelle « pour un sens de la répartie et la construction d’un argumentaire contre les valeurs et discours sexistes, anti-féministes ». Six séances de travail sont organisées durant le second semestre 2014, avec une petite dizaine de femmes, sensibilisées à la question. L’objectif étant de raconter l’expérience dans un blog et un livret mais aussi de rendre compte de l’ampleur du travail à l’occasion du 8 mars 2015. « On voudrait faire une scène slam avec Slam Connexion pour raconter ce qui s’est passé durant les ateliers », dévoile Isabelle Pineau.

MARCHES POUR LA DIGNITÉ

L’association, attentive aux problématiques liées à la condition des femmes, avait en janvier 2011 évoqué le sujet du harcèlement de rue dans une conférence intitulée « Comment mettre fin aux violences contre les femmes dans les espaces publics ? », animée par la sociologue Dominique Poggi, également formatrice et animatrice de marches exploratoires de femmes. Des marches exploratoires qui ne sont généralisées en France que maintenant – au Québec, les marches sont préconisées depuis les années 90.

Le ministère aux Droits des femmes – et de la Ville - devant prochainement annoncer son calendrier concernant la mise en place de ces marches dans une dizaine de villes prioritaires. Rennes figurera-t-elle dans la liste ? Rien n’est encore officiellement défini. Mais on sait déjà que la capitale bretonne projette d’en organiser, cela figurant dans le plan d’actions, validé en juillet 2013 par le conseil municipal de Rennes, qui lui-même découle de la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes.

« On est bien conscient qu’il y a des femmes qui ressentent un sentiment d’insécurité. Et on sait qu’il y a moins de femmes sur l’espace public. Mais l’espace public est à tout le monde ! »
s’indigne Elisabeth Malaurie, chargée de mission aux droits des femmes et à l’égalité.

Jamais expérimentées à Rennes, elles consistent à identifier les zones d’insécurité en présence des femmes du quartier qui souhaitent participer. « La méthode préconise un groupe de 10 à 15 femmes environ et de faire les marches à un horaire dans lequel elles ont déjà vécu des situations insécurisantes. C’est de l’ordre de l’observation et du diagnostic sur l’aménagement du quartier ou encore sur l’éclairage des rues par exemple », précise Elisabeth Malaurie.

En attendant, les femmes s’emparent de l’espace urbain, à travers des marches non-mixtes nocturnes – la dernière en date remonte au 18 mars - afin de se réapproprier la rue. Encore plus percutant et marquant, les Slutwalk (Marches des salopes) pour lutter contre le sexisme et la culpabilisation de toutes les victimes. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le collectif est en concertation avec les différents responsables régionaux pour définir de la prochaine date de la marche.

Et Rennes ne sera pas exemptée d’un défilé de salopes, vêtues comme elles l’entendent et fières de marcher dans les rues de la capitale bretonne, main dans la main pour dire STOP au harcèlement de rue.

Tab title: 
Libérer la parole face au harcèlement sexuel
Figure n°1 : Pression au travail
Figure n°2 : La spirale infernale au sein du couple
Figure n°3 : Humiliation sur l'espace public

Célian Ramis

Le rêve des Créatives prend forme

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Triangle, Rennes
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Le 12 juin dernier, les 10 jeunes femmes se sont produites sur la scène du Triangle, en présence d’une centaine de spectateurs venus assister à l’avènement de ce projet.
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Rappelez-vous, il y a quelques semaines, le groupe des Créatives travaillait sur un spectacle mêlant chorégraphie et chant, dans le but de créer une connexion entre la sensibilité artistique et le monde professionnel. Le 12 juin dernier, les 10 jeunes femmes se sont produites sur la scène du Triangle, en présence d’une centaine de spectateurs venus assister à l’avènement de ce projet. À 20h30, les danseuses frémissaient d’impatience à l’idée de faire naître le fruit de leurs répétitions. La salle est comble. La scène silencieuse. Lever de rideau…

C’est aux côtés de leurs 7 partenaires que Dania, Soiz et Mariette ont dansé ce soir-là, au Triangle. Après 45 minutes de spectacle, la chorégraphe Corinne prend la parole afin d’expliquer ne pas avoir thématisé le travail dans le but d’offrir au groupe l’opportunité de se laisser émerger, et de se laisser aller à cette part d’inconnu propre au projet.

On a commencé par des jeux avec une ouverture poétique, raconte Mathieu, pour aller chercher en elles un contact avec le monde, tout en restant présent et discret à la fois.” Très vite, les Créatives ne tardent pas à laisser exprimer leurs émotions, encore bousculées par l’adrénaline de la soirée. “J’aurai aimé que cela dure plus longtemps, déplore Dania, je me sens nostalgique car c’est déjà fini. C’était très intense”, souligne-t-elle, confessant avoir pleuré juste avant de monter sur scène.

UN FANTASME QUI SE CONCRÉTISE

Je sais désormais que je suis capable, affirme-t-elle au moment de faire le bilan. Ce qui pouvait m’effrayer, comme faire entendre ma voix par exemple, m’a, contre toute attente, procuré beaucoup de plaisir. J’attendais avec impatience ce jour, un peu comme lorsque l’on prépare un entretien d’embauche.” Désormais, elle gardera en mémoire cette force, cette énergie qui l’a poussée à se surpasser. Car là était son véritable défi.

Et le lien avec le monde du travail ? “Cette force qui s’est révélée en moi me servira pour faire face au monde extérieur, que ce soit pour des entrevues ou dans mes relations sociales.” Tout comme ses partenaires, Dania a appris la tolérance de la différence. La jeune femme, qui se décrit comme étant très impulsive, sait à présent faire confiance aux autres.

IL FAUT ACCEPTER DE SE LAISSER GUIDER PAR L'AUTRE

Quant à Soiz, elle a appris à s’aimer. Son défi était de prendre réellement conscience de ses atouts. Plus qu’une aventure humaine, c’est un véritable apprentissage de développement personnel qu’elle avoue avoir vécu. Si au départ elle reconnait avoir eu beaucoup de retenue, son manque de confiance s’est très vite envolé, laissant place à l’envie de créer et d’aller à la rencontre des autres.

“J’ai enfin réussi à me laisser guider et à lâcher prise afin d’aller jusqu’au bout de ce projet,” conclut-elle satisfaite. L’avenir? “Nous avons comme projet de faire un documentaire sur nous, dans la foulée, avec cette même énergie si productive. Une chose est sûre, c’est que l’on ne veut pas se perdre de vue!” Mariette, instigatrice de cette initiative, ajoute avoir eu l’idée de réaliser ce projet en visionnant Les invisibles, film documentaire sorti en 2012 et retraçant la vie des homosexuels dans les années 50.

C’est la différence de chaque femme qui les a rapproché. Cette “féminitude”, à ne pas confondre avec le féminisme précise t-elle,  a besoin d’être mise en lumière.

“Savoir que l’on est capable d’aller au bout de ce qui s’apparentait à l’origine à un rêve est un fantasme qui se concrétise. La société nous impose déjà tellement de limites aujourd’hui, alors pourquoi s’en créer nous-même? Tout est possible, même dans notre maladresse.”

Les Créatives l’auront bien compris : l’union fait la force. Si pour elles, le groupe leur a permis de faire face au regard des autres, la plupart aura appris que pour lâcher prise, il faut accepter de se laisser guider par l’autre. Elles en retiendront le souvenir d’une aventure riche et forte d’un bel esprit d’équipe, qui a fait naître de façon naturelle cette envie de créer ensemble. Les Créatives, c’est un petit peu comme cette bande de copines que l’on aurait tant aimé avoir, un groupe soudé au sein duquel chaque personne apporte tellement à l’autre par sa différence et par sa connivence.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Dans l'intimité du hammam (5/5)

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Lorient
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Un spectacle intense et émouvant « À mon âge je me cache encore pour fumer », présenté par la compagnie finistérienne Les Cormorans.
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La 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, organisée au Palais des congrès de Lorient, s’est achevée samedi 17 mai par le spectacle intense et émouvant « À mon âge je me cache encore pour fumer », présenté par la compagnie finistérienne Les Cormorans.

Une histoire de femmes, d’Algérie, d’Islam, de condition féminine dans les pays arabes mais aussi une histoire de solidarité, de force et de beauté. Un magnifique tableau présenté par la compagnie de théâtre Les Cormorans, originaire de Carantec dans la baie de Morlaix, et adapté de la pièce de l’auteure et comédienne féministe Rayhana, À mon âge je me cache encore pour fumer. Cette femme algérienne avait été violemment agressée en janvier 2010 à Paris, au moment des représentations de cette pièce, en raison du sujet traité.

En 2014, Gilles Kermarrec choisit de mettre en scène la première œuvre écrite en français de Rayhana, avec sa troupe de théâtre – constituée de femmes de 14 à 62 ans - avec qui il travaille depuis de nombreuses années. C’est devant une salle comble que la compagnie finistérienne a joué ce nouveau spectacle de qualité et assurément émouvant.

La pièce se déroule dans un hammam à Alger et présente le destin de neuf femmes oscillant entre rébellion, aspiration et soumission. Elles sont d’âge et de conditions diverses mais sont toute réunies dans cet espace protégé et intimiste initialement dédié à la toilette des femmes. Au cours du spectacle, elles échangent, toujours avec passion et ferveur, autour de leurs vies, de leur condition de femmes.

D’une situation banale au départ, la pièce de Rayhana nous emmène au cœur de l’intimité de ces neufs personnages profondément engagées et enlisées dans leur propre existence. Elles discutent, débattent, s’engueulent, se contredisent et se déchirent tandis que Fatima, la masseuse en chef, tente de les calmer et de les rappeler à l’ordre : « Vous êtes dans un hammam, vous êtes ici pour vous laver, on ne parle pas politique ici, apprenez à rester à votre place ».

Elles ont des parcours et des idéologies différents et éprouvent des difficultés à se comprendre et à cohabiter dans un espace fermé alors qu’elles aspirent toutes à une certaine liberté. L’une a subi une agression à l’acide et vient de divorcer, l’autre est mineure et enceinte – sans être mariée – une autre ne jure que par Dieu et a perdu son mari, assassiné parce que considéré terroriste, une autre encore attend de pouvoir épouser un homme pour fuir le hammam…

Briser les stéréotypes manichéens

Quand soudain arrive une occidentale, « une brunasse habillée comme une blondasse ». Elle vient rencontrer la patronne qui doit lui présenter une fille pour son fils quadra, célibataire, qui veut une vierge portant le voile « car les filles de France ont tout perdu, la religion, la tradition… »

Elle apporte une autre vision contrastée de la condition féminine qui vient se heurter à la différence des cultures. La pièce interroge, interpelle et intéresse car elle ne délivre aucune réponse brute et brise les stéréotypes en présentant et confrontant plusieurs points de vue. Ici, l’auteure, le metteur en scène et les comédiennes ne prennent aucun parti pris sinon celui de présenter un instant de vie durant lequel se croisent plusieurs destins et diverses facettes de la problématique énoncée. Ils dépeignent une condition féminine complexe et difficile à vivre à travers des portraits beaux et forts. Les dialogues sont poignants et renvoient à un quotidien cabossé dans lequel se mêlent espoirs, rêves, blessures, failles, rancunes, peurs et plaisirs. 

Pendant une heure, les spectatrices – peu d’hommes assistent à la représentation – sont suspendues aux lèvres des comédiennes qui envoient une haute dose d’électricité dans l’audience. La compagnie théâtrale use d’humour, de douceur mais aussi de sévérité, et de brutalité. Aucun sujet ni individu n’est épargné que ce soit dans les discussions ou dans l’émotion partagée. Sur scène, la tension est palpable.

Toutefois, elles diffusent et transmettent le message avec beaucoup de justesse et finesse, relevant le pari de peindre un tableau d’une grande beauté sur lequel figurent ces femmes liées par leur force et leurs valeurs aussi différentes soient-elles. La pièce passe de la comédie au drame avec beaucoup de subtilité à laquelle s’ajoute la force de la mise en scène de Gilles Kermarrec qui fait danser et chanter les comédiennes, accompagnées par un accordéoniste et une violoncelliste. Un instant d’une grande beauté qui nous pousse à la réflexion et à l’ouverture d’esprit.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : "Parler pour libérer les consciences" (4/5)

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Lors de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem a répondu à nos questions, samedi 17 mai.
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À l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, la ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Najat Vallaud Belkacem était de passage à Lorient, samedi 17 mai. Elle a répondu à nos questions lors d’un point presse, à l’issue du débat auquel elle participait – en compagnie de Pierrick Massiot, président du Conseil régional de Bretagne – autour des politiques publiques d’égalité.

YEGG : La 4e Biennale de l’égalité se termine aujourd’hui en Bretagne, seule région à proposer ce type de manifestation (la ville de Reims organise également une Biennale de l’égalité). Pourrait-on imaginer que la Biennale de l’égalité soit imposée dans chaque région française, et chapotée par le ministère des Droits des femmes ?

Najat Vallaud Belkacem : C’est une très bonne idée ! Il faudrait en parler aux collègues des autres régions pour organiser tout ça. Ce que je peux dire de la Biennale de l’égalité en Bretagne, c’est que je trouve que c’est une initiative formidable. Deux jours pour mettre en lumière les inégalités et pour rassembler les acteurs autour d’un débat commun. C’est aussi l’occasion de découvrir des combats menés par d’autres structures.

J’aime aussi l’idée qu’elle tourne, qu’elle ne soit pas définie dans une ville en particulier (la Biennale a été organisée à Brest, Morlaix et Saint-Malo, ndlr). Aussi, la Biennale soulève des points cruciaux dont il est important de parler pour libérer les consciences. Car souvent les victimes n’ont même pas conscience d’en être ! Il faut leur faire prendre conscience de tout ça, c’est tout l’enjeu ici. Et ça passe par la communication…

YEGG : … et par la transversalité. On le sait, vous aimez jouer et agir avec tous vos domaines de compétence (droits des femmes, ville, jeunesse et sports). La preuve avec la récente nomination d’une ancienne athlète pour lutter contre l’homophobie dans le sport…

Najat Vallaud-Belkacem : Tout à fait ! J’ai le plaisir d’être en charge des Sports et de pouvoir agir pour sa féminisation. Je pense qu’il faut lutter contre toutes les discriminations. Et surtout lorsqu’elles sont subies en raison de son orientation sexuelle. J’ai nommé Maguy Nestoret-Ontanon pour être en charge de la lutte contre l’homophobie dans tous les sports. Je pense que quand on ne nomme pas le mal, on a du mal à le combattre. Pour l’homophobie, c’est la même chose. D’où la nomination de cette ancienne athlète pour lutter contre ça.

Média : La Biennale s’intéresse à l’égalité au quotidien. Alors qu’est-ce que l’égalité change au quotidien ?

Najat Vallaud-Belkacem : Aujourd’hui, nous n’avons pas l’égalité. Il faudrait donc se demander ce qu’elle changera quand on l’aura réalisée. L’égalité donne la liberté d’être soi. D’être une femme et être chef d’entreprise dans le BTP. D’être un homme et être assistant maternel. C’est génial comme projet de société et l’égalité est un élément essentiel dans tous les pays, nous l’avons encore dit lors du débat.

Média : Il y avait vendredi matin un débat intitulé « Éducation : faut-il avoir peur ? ». Qu’est-ce que vous en pensez ?

Najat Vallaud-Belkacem : Je suis ravie que la Biennale ait osée cet intitulé. Le droit des femmes ne doit pas se contenter de parler qu’aux initiés. Sinon, on avance très vite mais finalement on se rend compte que l’on est seul et que la société ne nous suit pas. Il faut acquérir le réflexe de l’égalité. Dans les médias, la télé, les pubs… tout dans la société nous pousse à exclure de notre champ d’horizon des rôles ou des métiers parce qu’ils sont attribués aux filles ou aux garçons.

L’éducation à l’égalité explique les différences qui existent mais explique aussi et surtout que nous aspirons aux mêmes choses. Il faut changer les mentalités, s’autoriser à ambitionner des choses. Et ça, ça se construit très jeune. Avoir accès à l’éducation à l’égalité, c’est ce que défendent les valeurs de la République.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Marche ou C-rêve (2/5)

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Vendredi 16 mai, Laëtitia Mazoyer présentait sa conférence gesticulée « Marche ou C-rêve ! : L’échappée belle ou la longue traversée des violences conjugales ».
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Vendredi 16 mai, Laëtitia Mazoyer présentait sa conférence gesticulée « Marche ou C-rêve ! : L’échappée belle ou la longue traversée des violences conjugales », à l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité, organisée à Lorient. Un parcours de combattante et de militante.

Deux groupes sont constitués au fond de la salle. Laëtitia Mazoyer, au milieu, observe, écoute, attend. Les femmes, et les rares hommes présents, accordent leurs arguments avant de les confronter entre eux. La conférence commence ainsi. Par un débat mouvant. D’un côté, celles qui sont pour l’affirmation « C’est le premier pas qui coûte ».

De l’autre, celles qui sont pour l’affirmation « Ce n’est pas le premier pas qui coûte ». Ce premier pas coûte et compte pour certaines et pour d’autres, il est l’élément déclencheur mais pas nécessairement le plus important. Après un échange convivial qui se conclut par une dernière affirmation d’une participante - « Cela dépend des situations et des personnalités… » - Laëtitia Mazoyer invite les spectatrices à s’asseoir pour parler de son premier pas.

Celui qu’elle a fait pour quitter le foyer familial mais surtout celui qu’elle a fait pour sa marche de Nancy à Strasbourg. « Quitter le foyer où je vivais des violences, enceinte de 8 mois… J’avais besoin de partir, besoin de protéger mon enfant », lance-t-elle devant une audience ébahie et pendue à ses lèvres. C’est en octobre 2010 que la jeune femme a franchi le pas. Déjà séparée de son compagnon, elle est encore noyée dans les démarches administratives.

Cette année-là, elle s’engage pour la grande cause : la lutte contre les violences faites aux femmes (année nationale). Sur scène, elle prend alors sur son dos, le sac de voyage qu’elle avait d’abord placée devant son ventre pour illustrer la grossesse. Elle sort des cartes et surtout un drap sur lequel elle a dessiné son trajet qu’elle étend sur un fil à linge. « Avoir un trajet, une première étape, ça me donnait déjà une perspective. J’avais défini des étapes, pris des gites. Un sac à dos, un duvet, des draps. Quand une femme part, il faut penser à prendre les papiers, la trousse de secours… Souvent le départ ne s’improvise pas, sauf pour les cas de danger imminent. Allez, on décolle ! »

Marche ou C-rêve n’est pas une invitation au voyage mais une manière pédagogique et vivante de retransmettre le parcours vécu par cette femme. Et qui pour la 7e fois joue sa conférence gesticulée. « J’ai choisi de parler de l’après car il est difficile de témoigner quand on est encore dedans. Mais c’est vital de témoigner, pour informer, pour donner une vision large aux potentielles femmes qui peuvent le vivre », nous confie Laëtitia.

Un discours commun à celui de Rachel Jouvet, victime de violences conjugales à 18 ans, qui a choisi de raconter son histoire dans la pièce « Je te veux impeccable, le cri d’une femme », mise en scène et jouée par la compagnie rennaise Quidam théâtre (lire notre Focus n°19 – novembre 2013). Pour Laëtitia, la marche est une manière d’apprendre à vivre avec la solitude qui l’habite depuis qu’elle est partie du domicile conjugal. Elle établit un lien entre la peur ressentie lors du départ et celle des premiers jours de randonnée.

« La peur vous colle à la peau. J’ai passé du temps à la dompter », explique-t-elle. Chaque étape fait écho à ce qu’elle a subi au cours de l’après. Les émotions, le changement d’humeur, les difficultés, le découragement, l’épuisement, l’envie d’aller plus loin, d’avancer, de se reconstruire… Elle a déjà connu tout ça. Mais lors de sa marche, elle se libère, éprouve le plaisir de marcher, fait des rencontres. Et au fil de la conférence gesticulée, elle crée des parallèles entre son cheminement personnel et le chemin parcouru dans l’histoire des luttes féminines. « J’ai commencé à sortir de mon idée que l’égalité femmes-hommes, c’était acquis », dit-elle en posant sur son nez des lunettes avec un seul carreau teinté. Et pour sortir davantage du brouillard, elle sort deux autres linges qu’elle attache au fil, derrière elle.

« J’ai découvert deux triangles qui ont complètement bouleversé ma façon de penser. L’un qui explique la situation : il y a le persécuteur, la victime et le sauveur dans une relation triangulaire. L’autre montre comment s’en sortir : la protection, la permission et la thérapie », décrit-elle.

Néanmoins, la jeune femme ne se contente pas de ces schémas et fouille dans les écrits jusqu’à tomber sur une enquête concernant les violences faites aux femmes et un numéro de téléphone : « On m’a répondu : « Vous avez le bon numéro », c’était formidable ». C’est avec un humour fin et léger que Laëtitia fait passer son message et conte son expérience. Un parcours de combattante mis en parallèle avec une marche de militante.

Un problème social

« Au bout d’un moment, en cours de route, j’ai commencé à marcher avec joie et j’ai tué le prince charmant ». Silence dans la salle, les spectatrices étant piquées par la curiosité. Dans une démonstration théâtrale, Laëtitia illustre la relation de couple.

Elle tient son sac à dos, bras tendus, en position de supériorité face à elle. Elle se baisse, se baisse et se baisse encore, jusqu’à plaquer d’un coup sec le sac à dos à terre et se relève fièrement en scandant « J’ai tué le prince charmant, pas l’amour ». Et la conférence reprend son rythme de marche, tantôt saccadé, tantôt rapide, et tantôt ralenti. Une cadence irrégulière que chacun et chacune peuvent comprendre et imaginer en se remémorant des instants de vie.

« Je me suis rendue compte que j’étais un problème social. J’étais vachement rassurée », précise-t-elle. Rires étouffés dans la salle. Un problème social. Comme toutes ses femmes qui à un moment ont choisi de résister, de bousculer l’ordre établi et de refuser l’autorité :

« C’est un angle nouveau dans le témoignage contre les violences faites aux femmes. J’ai découvert ça en lisant le livre de Patricia Romito, Un silence de mortes – La violence masculine occultée, et je trouve ça très important que les femmes ne soient pas soumises. Si elles mettaient la même énergie ailleurs que dans le combat contre les violences, elles pourraient déplacer des montagnes ! »

Laëtitia Mazoyer termine par le discours qu’elle a prononcé lors du colloque sur les violences faites aux femmes, une fois arrivée à Strasbourg : « Je voulais vous parler de l’après… Une fois qu’on est parti… Dont on ne parle pas beaucoup ». La conférence gesticulée s’achève sur le cri de guerre qu’elle a inventé lors de sa marche. Un moment intense et émouvant qui restera gravé dans les mémoires des spectatrices et spectateurs qui prennent ici la mesure des drames subis par plus d’une femme sur dix en France, sans compter celles qui ne dénoncent pas ou ne réalisent pas les violences dont elles sont victimes.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Le cerveau a-t-il un sexe ? (1/5)

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La neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, présentait vendredi 16 mai sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? »
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À l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, organisée par la région Bretagne au Palais des congrès de Lorient, la neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, présentait vendredi 16 mai sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? »

Elle mène une double vie, Catherine Vidal, comme elle aime le dire au début de sa conférence. Dans sa première vie, elle est dans son labo et travaille sur la vie et la mort des neurones dans les maladies neuro-dégénératives. Et dans la seconde, elle s’intéresse aux stéréotypes et aux idées reçues qui concernent les femmes et les hommes.

Pas n’importe lesquels : ceux qui émanent de l’idéologie du déterminisme biologique. À savoir que les femmes et les hommes auraient un cerveau différent, d’où les inégalités entre les sexes. Pendant près d’une heure, la neurobiologiste va balayer les grandes idées reçues profondément gravées dans l’imagerie populaire. Le médecin, anatomiste et anthropologue Paul Broca défend, au XIXe siècle, l’idée d’une infériorité féminine due à la taille et au poids de leur cerveau, pesant environ 1,200 kg contre 1,350 kg en moyenne pour les hommes.

« Mais déjà à cette époque, on savait qu’il n’y avait pas de relation entre la taille et le poids du cerveau et l’intelligence. Par exemple, le cerveau d’Anatole France pesait 1 kg et celui d’Einstein 1,250 kg. On ne serait jamais allé dire qu’Einstein aurait pu être une femme… », démontre Catherine Vidal. Pour déconstruire les stéréotypes les plus ancrées dans l’opinion, elle se base alors sur plusieurs études et sondages menés d’abord dans les années 80 – le cerveau est découpé et placé dans le formol – puis dans les années 90 jusqu’à aujourd’hui – les études sont réalisées par IRM : « Ces dernières montrent que statistiquement, il n’y a pas de différences entre le cerveau d’une femme et le cerveau d’un homme. Avant, avec le formol, on tirait des conclusions à partir de probabilités. On disait alors que les femmes étaient plus douées en matière de communication car leur hémisphère gauche était plus développé et que les hommes étaient plus doués pour se repérer dans l’espace car leur hémisphère droit était plus développé. »

Plasticité cérébrale et théorie du genre

Mais le cerveau, et c’est là que réside toute la difficulté, est bien plus complexe. Catherine Vidal, elle, choisit de présenter et d’expliquer, simplement, le fonctionnement de la plasticité cérébrale, qui rejoint la théorie du genre « qui n’est pas une théorie mais un concept ».

C’est lors de la vie intra-utérine que se forment les organes et que se construit le cerveau : « Le bébé nait avec 100 milliards de neurones qui ne vont pas cesser de se multiplier. Mais il faut savoir qu’à la naissance, seulement 10% des neurones sont connectés entre eux ». 90% de nos milliards de synapses se fabriquent lors de la petite enfance et tout au long de notre existence. Si notre vision est très sommaire jusqu’à nos 5 ans – le temps que le nerf optique se développe intégralement jusqu’à la connexion au système nerveux – il en résulte que l’exposition de l’œil à la lumière est une condition obligatoire pour la connexion des neurones aux voies visuelles. Il en est alors de même pour toutes les connexions.

Pour la scientifique, pas de doute : « L’interaction avec l’environnement est indispensable à la construction du cerveau, sinon il ne peut pas se câbler. L’environnement et l’apprentissage jouent donc un rôle très important ». En effet, des études réalisées sur des pianistes, mathématiciens ou encore des jongleurs montrent que l’entrainement régulier, dès le plus jeune âge, amène l’épaississement de certaines zones nécessaires à la pratique choisie, et inversement, l’arrêt des exercices entraine un rétrécissement de ces zones.

D’autres cas école sont montrés ce vendredi à l’assemblée réunie dans l’Auditorium pour appuyer l’argument de la neurobiologiste : le cerveau est malléable – il est en effet plissé dans la boite crânienne – et peut s’adapter à certaines anomalies physiques sans les répercuter sur le mental – certaines personnes subissent des ablations d’un hémisphère du cerveau et récupèrent leurs capacités après rééducation de l’hémisphère restant. Seule compte la stimulation, l’interaction, avec son environnement social et culturel.

Interférence entre idéologie et pratique scientifique

« Hormis l’hypothalamus (dont une des fonctions est de réaliser la liaison entre le système nerveux et le système endocrinien, ndlr) qui active chaque mois des neurones afin de déclencher l’ovulation chez la femme et qui marque donc une différence associée à la reproduction, il n’y a pas de différence entre les sexes pour les fonctions cognitives », explique la conférencière.

Elle poursuit : « Jusqu’à 2 ans et demi, l’enfant n’est pas capable de s’identifier au masculin ou au féminin. Il n’a pas conscience de son sexe ». Par conséquent, ses goûts et sa personnalité sont forgés par son environnement, son éducation et sa culture – décor de la chambre, jouets, vêtements, etc. – « en fonction des normes de sexe ».

La plasticité cérébrale conforte donc la notion de sexe et de genre, conduisant inéluctablement à la théorie du genre, qui selon Catherine Vidal est une « réalité conceptuelle qui ne nie pas la réalité biologique, bien au contraire, elle l’intègre ». L’homme ne serait donc pas biologiquement programmé à mieux se repérer dans l’espace et la femme ne serait pas naturellement intuitive : « Les instincts sont ancrés dans la biologie mais leur expression est contrôlée par la culture ». Et donc par tous les stéréotypes véhiculés et transmis de génération en génération.

Pour Catherine Vidal, rien ne prouve que les cerveaux masculins et féminins sont diamétralement opposés, ni même légèrement différents mais tout converge vers la conclusion de la plasticité cérébrale : « Il n’y a pas de corrélation entre humeurs et fluctuations d’hormones. Chaque femme vit à sa façon son cycle mensuel, sa grossesse, sa ménopause… » En d’autres termes, chaque cerveau, féminin ou masculin, diffère en fonction de l’histoire de l’individu qui le porte, de son environnement et de ses interactions à l’extérieur au cours de son existence.

« Il y a une interférence entre l’idéologie et la pratique scientifique et l’idée d’un déterminisme biologique persiste toujours. Les biologistes doivent s’engager auprès des sciences sociales pour diffuser la culture de l’égalité entre les femmes et les hommes », conclut Catherine Vidal, fortement applaudie au terme de sa conférence.

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