Célian Ramis

Travelling 2016 : Les femmes prennent la colère et s’en vont en lutte

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Cinéma Arvor, Rennes
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Lors du festival Travelling était projeté le documentaire Quand les femmes ont pris la colère, réalisé par Soazic Chappedelaine et René Vautier, mardi 9 février, au cinéma Arvor de Rennes.
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L’association Clair Obscur a profité du festival Travelling pour rendre hommage au réalisateur breton, René Vautier, décédé début 2015. À cette occasion, était projeté mardi 9 février, au cinéma Arvor de Rennes, le documentaire Quand les femmes ont pris la colère, réalisé par Soazic Chappedelaine, sa femme. En présence d'Eve Meuret-Campfort, docteure en sociologie et spécialiste de la lutte à Tréfimétaux.

1975. Couëron, près de Nantes. Les ouvriers de l’usine Tréfimétaux sont en grève. Ils revendiquent une augmentation de salaires. Lorsque la direction envoie un courrier aux familles sommant les hommes de plier, le coup de pression est difficile à digérer. Les femmes prennent la colère. Peu d’entre elles travaillent mais leurs maris connaissent des conditions de travail déplorables, les couples en pâtissent, ne connaissant le « confort » qu’en période de vacances. Elles s’indignent, viennent grossir les rangs des grévistes investissant alors le piquet de grève devant l’usine.

Douze d’entre elles vont rencontrer le directeur afin de négocier et lui signifier leurs revendications deux heures et demie durant. En vain. Les présentes l’assurent, discussions et échanges ont été les seuls objets de cette réunion dans le bureau. Mais de son côté, le patron ne l’entend pas de la même oreille et porte plainte pour séquestration, donnant lieu à plusieurs procès contre les femmes inculpées, les années suivantes.

En 1976, les réalisateurs René Vautier et Soazic Chappedelaine s’intéressent aux accusées, les suivant lors des manifestations organisées pour demander leur relaxe mais aussi dans leur intimité, alternant ainsi entre le collectif et l’individuel. Le duo signe un documentaire militant abordant la place des femmes dans les luttes ouvrières et les sections syndicales mais aussi leurs rapports avec leurs conditions de vie et surtout de femmes.

MUTATIONS SOCIALES

Les bouleversements sociaux sont au cœur de cette période post 68. Lutte des classes mais aussi lutte des sexes s’organisent, se côtoient mais peinent encore à se rejoindre, malgré l’évolution des mentalités. Du côté des femmes, la prise de conscience est plus nette, même si toutes ne réagissent pas simultanément. Les combats concernant la contraception, l’avortement et la sexualité ont permis un rassemblement, une bataille collective.

Mais si les groupes et sections de femmes commencent à se dessiner dans le paysage sociétal et syndical, il semblerait qu’ils ne soient encore considérer que comme secondaires. L’affaire de Tréfimétaux portera les femmes dans la lumière, placées en première ligne des manifestations et portant toutes une écharpe sur laquelle trône le mot Liberté, en référence à inculpation pour séquestration.

Un symbole fort et clair, qui s’assombrit au fil du documentaire, témoin des pensées et réflexions des 12 accusées, communistes ou non, militantes ou non, travailleuses ou non. Qui ne regrettent rien. Qui referaient la même chose si c’était à refaire.

LES FEMMES DANS LES LUTTES

Féministes ? « Il y a une prise de conscience féministe à ce moment-là mais je ne suis pas sûre qu’elles se diraient féministes… C’est aujourd’hui encore un mot qui fait peur ! », souligne Eve Meuret-Campfort, docteure en sociologie et spécialiste de la lutte à Tréfimétaux, présente pour échanger avec les spectatrices et spectateurs, à l’Arvor ce mardi 9 février.

Si cette lutte est aujourd’hui emblématique de la rencontre entre les ouvriers et les femmes, l’analyse féministe n’est apparue que bien plus tard. Sur le moment, la CGT se concentre sur l’aspect répressif et dénonce la condition de cette classe sociale avec laquelle les femmes vont être solidaires, majoritairement en qualité de « femmes d’ouvriers ».

« Cette lutte a permis de questionner les pratiques syndicales, de voir la place laissée aux femmes dans les instances… On s’est demandé alors s’il fallait soutenir les luttes quand les femmes prennent la parole même si ce n’est pas dans le fond féministe. », précise la sociologue. Le livre Elles s’en vont en lutte – Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965 – 1985), écrit par les militantes rennaises Lydie Porée et Patricia Godard, fait état dans sa deuxième partie « Rennaises en mouvement » de l’investissement des femmes dans les luttes sociales.

Les auteures mettent en relief cette mise à l’écart des femmes au sein des combats « généralistes ». Pourtant, elles y prennent part, défilent dans les manifestations, se battent pour leurs droits, leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Mais sont cantonnées aux problèmes de femmes, dans des groupes de femmes et dans des actions entre femmes.

« Les années 70 marquent une remise en question des mœurs, de la famille, de la maternité. Mais il faut comprendre que c’est très compliqué pour elles de remettre ça en question et de l’afficher. Elles invoquent donc la solidarité des classes. », insiste Eve Meuret-Campfort. L’image publique est donc celle de femmes qui défendent leurs maris, le documentaire pointant précisément cet angle de surface.

ÉMANCIPATION INDIVIDUELLE

Car au delà de l’apparence, du lien montré entre maris et femmes, Soazic Chappedelaine et René Vautier vont creuser la réflexion qui se joue en coulisses, dans l’intimité individuelle ou en non-mixité. Certaines livrent leurs ressentis, de manière spontanée et naturelle. Des discours poignants qui démontrent l’épuisement des femmes qui s’occupent du foyer et se font battre le soir par des maris lessivés de leurs journées et conditions d’ouvriers.

C’est aussi une plongée dans le couple qui doit surmonter les conditions de vie difficiles et fatigantes. En plus des aléas de la vie. Certaines se mettent à travailler, d’autres s’engagent dans le militantisme. Toutes gardent en mémoire la lutte de Tréfimétaux et éprouvent de la fierté. Si le changement de mentalité et le chemin de l’émancipation sont longs, elles auront agi – pour leurs maris principalement – pour défendre ce qu’elles pensent être juste et gouté à une forme de liberté.

« La projection de ce film a été très subversif. A Couëron, en 1977, tout le monde, y compris les femmes, n’approuvait pas ce qui était dit dans le documentaire. », précise la docteure en sociologie. En effet, l’intime, le couple, la sexualité, la condition féminine y sont les éléments principaux, bien au delà d’une lutte syndicale. Aujourd’hui, les discours résonnent et font écho à la société contemporaine : les époques ne sont plus les mêmes, les contextes également, les luttes sont mouvantes mais qu’en est-il des combats actuels et de la place des femmes dans les syndicats ?

Le 3 mars prochain, l’association Histoire du féminisme à Rennes organise une conférence intitulée « Les ouvrières de l’usine textile SPLI (Société parisienne de lingerie indémaillable, implantée en 1966 dans la capitale bretonne, ndlr) à Rennes en 1978 : quand les femmes luttent pour leurs droits et leurs emplois », en présence de Fanny Gallot, spécialiste de l’histoire des femmes dans les luttes ouvrières. À la Maison des associations, à 18h30.

 

Travelling 2016 : Quelles représentations des femmes sud-coréennes à l'écran ?

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Le festival rennais proposait un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.
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Du 2 au 9 février se déroulait le festival Travelling, à Rennes, abordant un focus sur la ville de Séoul. L’occasion de s’intéresser à la place des femmes dans le cinéma sud-coréen. Une place restreinte, loin d’être le synonyme de liberté et émancipation.

Photos et titres nous interpellent en feuilletant le programme de Travelling. Sur 36 films, 21 femmes illustrent les synopsis. Moins flagrant, un quart de la proposition cinématographique, articulée autour de la ville de Séoul, dévoile un intitulé féminin : La vierge mise à nu par ses prétendants, Une femme libre, La servante, Une femme coréenne, The Housemaid, My sassy girl, The satelitte girl and milk cow, A girl at my door ou encore Madonna. Sans compter le nombre de résumés dans lequel figure un personnage féminin.

« C’est peut-être parce que je suis une femme que j’y suis sensible… », avance Anne Le Hénaff, responsable artistique du festival. Mais l’explication de cette tendance féminine réside ailleurs. Le décalage entre la modernité – surtout technologique - apparente de la Corée du Sud et l’image de la femme l’interpelle, le classement du pays - figurant à la 108e place sur 135 en matière d’égalité des sexes - la choque.

FEMME OBÉISSANTE

« On attribue à la femme une image associée à la femme docile, belle, soignée… Sa place dans le cinéma coréen reflète largement sa place dans la société coréenne. », précise la directrice artistique. Assignée au foyer, la femme coréenne est vouée à s’occuper de la vie familiale, soumise à son mari. Ce sera d’ailleurs le point de départ du film de Im Sang-soo, Une femme coréenne, en 2005, ou encore de celui de Han Hyeong-mo, Une femme libre, plusieurs décennies plus tôt, en 1956.

« Elle se doit d’être dévouée à la réussite de l’homme ! », souligne Anne Le Hénaff qui s’est passionnée pour le sujet et plongée dans l’histoire de la Corée du Sud, très imprégnée de la morale confucéenne. Le confucianisme étant une école de pensées initiée par le philosophe Confucius qui a infusé des siècles durant dans les pays asiatiques et a été instrumentalisé politiquement faisant régner le principe d’obéissance.

Ainsi, jusqu’aux années 70, le cinéma propose un regard machiste sur les sujets traités à travers le regard de l’homme toujours dominant. Pour la cinéphile, cette vision s’explique par le contrôle des gouvernants : « À cette époque, le cinéma coréen est sous une chape de plomb, face à un gouvernement autoritaire. » Pourtant, les mentalités évoluent et engendrent des mutations dans la représentation de la figure féminine dans le 7e art.

« Elle revient dans des histoires sur des ados, des jeunes couples. Elle peut prendre son envol mais en restant quand même à sa place. »
souligne Anne.

Quand on s’intéresse de plus près au fonctionnement de la Corée du Sud, les chances d’avenir pour les nouveaux-nés sont identiques, sans distinction de sexe. Dans l’éducation des enfants, depuis plusieurs années, il ne serait plus question de discrimination envers les petites filles qui effectuent la même scolarité et atteignent le même niveau d’études que les garçons.

FEMME AU FOYER

Le tableau s’assombrit. Après l’université, le temps du mariage et des enfants. Si les femmes débutent des carrières, celles-ci sont écourtées par leur devoir envers le cercle familial, reprendre un travail devient compromis par la suite.

Un système qui contraint aujourd’hui les Coréennes à choisir entre vie professionnelle et vie familiale, comme le dénoncent les militantes féministes Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong dans une interview publiée en mars 2014 sur le site lesinfluences.fr :

« Quand elles se marient ou encore à l’arrivée du premier enfant, elles arrêtent de travailler ; les frais de garde de l’enfant étant souvent supérieurs au salaire perçu. Quand les enfants sont plus grands, elles reprennent un travail. Mais cette coupure d’une dizaine d’année, leur interdit de reprendre leur carrière. Elles se retrouvent donc caissière ou femme de ménage, des emplois les moins rémunérés. »

Un phénomène qui diminue, voire disparaît, avant la crise de 1997 qui frappe la Corée du Sud. Après, selon les deux femmes interviewées, le dilemme travail/mariage renait de ses cendres. Malheureusement, le pays assiste à un recul de la part de la gent féminine qui se tourne majoritairement vers le cercle familial au détriment de leur épanouissement professionnel.

FEMME OBJET

Dans cette même décennie, le cinéma inclut davantage les personnages féminins, qui restent toutefois une minorité. Et surtout l’image donnée tend à montrer une femme objet. Objet de désir, pulpeux, vénéneux… la femme coréenne est uniformisée et hypersexualisée. Elle apparaissait déjà séductrice dans La servante de Kim Ki-young, en 1960, histoire revisitée en 2010 par Im Sang-soo dans The Housemaid.

Dans les films de Hong Sang-soo, les femmes sont maitresse, amante, amoureuse, objet d’un amour fantasmé, comme dans Conte de cinéma, sorti en 2005, ou au centre d’un triangle sentimental, à l’instar de La vierge mise à nu par ses prétendants, sorti en 2002.

« Elle continue d’avoir la place qu’on lui a assignée. Mais certains films proposent quand même des regards plus respectueux, comme ceux avec l’actrice Moon So-ri, Oasis (l’histoire d’un homme qui tombe amoureux d’une jeune femme handicapée, ndlr) et Hill of freedom (un Japonais attend une ancienne amante dont il est toujours amoureux, ndlr). », soulève Anne Le Hénaff.

FEMME SECONDAIRE

Autre problématique soulevée à l’occasion du festival, le manque d’héroïnes dans les scénarios. Une carence que de nombreux cinéastes dénoncent à l’échelle internationale – comme l’ont fait quelques jours plus tôt les frères Nasser, réalisateurs palestiniens venus à Rennes présenter leur premier long métrage Dégradé en avant-première – à l’instar de la réalisatrice Shin Su-won. Jeudi 4 février, elle donnait une conférence de presse à l’Étage du Liberté :

« Les actrices le disent, elles ne reçoivent pas beaucoup de scénarios. Et c’est un phénomène en Asie, il n’y a pas beaucoup de films d’héroïnes. »

Elle-même avoue rencontrer des difficultés en tant que réalisatrice. Son rapport avec les acteurs en pâtit. « Ils ont tendance à ne pas me faire confiance, à avoir des préjugés envers moi. », explique-t-elle, adulée par son producteur qui la soutient face aux journalistes avec un sourire : « Moi, je pense qu’elle est très brillante ! »

Shin Su-won interroge de son regard critique la société coréenne et propose dans Circle Line (2012) et Madonna (2015), qu’elle présentait en avant-première les 5 et 9 février, de dévoiler des drames sociaux. Jusqu’où va le pouvoir de l’argent ? De quelles difficultés souffrent les habitant-e-s ? La réalisatrice filme les inégalités entre les classes sociales, parfois de manière radicale, pour une prise de conscience terrible mais efficace. On ne ressort pas de la projection indemne.

FEMME SANS ISSUE ?

Dans ce film, Madonna, plusieurs facettes des femmes sont mises en lumière. Discrètes, paumées, écrasées, en proie à leurs doutes, leurs faiblesses et leurs convictions, elles troublent et crèvent le cœur quant à la condition féminine qui donne peu d’espoir pour le futur.

« Je suis classée satirique comme réalisatrice. Et ça me va que les gens pensent ça. Mes films ne sont pas grand public. En Corée, ce sont principalement les thrillers qui sont investis financièrement. Avant, certains essayaient des choses différentes mais la génération de cinéaste d’aujourd’hui a du mal à survivre. », explique Shin Su-won.

Si la programmation présentait au départ une belle couleur féminine, la réalité de sa représentation calme l’enthousiasme initial. « Même quand la femme décide de prendre sa liberté, de s’émanciper, comme dans Une femme libre, et qu’elle sort du moule, l’histoire se termine de manière dramatique. Conclusion : mieux vaut rester dans le moule. », analyse Anne Le Hénaff qui trouve l’adage coréen très révélateur et symbolique de la supériorité masculine : « L’homme est le ciel, la femme est la terre. »

Le patriarcat va même jusqu’à créer des mouvements d’hommes en colère, dénonçant des discriminations par rapport aux femmes, comme en atteste l’article de Courrier International daté d’avril 2015, « La ‘’haine des femmes’’ prend de l’ampleur ». Seong Jae-gi, défunt fondateur de Solidarité des hommes, en 2008 (rebaptisé depuis Solidarité pour l’égalité des sexes), proteste contre les prétendus privilèges accordés aux femmes dont : « les quotas (d’emploi dans les administrations), les installations réservées aux femmes (dans les transports et les espaces publics), le ‘’congé menstruel’’ (un jour par mois), etc. Et surtout elles ne sont pas soumises au service militaire obligatoire, contrairement aux hommes (la norme étant de deux ans). »

Pour M.Kim, actuel président de l’organisation, « Seong Jae-gi a eu le courage de violer un tabou en accusant les femmes au pouvoir au risque d’être ridiculisé et méprisé, y compris par les hommes qu’il essayait de défendre. Il a défendu la cause jusqu’à la mort, celle-ci ne doit pas rester vaine. »

Les deux militantes féministes, Lee Seon-mi et Mok Soo-jeong, reconnaissent quelques évolutions en matière de droits de femmes, notamment sur l’intérêt qu’accordent à présent les journaux politiques à des sujets tels que le stress de la femme au foyer ou la pénibilité du travail. Toutefois, elles se montrent bien pessimistes quant au pouvoir en place, la Corée du Sud étant présidée depuis 2012 par une femme, Park Geun-Hye, fille de l’ancien dictateur, Park Chung-hee, toujours très en prise au confucianisme et donc aux valeurs de fidélité à la famille.  

Célian Ramis

Sciences : Laboratoire des inégalités ?

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Rennes
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Les filières scientifiques sont-elles encore réservées aux hommes ? Quelles difficultés demeurent dans ce secteur pour les filles/femmes ? Enquête auprès de celles qui prouvent que la parité n'est pas une inconnue.
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Le 10 décembre se tient la journée « Filles et maths, une équation lumineuse ». Elle vise à encourager les jeunes filles à s’orienter vers des études scientifiques, à intégrer des écoles d’ingénieur… Car elles y sont encore trop peu nombreuses. À Rennes, pour la 3e édition, l’École Normale Supérieure, l’Institut National des Sciences Appliquées, l’École Nationale de la Statistique et de l’Analyse de l’Information, les universités Rennes 1 et Rennes 2, le rectorat et l’Office National d’Information sur les Enseignements et les Professions, reçoivent 80 lycéennes venues de Saint-Malo, Combourg et Saint-Brieuc.

L’occasion pour YEGG de s’interroger sur l’absence des filles dans ses filières et sur la place des femmes dans les sciences. Un état des lieux consternant. Si on note un frémissement quant à la prise de conscience sur ce manque cruel de filles dans ces cursus et du besoin de plus de mixité dans les écoles et les entreprises, les mentalités n’évoluent que trop lentement, les stéréotypes de genres persistent et le conditionnement des enfants génère toujours trop d’inégalités.

Connaissez-vous Stephanie Kwolek, Lise Meitner, Françoise Barré-Sinoussi, pour ne citer qu’elles. La première a inventé le Kevlar, fibre textile synthétique très résistante. La seconde a découvert la fission nucléaire, pour laquelle son collègue Otto Hahn a reçu le Prix Nobel en 1944. La troisième a été co-lauréate du Prix Nobel de Médecine en 2008, mais on a oublié son nom, ne retenant que celui de son confrère avec lequel elle a isolé le virus du Sida, Luc Montagnier.

Des découvertes essentielles pour l’humanité, des femmes brillantes, totalement ignorées. Aujourd’hui encore, quand une scientifique publie l’objet de ses travaux d’études, on lui conseille de co-signer avec un homme afin d’apporter du crédit à ses propos, ou on remet ses recherches en cause.

Quand ce ne sont pas leurs compétences, c’est leur physique ou leur caractère soi-disant spécifique à leur sexe qu’on attaque.

Le prix Nobel de médecine, Timothy Hunt, a ainsi déclaré cet automne : « Laissez-moi vous dire ce qui se passe quand elles arrivent dans les labos, vous tombez amoureux, ou alors elles tombent amoureuses de vous, et si jamais vous leur faites une critique, elles se mettent à pleurer ». Dévalorisées et dissuadées de suivre des carrières scientifiques, les filles en sont arrivées à s’auto-persuader de leur incapacité à faire des sciences.

ESPRIT CONDITIONNÉS ET STÉRÉOTYPES PERSISTANTS

De la même façon qu’on dit encore aux petits garçons qu’ils doivent être forts et aimer le foot, on dit aux petites filles qu’il n’est pas grave et même normal qu’elles ne soient pas bonnes en maths. « Au lycée, oui, les profs peuvent encore dire cela, c’est pesant ! Même si ce n’est ni conscient ni malveillant », assure Andréa, 19 ans, en 3e année de Génie Maths à l’INSA (Institut National des Sciences Appliquées, situé sur le campus de Beaulieu). Nous en sommes encore là.

Rozenn Texier-Picard, mathématicienne, maître de conférence, vice-présidente de l’ENS (École Normale Supérieure) de Rennes, chargée de la parité et de la diversité, s’appuie sur l’étude La menace du stéréotype pour démontrer le phénomène :

« C’est un test neuro-scientifique classique réalisé auprès d’élèves de 6e et 5e séparés en deux groupes mixtes. On leur demande d’observer une figure géométrique complexe pendant une minute, puis de la reproduire, individuellement. À l’un des groupes on dit qu’il s’agit d’un exercice de dessin, à l’autre d’un exercice de géométrie. Dans le premier groupe, les filles réussissent mieux. Ce sont des résultats probants et troublants. Les clichés sont si présents qu’ils nuisent aux performances des filles ! ».

Plus tard encore, on continue de les stigmatiser, comme le raconte Anne-Marie Kermarrec, ancienne directrice de recherche à l’INRIA (Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), fondatrice de la startup Mediego :

« J’ai vu beaucoup de lettres de recommandations dans lesquelles il est écrit « gentille » pour les étudiantes et « brillant » pour les étudiants ».

Un déterminisme social et éducatif fort instauré dès l’enfance qui perdure donc.

« Il faut former les instituteurs et les enseignants et faire en sorte que les gens de l’enseignement supérieur aillent plus encore à la rencontre des plus jeunes. Mais les filles sont aussi formatées par leur entourage familial et amical… En outre, le combat contre les préjugés se fait des deux côtés et en même temps : dire aux filles qu’elles peuvent conduire un camion et aux garçons qu’ils peuvent avoir peur et pleurer ! », affirme Marie Babel, maître de conférence à l’INSA.

Prises au piège dès l’enfance, les femmes se laissent donc convaincre et finissent par s’interdire d’envisager des études scientifiques.

LES FILLES S’AUTOCENSURENT

Déjà en 1990, la sociologue Marie Duru-Bellat racontait - dans son ouvrage L’Ecole et les filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ? - comment le conditionnement pèse sur leur manque d’ambition et leur autocensure. Même arrivées à un haut niveau, elles continuent d’éprouver ce sentiment d’incertitude :

« Ça m’a touchée, à 35 ans ! J’ai alors pris conscience que j’avais au fond de moi cette idée de ne pas avoir les compétences, pourtant je suis maître de conférence dans une grande école ! »
confie Rozenn Texier-Picard.

En s’auto-dévalorisant, les filles finissent par avoir peur d’échouer et cela joue sur leurs performances. Sur les 15 derniers thésards qu’elle a jugé à l’INRIA, Anne-Marie Kermarrec se rappelle qu’il y avait deux filles, et deux filles en manque cruel de confiance en soi. La cheffe d’entreprise nomme cela les « biais de l’inconscient ».

Chimiste théoricienne, chercheuse au CNRS de Rennes, Karine Costuas l’observe également lors des tables rondes et des rencontres auxquelles elle participe comme « Un métier ça n’a pas de sexe » : « Les filles pensent faire un bac +2 ou 3, c’est tout, elles ne comptent pas aller plus loin, elles se cantonnent à cela puisqu’au départ on ne les aide pas à imaginer qu’elles peuvent faire plus. Tout cela est lié à la structuration sociale : c’est l’homme qui doit avoir une bonne situation, un bon métier ».

Mais comment se projeter et envisager de suivre de telles études quand peu d’efforts sont faits au niveau même des locaux et de l’accueil des filles dans les prépas et les écoles : « À l’internat du lycée Chateaubriand, en 2010, chaque garçon de prépa avait sa chambre à lui quand les filles étaient « parquées » par dortoir de 4. On les accueille mal ! », signale Fabienne Nouvel, maître de conférence à l’INSA. Romane, 22 ans, en 4e année de Génie des Matériaux dans la même école, indique qu’il suffit de vouloir aller aux toilettes pour constater que les filles ne sont pas attendues dans les écoles d’ingénieur :

« Les WC des filles sont tout petits ! Parce que ce sont de vieux locaux, pas réaménagés, mais c’est révélateur ».

Tout est donc fait pour rebuter les filles.

MÉCONNAISSANCE DES MÉTIERS ET MAUVAISES ORIENTATIONS

Étudiantes, enseignantes, chercheuses, entrepreneuses, toutes s’accordent à dire qu’il y a un problème de représentation et d’orientation. Une étude s’est récemment intéressée à ce que les enfants imaginent du métier de scientifique à travers des dessins : « Dans la majorité des cas, ils dessinent des hommes avec des machines. Ils ne voient pas le contact humain, le travail d’équipe. Je suis persuadée que le fait de croire à tort qu’il n’y a pas de relations humaines dans nos métiers est un frein pour les filles », relate Rozenn Texier-Picard.

Un sentiment confirmé par l’enquête Rose, réalisée auprès de jeunes de 15 ans dans une vingtaine de pays sur la perception des scientifiques et la projection dans leur vie professionnelle.

Les réponses sont assez variables d’un pays à l’autre, c’est donc un fait culturel. Il y a néanmoins un point commun : la réponse des filles à la question « Voudriez-vous travailler avec des machines ou avec des humains ? », 80 % d’entre elles répondent « avec des humains ». Des éléments pertinents dans la compréhension de l’orientation.

Andréa, Fanny, Diane, Marie, Iman et Romane, élèves de l’INSA, sont formelles : elles ne savaient rien des filières scientifiques avant de croiser, par hasard, une prof de math, le père ingénieur d’une amie, ou d’aller surfer elles-mêmes sur Internet… « Peut-être que les conseillers d’orientation sont aussi mal renseignés », avance Andréa.

Iman, 20 ans, en 3e année d’informatique l’assure : « L’orientation est très vague au lycée, il faut l’améliorer et ce dès le collège, il faut aller montrer les métiers scientifiques aux enfants ! ». Son amie Diane, 20 ans, en 3e année d’informatique, acquiesce, navrée :

« Si on a envie de faire quelque chose, on le fait, peu importe le qu’en dira-t-on, mais encore faut-il savoir que ça existe ! Or, on ne nous dit rien, c’est à nous d’aller chercher les informations ».

Outre ce problème de méconnaissance des débouchés des cursus, des concepts surannés encombrent encore les esprits : l’image du geek enfermé dans sa chambre ou celle du matheux boutonneux asocial ont la vie dure. Là aussi, les stéréotypes demeurent, et les filles en souffrent.

FÉMINITÉ, BEAUTÉ, MATERNITÉ

À l’origine de la journée « Filles et maths, une équation lumineuse », les Associations Femmes et Mathématiques ont fait un constat surprenant : « Elles ont découvert que faire des maths et être féminine peut générer trop de pression chez beaucoup de jeunes filles. Cette image de matheuse pèse notamment très fort sur les collégiennes. De surcroit, comme elles sont peu nombreuses dans ces filières, elles sont trop regardées. Ce sont des questions très subtiles sur la féminité », commente Barbara Schapira, mathématicienne et maître de conférence.

La scientifique raconte comment elle-même s’est laissée prendre au piège face à une consœur belle et élégante, dont elle a découvert par la suite les brillants travaux. Trop féminine et trop belle, ou pas assez, il y a toujours quelque chose de douteux chez les femmes scientifiques. Une autre pression pèse sur elles : la maternité.

« Le désir d’enfant est un autre facteur qui freine les filles, car on pense que ces métiers sont inconciliables avec la vie de famille, c’est totalement faux ! »
remarque Rozenn Texier-Picard.

Si l’on peut se réjouir de vivre dans un pays où le congé maternité est relativement assuré et où les enfants sont accueillis dans des structures publiques dès leur plus jeune âge, restent certaines ombres au tableau.

« Lors de ma première grossesse, je me suis rendue compte qu’à la fac personne ne savait à quoi j’avais droit et que si j’accouchais l’été, comme nos heures de cours sont annualisées, je n’avais droit à aucune décharge d’enseignement. Deux de mes trois filles sont nées l’été, ce n’est pas une science exacte ça ! », reproche Barbara Schapira.

Elle s’est battue et a contribué à ce qu’en avril 2012 un décret réglemente les congés maternité des enseignantes chercheuses. Car le monde universitaire est encore archaïque par certains côtés.

Il n’a ainsi pas encore pris en compte que parmi ses membres il y a aujourd’hui beaucoup de couples. « Or, on nous demande de la mobilité mais nous n’avons pas le droit au rapprochement familial. Mon mari a obtenu son poste à la fac de Rennes en 2012, il a été très compliqué pour moi d’obtenir ma mutation ici, je viens juste d’arriver… » poursuit Barbara Schapira.

LA CONQUÊTE DE BASTIONS MASCULINS

« Les garçons de notre école adorent quand on organise une fête avec Pharma ! », sourit Fanny, 20 ans, en 3e année d’informatique à l’INSA. Car il est des secteurs scientifiques que les filles ont largement investis. « Des filières où les filles sont même devenues majoritaires, c’est le cas en médecine. Cette inversion s’est produite y’a 15 ans », relève Rozenn Texier-Picard. Elles sont également majoritaires en Pharma et Véto.

Mais tout n’est pas si rose, puisqu’on entend, depuis l’arrivée en masse des filles dans ces métiers, qu’ils sont dévalorisés ! Comme on le dit de l’Éducation Nationale.

« Quand un métier perd du prestige, il se féminise, ou inversement. L’autre souci de ces disciplines aujourd’hui dominées par les femmes, est qu’il n’y a plus de mixité »
note Anne-Marie Kermarrec.

Heureusement, pour briser la prédestination des sexes, les clichés et le sexisme, des projets sont mis en place depuis quelques années.

LES INITIATIVES POSITIVES

« En France, on commence à faire des efforts, par le biais de la discrimination positive notamment. Quand on m’appelle pour des jurys parce qu’il faut une femme de rang A, je joue le jeu même si je ne suis pas pour. Car il faut provoquer les choses, les imposer pour que ça devienne une habitude. Si cela permet de mettre en valeur les capacités des femmes, pourquoi pas. Ce n’est pas la panacée, mais je l’accepte », confie Karine Costuas.

Maître de conférence, mais également élue à Acigné, Marie Babel travaille avec le collège de sa ville sur la prochaine journée de la femme (8 mars 2016) avec le projet « Casser les clichés sur les métiers ». Si les métiers n’ont pas de genre, la scientifique note néanmoins que « notre société patriarcale est difficile à faire bouger ! ». Enfin, à Rennes, le premier trimestre de l’année scolaire est ponctué de plusieurs journées organisées pour inciter les filles à s’orienter vers les sciences.

« Lors de la journée du 10 décembre des témoins, étudiantes et scientifiques, viennent parler de leurs cursus aux collégiennes afin de désacraliser les maths. On leur montre que c’est possible pour tout le monde, pour qu’elles n’aient plus peur d’y aller. Cela se déroule autour de rencontres et d’une pièce de théâtre suivie d’un débat »
énonce Fabienne Nouvel.

En octobre les élèves de 3e et de seconde peuvent assister à la journée « Le Numérique, des métiers en tous genres ». Fin novembre, une action est consacrée aux sciences de l’ingénieur au féminin.

« Si beaucoup d’associations sont investies et que depuis 30 ans le Ministère a des politiques en ce sens, que l’égalité est inscrite dans la loi, les choses bougent très lentement, c’est effrayant car ça reste sporadique finalement, la sensibilisation est trop peu faite et les politiques ne sont pas appliquées partout. En outre, il faut aborder le sujet avec une approche scientifique, s’appuyer sur des travaux de recherches, des études et ne pas tenir de discours militant et passionné, au risque d’échouer dans notre mission », confie Rozenn Texier-Picard. Le chemin est encore long et périlleux.

Regard infiniment bleu sur lequel glisse une mèche brune, Claire Livet, 18 ans et demi, ne se départit jamais de son sourire. Heureuse et bien dans sa peau, assurément, déterminée aussi. La jeune fille est en 1ère année de mécatronique à l’École Nationale Supérieure de Rennes. Comme un poisson dans l’eau, elle évolue là avec aisance, parmi les 14 garçons de sa promo, et aux côtés des deux autres filles de sa classe.

Quel est votre parcours ?

En seconde générale, je voulais faire médecine et m’orienter vers un bac S option SVT. Mais j’ai réalisé que certaines choses me gênaient, je ne supportais pas les dissections ! Alors j’ai changé de lycée pour faire un bac S option Sciences de l’ingénieur, c’était plus simple pour moi : apprendre comment ce qu’on a créé marche !

Puis j’ai poursuivi avec une prépa PTSI (Physique, technologie et sciences industrielles) et en 2e année de prépa j’étais en PT Etoile (PT*. Les meilleures prépa sont étoilées, ndlr). J’ai passé les concours et j’ai réussi l’ENS. J’y suis entrée en septembre 2015 en mécatronique.

Qu’est-ce que la mécatronique ?

C’est une jeune discipline, ça ne fait qu’une vingtaine d’années qu’elle existe. C’est de la mécanique et de l’électronique. Ce sont deux systèmes différents, découplés. Là, on a les deux enseignements pour une parfaite synergie des deux, car il était stupide de les séparer finalement, c’est assez logique d’avoir les deux ensemble, et même totalement cohérent.

Et justement, le mélange des deux c’est ce qui me plait. Vraiment, j’aime beaucoup, on apprend énormément pour mettre en pratique tout de suite. (Pluridisciplinaire – car aussi automatique et informatique - cet enseignement vise la conception de systèmes automatiques, de produits dont on augmente ainsi le fonctionnement, les performances, ndlr)

Aviez-vous beaucoup de filles à vos côtés dans vos classes ?

Le bac S Sciences de l’ingénieur est peu connu, alors nous n’étions que 3 filles sur 30 élèves en première, puis plus que 2 sur 30 en terminale… En classe prépa PTSI nous étions 8 filles sur 38 élèves… Peu donc.

Est-ce qu’on est plus solidaires entre filles du fait d’être peu nombreuses ?

Pas forcément, cela dépend du tempérament. Pour ma part j’ai un contact plus naturel avec les garçons, je suis plus à l’aise avec eux.

Avez-vous souffert de sexisme de la part des élèves garçons, des enseignants ?

Des blagues, oui forcément, mais que des blagues. Je n’ai jamais eu aucun problème. Plutôt de la discrimination positive, comme j’étais tête de ma classe, les profs me faisaient plus confiance. Quand il s’agissait de faire un choix par exemple, de « piocher », on me choisissait comme « main innocente » ! Je ne souffre d’aucun sexisme, néanmoins je ne nie pas que certaines filles le subissent et je trouve cela aberrant ! Moi, j’ai sans doute beaucoup de chance.

Comment avez-vous été accueillie à l’ENS en mécatronique ?

On est plutôt bien accueillies, comme il n’y a pas beaucoup de filles, les garçons et les enseignants ne veulent pas nous effrayer ! Ils sont tellement contents qu’on soit là et veulent faire venir plus de filles, donc ils agissent en conséquence. Ils nous mettent très à l’aise, ils sont bienveillants, ils ne font pas de différences, en tout cas c’est ce que je ressens.

Alors oui, les choses ont évolué, ce n’était peut-être pas comme ça avant, je suis sans doute arrivée au bon moment ! Ma génération souffre sans doute moins de la situation !

Comment expliquez-vous la quasi inexistence des filles dans les sciences ?

Je pense que c’est un problème d’éducation : on apprend encore aux petites filles à jouer à la poupée et à faire la cuisine et aux garçons à jouer aux voitures, et les idées préconçues durent, les clichés sont toujours très forts. Moi, mon père m’a guidée quand j’ai dit que je ne voulais pas faire de bac S SVT, que je ne pouvais pas suivre d’études de médecine.

Chez moi, il y avait l’exemple de mes deux frères aînés. Ils ont également fait des études de mécatronique. Et donc, sous l’impulsion de mon père, je suis le même cursus, sans que personne ne se pose la question de savoir s’il peut y avoir une différence avec mes frères…

Il y a peut-être aussi un problème au niveau de l’orientation, il faudrait revoir le procédé, moi ça m’a saoulée ! On nous en parle tout le temps, trop tôt, on n’a aucune idée de ce que l’on veut faire et dès la 3e on nous parle du bac… Et finalement on n’a pas beaucoup d’informations sur les différents bacs, il faut revoir tout ça !

Qu’est-ce qui pourrait faire évoluer cette situation ?

Pour changer les choses il faut faire des campagnes d’information – d’ailleurs je participe à l’une d’elles - cela permet de faire bouger les choses, mais c’est progressif, c’est lent, trop lent. Peut-être qu’à force de voir des filles en sciences, cela va devenir normal. Je crois qu’on a déjà bien avancé, il y a déjà une belle évolution.

À quoi vous destinez-vous ?

J’aimerais être professeure de prépa en sciences de l’ingénieur. J’ai adoré l’ambiance de la prépa, vraiment super, j’ai trouvé hyper intéressant ce que faisait mes enseignants. Et le chemin le plus direct pour y parvenir c’est l’ENS, c’est la voix royale.

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Femmes & Sciences, la mauvaise équation ?
Les femmes prennent la tangente
Les entreprises ont besoin de femmes
Les mentalités engluées dans les clichés
Florilège de réflexions sexistes
Élève en mécatronique, le bel exemple de Claire

Célian Ramis

Joséphine s'arrondit, le poids de la comédie

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Cinéma Gaumont, Rennes
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Rencontre avec Marilou Berry, Medhi Nebbou et Bérangère Krief, venus présenter Joséphine s'arrondit en avant-première au cinéma Gaumont de Rennes, jeudi 7 janvier.
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Pour la première fois réalisatrice, Marilou Berry est venue présenter Joséphine s’arrondit, en compagnie de Medhi Nebbou et Bérangère Krief, jeudi 7 janvier au cinéma Gaumont de Rennes. Sortie prévue le 10 février 2016.

En juin 2013, Agnès Obadia adapte au cinéma Joséphine, personnage créé par la dessinatrice Pénélope Bagieu, dans sa bande dessinée du même nom. Marilou Berry en est l’actrice principale. Deux ans plus tard, cette dernière s’entoure de la scénariste du premier volet, Samantha Mazeras, et d’une partie de l’équipe d’acteurs, dont Medhi Nebbou et Bérangère Krief, et passe derrière la caméra pour réaliser la suite des aventures de Joséphine.

Au chômage, hébergeant sa sœur dépressive depuis qu’elle a fui son mariage, entourée de sa bande d’ami-e-s, elle a trouvé l’amour et vit en ménage depuis 2 ans. « C’est un couple qui marche, un couple très amoureux. Ils sont un peu dans leur monde, décalés, s’en foutent presque du reste », précise Medhi Nebbou, qui à l’écran incarne Gilles, le compagnon de la jeune femme. Ensemble, ils vont vivre l’expérience de la grossesse.

ANGOISSES DE GROSSESSE

« Ce n’est pas un film sur les mamans, mais sur les angoisses et les projections des futurs parents », explique Marilou Berry. L’occasion d’aborder le couple sous l’angle du bouleversement dans la relation à deux à travers les ressentis individuels. « L’arrivée d’un enfant pose de nouvelles questions. Cela révèle celui qui veut être rassuré, celui qui ne veut pas être rassuré, celui qui a besoin de rassurer… », signale Medhi Nebbou, rejoint par la réalisatrice qui précise : « Ça va permettre à Gilles de penser à lui, de s’énerver, de pouvoir être égoïste. C’est important aussi dans la vie. Et à Joséphine de, pour une fois, penser moins à elle… »

Peur que l’enfant naisse sans bras, qu’il ne l’aime pas, qu’il hérite de son cul (disproportionné selon les normes de beauté, dans le premier épisode), de devenir comme sa mère… Joséphine s’arrondit dévoile un florilège d’inquiétudes aussi rationnelles qu’absurdes autour d’une femme « attachiante mais attachante quand même » pour Marilou Berry et de son compagnon parfait qui va s’affirmer dans sa personnalité à l’approche de l’accouchement.

COMÉDIE (TROP) LOUFOQUE

Une comédie loufoque, selon l’acteur principal, novice dans ce registre-là. « J’ai eu des choses à jouer qui étaient assez extrêmes. C’est comme le saut en parachute quand on n’en a jamais fait. Ne pas être drôle c’est inquiétant. Mais finalement, on enlève le harnais et c’est jouissif. » Il insiste : il s’agit là d’une comédie déjantée sur un sujet universel. Ainsi, les péripéties gonflées de stéréotypes et de névroses en tout genre s’enchainent, sans trop laisser le temps aux spectateurs-trices de souffler, étouffant les quelques éléments comiques qui sont, hélas, poussés à leur paroxysme, créant une overdose dans l’exagération.

Dommage car la réflexion initiale, sans être novatrice, est intéressante et libère les complexes et tabous que l’on pourrait avoir dans la projection d’une grossesse. « Pas besoin d’être maman pour avoir des angoisses », souligne Bérangère Krief. Pour coller au rôle, Marilou Berry s’inspire donc de vidéos sur le sujet, se renseigne auprès de son entourage, sans toutefois échanger avec Josiane Balasko, sa mère à la vie comme à l’écran : « Qui de mieux que ma mère pour jouer ma mère ? Je serais incapable de jouer un autre rôle avec elle, de jouer une inconnue pour elle… (…) Je n’ai même pas pensé à lui demander si elle avait eu des angoisses lorsqu’elle était enceinte car ce ne sont certainement pas les mêmes inquiétudes qu’aujourd’hui. Je suis une enfant des années 80. »

L’actrice-réalisatrice travaille actuellement à un nouveau long-métrage, dans le registre de la comédie d’aventure, et avoue ne pas savoir ce que deviendra son personnage de Joséphine. L’envie de poursuivre à ses côtés est présente et envisage, en plaisantant, un « Joséphine et Gilles divorcent ». La suite logique d’une vision cynique de la vie à deux ?

 

Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : Monika, déferlante de bonne humeur

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Parc Expo, Rennes
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Samedi 5 décembre, dernier soir des Trans au Parc expo de Rennes. Monika assure le show et prouve que sa notoriété en Grèce est justifiée de par son talent.
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Samedi 5 décembre, dernier soir des Trans Musicales au Parc expo de Rennes. À peine 1% de femmes programmées sur l’ensemble des 4 halls. Pour chance, mais qui n’excuse en rien cette inégalité, Monika a assuré le show et prouvé que sa notoriété en Grèce, son pays d’origine, était justifiée de par son talent.

Depuis l’annonce de la programmation des Trans, sa chanson « Secret in the dark » – également titre de son 3e album, sorti le 13 novembre – circule. Disco entrainant, on se prête au jeu, on se déhanche et on imagine que son concert sera un enchainement de chansons du genre.

Monika Christodoulou nous prouve que l’on avait tort de penser ainsi. Car la chanteuse grecque dévoile une palette bien plus nuancée et plus complète que cela et gère le rythme de son set de manière à nous la faire découvrir sans lenteur, sans redondance et sans frustration.

Pour son premier concert en France, elle foule la scène des Trans Musicales, accompagnée d’un batteur, d’un trompettiste, d’un bassiste et d’un guitariste. Les sonorités jazzy se mélangent à des premiers morceaux folk rock qu’elle alimente d’une belle voix grave qui résonne dans le hall 3, rempli de spectateurs-trices envouté-e-s par la proposition.

L’ambiance est paisible sur les premières notes. Le public est saisi par la particularité de ce qui pourrait s’apparenter à un hymne porté simplement par la voix, et soutenu par la batterie qui intensifie la profondeur du chant. Monika, debout, droite, main sur le cœur, air grave. On ne peut décoller le regard de la chanteuse et se concentrer sur rien d’autre que la pureté de ce qu’elle renvoie en émotion. Une émotion forte et poignante, renforcée par la vision de son poing serré, tremblant, et de sa musculature contractée.

Elle enchaine en se rapprochant du public, descendant dans l’espace réservé aux photographes séparant le public de la scène, pour une « song d’amour ». Et éloignée de son micro durant une poignée de seconde, elle fait entendre la beauté de sa voix saisissante, à laquelle elle mêle ballade romantique et sonorités traditionnelles, lors d’un instant magique qui marque nos esprits.

De retour sur la scène, elle sonne le coup d’envoi vers des chansons teintées de disco. Musique et danse se mélangent, une bulle se forme autour du hall, le temps s’arrête, on vit l’instant présent sans penser à rien d’autre. Munie de sa guitare, elle balance un disco empli de funk tout en gardant son empreinte vocale rock et soul. Rien ne bascule jamais dans la démonstration et l’équilibre du groove et de l’émotion, transmise à travers une sensation de bien-être, nous fait chavirer.

Le côté Madonna dans Evita à la fenêtre pour entamer « Don’t cry for me Argentina » au début de la chanson « Shake your hands » est magistral et immédiatement suivi d’une rupture dans le rythme du morceau. La voilà qui sautille et parcourt la scène en dansant, derrière les musiciens. Une déferlante de bonne humeur a envahi l’espace de notre bulle et le public, timide au départ, reprend le refrain avec plaisir et enthousiasme.

Son spectacle est fort, percutant, emprunt de sensualité dont elle ne joue pas ni n’abuse dans un jeu de séduction naturel. De la spontanéité, Monika en déborde, rien ne semble too much et on apprécie son lâcher prise, même quand elle oublie les paroles et se ressaisit avec force et rage pour livrer au public les dernières notes de son concert qui se clôt, après l’excellente « Secret in the dark », sur une chanson qui allie une intro sonnant légèrement à la Abba, des airs traditionnels grecs et une partition très rock sur la suite.

Pour son premier concert en France, la chanteuse-musicienne marque les esprits du public des Trans Musicales. Son énergie communicative séduit instantanément et ne nous quitte pas de la soirée. Une révélation qui nous laisse sans voix mais nous emplit d’espoir et d’optimisme.

Célian Ramis

Trans Musicales 2015 : Danse alternative et cinématographique

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La Triangle, Rennes
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Le crew féminin Swaggers livrait une version spéciale et incroyable de leur création "In the middle", au Triangle, le 4 décembre dans le cadre des Danses aux Trans.
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Dix ans que la danse s’invite aux Trans Musicales. Vendredi 4 décembre, le Triangle accueillait le crew féminin Swaggers pour une version spéciale et incroyable de leur création « In the middle ».

Quand le hip hop rencontre l’art contemporain, quand la danse devient un concert, quand le spectacle se transforme en film… La liste pourrait être longue. Car Marion Motin en a sous le pied, dans le bide et dans la caboche et ne cesse de construire de nouveaux univers. Chorégraphe et danseuse, elle est une pointure dans son domaine.

En 2009-2010, elle décide d’insuffler un élan féminin au milieu hip hop, secteur à l’origine – et encore aujourd’hui - très masculin. Ainsi, elle crée le crew Swaggers, composé exclusivement de danseuses. « Tous mes mentors étaient des hommes. J’ai voulu fédérer les femmes, leur permettre de faire des battle entre elles, de s’imposer. », explique Marion Motin.

L’art de s’imposer, elles en maitrisent les rouages pourtant aléatoires, jamais certaines que le succès sera au rendez-vous. Mais leur création, longue de 20 minutes supplémentaires pour les Trans Musicales exceptionnellement (1h au total), est le fruit d’un travail collaboratif et marque surtout un désir de s’affranchir des codes. De ne pas rentrer dans les cases, ni dans les catégories simplistes et réductrices.

SHOW CINÉMATOGRAPHIQUE

De la scène peu éclairée se distingue une silhouette. La salle est plongée dans le noir, le public dans un silence emprunt de curiosité. Une femme, seule, lookée comme une indienne d’Amérique, chante a capella et donne immédiatement le ton. Entre puissance vocale, maitrise de la technique, note d’humour sur fond d’attitude diva, elle est la bande-annonce d’un show innovant et palpitant.

Et c’est sur une chanson des Doors, « This is the end », que les danseuses entrent en scène, presque les unes après les autres, d’un pas lent, parfaitement mesuré. Vêtues de trenchs et de chapeaux, elles nous transportent sur un autre continent, à l’époque des western et des saloon, le ralenti accroissant l’impression de duels à venir.

Tout de suite, le jeu de lumière, flirtant avec les nuances feutrées et brumeuses et maniant le contraste du clair-obscur, nous permet de pénétrer dans un univers fascinant dont l’esthétique se rapproche de celle d’un film expérimental.

Les mouvements sont synchronisés, longs et aboutis, tantôt lents, tantôt accélérés. En permanence pleins d’énergie. Et toujours une danseuse s’en détache, semblant perdre le fil et chercher son équilibre. Corps et esprits momentanément en décalage, les danseuses pourraient être assimilées à des marionnettes dotées de pensées, de réflexions et de libres-arbitres, dont les ficelles invisibles seraient tirées de chaque côté de la scène.

« La base de cette pièce, c’est de trouver notre équilibre, dans nos vies comme dans un groupe de danse. », souligne la chorégraphe du crew. L’équilibre physique comme l’équilibre intérieur. D’où l’alternance des rythmes, qui jamais ne vacille et qui ne cesse de nous laisser bouche-bée, happés par la singularité de cette danse « qui commence ‘straight’ » pour ensuite les laisser disparaître jusqu’à pouvoir se transformer en notes de musique, en instrument, en émotions…

VOYAGE TRANSÉMOTIONNEL

Car les danseuses incarnent leur chorégraphie, dans laquelle plusieurs séquences se succèdent, « comme des minis clips indépendants, sauf que pour nous, qui avons toutes notre histoire, l’ensemble fait sens. » L’atmosphère est envoutante. Il y a de la folie, des corps et des esprits possédés, de la joie et de la légèreté mais aussi de l’aisance, du soulagement, de l’apaisement, du tâtonnement.

Les musiques, comme celle des Pixies, « Hey », appuient et renforcent les sentiments dévoilés et théâtralisés. Sans oublier l’importance des lumières, qu’elles soient faisceaux linéaires et horizontaux, pour ne saisir que des expressions faciales ou des parties du corps insinuant ainsi l’évaporation des danseuses, ou qu’ils soient un rond de battle ou des carrés colorés de show artistique complet. Toutes mettent en valeur des différences et des personnalités propres à chacune des individues présentes sur la scène de la cité de la danse.

Les spectateurs-trices voyagent d’un genre à l’autre, grâce au mélange de danse contemporaine, de hip hop, de krump ou encore de house, mais aussi d’une ambiance à une autre. On passe ainsi du saloon à la plage de sable fin, bordant la Méditerranée. D’une battle hispanique quasi flamenca à une culture plus urbaine d’Amérique du Sud. Pour finir en divas féminines-masculines.

Les Swaggers se jouent d’une dualité entre douceur et urgence et mêlent dans les danses des sentiments personnels exprimés avec justesse et générosité, et parfois même des sourires lâchés par le bien-être du moment et l’adrénaline de la prestation alternative. La signature de Marion Motin ne passe pas inaperçue, puisant dans toutes ses influences et expériences, que ce soit en tant que danseuse aux côtés de Madonna ou en tant que chorégraphe de plusieurs clips de Stromae et de Christine and the Queens.

« Avec eux – Stromae et Christine – je suis dans l’échange. Je donne mon interprétation et ils me donnent la leur. Forcément, cela laisse des séquelles sur ma corporalité et pareil pour eux. », répond la chorégraphe quand on souligne que ces deux artistes sont également reconnus pour la spécificité de leur danse.

La beauté esthétique du spectacle se rend l’égale et l’alliée du talent des danseuses qui maitrisent le mélange des genres en terme de danses urbaines-contemporaines. L’occasion pour elles de s’en affranchir pour les chambouler, et nous au passage. Une découverte qui laisse une trace dans nos esprits, un choc optimiste et bénéfique.

Célian Ramis

Femmes DJs : Quelle place pour elles ?

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Rennes
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Le sexe n'est pas un critère de talent. Mais être un homme semble favoriser la mise en lumière lors des soirées et festivals. Les musiques électroniques ne font pas exception. Enquête auprès des Djettes et des programmateurs musicaux.
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Le secteur de la musique n'échappe pas au sexisme. Lorsque les femmes sont mises en avant, c'est souvent pour leur physique, et non pour leurs qualités artistiques. Et les médias contribuent aveuglément à ce système. Dans les concerts ou les festivals, elles sont très peu programmées. À cause de leur faible nombre ? Ou d'un manque de compétences ?

YEGG a rencontré une dizaine de Rennaises Djs et des programmateurs artistiques pour comprendre ce phénomène flagrant, en particulier dans les musiques électroniques. Les clichés de genre restent bien ancrés, surtout dans l'esprit des premières concernées. Certaines refusent de jouer par peur de paraître « trop » féminines ou de ne pas savoir faire. Ce qui contribue à cette sous-représentation mais n'explique pas tout. Pas question non plus pour elles de promouvoir le fait qu'elles soient des femmes.

Les programmateurs ainsi que Béatrice Macé, co-dirigeante de l'association des Trans musicales (ATM) qui chapeaute l'Ubu, salle historique des musiques actuelles dans la capitale bretonne, refusent également une binarité hommes-femmes. Or, ces Djs, tout aussi talentueuses, méritent autant leur place que les hommes mais y accèdent peu. Ce paradoxe n'est pas propre à la musique. Au contraire, il semble révélateur du fonctionnement global de notre société.

Jeudi 24 septembre, 22h30. Le bar Le Chantier, en bas de la place des Lices, se remplit au fur et à mesure que les sons de basses augmentent. Ce soir-là, Midweek fête sa « Midweek des familles », soirée de retrouvailles « entre copains ». Trois membres de cette association rennaise, chargée d'organiser des évènements de musiques électroniques, créée en 2012, mixent chacun leur tour : Antoine Pamaran, Tristan MDWK et Vanadis.

L'ambiance de la salle aux murs orangés se réchauffe ; les pintes de bières se passent de main en main, le premier rang se déhanche en rythme. Après un premier passage en début de soirée, Vanadis mixe à nouveau. Derrière les platines vinyles et cds, posées sur une planche en bois et deux grands tonneaux de chantier, la Dj choisit les prochains morceaux qu'elle va diffuser.

Son énergie est communicative. Véritable pile électrique lors de son set, la jeune femme brune bat le rythme avec sa jambe gauche, bouge les bras et chante sur ses lèvres les paroles des chansons qu'elle passe. Au bout d'un quart d'heure, Antoine et Tristan la rejoignent sur l'estrade pour préparer les vinyles et mixer quelques morceaux. Une parole échangée, un regard entendu, la complicité entre les trois personnes se ressent derrière les tourne-disques.

« Il y a deux ans, je venais juste d'arriver à Rennes et je voulais m'investir comme bénévole dans le milieu des musiques électroniques. J'ai envoyé un message à Midweek car je trouvais leur programmation cool. Cela a très vite collé et c'est parti directement ! Les gars m'ont dit : "ça te dirait pas de mixer ?" et ma première date s'est faite en avril 2014 au Bar'Hic », se souvient Vanadis, de son vrai nom, Morgane Deturmeny.

La jeune femme de 22 ans, qui a pratiqué du piano petite, a acquis son oreille musicale grâce à son père, dévoreur de disques. Au lycée, l'étudiante s'est plus tournée vers l'électro, même si elle se qualifie comme une « grosse boulimique de sons » en tout genre : « Je ne peux pas passer une journée sans en écouter ! Je passe vraiment par tous les styles pour aller à la recherche de la petite pépite. »

Morgane a commencé à mixer par hasard. C'était, au départ, pour s'amuser avec son cercle d'amis. Ce parcours, les femmes Djs rennaises l'ont toutes eu, à quelques différences près. L'univers du mix s'est ouvert à elles par la pratique artistique ou grâce à des proches, qui leur ont prêté du matériel et des vinyles pour s'entraîner.

Certaines, comme Dj Miss Blue, ont usé, adolescentes, des semelles dans des concerts ou des festivals. « Depuis mes seize ans, je fais les Trans Musicales chaque année ! Je n'ai loupé le festival qu'une seule fois car j'étais à l'étranger », raconte cette trentenaire, lunettes bleues relevées sur ses cheveux blonds et vêtements indigo. Cette dernière tient son nom de scène à son prénom breton, Bleunienn, signifiant bleu, et a créé la majeure partie de son personnage sur scène autour de cette couleur.

De sa culture familiale bretonnante, elle en a créé un style musical, le « Breizh'n'bass » dans lequel elle mélange danses traditionnelles bretonnes et drum'n'bass : « En m'entraînant dans le garage et en puisant dans la bibliothèque de ma mère, je suis tombée sur les vinyles des sœurs Goadec, d'Alan Stivell et des Frères Morvan. Et je me suis rendue compte que les structures des morceaux de musique électronique collaient complètement avec le plinn et la gavotte. »

En 2006, la demoiselle bleue quitte son travail d'institutrice et se lance comme Dj. En une dizaine d'années, sa musique s'est très rapidement exportée à l'étranger, en Asie et aux États-Unis, pour animer des évènements en rapport avec la Bretagne, sa région natale dont elle parle couramment la langue.

Katell a également tourné sur la scène locale et hors des frontières. Mais, contrairement à Miss Blue, la jeune femme brune tatouée n'a jamais souhaité en vivre et ne le considère pas comme un métier, bien qu'elle mixe depuis onze ans. Elle préfère garder cette activité à côté, sans avoir la pression du nombre d'heures pour obtenir le statut d'intermittente du spectacle.

Partenaire de platines et amie de Katell, Menthine approuve : « Mixer, c'est comme une drogue ! Tu peux être derrière tes platines pendant des heures et des heures et ne pas t'en rendre compte. Il y a des heures de travail au compteur... Mais les cachets ne sont pas suffisants pour en faire un salaire et le temps ne le permet pas. »

COMMUNAUTÉ MUSICALE HIÉRACHISÉE

Être Dj, c'est surtout faire partie d'une « grande famille », celle des musiques électroniques. « Il y a un aspect très communautaire. Le son arrive comme un trait d'union entre les gens qui tendent vers une organisation commune », témoigne Katell, qui a beaucoup côtoyé le monde des « sound system » et des « free party ». S'y intégrer, en tant que femme, n'a jamais posé problème. « Nous n'avons jamais bagarré pour avoir notre place », répondent en chœur Menthine et Katell.

« On dit même merci aux gars, sans eux on aurait jamais eu de platines ! », s'enthousiasme Menthine, qui a animé les émissions électro Open Fader sur Radio Campus Rennes (RCR) et organisé les soirées du même nom de 2006 à 2015. Miss Blue ne s'est, elle, jamais posé la question : « Je ne m'en rends pas compte, je fais mon métier et je suis un peu dans ma bulle. »

"Tu joues bien pour une fille !" Cette remarque a pourtant parfois été dite après leurs passages. Des comportements qui leur indiquaient qu'elles restaient des femmes avant tout. Mac l'Arnaque, qui mixe du hip-hop et du rap depuis 2009, l'a ressenti une seule fois :

« Alors que je jouais, un jeune homme, en train de danser, s'est retourné, m'a regardé et est directement parti. »

Autre constat : une pression supplémentaire est souvent mise sur la technique lorsque les femmes jouent. « Quand on est exposées comme ça, en tant que femme, des connaisseurs viennent, par curiosité, pour voir comment on s'en sort. Cela met forcément un peu la pression », reconnaît Mac l'Arnaque, casquette enfoncée sur la tête, qui ne souhaite donner ni son nom civil ni son âge. Anecdotiques, peut-être, mais ces actes n'auraient jamais été faits à des Djs masculins. Menthine rétorque : « C'est le jeu et je préfère m'en amuser ! »

Dans cette « grande famille » électro, à Rennes, une partie rayonne, l'autre reste dans l'ombre. Et c'est dans cette deuxième catégorie que les femmes seraient le plus nombreuses. Elena Tissier, 25 ans, qui se produit en tant que The Unlikely Boy, le remarque :

« J'ai du mal à citer beaucoup de noms de femmes Djs à Rennes, on se sent un peu isolées. »

Et cela se retrouve dans les programmations musicales de la ville. Les femmes aux platines se font rares. Cédric Bouchu, alias Dj Ced, qui tourne à Rennes depuis 20 ans, en fait le constat. Ayant commencé à mixer à l'âge de 17 ans au Saint Georges, il n'a jamais été sur le même plateau qu'une fille alors qu'il a « fait facilement plus de 1000 dates ».

FAVORISER L’ARTISTE ET NON LE GENRE

Également programmateur du festival I'm from Rennes, qui met en avant la scène rock et électro depuis 2011, Ced l'avoue : « Des femmes Djs, il y en a très peu cette année... ». La quatrième édition, qui s'est étalée du 16 au 26 septembre, comptait seulement Valandis et Mr. et Mme Henri, un duo mixte.

Bien que le manque de femmes interroge l'équipe organisatrice masculine, ce n'est pas prioritaire lorsqu'ils constituent la programmation. Cédric Bouchu s'en défend : « Il n'y a que l'artistique qui nous intéresse, nous n'avons pas envie de faire un quota avec 50% d'hommes et 50% de femmes. »

Pourtant, la quinzième édition du festival Maintenant, qui fait des passerelles entre art, musique et technologies, prouve qu'il est possible de programmer autant d'hommes que de femmes Djs, sans faire de quota.

Cette année, du 13 au 18 octobre, elle donne un coup de projecteur à la scène locale Dj, lors de ses « Ambiances électroniques », à la Salle de la Cité. Sur six Djs, trois sont des femmes : The Unlikely Boy, Vanadis et Knappy Kaisernappy. « C'est involontaire, il n'y a pas de recherche de parité », réagit Gaétan Nael, programmateur du festival et adjoint à la direction de la salle de musiques actuelles, l'Antipode.

Pour élaborer chaque programmation, il rencontre les personnes, se déplace à leurs concerts ou les écoute sur Internet : « Je ne me focalise pas sur le sexe, je ne fais pas de calcul. L'objet du festival, c'est de révéler des choses peu montrées ainsi que de partager des coups de cœur. Si on peut donner la visibilité que les femmes méritent, tant mieux ! Car elles travaillent, elles cherchent des morceaux, elles ont une capacité à partager avec les gens, elles ne cherchent pas la facilité. »

Privilégier l'artiste par rapport au genre, ce discours d'une musique asexuée n'est pas nouveau. Et cette volonté vient autant des programmateurs que des femmes elles-mêmes.

« Je pense qu'il n'y a aucun artiste, homme ou femme, qui aurait envie d'être booké pour une histoire de quotas, en tout cas, j'espère que ce ne sera pas mon cas car je trouve ça extrêmement réducteur », développe Elsa Quintin, alias Knappy Kaisernappy, interviewée dans la trentième émission Technosaurus, qui se consacre à la place des femmes dans l'électro, diffusée le 2 juillet dernier sur la radio nantaise, Radio Prun.

L'artiste préférerait plutôt se concentrer uniquement sur le projet artistique :

« Il existe plein de manières d'incarner son son, qu'on soit un mec ou une nana cela ne change rien ! Je trouve qu'en France, la question du genre est trop binaire. »

L'ÉLECTRO SE DÉMOCRATISE

À Rennes, la scène électro se développe énormément depuis ces cinq dernières années, bien qu'elle soit présente en terre bretonne depuis le début des années 90. Elle s'est plus institutionnalisée grâce à l'autorisation de la municipalité, comme c'est le cas pour les « Rencontres Alternatives », teknival qui a lieu à la Prévalaye depuis cinq ans. Une tendance qui n'est cependant pas propre à la ville mais due à une impulsion nationale.

« Depuis deux, trois ans, l'Ubu, l'Antipode... Tout le monde s'y met ! Ça se démocratise. L'électro arrive même dans les festivals populaires et familiaux comme les Vieilles Charrues et Rock en Seine, qui touchent toutes les générations », analyse Katell, installée à Rennes depuis quinze ans. La demande vient également des bars, à la recherche de Djs. D'après Mac l'Arnaque, qui a mixé en inter-plateaux aux Trans Musicales en 2014, ces derniers sont plus accessibles pour se produire que trouver une résidence.

« De nombreux collectifs ont toujours existé sur des esthétiques différentes comme la noise, la techno ou la drum'n'bass. Le bassin étudiant rennais a toujours permis un renouveau »
tient à rappeler le programmateur de l'Antipode.

L'effervescence autour de ce style musical multiplie les initiatives. Au 1988 Live Club, qui coordonne toute la programmation de la discothèque Le Pym's, c'est de cette façon que les soirées « elektro » se sont instaurées tous les vendredi soirs.

Si ce courant est autant en vogue, c'est grâce à l'arrivée des nouvelles technologies qui le rendent à portée de main et de clavier. « Avant, on apprenait à mixer et à caler en même temps les disques vinyles. Désormais, il faut seulement mettre les morceaux qui vont ensemble et qui ont une bonne rythmique. La technique est moins dure », développe Katell, qui mixe toujours avec uniquement des vinyles.  

À LA RECHERCHE DES FEMMES DJS

Decilab, Pulse, Social Afterwork, Midweek... Toutes ces organisations rennaises « très très masculines », selon The Unlikely Boy, dessinent le paysage électro le plus visible de la ville. La solution pour le transformer ? « Je pense qu'il faut lancer le mouvement », affirme Vanadis.

Ces dernières années, de nouveaux noms féminins sont apparus sur les affiches. « Plus on y réfléchit, plus on se rend compte qu'il y a pas mal de nanas Djs ! Rennes est un grand village », sourit Katell. « Pourvu que ça dure, que ce ne soit pas juste un effet de mode », espère Menthine.

Si les femmes Djs restent moins visibles, ce serait à cause des réseaux majoritairement masculins des programmateurs, avance Carole Lardoux, directrice artistique de la salle du Carré Sévigné, à Cesson-Sévigné :

« Je ne crois pas qu'il y ait d'actes volontaires de leur part de ne pas programmer de femmes. Parfois, ce sont des réseaux d'affinités et de sensibilité artistique. Il faut être à la croisée des réseaux afin de leur porter une attention tout aussi particulière. Il y a beaucoup de femmes qui créent, il faut juste y avoir accès. »

Pour beaucoup, programmer autant de femmes que d'hommes semble facile. Noëmie Vermoesen, qui mène une thèse sur les musiques électroniques à l'université Rennes 2, était de cet avis-là : « Je disais : "Ils font chier les programmateurs, on peut trouver des nanas !" ».

L'ancienne animatrice à Canal B de l'émission Track/Narre a déménagé à Berlin cet été. Depuis, la doctorante organise toutes les trois semaines une soirée électro où, une fois sur deux, l'artiste est féminine :

« C'est beaucoup plus compliqué que ce que je pensais. C'est important qu'il n'y ait pas que le critère « nana », il faut qu'il y ait quand même des affinités artistiques et personnelles avec la personne. »

Alors, les femmes Djs ont décidé de se les créer elles-mêmes, ces réseaux. En 2010, Mac l'Arnaque a crée le collectif rennais « Girls do it better » avec deux autres Djettes, Dj TFlow et Fckn Mood. « Quand il y a des filles Djs, on fait une petite veille mais on ne veut pas créer un cercle de Djettes. Ce n'est pas parce que t'es une fille qu'on va faire des choses ensemble mais on se serre les coudes, qu'on le veuille ou non », indique-t-elle. L'année dernière, Katell et Menthine ont appelé leur nouvelle formation duo, Las Gatas Electronicas, qui signifie en français « Les Chattes Électroniques ».

Ces noms, quelque peu provocateurs, ne se veulent pas revendicatifs. « On ne se prend pas au sérieux ! », rigole Menthine. Ces rassemblements permettent surtout de se regrouper par projets communs. Depuis neuf ans, Miss Blue fait partie du collectif international Geishaz, qui met en relation uniquement des femmes qui mixent : « Aux États-Unis, c'est moins exceptionnel qu'une fille soit Dj. » Geishaz est surtout un moyen d'entraide pour se trouver des dates.

S'AFFIRMER DANS UN MILIEU MASCULIN

« La seule différence que je vois entre une femme et un homme Dj à Rennes, c'est que beaucoup de Djs hommes se manifestent à nous, là où une femme est plus réservée et ne va pas oser », remarque Gaétan Nael.

Ce problème de confiance en soi et d'auto-censure est surtout dû à un conditionnement typiquement féminin, qui tend à se dévaloriser et se sentir illégitimes. « Beaucoup de filles qui sont à fond dans le son me disent : "Je ne saurai pas faire" », remarque Vanadis. Les stéréotypes de genre ont la vie dure :

« Il y a moins de filles qui jouent, je ne pense pas que cela vienne de l'extérieur. Les nanas ne s'y mettent pas trop car elles pensent que c'est réservé à la gente masculine, comme le bricolage ! »
rigole Menthine.

« Ce n'est pas parce qu'il y a des câbles et des ordinateurs qu'une fille ne peut pas le faire », lance The Unlikely Boy. 

Il faut donc une volonté de fer pour s'affirmer dans un milieu majoritairement d'hommes. « Dans la musique, les femmes doivent tout le temps avoir des forts caractères. Chez les mecs, il y en a des assez timides derrière les platines. Une meuf, elle, elle sait ce qu'elle veut ! », compare Cédric Bouchu. Et les femmes Djs de la capitale bretonne le savent. Quitte à s'y conformer et favoriser leur côté plus masculin.

« Je suis un peu garçon manqué, j'ai très peu d'amies, la plupart sont des mecs », reconnaît Vanadis. Sur scène, Mac l'Arnaque ne veut pas du tout valoriser sa féminité : « J'ai baigné dans la culture urbaine, je m'habille avec des casquettes et des baskets. » 

Or faut-il nécessairement mettre de côté sa féminité pour jouer ? Cette question a posé problème à Juliette, l'animatrice de l'émission nantaise Technosaurus. « J'ai rapidement abandonné l'idée de mixer car je ne voulais pas renvoyer l'image de la fille faiblarde qui ne cache pas du tout sa féminité. Ma phobie, c'est d'être classée comme "pétasse de la techno". Je me suis moi-même arrêté aux a priori que je dénonce. Alors, oui, on peut être une petite meuf en sucre, avoir sa féminité et être une bête derrière les platines », raconte-t-elle dans sa trentième émission.

Cependant, les fantasmes des programmateurs sur les Djettes existent bel et bien. « Une femme Dj va tenir une sorte de faire valoir, les mecs la programment car elle est jolie. Je sais que c'est quelque chose qui se fait », avoue Sylvain Le Pennec. « Certains programmateurs, quand on dit Djette, ils voient tout de suite une personne girlie, bien apprêtée et canon », rajoute Mac.

SOIRÉES FÉMININES, MARKETING OU LEVIER VERS LA VISIBILITÉ ?

Pour cette raison, les soirées Djs « 100% filles » sont encouragées car elles deviennent des arguments marketing. Le collectif France Téléconne en a fait l'expérience lorsqu'il a démarché les bars de Rennes pour organiser sa soirée « 100% meufs ». « Nous n'avons jamais eu de refus catégorique, les gens sont plutôt enthousiastes, note Adélaïde Haslé, la programmatrice. Mais ils trouvent ça trop cool car on est des filles, c'est comme si ils venaient voir un spectacle ! » Jeanne Marie Heard, deuxième tête pensante du collectif, rajoute : « Mais on s'en tape un peu, on s'affranchit de ça ! »

L'envie de cette soirée : s'amuser. Alors, ce collectif de « fêtardes et pochardes », comme elles se définissent, a mis en place un moment festif dans lequel les filles, la plupart inexpérimentées, pourront mixer pour le plaisir, le 28 novembre, au Bar'Hic.

« On passe la même musique que les mecs alors on estime qu'on a autant notre place dans le milieu »
développe Adélaïde, 34 ans, grande consommatrice de concerts avant d'être Dj.

Passer par la petite porte, plutôt que d'attendre, telle est leur philosophie. « L'idée n'est pas de nier les différences entre les hommes et les femmes mais ce n'est pas parce qu'on n'est pas pareils qu'on ne doit pas avoir les mêmes places », estime-t-elle.

Revendiquer des soirées 100% féminines dérangent les programmateurs. Sylvain Le Pennec parle d'effet « hyper pervers » : « En disant cela, on dessert la cause car on ne met en avant que des noms ». Même discours du côté de Gaétan Nael :

« Le clivage sera plus important si on oppose hommes et femmes. Un bon artiste est un bon artiste, qu'il soit homme ou femme. »

UN BON ARTISTE RESTE UN HOMME

Le souci vient de là : si un bon artiste est repéré, il effectue beaucoup de dates. Alors que le vivier se féminise de plus en plus, pourquoi aussi peu de femmes sont programmées ?  Publiées en 2013, les statistiques du collectif berlinois female:pressure parlent d'elles mêmes : les femmes ne représentaient que 8,4% de têtes d'affiches des festivals électros internationaux. 

« Nous pensons qu'il est inacceptable qu'au 21ème siècle, nous en soyons encore à constater que nous sommes parfois la seule femme figurant au programme d'un grand festival. Nous connaissons un grand nombre de collègues femmes tout aussi intéressantes les unes que les autres et nous pensons que le public par ailleurs très mixte, mérite d'entendre ces artistes », écrit le collectif dans un communiqué de presse publié le 8 mars 2013, pour la journée des droits des femmes.  

Organiser des évènements uniquement féminins a, pourtant, un effet sur la programmation. Pour preuve, en ajoutant les festivals « 100% femmes », la barre des 10% est atteinte.

Dans la même dynamique, Alice Cornélus a fondé en 2012, le réseau Women Multimedia Network !, qui soutient activement et communique sur les artistes féminines des arts numériques dont l'électro. Sa devise : « Ce n’est pas une question de genre mais de visibilité ! ».

LENTE PRISE DE CONSCIENCE

Malgré tout, le milieu des musiques électroniques évolue. C'est, en tout cas, ce que considère Noëmie Vermoesen, qui voit les changements à la fois en France et en Allemagne :

« Il y a une vraie prise de conscience et un changement de mentalités dans le milieu. De plus en plus de mecs s'en rendent compte et n'abordent plus le truc de la même façon. »

En un an, les chiffres de female:pressure 2015 montrent eux aussi une amélioration. L'année dernière, 10,8% de femmes se partageaient l'affiche de festivals.

Le milieu musical, en particulier des musiques actuelles, s'intéresse de plus en plus à cette problématique. Des artistes féminines occidentales poussent régulièrement des coups de gueule sur le sexisme ambiant. Dernier exemple marquant : l'artiste islandaise Björk en janvier dernier. Interviewée par le magazine Pitchfork, elle rapporte le conseil qu'elle a donné à la rappeuse M.I.A lorsqu'elles se sont rencontrées :

«[...] Je lui ai dit : Prends-toi en photo devant une table de mixage dans un studio, et les gens se diront "Oh, ok ! Une femme avec une machine, comme un homme avec une guitare."» Depuis, de nombreux blogs, comme Visibility et celui de female:pressure, ont été ouverts sur lesquels les musiciennes publient des photographies d'elles en train de travailler.

SECOND RÔLE POUR LES FEMMES

« L'évolution à Rennes, je la sens comme je peux la sentir dans la société française, ça s'ouvre petit à petit avec une volonté gouvernementale », commente le programmateur du 1988 Live Club. De plus en plus de femmes s'orientent, en effet, dans le milieu musical, que ce soit sur scène ou à la technique.

Cependant, elles restent toujours cantonnées au second rôle. « Les nanas sont dans les chœurs ou jouent du tambourin. C'est souvent aussi l'image de la groupie, la copine du chanteur ou celle qui s'occupe du catering..., rit jaune Adélaïde du collectif rennais France Téléconne. Elles ne se trouvent pas aux places fortes comme à l'organisation. Nous sommes les seules avec Nate & Jojo à programmer des concerts électro. Tout est lié au sexisme de notre société, la musique ne déroge pas à cela, bien que ce soit pourtant censé être plus ouvert. »

Alors que le secteur devient plus paritaire, les femmes restent bien souvent en arrière-plan, qu’elles le veuillent ou non. Alors on repose la question : Pourquoi cette évolution n'écarte-t-elle pas le fait qu'un Dj, ou plus généralement un artiste, reste toujours un homme, par défaut ?

 

Co-directrice de l’Association Trans Musicales, elle gère depuis plus de 37 ans les célèbres Rencontres Trans Musicales à Rennes et assume sans complexe d’être la femme de l’ombre, au profit de Jean-Louis Brossard, directeur artistique.

YEGG : D’où venez-vous et êtes-vous issue d’un milieu musical ?

Béatrice Macé : Je viens de Dinan, je suis arrivée à Rennes après mon bac. Je voulais faire des études d’archéologie mais j’ai fait latin, grec, histoire de l’art. Je devais faire ma licence et partir à Paris mais les Trans sont nées avant. Et comme je n’étais pas majeure, la majorité était à 21 ans à l’époque, mes parents n’ont pas voulu que j’y aille. Pour le milieu culturel, on était plutôt branchés bouquins, patrimoine, histoire. J’ai une grand-mère pianiste et un père saxophoniste mais, petite, j’ai refusé de faire le Conservatoire. J’ai refusé car il y allait avoir les mêmes filles qu’à l’école. Ça m’énervait.

Pourquoi ?

Être à nouveau en compétition… J’ai 57 ans aujourd’hui alors là je vous parle d’une époque avant 68. Il y avait une culture académique. À  la maison, mon père écoutait du classique, du jazz. Il avait fait pas mal de concerts à Paris. C’était quand même très classique. J’ai regretté plus tard de ne pas être allée au Conservatoire, je me suis mise au piano mais j’ai abandonné car je n’avais aucun don pour ça. J’étais beaucoup plus dans les bouquins et les musées.

Dans quel contexte est né le trio avec Jean-Louis Brossard et Hervé Bordier ?

Il y avait peu de concerts de musiques actuelles à Rennes. Il y avait moins de 20 concerts à l’année. Rien à voir avec l’effervescence de maintenant ! Aujourd’hui, plus personne n’a conscience de ça. C’était de la musique académique qui passait. J’ai rencontré Jean-Louis à la fac, à Villejean et on a gardé le contact. Lui, il avait déjà rencontré Hervé. Jean-Louis achetait déjà beaucoup de disque. Comme moi, il venait d’une culture hyper classique mais dès qu’il a découvert le monde du rock il s’y est mis à fond, d’abord en écoutant la radio, et ensuite en achetant les disques.

Je n’ai pas une grande culture musicale dans ce domaine, à part The Doors, Hendrix, Neil Young, j’avais repéré aussi la musique black avec Otis Redding, Aretha Franklin… Mais bon j’étais branchée Louvre et arts plastiques. D’où histoire de l’art à la fac. Et justement à la fac, c’était une expérience de vie. On était très insouciants. Donc Jean-Louis rencontre Hervé et on rentre dans l’association. Ce qui m’a branchée, c’est l’énergie, l’ambiance particulière. C’était comme je m’amuse à le dire une post-adolescence. J’avais 19 balais à ce moment-là, tu fais tes expériences. En plus venant de Dinan, une petite ville, tu arrives là dedans, c’est fou.

Ça ressemblait à quoi alors les concerts à cette époque ?

Déjà il faut se dire que là la 37e édition des Trans ne ressemble plus du tout à ce que l’on faisait au début. C’était très post 68, les gens ne voulaient pas payer pour aller au concert, c’était une société où la contre-culture était forte. On ne parlait pas de musiques actuelles mais de rock, d’esthétiques. On est en 77, il y a encore un esprit contestataire, sans les manifs, Morrisson est mort, le trio des 27 ans est mort.

Et puis on commence à rentrer dans le rock industrie. Juste après Yes. Le punk est venu comme une réponse, un redémarrage de la contre-culture. Le rock s’académise. Il y a une contestation contre le marché dans lequel entre le rock. Et nous, on est une toute petite asso Terrapin, en référence à une chanson de Syd Barrett, le chanteur des Pink Floyd, qui veut dire Tortue d’eau douce.

À cette époque, j’ai une copine qui habite à Londres et avec Jean-Louis et d’autres potes on allait passer toutes nos vacances de Noël chez elle. On faisait tous les concerts et Jean-Louis achetait des disques. Les Trans sont la continuité de cette manière de vivre. J’ai arrêté les études pour organiser des concerts. C’est une manière de vivre pour exprimer une forme de liberté. Une manière de dire non à un parcours social qui aurait pu nous conduire à reproduire ce qu’avaient fait nos parents ! On a décidé de vivre comme on avait envie de vivre et d’en faire notre métier.

Quel est votre rôle au sein de l’ATM ?

Ce qui m’intéresse, c’est de construire un projet, de dire quelque chose. Nous sommes en co-direction avec Jean-Louis et je m’occupe du projet, de l’écrire. En fonction de l’histoire et du positionnement du festival, comme on l’a décidé. Avant, c’était en juin, les 14 et 15 juin. On a fait un concert de soutien à Terrapin qui avait des problèmes financiers. On avait décidé de faire monter sur scène des groupes rennais. Ce n’était pas dans l’objectif de le refaire l’année suivante.

Mais les artistes et les publics sont venus nous solliciter. On a décalé en décembre car c’était une période sans examens. Mais il n’y avait pas de préméditation. Faire un festival, c’est interrompre le quotidien pour proposer quelque chose de différent. On y passe toute la nuit, il y a une intensité différente. On voit plusieurs groupes, les émotions sont beaucoup plus sollicitées. Aujourd’hui sur les Trans il y a une bonne quinzaine d’esthétiques majoritaires. Ça prend plus qu’un concert.

En 85, on arrête Terrapin et on lance l’ATM. On en fait notre festival les années suivantes. En 90, on reprend la gestion de l’Ubu, puis les rave ont eu un impact sur nous. En 96, c’est le départ d’Hervé. Mais nous on voulait continuer. Ça fait 20 ans maintenant et les choses se sont enchainées dans une logique. On n’est jamais rassasiés. D’une année sur l’autre ce n’est pas la même ambiance, pas les mêmes enjeux, pas la même programmation.

Le cadre est similaire mais les éditions sont différentes. Il n’y a pas de lassitude. Je travaille le même projet mais de manière différente. Le projet c’est la philosophie instinctive des 1ères Trans, c’est ça qui nous intéresse de développer.

C’est aussi de montrer des artistes rennais qui ne sont pas connus. Marquis de Sade, Etienne Daho, cette année, Her, Kaviar Special… Mais à l’époque Marquis de Sade et Etienne Daho, ils n’étaient pas connus. Le rock n’avait pas le droit de cité à ce moment-là. Aujourd’hui, les gens ne maitrisent pas leur choix culturel. Avec Internet et le marché, on pré-choisit pour nous. Et la diffusion est limitée par rapport à la création.

Ce qui nous intéresse, c’est de faire connaître la chose inconnue. Les Trans, c’est l’interstice entre ce qui existe et qui n’est pas très connu. Des artistes singuliers qui ne sont pas encore dans la focale des médias. C’est cette singularité qui nous plait, le truc qui fait que ça marquera l’histoire des arts et de la musique. On est là pour les faire découvrir. Ça ne veut pas dire forcer à aimer.

Concrètement, quel est votre boulot ?

Dans le projet, j’écris tout. À quoi je sers ? Attendez, je vais vous montrer (elle se lève et va chercher le projet rédigé sur son bureau, ndlr). J’écris tout le projet artistique que Jean-Louis va mettre en forme. Je fais une Convention aussi pour les partenaires. En fait, je réunis les conditions pour que le projet existe. Avant, j’étais directrice de production et de projet. Mais j’ai délégué.

Je travaille sur la construction du futur, la prospective et sur comment on va passer le projet. Je prends les décisions d’être dans l’Agenda 21, les normes ISO, d’aller au Parc expo, je fais et je négocie les dossiers. Je suis directrice mais pas artistique. Par contre, je suis dans l’accompagnement artistique. Le jeu de l’ouïe, Mémoires de Trans… tout ça c’est moi. En fait j’ai un rôle d’architecte : je pose les bases et les murs de la maison ATM. Mais les gens ne voient que ce que Jean-Louis fait.

Et ce n’est pas frustrant ?

Pas frustrant du tout.

Pourtant, vous le soulignez. Simple constat ou petite blessure ?

Vraiment, je ne suis pas frustrée. Je sais ce que je fais, je sais quelle est ma place, quel est mon rôle. Par exemple, je ne veux plus aller à Paris rencontrer les journalistes. Je ne me sens pas à l’aise. Je me sens à l’aise au moment des Trans, quand je suis dans le public et que tout se passe bien. Je gère aussi la sécu’, les bars, etc. Je suis comme une cheffe d’entreprise. Je fais en sorte que tout ça existe. Jean-Louis est le cœur du réacteur et moi mon rôle est de d’alimenter le corps en sang.

Je reviens sur le fait que vous avez délégué. Dans un article de Libération, paru en 2011, un acteur culturel rennais dit de vous : « Sans elle, le festival ne serait pas devenu ce qu’il est aujourd’hui. C’est une bosseuse hors pair, qui n’arrête jamais et qui a du mal à déléguer. Elle en fait 15 000 fois trop »…

(Rires) Oui, c’est vrai. C’est mon tempérament. Mais c’était en 2011 ? J’ai changé depuis. On a dit qu’on transmettait, je délègue. Et puis, je vais vous dire : à 57 ans, on ne veut plus faire ce que l’on faisait à 45 ans. J’en fais beaucoup moins aujourd’hui. Je préfère le monde des idées et la transformation des idées. Écrire le projet pour les 40èmes Trans. Faire en sorte que le quotidien des équipes soit moins compliqué. Ne pas laisser le projet se scléroser.

Et pour être dans l’interstice du connu et de l’inconnu, nous devons toujours être attentifs. Toujours prendre en considération les évolutions culturelles et musicales. Par exemple, les réseaux sociaux ont changé le festival. On a donc un webmaster, un community manager, un tweet wall… Perso, je ne pratique pas ça mais c’est la pratique des jeunes qui viennent au festival. Et notre rôle là dedans, c’est aussi de ne jamais oublier qu’il va y avoir un après 37e, un après 38e, etc.

En 40 ans de carrière, vous devez avoir des anecdotes sur le sexisme dans ce milieu non ?

J’ai vu des hommes quitter la salle, quitter l’équipe même juste parce qu’ils avaient une femme en face d’eux. Enfin, je n’ai pas bon caractère aussi, il faut bien le dire… Bon, je vous dis ça mais c’était il y a très longtemps. Ou alors en réunion, j’ai déjà dit une phrase et c’est arrivé que quelqu’un la reprenne en disant « Comme a dit Jean-Louis… » ! Par contre, j’ai toujours eu de la chance avec Hervé et Jean-Louis car pour eux, ça n’a jamais été un problème de bosser avec une femme. 

Mais bon, c’est sûr qu’on n’est pas beaucoup de directrices. 12% je crois selon HF. Ce n’est pas beaucoup ! Et dans les programmations, c’est pareil. Le secteur culturel n’est pas mieux que les autres. On pourrait penser le contraire, mais non. L’étude de Reine Prat montre aussi que les subventions accordées sont plus importantes quand c’est un homme qui porte le projet.

Vous êtes pénalisés à l’ATM ? Puisque c’est vous qui allez chercher les sous…

On a la plus grosse subvention de musiques actuelles donc je ne peux vous dire si nous sommes pénalisés (Rires). Mais vous savez aujourd’hui, tout le secteur est en crise. La différence entre nous et les plus petites structures, c’est que nous on tombera de plus haut.

Il faut s’imposer quand même femme à la tête d’une des plus grosses structures musicales…

Pour tout vous dire, je suis partie de l’association pendant 2 ans. Lors de l’édition 84 et je suis revenue pour l’édition 86 parce qu’Hervé est venu me chercher. Et ils ne m’avaient pas remplacée.

Pourquoi êtes-vous partie ?

J’en avais marre d’être la seule fille aux Trans. On était 3 nanas à la base et les deux autres sont parties. J’avais envie de prouver que je n’étais pas juste la nana des Trans. J’étais mal à l’aise quand je me suis retrouvée seule et j’avais aussi besoin de faire autre chose. D’exister et pas seulement à travers les Trans. Maintenant, l’ATM c’est mon univers. Quand j’arrive au bureau le matin, c’est mon univers, les Trans, l’Ubu, je suis à l’aise et je suis à la maison. Mais oui je me suis imposée.

Et vous ne vous dites pas féministe ?...

Pas militante féministe. Par contre, je réclame pour moi et pour les femmes que je connais le même respect et la même attention que pour les hommes. J’avais 16 ans quand la loi sur l’avortement est passée. J’ai encore des bouquins de mes 14/15 ans qui sont féministes. Jeune, j’ai lu le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. J’y suis sensible.

Pour moi, nous sommes avant tout des êtres humains. Je suis pour le respect pour tous, hommes et femmes, femmes et hommes. À mon époque, il y avait des radicales, anti hommes. Je ne suis pas dans l’antagonisme, dans l’opposition.

Et dans le contexte d’aujourd’hui ? Quand on a une fille de plus de 20 ans…

Ma fille a 22 ans et elle a été élevée par des femmes qui ont toujours bossé. Ma grand-mère, ma mère, moi… on a toutes fait des carrières professionnelles. Et puis, il faut dire que mon père était cool. Lors de la loi de 63, quand les femmes ont eu le droit d’ouvrir un compte bancaire, qu’elles ne passaient plus de l’aval de leur père à celle de leur mari… mon père avait dépassé ça depuis très longtemps.

J’ai toujours vu mon père aider ma mère qui était indépendante financièrement et socialement, elle gérait sa vie ! J’ai toujours baigné là dedans. Et je n’ai jamais eu à me poser la question par rapport à mon sexe. Je suis un être humain à part entière. Certaines femmes sont bridées. Pour moi, ce n’est pas concevable. Je ne suis pas née hier, je suis née sous René Coty quand même et j’en ai vu des vieilles dames qui avaient été entravées. Mon père l’avait noté, on en avait discuté.

Je suis fille unique, pas mariée, c’est un choix, faut l’assumer. Faut assumer la solitude. Mais il y a d’autres manières d’être en société, d’être épanouie. Mais c’est clair qu’on ne peut compter que sur soi même. Pour moi, le choix premier, c’est la liberté. Pas la liberté contre les hommes. La liberté, point. Je ne suis pas guerrière contre les hommes.

Simplement, je veux être celle que j’ai envie d’être au moment où j’ai envie de l’être. Je suis une nana et alors ? C’est comme ça, on ne va pas en faire un fromage ! (Rires) Après, je suis bien consciente que mon cas n’est pas une généralité et je suis sensible à toutes les luttes pour les droits des femmes. Je considère que c’est un vrai combat.

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Béatrice Macé : "Je suis une femme et alors ?"

Célian Ramis

Les différences en tous genres et en couleurs

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Editions Goater, Rennes
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Les dessins peuvent être des armes pour faire bouger les lignes de la société. Et constituent également un support pour l'éducation à l'égalité avec le cahier de coloriage C'est quoi ton genre ?, publié aux éditions Goater.
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Deux mariées sur un gâteau, un enfant en fauteuil roulant sur le chemin de son cours de majorettes, des princesses rock en skate… Le cahier de coloriage C’est quoi ton genre ?, adapté en français et publié en octobre dernier aux éditions rennaises Goater, entend bouger les codes de la construction sociale.

Finis les clichés autour du rose pour les filles, du bleu pour les garçons dans les catalogues de jouets ? De la vie domestique pour les femmes et de la vie active et sportive pour les hommes dans les livres pour petits ? Non, loin de là malheureusement. L’éducation à l’égalité devient une priorité pour combattre les stéréotypes ingurgités dès la petite enfance, les normes de genre étant rapidement intégrées par les enfants qui assimilent alors des fonctions spécifiques selon le sexe.

Si la littérature jeunesse commence doucement à bouger les lignes du schéma classique d’une princesse sauvée par son prince charmant ou d’une mère qui s’occupe des enfants et de la maison pendant que papa travaille, qu’en est-il des cahiers de coloriage ?

CASSER LES NORMES DE GENRE

En juin 2015, l’auteure et dessinatrice québécoise Sophie Labelle – connue pour sa bande-dessinée Assignée garçon, lire notre coup de cœur de novembre 2015 – publiait Ça déborde !, un cahier de coloriage sur les genres et les sexes. Bien décidée à casser les idées reçues sur les représentations destinées aux petites filles et aux petits garçons, Sophie Labelle prend le parti de banaliser les différences et de dire, à travers les dessins, qu’un-e individu-e peut se sentir parfois garçon et parfois fille et surtout s’identifier au-delà du sexe.

« Une fille peut chevaucher un dinosaure, être téméraire. Un garçon peut bouquiner dans son lit ou rêver d’être Wonder Woman ! Il faut casser les normes de genre. »
explique Corinne Gallou.

Militante féministe, elle a été engagée dans plusieurs collectifs tels que la MESSE (Mobilisation pour une égalité sexuelle et sociale émancipatrice), l’Entre-Genres ou encore la Bibliothèque féministe.

C’est en toute connaissance de son engagement pour ces luttes que Jean-Marie Goater lui a proposé de participer à l’adaptation du cahier de coloriage C’est quoi ton genre ? – initialement de Jacinta Bunnell et Nathaniel Kusinitz - repéré lors d’un séjour à Londres.

Accompagnée de Nardjès Benkhadda pour la traduction et de Marie Le Marchand pour la mise en page, Corinne Gallou s’est attelée à quelques modifications et ajustements au niveau des dessins mais aussi des textes qu’elle a souhaité féminiser, la langue française - à l’inverse de l’anglais - étant particulièrement genrée.

ÉDUCATION NEUTRE

En 2012, en Suède, un mouvement militant né pour que la nation ne soit plus simplement sexuellement égalitaire mais sexuellement neutre. Que l’on puisse attribuer un nom de garçon à une petite fille et inversement, que l’on supprime les rayons « filles » et les rayons « garçons » dans les boutiques (même chose avec les toilettes qui ne devraient plus être catégorisés) ou encore que l’on emploie le pronom « Hen » pour remplacer le « il » - han - et le « elle » - hon. Et le pronom neutre a d’ailleurs été ajouté à la version numérique de l’Encyclopédie nationale suédoise.

Dans le cahier de coloriage, la neutralité sexuelle s’intègre dans l’ensemble des pages, à travers la question du pronom neutre que deux enfants inventent à leur manière (page 27), mais aussi la manière de dessiner les personnages ainsi qu’à travers les situations montrées. L’objectif étant de laisser l’enfant « briser [les] moules qui nous enferment », indiquent Corinne, Marie et Nardjes dans le texte final, visant à expliquer le choix d’un cahier de coloriage contre les stéréotypes de genre.

Au fil des pages, on croise alors une sirène désireuse d’escalader le Mont Blanc, un garçon avec une fleur dans les cheveux construisant une petite maison pour jouets, des hommes dans un cours de zumba ou encore une petite fille se rendant à son entrainement de football américain. Tout ça en noir et blanc. Libre aux enfants d’y ajouter les couleurs et les histoires qu’ils imaginent.

SOULIGNER LES DIFFÉRENCES ET ACCOMPAGNER LES ENFANTS

« Cela peut heurter les sensibilités de voir un cahier de coloriage différent, qui ne répond pas aux normes et à ce que l’on voit dans les pubs ou les dessins animés qui montrent des princesses passives… Il fallait veiller à rester accessible aux parents afin qu’ils puissent accompagner leurs enfants au fil des pages. »
analyse-t-elle.

Si elle regrette que le cliché sur les filles et les princesses persistent malgré tout dans cet ouvrage (erreur de notre part, il ne s’agit pas de cet ouvrage là comme indiqué dans le mensuel YEGG#41 – Novembre 2015, mais d’un cahier de coloriage féministe prévu pour l’année 2016, ndlr), Corinne pointe néanmoins l’apparition de certaines situations encore trop peu visibles dans les livres pour enfants, comme le handicap, l’homosexualité, le transgenre ou la non violence.

C’est quoi ton genre ? ouvre les esprits sur les différences entre les individu-e-s pour une société, à terme, plus égalitaire. Prochainement, au cours du premier semestre 2016, les éditions Goater devraient se munir d’un autre cahier, intitulé Mon premier cahier de coloriage féministe. Corinne Gallou y participera, accompagnée de plusieurs dessinateurs-trices rennais-es.

Célian Ramis

Le sexisme, un mâle politique

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Rennes
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Les 6 et 13 décembre, les citoyen-nes français-es sont appelé-e-s à voter pour désigner leur président-e de région. Dans son numéro 41 - novembre 2015, la rédaction s'intéressait alors au sexisme en politique...
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Les femmes politiques sont régulièrement la cible de réflexions et d’insultes sexistes émanant de leurs confrères et des journalistes. Attaques contre leur physique ou remise en cause de leurs compétences, un sexisme quotidien et insupportable.

Comme Laurent Fabius, qui s’est inquiété de savoir « Mais qui va garder les enfants ? » au moment où Ségolène Royal était candidate à la Présidentielle en 2007, un journaliste rennais a demandé « Mais qui va s’occuper des petits bouts ? », à Nathalie Appéré au soir de son élection à la Mairie de Rennes en mars 2014. Il voulait rendre son interview « humaine », s’est-il défendu. Ok. Mais pourquoi alors ne pas être aussi « humain » avec les hommes ?

Parce que depuis qu’elles sont entrées en politique, les femmes souffrent du sexisme. Simone Veil maltraitée en 1974 lors du vote de la loi sur l’IVG ; Edith Cresson, première femme Premier Ministre en 1991 dont un député a dit « C’est La Pompadour qui rentre à Matignon » ; Les candidates RPR aux Régionales de 1998 sur lesquelles Charles Pasqua a balancé, très gracieusement, en répondant à la question de Philippe Séguin : « qu’est-ce qu’on va faire des gonzesses ? », « Il n’y a qu’à proposer une chose simple : toutes les femmes qui veulent avoir l’investiture doivent être baisables ! ».

Les « Jupettes » du premier gouvernement Juppé en 1995, alibi et faire-valoir féminin rapidement mis au placard ; Ségolène Royal, encore, lors des primaires socialistes de 2005 qui a entendu un brillant « L’élection présidentielle n’est pas un concours de beauté », de la part de Jean-Luc Mélenchon ; Roselyne Bachelot - qui dénonçât « la focalisation permanente sur notre aspect physique » et dû, à contre cœur, laisser ses tailleurs roses dans sa penderie ; Cécile Duflot et sa robe à fleurs sifflées en pleine Assemblée, ou encore son jean porté en Conseil des Ministres montré du doigt comme une « honte protocolaire » ; Véronique Massonneau interrompue dans l’Hémicycle par les caquètements d’un confrère… La liste est longue. S’arrêtera-t-elle un jour ?  

« ÇA ME HEURTE, PAR PRINCIPE »

Dernières victimes, Emmanuelle Cosse, cheffe de file d’EELV, - percutée par un tweet monstrueux sur son physique émis par un Républicain - et la ministre du travail, Myriam El Khomri, attaquée par un journaliste, dont la première question portait sur le fait qu’elle ait choisi de garder son nom de jeune fille… Quand la France compte près de 6 millions de chômeurs, on croit rêver.

En local ? Il se murmure qu’un élu indélicat aurait fait un vilain jeu de mot avec le nom du mari de Nathalie Apperé… quand ce n’est pas L’Express qui titre cet été : « Est-elle à la hauteur ? ». Intolérable. « Ça me heurte, par principe », assure Sylvie Robert, adjointe à la maire de Rennes et Sénatrice d’Ille-et-Vilaine. À son arrivée au Sénat, les huissiers lui ont demandé comment elle voulait qu’on l’appelle, sénateur ou sénatrice ? L’élue a fait modifier sa carte.

« Dit clairement ou plus insidieux, on vit le sexisme presque au quotidien. Quand, par exemple, on ne m’écoute pas, ou juste poliment, en réunion, ça m’énerve, alors je m’arrête ou je fais une réflexion »
confie la sénatrice.

Selon elle, le combat est permanent et ne s’arrêtera jamais, il faut l’intégrer et être en veille constante, « c’est une responsabilité collective, il ne faut jamais baisser la garde ».

LA PARITÉ, UNE NÉCESSITÉ

« J’ai été naïve au début de ma carrière, j’ai pensé que nous n’avions pas à légiférer, que la société évoluait. Je me suis bien trompée ! Il fallait la loi sur la parité, la société bouge trop lentement sur le sujet ! De naïve je suis devenue pragmatique », avoue Sylvie Robert. Sa consœur Nadège Noisette, élue EELV en charge des achats, était elle aussi sceptique sur cette loi, or :

« Il y a parité au Conseil Municipal et aucune tension. Peut-être est-ce parce que la cheffe de groupe est une femme (Nathalie Appéré, NDLR), j’imagine. À Rennes Métropole, en revanche, l’ambiance et le ton sont plus autoritaires, plus agressifs, les prises de becs plus nombreuses »
constate Nadège Noisette.

La jeune femme, ingénieure en électronique - après avoir fait Maths Sup et Maths Spé - est parfaitement qualifiée en technique, mais pas aux yeux de tous : « J’ai à faire face à des comportements sexistes ou irrespectueux en lien avec mon poste d’élue en charge d’une mission technique. Bien sûr, cela dépend du domaine et de l’interlocuteur, mais pour être légitime et crédible, il faut que j’en fasse plus. Les regards se portent vers mes collègues masculins, pas vers moi… Il faut constamment faire ses preuves et cela complexifie ma mission. On demande plus de garanties aux femmes », raconte Nadège Noisette.

Ainsi, quand elle intervient dans le domaine des travaux, du bâtiment, de la voirie, elle est confrontée à des techniciens qui émettent des réserves quant à ses aptitudes.

« Ils ne me traitent pas d’égal à égale, c’est désobligeant, c’est fréquent et pesant. Je ne peux pas me balader tout le temps avec mon diplôme d’ingénieure sur moi ! »
confie-t-elle.

UN LONG COMBAT À MENER ENCORE

À 38 ans, elle assure son premier mandat et l’élue EELV pense ainsi que ses consœurs plus âgées sont plus aguerries et qu’elles ont peut-être plus de crédibilité. Peut-être. Pour autant, Sylvie Robert s’offusque toujours et pointe du doigt, par exemple, les Départements où, si des binômes femmes/hommes ont été imposés lors des dernières élections, au moment de la construction des exécutifs les femmes ont été exclues.

Au Palais du Luxembourg, le combat est le même. Malgré l’arrivée de 40 femmes aux dernières sénatoriales, elles ne représentent que 26 % des élus de la chambre haute.

« Il y a encore du travail à faire, mais j’entends aussi dans l’hémicycle des choses affreuses dans la bouche des femmes ! »
dénonce Sylvie Robert.

Nadège Noisette, elle, siège au Syndicat d’Energie Départemental. Sur la soixantaine d’élus elle est la seule femme, et elle entend régulièrement que « c’est normal, le sujet est très technique ! » Même si, selon elle, ce n’est pas forcément dit de façon malveillante, la réflexion revient tel un leitmotiv, et devient vraiment lassante.

Il est donc incontestable que les femmes politiques ont encore du chemin à parcourir pour devenir les égales de leurs homologues masculins. L’égalité sera sans doute atteinte « Le jour où, à un poste important, on désignera une femme incompétente », comme le disait Françoise Giroud en 1983… il y aura bientôt 33 ans.

Célian Ramis

Alice Schneider, mauvais esprit et faux sanglants

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Galerie DMA, Rennes
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Mauvais esprit et impertinence s'invitent à la galerie DMA de Rennes jusqu'au 29 octobre. L'occasion d'apprécier le talent d'Alice Schneider qui a réalisé 200 dessins à l'encre de Chine.
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Faux sanglants, l’exposition de l’artiste plasticienne Alice Schneider, regroupant 200 dessins réalisés à l’encre de Chine, est présentée jusqu’au 29 octobre, à la galerie DMA de Rennes.

Faux sanglants, c’est le titre de l’exposition de la mancelle Alice Schneider, écrit en majuscules dégoulinantes, fruit du déversement d’une bouteille de Ketchup sur une banale feuille A4. « Ça résume bien la série de dessins, avec le côté cheap, la référence au fake, à la marque Ketchup… Tout le monde connaît ce jeu du sang avec le Ketchup », explique-t-elle, quelques heures avant le vernissage de l’exposition, jeudi 17 septembre.

Après avoir passé trois mois à entreprendre cette série, elle vient de coller ses 200 dessins sur les murs de la galerie DMA. Des dessins en noir et blanc, à l’encre de Chine. « Pour ne pas changer de feutre tous les 4 matins, mais aussi pour obtenir un vrai noir, qui garde un vrai contraste même sur les photocopies », commente l’artiste plasticienne. L’exposition ne présente pas les originaux, volontairement. Pour Alice Schneider, l’important est de pouvoir les diffuser, les photocopier, les multiplier.

DÉSACRALISER LE CÔTÉ PRÉCIEUX

« Le choix du dessin, et non de la peinture qui est pourtant mon premier amour, est une économie. C’est simple, facile à diffuser. Je suis parfois frustrée par le côté précieux des œuvres. » Elle prône la liberté du regard, la simplicité du rapport à l’art et la libre circulation de l’œuvre. Auparavant, elle avait déjà travaillé sur une série de magnets à coller sur le frigo et à reconstituer à sa guise.

Ici, elle opte pour des dessins que chacun peut photocopier directement dans la galerie, pour 1 euro, et repartir avec : « Il faut désacraliser ce côté précieux. Je veux qu’on puisse jouer et parler avec l’œuvre. Et que le dessin puisse partir à la poubelle sans complexe au final. »

Briser les frontières entre le visiteur et le travail de l’artiste, s’approprier les œuvres, les faire vivre selon nos propres références… Une démarche séduisante et engagée, en parfaite symbiose avec le contenu des dessins accrochés par thèmatique. Animaux, princesses Disney (ou Death Né), bouffe, mannequinat, amour, sexualité, désillusions, monde du travail, jeux, religion, actualité et nouvelles technologies, tout ce qui inspire la diplômée des Beaux-Arts d’Angers est recensé dans Faux sanglants.

LE TALENT AU SERVICE DE L’IRRÉVÉRENCE

« Au quotidien, j’ai toujours un petit carnet sur moi. Je note tout ce qui me vient en tête, des blagues Carambar, des jeux de mots, des sujets, des choses que je vois. C’est ma façon de procéder. J’aime mettre sous cloche des envies. Créer et mettre en images ensuite. », précise-t-elle, en balayant du regard les centaines de feuilles légendées affichées aux murs. Après ses études, Alice Schneider a travaillé brièvement dans une agence de pub à Paris, mais l’ambiance lui déplaisant, elle a préfèré voler de ses propres ailes. Parler de ces références, de ce qui la touche, ce qui la titille.

Des punks à chattes, une société française lubrifiée par le vin rouge ou boostée à la caféine, une pomme pomme girl, une femme aux seins doux (ou plutôt au Saindoux), une pharmachienne ou encore des migrants jamais aussi célèbres que Léonardo Di Caprio et Kate Winslet… la dessinatrice distille dans chaque pièce de la série une dose d’humour noir, de sarcasme et de regard critique. Simplement dans l’objectif de rendre compte de ce qu’elle constate : « Je ne cherche pas forcément à être critique mais généralement quand on écrit sur quelque chose, c’est quelque chose qui nous titille. On soulève rarement ce que l’on aime bien mais plutôt ce qui ne tourne pas rond. »

Sans prétention, Alice Schneider propose sa vision du monde à travers des dessins pouvant être appréhendés de manière personnelle comme universelle. Fortement influencée par les mutations sociétales des années 90 et 2000, l’artiste de 28 ans soulève avec simplicité et talent tous les « faux sanglants » de notre environnement. Impertinence et mauvais esprit s’invitent à la galerie DMA jusqu’au 29 octobre, on vous conseille d’en prendre une tranche…

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