Célian Ramis

Femmes invisibles : l'errance autrement

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Rennes
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Les femmes en errance sont-elles vouées à être invisibles ? Quelle est l'excuse de la société qui les ignorent ? Enquête auprès de femmes qui témoignent de leurs réalités et leurs quotidiens.
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En mars, l’association Les Ceméa – Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation actives – de Bretagne investissait l’Hôtel Pasteur, à Rennes, pour y fabriquer un espace de réflexion autour des « Jeunes femmes en errance ». À travers une exposition, des forums, des projections et des conférences, l’objectif était de présenter les réalités vues et vécues par celles qui vivent « la rue » au quotidien.

Et ainsi, « changer les regards sur ces invisibles », comme l’indiquait le sous-titre de l’événement. Mais pourquoi sont-elles invisibles ? Comment vivent-elles leurs conditions de femmes en errance ? Comment affrontent-elles le quotidien et envisagent-elles le futur ?

Nadège, Malika et Louise vivent actuellement aux prairies Saint-Martin, ont entre 26 et 37 ans, des parcours pluriels et des envies différentes. Mais elles partagent leurs ténacité et force, bien loin des stéréotypes qui encadrent les sans-domiciles…

S’il est quasiment impossible de définir le nombre de femmes concernées par l’errance, deux sans domicile sur cinq seraient des femmes en France. Selon l’association catholique belge Vivre Ensemble Education – qui lutte contre la pauvreté et l’exclusion - au niveau européen, elles représenteraient entre 8 à 25% des SDF. Une fourchette large…

« Ces femmes existent et il nous appartient d’en tenir compte. », déclare la structure bruxelloise. Elles sont par conséquent présentes dans l’espace public mais, pour de multiples raisons, sont invisibles.

Dans l’imagerie populaire, à quoi fait-on référence lorsque l’on parle de ‘SDF’ ? Les ‘sans domicile fixe’ sont-ils, par cette désignation, asexués ? Non. L’image première est celle d’un homme, pas particulièrement jeune, marqué par la rudesse de la « zone » - froid, stress, hygiène, violences potentielles – et souvent polyaddict à l’alcool et aux psychotropes.

S’ajoute à cette représentation un fond de fainéantise, le sans-abri optant plus aisément pour la manche que pour la recherche d’un emploi, profitant ainsi du système au crochet de la société.

Une suspicion, voire une accusation, en tout cas un jugement négatif et réprobateur qui témoigne d’un malaise vis-à-vis d’une population que l’on ne connaît que très peu et à laquelle les individu-e-s craignent de se confronter.

Si elles sont identifiées par leur sexe, les femmes concernées, elles, vont bénéficier de la part des passant-e-s de plus de compassion, assortie d’un fort sentiment de pitié.

En effet, les représentations de genre amènent à envisager la femme comme un être plus fragile et vulnérable, tant sur le plan physique que psychologique, que l’homme. Ainsi, dans l’espace public, elle s’expose à des violences multiples.

À l’occasion d’une enquête réalisée par la Mipes (Mission d’information sur la pauvreté et l’exclusion sociale) en 2009 auprès de 26 femmes SDF âgées de 50 ans, la sociologue Corinne Lanzarini explique : « Les violences auxquelles sont confrontées les femmes à la rue sont une extension de la violence générale à l’égard des femmes et plus particulièrement celle vécue par les femmes, en provenance des hommes. Les femmes à la rue doivent faire face à des craintes permanentes et elles se considèrent comme des proies au sein de l’espace public. »

Au quotidien, la gent féminine, en grande majorité, ressent un sentiment d’insécurité, craignant le harcèlement, les injures, les intimidations ainsi que les agressions physiques et/ou sexuelles. Elle développe pour y faire face des stratégies d’évitement : adopter un style vestimentaire sobre et « neutre », être accompagnée par des proches et en particulier par des hommes, éviter dans le cas échéant de fréquenter la rue à des heures tardives, etc. Et les femmes en errance ne font pas exception à cette logique de protection.

On dit alors qu’elles se masculinisent « Elles s’habillent dans les friperies de sorte qu’on ne les voit pas », déclare la réalisatrice canadienne Lise Bonenfant en préambule de son documentaire L’errance invisible, en 2008. La sociologue grenobloise Marie-Claire Vanneuville, approuve la théorie de l’invisibilité comme stratégie de survie.

Au début des années 2000, elle a mené une recherche-action de deux ans auprès de femmes en errance, débouchant sur la création dans la capitale des Alpes d’une association « Femmes SDF », connue, reconnue et prise en exemple pour ses réflexions et ses initiatives – notamment à travers la diffusion du documentaire de Denis Ramos réalisé en 2004, Malaimance, suivant 5 femmes en errance, SDF ou pas, dans leurs quotidiens et trajectoires de vie - dans le secteur social en France et à l’étranger, et la publication d’un ouvrage intitulé Femmes en errance : De la survie au mieux-être.

Ne pas se faire remarquer, « c’est une question de vie ou de mort face à la violence inimaginable qu’elles subissent. (…) C’est une attitude de défense mais aussi de culpabilité et de honte. »

La honte et la culpabilité dont elle fait mention, elle la développe en 2010 également dans un article de la revue de la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans abris, « Le sans-abrisme du point de vue du genre » (repris en contribution dans le magazine 50/50 en décembre 2010).

Les femmes sans logement seraient en échec face à toutes les assignations de genre. Pourquoi ? Car elles ne répondraient pas à leur mission centrale : fonder un foyer à proprement parler et l’entretenir. L’espace privé étant le lieu par excellence de la femme. Dehors, le mode de vie ne correspond plus aux expectatives de la société.

Karine Boinot, psychologue clinicienne – qui est intervenue lors de la manifestation « Jeunes femmes en errance » en mars dernier à l’Hôtel Pasteur de Rennes – posait déjà la question en 2008 autour de la précarité asexuée et définissait alors :

« L’errance représente aussi la déviance par rapport à une norme ou un idéal. Elle renvoie à un certain désordre et donc à un danger potentiel. (…) La plus grande sévérité à l’égard des femmes peut s’expliquer en partie lorsque l’on sait que la prostitution est assimilée à l’époque (18e siècle, ndlr) au vagabondage. L’errance féminine est donc socialement et moralement suspecte car une honnête femme reste à la maison (du père ou du mari). Il y a ainsi transgression de l’apparent destin sociosexuel ou biologique, transgression qui se joue notamment par rapport à la sédentarité de l’univers domestique à laquelle les femmes sont vouées. »

Surtout dans un espace qui par essence est baigné de violences, comme constaté précédemment. « C’est pourquoi pour les femmes qui basculent dans la clochardisation, même si elles sont peu nombreuses, une cassure irréversible se fait au plus profond d’elles-mêmes, qui se traduit par une dégradation physique beaucoup plus marquée et rapide que chez les hommes. », précise Marie-Claire Vanneuville.

Il n’est pas rare également que pour se protéger, elles s’entourent et s’intègrent à des groupes de zonards. Une manière de se rassurer mais aussi de briser la solitude de l’errance. C’est le cas de Nadège, 26 ans, sans domicile depuis 2011. D’abord hébergée « à droite à gauche » du côté de Fougères, elle dort pendant un temps dans sa voiture puis, lorsque celle-ci tombe en panne, squatte chez un ami à Rennes.

Les choses tournent mal et en septembre 2013, la jeune femme atterrit dans la rue. C’est comme ça qu’elle va rencontrer, sur la dalle du Colombier, sa bande actuelle dans laquelle se trouve son amie Lina. « On s’aimait pas au début. J’aimais pas, elle jouait la racaille. Puis j’ai appris à la connaître, elle était mineure à l’époque alors je l’ai prise sous mon aile. Aujourd’hui, on a des liens de sœurs, c’est très important. Et c’est comme ça que j’ai rencontré son copain, qui vit aussi avec nous. », explique Nadège.

Ensemble, ils se sont installés dans une maison inoccupée, début mars, aux prairies Saint-Martin, à quelques mètres du Bon Accueil. Sinon ils vivent sous tentes, dehors ou dans des squats dont ils se font expulsés. Son entourage, c’est sa famille. Celle qui l’aide, la soutient, l’accompagne. Elle l’affirme et elle insiste :

« Lina, c’est ma sœur de cœur. On pourrait s’arracher le cœur l’une pour l’autre. C’est ce lien particulier qui nous a fait tenir. On se soutient dans la difficulté. Elle a arrêté les conneries – la violence, les vols de vélos… - sa mère me l’a bien dit, on arrive mieux à la canaliser maintenant. »

La solidarité, elle y tient. Victime, plus jeune d’une SDF qui profitait d’elle pour son argent, Nadège est à présent plus méfiante, sur ses gardes. Mais sa confiance envers ses trois compagnons de fortune est sincère.

« Ce sont de bonnes personnes. Je suis bien entourée. C’est grâce à eux que j’ai arrêté de boire et de fumer des bédos. Bon la clope, j’arrive pas à arrêter… Avant, je buvais en soirée, dehors tu bois des bières pour te réchauffer. T’es dans la galère, t’es sur les nerfs d’être dehors et de ne pas trouver d’endroit pour dormir alors bon… Aujourd’hui, je suis bien avec eux, à quoi ça sert alors de fumer et de boire ? Si je pète les plombs, ils sont là et ils me disent : ‘T’es une fille forte, t’es une battante’. », dit-elle en souriant.

RUPTURES ET FRACTURES

Néanmoins, elle ne nie pas la réalité. Au contraire, elle ne la connaît que trop. Agressée sexuellement à deux reprises, elle est consciente des dangers des soirées alcoolisées et de la rue, les premières violences ayant été subies dans un appartement, lorsqu’elle avait 17/18 ans.

Elle raconte : « Ils se sont mis à 2 sur moi, j’ai dit d’arrêter et que j’allais appeler au secours. J’ai eu un éclair de lucidité. Ils ont arrêté, j’ai eu de la chance. La plupart du temps, tu ne connais pas les noms de famille des personnes, alors tu ne portes pas plainte car contre X, tu sais que ça ne mènera nulle part. Surtout pour les zonardes, les flics vont pas faire une enquête. Mais le mec qui m’a agressée la 2e fois, lui, s’il revient à Rennes, il est mort, on fera justice nous-même. Rien à foutre. »

Les stratégies d’évitement ne peuvent être la seule réponse et défense des femmes en errance. Savoir se défendre est un atout incontestable quand on passe la majorité de son temps dans la rue. Elle a pratiqué le judo plus jeune, apprend, par un ami, quelques techniques de karaté et garde sur elle un couteau, en cas de besoin.

« Même si tu connais quelques trucs, quand tu te fais agresser, tu fais comme tu peux pour te sauver la vie. On essaye de se faire discrètes, de ne pas se faire voir, de ne pas rester tard dans la ville, on a les chiens avec nous – mais bon c’est pas dit que l’autre en face il ne plante pas ton chien ! – et on essaye d’être accompagnées par des hommes. », souligne-t-elle.

Les hommes avec lesquels elle a créé des liens étroits, elle les surnomme les grands frères, les tontons de rue, les papas de rue.

Pour Louise, à Rennes depuis 6 mois et en errance depuis plusieurs années, il est indéniable que les femmes doivent s’imposer, développer des caractères bien trempés et affirmés afin d’éviter au maximum les violences masculines.

« C’est clair que c’est difficile d’être une femme. Et une femme à la rue, c’est encore plus compliqué, avec toutes les violences. »
ajoute-t-elle.

Les violences, elle les a subies au sein de son couple, pendant une dizaine d’années avant d’être aidée et soutenue par son compagnon actuel. À 37 ans, elle tente de se reconstruire et témoigne d’une grande réserve autour de sa vie privée que l’on décèle jalonnée de souffrances éparses.

Depuis l’adolescence, Louise montre une envie de s’en sortir par ses propres moyens. Ses parents, issus du microcosme de l’audiovisuel et du cinéma, la poussent très jeune à travailler « mais le piston c’est pas trop mon truc, je n’ai pas envie d’être là parce que je suis fille de mais parce que j’ai des compétences. » Son père décède. Elle est alors âgée de 16 ans. Un passage par la radio Nova, quelques figurations dans des films… Les expériences lui plaisent mais sans plus.

Elle prend un chemin radicalement différent. « J’ai eu envie de liberté, envie de voyager, de rencontrer des gens différents. J’étais dans le sud, y avait du soleil mais des grandes gueules aussi, donc on a tracé vers le nord avec Raph’. On était vers Clermont, on y était depuis trop longtemps, ça nous cassait les couilles. Rennes, c’est une bonne ville, avec une bonne mentalité. On ne regrette pas du tout, on est bien ici. », explique-t-elle en finissant son thé, sur la terrasse de Malika par un après-midi ensoleillé.

Les premiers rayons de soleil printaniers se pointent et transforment les prairies Saint-Martin, inondées une semaine auparavant – obligeant plusieurs occupants des lieux à bouger leurs campements constitués principalement de tentes, matelas et bâches – en petit coin de campagne paisible et ressourçant.

Originaire de Charente, Malika débarque dans la capitale bretonne il y a 4 ans avec son camion. Ce mode de vie, elle l’a investi depuis 12 ans, à la suite d’une séparation amoureuse. Etre véhiculée, c’est la garantie de pouvoir bouger quand elle en a envie, de pouvoir aller là où elle a envie. « Mon beau-père est militaire, on a toujours bougé, je pense qu’il m’a transmis ça. », confie-t-elle.

Sans entrer dans les détails, elle livre une histoire familiale complexe. En rupture avec ses parents, elle est émancipée très jeune et lorsqu’elle prend la route, ne leur dit pas pendant 10 ans ses destinations et points d’ancrage : « J’ai revu ma mère il y a quelques années, j’ai été agréablement surprise. Elle voit que j’ai la tête sur les épaules, que j’ai mon camion, elle est rassurée. »

Nadège ne partage pas tout à fait la même expérience que Malika mais connaît des épisodes de fractures avec son père qui va être à la base de son errance. Clairement, il lui signifie de quitter le domicile familial. Mais elle reste en contact avec sa mère par sms ou par Facebook et lui a rendu visite l’an dernier. Un bref moment.

« Ça lui a fait mal de me voir partir la première fois. Je resterais toujours son bébé. Là, elle était contente de me voir mais triste que je reparte, car mon père ne voulait pas que je reste. Pour mon frère, ce n’est pas évident non plus. Il avait 11 ans quand j’ai quitté la maison. Il a manqué de quelque chose, comme un fils unique. Il est très timide, ne montre pas facilement ses émotions et je sais qu’il a pleuré plusieurs fois, je lui manquais. », dévoile Nadège.

Les trois femmes démontrent la diversité des parcours et des facettes de l’errance. Des manières différentes de la vivre et de la concevoir. Choix ou non, elles cherchent toutefois à assumer leurs quotidiens, à le montrer sous un autre angle, à travers leurs réalités présentes et les forces qu’elles peuvent en retirer. Toutes les trois parlent avec pudeur du chemin qui les a menées là mais aucune question n’est taboue, aucune réponse n’est sans conviction.

Déni ou vérité ? Les écrits universitaires et sociologiques affirment que personne ne choisit la rue. On cherche alors à justifier leur présence par des explications rationnelles et pragmatiques : la crise, l’augmentation de la précarité (qui souvent touche beaucoup plus les femmes que les hommes). Ainsi que par des images plus personnelles : la rupture familiale, la relation amoureuse d’une jeune fille avec un zonard, etc.

Et c’est là que se noue toute la complexité du regard porté par la société sur les femmes en errance. Envisager renoncer au confort du logement, au matérialisme rassurant, au cadre de la norme est source d’angoisses pour une grande partie de la population. La stigmatisation permet alors de se réconforter dans l’idée que cela n’arrive pas à tout le monde, au hasard d’un parcours cabossé. Nadège, Malika et Louise sont unanimes : mettre tout le monde dans le même panier sème la confusion et les amalgames sont réducteurs et contre-productifs.

« Y a des connards partout, des gens bien partout. Dans les zonards, y a des gens qui picolent, d’autres non, qui se droguent, d’autres non. Des violents, d’autres non. Mais c’est pareil chez les pompiers, les flics, etc. Il faut essayer de comprendre pourquoi les uns et les autres en arrivent là, il faut apprendre à connaître avant de juger. On a tous une histoire. On voit moins les femmes que les hommes mais tout le monde peut tomber dehors. », précise Nadège pour qui l’événement « Jeunes femmes en errance », organisé par Les Ceméa Bretagne, a été capital « pour faire ouvrir les yeux » au grand public, venu en nombre à la découverte de l’exposition et aux rencontres proposées (un peu moins lors des forums qui ont plus attiré les professionnel-le-s du secteur social).

Elle a fait partie, avec Lina, du comité de pilotage de la manifestation, et s’est beaucoup investie auprès des médias rennais pour changer les regards. Aborder tout aussi bien les difficultés, les galères, que les manières d’y survivre, sans détours.

L’invisibilité est donc une réalité de leur quotidien, de la situation des femmes en errance. Mais n’est pas tout ce qui les caractérise. Peut-être serait-il temps de s’interroger sur les raisons qui nous font ne pas les voir ? Car lorsque l’on s’y intéresse, les médiums d’information ne manquent pas. Documentaires, expositions, associations, articles de presse, ouvrages universitaires, publications sociologiques, émissions radio et TV… suffirait-il d’y porter attention et d’ouvrir les yeux en foulant les trottoirs de la ville ?

Dans un dessin de presse, l’illustrateur Pessin met le doigt sur l’image péjorative de l’errance féminine. Deux personnages discutent : « C’est le quoi le féminin de SDF ? », dit l’un. « C’est pire ! », répond l’autre. Une bribe de preuve que la société a du mal à faire face à ce phénomène social lié à un contexte de pauvreté mais aussi à une crise identitaire. Vulgarité, ignorance, hygiène douteuse… une représentation péjorative qui « met mal à l’aise, gêne quant au statut de la femme, elle en casse l’image », selon l’association Vivre Ensemble Education.

Pour la célèbre Mireille Darc, c’est avec le temps et l’habitude qu’elles sont devenues invisibles. « Invisibles parce que nous refusons de les voir, parce que cette réalité dérange », précise le synopsis du documentaire qu’elle signe pour l’émission de France 2, Infrarouge, diffusée le 15 décembre dernier et intitulé Elles sont des dizaines de milliers sans-abris.

SUBVENIR À LEURS BESOINS

Pour dégoter des couvertures, des matelas, des tapis de sol, des tentes ou encore des bâches, Nadège se tourne vers des associations comme le Samu social ou Si on se parlait. Pour se laver, la structure Le Puzzle propose des douches. Mais la jeune femme préfère se rendre à la piscine Saint-George qui pour 1 euro donne accès à des douches toujours très bien entretenues, bien mieux qu’au Puzzle précise-t-elle, et pour 2 euros à des bains. Pour la nourriture, la Croix-Rouge « dépanne ».

Mais avec ses ami-e-s, elle met en commun son RSA et les sous de la manche pour faire des courses et varier un peu les plaisirs. « On fait des pommes de terre, de la purée, des barbec’ en faisant du feu. Ce qu’on a en maraude, c’est bien mais on en a un peu marre des croissants et des sandwichs à force. On a besoin de chaud, de nourrissant. Sinon l’asso Le Fourneau sert des bons repas le midi aussi », signale Nadège. Elle est claire à ce sujet : ce n’est pas parce qu’elle vit dans la rue qu’elle n’aime pas s’entretenir. Sur le plan hygiénique et gastronomique, certes, les exigences sont réduites mais pas inexistantes :

« Si je pouvais, j’irais me laver 4 à 5 fois par semaine ! La rue, ça apprend à murir, à se débrouiller, à se nourrir, à se laver même quand les assos sont fermées. »

Pour Malika et Louise, même combat. En toute simplicité. Au bout de leur allée, une fontaine dont l’eau fait l’objet d’analyse chaque année afin de s’assurer de sa potabilité. À l’aide d’une brouette remplie de bidons, Malika va chercher de l’eau à la pompe. « On a ce qu’il faut ! On prend une bassine, on peut se doucher, faire une petite toilette de chat régulièrement. Ou prendre des lingettes. », explique-t-elle, naturellement.

Et pour les cabinets, des toilettes sèches faites de bric et de broc. « Mon coloc a posé des palettes, on installe une bassine et je ramène des copeaux. Il y a un endroit où je vide ça, tout simplement. », précise-t-elle.

Une fois cette image rompue, Nadège met pourtant le doigt sur une réalité qui augmente la vision d’une hygiène de vie peu enviable : les chiens. Ils dérangent, ils font peur. Aux prairies Saint-Martin, ils sont la cible de nombreux reproches de la part de certains riverains. Les trois femmes, chacune propriétaire d’un-e ou plusieurs chien-ne-s, en témoignent, c’est un espace qui résonne et quand les chiens aboient, l’écho amplifie les désagréments sonores.

Mais elles tiennent à rétablir la réalité quotidienne : oui les chiens aboient au cours de la journée quand un-e passant-e approche, mais non ils ne crient pas toute la nuit, dormant souvent avec leurs maitres et maitresses. Et rappellent également que les personnes en errance ne sont les seules à avoir des animaux domestiques. Derrière ces plaintes régulières se dissimule l’image stéréotypée des groupes de zonards qui veillent une partie de la nuit et font couler l’alcool à flots.

Elles ne s’en cachent pas, elles apprécient les moments de partage, les soirées, les apéros. Elles sont plutôt ‘couche-tard’ que ‘lève-tôt’. Louise reconnaît son addiction à l’alcool. Ce qui ne signifie pas que la fête bat son plein tous les soirs pour terminer au petit matin. « Souvent, on est couchés à la même heure que les poules !, rigole Nadège. Et de temps en temps, on fait la fête comme ça a été le cas la semaine dernière, ils m’ont organisé une fête pour mon anniversaire. Mais on va pas nous emmerder hein ?! On est censés déprimer tout le temps ? »

Elle revient sur la compagnie de son chien et de sa chienne. Elle veut faire comprendre l’importance de leur présence. Elle y tient. La relation qui se noue entre l’animal et la maitresse est primordiale pour elle : « Ce sont nos bébés, on les éduque, on les nourrit, on les soigne, on les emmène chez le véto, on dort avec eux, on s’attache à eux. » L’attachement dépasse souvent l’entendement, pourtant les liens affectifs sont bel et bien réels et très vite apparents dans des moments de complicité tout comme dans des moments de protection.

« Si je suis en sécurité, ils vont aller jouer comme des gamins et vont s’éloigner. Sinon, ils vont rester autour de moi. Ou ils vont se mettre un devant et un derrière pour faire la garde. Ma chienne est très méfiante et quand elle ne connaît pas, elle ne laisse pas entrer, elle grogne. », souligne-t-elle.

Mais c’est aussi des instants émouvants comme quand la chienne met bas ou quand l’animal partage chaque ressenti du quotidien.

Ainsi, Nadège ne peut envisager de passer une journée sans ses deux compagnons à poils. « Il y a un lien très fort entre l’homme et le chien. Eux, c’est ma vie, ils sont toujours là pour moi, et inversement. On les aime, on se donne du confort. Ils nous comprennent, nous réchauffent, jouent avec nous ! On pourrait s’arracher un bras pour eux. J’ai 3 animaux préférés : le chien, le dauphin et le cheval. Leur point commun : la relation de confiance, l’attachement à l’homme, le tempérament joueur. Mais bon, le cheval en ville, c’est pas pratique… », plaisante-t-elle, tout en ne se détournant toutefois pas de son point principal : le chien a une place prépondérante dans son quotidien.

Et se les faire embarquer par la police, une fois les beaux jours venus sous prétexte d’une interdiction de regroupement de chiens, est une souffrance. Les animaux sont envoyés au chenil et les propriétaires, en plus de débourser la somme de 87 euros pour les faire sortir, doivent patienter une semaine réglementaire avant de pouvoir les récupérer.

« Ils font ça surtout au printemps et à l’été car il y a des touristes, alors ils essayent de nous éloigner. Mais Rennes, ce n’est pas qu’une jolie ville, on existe aussi. »
regrette-t-elle.

Les errant-e-s font tâche dans le paysage, ternissent la carte postale de la ville où il fait si bon vivre.

REMETTRE LES CHOSES À LEUR PLACE

Pour Marie-Claire Vanneuville, « L’errance n’est pas synonyme de « passage à la rue » (…) L’errance n’est pas le sans-abrisme (…) L’errance est profonde, psychologique, liée à une précarité matérielle dans la durée (…) L’errance est un parcours. » Pour Lise Bonenfant, il ne s’agit pas simplement de personnes mendiantes dormant sur les bancs publics. Et pour les concernées ? Comment se définissent-elles ? « Comme une femme normale », répond Nadège. Simplement.

Pas besoin d’aller chercher plus loin : « Je reste humaine. Je suis sans domicile fixe, je n’ai pas de logement. Je vadrouille dans la ville, je suis une zonarde. » Souvent installée avec sa bande et d’autres devant le Crédit Mutuel de Bretagne, place Sainte-Anne, elle fait la manche, en général les après-midis.

De temps à autre, elle participe à des activités et chantiers – de création et aménagement d’espaces verts par exemple, vers La Poterie et Beaulieu – organisés et proposés par la structure rennaise Le Relais, dont les éducateurs-trices de rue sont réparti-e-s sur plusieurs zones de la ville.

« Avec les éduc’ de rue, on peut parler de tout et de rien, rigoler, on peut aller avec eux en sortie kanoé, à la piscine ou en camp pour quelques jours aussi. Les chantiers, ça fait du bien aussi, ça donne envie de bosser, ça permet de pas rester dans la rue toute la journée et puis t’aimerait que ça dure toujours plus longtemps car tu noues des liens, des amitiés. », raconte Nadège qui devrait, avec Lina, prochainement accéder à une formation BAFA avec Les Ceméa. Ce qui lui permet d’envisager l’avenir autrement. Elle projette avec ses amis de trouver une colocation, à la campagne.

Louise et Nadège, elles, ne sont pas inactives non plus. Elles ne mettent pas forcément de catégorie sur leur mode de vie. Lors de notre rencontre, elles parlent de punks à chiens, de babos, de cas soc’ – en plaisantant à propos d’elles – mais ne collent pas l’étiquette sur ce qu’elles vivent et acceptent la désignation de femmes en errance, les deux femmes étant très attachées chacune à son camion, l’idée de bouger et de prendre la route leur tenant à cœur. Ne pas rester figées. Cela leur correspond.

Louise et son compagnon, hébergés actuellement chez un ami squattant une propriété en toute légalité, œuvrent depuis un mois à retaper leur véhicule, stationné devant la maison. Ensemble, ils aménagent leur intérieur avec un coin cuisine, une couchette, des espaces de rangement, etc. Un mélange d’intérieur bois et de mosaïques rétro, installés et fabriqués par eux-mêmes, avec du matériel acheté chez Brico-Dépôt et du système débrouille.

Un habitat fait de bric et de broc. C’est le leitmotiv de Malika qui, à 33 ans, se plait à profiter de ce qui l’environne. A contrario de Louise, qui parle ici de choix, elle ne fait pas la manche. Les prairies Saint-Martin, elle les a adoptées et les défend becs et ongles avec le collectif qu’elle a créé, Prairies libres ! Faire un potager, cueillir des noisettes, des châtaignes, en faire des cagettes, les mettre dans leur rue et les vendre à prix cassé, fabriquer des petits bijoux, voilà de quoi elle se satisfait en plus de son RSA, quand elle ne part pas en saison, dans le sud-ouest, pour travailler dans la restauration.

« Ici, on cherche des coins récup’ pour la bouffe, on fait des paniers pour le voisinage. On minimise, on vient avec le nécessaire, pas plus. »
déclare-t-elle.

Depuis plusieurs années, elle partage le terrain avec son colocataire, en squat légal, et vit dans son camion qu’elle entretient avec soin. Dans les fondations d’une ancienne maison aujourd’hui en ruines, ils aménagent un espace bureau, et devant, une petite terrasse.

Pour faire vivre les prairies, elle regorge d’idées. Créer un jardin d’enfants en milieu naturel, informer et sensibiliser toutes celles et ceux qui foulent les chemins de cet espace boisé avec des parcours rythmés de photos d’archives et d’explications, organiser des événements festifs et participatifs… des manifestations toujours basées sur le respect de l’environnement et des riverains. Pour un espace de vivre-ensemble.

Pour continuer à faire vivre cet esprit si particulier qui borde les prairies qui font l’objet d’un projet de réaménagement par la Ville de Rennes. Après avoir stoppé les jardins partagés, situés en zone inondable, il y a plusieurs années, la municipalité a commencé fin 2015 à abattre des arbres avant d’opérer les travaux de déconstruction du bâti existant et de reconstruction.

Un projet auquel Malika, et d’autres, s’opposent farouchement, souhaitant pouvoir conserver les prairies telles qu’ils les connaissent et les aiment :

« L’idée, c’est vraiment pas de faire une ZAD comme à Notre-Dame-des-Landes. Pas du tout. On ne veut pas avoir à faire avec les CRS, ce sont toujours les riverains qui mangent au bout du compte. Mais on peut vivre ensemble et faire des choses ensemble, entreprendre des projets sans tout aseptiser. Et en se souciant de l’environnement, pas comme la mairie de Rennes ! Il y a des gens qui vivent là depuis longtemps et ils vont être expropriés, c’est pas normal. On peut faire plein de choses, on aime les prairies et on veut les entretenir. Organiser des soirées à thème pour répondre aux interrogations des habitants, des expos-photos, des espaces naturels de jeux ou de répétition aussi pour les artistes, conserver l’esprit et l’histoire des prairies ! », répète Malika.

Et en ce sens, elle entend aussi veiller au respect de la nature qu’elle souhaite préserver. Voir des déchets s’agglutiner sur les terrains sauvages l’exaspère. Tout comme les soirées trop arrosées de la « jeune génération des punks à chiens ». Elle a donc proposé au Relais d’organiser et animer des après-midis nettoyages des prairies avec les concerné-e-s pour les sensibiliser et les responsabiliser.

La jeune femme restera cet été, a priori, dans la capitale bretonne. Elle souhaite se poser, et avoue avoir moins envie de partir en saison, d’ordinaire du côté de la région du Médoc. Elle entreprend sa propre démarche de reconversion dans le domaine du social, sans passer par un cursus universitaires : « Je n’ai pas besoin de ça pour comprendre les gens en difficultés. »

VERS LA RECONNAISSANCE

L’errance, incontestablement, s’accompagne d’une absence de confort matériel et généralement de souffrances dans les chemins des unes et des autres. Le quotidien est jalonné de galères et de débrouilles. Un quotidien qui amène à repenser, par protection ou autre, la norme imposée par la société qui renvoie alors aux femmes en errance un sentiment d’échec et de vie marginale.

Mais les facettes de celles qui côtoient, de manière satellite ou totale, la zone sont multiples, variées et complexes. Si leur invisibilité les protège de certains dangers indéniables de l’espace public et urbain, l’indifférence ou la pitié ne sont pas des réponses adaptées à leurs situations.

« Moi, je prends les devants. Mes chiennes font toujours la fête aux gens qu’elles croisent, alors j’en profite pour discuter avec eux. En général, ils sont ouverts et comprennent. En fait, les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. »
explique Louise.

Idem du côté de Nadège qui a appris, en faisant la manche, à vaincre sa timidité pour communiquer avec les passant-e-s. Mais bon nombre d’entre eux-elles les ignorent encore.

Peut-être serait-ce un début de solution. Un regard, une réponse, une parole. Sans tomber dans le pathos. Simplement un premier pas vers la reconnaissance et la sortie de l’invisibilité qui tend à effacer une partie de la personnalité et qui arrange une société trop frileuse pour se confronter à une réalité loin de s’améliorer dans les années à venir.

 

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Femmes en errance : un autre regard
Invisibles mais pas inactives !

Célian Ramis

Jann Gallois, l'expérience de la complémentarité

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Le Triangle, Rennes
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Le 3 juin, Jann Gallois, chorégraphe et danseuse, présentait sa dernière création Compact, au Triangle, lors du festival Agitato. Une œuvre forte qui évoque la dualité femme/homme.
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Vendredi 3 juin, Jann Gallois, chorégraphe et danseuse, présentait sa dernière création Compact, en duo avec Rafael Smadja, au Triangle, à l’occasion du festival Agitato. Une œuvre forte qui évoque la dualité femme/homme.

Elle est issue de la danse hip-hop, Jann Gallois. Depuis 2004, elle apprend de manière autodidacte les codes d’un univers dans lequel elle débarque par la porte de l’underground, des battle et des soirées clubbing.

« Je n’ai pas de formation académique. J’ai fait mes classes dans la rue. », explique la chorégraphe qui a fondé en 2013 la compagnie BurnOut, à la suite du succès de son premier solo, P=mg.

Elle se définit comme une forte personnalité, et à 23 ans choisit de se lancer dans un travail de chorégraphie, nourrissant également sa conception de son art avec une approche de danse contemporaine.

Après avoir remporté plusieurs prix pour sa première création, elle revient sur scène avec une forme plus aboutie, un spectacle en solo d’une heure sur la schizophrénie.

Diagnostic F20.9 résulte de sa rencontre avec plusieurs schizophrènes : « Humainement, ça a été très fort, ça a été une très belle expérience et j’ai eu envie de toucher à la déstigmatisation de cette maladie. » Aujourd’hui, elle présente une nouvelle forme d’écriture qui n’a pas été sans défi à relever. En effet, la jeune chorégraphe de 27 ans signe ici une création pour 2 corps en 1.

Et sur scène, c’est une belle et véritable prouesse technique que réalisent Jann Gallois et Rafael Smadja. Au sol, les corps sont confondus, emmêlés. Ils développent alors un côté clownesque en essayant de se détacher l’un de l’autre, ainsi qu’un aspect acrobatique.

Les deux danseurs cherchent à comprendre, s’interrogent, s’interrompent, s’arrêtent. Puis s’attèlent à nouveau à la difficile tâche de s’extraire du corps de l’Autre.

Ça pourrait ressembler à une partie de Twister qui n’en finit pas et qui tourne mal. Mais de là, nait une complicité et une relation malicieuse. Ils semblent s’apprivoiser, parfois maladroitement, avec humour et douceur.

Ils explorent le champ des possibles, accrochés l’un à l’autre. Leurs jambes s’écartent, se croisent, s’entremêlent, se serrent. Les bras aussi.

« J’aime beaucoup me mettre des contraintes pour écrire. Je ne peux pas travailler sans cela. Je sais que pour beaucoup c’est l’inverse. », souligne Jann Gallois que l’on sent stimulée par la recherche de mouvements.

Une recherche quasi oulipienne, en imaginant que celle-ci se transpose à la danse (oudanpo ?). Sans hésitation, sa partition s’est composée pour un homme et une femme. Et le choix de Rafael Smadja a été une évidence.

« Nous avons le même univers artistique, nous venons tous les deux du hip hop avec une ouverture sur le contemporain. Nos corps rentraient bien l’un dans l’autre. Ce qui a été plus difficile, c’est d’apprivoiser nos deux corps, le temps d’adaptation. Car en hip hop, il n’y a pas de contact entre les corps. », analyse la chorégraphe.

Les deux corps imbriqués, le duo met en perspective les états très différents que traversent hommes et femmes dans une rencontre et une relation.

Pour Jann Gallois, il en va ici du reflet d’une vie en communion, de la question des concessions que l’on fait pour laisser sa place à l’autre. Jusqu’à ce que le couple se lève et vacille et virevolte dans un tournoiement effréné. Jusqu’à la séparation des deux corps. Jusqu’à courir l’un vers l’autre pour s’enlacer à nouveau.

« Se séparer et se retrouver, ne pas pouvoir se passer de l’autre, l’envie de retrouver l’autre… Il en est sorti une lecture d’un rapport de couple, d’un homme et d’une femme. Physiquement, on est faites pour s’imbriquer avec un homme. Pour moi, il s’agissait ici de l’évidence de la complémentarité. », conclut la chorégraphe.

Célian Ramis

Mythos 2016 : Tendre vers le sublime avec Mansfield.TYA

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Festival Mythos, Rennes
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Des contrastes francs, un sentiment d’ulcération, une musique électro baroque… Le 19 avril, les artistes nantaises de Mansfield.TYA ont dévoilé un concert poignant et viscéral, dans le parc du Thabor.
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Des contrastes francs, un sentiment d’ulcération, une musique électro baroque… Mardi 19 avril, à l’occasion du festival Mythos, les artistes nantaises de Mansfield.TYA ont dévoilé un concert poignant et viscéral, dans le parc du Thabor, à Rennes.

Duo basé sur la voix et le violon, Mansfield.TYA conte la rage au ventre les humeurs profondes et les tourments de l’existence. Avec franchise et poésie. A cappella, toutes les deux, elles chantent : « Seulement voilà je me fais chier / La vie est triste sans bourreaux / (…) Dans le monde du silence, je m’emmerde. » Et nous, on est ravi-e-s qu’elles brisent le silence et qu’elles l’ouvrent.

Dès la première chanson, introduite par une partie instrumentale qui unit le violon à une puissante électro anxiogène, les deux artistes donnent le ton. Ce qui se traduit par une grosse claque dans la gueule.

Les notes aigues de l’instrument à cordes, joué par Carla Pallone, mêlées à la voix singulière de Julia Lanoë, parfois amplifiée, et juxtaposées aux boucles musicales, traduisent un sentiment d’urgence, d’ulcération. Un besoin de sublimer l’indicible, d’exprimer l’ineffable et de le transposer dans un langage qui leur est propre.

Le grain de folie qui les nourrit a poussé en une dizaine d’années et continue d’être cultivé. Par une forme de désillusions, de désespoir, de mélancolie, de blessures. Mais aussi de joie, de désir de fuir, de craintes, de constats, d’espoir, etc. Et tout cela a été cristallisé sur des disques et notamment leur dernier album, Corpo inferno.

Sur scène, elles voguent entre les émotions brutes, les balades hypnotiques et les atmosphères apocalyptiques, passant des unes aux autres de manière totalement assumée, un brin facétieuse et jouissive, sans toutefois malmener le public qui se laisse bringuebaler les yeux fermés, démontrant une complète confiance en le talent des deux musiciennes emprises de liberté et poussées par une fraicheur rock à couper le souffle.

Adeptes des musiques minimalistes, elles ouvrent leur art à ce qui existe de plus noir, de plus beau comme de plus fragile. L’être humain dans toutes ses complexités, ses paradoxes et ses failles, le rapport à l’autre, à l’espace et au temps.

Et au-delà de l’écriture onirique et franche d’écorchée vive de Julia Lanoë mise en perspective et valorisée par les compositions musicales et les arrangements live, elles laissent transparaitre entre elles des regards profonds qui dénotent une complicité véritablement émouvante et puissante. Et imposent une présence scénique magnifique.

De cette synergie jaillit une déferlante d’énergie rebelle et transcendante. On pourrait craindre un arrière-goût de morosité et de dégoût d’un quotidien trop fade. Mais non, c’est tout le contraire. Mansfield.TYA dégaine sa musique acide, sans nuance et sans fausseté. Dans la retenue, néanmoins.

Ça donne envie de se lâcher, de se libérer, d’exploser. De se saisir de l’esprit clubbing instauré par la chanson « Jamais jamais », suivie de l’impétueuse et insaisissable « Bleu lagon », pour retourner à l’état sauvage avant l’apothéose du final qui monte en crescendo vers un univers post apocalyptique sur « La nuit tombe ».

Elles livrent bataille avec férocité, envie et plaisir, et partage avec le public leur victoire. Celle de sublimer l’horreur sans jamais transmettre une fausse émotion. Tout est dans les tripes et la poésie. La pureté.

 

Mansfield.TYA : « Les femmes sont sous-représentées »

YEGG : Être femme dans le secteur de la musique est difficile. Est-ce que vous avez déjà pâtit d’être un duo de femme ?

Julia Lanoë : On pâtit d’être qualifiées de duo féminin alors qu’on ne le préciserait pas pour des hommes.

Carla Pallone : C’est tellement rare qu’il faut le préciser…

J.L. : C’est très important que les petites jeunes se décident à arriver dans le secteur et osent. Car les femmes ont leur place. Faut les aider, les encourager.

C.P. : Pour notre premier concert, on nous a proposé un concert non mixte. Je ne suis pas à l’aise avec ça.

J.L. : La non mixité, ça fait un peu ghetto. Après, on comprend par exemple le festival Les femmes s’en mêlent. Les femmes sont sous-représentées. Si on prend les festivals de l’été et que l’on gomme les hommes, ils restent quoi ? Même pas 4 groupes… C’est vrai !

C.P. : Y en a marre des groupes de mecs qu’avec des mecs. Mais je n’ai pas envie de tomber dans des trucs très radicaux. On adore Les femmes s’en mêlent et en fait ce qu’il y a c’est que c’est triste que ce soit nécessaire encore aujourd’hui. C’est vrai que la création féminine n’est pas bien représentée. C’est très long de faire changer les mentalités. Par exemple, les femmes ne sont jamais productrices. Les hommes sont les super producteurs. Nous, on fait notre album toutes les deux, on dira jamais de nous qu’on est productrices. Un autre exemple : on a fait un album remix en faisant attention à mettre aussi bien des hommes que des femmes. Résultat : seuls les hommes sont cités, on ne nous parle que d’eux, aucune femme... (Elle s’adresse à Julia) Tu te souviens de l’Italie ? (Elle se tourne vers nous) On faisait une tournée en Italie. Julia parle bien anglais, moi italien. On était avec des potes qui eux ne parlaient que français. Et bien pour la technique, ils allaient voir nos potes. Ils ne nous parlaient pas !

YEGG : Est-ce que c’est un sujet qui vous inspire pour vos chansons ?

J.L. : Faut exister, faut qu’on existe. Mais on a envie de parler d’autres choses que de ça dans nos chansons.

YEGG : Entre deux albums, vous dites prendre le temps. Prendre le temps de vivre, de faire de la musique avec d’autres projets, de ne pas vivre au rythme de l’industrie musicale. Vous tenez à votre indépendance, vous êtes d’ailleurs dans un label indépendant, Vicious cercle. C’est encore possible aujourd’hui de prendre le temps et de ne pas correspondre au rythme de l’industrie de la musique ?

J.L. : C’est une autre forme de combat de prendre le temps. Pour le bien-être, c’est essentiel.

C.P. : Je dirais que c’est là une question d’honnêteté.

J.L. : On ne court pas derrière la célébrité ou l’argent. Y a plein d’autres choses dans la vie.

C.P. : On se donne le luxe du temps.

YEGG : Pour aborder votre nouvel album, Corpo Inferno, la pochette montre le visage de la déesse Hygie. L’album précédent, Nyx, faisait référence à la déesse de la nuit. Pourquoi cet attachement à des figures mystiques ?

J.L. : Parce que Dieu est une femme. Et en même temps, à mort Dieu. (Rires) Et vous avez vu, la femme est encore déesse du ménage et déesse de la nuit. La nuit, c’est moins bien vu que le jour. Faudrait regarder les fonctions des dieux et les fonctions des déesses. Nous on a encore une fois les fonctions nulles. Le ménage !

C.P. : C’est pas le ménage, c’est l’hygiène ! (Rires) Ça montre une certaine intemporalité dans nos albums et nos visuels en réalité.

YEGG : Concernant cet album, vous dites assumer de passer d’une chanson plus calme à une chanson plus violente, sans forcément fil conducteur. Pourquoi ce choix ?

C.P. : Pourquoi faudrait toujours se priver et se restreindre ? On est libres !

J.L. : On a fait ce qu’on aimait en fait.

YEGG : Qu’est-ce qui a évolué dans votre manière de travailler depuis le début de votre formation ?

J.L. : Les méthodes d’enregistrement ont changé. On peut maintenant tout faire soi-même. On a aimé pouvoir composer et enregistrer en même temps. C’est agréable, c’est un luxe.

C.P. : On a notre studio, c’est pratique. Je nage mieux maintenant, c’est ça qui a évolué. (Rires)

YEGG : C’est votre fameuse manière de fonctionner : travail matin et soir et entre-temps, vous nagez…

J.L. : Oui, c’est ça. Ça nettoie l’esprit de nager. Quand on a trop le nez dans le guidon, c’est pas bon pour la création.

C.P. : Ça nous épargne de certaines nervosités.

YEGG : Comment définiriez-vous votre formation ?

J.L. : Un duo basé sur le violon et la voix. On a mis du temps à s’en rendre compte mais c’est vraiment ça.

Célian Ramis

Porte-parole des dominé(e)s par l'Occident

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La chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales dans son spectacle en création, Tapis rouge, prévu pour 2017.
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En résidence au Musée de la danse en février, la chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré a travaillé avec le musicien Seb Martel sur son spectacle Tapis rouge prévu pour 2017, qui dénonce l'exploitation des Africain-e-s par des multinationales.

Mettre les invisibles sur le devant de la scène. La chorégraphe Nadia Beugré en ressent la nécessité, en tant que « personne qui questionne », qui dénonce les injustices pour « contribuer au changement ». Dans son nouveau spectacle Tapis rouge, encore au stade expérimental, elle s'attaque aux conditions des personnes exploitées, femmes et enfants, dans les mines d'or et les champs de cacao en Afrique.

Elle a pris conscience de cette réalité lors de vacances au Burkina Faso, il y a deux ans. Pendant une fête, Nadia remarque des blessures sur les bras de femmes mineures. « Elles se coupent car le sang fait remonter l'or », raconte la danseuse d'origine ivoirienne, installée en France.

SOUS LES PAILLETTES

À son retour en France, où elle vit depuis sept ans, elle se sent obligée d'en parler lors de sa résidence « Sujets à Vif » proposée par le festival d'Avignon, la même année. « C'est un luxe, il y a du public ! », constate Nadia. Et ce public, c'est l'élite intellectuelle, celle qui décide, sacralisée sur un tapis rouge.

Le moment lui semble opportun pour « parler de ce qui se passe en dessous du tapis, des paillettes », des petites mains qui contribuent à la richesse des puissants vénérés.

Celle qui reconnaît elle-même faire partie de ce système le sait bien. Et la danseuse se fait porte-parole de ces Africain-e-s victimes d'une économie basée sur les intérêts financiers, avec la complicité des États :

« Nous ne sommes pas différent-e-s, aucun individu n'est plus important qu'un autre. »

RAPPORTS DE FORCE

Durant une semaine au Musée de la danse en février, le duo qu'elle forme pour ce projet depuis 2014 avec le guitariste Seb Martel, a exploré des sensations, des états intérieurs en improvisant avec un tas de terre. Lors des répétitions, « on ne cherche pas des mouvements ni des chorégraphies précises. Peu importe la forme, c'est ce qui ressort. Durant les répétitions, il y a des moments où on improvise pendant une heure, des rapports de force se créent entre nous et se modifient. On ne s'installe jamais dans un rôle précis », développe le musicien.

Tous les deux se sont focalisés sur les contraintes que subissent les travailleurs dans les mines : le manque d'oxygène lorsqu'ils se hissent au fond du puits, la terre qu'ils grattent sans s'arrêter, les bouts d'or qu'ils coincent entre leurs dents.

« Comment trouver la bonne manière d'en parler ? » Nadia Beugré a ce souci continu, afin d'essayer de se mettre à leur place et rapporter au plus près leurs vécus. Prochaine étape du projet  : partir travailler seule quelques semaines avec ces mineur-e-s au Congo ou au Burkina Faso.

« J'ai envie de prendre des risques, admet-t-elle. Ces jeunes qui ont besoin de manger en prennent. »

DOMINATION BLANCHE

Tapis rouge est aussi l'espace dans lequel la chorégraphe interroge les rapports de force entre Blanc-he-s et Noir-e-s, qu'elle vit toujours aujourd'hui. « Lorsque j'ai voulu passer les frontières américaines il y a un an, on m'a demandé mon passeport alors que toutes les autres personnes qui m'accompagnaient sont passées. Ce n'est pas moi qui ai crée ça, le racisme. Même si ce n'est pas de votre faute », se rappelle-t-elle, encore affectée, en s'adressant aux personnes de couleur blanche. Et toute cette colère, la chorégraphe l'utilise pour nourrir ce spectacle qui sera présenté en 2017.

Célian Ramis

Femmes du monde, militantes de la paix

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Maison des Associations de Rennes
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité, lancé le 23 mars dernier.
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« Je suis fatiguée d’être dans la lutte depuis 30 ans. Mais que faire ? Laisser tout ça ? Ce n’est pas responsable. Nous devons lutter. » Shura Dumanic, journaliste d’origine bosniaque et militante pacifiste pour les droits des femmes, lance un appel à la solidarité et au combat pour la paix et l’égalité. Le 23 mars dernier, elle figurait parmi les intervenantes, féministes et citoyennes du monde, venues défendre des espaces publics de paix et de non-violence, lors d’une conférence organisée par Mouvement de la Paix, à la Maison des Associations de Rennes.

Au mois de mars, les luttes des femmes pour l’accès aux droits et à l’égalité des sexes sont chaque année mises en avant dans la capitale bretonne. En 2016, le contexte de tensions internationales résonne dans la programmation et les diverses conférences destinées à aborder la condition des femmes à l’étranger et rompre les tabous et stéréotypes alimentés par les Occidentaux-tales.

Plusieurs voyages en cultures connues et/ou inconnues nous ont mené en Inde, en Afrique, au Proche et au Moyen Orient, au Maghreb, au Mexique ou encore au Québec, multipliant les visions et les points de vue autour des femmes dans le monde et démontrant l’importance de la lutte pour les droits des femmes et l’égalité des sexes. La conférence du 23 mars venait alors comme une synthèse à tous les événements organisés durant ce mois de mars. Loin d’une conclusion, elle brise les frontières et ouvre la réflexion sur tous les aspects des féminismes.

FEMMES KURDES ET TURQUES CONTRE LA RÉPRESSION

En France depuis 2 mois, Miral souhaite apprendre le français. À la Maison des Associations, elle parle en turc, traduite par son amie, Hayral. Elle milite au sein du parti pro kurde et au congrès des femmes libres, et dénonce la politique répressive d’Erdogan président de la République de Turquie, qui a récemment rappelé – à l’occasion de la journée internationale pour les droits des femmes – que les femmes restent avant tout des mères.

Pour elle, la situation en Turquie est alarmante. La mentalité islamiste et répressive atteint tous les mécanismes de l’état turc et la place au même niveau que la pratique terroriste de Daesh.

« Erdogan tient des propos sexistes et empêche l’émancipation des femmes donnant lieu à des réalités atroces. »
scande-t-elle.

Et ces réalités, elle les liste : recrudescence des violences faites aux femmes, culpabilisation des femmes en cas de viol, augmentation des mariages forcés d’enfants et d’adolescentes… « Une femme enceinte ne peut pas se promener dehors, une femme ne peut pas rigoler sans risquer de donner envie à un homme, un père a le droit d’avoir envie de sa fille. Sans oublier la réduction de peine dans un cas de violence sexuelle si le coupable a éjaculé rapidement ou si sa victime est une femme handicapée… Récemment, il y a eu une affaire de viols sur 45 enfants. Le gouvernement ne veut pas en parler, minimisant les faits car ‘’les viols n’ont été faits qu’une seule fois’’. »

Mais la militante transmet aussi dans son discours la volonté, détermination et force des femmes kurdes et turques, qui manifestent main dans la main le 8 mars dans les rues d’Istanbul. « Elles ne se laissent pas faire, elles n’acceptent pas, elles se battent et elles résistent. », affirme Miral qui rappelle toutefois que les guerres, comme celle qui oppose les kurdes aux turques ou comme celles que mènent Daesh, notamment envers les femmes, kidnappant les femmes yézidies, les forçant à se marier et à se convertir à l’Islam, font des enfants et des femmes leurs premières victimes.

« Nous demandons à l’état turc de cesser les violences envers les femmes. Il est important de comprendre le rôle attribué aux femmes, la situation des kurdes, et de comprendre que la paix ne pourra s’obtenir qu’en libérant les femmes dans tous les domaines de la vie. »
insiste Miral.

FEMMES MEXICAINES CONTRE LES FÉMINICIDES

De son côté, la militante mexicaine Elena Espinosa attire l’attention sur les féminicides en Amérique latine. « Quand je suis arrivée en France, je me suis intéressée à l’image que les gens avaient concernant le Mexique. J’ai entendu « narco, pauvre, tequila, fajitas, machos… » mais personne ne parlait des féminicides. », déplore-t-elle avant de donner des chiffres effarants sur la situation mexicaine : 6 femmes sont assassinées chaque jour, 1014 féminicides ont eu lieu ces dix dernières années, toutes les 9 minutes une femme est victime de violences sexuelles.

Au Mexique, l’Observatoire National Citoyen des Féminicides reconnaît l’horreur de la situation et la dénonce. Tout comme les Argentin-e-s se mobilisent contre ce crime, consistant à assassiner des femmes en raison de leur sexe. Une lutte qui a suscité la curiosité de l’auteure Selva Almada qui a mené une enquête sur 3 meurtres de jeunes femmes, survenus dans les années 80 dans la province Argentine et jamais élucidés. En octobre 2015, son livre Les jeunes mortes est un coup de poing engagé et nécessaire au réveil des consciences.

« Motivés par la misogynie, les violences extrêmes, ils ont recours à l’humiliation, l’abandon, les abus sexuels, les incestes, le harcèlement… Cela révèle un rapport inégal entre les hommes et les femmes dans tous les domaines. »
rappelle Elena.

Pour elle, une des solutions réside dans la dénonciation des faits par le biais des arts et de l’humour. « Avec le collectif Les Puta, on identifie les éléments culturels et on réfléchit ensemble à comment le mettre en scène dans une pièce de théâtre par exemple. Avortement, diversité culturelle, homosexualité, violences de genre… Il faut ouvrir des espaces publics pour créer la paix. », conclut-elle.

FEMMES SOLIDAIRES POUR LA PAIX

Shura Dumanic, militante pacifiste et journaliste bosniaque, réfugiée en Croatie, et Fathia Saidi, militante féministe et présentatrice radio et télé en Tunisie, insistent sur la solidarité internationale. Encore marquée par les guerres des Balkans, Shura Dumanic explique : « La guerre divise les gens et empêche la reconstruction et le développement d’un pays. Il n’y a plus d’esprit de construction, de confiance, plus de volonté de reconstruire la vie. »

Pour elle, sans la solidarité de la France et de l’Italie, la situation n’aurait pas été supportable. « Les femmes témoignent d’une grande force, d’une force terrible, qui doit vivre ! Entre nous et à l’extérieur. Avec le réseau des femmes de la Croatie, nous avons réussi à changer 3 lois sur les violences, sur la participation des femmes à la vie politique et sur la famille. Ça nous a pris 15 ans mais c’est possible ! Nous devons changer notre culture, changer la culture de la violence et aller vers la culture de la non-violence. Interdire la guerre, liée à la violence domestique, et surtout résister contre la division ! », scande-t-elle, fatiguée mais emprise d’espoir.

Fathia Saidi revient sur l’importance de la lutte contre la culture patriarcale du père, du mari, du frère et du fils. Casser la représentation de la femme objet. Voir enfin la femme comme un sujet. Dans le monde arabe, la Tunisie figure comme une exception, un symbole de la lutte féministe acharnée et qui ne lâche rien. Les lois pour les droits des femmes se multiplient, mais ne s’appliquent pas forcément. Les femmes manifestent, luttent, défilent, aident à l’avancée du pays en temps de révoltes et de révolutions, puis disparaissent de la circulation.

« Dans la Constitution, l’article 21 stipule la non discrimination entre les sexes mais le combat reste permanent et doit se faire davantage. », souligne-t-elle. Pour la militante tunisienne, l’avancée des droits des femmes est le meilleur indicateur d’une société en progrès :

« L’avenir de la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités. »

La solidarité doit alors servir à créer des réseaux au sein d’un même pays mais également entre les pays, comme tel est déjà le cas entre les pays du Maghreb par exemple : « Il faut combattre les violences pour changer les mentalités, faire participer les femmes aux politiques publiques, éduquer nos jeunes à la culture de la paix et apprendre le respect de la différence. Et là peut-être qu’on arrivera à des sociétés moins violentes. » Le chemin est long mais pas impraticable. Aux femmes de prendre leur liberté, comme le conseillait Nadia Aït-Zaï, à la MIR le 15 mars dernier.

Célian Ramis

Que les femmes arabes arrachent leur liberté !

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Maison Internationale de Rennes
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prônait l’avocate Nadia Aït Zaï, le 15 mars dernier, à la MIR, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie.
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Les femmes doivent arracher leur liberté ! C’est ce que prône l’avocate Nadia Aït Zaï, également professeure à la faculté de droit d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’information et de documentation sur les droits de l’enfant et de la femme. Le 15 mars dernier, à la MIR, la militante pour les droits des femmes abordait les conditions de vie des femmes algériennes mais aussi tunisiennes et marocaines, à l’occasion d’une conférence sur les formes de libération des femmes en Algérie, organisée par l’association de jumelage Rennes-Sétif.

« Les images qui vous viennent en France, de par les faits divers, les journaux, les journalistes, etc. donnent une image de la femme algérienne sans aucun droit. La situation est encore inégalitaire et discriminatoire mais elle évolue favorablement. Je fais partie d’un mouvement féminin, je ne sais pas si je suis féministe mais il faut toujours essayer de défendre les droits des femmes, considérer la femme comme un individu, un sujet de droit. Car tout tourne autour de ça. », lance Nadia Aït Zaï au commencement de sa conférence.

Tout comme le précise Fatimata Warou, présidente de l’association Mata, à Rennes, dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole, « on considère souvent que la femme n’a pas de valeur, elle est chosifiée ». Et cette image colle à la peau des femmes du continent africain, du Moyen Orient et du Proche Orient. En témoignent toutes les intervenantes invitées à s’exprimer dans le cadre de la programmation du 8 mars à Rennes. Une explication pour l’avocate algérienne : les guerres d’indépendance et les périodes post libération.

BAISSER LES ARMES

Pourtant, les femmes du monde arabe – Maghreb et Egypte – ont participé à ces luttes. « Elles ont bravé la tradition pour la guerre d’indépendance (1954 à 1962, en Algérie, ndlr), certaines ont fait le maquis, ont pris les armes, ont brisé la digue des interdits ! », scande Nadia Aït Zaï. Mais, poursuit-elle, une fois l’indépendance déclarée, la digue a été refermée sur les femmes, lâchées par les hommes :

« Elles ont été éloignées du vrai combat, de la vie politique. C’est à partir de là que va se nourrir l’image qu’ont les politiques, les sociétés sur nous. »

Malgré le droit de vote (droit d’être éligibles et électrices) obtenu en 1944, elles n’ont pourtant pas un réel accès à la représentativité, une petite dizaine d’élues seulement accédant au Parlement dans les années 60 et 70. Le droit au travail n’est pas non plus saisi comme élément libérateur, seul 18% de la population féminine travaillant en Algérie.

« C’est le taux le plus bas du Maghreb. Il a été libérateur à un moment mais il n’est plus considéré tel quel. Selon une enquête de 2013, 18% des célibataires travaillent, 11% des femmes mariées, 30% des femmes divorcées et 6% des veuves. En fait, quand les femmes trouvent des maris, elles quittent leur emploi. Elles travaillent pour se faire un trousseau comme on dit ! Pour le jour du mariage…, ironise Nadia Aït Zaï. Il y a eu tout un travail insidieux de la part des islamistes dans les années 90. »

En effet, quelques années plus tôt, le Code de la famille est voté. En 1984, précisément. Et sur ce point, les femmes n’ont pas voix au chapitre, malgré les manifestations et contestations de la part des féministes, y compris de Zohra Drif, sénatrice et épouse de Rabah Drif, alors président de l’Assemblée populaire nationale. Le Code de la famille réinstaure des éléments de la charia, instaure une tutelle pour diminuer les droits juridiques des femmes, maintenues sous la coupe masculine et patriarcale, et légalise entre autre la polygamie. Sans oublier qu’il vient contredire et rompre les articles et principes de la Constitution de 1976 signifiant l’égalité de tous les citoyens.

Une double dualité s’instaure : être des citoyennes dans la sphère publique et être considérées comme mineures dans la sphère privée.

50 ANS DE MOBILISATION

« Pourtant, il y a 50 ans déjà, la liberté et l’émancipation semblaient promises aux femmes arabes. Alors que leurs pays accédaient à l’indépendance, certaines d’entre elles, comme les actrices et danseuses égyptiennes exposaient fièrement un corps libre et sensuel. Et les leaders politiques de l’époque, libérateurs des peuples, déclaraient tous aussi vouloir libérer les femmes. 50 ans plus tard, les femmes arabes doivent pourtant lutter plus que jamais pour conquérir ou défendre leurs droits chèrement acquis. Et leur condition ne s’est pas vraiment améliorée. Ou si peu. Que s’est-il passé ? Et comment les femmes arabes parviendront-elles à bousculer des sociétés cadenassées par le sexisme et le patriarcat ? »

C’est l’introduction et les questions que pose la réalisatrice Feriel Ben Mahmoud en 2014 dans le documentaire La révolution des femmes – Un siècle de féminisme arabe. Un film qui raconte leurs luttes et leur histoire. Et montre surtout la détermination de ces femmes à acquérir leur liberté et l’égalité des sexes. Pour la présidente du Ciddef, « l’égalité est virtuelle, elle est à construire. Mais des efforts ont été faits. »

Dès le début du XXe siècle, des hommes, comme le penseur tunisien Tahar Haddad, et des femmes, comme la militante égyptienne Huda Sharawi – désignée dans le documentaire comme la première femme féministe arabe, elle a retiré son voile en public en 1923, créé l’Union féministe égyptienne et lutté pour la coopération entre militantes arabes et militantes européennes – se mobilisent pour défendre les droits des femmes et affirmer l’idée que la libération des pays arabo-musulmans ne peut passer que par l’acquisition de l’égalité des sexes, la modernité d’une société se mesurant sur ce point-là, comme le précise l’historienne Sophie Bessis en parlant de « pensées réformistes, modernistes », concernant l’Egypte, le Liban, la Syrie et la Tunisie.

Un discours que tiendra également la présentatrice radio et télé, et militante féministe Fathia Saidi, le 23 mars lors de son intervention à la conférence "La lutte des femmes à travers le monde pour un espace public de paix et de non-violence", organisée à la Maison des Associations de Rennes : "C'est à travers les droits des femmes que l'on mesure les progrès d'une société. L'avenir pour la Tunisie, ce sont les femmes. Et elles se battent contre la régression des mentalités."

C’est dans cet esprit que le penseur égyptien Kassem Amin, en 1899, affronte l’idéologie religieuse interprétée par des hommes. Il ne s’oppose pas à l’Islam mais bel et bien à l’interprétation des traditions et des textes, considérant que la libération des femmes permettrait de lutter contre le déclin d’un pays. « Imposer le voile à la femme est la plus dure et la plus horrible forme d’esclavage. C’est quand même étonnant, pourquoi ne demande-t-on pas aux hommes de porter le voile, de dérober leur visage au regard des femmes s’ils craignent de les séduire ? La volonté masculine serait-elle inférieure à celle de la femme ? », s’interroge-t-il.

L’INSPIRATION DE LA TUNISIE

Habib Bourguiba, en 1956, devient le premier Président de la république en Tunisie. Il proclame le Code du statut personnel, qui abolit la polygamie et la répudiation, instaure le divorce et fixe l’âge légal du mariage à 17 ans. Il dévoilera même plusieurs femmes en public et, sans aller jusqu’à l’égalité entre les femmes et les hommes, inaugurera le féminisme d’Etat. Education gratuite, droit au travail, création du planning familial, accès à la contraception dès la deuxième moitié des années 60, légalisation de l’avortement, sans condition et pour toutes les tunisiennes, en 1973… La Tunisie est et reste une exception au sein du monde arabe.

Car si certains pays ont essayé de promouvoir une autre image de la femme, notamment en Egypte, qui dans les années 50 sera le centre du cinéma arabe et montrera des figures féminines modernes, le colonel Nasser, au pouvoir depuis 1956, ne pourra s’opposer très longtemps aux conservateurs que sont les membres de la Société des frères musulmans.

Malgré la marginalisation du combat des femmes dans la plupart des pays arabes après l’obtention de leur indépendance, les mouvements féministes ne vont pas se contenter des quelques droits obtenus et vont créer une cohésion entre pays maghrébins. Pour l’Algérie, ce sont de longues années de lutte profonde qui voient le jour dans les années 90.

CHANGER LES LOIS ET LES MENTALITÉS

Le Ciddef, créé en 2002, ne lâche rien et travaille constamment sur des actions et des plaidoyers permettant de faire évoluer les lois. Pendant 12 ans, la structure a lutté pour obtenir une loi instaurant des quotas (2012), permettant ainsi aux femmes d’accéder aux fonctions électives et administratives. Ainsi, 147 femmes ont été élues au Parlement lors des dernières élections législatives.

Mais si les lois évoluent, les mentalités sont quant à elles extrêmement difficiles à changer. Et les femmes que Charlotte Bienaimé, auteure de documentaires sur France Culture et Arte Radio, a rencontrées et interviewées - en sillonnant à partir de 2011 divers pays arabes – l’affirment. Elles s’insurgent, critiquent, analysent, décryptent, observent et témoignent de leurs vécus dans le livre de la journaliste, Féministes du monde arabe, publié aux éditions Les Arènes en janvier 2016.

Madja est algérienne. Elle a 27 ans au moment de l’échange avec Charlotte Bienaimé et vit à Alger. Elle explique, page 76 : « Les gens estiment que pour que les femmes sortent, il faut qu’elles aient une bonne raison. Et après 18h, il n’y a plus de bonnes raisons. On n’est pas censées travailler, ni avoir cours. Pour eux, le soir, si les femmes sont dehors, c’est qu’elles veulent être agressées ou c’est qu’elles se prostituent. La nuit, tout est permis. Les mecs, on dirait des loups-garous. Ça devient très agressif. Les agressions sont verbales et physiques. »

LES LUTTES RÉCENTES ET EN COURS

Actuellement, les militantes œuvrent pour l’égalité sur l’héritage. « Nous y travaillons depuis 2010 et nous n’avons pas encore eu de réactions violentes… Il faut savoir qu’il y a des discriminations sur l’héritage, les femmes n’ont pas les mêmes parts. Et il y a des familles avec que des filles. Là, un cousin mâle éloigné peut se pointer pour hériter avec elles. C’est injuste. La Tunisie a déjà exclu cette possibilité et nous souhaitons l’exclure également. », explique Nadia Aït Zai.  

Si le gouvernement a abrogé la notion du chef de famille en Algérie (un combat actuellement mené par les tunisiennes et les marocaines) et par conséquent le devoir d’obéissance au chef de famille, la tutelle est, elle, toujours effective lors de la conclusion du contrat de mariage. Un point devant lequel le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, n’a pas voulu fléchir en 2005 lors de la réforme du Code de la famille. Il impose néanmoins le consentement comme élément essentiel de l’acte matrimonial, notamment en ce qui concerne la polygamie.

Côté divorce, l’homme peut toujours répudier sa femme. « Elles en souffrent depuis 1985 ! Et le ministère ne donne pas les vrais chiffres de la répudiation », précise la présidente du Ciddef. Pour les femmes, le divorce par compensation financière est autorisé. L’ex-épouse doit alors restituer la dot.

« Elles utilisent toutes ça ! Pendant un temps, la pension alimentaire était dérisoire, voire pas versée du tout. Aujourd’hui, on vient juste de créer un fonds de pension, une garantie pour la pension. », souligne-t-elle.

Autres avancées récentes en faveur des femmes : la transmission de la nationalité de la mère à son enfant et la garde prioritaire de l’enfant à sa mère en cas de divorce. Rien n’est à noter cependant concernant le fait que l’homme conserve tous les biens matrimoniaux, comme le logement conjugal par exemple, après la séparation. Mais si des progrès permettent à la société d’évoluer vers des conditions de vie moins critiquables, les féministes algériennes réclament l’abolition complète et totale du Code de la famille.

CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

En mars 2015, les députés votent une nouvelle loi contre les violences faites aux femmes, durcissant les peines de réclusion mais permettant aussi à l’auteur du crime de s’en sortir indemne si son épouse lui pardonne. Les élus islamistes s’insurgent contre cette nouvelle mesure. Disant que cela déstructure la famille :

« Pour eux, il ne faut pas toucher à ce qui se passe dans l’espace privé. Mais c’est là que les violences ont lieu. C’est bien la preuve que la femme ne peut pas être libre. »

Dans son enquête, Charlotte Bienaimé aborde la question des violences sexuelles dans un sous-chapitre intitulé « Terrorisme sexuel ». Tandis que les tentatives d’explications se multiplient, la plus avancée nous informe-t-elle subsiste celle de la frustration due à l’interdiction des relations sexuelles avant le mariage. Amina, militante en Algérie, s’offusque, pages 98 et 99 :

« Nous aussi, les femmes, nous sommes frustrées et on n’agit pas comme ça. Alors, on se dit que c’est peut-être l’âge, mais les gamins et les vieux le font aussi. Ou alors, ce sont les vêtements qu’on porte, mais les filles voilées aussi sont agressées. Ce n’est pas non plus le milieu social parce qu’il y a des hommes aisés harceleurs alors qu’ils ont fait de grandes études. C’est pour ça que maintenant, on identifie le patriarcat en tant que tel comme cause principale. »

Elle explique alors que c’est le terrorisme qui a amené le pays à parler des viols, en reconnaissant aux femmes violées le statut de victime du terrorisme. De là, le ministère de la Santé a souhaité lancer une enquête sur les violences conjugales.

« Il en va de la responsabilité de l’Etat de protéger les femmes de la violence conjugale. Mais c’est une question de contrôle du corps de la femme aussi. »
interpelle Nadia Aït-Zaï.

Pour la militante, les politiques publiques doivent redoubler d’effort et donner aux femmes, depuis trop longtemps enfermées dans des carcans traditionnalistes, le droit de prendre part au développement économique du pays.

« Les textes ont suivi dans le Code civil, le Code du travail, la Constitution avec le principe de l’égalité, l’accès à la santé et à l’éducation. Aujourd’hui, 62% de filles sortent de l’université, c’est plus que les hommes. On atteint presque la parité en matière de scolarisation. Pareil pour la santé. Avec une politique de planning familial repensant le nombre d’enfants par famille à 3 ou 4. Le Planning familial travaille actuellement à la dépénalisation de l’IVG. Il y a la possibilité de l’avortement thérapeutique mais certains médecins refusent de le faire. Les Algériennes vont en Tunisie pour avorter. Tout prend du temps car il faut que les politiques publiques se mettent en place. Mais les droits, nous les arrachons ! », développe-t-elle.

ARRACHER LEURS DROITS, LEUR LIBERTÉ

Son leitmotiv : la liberté, c’est à la femme de s’en saisir, de la prendre. « Mais certaines n’ont pas le courage de faire une rupture avec la tradition. Elles se disent modernes mais en public elles parlent de Dieu », regrette-t-elle. La question du voile ressurgit. La liberté serait-elle acquise par le voile ? Serait-ce une forme de libération ? Ce n’est pas un débat qu’elle souhaite avoir. Néanmoins, elle se permet de donner son point de vue, sans s’étaler :

«  Le foulard ne libère pas mais celles qui le portent pensent que ça libère. Car il les libère d’une interdiction. Celle d’aller dans l’espace public. Elles le pensent alors comme une protection. À Alger, j’ai constaté qu’elles l’enlevaient de plus en plus. Mais à l’intérieur du pays, toutes les femmes sont voilées. » Pour elle, pas de secret. C’est l’indépendance économique qui permettra la libération des femmes.

En décembre 2013, comme dans tous les numéros de la revue, elle signe l’édito du magazine du Ciddef et termine ainsi : « Ne soyons pas en dehors de cette histoire qui doit se faire avec nous. Sans nous il n’y aura pas de société saine et équilibrée ni de politique appropriée. » Elle le répète jusqu’à la fin de la conférence :

« C’est la femme qui doit arracher sa liberté ! ».

Un discours qui concorde avec celui de l’ancienne journaliste algérienne Irane, révélé dans l’enquête et ouvrage Féministes du monde arabe. Charlotte Bienaimé met en perspective la révolte, lutte du quotidien, à travers l’expérience d’Irane, dans une société de communication, page 39.

« On parle souvent des femmes victimes, des femmes violées, des femmes battues, du harcèlement sexuel dans la rue, etc. Mais on ne parle jamais de ces femmes algériennes actives qui sont violentées, mais extrêmement violentées tous les jours à la maison, au travail, parce qu’elles sont tout simplement des femmes. Si les femmes reprennent la parole, si elles disent ce qu’elles pensent, si elles le balancent comme ça, ça va choquer, mais ça va faire, disons, un équilibre, un contre-pouvoir. Les femmes doivent avoir accès à la parole. » (…)

« Chaque fois, on me renvoie à ma position de femme. ‘’Tu es une femme, on devrait pas t’écouter, d’ailleurs tu ne sais pas.’’ Donc, quand je fais des réunions, je dis, ‘’écoutez, vous la bande de machos là-bas’’, je dis ça comme ça, ouvertement, je les secoue, et je leur dis : ‘’Je sais, ça vous fait très mal parce que je suis une femme mais vous devez changer votre mentalité, le monde ne marche plus comme ça, il faudra se remettre en cause. Je sais, vous n’êtes pas d’accord parce que je suis une femme et ce n’est pas ma place, mais malheureusement, je suis là et c’est ma place et je suis votre responsable et vous devez m’écouter.’’ Donc, quand on voit que je suis assez forte, je le dis d’une manière assez directe, je leur laisse pas trop le choix, ça marche. Pas tout le temps, mais ça marche. »

Célian Ramis

Pour l'engagement politique au Niger

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Maison Internationale de Rennes
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Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée.
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Investir la vie politique, intégrer les fonctions électives ainsi que les administrations lorsque l’on est une femme, la loi nigérienne le permet depuis plus de 15 ans. Mais n’est pas toujours bien respectée. L’association Mata, fondée à Rennes en 2003, forme les femmes engagées en politique et/ou dans le monde associatif au Niger pour les aider à prendre confiance en elles et ainsi accéder à des postes à haute responsabilité. Sa présidente et fondatrice, Fatimata Warou, proposait le 12 mars dernier, un arbre à palabres à la Maison Internationale de Rennes afin d’échanger autour des bouleversements politiques et sociétaux que le Niger a opéré ces dernières années.

Depuis l’indépendance du Niger en 1960, les réformes administratives favorisent la décentralisation du pays et les femmes profitent des différentes fonctions électives qui se créent dans les conseils municipaux, départementaux ou encore nationaux et des postes d’Etat à haute responsabilité. Au début des années 2000, les députés votent pour une loi instaurant des quotas : 10% de femmes dans les fonctions électives et 25% dans les administrations d’État.

« Quand le quota n’est pas respecté, la liste électorale est rejetée. », assure Fatimata Warou. Elle évoque ici le quota de 10%, élevé à 15% par l’Assemblée Nationale du Niger en 2014 lorsque le nombre de députés passe de 113 à 171. Un pourcentage qui reste encore très faible et qui n’est pas toujours très respecté quant aux 25% de femmes nommées au Gouvernement et aux postes administratifs.

C’est dans l’objectif d’aider les femmes à intégrer les instances décisionnelles que s’est créée l’association Mata (qui signifie « Femme »), en 2003 à Rennes avant que soit développée une structure parallèle au Niger. Parce que du point de vue de la présidente bretonne « mettre en valeur la réduction des inégalités des sexes est une donnée indispensable au fonctionnement des sociétés. »

Aujourd’hui, elles doivent encore se battre, redoubler d’effort, pour accéder à l’éducation, à l’alphabétisation, et poursuivre leurs études. « Les hommes craignent qu’une femme ouvre la porte aux autres femmes. C’est un acte politique de nommer une femme. », explique la maire de Niamey dans le documentaire de Karine Hannedouche, Pour que l’oiseau s’envole.

S’ÉMANCIPER ENSEMBLE

Le film montre que, dans l’un des pays le plus pauvre du monde en terme d’indice de développement par habitant, le chemin à parcourir est encore très long mais des bouleversements s’opèrent. Comme dans toutes les sociétés emprises de traditions religieuses et d’interprétations masculines des textes sacrés, les lois ne suffisent pas à faire avancer les mentalités qui, elles, s’obstinent à « chosifier la femme ».

La gent féminine engendre alors sa propre émancipation et libération, créant au Niger des groupements leur permettant de partager les tâches du quotidien, de travailler ensemble les terres, d’accéder à la propriété - ce qui constitue une petite révolution dans le pays – et d’utiliser les bénéfices mis en commun pour obtenir des micro-crédits ou acheter du matériel. Elles se battent alors pour le droit au travail et au salaire. Un salaire personnel qui ne reviendrait pas, de fait, à la famille comme le pécule par exemple qu’elles récoltent de l’activité qui leur est réservée, la poterie.

L’association Mata, en France comme au Niger, ainsi que les femmes investies dans la vie politique, agissent depuis plus d’une dizaine d’années pour l’accès à l’information des femmes qui en sont les plus éloignées :

« Il faut aller dans les coins reculés, rencontrer les femmes qui ne comprennent pas le système politique, leur expliquer clairement en langue nationale ! Les femmes doivent se lever ! »

Et s’envoler, le documentaire de Karine Hannedouche se clôturant sur une image poétique, l’oiseau ayant besoin de ses deux ailes pour voler : l’homme et la femme.

Depuis 2004, les formations initiées par Fatimata Warou s’effectuent en étroite collaboration avec les ministères de la Défense, de la Promotion des Femmes, de la Décentralisation, les associations féminines et les partis politiques. Le but : donner confiance à toutes celles qui militent depuis plusieurs années pour leur donner la possibilité de s’exprimer en public et se faire entendre. Une initiative qui a porté ses fruits puisque depuis elles ont accédé aux ministères de l’Education, de la Promotion des Femmes et de l’Enfant, au poste de préfet-maire de la capitale nigérienne, elles sont devenues députées ou encore ambassadrices.

« Elles votent des lois, elles influencent les décisions municipales par exemple, elles disent quand elles ne sont pas d’accord et se battent jusqu’à obtenir gain de cause. Avant, elles n’osaient pas, par peur du jugement des autres. Aujourd’hui, elles parlent à la TV, défendent des causes comme les centres d’alphabétisation, l’engagement dans les groupements. Elles sont investies pour faire évoluer leurs causes ! Elles sont cheffes d’entreprise, investissent les domaines économiques et internationaux… », s’enthousiasme la présidente de Mata, Fatimata Warou.

POIDS DE LA TRADITION

Mais comme l’ont révélées les nombreuses conférences sur les inégalités entre la sphère publique et la sphère privée, notamment celles sur l’Inde, l’Iran ou encore l’Algérie, si à l’extérieur, on peut voir une évolution des droits des femmes, à l’intérieur du foyer, les femmes restent discriminées et infériorisées par rapport aux hommes. Entre le code Napoléon et la loi musulmane, les conflits internes ne sont pas résolus.

« C’est la loi juridique qui prime mais dans les campagnes, il suffit à l’homme de dire 3 fois ‘je te divorce’ et c’est fait ! On est au XXIe siècle quand même ! », s’écrie Fatimata, qui précise que dans l’autre sens, cela est impossible, la femme devant procéder à une répudiation arbitraire, comme l’expliquera également l’avocate Nadia Aït Zai lors de sa conférence sur les formes de libération pour les femmes en Algérie, le 15 mars dernier.

Pour la présidente de Mata, « la suprématie de l’homme sur la femme vient du fait qu’il utilise et interprète le Coran. » Difficile de dépasser le système patrilinéaire, désignant ainsi le père comme chef. Ainsi, lorsqu’une femme accouche, l’enfant appartient à l’homme. Et pour les terres, même discours. Une fois le mari décédé, ce sont les enfants qui héritent, non l’épouse.

ALLIER LE TOUT

Ainsi, les modes de vie s’opposent entre tradition et modernité. Entre coutume et émancipation. Ce jour-là, à la MIR, la proposition de Fatimata est de procéder à un arbre à palabre. Plutôt qu’une conférence magistrale, le micro circule dans la salle afin que les unes et les autres témoignent de leurs expériences. Et les récits de vie dévoilent l’importance de l’école, souhaitée et encouragée par les mères qu’elles soient nigériennes, congolaises ou angolaises. Ces femmes chercheraient-elles à fracturer le poids de la tradition à travers une transmission mère-fille axée ardemment sur l’éducation ?

« Ma mère nous poussait en nous disant que le monde était en train de changer, que dans le futur il n’y aura plus de filles et de garçons. Mais que pour l’instant, les garçons naissent avec tous les droits alors que les filles doivent acquérir leurs droits. Elle nous a permis de comprendre beaucoup de choses, elle était très en avance. Nous devons pousser les filles à aller vers l’école et à poursuivre leurs études. », explique une participante, originaire du Congo. Elle est suivie du parcours d’une jeune femme venue du Tchad :

« J’ai eu ma fille à 16 ans. Ma mère était analphabète mais connaissait la réalité, l’importance de l’école et nous poussait à nous intéresser à l’école. Quand j’étais en terminale, je préparais mon bac et ma fille pour la maternelle. Il faut avoir du courage et persévérer ! »

En raison de la crise, les filles accèdent davantage à l’éducation, afin qu’elles puissent participer à la vie économique. Mais Fatimata Warou l’assure, l’école est encore mal vue pour les jeunes filles : « Surtout dans les campagnes, on les considère comme un lieu de déperdition. Les filles doivent se marier vierges et on a peur qu’en partant faire des études, elles tombent enceintes. »

Evidemment, le sexe est tabou. Et tout comme l’avaient souligné Cala Codandam et Fariba Abdelkhah, à la MIR également dans le cadre du 8 mars, la présidente de l’association Mata le confirme : l’éducation se construit dans les interdits et cela se transmet et perdure. La contraception est accessible aux femmes mais la société n’en parle pas :

« Tout se vit en cachette, on doit vivre cacher, ne pas montrer ses sentiments. C’est comme ça, ça ne veut pas dire que ce n’est pas bien, je pense que d’un côté ça évite les débordements. Mais cela nous brime dans nos désirs, dans nos besoins et cela nous suit tout au long de notre existence. »

LUTTER CONTRE L’EXCISION ET LA FISTULE

Si cela évite parfois les débordements, dissimuler les méandres de la sphère privée peut s’avérer dangereux pour la santé des femmes. Notamment celles sur qui l’excision ou les multi accouchements sans soins annexes provoquent des infections comme la fistule.

Les femmes touchées par cette malformation – ici entre le vagin et l’anus -, souvent, sont rejetées par les maris, les familles et sont exclues du village, à cause des odeurs pestilentielles qu’elles dégagent. « Elles sont alors considérées comme impures », souligne Fatimata Warou qui lutte avec Mata contre l’excision et pour la réparation des corps des femmes atteintes de fistule.

Les délais pour les opérations sont longs. Les femmes sont éloignées de leurs familles, couper de tout lien social. Et plus d’une centaine de cas sont détectés chaque année. Pas uniquement au Niger mais également au Congo, au Mali, au Sénégal ou encore en Côte d’Ivoire – là où la rennaise d’adoption Martha Diomandé lutte grâce à son association ACZA qui fêtera le 26 mars ses 10 ans d’existence avec la projection du documentaire La forêt sacrée et le concours de Miss Africa 2016, à la Cité.

« Il y a des violences sur le sexe des filles, des viols depuis le plus jeune âge, par des personnes différentes ! Il faut vraiment continuer à se battre. Nos formations ont été intégrées aux politiques nationales du Niger pour la réinsertion sociale, la chirurgie réparatrice et le travail auprès des matrones. », conclut Fatimata.

Célian Ramis

Les Iraniennes lèvent le voile sur les interdits

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Le désir d’émancipation des femmes en Iran n’a pas attendu que l’on braque nos regards dessus pour se faire ressentir. L’anthropologue Fariba Adelkhah évoque la place des femmes dans la société iranienne.
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Le désir d’émancipation des femmes en Iran n’a pas attendu que l’on braque nos regards dessus pour se faire ressentir. À l’occasion du 8 mars, l’anthropologue et directrice de recherche au CERI (Centre de recherches internationales) à Sciences Po Paris, Fariba Adelkhah, était de passage à la Maison Internationale de Rennes le 7 mars dernier, pour évoquer la place des femmes dans la société iranienne.

Spécialiste de l’anthropologie sociale et politique en Iran, Fariba Adelkhah pose une problématique essentielle pour comprendre, et sans doute changer le regard des Occidentaux-Occidentales sur la situation actuelle : comment, à travers les bouleversements politiques en Iran, les femmes ont su résister et contourner les lois pour préserver leur place au sein de la société ?

Elle précisera à plusieurs reprises :

« Toute forme d’interdit provoque une situation. Je ne suis pas en train de soutenir les interdictions mais l’objectif est de voir comment la société les contourne. »

Et ces interdictions, elle les pointe dès lors que la dynastie Pahlavi est renversée en Iran. En 1979, la révolution islamique aboutit à la destitution du Shah d’Iran, au pouvoir depuis le début des années 50, au profit de l’Ayatollah Khomeini. Mais les mouvements pour les droits des femmes ont commencé à se soulever bien avant cette période. Notamment lors de la révolution constitutionnelle au début du XXe siècle.

DROITS DES FEMMES

Sous le règne de Reza Shah, des écoles pour les filles voient le jour dans les grandes villes, jusqu’à la création d’un système d’éducation nationale sans distinction pour les filles et les garçons et l’accessibilité à l’apprentissage à l’Université de Téhéran. À la même époque, au milieu des années 30, le port du voile est interdit en public.

« C’était assez violent. Les femmes se sont retirées de l’espace public. Il y avait peut-être 20% des femmes, dans les grandes villes, qui étaient voilées. Et c’est un chiffre à prendre avec des pincettes, je n’en suis pas très sûre. »
souligne Fariba Adelkhah.

Son fils, Mohammad Reza Shah, accorde, entre autre, dans les années 60, le droit de vote et d’éligibilité aux femmes et passe l’âge légal du mariage à 18 ans dans les années 70 (fixé à 15 ans, en 1931, au lieu de 13 ans). Mais si les femmes acquièrent des droits politiques et civiques importants, portés par des courants de modernité et de modernisation du pays, la population se soulève contre la tyrannie de la dynastie Pahlavi, comme le définira Khomeini, qui a pris la tête des forces religieuses.

Et ce dernier appelle les femmes à prendre part à la révolution islamique. La révolte qui éclate n’est au départ pas fondamentalement religieuse : « L’Islam, à ce moment-là, était signe d’anti-impérialisme et d’anti traditionalisme. » Lutter contre l’impérialisme de l’Occident, en particulier celui des Etats-Unis, et maintenir le calme dans la société pour éviter le retour du roi, les priorités sont claires.

« Mais les femmes vont être les maillons faibles. Et ça commence avec le voile, qui symbolise la gestion de l’espace. L’imposition du voile a permis à la république de voir d’où venait l’ennemi. Il s’agissait d’être ou non avec le soutien au nouveau régime. », explique l’anthropologue. Le port du voile obligatoire n’est toutefois pas inscrit dans une loi, les versets coraniques abordant le hijab (dont les significations diffèrent selon les pays), sont rares, concrètement « il n’y a rien de clair ni de simple mais un châtiment est prévu en cas de non respect des règles islamiques. » L’imposition passe par la force des choses, la télévision d’abord, le ministère ensuite et les institutions pour finir.

Tout comme l’interdiction de le porter a été violente, l’obligation de le revêtir l’est tout autant. Sortir sans expose celle qui le fait à recevoir des insultes, à être contrôlées. Pour la directrice de recherche au CERI, les femmes ont alors instrumentalisé le voile pour sortir dans l’espace public, dont elles s’étaient coupées depuis la loi du Shah.

À son sens, elles se libèrent alors de l’oppression ressentie durant cette période « mais les hommes ne les ont pas soutenues pour aller plus loin car ils auraient alors remis en cause la république révolutionnaire. Pourtant, on critique le guide de la révolution mais jamais le voile. On n’en parle pas. »

Néanmoins, le sujet résonne au delà des frontières iraniennes. La répression qui suit la révolution islamique en Iran pour les femmes fait des vagues. C’est ce que déclare Nadia Aït Zai, avocate, professeure de droit à la faculté d’Alger et présidente du Ciddef – Centre d’Information et de Documentation sur les Droits de l’Enfant er de la Femme – lors de sa venue à la MIR, le 15 mars dernier, pour évoquer les formes de libération des femmes en Algérie après l’Indépendance, en 1962.

C’est une évidence pour elle aussi. Les femmes, à travers l’imposition du voile, retrouvent l’opportunité d’occuper l’espace public. Mais est-ce la meilleure ou l’unique alternative ? Elle pose la question consciente de la pression sociale et sociétale qui s’abat sur la population féminine dans les pays où les islamistes ont su insidieusement ancrer une vision manichéenne de la Femme et de l’Homme dans les esprits.

Même discours du côté du photographe Pierre Roth qui expose jusqu’au 20 mars à la MIR des portraits de femmes libanaises, réalisés au cours d’un reportage dans le pays en septembre 2010. « Au-delà du voile » rend hommage à ces habitantes qui dévoilent ici toute la complexité de leur réalité. Et dans l’introduction à l’exposition, on peut lire : « Les femmes libanaises ont fait du chemin, en instrumentalisant le voile elles ont réussi à accéder à l’espace public (…) ».

« Le voile a permis d’aller dans l’espace public mais je ne crois pas qu’il a libéré la femme dans la sphère privée. »
souligne la militante algérienne.

SPHÈRE PRIVÉE, POUR SE CACHER

Les femmes iraniennes se retrouvent à nouveau soumises à la charia et les acquis obtenus sous la dynastie Pahlavi disparaissent, l’âge légal du mariage tombe à 9 ans pour les filles. Le 4 février, le Comité des enfants de l’ONU a dénoncé le nombre croissant de mariages forcés de fillettes de moins de 10 ans soumises à un mariage forcé en Iran. Et appelle les autorités iraniennes à élever l’âge légal du mariage à 18 ans, de relever l’âge du consentement à des relations sexuelles à 16 ans et à criminaliser le viol conjugal dont sont victimes la plupart des jeunes filles obligées à satisfaire les besoins sexuels de leurs maris.  

La sphère privée, celle de la famille, renvoie la femme à son statut de femme au foyer. Mais depuis plusieurs années, voire générations, elles se sont battues pour affirmer leurs droits fondamentaux. Elles ont étudié pour certaines même si des filières, notamment scientifiques, leur sont encore à cette époque difficiles d’accès simplement à cause de leur sexe, et elles se sont affirmées dans leur volonté d’émancipation.

Si les regroupements féministes avaient été interdits durant un temps, la fin de la guerre opposant l’Iran à l’Irak et la mort de Khomeini à la fin des années 80 marquent un nouveau tournant dans l’histoire des femmes. Les militantes féministes, qu’elles soient musulmanes, laïques, traditionalistes ou modernistes réussissent à faire converger leurs opinions auprès des médias et des femmes.

Dans l’espace public, l’évolution suit son cours. Les femmes iraniennes sont actives, investissent quasi tous les secteurs d’activités – qui leur sont permis puisque certains comme la magistrature restent encore interdits – et leur nombre augmente même dans les filières politiques à l’instar du Parlement qui compte depuis le 27 février dernier 14 femmes élues dans ses rangs, et pour la première fois une femme au poste de vice-présidente de la République islamique.

Un record depuis 1997 signale Le Figaro dans un article du 8 mars 2016 : « « Le président Hassan Rohani, même s'il ne veut pas changer le système politique, cherche en tout cas à l'améliorer. Nous devons l'aider face aux conservateurs », explique Afsaneh (jeune enseignante iranienne qui témoigne dans l’article, ndlr). »

LIBÉRATION SOUTERRAINE OU HYPOCRISIE SOCIÉTALE ?

Mais dans la sphère privée, le chemin est encore long. Ou plutôt se fait en souterrain. Comme le regrettait Cala Codandam, de l’association rennaise AYCI, le 1er mars dernier lors de sa conférence sur la place des femmes dans la société indienne, tout est caché, tout est mensonge.

Le divorce est plus répandu aujourd’hui en Iran, 1 couple sur 4 divorce à Téhéran selon la spécialiste du pays, mais « le salut passe quand même par le mariage ». La virginité représente la pureté et la conserver est primordial. Il est impératif que les jeunes filles restent chastes pour le jour du mariage.

En 2005, Mitra Farahani et Iraj Mirza réalisent le documentaire Tabous (Zohre & Manouchehr) qui présente la réalité masquée de la sexualité des jeunes en Iran. Les femmes s’y dévoilent libérées et réfléchies. Elles témoignent alors de leurs manières de contourner cette injonction à la pureté, que ce soit en procédant à des opérations chirurgicales pour recoudre leur hymen ou que ce soit en consommant les « sigheh », les mariages temporaires, et dénoncent l’hypocrisie d’une société qui engendre et maintient le tabou, y compris chez les plus pieux et les représentants religieux.

Et Fariba Adelkhah le souligne en souriant : « Je suis en mariage temporaire depuis 35 ans et c’est bien meilleur ainsi. » Ce principe autorise, pour les chiites, ce que l’on peut considérer comme du concubinage. « Ça a libéré le désir sexuel en Iran ! », ajoute-t-elle. Mais alors que ce dernier se libère en souterrain, la pratique du chant en solo des femmes est toujours interdite, en dehors des représentations effectuées devant un parterre exclusivement féminin.

ATTENTION À LA SÉDUCTION

La voix de la chanteuse pourrait séduire. Tout comme pour la danse, le mouvement du corps pourrait séduire. Ce serait donc une provocation pour les hommes. Et ces derniers doivent se détourner de tout sentiment de désir, comme ils l’expliquent dans Tabous. Paradoxe stupéfiant, la guidance islamique accepte que des hommes figurent sur la scène, sans chanter, aux côtés des femmes.

Comment les femmes contournent-elles cet interdit ? Elles proposent des cours de chant, des cours de musique, par exemple.

« L’interdiction a libéré la création musicale. On n’a jamais vu autant d’offres et de propositions. »
précise l’anthropologue iranienne.

Et ce sujet, Ayat Najafi s’en est saisie pour réaliser le documentaire No land’s song, sorti dans les salles le 16 mars. Elle filme et suit la jeune compositrice Sara Najafi soutenue par 3 chanteuses de France – parmi lesquelles on retrouve Jeanne Cherhal -  dans son défi de braver la censure et les tabous en organisant un concert de solistes.

Pour Fariba Adelkhah, les interdits, symboles d’oppression des femmes en particulier, s’accompagnent toujours de stratégies d’évitement, permettant de contourner les lois et faire avancer petit à petit les mentalités et la société. Comme en témoigne la création musicale mais aussi plus largement artistique, le cinéma iranien connaissant également un noyau de réalisateurs et films indépendants. Sans attaquer frontalement le régime autoritaire, les artistes et cinéastes saisissent comment, avec un mélange de poésie et de réalisme, interpeler le public que les œuvres trouveront.

« Aujourd’hui, la société iranienne semble plus en phase avec son régime grâce à la manière dont elle prend en charge son destin. », conclut-elle. Ce que confirme une des jeunes femmes témoignant dans le documentaire de Mitra Farahani et Iraj Mirza : « Quand on fait le mur ou quand on présente de faux certificats de mariage à la police, pour les berner et dire ‘c’est mon mari’, ça devient concret (elle parle alors de la liberté individuelle qui, si elle ne trouve pas d’application concrète, n’est peut-être pas une « vraie » liberté, ndlr). Notre génération a toujours su trouver des solutions. »

 

 

En savoir plus sur le sujet : l’écrivaine, sociologue et militante féministe iranienne, exilée en France depuis plus de 30 ans, Chaqla Chafiq sera à Rennes le 3 avril pour une conférence débat autour du thème « Islam politique, sexe et genre, à la lumière de l’expérience iranienne ». A 18h, à l’Université Rennes 2. Dans le cadre de la Semaine du féminisme.

Célian Ramis

La situation critique des femmes indiennes

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Maison Internationale de Rennes
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Réputée pour son côté conservateur et inégalitaire, la société indienne n'a pas toujours été pensée ainsi. Dans le cadre de la journée internationale pour les droits des femmes, voyage dans des Indes complexes.
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La femme indienne sous le regard philosophique, spirituel et politique, tel était le thème de la conférence organisée par l’Association de Yoga et de Culture Indienne (AYCI), mardi 1er mars, à la Maison Internationale de Rennes. Une belle entrée en matière dans le programme du 8 mars - journée internationale pour les droits des femmes – chapeauté par la Ville de Rennes avec les associations féministes et/ou culturelles du territoire.

Aborder la question de la place des femmes dans le monde, sans observation fine et méticuleuse du terrain, est délicat. La journée internationale pour les droits des femmes est alors un moyen pour en décrypter quelques parcelles et ouvrir le champ des possibles. Cette année, à travers le thème « Sphère publique / sphère privée : Cultiver l’égalité entre les femmes et les hommes », l’invitation au voyage est lancée dans la capitale bretonne, du 1er au 31 mars.

Premier arrêt : l’Inde. Ou plutôt les Indes, comme le précise le géo-politologue et poète Déva Koumarane, français d’origine indienne élevé sur l’île de la Réunion. « On va voyager ensemble, on va traverser les siècles car c’est un pays très ancien. Avec une civilisation tellement ancienne qu’elle est difficile à comprendre, même pour les indiens », s’amuse-t-il.

Et c’est en chantant deux poèmes de Ranajit Sarkar que commence Calaisselvy, dite Cala, Codandam, professeure de yoga et animatrice culturelle pour AYCI, association qu’elle a fondée en 2011. Elle aussi est française, originaire d’Inde, et souhaite transmettre l’esprit de la culture indienne. Et situer les femmes dans un contexte particulier, l’Inde étant emprunte de traditions conservatrices, basées comme beaucoup sur de mauvaises interprétations de l’Histoire.

COMPRENDRE L’HISTOIRE

La base de l’Inde est fondée sur sa puissance religieuse. L’hindouisme en est la première et la plus ancienne religion. Mais le territoire accueille également les religions bouddhiste, chrétienne, juive et musulmane, entre autre. Pour les hindous, trois divinités représentent le fonctionnement de la société avec le créateur Brahma, le conservateur Vishnou et le destructeur Shiva.

« La femme est considérée comme l’égale de Dieu. Les trois dieux sont toujours représentés avec les « shakti », leurs épouses. La femme est l’énergie de l’homme, sa puissance. »
déclare le spécialiste de l’Inde.

Il évoque également l’égalité des sexes dans le droit à prêcher le bouddhisme. Et la situation honorable des femmes durant l’Antiquité.

Outre les multiples religions qui se côtoient, le territoire indien est également un berceau oriental, asiatique et anglophone, « entre guillemets », précise Déva Koumarane, en référence à la colonisation britannique, précédant l’indépendance de l’Inde en 1947. Avant cela, d’autres états européens se sont succédés sur la route des Indes, découvertes en 1498 par le portugais Vasco de Gama.

Le regard de l’européen se porterait alors vers une puissance « en avance par rapport à la société occidentale ». Pourtant, à l’époque coloniale, avant l’indépendance, les hommes auraient cherché à « sauvegarder », selon le terme du géo-politologue, les femmes, en les maintenant à l’écart, soit à l’intérieur des foyers. 

REGARD BRITANNIQUE SUR
LES FEMMES ET LES COUTUMES

Celles que les britanniques vont s’empresser de découvrir, ce sont les « devadâsî ». Les servantes de Dieu. Consacrées aux temples. Interpelé par Cala Codandam sur ces femmes apparentées à des prostituées, « dont on ne parle jamais », Déva Koumarane explique :

« Ce sont de très belles femmes, très instruites, qui dansent des danses classiques indiennes, les danses de la séduction. Ce sont un peu, sans offense aux japonais, les Geisha de l’Inde. Des femmes qui sont là pour distraire les hommes. »

Tout comme les rois viennent voir les « chastes » des temples pour assister aux spectacles, les anglais s’y précipitent également, « comme dans les pays orientaux avec les harems ». Si au départ, elles bénéficient du plus haut statut qu’une femme puisse obtenir, dans la culture hindoue, celui-ci évolue et de courtisanes, elles passent à prostituées, dans l’opinion britannique, qui abolit rapidement ce système social.

Et ils ne s’arrêteront pas là, interdisant également le rituel du sati, consistant pour une veuve à sauter de son vivant dans le bucher crématoire de son défunt mari.

Le guide spirituel le plus influent de l’Inde au XXe siècle, Mohandas Karamchand Gandhi, dit Mahatma (La Grande Âme) Gandhi, qui a effectué ses études en Angleterre et vécu plus de 20 ans en Afrique du Sud, conduit en parallèle la population indienne vers l’indépendance. Et prône la libération des femmes.  « Il demandait aux indiens d’enseigner la lecture et l’écriture à leurs femmes. Le sexe fort, il disait que c’était la femme. Car la femme est beaucoup plus réaliste, beaucoup plus révolutionnaire. Et moi je crois, si vous me permettez de donner mon avis, que ce sont les hommes qui les ralentissent dans le monde entier. », souligne le spécialiste.

RENAISSANCE DE LA CULTURE INDIENNE

À cette époque, la culture indienne renait. On chante la poésie, on accorde une place toute particulière à l’Amour. Hommes et femmes honorent la lune, la nature est essentielle, l’amour charnel et l’amour spirituel sont sous-entendus. Pour Cala Codandam, « le nénuphar qui s’ouvre doucement au regard de la lune, c’est le regard de l’homme sur la femme. On peut utiliser tous les éléments de la nature, des parfums, des saveurs, etc. ». Tout utiliser mais sans montrer et sans désigner précisément. Elle parle alors d’âge d’or, où femmes et hommes étaient égaux. Et de décadence. L’époque moderne.

Pour Déva Koumarane, les fondateurs de l’Inde antique avaient « bien fait les choses » mais les mauvaises interprétations, effectuées principalement par les hommes, ont changé la donne :

« Les hommes, je crois, ont cherché à faire de la femme, peut-être pas un objet sexuel, mais de procréation en tout cas. »

La ségrégation entre les hautes et basses castes est balayée des films Bollywood, qui ne conservent que des histoires d’amour impossibles.

La femme indienne est alors victime de la famille. Les traditions y sont conservatrices et pèsent sur la société : « Dans le cinéma, la femme est toujours présente. Un homme et une femme s’aiment. La mère va dire à la fille ‘’Tu ne peux pas car pas même milieu’’. A ce moment là, il y a toujours le père qui est malade et la mère qui en profite pour faire culpabiliser sa fille. »

SOCIÉTÉ MODERNE ?
PAS POUR LES FEMMES !

S’il est difficile de réformer cette société indienne, la censure étant encore draconienne, le géo-politologue est confiant : le réveil des femmes a sonné. Des associations de femmes naissent pour défendre leurs droits :

« Il y a des femmes courageuses, qui se battent ! Mais elles ne sont pas encore assez nombreuses. Mais ça viendra. On attend toujours des choses dramatiques pour en parler mais c’est tous les jours qu’il faut se battre. Par exemple, le mariage forcé. Aujourd’hui, la loi permet d’aller porter plainte mais la femme n’osera jamais à cause du regard de la société. »

L’association Stop Acid Attack, basée à Delhi, est un exemple de structures dédiées à la cause des femmes. En ligne de mire : les attaques à l’acide que subissent les jeunes femmes qui osent dire « non » à une ‘‘proposition’’ de mariage. En octobre 2015, l’émission de France 2, Envoyé Spécial, dédiait un reportage aux femmes vitriolées en Inde. « Nous ne sommes pas des victimes, nous sommes des combattantes », témoignent alors les jeunes filles. Elles seraient environ 4 ou 5 chaque semaine à subir ces horreurs, qui les défigurent et les brûlent à vie, quand elles ne sont pas violées collectivement ou tuées.

Cala a vécu en France. Mais a été élevée dans la tradition indienne. C’est-à-dire « à l’obéissance, au chantage affectif. Il est très dur de couper avec sa famille. » Pour la fondatrice de l’AYCI, pas d’ambigüité ni d’ambivalence. L’ennemi principal de la femme indienne est la femme indienne. La mère, la sœur.

LE MARIAGE, AU CŒUR
DE LA SOCIÉTÉ INDIENNE

En Inde, citations et proverbes guident les instances du quotidien. Il y en a pour la cuisine, pour la famille, pour les enfants… La professeure de yoga a baigné dedans dès ses 7 ans, et en est marquée, celle-ci en particulier : « Si l’homme est comme un brin d’herbe ou une pierre, c’est ton mari, ma fille ». Au nom de l’amour, des sacrifices. Au nom de sa caste, un mariage arrangé. Au nom d’un fonctionnement qui perdure, un discours culpabilisant.

« Les femmes sont partout en Inde. Depuis un an, une femme conduit le métro à Madras, c’est la première fois ! Une femme en sari a pris les commandes d’un avion aussi. En sari ! Elles sont partout mais doivent être derrière les hommes. Ma mère vit en France. Pourtant, quand j’ai passé mon permis, elle n’a pas compris. Une femme n’en a pas besoin… Aujourd’hui, elle serait très gênée de me voir vous parler, assise à côté d’un homme. », témoigne-t-elle.

Tout comme les textes sacrés ont été (mal) interprétés, l’histoire sociale de l’Inde a pris un virage vers la domination des hommes sur les femmes, infantilisées, enfermées dans les castes, qui elles n’ont pas disparu dans les traductions obscures des traditions. Le mariage « libre » est autorisé mais la culpabilité rattrapera la femme à marier. Le divorce est légalisé mais peu admis par la société qui a déjà eu du mal à accepter les veuves, sans les mettre vivantes sur le bucher.

Le mariage est au cœur du problème systémique indien. Les castes à respecter, la dot à présenter, la tradition a perpétué… Quels choix ont les femmes ? Mariage forcé ou vitriol ? Sans extrémisme ou radicalisme, le film Chokher Bali, réalisé par Rituparno Ghosh en 2003, dévoile la complexité des relations amoureuses entre jeunes indiens, avec toujours cet objectif de mariage en tête.

Mais l’espoir est permis. Le parcours la boxeuse Mary Kom, quintuple championne du monde de boxe indienne, fait l’objet d’un biopic en 2014 (Mary Kom, de Omung Kumar). Nourrie par les injustices sociales, une femme ne pouvant accéder à un statut de sportive – elle sera un temps renié par son père – ou encore une femme ne pouvant poursuivre ses rêves une fois mariée et mère de famille (selon la société, son mari à elle la soutenant et l’épaulant dans sa lutte vers son ambition), la jeune indienne va se battre et embarquer tout un pays dans une vibration libertaire et fédératrice. 

ÉMANCIPATION CACHÉE ?

Pour vivre libre, faut-il vivre cachée ? Aujourd’hui, les indiennes entreprennent des études et voyagent à travers le pays.

« Si elles vont vivre ailleurs pour les études, on dira qu’elles vivent chez un membre de la famille ici ou là. On ne dira jamais qu’elles vivent toutes seules ! Ce ne sont que des mensonges ! (…) Pareil pour la contraception, elle existe mais n’est pas bonne car elle rend moins féconde. Et là, on entendra la mère dire « Prends pas ma fille » alors tu prendras mais tu ne diras pas. »
s’écrie Cala.

Pour elle, la modernité a amené la décadence.

Elle prend pour exemple l’échographie. Quand cette révolution médicale débarque, la société s’en saisit pour faire avorter celles qui auraient du ou pu mettre au monde des filles. Un phénomène qui serait en voie d’extinction, la politique de natalité restreignant à un ou deux enfants par famille.

Pourtant, pour 1000 naissances de petits garçons, on comptabilise environ 920 naissances de petites filles, créant ainsi un écart entre la population masculine et féminine. Pour Cala Codandam et Déva Koumarane, la solution réside dans le dialogue, dans l’éducation à l’égalité de la part des familles tout d’abord « mais il y a toujours des attitudes machistes de la part des pères mais aussi des mères, et ce qui compte beaucoup pour les indiens, c’est la transmission », ne contestant pas que l’Inde soit décrié pour être un des pays qui enregistre le plus grand nombre de viols.

Ensuite, « ce qu’il manque, c’est la volonté de changer le monde, tous ensemble. ». Orient et Occident main dans la main pour les droits des femmes. Face à face dans un dialogue interculturel et inter-religieux. Rien de mieux alors que de conclure la conférence par la projection du film de Roshan Andrews, sorti en mai 2015, 36 Vayadhinile. L’histoire de Vasanthi, 36 ans, indienne, toujours au service des autres. Normal ? À méditer.  

 

 

Célian Ramis

Les Bretonnes bougent pour la mixité professionnelle

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Rennes
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La délégation bretonne de l'association Elles bougent fédère les actions déjà implantées qui incitent les étudiantes à s'orienter vers des secteurs scientifiques non-mixtes, comme l'informatique, l'aéronautique ou l'aérospatial.
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L'association Elles bougent a inauguré le 12 janvier dernier sa nouvelle délégation bretonne, à Rennes. Elle fédérera les actions déjà implantées qui incitent les étudiantes à s'orienter vers des secteurs scientifiques non-mixtes, comme l'informatique, l'aéronautique ou l'aérospatial.

La dix-huitième délégation régionale s'est lancée dans la capitale bretonne, le mois dernier. Créée par Marie-Sophie Pawlak en 2005, l'association Elles bougent souhaite donner envie aux filles d'aller vers des disciplines dans lesquelles elles sont quasiment absentes, comme la mécanique, l'informatique, le ferroviaire et l'aéronautique.

Or les entreprises sont en demande d'effectif féminin. Mais l'augmentation bouge lentement : aujourd'hui, selon les statistiques réalisées par l'association, 12% de filles, qui décrochent leur baccalauréat scientifique, s'orientent en écoles d'ingénieurs tandis qu'elles étaient 10% il y a une décennie. Alors que la moitié des élèves au lycée, en classe scientifique de filière générale, sont des femmes.

L'une des explications ? Peu de monde connaît réellement les métiers d'ingénieurs. L'imaginaire de la blouse blanche, du bleu de travail ou du casque de chantier jaune est ancré dans les préjugés. Et les collégiennes et lycéennes pensent alors que ce n'est pas pour elles. L'association parisienne, qui regroupe à la fois des établissements scolaires et des entreprises des secteurs non-mixtes, en a fait son cheval de bataille.

LES MARRAINES, DES RÔLES MODÈLES

Le rôle des marraines, qui servent de modèles, est essentiel. Au total, 2 040 salariées des 45 entreprises partenaires s'adressent aux filles pour parler de leurs professions. « Je fais des interventions dans des collèges, lycées, classes préparatoires ou dans des salons d'orientation », développe Claire Vantouroux, responsable sécurité et pyrotechnie à DCNS, marraine depuis deux ans et déléguée régionale de la nouvelle antenne bretonne.

Après avoir participé à la 3e édition de la journée des « Sciences de l'ingénieur au féminin » organisée par Elles bougent et UPSTI, le 26 novembre 2015, elle a gardé contact avec les filles qu'elle a rencontrées dans un lycée de l'académie de Rennes.

« C'est sympa de voir qu'elles ont été boostées ou confortées dans leurs choix par la suite ! »
s'exclame la cadre de 28 ans qui a elle-même connu Elles bougent en terminale.

VOLONTÉ NATIONALE

44 établissements scolaires de la région ont participé à l'évènement l'année dernière, un chiffre qui s'est démarqué des 26 autres académies inscrites. La Bretagne étant très dynamique dans ce domaine. Pour cette raison, « c'était facile de lancer cette délégation, explique Annaick Morvan, déléguée régionale aux droits des femmes et égalité entre hommes et femmes. L'intérêt est de fédérer et de formaliser tout ce qui se fait déjà. »

Selon elle, l'association s'inscrit dans la continuité de la Convention académique pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif en Bretagne, signée en 2014. Une déclinaison régionale de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes mise en route depuis 2012, qui était portée par l'ancienne ministre aux droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. 

Cette volonté a été renforcée par le lancement de la campagne nationale en faveur de la mixité des métiers il y a deux ans. L'objectif a été donné : d'ici 2025, 30% des métiers devront être mixtes, contrairement à 12% aujourd'hui. Cependant, Annaick Morvan le sait bien :

« La mixité en soi ne suffit pas. Ce n'est pas parce qu'on rajoute des femmes dans des entreprises qu'on lutte contre l'ensemble des inégalités. »

C'est un travail de longue haleine à faire dès l'éducation jusqu'au monde du travail afin de combattre les stéréotypes genrés.    

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