Célian Ramis

8 mars : Les luttes intersectionnelles, pas toujours bien comprises...

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Le 16 mars, l’association Femmes Entre Elles proposait une conférence articulée autour des « Regards féministes sur l’intersectionnalité dans les sciences et la littérature », à la Maison Internationale de Rennes.
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Le 16 mars, l’association Femmes Entre Elles proposait une conférence articulée autour des « Regards féministes sur l’intersectionnalité dans les sciences et la littérature », à la Maison Internationale de Rennes. La structure recevait l’historienne d’art, militante de la cause féministe et auteure, Marie-Jo Bonnet qui, à cette occasion, analysait l’exemple de l’homosexualité, à travers son parcours au sein du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) notamment.

« C’est un terme pseudo-mathématique assez parlant. C’est l’intersection de plusieurs tendances, en prenant en compte plusieurs critères (inégalités sociales, ethniques, de genre, dues à un handicap,…) et leurs interactions entre elles. Pour parler d’une discrimination. » À l’initiative de la conférence, l’association Femmes Entre Elles (FEE) introduit le terme d’intersectionnalité.

Un concept développé à la fin des années 80 par la juriste américaine Kimberlé Crenshaw, issue du black feminism. Plus de cent plus tôt, Sojourner Truth, ancienne esclave aux Etats-Unis, prononce un discours marquant et puissant dans lequel elle interpelle féministes et abolitionnistes et met en lumières les différentes oppressions subies par les femmes noires (lire Ne suis-je pas une femme, de Bell Hooks).

Un des exemples les plus frappants réside dans la juridiction américaine. Lors d’une plainte, les femmes noires doivent choisir le fondement de la discrimination : le sexe ou la race. Quand elles « choisissent » le sexe, elles sont déboutées et il leur est précisé que les femmes blanches ne subissent pas les difficultés qu’elles viennent soulever devant le tribunal. Et quand elles « choisissent » la race, elles sont là encore déboutées et il leur est précisé que les hommes noirs ne subissent pas les mêmes difficultés qu’elles viennent soulever devant le tribunal.

Les discriminations, si elles relèvent d’un même mécanisme de domination, sont intersectionnelles et plurielles. Et largement invisibilisées. « Il faut absolument prendre en compte tous les paramètres spécifiques de ces discriminations. », conclut l’association FEE, avant de laisser la parole à Marie-Jo Bonnet, auteure, entre autre, de Mon MLF.

L’EXEMPLE DE L’HOMOSEXUALITÉ

Nous sommes en 1971. Aux débuts du MLF. Marie-Jo Bonnet découvre un journal issu de ce mouvement. Le Torchon Brûle. « Un titre génial ! La libération des femmes me touchait. Parce qu’à ce moment-là, ça me renvoyait à la libération de la France et à toute son émotion. Il y avait la même énergie, le même phénomène de joie. On respirait, on sortait d’une oppression. Et puis sur une Une, le titre : « Et puis merde, j’aime les femmes ». Waouh génial ! », s’enthousiasme l’historienne d’art.

Pour elle, l’élan est donné par les femmes, homos, hétéros, prolos, vieilles, jeunes, bourgeoises, etc. Elle le dit, elle l’affirme, elle insiste : « La force du MLF, c’est qu’on a dit « Nous les femmes ». On n’a exclu personne. » Une affirmation remise en cause par la politologue Françoise Vergès, auteure de l’ouvrage Le Ventre des femmes, qui explique dans une interview pour Libération :

« Les féministes françaises peuvent redevenir (à la suite de la guerre d’Algérie, situe-t-elle au préalable, ndlr) des victimes du patriarcat sans avoir à s’interroger sur sa dimension racialiste. Le MLF se replie sur l’Hexagone. S’intéresser à ce qui se passe à La Réunion ou aux Antilles imposerait de réfléchir aux privilèges des femmes blanches… Ces dernières n’ont pas intégré dans leur histoire les avortements forcés de La Réunion. »

Pas un mot à ce sujet. Elle poursuit sur les fondements du MLF. Le mouvement est non mixte. Pas autorisé aux hommes qui ont « tenu le crachoir » en mai 68 et n’ont pas laissé les femmes s’exprimer. Les homosexuels sont admis dans les manifestations. « C’était le seul point de mixité. L’homosexualité, on n’en parlait jamais avant. C’était pas rigolo, je peux vous le dire, pour moi l’adolescence, ça n’a pas été marrant. Mai 68 et le MLF nous ont sauvé-e-s ! », souligne-t-elle.

Le Mouvement participe pour la première fois à la grande manifestation du 1er mai, en 1971. Avec à leurs côtés, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), qui se battait également pour le droit à l’avortement. La contestation se faisait dans la joie et la violence, se souvient Marie-Jo Bonnet qui parle du « choc des gros bras de la CGT – à l’époque, faut bien se rappeler que les communistes étaient contre l’avortement - et des petites pédales du FHAR. »

Les militantes luttent contre la dictature des normes. On refuse la perte de soi, la perte de l’esprit critique et surtout on revendique le droit de pouvoir contester l’ordre social. « Notre corps nous appartient ». Tout est dit. Les homosexuels créent leur journal, Tout !, qui défend cette même ligne.

FIN DE LA CONVERGENCE

« La convergence s’évanouit après le numéro 12. Plein de mecs venaient uniquement pour draguer les gars du FHAR. On était submergées. On a fondé Les Gouines Rouges, qui à l’origine était un groupe de liaison mais finalement on a rejoint le MLF. », explique-t-elle.

Marie-Jo Bonnet évoque une impossibilité d’établir un dialogue entre « les gouines et les pédés ». Pourtant, ils/elles se retrouvaient en manif’. Pour la militante, à la différence des hommes, les femmes ne voulaient plus accepter les rôles attribués au féminin et au masculin. Elles voulaient se définir par elles-mêmes et faire éclater les genres « à travers un processus de transformation sociale ».

Le clivage homosexuels/lesbiennes n’a pas l’air d’entacher cette période en pleine ébullition. Elle raconte l’ambiance « extraordinaire » de la plupart des événements organisés contre les violences faites aux femmes, pour l’avortement libre et gratuit ou contre la domination masculine de manière générale.

Dans les années 80, Monique Wittig, membre du MLF, déclare : « La lesbienne n’est pas une femme ». Si on peut penser la citation choquante, Marie-Jo Bonnet développe le raisonnement de son amie, qui envisage alors l’hétérosexualité comme système politique, basé sur le genre (binaire) et ses assignations et caractéristiques. Les femmes, dans le domaine privé. Les hommes, dans l’espace public.

Et encore, à l’époque, on ne parle pas des femmes. Mais de la femme :

« On voulait en finir avec le fond du silence. À la Mutualité, lors du tribunal des dénonciations des crimes contre les femmes, nous avions fait monté sur la scène les lesbiennes. On avait fait la fête ! Dans la vie ordinaire, par contre, c’était compliqué. On vivait dans un monde non mixte. Dominé par les hommes. »

L’INVISIBILISATION DES LESBIENNES

Cela ne va pas s’arranger. Elle estime que dans le langage, le terme « femme » disparaît, au profit du terme « genre », tout comme on passe des années plus tard de « mère porteuse » à « Gestation Pour Autrui ».

« Il y a eu petit à petit une occultation des lesbiennes, sur fond d’épidémie du Sida. C’était une époque terrible. Les copains du FHAR, pour la plupart, sont morts. Chez les gays, ça bougeait pour lutter contre le Sida, avec Act up, Aides, etc. Ces associations obtiennent des subventions pour s’organiser. Pendant ce temps, les lesbiennes n’existaient plus, on n’avait plus de sous. Mais comment prendre la parole face à l’horreur qui se passait ? Est alors venue la radicalisation et je trouvais ça suicidaire car notre force avait toujours été d’être ensemble. Avec les femmes hétéros. », scande-t-elle.

Le Pacs et le Mariage pour tous constituent-ils une avancée pour les personnes homosexuelles ? Elle n’a pas l’air d’y croire : « C’est le combat des gays. Le Mariage pour tous, c’était très très divisé chez les lesbiennes. Pour moi, c’est de la propagande. Mais comme la GPA, pour moi, c’est le combat des gays. »

Elle semble rejoindre la pensée de Monique Wittig. À assimiler femme mariée et femme soumise à tout ce que cela impliquait à l’époque du MLF. Se marier revient, dans la pensée straight, à épouser la charge des tâches ménagères, l’éducation des enfants, l’absence d’activité professionnelle, etc.

MOMENT D’INCOMPRÉHENSION

Pour Marie-Jo Bonnet, « être lesbienne (me) permet d’être à l’écart du mainstream dominant. C’est une liberté. C’est bien d’avoir des droits et de pouvoir faire ce que l’on veut mais je pense que pouvoir se marier n’a pas fait reconnaître l’homosexualité. Et surtout, on peut être respectées sans être mariées. »

Elle voit un glissement survenu ces dernières années : un passage de l’égalité des sexes à l’égalité des sexualités. Et va même jusqu’à exprimer un mécontentement face à un nouveau courant qui « met la pratique sexuelle au cœur de l’identité et le communautarisme au centre de la solidarité. » Clairement, elle ressent une incapacité, dans les générations actuelles, à changer les choses collectivement et parle de « face à face destructeur qui ouvre le règne des genres et du communautarisme sexuel. »

Finalement, sa conclusion sera, à la hauteur d’une certaine partie de sa conférence, quelque peu décevante : « De toute façon, je comprends rien avec l’intersectionnalité et puis c’est trop compliqué à prononcer. » Elle entend, dans ce terme, la division des sections. Un acte de séparation qui vient donc confronter sa vision universaliste du féminisme.

L’INTERSECTIONNALITÉ, C’EST L’AVENIR

Dans l’audience, ça réagit. Marine Bachelot Nguyen, militante engagée dans les luttes intersectionnelles, exprime sa vision des choses : « Le féminisme intersectionnel rend possible les solidarités. Parce qu’il permet de connaître plus précisément les mécanismes de domination. Contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, les discriminations envers les personnes handicapées, etc. Le féminisme intersectionnel crée plein de sensibilités et je ne crois pas du tout que ça nous divise. »

De son côté, l’association FEE tente également de « recadrer », en s’adressant à Marie-Jo Bonnet :

« Je pense en fait qu’on est d’accord mais c’est le terme avec lequel tu as du mal. Mais l’intersectionnalité, c’est un mode de déconstruction. C’est important et d’ailleurs c’est l’avenir ! »

Le débat se tend. On a le sentiment que la conférencière n’arrive pas à entendre les arguments des unes et des autres et revient toujours à la notion d’universalité et de combat commun, qui pourtant n’est pas en opposition avec le féminisme intersectionnel. Et l’universalité est rendue insupportable quand vient la sempiternelle morale sur le port du voile et une comparaison accablante entre la situation en France et la situation en Iran.

Marine Bachelot Nguyen et Solveig Touzé, libraire et co-fondatrice de La Nuit des Temps, à Rennes – venue vendre les livres écrits par Marie-Jo Bonnet pour une séance de dédicaces – interviennent chacune à leur tour pour démontrer que l’on ne peut pas établir un tel parallèle et qu’il est important d’écouter les paroles des unes et des autres et de les respecter.

« Je suis contre le port du voile », insiste Marie-Jo. Ce à quoi Marine et Solveig lui répondent, en chœur : « Mais êtes-vous concernée ? » Tout est dit.

 

 

Célian Ramis

8 mars : À chacun-e sa contraception

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Le Planning familial d’Ille-et-Vilaine organisait samedi 10 mars une journée sur le thème de la contraception pour toutes et pour tous. À travers plusieurs ateliers, les Rennais.e.s (re)découvrent les méthodes de contraception.
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Le Planning familial d’Ille-et-Vilaine organisait samedi 10 mars une journée sur le thème de la contraception pour toutes et pour tous. À travers plusieurs ateliers, les Rennais.e.s découvrent ou redécouvrent toutes les méthodes pour des rapports sexuels protégés et sans tabou.

Boulevard Maréchal de Lattre de Tassigny, des flèches dessinées à la craie sur le sol et des ballons en préservatifs nous guident jusqu’au Planning Familial de Rennes. Le temps d’une après-midi, l'association féministe d’éducation populaire anime six ateliers sur le thème de la contraception pour toutes et tous.

L’objectif des bénévoles est de faire découvrir ou redécouvrir les méthodes de contraceptions féminines et masculines à travers des quizz, des échanges, des jeux et même de la couture. “Toutes les salles, ou presque, ont été transformées en ateliers imaginés par l’équipe”, explique Anne-Claire Bouscal, directrice du planning familial rennais.

POUR TOUTES LES ENVIES

Guirlande de préservatifs, clitoris en 3D en guise de décoration, autocollants “Ici vous êtes libres de vos choix” : l'ambiance est détendue, les discussions sont sans tabou et surtout sans préjugés. Derrière un rideau opaque noir se cache le “Cabinet des Curiosités”, plongé dans une lumière rouge intimiste.

La salle regorge d’informations pour les participant.e.s. Une frise chronologique rappelle quelques dates qui ont marquées l’histoire du sexe en France comme la fondation du Planning familial en 1960, ou encore la très récente loi Veil de 1975 qui autorise l’avortement.

Des illustrations sur le clitoris dévoilent ses incroyables pouvoirs sur l’orgasme féminin. Une affiche “Qui vivra JOUIRA” sur fond rouge supplante deux boîtes où l’on glisse les mains pour enfiler des préservatifs féminins et masculins à l’aveugle - sur des reproductions d’organes génitaux bien-sûr. 

Dans “l’atelier capote”,  toutes les contraceptions hormonales ou naturelles - pilules, préservatifs, diaphragme, stérilets, implant et même digue buccale qui permet un sexe oral protégé des maladies sexuellement transmissibles - sont à portée de main.

Bénévoles et participant.e.s échangent sur leurs expériences personnelles et sur l’efficacité des produits. Sans oublier les idées reçues qui volent en éclat notamment en ce qui concerne la contraception masculine. 

LA CONTRACEPTION MASCULINE EXISTE

Censurées ou simplement oubliées, les méthodes de contraception pour hommes sont pourtant multiples. Ce samedi 10 mars, l'association quimpéroise Thomas Bouloù a fait le déplacement pour présenter l’une d’entre elle : le remonte-couilles.

Ce sous-vêtement au nom amusant résulte de recherches scientifiques très sérieuses menées par le docteur Roger Mieusset à Toulouse dans les années 80. Reposant sur le principe de chaleur, le slip – ou string ou boxer - remonte les testicules afin de les maintenir à la température corporelle.

Cette dernière inhibe la création de spermatozoïdes au bout de trois mois. Pour retrouver sa fertilité, il suffit de revenir aux slips classiques et d’attendre trois autres mois pour que la production reprenne.

La fabrication est artisanale : chaque homme doit créer son slip en fonction de sa morphologie. C’est une méthode de contraception Do It Yourself - Fait le toi même - donc très peu chère. Et puis les hommes se retrouvent à coudre ensemble, à échanger sur la contraception et sur d’autres sujets que l’on aborde jamais entre nous généralement”, confie Aurélien Le Gall, membre de l’association. “C’est économique, écologique et ça existe depuis 30 ans. Mais personne n’en parle”.

Et ce n’est pas la seule méthode à être occultée. L’injection hormonale hebdomadaire ou la vasectomie, légalisée en France seulement en 2001, sonnent encore comme des crimes contre la virilité. Pourtant, l’intervention qui consiste en la section des canaux déférents n’est pas une fatalité. André, présent au planning familial, a eu recours à la vasectomie à 24 ans, dans les années 70.

C’était une évidence pour lui et sa femme : “A l’époque, c’était interdit en France. Mais en Angleterre, c’était une pratique couramment effectuée et légale. Ma femme et moi avions deux filles et nous ne voulions pas d'autres enfants. J’ai donc fait un aller-retour entre Paris et la clinique anglaise. Si je souhaite redevenir fertile, il suffit que je retourne là-bas.”  

Loin d’être acceptée dans les moeurs où la grossesse est encore trop souvent une préoccupation féminine et où le mythe de la virilité reste à déconstruire, la contraception masculine doit encore convaincre. Et c’est une des missions du planning Familial.

Cette association milite depuis près de 60 ans pour le droit à l’avortement, la reconnaissance de toutes les sexualités, l’accès à la contraception et lutte contre toutes les formes de violences et de discriminations. Autant de droits qui permettent à toutes et tous d’être libre de choisir. 

Célian Ramis

L'empowermeuf selon les Georgette !

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Faut-il s’appeler George pour être prise au sérieux ? Non. C’est la réponse du collectif Georgette Sand, dont quatre membres étaient de passage à Rennes le 16 février dernier.
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Faut-il s’appeler George pour être prise au sérieux ? Non. C’est la réponse du collectif Georgette Sand, dont quatre membres étaient de passage à Rennes le 16 février dernier. Ce jour-là, elles n’étaient pas seules, loin de là. Accompagnées des 75 femmes dont elles ont dressé le portrait dans l’ouvrage Ni vues ni connues, elles participent à la réhabilitation de certaines figures féminines oubliées ou méprisées de l’Histoire, à tort.

Pour que les héroïnes d’hier inspirent les héroïnes de demain. Ou pour que les héroïnes de demain soient inspirées par les héroïnes d’hier. Peu importe. Le message est identique. La société a besoin de modèles, de références, d’exemples de femmes artistes, scientifiques, aventurières, intellectuelles, militantes ou encore de femmes de pouvoir. Sans oublier les méchantes inventées ou avérées.

Pour prendre conscience qu’au fil des siècles et à travers tous les continents, elles ont marqué leurs époques et participé à l’évolution de la société. Malgré cela, en 2018, peu d’entres elles figurent dans les pages des manuels scolaires, en histoire, en philo, en littérature… En tant qu’auteures, tout autant qu’en tant que personnages, comme en témoignent les nombreuses études réalisées par le Centre Hubertine Auclert.

En 2015, par exemple, le centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes souligne que les « femmes et les filles restent sous-représentées (dans les manuels de lecture du CP, ndlr) : sont dénombrées 2 femmes pour 3 hommes, soit 39% de femmes. D’une manière générale, les femmes sont minoritaires dans toutes les sphères où elles apparaissent, sauf dans le cadre de la parentalité et des activités domestiques. »

En octobre 2017, alors que les éditions Hugo Doc (collection Les Simone) publient l’ouvrage du collectif Georgette Sand, Ni vues ni connues – Panthéon, Histoire, mémoire : où sont les femmes ?, on peut lire dans la préface, signée Michelle Perrot : « Histoire – faut-il le rappeler ? – est un mot ambivalent. Il signifie : 1) ce qui s’est passé ; 2) le récit que l’on en fait. Les femmes étaient assurément présentes au premier niveau, personne ne le conteste, même si on n’en parle pas. Mais elles disparaissent au second, celui du récit. »

Pourquoi ? « Parce que le récit est souvent fait par les hommes », commente Perrine Sacré, une des Georgette présentes dans la capitale bretonne ce 16 février, à l’occasion de leur intervention au lycée et de leur rencontre à la librairie La Nuit des Temps, à Rennes.

DÉNONCER UN PROBLÈME SYSTÉMIQUE

En 2014, est fondé le collectif Georgette Sand. Autour de la question « Faut-il s’appeler George pour être prise au sérieux ? » et autour d’une volonté commune d’agir pour la visibilisation des femmes dans l’espace public. Elles dénoncent la taxe rose, la taxe tampon, les produits genres et sexistes et lancent le tumblr « Les invisibilisées ». Contactées par une éditrice en 2015, elles démarrent le projet un an plus tard, elles sont alors 21 autrices, dont 2 cheffes de projet.

« Nous ne sommes pas autrices à la base, nous avons toutes des carrières en parallèle. Nous avons mis en place un tableau, dans lequel nous mettions les noms des personnes sur lesquelles on voulait travailler. On faisait nos portraits de notre côté et on échangeait beaucoup entre nous. Ce sont des femmes qui ont été invisibilisées, il y a donc peu d’infos sur elles. », explique Charlotte Renault.

Ainsi, 75 femmes sont présentées dans l’ouvrage, « de toutes les époques et de tous les continents, pour montrer l’intégralité du problème qui est globalisé et systémique », précise Elody Croullebois.

On trouve alors la suédoise Hilma af Klint, pionnière de l’art abstrait, la chinoise Bow-Sim Mark, grande maitresse du kung-fu, l’américaine Bessie Coleman, première aviatrice afro-américaine à traverser l’Atlantique, l’indienne Lakshmi Bai, la légendaire reine guerrière, la mexicaine Petra Herrera, révolutionnaire, l’algérienne Kâhina, reine des Aurès et figure de la résistance berbère, la française Paulette Nardal, pionnière de la Négritude – mouvement d’émancipation et de réflexion sur la condition noire, ou encore les dominicaines Minerva, Patria et Maria Mirabal, militantes engagées contre la dictature, et la béninoise Hangbé, reine féministe et cheffe des troupes.

RÉHABILITER LES OUBLIÉES

On voudrait les citer toutes. Parce que leurs parcours sont inspirants, d’un part. Et parce qu’elles ont toutes été victimes d’injustices, d’autre part. Méprisées, oubliées, ignorées, rayées de l’Histoire. Le collectif Georgette Sand les réhabilite à travers des biographies courtes, accessibles à tou-te-s, optant pour un ton léger et impactant, et montre précisément les mécanismes d’invisibilisation, dans l’optique de les déconstruire.

« Nous n’avons pas retenu toutes les femmes auxquelles nous avions pensé au départ. Soit parce qu’elles n’étaient peut-être pas tant invisibilisées que ça, comme Olympes de Gouges par exemple, soit parce que c’était redondant et que nous voulions montrer des profils différents. Par contre, nous avons gardé certaines femmes qui sont connues quand elles le sont pour de mauvaises raisons, comme Camille Claudel par exemple. », explique Perrine Sacré, rejointe par Elody Croullebois :

« Aussi, des femmes étaient « éliminées » quand nous n’avions pas assez de sources fiables, que l’on n’arrivait pas à démêler la vérité de la légende, que les infos semblaient manipulées car le but est d’être scientifiquement exactes. »

Ainsi, dans Ni vues ni connues, Camille Claudel retrouve sa qualité de sculptrice et n’est plus simplement la muse-amante dingo de Rodin. Marie Curie est une scientifique brillante à part entière et n’est pas seulement la femme de Pierre. Margaret Keane est bien l’auteure des peintures aux grands yeux, dont son mari s’est attribué le mérite pendant 30 ans. Sojourner Truth n’est pas qu’une ancienne esclave mais aussi et surtout une militante pour l’intersectionnalité des luttes et pour le droit de vote des Noir-e-s et des femmes aux Etats-Unis et la première femme noire à gagner un procès contre un homme blanc. Hedy Lamarr n’était pas juste une actrice glamour d’Hollywood, elle a aussi inventé le wifi. Et c’est bien Marthe Gautier qui a découvert la particularité de la trisomie 21 et non Jérôme Lejeune, qui s’en est pourtant attribué la paternité.

RÉALISER QUE C’EST POSSIBLE !

Pour Anne Lazar, on remarque « que souvent, pour les hommes, on valorise l’accomplissement de leurs travaux, tandis que pour les femmes, on met en avant leurs vies personnelles et sentimentales. » L’Histoire, écrite par les hommes, efface leurs homologues féminines, à cause du sexe et de la couleur de peau. Et le langage utilisé participe à cette invisibilisation.

« En effaçant la féminisation des termes, on efface le fait que les femmes puissent en faire partie. On oublie inconsciemment par exemple qu’une femme peut être « docteur ». », poursuit Anne. Les Georgette, qui prônent « l’empowermeuf », rappellent à travers leur bouquin – qui pourrait être le premier volume d’une collection conséquente – l’importance du matrimoine mondial.

Pour déconstruire les idées reçues intégrées autour du genre, de la couleur de peau ou de la condition sociale. Et pour donner aux filles et aux femmes la possibilité de s’imaginer autrement que dans les cases rigides dictées par le patriarcat. Un message qu’elles répandent avec enthousiasme et sans jugement :

« Quand on a commencé, je connaissais une dizaine de noms dans la liste ! Même de nous elles étaient ignorées. Mais c’est l’effet domino. On fait des recherches sur une femme, puis on en trouve une autre, et encore une autre et on finit par en voir apparaître plein ! On se rend compte à quel point c’est utile de faire ça et les gens que l’on rencontre ou à qui on en parle, ou les élèves quand on intervient dans les classes, les profs avec qui on discute, le réalisent également. »

Célian Ramis

8 mars : Quand les sardinières s'en sont allées en lutte !

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Musée de Bretagne, Rennes
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1924. Les Penn Sardin brandissent l’étendard de la lutte. C’est l’objet des visites commentées « Histoire de femmes, femmes dans l’Histoire et La révolte des sardinières par Charles Tillon », organisées le 4 mars, au premier étage des Champs Libres.
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Écrite principalement au masculin, l’Histoire établit des exceptions pour certaines figures féminines. Souvent classées dans des catégories. Souvent mystifiées, elles sont des saintes, des sorcières (dans son terme péjoratif) ou des tentatrices. Au sein des collections du musée de Bretagne, on en croise pourtant certaines qui n’ont pas hésité à brandir l’étendard de la lutte. C’est l’objet des visites commentées « Histoire de femmes, femmes dans l’Histoire et La révolte des sardinières par Charles Tillon », organisées le 4 mars (toutes les heures entre 14h30 et 17h30), au premier étage des Champs Libres.

Un conseil : ne vous laissez pas happer par la galerie des costumes pour laquelle vous seriez tenté-e-s de traverser la partie « Contestation du conservatisme » à vive allure. Trop vive pour ne serait-ce qu’apercevoir le tableau de Charles Tillon, La révolte des sardinières. S’il n’est sans doute pas suffisamment valorisé dans la vitrine, il est toutefois un rendez-vous avec l’Histoire des femmes.

Parce que dans l’histoire des luttes, on ne peut négliger celles des ouvrières de Douarnenez, employées des conserveries, qui vont se mettre en grève en 1905 tout d’abord pour revendiquer d’être payées à l’heure et non plus à la pièce et une diminution des heures de travail, puis en 1924 ensuite, pendant plus de 40 jours, pour revaloriser les salaires, dont les heures de nuit et les heures supplémentaires, encore non majorées.

HISTOIRE D’UN TABLEAU

C’est Raymonde Tillon-Nédélec, en 1987, qui fait don de l’œuvre de son époux au musée de Bretagne. Elle-même est une figure de la résistance et du militantisme politique (lire notre Coup de cœur Raymonde Tillon-Nédélec, résistante communiste engagée et inspirante – Septembre 2016).

« C’est une figure très forte, très marquée à gauche. Elle a été déportée pendant la Seconde guerre mondiale et s’est échappée. Elle va beaucoup soutenir Charles Tillon quand il va revenir à Rennes, de là où il est originaire. »
souligne Philippe Dagron, médiateur culturel au musée de Bretagne.

Lors de l’hommage rendu à Raymonde Tillon-Nédélec, le 25 juillet 2016, place du Parlement à Rennes, une citation de son époux clôture la cérémonie : « En Bretagne, la terre, la mer et la chanson du vent parlent toujours de liberté. » En 1926, c’est exactement ce qu’il couche sur sa toile, réalisée d’après ses souvenirs. Après s’être engagé dans la Grande guerre, puis dans les mutineries de la mer Noire avant d’être envoyé au bagne au Maroc, il soutiendra ensuite la lutte des droits des femmes, dont celle des Penn Sardin.

Il ne peindra pas les faits exacts. Les manifestantes, drapeau rouge à la main, défilent sur la dune de Lesconil, tandis que ce sont les pavés de Douarnenez qui ont été foulés fin 1924/début 1925. On note également qu’elles portent la coiffe bigoudène et non la Penn Sardin, coiffe de travail, coiffe des ouvrières, des usinières.

HISTOIRE D’UNE RÉGION

« Il y a des références, au dos du tableau à la guerre 14-18 et à la révolte des bonnets rouges sous Louis XIV lorsque les clochers furent rasés en pays bigouden. Le mythe veut que les femmes aient rétorqué « Puisque le roi a rasé nos clochers, nous les porterons sur la tête ». La coiffe bigoudène n’était pas alors aussi haute que celle que l’on connaît. Avec tout cela et ses souvenirs, Charles Tillon rend hommage aux grandes révoltées ! », analyse Philippe Dagron.

Courant XIXe, dans une région rurale, l’activité se développe sur le littoral sud, avec « une pêche plus moderne et moins dangereuse que celle de la morue de la côte nord. Les hommes sont pêcheurs, les fils sont mousses, les femmes et les filles, dès 12 ans, travaillent dans les usines. Elles y sont serrées « comme des sardines » et gagnent des salaires des plus bas. Quand les sardines viennent à manquer, c’est la misère. Sinon, elles peuvent enchainer jusqu’à 16 heures de boulot. »

HISTOIRE D’UNE LUTTE

La lutte est intense, puissante et exemplaire. Deux mille femmes des 21 usines se mettent en grève et la majorité se syndique. Les patrons font, au départ, bloc, les tensions montent, jusqu’à embaucher des casseurs de grève, qui s’en prendront physiquement à Daniel Le Flanchec, « un sacré personnage aussi, un espèce d’anar qui aurait été gigolo », depuis quelques mois élu maire de Douarnenez, première ville communiste de France (en 1921).

« Ce qui est inédit, c’est l’ampleur et le contexte ! Le mouvement de colère, porté par les femmes (les marins les rejoindront plus tard) qui protestent véritablement, et soutenu politiquement, dans cette première mairie communiste. La grève dans 21 usines, l’agression du maire, l’acceptation des revendications… Sans oublier la présence Joséphine Pencalet, ouvrière qui deviendra la première femme élue au conseil municipal. », souligne le médiateur culturel.

Le mouvement des Penn Sardin est, selon ses termes, la conciliation d’une coiffe symbolique d’un terroir et d’une lutte sociale gagnée haut la main. Le tableau de Charles Tillon, qui sera ensuite repris par un affichiste breton, devient un symbole de cette lutte qui vient casser le cliché de la femme bretonne regardant au loin en attendant le retour de son époux parti en mer.

« Elles sont actives et à contre-courant de l’image de la Bretagne des années 20 avec cette idée d’une région conservatrice et catholique. », insiste Philippe Dagron, rejoint par Pascal Nignol, également médiateur – proposant des visites en langue bretonne - au musée de Bretagne :

« Ici, on a tendance à beaucoup parler de cette lutte dans nos visites. C’est un mouvement très très connu dans le secteur, très important dans l’histoire régionale. C’est donc un classique de nos visites, même les visites généralistes. »

PAS QU’UNE HISTOIRE D’HIER

Si à Douarnenez, l’événement reste prégnant dans leur histoire, qu’en reste-t-il aujourd’hui au-delà des frontières finistériennes ? Pour les deux médiateurs, elle reste dans les mémoires. « Mais nous, on a le nez dedans ! On ne se rend pas forcément compte de la place qu’on lui donne globalement dans les luttes ouvrières et dans les luttes féministes. Mais c’est vrai que de manière générale, les gens ici ne connaissent pas bien l’histoire de leur région. », conclut Pascal Nignol.

D’où l’importance de se remémorer ce que les femmes d’hier ont accompli pour les conditions salariales. À travers l’art, avec le tableau de Charles Tillon, le film de Marc Rivière Penn Sardines, sorti en 2003 ou encore le livre de Daniel Cario Les coiffes rouges, publié en 2014.

Mais aussi à travers Bretonnes ? un ouvrage collectif référence, qui publie, aux Presses Universitaires de Rennes en 2016, sous la direction de Arlette Gautier et Yvonne Guichard-Claudic, les recherches menées par des historiennes, des littéraires, des politologues, des sociologues et une juriste.

Parmi « l’ensemble de femmes (évoquées) à partir du prisme de l’appartenance à un territoire à forte identité culturelle, géographique, historique » (quatrième de couverture), on trouvera un chapitre sur les femmes dans le secteur maritime en Bretagne, signé Yvonne Guichard-Claudic, anciennement maitresse de conférences en sociologie et actuellement membre du Laboratoire d’études et de recherches en sociologie, ainsi qu’un chapitre dédié à Joséphine Pencalet « une Penn Sardin à la mairie », signé Fanny Bugnon, maitresse de conférences en Histoire / Etudes sur le genre et responsable du DIU numérique Etudes sur le genre à Rennes 2.

Pour en apprendre plus sur notre histoire commune et pouvoir la poursuivre.

 

ALLER PLUS LOIN AVEC D’AUTRES HISTOIRES

Autre visite guidée proposée par le musée de Bretagne « Histoire de femmes, femmes dans l’Histoire » : dimanche 11 mars de 17h à 19h

Des représentations de divinités de l’époque antique à Bécassine, tantôt divines, reines ou révoltées, les femmes présentes dans les collections sont surprenantes ! Cette visite vous propose d’aborder les collections du musée sous un angle nouveau.

 

Célian Ramis

8 mars : Rennes a rendez-vous avec son matrimoine

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« Celle qui voulait tout », c’est la peintre Clotilde Vautier. Et c’est aussi le nom de l’événement organisé par HF Bretagne, Histoire du Féminisme à Rennes et Les amis du peintre Clotilde Vautier, du 1er au 17 mars, à Rennes.
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« Celle qui voulait tout », c’est la peintre Clotilde Vautier. Et c’est aussi le nom de l’événement organisé par HF Bretagne, Histoire du Féminisme à Rennes et Les amis du peintre Clotilde Vautier. Du 1er au 17 mars, les trois associations organisent conjointement une exposition, une conférence, une projection et une visite guidée, dans le cadre du 8 mars à Rennes. Rencontre avec deux membres de HF Bretagne : Laurie Hagimont, coordinatrice, et Elise Calvez, pilote du projet Matrimoine.

YEGG : Peut-on rappeler rapidement ce qu’est HF Bretagne ?

Laurie Hagimont : HF Bretagne est une association qui travaille pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture. Elle fait partie du réseau national qui est le Mouvement HF, présent quasiment dans toutes les régions de France. L’antenne de Bretagne est relativement jeune puisqu’elle a été créée en 2013. Le travail d’HF s’articule autour de 3 grands axes.

Le premier : repérer les inégalités par une étude chiffrée. C’est l’étude HF qui est publiée tous les deux ans, et là on va préparer la 3e édition à partir du mois de juin. Les chiffres ils existent au niveau national mais il est très important de les décliner au niveau local et territorial pour qu’il n’y ait pas d’erreur sur la prise de conscience. On n’est pas mieux en Bretagne qu’ailleurs.

Le deuxième : proposer des outils pour combattre ces inégalités. On va beaucoup agir par le biais de sensibilisation, des actions de formation, des ateliers, des événements comme des lectures publiques, des expositions, des tables-rondes, des conférences et puis des interventions dans des réseaux de professionnel-le-s…

Le troisième : encourager les mesures concrètes pour l’égalité réelle. Pour cela on va travailler avec toutes les collectivités territoriales, comme la Région, la DRAC, la préfecture (et en particulier la DRDFE), le conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, etc.

Quand vous parlez de mesures concrètes, est-ce que depuis la création d’HF Bretagne, vous constatez des mesures concrètes prises par ces institutions politiques ?

Laurie Hagimont : On a la chance de vivre dans une région qui est très très sensible à ces questions et qui n’a pas attendu HF ou d’autres pour par exemple utiliser l’écriture inclusive dans toutes ses publications. Ce sont des partenaires très conscients des choses et on n’a pas besoin de les convaincre qu’ils le sont déjà. Le problème c’est que les chiffres ne changent pas.

L’étape de la prise de conscience est faite mais il faut passer à l’étape supérieure, celle de l’action. C’est ce que l’on commence à entreprendre en 2018. On a une demande qui est très claire en terme de chiffres : on demande une augmentation de la visibilité des femmes – sur les programmations - de 5% par an pendant 3 ans, ça nous paraît un objectif raisonnable et accessible. Il faut aller regarder aussi de quelle manière on finance les projets dans la culture, les différences entre hommes et femmes sont assez énormes.

On peut parfois avoir un nombre de dossiers identique, disons 10 dossiers d’hommes et 10 dossiers de femmes, et des montants très différents accordés. Alors ce n’est pas une volonté des institutions de financer moins, ça peut être les créatrices et artistes qui souvent demandent moins que les hommes. C’est le cas dans bien des domaines ! Il faut alors être attentif à ça et travailler sur ces points-là.

Il y a une importance également de former les femmes à oser ?

Laurie Hagimont : Alors je ne pense pas qu’il faut les former à oser mais plutôt les encourager à oser. Par exemple, j’ai rencontré une jeune femme l’année dernière qui a fait des études de théâtre à Rennes 2 et qui pensait abandonner. Elle est entrée dans une asso féministe et elle le dit, elle s’est mise à la mise en scène.

Elle ne l’aurait pas fait sans être entrée dans une asso féministe. Elle s’est sentie soutenue et portée. Les garçons ont moins ce problème-là, il y a une grande différence dans l’éducation que l’on reçoit par rapport à l’autonomie et la capacité à faire des choses.

J’en viens au matrimoine. Peut-on rappeler ce qu’est le matrimoine et quelle importance il y a à utiliser ce terme ?

Elise Calvez : Le terme matrimoine, on en a pas mal entendu parler ces derniers temps parce que des élu-e-s s’en sont servi-e-s pour poser la question à Paris mais c’est un terme que l’on utilisait déjà depuis plusieurs années. Sans évidemment avoir envie de faire la guéguerre aux hommes sur quoi que ce soit mais partant du constat que dans ce que l’on appelle « patrimoine » - et du mot qui vient de « pater » - c’est beaucoup d’héritage de nos pères qui nous est transmis.

Et l’héritage de nos mères, créatrices du passé, a plus de mal à être transmis. Il est encore peu visible. Et que ce soit en peinture, au cinéma, en photos, au théâtre, en poésie, on a beaucoup de mal à retrouver ces créatrices dans les anthologies, les histoires de l’art, les musées, les plateaux de théâtre ou de danse. Dans le répertoire. Dans ce qui forme notre culture commune.

Et donc le but du matrimoine, c’est vraiment de rouvrir une 2e bibliothèque qu’on avait un peu oubliée. C’est une entreprise très joyeuse, très enrichissante, pour tou-te-s. L’idée c’est de dire que notre héritage culturel, il sera constitué d’une diversité d’apports. Du patrimoine du coup et de ce que nous ont légué les créatrices du passé qu’on a souvent oublié, alors même qu’à leurs époques elles étaient reconnues.

Beaucoup de dramaturges étaient dans les anthologies de théâtre sous l’Ancien Régime au 17e siècle et ont été effacées au fil des rééditions… C’est Aurore Evain qui en parle très bien et qui a beaucoup travaillé sur la question du matrimoine. On voit qu’il y a un effacement successif, ce qui fait que quand on demande aux gens de citer une femme photographe, une femme dramaturge, une femme artiste, on a toujours besoin de réfléchir plus longtemps.

En revalorisant ces artistes, c’est déjà pour notre culture générale mais le but on va dire aussi c’est de revaloriser des modèles de projection pour les femmes que nous sommes aujourd’hui, pour les étudiantes aux Beaux-Arts, les femmes en formation d’actrices, de danseuses, de photographes…

Se dire que dans l’histoire de l’art, les femmes n’ont pas été que des sujets de peinture ou des mécènes. Ce sont souvent les deux endroits, muses ou mécènes, auxquels on les cantonne allégrement. Alors qu’elles ont aussi participé activement à notre histoire de l’art. On parlait du passé mais il y a aussi la question de nos modèles aujourd’hui.

Vu l’impact qu’ont les arts et la culture, avec le street art, les séries TV, les polars, la BD, etc. on se demande alors qu’est-ce qu’on transmet de nos vies culturelles et de nos représentations de 2018 aux générations futures comme modèles, comme référents, comme histoire de l’art de demain ?

Aujourd’hui, on voit les lacunes de ce qui nous est transmis. Est-ce qu’en 2018 on continue à reproduire cette histoire de l’art encore très blanche, très hétéronormée, très masculine, très bourgeoise dans ses codes. Finalement en interrogeant le matrimoine, c’est une porte d’entrée vers tous ces questionnements. C’est une tâche colossale.

Lors des Boum que l’on a organisé, on avait envie de faire un quizz musical pour savoir quelles sont les musiciennes et les compositrices qui nous ont inspiré-e-s qu’on a envie de retransmettre aux générations futures. On a fait une lecture en janvier, sur les poétesses du voyage parce que les femmes n’écrivent pas que sur la cuisine et leurs amours déçus. Elles parlent aussi d’aventures, de grands voyages, de grands espaces, de rencontres de l’Autre. Là aussi ça crée d’autres modèles, de politiques.

Et vous avez organisé aussi un speed dating matrimoine le 6 février, au Grand Sommeil, à Rennes.

Elise Calvez : Oui effectivement, le but était que ce soit quelque chose de très collaboratif, que chacun-e vienne avec une œuvre quelle qu’elle soit, enfin qui puisse être partagée ce soir-là dans un bar, comme un livre, un tableau, de la musique (venir avec des écouteurs), un instrument de musique pour jouer de la musique. Pour se les faire découvrir, on a pris le format du speed dating qui est quelque chose d’assez ludique, avec un temps défini pour faire connaître l’œuvre que l’on a envie.

Quelle est l’importance de varier les formes ludiques plutôt que d’utiliser la forme conférence ?

Elise Calvez : On fait aussi des conférences. Par exemple, on parlait d’Aurore Evain, on l’a accueillie en conférence l’année dernière. Parce que c’est important de nourrir des réflexions théoriques sur quelque chose d’approfondi, de factuel. Mais on invite aussi tous les gens de manière ludique à – cette expression est jolie – « chausser ses lunettes de l’égalité ».

Une fois qu’on commence par le biais ludique à interroger ça, on se dit que ça va faire son chemin du côté du grand public. Et puis en tant que public, on peut tous jouer.

Laurie Hagimont : En fait pour moi il y a deux niveaux. Il y a le niveau où l’on va réfléchir, approfondir, étudier même la question en allant loin, en allant se nourrir de choses lors des conférences avec des pointures disons-le. Et il y a aussi le niveau du quotidien. Ce sont des choses du quotidien. On peut parler du grand théâtre, des grandes œuvres, avec un côté un peu élitiste mais la culture ne se limite pas du tout à ça.

La culture, on en a tous les jours. Qui n’écoute pas de la musique ? Qui ne regarde pas une série TV ? Tout cela contribue à constituer notre héritage culturel commun. Et comment on va l’interroger ça au quotidien ? C’est pour ça qu’on avait envie de parler de matrimoine contemporain, pour qu’on arrive à poser un regard dans ce qu’on aime, ce qu’on lit, ce qu’on écoute : tiens, y a qui comme femme ? Et puis, éventuellement, se pencher dans l’histoire de ces femmes.

Ça crée plein de choses entre les personnes qui présentent ces œuvres et ces femmes et puis c’est une expérience généreuse comme quand on est entre ami-e-s et que l’on se recommande des bouquins, des films, etc. ça crée des échanges, des contacts. C’est du lien humain qu’il y a derrière. On est ancré dans le quotidien et dans quelque chose de joyeux, convivial et relationnel. Ça ne doit pas être forcément de l’étude. On peut sortir d’un rapport qui peut paraître austère. Ça peut être vivant et drôle !

Là on parle du côté grand public qui se fait découvrir des œuvres. Mais il y a aussi la prise de conscience du côté des artistes femmes. Elles ne sont pas toujours conscientes des inégalités ou alors n’osent pas toujours en parler. Revient souvent la fameuse réponse : « Le sexe n’est pas un critère »…

Elise Calvez : Je pense qu’il y a plusieurs choses. Il y a l’envie d’être reconnue pour son travail et pas pour une cause qu’on défendrait. Ce qui peut être entendu. On voit cette année particulièrement que c’est quand on est en collectif que ça change, que ça bouge et que ça réagit.

Je pense aussi que d’un point de vue individuel, les femmes peuvent avoir intégré que les freins viennent d’elles. Elles peuvent avoir intégré que si un truc ne marche pas ce n’est pas du sexisme, c’est parce qu’elles sont trop timides, c’est parce qu’elles n’ont pas osé demander ou c’est parce qu’elles ont dû mal s’y prendre, ou encore qu’elles n’osent pas demander un poste de direction, demander un prix.

Elles vont se dire que c’est dû à leur personnalité et pas à un système global. L’intérêt des soirées organisées par HF, quand il y a des rencontres, c’est que l’on se rend compte lorsqu’on échange que tout le monde a cette même défense. De se dire « Le problème, ça a dû être moi à un moment donné, j’ai dû mal m’y prendre ».

Et quand on a des témoignages de ça, en nombre, on se dit que le problème individuel est tellement partagé que ça doit vraiment être lié à nos modes d’éducation, à nos modes de représentation, à notre intégration nous-même des codes, de l’auto-censure. Quelque chose qui se joue là et qui n’est pas de l’ordre que de l’individuel. La bascule, elle est là.

Laurie Hagimont : La question du talent revient souvent. On peut trouver 80% d’hommes programmés dans une structure et seulement 20% de femmes et quand on le souligne, la réponse sera « Mon problème n’est pas de programmer un homme ou une femme mais de programmer quelqu’un qui a du talent ».

Et ça c’est complètement horrifiant comme réponse. Ça veut vraiment dire quelque chose derrière qui est in-entendable et surtout qui est très très faux. On a la parité dans les écoles d’art entre les filles et les garçons donc il se passe forcément un truc entre les deux. On voit souvent, enfin personnellement c’est mon impression, que les femmes qui sont visibles dans les arts et la culture, elles produisent généralement des œuvres qui se détachent réellement.

Ça veut dire qu’elles sont vraiment vraiment fortes pour arriver à cette visibilité. Je pense à Jane Campion avec Top of the lake, c’est un bijou. C’est d’une finesse incroyable. Il y en a plein d’autres qui auraient produit des choses qui sont très bien mais là on est dans du très très haut de gamme.

Elise Calvez : Et ce talent, il s’interroge aussi. Il est bassement lié à des choses matérielles. Quand on est artiste, si on n’a pas de bourse de création, une résidence, un budget (si on a moins d’un tiers de budget par rapport à ce que peut demander un homologue masculin et qui l’obtiendra), effectivement, à un moment donné, le rendu final du projet n’aura pas la même allure. C’est ça aussi qu’on interroge. Il y a des résidences d’artistes où il y a une artiste sur 15 qui a une bourse de création. Ça veut dire que toutes les autres ont fait autrement.

S’il n’y a pas de financement, de résidence, de reconnaissance dans le réseau – parce qu’on sait que la culture marche beaucoup par de la cooptation, par de l’informel, par le fait de rester à la fin de telle réunion, rentrer un peu plus tard le soir, être à la limite du privé et du public – si entre 30 et 40 ans on ne peut pas rester sur ces temps informels-là, on sait que ça va être un frein sur le développement d’une carrière. Le talent est une sorte de masque assez poli pour masquer des choses assez concrètes sur la cooptation, sur les réseaux et sur les recommandations.

Laurie Hagimont : Le manque de visibilité va se mettre en place très vite. Même très concrètement, un programmateur qui aurait la volonté de faire du 50/50, il va falloir qu’il s’implique plus pour aller les trouver (les femmes). Forcément, elles ne sont pas dans les résidences, dans les festivals, etc. il faut aller plus loin, creuser la recherche et comme les collègues ne les programment pas non plus, on ne peut pas s’appuyer sur son réseau.

Mais les programmateurs ont un vrai boulot à faire sur ce point-là. Beaucoup ont la volonté de le faire mais n’y arrivent pas forcément. Mais elles existent, elles sont là, mais il faut vraiment aller les chercher, il y a vraiment des pépites à sortir. Encore faut-il les voir !

Voit-on une différence quand c’est un programmateur et quand c’est une programmatrice ?

Laurie Hagimont : Je crois qu’on n’a pas étudié la question. Peut-être bien, mais là je vous le dis par croisement des données. En programmation, plus la structure va être grosse, plus elle va être institutionnalisée, moins on va avoir de femme à sa tête, à la programmation. Plus la structure va être petite, va manquer de moyen, plus on va avoir des femmes à sa tête. Et comme les femmes sont sur des petits lieux ou des lieux intermédiaires, je pense que ça doit faire une différence.

Elise Calvez : Ça joue mais on ne sait pas dans quelle mesure ça joue. Par conviction ou par moyens de productions ?

Laurie Hagimont : Je pense que c’est vraiment à double tranchant.

Elise Calvez : Après, encore heureux, il y a des programmateurs attentifs. Il n’y a aucun empêchement physiologique à ce qu’ils n’y fassent pas attention. Et vice versa. Il peut y avoir des femmes qui ne se posent pas la question non plus. Je n’en connais pas mais ça doit exister…

Laurie Hagimont : J’ai vu des lieux qui revendiquent des programmations paritaires et c’est toujours des petits lieux, des lieux associatifs.

Elise Calvez : Souvent, dans les lieux plus grands, il va y avoir un événement. Dans l’année, c’est pas terrible niveau parité mais sur une semaine, on va avoir un temps sur les femmes exceptionnelles (c’est un exemple). Il faut vraiment que ça vaille le coup ! Ça ne peut pas être au long cours dans la saison. Ça va être avec des stars, des gens exceptionnels, au niveau national ou international, quelque chose de prestigieux, sur un temps court. Bon, c’est un premier pas et tant mieux…

Mais pas suffisant…

Elise Calvez : Oui, je sais pas, c’est comme toutes ces questions de représentations et de diversité. On croise souvent la question. Sur le plateau, on aimerait qu’il y ait plus de gens différents. Et en responsabilité artistique également. La moitié de la population, ce sont des femmes, ce serait bien que ça se retrouve.

Une part de la population n’est pas d’origine française directement, ce serait bien que ça se retrouve, une part de la population vient de différentes origines sociales, ce serait aussi bien qu’elles aient le droit à la parole, à la représentation symbolique, etc. Est-ce que les arts et la culture qui sont par essence le lieu du symbole peuvent se passer de représenter la société de 2018 ?

C’est plutôt simple comme question et le fait est que non, on reste encore sur des représentations très normées : hommes, 50/60 ans, blancs, hétérosexuels. Ouvrons un peu les portes ! Oxygénons les modèles de représentation ! Ce n’est pas dans quelque chose de revanchard ou de guerrier, on est persuadé-e-s que c’est riche, que ça nous apportera à tous, et que c’est passionnant ! Ce n’est pas de l’agressivité, c’est de l’envie de partager. Il y a des cerveaux variés, des intelligences variées, des regards variés, des imaginaires variés… On a tout à y gagner ! De tous ces gens dont on se prive pour l’instant…

Laurie Hagimont : On parle beaucoup de responsables artistiques mais il y a un élément encore plus visible pour le grand public, c’est ce qu’on voit. Quelle est l’histoire qu’on nous raconte ? Dans les oeuvres narratives, il y a un test tout bête à utiliser quand on est spectateur et qui marche dans tout : c’est le test de Bechdel. Je trouve que c’est hyper important de le connaître et de le diffuser.

Quand on est face à une œuvre narrative – ça peut être une représentation au TNB, un bouquin, une série TV, un jeux vidéo – on peut se poser les 3 questions du test : Y a-t-il au moins 2 femmes qui portent un nom parmi les personnages de l’œuvre ? Est-ce que ces 2 femmes parlent entre elles ? Si elles parlent entre elles, parlent-elles d’un autre personnage masculin ?

Ce qui est marrant et qui peut paraître assez bête, c’est d’inverser les questions à propos des personnages masculins, à tous les coups, c’est oui aux 3 questions. Ça l’est assez rarement de l’autre côté. Par exemple, à la rentrée, sur les 8 prix littéraires décernés, il n’y en a qu’un qui a réussi le test de Bechdel ! En 2018 ! Et ils ont évidemment été attribués à des hommes.

Quelque chose qui commence à se faire et qui me semble assez important, c’est au niveau de la représentation des femmes dans des jurys, des tables rondes, des débats, on a eu la semaine dernière l’exemple de Mathieu Orphelin qui à la suite de sa rencontre avec la Barbe a décidé d’annuler sa participation à une table ronde car il n’y avait quasiment aucune femme représentée ! Il y en a plein des événements dans ce style…

On a vu un tremplin de musiques actuelles, sur 22 membres du jury, il y avait deux femmes… Les garçons s’il vous plait ne soyez pas complices de ça ! Des femmes en capacité de participer à un jury ou une table ronde, ça existe !

Elise Calvez : Bizarrement, on remarque que quand ils nous filent un coup de main, ça marche mieux aussi ! Tant mieux, ça aide. Mais ça légitime quelque chose qui est dit depuis des années par les assos de femmes. Enfin bon, tant mieux.

Laurie Hagimont : C’est le problème de tout le monde cette représentation. Il n’y a pas que les femmes qui veulent plus d’égalité, il y a beaucoup d’hommes dont c’est le cas. Bonne nouvelle, ils peuvent agir ! Ils peuvent adhérer à HF, par exemple !

Elise Calvez : Ou venir boire des coups aux apéros !

Ou vous aider pour les événements du mois de mars, pendant lequel vous faites un focus sur une femme en particulier. Pourquoi Clotilde Vautier ?

Elise Calvez : Alors, je le dis tout de suite parce que c’est important, ce projet a été construit avec 3 associations : HF Bretagne, Histoire du Féminisme à Rennes et Les amis du peintre Clotilde Vautier. Le point de départ c’est que Clotilde Vautier est née en 1939 et est décédée il y a 50 ans, le 10 mars 1968.

C’était une artiste peintre qui a vécu à Rennes et qui a été élève aux Beaux-Arts de Rennes où elle a rencontré les deux frères Otero, Antonio et Mariano. Et ensemble, ils forment une équipe d’artiste. Ça marche bien pour eux, ça décolle, ils ont des expos. Mariano Otero continue d’ailleurs d’exposer aujourd’hui. Antonio et Clotilde ont ensemble deux filles : Isabel Otero, comédienne, et Mariana Otero, réalisatrice.

En 1968, Clotilde Vautier tombe enceinte une 3e fois, c’est donc avant la loi Veil, avant l’avortement autorisé, et elle décède des suites de son avortement clandestin. Elle meurt très jeune. Autour de ça, ce qui nous a intéressé dans cette figure-là, c’est qu’elle croise plusieurs problématiques qui se posent aux femmes artistes. Déjà de manière très brutale avec cette question de vie ou de mort qui interrompt une carrière artistique, pour des questions liés au corps.

On n’imagine aucun artiste masculin, de Picasso à n’importe qui, dont l’œuvre se serait arrêté au moment il a eu des enfants… Il y a déjà là quelque chose qui se casse. Et puis, avec Histoire du Féminisme à Rennes, on a voulu construire ça sur différents aspects.

Sur son histoire de femme, et là il y aura une projection du film réalisé par Mariana Otero, Histoire d’un secret, qui revient sur son parcours, sur cette histoire commune certainement à des milliers de femmes en France dont on a caché l’histoire parce que c’était la honte. Le film raconte parfaitement le climat, le contexte avant la loi Veil. Et Histoire du Féminisme à Rennes proposera une visite guidée comme l’asso le fait régulièrement (17 mars à 15h30).

Et on voulu aussi ne pas parler de Clotilde Vautier uniquement en victime de sa condition de femme mais avant tout reparler de son travail, de ses œuvres, avec l’idée qu’on ne pourra jamais imaginer ce que serait devenue sa carrière si elle avait vécu plus longtemps mais qu’on peut s’intéresser à ces dernières œuvres, les plus abouties, dans les années 67-68 avant son décès, en exposant ses œuvres à la MIR du 1er au 17 mars. Avec à la fois des toiles et à la fois des croquis.

Il y aura aussi, pour compléter tout ça et remettre dans un contexte historique, on a invité Fabienne Dumont pour une conférence. Elle est historienne de l’art, critique d’art, chercheuse et enseignante à l’école des Beaux-Arts de Quimper. Et est une spécialiste de la question des représentations et de la reconnaissance des femmes artistes et notamment des plasticiennes, dans les années 70 à aujourd’hui.

Dans sa conférence, elle va partir de l’exemple de Clotilde Vautier pour voir ce que l’on peut dire des femmes artistes dont la carrière a été brisée ou dont la reconnaissance a été compliquée à faire exister. Et qu’est-ce qui peut être riche dans leur travail, en quoi leur travail nous semble valable, intéressant, y compris sur la manière de représenter les corps de femmes ? Est-ce qu’on représente le modèle féminin de la même manière ? On pose les questions. Ce sera le 14 mars à 19h à la MIR.

On essaye avec ce projet, d’attaquer la chose sous différents angles, c’est pourquoi on l’a appelé « Celle qui voulait tout », en greffant l’histoire individuelle, son parcours artistique et l’histoire collective. Au niveau de la ville de Rennes, un collège porte le nom Clotilde Vautier, et elle a une allée aussi dans une commune de Rennes Métropole. Mais son travail est toujours peu visible.

Il y a une série au musée des Beaux-Arts…

Elise Calvez : Il me semble que ce sont des croquis et je ne sais pas s’ils sont exposés. Dans le cadre du matrimoine, est-ce que ça ne pourrait pas être intéressant d’avoir une toile visible par le grand public quand il vient à Rennes d’une artiste locale ? Il y a un parcours interrompu mais sa démarche est singulière. Voilà donc notre projet du 8 mars.

Ces événements sont grand public, est-ce que vous conviez des artistes plasticiennes de Rennes – comme on a pu le voir se réunir au sein des Femmes Libres pour l’exposition Intimes, à l’Hôtel Pasteur – pour témoigner ?

Elise Calvez : On n’a pas fait le choix des témoignages d’artistes d’aujourd’hui. Cela dit je pense que lors de la conférence il y aura un échange et ce sera intéressant de voir si les freins qui existent aujourd’hui sont toujours les mêmes, en partie, que ceux qu’a pu connaître Clotilde Vautier.

Je pense que c’est autour de la conférence que ça pourra se faire. Le simple fait par le matrimoine de faire ré-émerger des modèles nourrit la réflexion et la pratique des artistes d’aujourd’hui. Parce que si les modèles ne sont pas transmis, chaque génération a l’impression qu’elle doit refaire son histoire de l’art, recommencer, ou s’imaginer en pionnière, etc. 

 

Du 1er au 17 mars : "Dernières œuvres, 1967-68"
Exposition des toiles et dessins peints par Clotilde Vautier durant les dernières années de sa vie, marquées par une grande créativité.
Maison Internationale de Rennes, du lundi au samedi, de 14h à 19h (ouverture plus tardive en cas d'autre événement à la MIR)
Gratuit

Samedi 10 mars : Histoire d'un secret : projection et rencontre avec la réalisatrice Mariana Otero
Cinéma L'Arvor, 18h
Entrée payante - Réservation conseillée

Mercredi 14 mars : "A partir de Clotilde Vautier, point de vue féministe sur la création et la reconnaissance des plasticiennes"
Conférence de l'historienne de l'art Fabienne Dumont, professeure à EESAB
Maison Internationale de Rennes, 19h
Gratuit

Samedi 17 mars : Visite guidée "Rennes au féminisme", sur les traces des luttes rennaises pour le droit à l'avortement
Centre-ville (point de rendez-vous communiqué lors de l'inscription), 15h30
Inscription obligatoire: histoire.feminisme.rennes@gmail.com
Gratuit

Célian Ramis

Football : égalité sur le terrain ?

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Alors que l'on se figure que, côté football, les femmes sont de plus en plus médiatisées, qu'en est-il réellement de la place et de l'image des femmes dans ce sport ? Sur les terrains rennais, comment les joueuses vivent-elles leur pratique ?
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En débutant nos recherches, on a tapé « footballeuses » sur Google. Plein-e-s d’espoir au départ, on a rapidement déchanté en voyant les multiples pages de liens vers des articles type « TOP 25 : Les footballeuses les plus belles de 2016 » ou des vidéos YouTube « Les footballeuses les plus belles du monde », montrant une femme en brassière, une partie de la poitrine à l’air et le ballon entre ses seins refaits.

Et quand on cherche les présidents de clubs impliqués pour des sections féminines, on tombe là encore sur des pages classant physiquement les filles de présidents de clubs. Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? On a enquêté sur les terrains rennais, pour voir et comprendre quelles sont les réalités actuelles du monde du football lorsque le ballon est aux pieds des joueuses. 

En 2019, la France accueillera la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, dont plusieurs matchs seront disputés dans la capitale bretonne. Un événement important pour la promotion des femmes dans le sport mais qui apparaît néanmoins comme incohérent, le Roazhon Park étant rarement foulé par les crampons féminins. Peinant à investir dans une section féminine, on peut alors se demander quel exemple renvoie le Stade Rennais ? L’occasion de s’intéresser à l’évolution du milieu du football, en terme d’égalité entre les hommes et les femmes.

« FOOTBALL – Une petite révolution. Petite, parce qu’il s’agit de la Norvège et que les prix des joueurs sont bien moins élevés que dans les grandes nations du football. Révolution tout de même, parce qu’il a fallu doubler le salaire des joueuses pour qu’il atteigne le niveau de leurs homologues masculins. Et aussi parce que c’est le second pays qui tente le coup, après les États-Unis. », peut-on lire sur le site du HuffingtonPost, le 9 octobre dernier.

Et de leur côté, les footballeurs norvégiens ont accepté de baisser leurs salaires. La bonne nouvelle est sidérante - preuve que l’on part de loin - bien que les pays d’Europe du nord soient réputés pour leur exemplarité en terme d’égalité entre les sexes. La suite de l’article est encore plus stupéfiante :

« Les footballeuses norvégiennes ont un palmarès conséquent avec notamment un titre de championnes du monde (1995), deux championnats d’Europe (1987 et 1993) et une médaille d’or olympique (2000). Les hommes, eux, n’ont jamais remporté aucune grande compétition internationale. Ils occupent actuellement la 73e place du classement de la Fifa tandis que les femmes sont 14e. »

De meilleures performances donc pour de moindres salaires. La preuve d’une inégalité profonde qui, si elle tend à disparaître en Norvège ou aux Etats-Unis (où les joueuses ont dû menacer de grève pour obtenir des conditions financières similaires à leurs homologues masculins), perdure dans la majorité des pays du monde. Et malheureusement, la France ne figure pas au tableau des exceptions.

DES INÉGALITÉS IMPORTANTES

Cet été, les équipes féminines de football jouaient pour l’Euro, aux Pays-Bas. Le site des Échos en profite alors pour s’intéresser aux chiffres. Des chiffres qui révèlent que dans le domaine du football, les femmes gagnent en moyenne 96% de moins que les hommes, là où dans la plupart des autres secteurs, l’écart est estimé à environ 23%.

« Selon la Fédération française de football, les footballeuses professionnelles évoluant dans les plus grands clubs (PSG, OM, OL, Montpellier…) touchent en moyenne 4000 euros par mois. Les autres, issues de clubs moins prestigieux, peuvent prétendre à un salaire allant de 1500 euros à 3000 euros mensuels. Une misère au regard des salaires des footballeurs de première ligue qui touchent en moyenne 75000 euros par mois. », indique le journal économique.

Deux mois plus tard, c’est au tour de l’association sportive et militante Les Dégommeuses d’établir un constat bien glaçant à travers la réalisation de la première étude concernant la place réservée aux footballeuses dans la presse écrite française : sur un mois d’enquête (permettant d’éplucher 188 journaux – presse spécialisée et Presse Quotidienne Régionale), 1327 pages ont été consacrées au foot dont 28 seulement dédiées aux sections féminines. Soit 2,1%.

Le collectif, luttant contre les discriminations notamment sexistes et les LGBTI-phobies, passe les écrits et les visuels à la loupe. Quand on parle du foot féminin dans les médias, ce sont les entraineurs, dirigeants de club et présidents de fédération qui sont valorisés, tandis que les joueuses sont montrées en second plan et souvent de dos. Un phénomène encore plus flagrant au moment où plusieurs villes françaises lancent la Coupe du Monde Féminine 2019.

ÉCARTER LES FEMMES DES TERRAINS

Alors que la plupart des clubs ayant créé des sections féminines voient le nombre de leurs licenciées augmenter, les mentalités ne semblent évoluer que trop lentement. La place des filles et des femmes ne serait pas sur le terrain ! Ni même sur le bord du terrain (preuve en est avec les nombreuses interviews et remarques sexistes à propos de la nouvelle sélectionneuse des Bleues, Corinne Diacre)…

Ni dans les gradins d’ailleurs puisque selon le bon vieux stéréotype, elles seraient plutôt sur la touche au moment des matchs, leurs hommes les délaissant cruellement pour le sport national le plus populaire qui soit. C’est sur ce cliché que s’est empressé de jouer le déodorant Axe en 2010 lors de la Coupe du Monde masculine. Trois affiches, trois femmes sexy et trois phrases d’accroche : « Mon portable n’a pas sonné depuis le 11 juin », « J’ai une bien meilleure façon de passer 90 minutes » et « Y a-t-il un mec célibataire qui ne regarde pas le foot ? ».

Une campagne déplorable basée sur le peu d’intérêt que la gent féminine accorderait au football. Pourtant, la pratique n’est pas réservée aux hommes et les femmes y jouent depuis la fin du XIXe siècle pour les pays britanniques et début du XXe siècle pour la France. Mais rapidement, les voix mâles vont s’élever, entrainant en 1941 l’interdiction aux femmes de jouer.

Parce qu’ils étaient (et sont toujours) nombreux les Messieurs à penser comme Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux Olympiques, estimant que le rôle des femmes « devrait être avant tout de couronner les vainqueurs. » Les argumentaires des médecins vont alors aller dans le sens des misogynes, déconseillant la pratique sportive à toutes celles qui possèdent le kit « vagin – utérus – ovaires » sous prétexte que celle-ci pourrait endommager l’appareil reproducteur.

Et là, difficile de se séparer d’une telle image, ancrée profondément dans les mentalités : biologiquement différent-e-s, hommes et femmes ne sont pas capables des mêmes choses. Comprendre ici : les mecs sont faits pour réaliser des prouesses, des performances spectaculaires, les nanas, non. Ce qui légitimerait donc les salaires mirobolants, pour ne pas dire indécents, et la bien plus forte médiatisation dont découlent ensuite les phénomènes de visibilisation et par conséquent d’identification.

À LEURS DÉBUTS

Heureusement, toutes les petites filles n’ont pas été irradiées par les rayons puissants des stéréotypes du genre et certaines rêvent, si ce n’est de devenir professionnelles, de jouer au football. « Je n’ai pas envisagé d’en faire mon métier parce que ça n’existait pas les professionnelles quand j’étais plus jeune. », souligne Lucile Nicolas, 28 ans, joueuse au Cercle Paul Bert Bréquigny.

Elle a 6 ans quand elle commence à jouer, à Quiberon. Avec les garçons d’abord, comme toutes celles qui commencent dès le plus âge (sans oublier que dans les années 90, rares sont les sections féminines qui existent), comme cela a été le cas pour ses coéquipières Maude Corfmat, 18 ans, et Marion Darcel, 21 ans, ou ses adversaires de l’ASPTT Rennes, Amandine Bézard, 24 ans, et Emelyne Fava, 22 ans.

« Mon père et mon frère jouaient et ma mère suivait tous les matchs. Je ne me suis jamais sentie à l’écart parce qu’ils étaient là aussi quand moi je jouais. Mais en grandissant, j’ai senti que ce n’était pas normal pour tout le monde. J’ai mis beaucoup de temps à trouver un établissement scolaire qui proposait sport-études pour les filles. J’ai commencé à Vannes puis je suis venue au lycée Bréquigny qui a un pôle Espoir. À Quiberon, quand j’étais plus jeune, je me souviens d’une fille qui jouait super bien mais elle a dû arrêter après ses 14 ans parce qu’elle ne pouvait plus jouer avec les gars et qu’il fallait qu’elle fasse 1h de route pour aller jouer à Lorient avec une équipe féminine. C’est vraiment dommage. Mais je pense qu’aujourd’hui, ça, ça n’existe quasiment plus, heureusement. », explique Lucile.

Pour Emelyne, les réflexions ont été compliquées à gérer au départ « parce qu’il y a le cliché du garçon manqué et encore aujourd’hui si les mentalités évoluent, ça reste encore stéréotypé, on pense que les filles jouent moins bien. » Sans éducation à l’égalité, les filles et les garçons intègrent dès la petite enfance les stéréotypes de genre. Dans le sport, notamment.

Et Nicole Abar, ancienne footballeuse professionnelle, aujourd’hui très investie dans la lutte contre le sexisme et le racisme (lire « 8 mars : Sur le terrain de l’égalité », daté du 6 mars 2017 sur yeggmag.fr) le confirme, constatant qu’avec les garçons, on lance le ballon avec le pied tandis qu’avec les filles, le lancé s’effectue avec les mains. Sans oublier que dans la cour de récré, l’espace sportif est encore principalement occupé par la gent masculine et ses jeux de ballons.

« Le foot, c’était le sport de la récré et je jouais avec les gars. J’ai souvent entendu que ce n’était pas un sport de filles, et encore aujourd’hui on fait ce genre de réflexion. Alors, on se vexe, on se met dans notre coin et personnellement, j’ai vraiment failli arrêter le foot quand il a fallu s’entrainer qu’avec les filles. », précise Amandine qui avoue qu’elle aurait aimé en faire sa carrière : « Maintenant, c’est trop tard, je suis trop vieille. »

Maude, elle, ne désespère pas d’être remarquée pour ses qualités sur le terrain. « Petite, on m’a dit que le foot, c’était pour les garçons et pas pour les chochottes. J’ai fait sport-études pendant 3 ans à Pontivy et j’ai pu prouver que j’étais capable ! J’aimerais vraiment évoluer à plus haut niveau et pour ça il faut soit passer des tests dans les clubs, soit être repérée par des dirigeants. Aujourd’hui, je ne suis pas dans l’échec, j’ai déjà eu des demandes mais pour jouer au même niveau. J’ai envie de prouver que je peux y arriver, de me donner à fond. N’écoutons pas les remarques et prouvons que les garçons ne sont pas les meilleurs ! », s’enthousiasme-t-elle.

PROFILS ET ENVIES DIFFÉRENT-E-S

Elle évolue, avec Lucile Nicolas et Marion Darcel, dans l’équipe A du CPB Bréquigny, réputé pour son niveau – l’équipe évolue en R1, plus haut niveau régional – et pour sa section féminine amateure, comptabilisant environ 150 licenciées, une des plus importantes de Bretagne.

Leur investissement est de taille : 3 entrainements par semaine et les matchs le dimanche. « J’aime la compétition, ça demande du dépassement de soi. Avec Bréquigny, j’ai envie d’aller en D2 – je n’étais pas encore dans le club quand elles y étaient – et de voir ce qu’on est capables de faire ensemble. On est une bonne équipe et j’aime vraiment ça. J’aimerais bien travailler dans le domaine du foot, comme community manager ou chargée d’une section féminine mais je n’ai aucune envie d’être footballeuse, parce qu’on ne peut pas en vivre et parce que je n’ai pas envie de faire autant de sacrifices. », explique Marion, diplômée d’une licence en management du sport.

Même son de cloches du côté de Lucile, secrétaire comptable et ambulancière : « On n’a pas de vacances, pas de temps pour soi, avec un régime alimentaire drastique… Non, je crois que j’aime un peu trop la fête ! » Toutes jouent au foot depuis l’enfance quasiment. Toutes accrochent à l’esprit d’équipe et parlent d’un sport intelligent parce que tactique et stratégique. Toutes n’ont pas les mêmes profils, ni les mêmes envies.

Emelyne Fava, professeure d’EPS, et Amandine Bézard, cariste, ont toutes les deux quitté le CPB Bréquigny pour l’ASPTT Rennes, qui compte nettement moins de licenciées, mais dont l’équipe A séniors évolue également en R1. Elles dénoncent du côté de Bréquigny une mauvaise ambiance et des rivalités entre joueuses, appréciant davantage la convivialité de l’APSTT.

« Je trouve qu’ici, c’est plus collectif, on ne se marchera pas dessus pour briller. Moi mon but n’est pas d’aller à plus haut niveau, l’investissement qu’il a fallu donner au CPB m’a énormément fatiguée. », déclare Emelyne, en accord avec sa coéquipière Amandine :

« Là-bas, créer sa place est compliqué. J’ai envie de jouer les hauts de tableau et les barrages mais pas comme ça. »

Des critiques que réfutent les joueuses du CPB Bréquigny : « Perso, l’an dernier, je ne m’entendais pas très très bien avec l’ancien coach et je n’ai pas beaucoup joué mais je ne le ressens pas comme ça. Je crois que c’est une question de choix, peut-être qu’elles n’ont pas eu beaucoup de temps de jeu et ça leur a déplu. »

Quoi qu’il en soit, les deux équipes jouent à bon niveau et parlent chacune de vie « extra-entrainement », avant ou après les matchs du dimanche. Et se consacrent sur le terrain au jeu et à leur progression.

PAS TOUS CONVAINCUS…

Pour Richard Roc, entraineur de la section féminine de l’ASPTT Rennes, les conditions d’entrainements et le traitement en terme d’infrastructures diffèrent clairement de celles du CPB Bréquigny (lire l’encadré). En attendant la fin des travaux effectués sur leurs terrains, l’ASPTT se voit jouer à Cleunay (complexe Ferdinand Lesseps) qui semble en effet moins entretenu et dont les équipements type vestiaires, douches et sanitaires, sont un peu vétustes :

« Il a fallu batailler avec la Ville de Rennes pour qu’ils mettent des algecos parce qu’il n’y avait rien pour se changer et se laver. Ce n’est pas normal ! Les joueuses, elles sont incroyables parce qu’elles ne râlent pas tant que ça, elles se battent. »

Mais il déplore surtout le manque d’intérêt général pour le foot féminin, de la part du président du club, de certains de ses collègues entraineurs et des clubs :

« C’est une bataille permanente. Je me bats pour le foot féminin mais c’est loin d’être gagné. Quand j’entends, en formation, certains entraineurs me dirent « Tu dois être content d’entrainer les filles, surtout dans les vestiaires », c’est lamentable. Je me dis que tout le monde ne peut pas coacher les filles qui sont pourtant très fortes mentalement et qui aiment se surpasser ! Mais vous savez, pour la plupart des dirigeants, ce n’est pas rentable. Ça marcherait s’il y avait du pognon ! Enfin, dans la mesure où les filles ne dépassent pas les garçons. Parce que là, ce ne sera pas accepté du tout ! On tolère les footballeuses tant qu’elles ne font pas d’ombre aux hommes… »

QUELLES DIFFÉRENCES ?

Et elles pourraient bien leur faire de l’ombre. Peut-être le font-elles déjà d’ailleurs. Et sans avoir les mêmes moyens que leurs homologues. « On dit que les filles sont plus lentes, c’est peut-être vrai, on est moins rapides. Mais on est beaucoup plus basées sur la technique. Je trouve que l’on se rapproche plus d’un foot des années Platini. », précise Lucile Nicolas. Moins sensationnel mais plus agréable, en somme.

Pour Mélissa Plaza, ancienne joueuse internationale – passée par Montpellier, Lyon, Guingamp, elle a fini sa carrière à Saint-Malo et s’est aujourd’hui installée à Rennes pour co-fonder une entreprise de conseils en matière d’égalité femmes-hommes (lire son interview, en fin de dossier) – la différence réside dans les moyens que l’on attribue aux femmes et aux hommes.

Parce que pour elle, les règles, la taille des terrains et des cages, les ballons, etc. sont identiques pour elles comme pour eux. Et s’agace d’ailleurs d’entendre parler de « foot féminin », comme s’il s’agissait d’une autre discipline. Rien ne devrait donc distinguer la pratique des hommes à celle des femmes. Sauf que ce sport, comme bien d’autres également, est encore pensé au masculin.

Plus d’argent, plus de visibilité, plus de médiatisation, plus de spectateurs-trices dans les tribunes et devant les écrans. Le match d’ailleurs qui opposa l’équipe de France à l’équipe de Grèce en juin 2016 au Roazhon Park reste gravé dans les mémoires, non pas pour les performances sportives mais pour le record d’affluence qu’il a généré. Que plus de 24 000 personnes se soient réunies pour supporter les footballeuses est encore de l’ordre de l’exceptionnel.

Même après 15 – 20 ans de développement des sections féminines, on sent toujours la réticence des mentalités. Et quand la Fédération Française de Football secoue ses troupes, nombreuses sont les voix qui protestent. Comme en Normandie, où Paul Hellouin râlait en 2015 :

« Si on a une équipe de filles, cela implique d’avoir des vestiaires dédiés, des frais liés aux déplacements, c’est tout un coût humain et matériel à mettre en place. »

TOUJOURS AU SECOND PLAN

Autre cas de figure avec le Stade Rennais, un des derniers clubs à très haut niveau à ne pas avoir constitué d’équipe féminine. Pourtant, l’Histoire a prouvé que c’était possible puisqu’entre les deux guerres puis à nouveau dans les années 70, les femmes jouaient sous les couleurs rouges et noires. L’absence de section à destination des joueuses laisse le milieu rennais dubitatif et provoque l’incompréhension.

« Je peux concevoir qu’on n’aime pas le foot en général mais pas qu’on n’engage pas d’équipe féminine. Et franchement, vu les résultats des gars, ce serait une bien plus belle vitrine pour le SRFC. Vraiment, ça attire pas mal de monde ! Je ne comprends pas… Comme Lorient qui a une section féminine mais n’en fait rien. », soulève Lucile, loin d’être la seule à le penser et à le dire.

Pour l’instant, rien n’est officiel mais depuis un an, le Stade Rennais a annoncé y réfléchir et avoir même un projet dans les cartons. Le rapprochement, scellé par un partenariat à l’heure actuelle avec le CPB Bréquigny, serait peut-être une manière de le concrétiser, c’est en tout cas ce que laisse entendre le quotidien 20 Minutes Rennes, dans un article daté du 26 septembre 2017. Aucune confirmation ne nous sera donnée par le club.

« C’est encore en négociation. Il n’y a rien de nouveau à déclarer depuis l’année dernière. La direction refusera de vous répondre à ce sujet. », va-t-on nous répéter par téléphone du côté du Stade Rennais.

Pour Maude Corfmat, c’est la preuve « que l’on croit moins en les filles. » Les inégalités infusent donc dans tous les secteurs de la société et doivent être brisés. Nécessairement par la formation des professionnel-le-s et l’éducation à l’égalité mais aussi par l’exemple et les volontés politiques des dirigeant-e-s.

« On se pose toujours la question de pourquoi on passe après. », confie Maude. Elle fait ici référence à un dysfonctionnement constaté lors de notre venue à l’entrainement. Un mardi soir, le terrain est occupé par les hommes qui n’ont pas terminé de disputer leur match. Il est presque 20h et l’entrainement des joueuses va commencer sur le bord du terrain.

C’est derrière les cages qu’elles passeront les 20 minutes d’échauffement avant de pouvoir poursuivre sur le terrain qu’elles partagent avec l’équipe B. Quelques jours plus tard, le dimanche 22 octobre précisément, l’équipe A a rendez-vous à 13h30 pour le coup d’envoi contre Brest. Dans la semaine, l’horaire change. Elles joueront à 12h30.

Cela pourrait rester banale et de l’ordre de l’anecdotique, mais la raison invoquée nous fait tiquer : « Les garçons jouent juste après et si on n’avance pas d’une heure, ils devront s’entrainer sur un terrain plus petit, c’est moins pratique. » Laisser les joueuses débuter sur le bord du terrain ne serait donc pas grave, en tout cas, pas autant que faire s’échauffer les joueurs sur un terrain pas à la taille standard ? On a du mal à comprendre.

Et encore plus de en observant que les stands et la musique sont installés seulement à partir de la deuxième mi-temps. Ou alors est-ce que parce qu’ils le sont simplement en vue du match des hommes ? Pour Marion Darcel, il n’y a pas lieu d’y voir là le signe d’une quelconque disparité. Pas convaincue, elle tente tout de même de nous expliquer :

« Je crois que c’est parce que c’était dans le cadre de la coupe de France, il faut un donc un minimum de temps et de conditions pour se préparer. Ça aurait l’inverse, ils auraient fait la même chose pour nous. Et puis, ça ne nous change rien de commencer une heure plus tôt. Sauf pour les filles de Brest qui ont dû partir une heure plus tôt… On peut toujours faire mieux mais à Bréquigny, on a quand même de la chance, au niveau communication, infrastructures, en visibilité en étant en ouverture des gars… »

On est moins optimistes qu’elle. Surement parce qu’on a du mal à sentir les encouragements de l’équipe masculine pour leurs homologues féminines. Du mal à sentir l’engouement du peu de public pour le jeu qui se déroule sous nos yeux, alors que le CPB Bréquigny se fait dominer lors de la première mi-temps et remonte peu à peu jusqu’à finir par s’imposer 1 – 0.

« Ce sont nos familles et ami-e-s principalement qui viennent nous voir et nous soutenir. Je pense que pour les garçons, on peut plus facilement aller voir le match sans connaître quelqu’un, tandis qu’on ne le fera pas pour les filles. »
pointe Lucile Nicolas.

SEXISME ORDINAIRE POUR LES FOOTBALLEUSES

Moins médiatisées parce que soi-disant moins spectaculaires, elles sont donc moins visibilisées et moins reconnues pour leurs qualités et compétences de joueuses que les hommes. Pour les deux footballeuses à l’US Saint-Malo (équipe en D2), Arianna Criscione (ancienne joueuse internationale), 32 ans, et Romane Enguehard, 18 ans, le sexisme est omniprésent dans le milieu du ballon rond. 

« Quand tu commences à jouer et que tu es une fille dans une équipe de garçons, tu as forcément la remarque des adversaires disant « ah il y a une fille en face, ça va être facile » ! Une fois sur le terrain, tu leur remets les idées en place ! », rigole Romane, non sans une pointe d’amertume. Et de fierté, aussi. Pour Arianna, ce qui la surprend à chaque fois, c’est cette façon qu’ont les hommes de vouloir sans cesse se mesurer aux femmes.

« Dès que tu dis que tu fais du foot, forcément, ils veulent jouer contre toi. Pour se rassurer et se dire qu’ils sont meilleurs, même quand ils ont un niveau déplorable. Tu te dis qu’ils ne feraient jamais ça avec un joueur du Stade Rennais ! En plus, comme je suis gardienne, ils veulent toujours faire le penalty contre moi. Je ne comprends pas ! », explique-t-elle, stupéfaite.

« C’est la culture dominante, c’est très long pour changer les mentalités. Il faut continuer à se battre et faire attention aux remarques, encore nombreuses, faites par les commentateurs à la télé sur le physique des footballeuses. », commente Camille Collet, animatrice sportive au Cercle Paul Bert. Si vers l’âge de 12 ans, elle commence le foot, elle se voit contrainte d’arrêter à cause d’une tendinite au genou.

« J’ai repris du côté de l’arbitrage, ça m’a énormément appris mais deux ans à côtoyer les terrains, ça m’a vraiment donné envie de m’y remettre. », sourit-elle. Plusieurs années durant, quatre exactement, elle joue auprès de l’équipe A du CPB Bréquigny mais l’investissement requis n’est finalement pas compatible avec le temps qu’elle a, effectuant à ce moment-là sa thèse sur le socio-sport en territoire rennais.

Ainsi, elle remarque que les équipements sportifs urbains ne sont pas adaptés aux femmes : « Qui dit foot, dit hommes et jeunes garçons. Les structures ne sont pas faites pour accueillir un public féminin. Encore moins du côté des adolescentes. Encore encore moins dans les quartiers. Il faut des équipements sportifs ouverts mais il faut réfléchir, comme c’est le cas me semble-t-il à Bordeaux, à les aménager autrement. Moi-même sur un stade où il y a 30 mecs, j’aurais du mal à y aller… »

ÉLOIGNÉES DE LA PRATIQUE SPORTIVE

Elle n’est pas la seule à constater que les jeunes femmes, à l’âge de l’adolescence, s’éloignent de la pratique sportive. Sans doute parce que la puberté intervient, faisant d’elles physiquement des femmes, par conséquent écartées de tout ce que l’on considère comme réservé aux hommes. Mais les femmes plus âgées sont nombreuses à préférer les sports individuels et à ne pas oser se lancer dans un sport collectif.

À plusieurs, entre amies, elles s’entrainent et se motivent, mais seules, les choses sont plus compliquées. Alors, avec quelques unes de ses coéquipières de Bréquigny, elles fondent le collectif Le Ballon aux Filles et organisent chaque année – le dernier week-end de mai 2018 célèbrera la 5e édition - un tournoi gratuit et réservé aux femmes, licenciées ou non, dans un quartier prioritaire de Rennes (Blosne, Maurepas, Cleunay, Bréquigny, Villejean).

L’idée étant de faire découvrir le football via cet événement qui propose certes une compétition mais surtout un moment de partage et de loisirs. Pour démocratiser et valoriser la pratique féminine, en cassant les stéréotypes sexués de la société.

« On organise des actions de sensibilisation en parallèle. La première année, on a travaillé avec Liberté Couleurs. On avait fait une initiation au foot pour les filles non licenciées et elles sont restées pour le débat ensuite qui leur a permis de parler des inégalités entre les filles et les garçons dans le sport et la société en général. On a eu envie de lancer ça parce que bien que Bréquigny soit une des plus grosses sections, il n’y avait pas tellement de tournois féminins. Mais on ne voulait pas d’un tournoi classique, on voulait aller plus loin dans la démarche, parce que certaines licenciées également étaient confrontées à des freins. », analyse Camille.

L’objectif est multiple : amener les filles et les femmes à chausser les crampons et prendre du plaisir d’avoir osé et d’avoir jouer ensemble. Et faire prendre conscience aux garçons et aux hommes – qui arbitrent les matchs afin de les impliquer - que le sexe féminin n’est en rien un obstacle à la pratique sportive.

Au fil des années, les joueuses de l’association ont développé des actions en amont du tournoi. Des actions qui favorisent la découverte du football, la création du lien social et la lutte contre les préjugés sexistes. Et étant conscientes que dans les quartiers prioritaires comme en zone rurale, les filles sont peu nombreuses à pratiquer un sport à l’instar de la répartition filles/garçons dans l’espace public, elles ont la volonté forte d’amener le sport jusqu’à elles.

Une initiative qui affiche un bilan positif avec l’inscription de 80 à 150 filles par an en club, le versement des recettes reversées au projet Amahoro – projet humanitaire et solidaire en direction de Madagascar – ainsi que l’engagement participatif d’une vingtaine de bénévoles sur chaque tournoi et l’investissement des garçons au coude-à-coude avec les filles qui foulent le terrain. Ainsi, elles investissent les pelouses mais aussi les espaces de débat et les établissements scolaires à Rennes.

« J’ai rejoint le collectif parce qu’il donne la parole aux femmes et qu’il organise un événement qui permet à tout le monde de se sentir concerné-e. Et c’est important aussi parce que le sport féminin manque vraiment de promotion. Au foot, on est davantage mises en avant que dans d’autres sports. On a la « chance » d’être plus médiatisées mais ce n’est pas suffisant. », insiste Marion Darcel.

QUELLES REPRÉSENTATIONS DES JOUEUSES ?

Pas suffisant, en effet. Et surtout, que montre la médiatisation ? Une image caricaturale de la femme sportive. Celle qui adopte tous les comportements masculins pour être acceptée. Phénomène nouveau, on assiste maintenant à l’ascension de la « sportive féminine ».

Celle qui répond sur le terrain aux injonctions de la société quant à l’idéal de beauté. En mars dernier, à l’occasion de son passage à Rennes, Catherine Louveau, sociologue et professeure en STAPS à l’université de Paris Sud, soulignait que depuis plusieurs années les membres de l’équipe de France apparaissaient sur le terrain, bien apprêtées, maquillées et coiffées. Comme obligées de justifier qu’elles sont des femmes.

« Parce qu’elles ont compris que c’était comme ça qu’elles allaient être médiatisées », déplore-t-elle. Les médias et commentateurs doivent également prendre part à l’évolution des mentalités. Par exemple, ne plus faire de distinction, en presse régionale, entre les hommes à qui l’on attribue les pages Sport (pour les journalistes et pour les sujets) et les femmes à qui on laisse un espace restreint dans les pages locales.

Hiérarchiser l’information selon les performances sportives et non selon le sexe de l’athlète. Ou encore arrêter de parler « de nos petites Françaises » lorsque l’on est payé-e-s à commenter un match. Et surtout, arrêter de mentionner leurs physiques à la place de leur manière de jouer.

Sans surprise, on manque de représentations réelles et réalistes. Et les femmes ne s’y retrouvent pas. C’est bien là le propos des Dégommeuses :

« D’une part, différents clichés et fantasmes ont encore cours sur les équipes de sport collectif féminin comme possible lieu de conversion à l’homosexualité. D’autre part, pour promouvoir le foot féminin, les clubs et fédérations ont tendance à axer leur communication sur une image univoque de la sportive conforme aux normes de genre (féminine, sexy, ayant forcément une vie de mère de famille en dehors du foot) et à dévaloriser toutes celles (lesbiennes, bi, trans mais aussi hétéro) qui ne se retrouvent pas dans ce modèle. La volonté de séduire et rassurer à tout prix les spectateurs et les parents des jeunes joueuses instaure en outre des formes d’injonction au silence pour les joueuses lesbiennes et de déni face aux comportements lesbophobes qui existent pourtant tout autant dans le foot féminin que masculin. D’où la nécessité de créer des espaces permettant de faire évoluer les représentations et d’engager un dialogue autour du respect de la diversité et des bienfaits de l’inclusivité. »

UNE AUTRE MANIÈRE D’ENVISAGER LE FOOT

Et la dernière phrase fait parfaitement écho aux actions du collectif Le Ballon aux Filles. Et à ce qui en découle. À savoir l’accès à toutes les filles et femmes, notamment dans les endroits où elles en sont le plus éloignées. Mais le tournoi a également donné lieu à la création d’un créneau loisirs de futsal dans le quartier du Blosne.

« Lors de la 2e édition, une femme de 38 ans est venue parce qu’elle avait envie de jouer. Depuis elle vient chaque année et c’est elle qui m’a parlé de développer le futsal ici. L’an dernier, il y avait 24 filles entre 15 et 40 ans et cette année, j’en ai 20. On n’est pas du tout sur de la compétition mais vraiment sur de la découverte, de l’initiation et du plaisir. Et ça brasse large ! Des mamans, des lycéennes, des étudiantes, des femmes qui travaillent ou non, des femmes voilées, des habitantes du quartier ou non. », souligne Camille Collet.

Cette femme de 38 ans - maintenant de 40 ans - c’est Aïcha El Aissaoui. Passionnée de foot depuis toujours, elle n’a jamais joué dans un club. « J’ai toujours été à fond. Petite, je dormais avec le ballon, je ne pensais qu’à ça. Et j’ai failli en faire, au collège, on m’avait remarquée. Mais pour ma mère, une fille, ça ne faisait pas de foot, ça faisait la cuisine, la couture, etc. Le mercredi après-midi, je baratinais pour aller aux rencontres sportives et mon frère me couvrait. », se souvient en rigolant l’aide auxiliaire puéricultrice.

Aujourd’hui, elle a transmis sa passion à son fils et à sa fille et encourage « toutes les jeunes femmes, de toutes les cultures, de toutes les religions à faire du foot. » Ici, pas de jugement, seulement des femmes qui s’éclatent 2h par semaine : « Ensemble, on va voir les matchs du Stade Rennais, on a été voir le match France – Grèce, c’est génial, c’est que du bonheur. C’est convivial, on joue pour le plaisir et pas pour la gagne. »

Même discours du côté de Soraya (prénom modifié à sa demande), 25 ans, mère au foyer :

« Au Maroc, je jouais avec tout le monde. Avec les filles, avec les garçons, on passait notre temps à ça après l’école ! J’aime jouer et entre femmes ici, c’est très bien aussi. »

SE SENTIR À L’AISE

Le futsal se pratique dans un gymnase, à l’abri des regards, et c’est ce qui a plu à Julie Shaban, 16 ans. Auparavant, elle a joué au CPB Blosne, dans une équipe mixte.

« Ma sœur est fan de foot et elle m’a transmis cette passion. Je suis plus à l’aise dans un gymnase, parce que je n’aime pas qu’on me regarde, et dans une équipe de filles, je préfère. J’ai eu quelques réactions de la part de mes parents qui m’ont dit « t’es une fille, comporte toi comme une fille », je les écoute, ce sont mes parents mais ça n’enlèvera pas le fait que c’est ma passion et que si je peux, ça me plairait bien d’être coach, comme Camille. Mais je ne pense pas en faire mon métier, elles ont des vies compliquées les footballeuses, j’aime que ça reste une passion. », explique la lycéenne en 1ère STMG, incapable de garder son sérieux dès lors qu’elle regarde sa copine, avec qui elle vient tous les vendredis soirs.

L’ambiance est légère et joyeuse. Entre exercices techniques, petits matchs par équipe de 3 sur moitié de terrain, puis matchs par équipe de 5 sur l’intégralité de la surface, elles ne chôment pas pour autant. Et c’est bien ce que recherche Claire Serres, 33 ans, qui n’avait jamais fait de foot avant le mois de septembre.

« J’ai eu deux enfants coup sur coup et je voulais un sport qui me défoule ! Et en effet, on sort de là lessivées. Même si peu de gens savent que les filles jouent au foot, et encore moins au futsal, pour moi, ça redore le blason des sports collectifs en général parce qu’il y a un très bon esprit. »
sourit cette assistante commerciale.

Et ce n’est pas Pauline Meyer, 29 ans, assistante d’éducation, ou Yasmine Degirmenci, 21 ans, étudiante en BTS assistante manager, qui la contrediront. Toutes les deux jouent ou s’intéressent au foot depuis qu’elles sont enfants. Et toutes les deux s’émerveillent de toutes les belles choses que l’on peut faire avec un ballon aux pieds.

« Je trouve ça vraiment bien qu’on soit de plus en plus nombreuses à faire du foot. C’est une bonne chose de le promouvoir et de dire que tout le monde peut le faire », s’exclame la première, rejointe par la seconde : « J’aime beaucoup regarder les footballeuses de l’équipe de France, j’aime leur esprit d’équipe, je trouve qu’il est plus flagrant que celui des hommes. Ça donne envie de jouer comme elles ! »

En quelques années, le football a évolué. Dans le sens où de nombreuses sections féminines sont apparues, offrant la possibilité aux filles, adolescentes, jeunes femmes et femmes de pratiquer ce sport à côté de chez elles. Dans un cadre de compétition, de haut niveau ou de loisirs, il est vecteur de lien social et d’émancipation.

Mais les représentations stéréotypées, gravées profondément dans l’inconscient collectif, pèsent encore trop lourd dans la balance. Subsistent encore de nombreuses inégalités, notamment en terme d’équipements sportifs, de matériel, de traitements ou financiers. Fruits d’un système encore dicté par les mécanismes du sexisme…

 

Enfant, son rêve était de devenir footballeuse professionnelle. Non seulement Mélissa Plaza l’a réalisé, en jouant le milieu de terrain avec le Montpellier Hérault Sport Club, l’Olympique Lyonnais, l’En Avant Guingamp ou encore l’équipe de France, mais elle a aussi obtenu sa thèse en parallèle, axée sur les stéréotypes sexués dans le sport. À 29 ans, cette docteure en psychologie sociale a co-fondé – en décembre 2016 – le cabinet de conseils sur l’égalité femmes-hommes Queo Improve, à Saint-Grégoire, pour lequel elle dispense formations, conférences et séminaires.

Enfant, on vous dit que footballeuse professionnelle, ça n’existe pas, mais faire du foot, ça, c’est possible… 

Oui enfin il y avait quand même quelques réfractaires dans ma famille, ma mère ne voulait pas trop que je joue au foot. Comme mon beau-père aimait bien, c’est lui qui m’accompagnait et il était content que je joue.

À 8 ans quand vous commencez le foot, vous êtes dans une équipe mixte ?

J’avais une équipe de filles à côté de chez moi donc j’ai tout de suite joué avec elles. Mais c’est vrai qu’à l’époque, on avait souvent tendance à jouer avec les garçons car il y avait très peu d’équipes féminines. Par contre, on jouait dans un championnat de garçons, uniquement contre des garçons.

Y avait-il des réactions de leur part ?

Oui, il y avait le côté « ahhh, on joue contre des filles ». Mais en fait dès qu’on leur mettait une pâtée, ils se la bouclaient, ils avaient plutôt honte. C’était rigolo pour nous de leur mettre des branlées.

Vous avez longtemps vécu ce sexisme ambiant ?

C’est toujours d’actualité, c’est sociétal, ce n’est pas juste lié au foot. En réalité, dans le foot, toutes les inégalités sociales, tous les comportements discriminatoires que l’on peut observer en société, sont juste décuplés. Si on prend ce qui est sorti récemment sur les violences faites aux femmes, ces questions n’ont pas beaucoup été soulevées dans le contexte sportif. Les violences sexuelles, pas qu’aux femmes mais entre athlètes, les bizutages dont on ne parle jamais, ces traditions qui autorisent des dérives comportementales assez hallucinantes…

Qu’est-ce qui explique selon vous que l’on n’en parle encore moins ?

C’est un vase close. Et dans le contexte sportif, le corps est mis au service de la performance. J’ai du mal à expliquer ça mais je crois qu’on a longtemps fermé les yeux sur ces phénomènes là. C’est difficile dans certains sports, comme en gymnastique par exemple, de dire à quel moment l’entraineur dépasse la limite.

Parce qu’il peut se permettre de corriger le mouvement en touchant le bassin, en touchant les fesses, en modifiant la posture, etc. Alors à quel moment on peut dire qu’un coach, qui touche les fesses de ses joueurs ou de ses joueuses avant d’entrer sur le terrain, a quelque chose de malsain ou n’a pas d’intention derrière ? C’est assez difficile le rapport au corps que l’on peut avoir dans le domaine sportif en général. Les entraineurs ne sont pas formés à ça.

Et puis il y a des enjeux de pouvoir. Effectivement, quand on est gamins et qu’on a un entraineur qu’on adule, qu’on adore, parce qu’on veut performer et qu’on veut devenir le meilleur ou la meilleure, forcément ça peut mener à des dérives je pense. Si on fait #balancetonporc dans le contexte sportif, il y a au moins toutes les sportives qui ont vécu une situation comme ça, et les sportifs au moins une situation de bizutage. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de l’ordre du fait divers. C’est vraiment quelque chose de courant.

Toutes les sportives ont vécu ce type de situation, vous aussi par conséquent ?

Oui, je sais qu’avec certains de mes entraineurs, je pense qu’il y a des choses qui n’étaient pas claires, que des choses n’auraient pas du avoir lieu de cette manière-là. En particulier avec les histoires de poids, on peut vite mettre la pression outre mesure sur des jeunes filles, des jeunes femmes.

Dans le milieu du sport, il y a justement un contrôle important du corps féminin.

Oui, en effet. On est vraiment dans des injonctions paradoxales. On nous demande d’être performantes. Pour cela, il faut avoir des corps musclés, prêts à l’effort, prêts à l’impact, prêts à être rapides et endurants. Et on nous demande aussi, en tout cas la société nous demande, de correspondre aussi à l’idéal de beauté féminin, c’est-à-dire sveltes mais pas trop musclées, plutôt fines.

Ça crée beaucoup de conflit chez les athlètes. Surtout à l’adolescence. Autour de moi, j’ai connu beaucoup de filles qui ont eu des périodes d’anorexie ou de boulimie. Les troubles du comportement alimentaire, chez les garçons je ne sais pas, mais chez les athlètes femmes et particulièrement les footballeuses, j’en ai connu plein.

Concernant l’idéal de beauté féminin, Catherine Louveau – qui était venue à Rennes pour une conférence en mars sur ces fameuses injonctions paradoxales – expliquait qu’aujourd’hui on voit une équipe de France de foot féminin qui entre sur le terrain maquillée, coiffée, etc.

Dans les vestiaires, il y a beaucoup de filles qui se maquillent beaucoup avant le match, qui se lissent les cheveux avant le match alors qu’il pleut dehors et qu’elles vont probablement friser en 5 minutes. Ça pose question, oui, en effet ! On est en train de prendre tous les artifices de la féminité pour dire « ok on fait un sport masculin mais on reste des femmes ».

Comme si on avait besoin de se justifier ! Alors qu’en réalité, on peut pratiquer le sport qu’on a envie, de la manière dont on a envie, et se définir comme des femmes à part entière sans se justifier auprès de qui que ce soit. Mais je connaissais beaucoup de filles, oui, qui avant les matchs se maquillaient, se coiffaient…

À votre avis, est-ce inconscient ou se disent-elles qu’il faut absolument affirmer leur féminité ?

Parfois, c’est conscientisé, parfois pas. Je ne pense pas qu’elles maitrisent tous les mécanismes sous-jacents. Mais effectivement, il y a une volonté de répondre aux injonctions faites par la société.

Et inconsciemment, elles se rendent compte que plus elles vont correspondre à ce que l’on attend de la féminité, plus elles vont être médiatisées…

Aussi, oui, bien sûr. D’ailleurs, celles qui sont médiatisées sont souvent celles qui sont les plus jolies, les plus apprêtées. Il y a des filles qui mériteraient d’être beaucoup plus médiatisées qu’elles ne le sont. Parce qu’elles ne correspondent pas forcément à l’idéal de beauté féminin.

C’est un sujet qui préoccupe les joueuses ?

Non, je ne pense pas. Je pense qu’il n’y a pas encore de prise de conscience. Pour l’instant, on est contentes d’être médiatisées. Peu importe la raison. Ça c’est dérangeant.

C’est quelque chose qui vous a souvent interrogé au fil de votre carrière ou c’est en abordant votre thèse que la prise de conscience a eu lieu ?

En faisant cette thèse, j’ai mis des mots et j’ai compris les mécanismes du sexisme et des discriminations liées au sexe, etc. Mais j’ai aussi fait des erreurs. Quand je repense à ma campagne pour le Montpellier Hérault quand j’avais 21 ans, j’ai fait une erreur parce que je ne pensais pas que poser à moitié nue sans savoir le slogan de la banderole (« Samedi soir marquer à la culotte ») pouvait être préjudiciable personnellement mais aussi à titre collectif.

Parce que finalement on n’allait pas parler de nos performances mais juste des trois nanas qui ont posé à poil, qui sont jolies et qu’on va aller voir jouer le dimanche. Ce sont des erreurs qu’on ne réalise pas sur le moment, on pense qu’enfin on s’intéresse à nous donc il faut saisir l’opportunité.

Mais quand ma photo a été affichée en 4x3 dans tous les abribus de Montpellier, ça m’a fait bizarre. J’ai commencé ma thèse à Montpellier et mon poster était affiché dans la cafétéria où je faisais ma thèse sur les stéréotypes sexués. Volontairement, j’ai laissé ça sur le net parce que je veux aussi me souvenir que c’est par ces erreurs-là aussi que j’avance.

J’étais gamine, et on l’impression qu’enfin on s’intéresse un peu à nous, c’était piégeur parce qu’en réalité, le but c’était de vendre des abonnements pour la Mosson (Stade de la Mosson). C’était pour aller voir les garçons, ils en avaient rien à carrer de nous en fait.

Est-ce que vous voyez une évolution depuis que vous avez commencé ?

Il y a eu une évolution, c’est certain. Parce qu’il y a certains clubs professionnels, où les filles gagnent très bien leur vie. Il y a eu une évolution médiatique également mais on ne voit que les strass et les paillettes. On voit Paris, Montpellier, Lyon. Partout ailleurs la réalité est autre. Il y a des filles qui ne sont pas payées du tout, il y a des filles qui gagnent 200 euros brut par mois et qui font autant d’entrainements, qui font plus de déplacements parce qu’on n’a pas les moyens de leur payer le jet privé.

Au final, si on a avancé dans certains clubs, dans beaucoup d’autres ce n’est pas le cas. Aussi parce que comme toute situation pointée du doigt, elle doit être objectivée, avec des chiffres. Si on prend le championnat de France des garçons on est à peu près tous en mesure de dire en fonction du transfert ce que untel ou untel touche. Si on fait ça pour les filles, on ne trouve pas de salaires.

On sait à peu près, en moyenne, les salaires des filles de l’Olympique Lyonnais, mais cela ne correspond pas du tout à la réalité. Allons mettre sur la place publique un petit peu ce que ces filles touchent par mois. Il y a des filles qui ont 0 pour s’entrainer 6 à 8 fois par semaine et faire 30h de bus le week-end. Mettons un peu sur la place publique les salaires et comment sont traitées les filles parce que ce n’est pas seulement financier, c’est aussi en terme d’équipements.

Il y a des clubs qui filent 2 shorts et 2 maillots pour s’entrainer 2 fois par jour. Mais c’est bien connu les femmes aiment faire la lessive donc ce n’est pas grave, elles laveront leurs équipements ! Il y a aussi des clubs où les hommes ne veulent pas prendre le bus, donc ils prennent l’avion, mais comme il y a des sponsors, bon bah les filles elles vont prendre le bus, « c’est pas grave si vous faites 36h de bus dans le week-end, vous prendrez un jour de congé sur votre deuxième boulot qui vous permet d’atteindre péniblement les 800 euros net par mois ! ». C’est la réalité !

Et tant qu’on ne parlera pas de ce qui se passe ailleurs, effectivement on aura l’impression qu’on aura avancé. Et que de toute façon, dans notre devise c’est marqué égalité, alors on est naturellement égalitaires. Ce qui n’est pas du tout le cas ! On parle enfin des violences sexuelles faites aux femmes, des inégalités salariales, etc. Mais on en parle parce qu’on a enfin mis des chiffres et que ces chiffres sont enfin exposés et visibles.

A-t-on une idée d’où vient la responsabilité ?

Je pense que ce sont surtout des volontés politiques au sein des clubs. Il y a des dirigeants et des instances dirigeantes qui sont volontairement investi-e-s. Depuis une quinzaine d’années, voire une vingtaine, le président Aulas (président de l’OL) a choisi d’investir dans les féminines, au départ surement à perte, mais parce qu’il croyait en ces filles.

Aujourd’hui, c’est probablement la plus belle vitrine du club et il reçoit beaucoup en retour. Ça doit être des volontés politiques et pas seulement pour répondre à des quotas ou éviter de prendre des amendes. Parce qu’il y a aussi aujourd’hui encore des clubs qui préfèrent payer l’amende que d’avoir une section féminine.

On a le cas à Rennes avec le Stade Rennais.

Exactement ! Ce n’est pas un mythe, il y a encore des réfractaires, des gens qui vous disent ouvertement que les filles n’ont rien à faire sur un terrain de foot. En 2017, on entend encore ça ! C’est le quotidien.

Quand vous dites que vous avez été footballeuse professionnelle, est-ce que l’on avance dans les réactions, dans les mentalités ?

Vous savez, le problème de ces « femmes d’exception » comme on les appelle, c’est qu’elles viennent juste confirmer la règle. On les voit comme des extraterrestres finalement, on se dit que c’est un peu loin de nous tout ça et je pense que potentiellement, ça peut renforcer le stéréotype. Malheureusement.

Maintenant, c’est aussi des rencontres, des témoignages. Je sais que quand je parle de ce que j’ai vécu ou de ce que je peux vivre par moment, ça marque les gens. Certains en formation me disent « je ne pensais pas que ça pouvait être aussi violent ». Ça contribue à changer les mentalités mais ça va prendre du temps, ce n’est pas suffisant pour changer les comportements de façon durable.

C’est difficile de changer des siècles et des siècles de domination masculine. Où même les femmes peinent à reconnaître qu’elles sont dominées. C’est vraiment le combat de toutes et tous.

Ça rejoint ce que vous dites dans votre TED à propos de « garçon manqué »…

Oui, quand on me disait ça étant petite, je me disais que c’était un compliment. C’était valorisant d’être appelée comme ça alors qu’un garçon qu’on traitait de fille manquée ou d’homosexuel, parce que c’est ça qu’on dit, ce n’est pas le même statut. C’est plus tard que j’ai compris que finalement non, ce n’était pas un compliment mais une manière de rabaisser les femmes à leur rang d’inférieures et d’incapables.

La plupart des joueuses interviewées le disent encore qu’elles ont été ou sont des garçons manqués…

Et bien il faudra leur dire que ce sont des femmes réussies ! En fait, on a internalisé la domination masculine au fond de nous-même.

À propos du salaire, vous dites que vous avez commencé à 400 euros par mois…

Oui, 400 euros brut par mois. Mon premier salaire en tant que joueuse pro, à Montpellier.

Et à la fin de votre carrière ?

J’ai fini à 1500 euros net, à Guingamp. En faisant ma thèse en même temps. Une carrière qui permet de se mettre à l’abri, quoi. Qui permet de cotiser…

En tant que joueuse, que retenez-vous de votre carrière ?

Je retiens de choses positives quand même, des bons moments, des choses exceptionnelles que j’ai pu vivre, que d’aucun sur la terre pourrait vivre. Mais disons qu’il y a toujours des émotions qui sont diamétralement opposées, qui sont extrêmes. Des extrêmes déceptions, des extrêmes joies, des moments d’euphorie qu’on ne pourrait vivre dans aucun autre contexte.

Il n’y a que la victoire dans une compétition qui peut procurer autant de joie. Et en même temps, la retombée est rude. J’ai terminé ma carrière un peu contre mon gré et ça aura toujours un goût d’inachevé et d’injustice. Ce sont des émotions énormes. Je ne crois pas qu’un autre événement dans ma vie un jour puisse me procurer autant d’émotion que d’avoir gagné les jeux olympiques universitaires. Même la naissance d’un enfant sera moindre à côté.

Peut-être que je me trompe mais je pense que rien ne peut procurer autant d’émotion que le sport. La preuve en est que des gens vivent cette émotion par procuration. Ils ne vivent pas l’entrainement intense, la compétition, les efforts que ça demande mais arrivent à exulter au moment de la victoire. Vous pouvez imaginer ce qui se passe dans nos têtes. Enfin je ne sais pas si ça s’imagine…

Ça se voit en tout cas…

Oui, ça se voit. C’est juste dément. Et il n’y a rien qui puisse procurer ça ailleurs. Enfin, je ne pense pas.

Qu’est-ce que vous voulez dire aux jeunes filles, jeunes femmes, femmes qui n’osent pas ?

Je leur dirais de faire du sport en général parce que c’est important pour la santé et tant qu’on n’aura pas un égal accès au sport entre les femmes et les hommes, on n’aura pas un égal accès à la santé. C’est très important pour moi. La deuxième chose, c’est l’accès à la confiance en soi. Aujourd’hui, les filles et les femmes ont beaucoup moins confiance en elles que les garçons et les hommes.

Pour moi, le sport est un vecteur de confiance en soi, un vecteur d’émancipation et je pense que c’est un vecteur indispensable pour permettre aux femmes de se sentir épanouies et de ne pas avoir peur de faire des choses, de ne pas avoir peur de rebondir après un échec, etc. Je pense que le sport est une clé. On en parle souvent de manière générale pour les jeunes dans les quartiers mais on n’en parle pas assez pour les femmes.

Ça rejoint un peu le travail de Nicole Abar.

Tout à fait.

Quand avez-vous co-fondé votre entreprise Queo Improve ?

Fin décembre 2016. L’objectif, c’est de faire des conférences, des formations sur l’égalité, dans toutes les structures qui souhaitent s’améliorer sur ce plan là. Ou ce sont des entreprises qui sont contraintes législativement, ou des entreprises qui ont envie de s’investir dans le sujet, ou des collectivités territoriales, des collèges, des lycées…

Partout où il y a des gens qui ont la volonté de faire bouger les choses. Il y en a, tout comme il y en a qui ne réalisent pas l’importance de l’égalité et de la mixité au sein de leur structure et qui là en prennent conscience donc c’est bien. D’autres ne sont pas prêts à se faire ouvrir les chakras. Ça prendra du temps parce que toute la société évolue parallèlement.

Comment vous vous y prenez justement ? Par le démarchage ?

Oui, on démarche mais c’est aussi beaucoup par le bouche à bouche. A la suite d’une conférence, les gens se disent « Tiens j’ai déjà vu cette nana là, elle est super, elle aborde les choses différemment, tu devrais la voir ». Il y a du démarchage mais c’est beaucoup les gens qui viennent me chercher parce qu’ils ont vu mon TED, pour me faire intervenir sur l’égalité, sur la motivation, sur comment booster ces équipes, comment manager une équipe.

Vous avez des clients dans le milieu sportif ?

J’ai pas mal de collectivités qui veulent se lancer dans le sujet des violences dans le sport, la prévention des stéréotypes. À l’heure actuelle, je n’ai pas encore de clubs mais pour moi, ce qui m’apparaît essentiel, ce serait d’intégrer un module lié à l’égalité dans les diplômes d’état. Ce qui n’existe pas à l’heure actuelle.

Tant que l’on n’aura pas ça et que l’on n’aura pas des gens en mesure de donner ces formations, faire comprendre à ceux qui vont former et qui vont entrainer plus tard les gens que c’est incontournable, on n’avancera pas. On ne peut plus parler des filles comme on le faisait avant. Dire le « foot féminin », c’est faux. C’est du foot.

Le football au féminin n’est pas différent du football au masculin. Ce sont les mêmes règles, les mêmes buts, les mêmes ballons (des gens me demandent encore si on joue avec les mêmes ballons), les mêmes distances, la même longueur de but ! Informer les gens que, putain, c’est le même sport ! On part juste avec 50 – 60 ans de retard.

Donc oui aujourd’hui ça paraît plus lent mais pensez qu’aujourd’hui on a 40 caméras de moins, beaucoup plus de retard parce qu’on a commencé il y a moins longtemps, parce qu’on n’a pas d’école, pas d’entraineur, pas de staff compétent, pas d’équipement, faut penser à tout ça.

Donnons aux femmes et aux hommes les mêmes chances et ensuite on pourra éventuellement calculer par les différences biologiques les différences dans les performances. Faisons ça déjà !

 

 

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Footballeuses à part entière
Equipes de battantes
Yvon Léziart, conseiller municipal délégué aux sports, à Rennes
Mélissa Plaza : "C'est difficile de changer des siècles et des siècles de domination masculine"

Célian Ramis

Notre Candide : Le meilleur des mondes ?

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Quatre trentenaires, leurs rêves et Candide. Les 15 et 16 janvier, la compagnie 3ème Acte nous invitait à une pendaison de crémaillère "révolutionnaire", dans la salle Pina Bausch de l'université Rennes 2.
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Quatre trentenaires, leurs rêves et Candide. Les 15 et 16 janvier, la compagnie 3ème Acte nous invitait à une pendaison de crémaillère "révolutionnaire", dans la salle Pina Bausch de l'université Rennes 2. La pièce Notre Candide questionne le monde avec humour et profondeur, par le prisme des souvenirs d'un groupe d'ami-e-s.

Le 15 janvier dernier, une cinquantaine de personnes attendait dans les couloirs de l'université Rennes 2, un ticket de théâtre à la main. Les spectateurs-trices prennent place sur des chaises installées en cercle, laissant le centre de la salle Pina Bausch libre d'accès. C’est alors que Margaux et Sylvain Bertier (les comédien-ne-s Aurore Pôtel et Nils Gautier) nous souhaitent la bienvenue à la pendaison de crémaillère de leur métairie. L'assistance devient l’invitée d'une soirée de voisinage.

Des cartons ci et là, un fauteuil et une lampe, on trinque au bonheur de ce couple de trentenaires, heureux propriétaires d'un domaine à rénover dans le lieu-dit "La Fresnay". Leur idée : faire un espace de vie collectif et de partage. Alice (Catherine Vigneau), une amie d'enfance, est venue pour l'occasion. Etienne (Jérémy Robert) aussi, le frère de Margaux, retardé par son GPS, plus habitué aux routes parisiennes que provinciales.

Arrive enfin Candide, cité par Etienne dans un "Tout va bien dans le meilleur des mondes". Le personnage de Voltaire né en 1759 est une vieille connaissance du groupe d'ami-e-s puisqu'il a été l'objet d'une pièce créée par Alice alors qu'ils étaient adolescent-e-s. Pendant près d'une heure et demi, la pendaison de crémaillère devient le théâtre des souvenirs de ces adultes, jouant un candide contemporain et constatant du devenir de leurs rêves.

QUESTION DE GÉNÉRATION ?

Notre Candide interroge avec humour les convictions rebelles que les moins de vingt ans connaissent : changer le monde et le rendre meilleur. Qui de l'avocat en costume trois pièces ou du couple bobo en quête de vrai s'est le plus éloigné de sa candeur enorgueillie de justice ? Qui de l'Homme du 16ème ou du 21ème siècle est le plus moderne ?

Sans nous donner la réponse, la compagnie 3ème Acte pousse toutes les générations à la réflexion. Le texte est habillement écrit par Catherine Vigneau, appuyée par ses trois collègues comédien-ne-s. "Ils avaient tous Candide de Voltaire dans leurs bibliothèques", explique Chloé Sonnier, chargée de production et de la diffusion auprès de la compagnie rennaise. Elle poursuit : "Après avoir décidé d'en faire une pièce de théâtre où se mélangent époque des lumières et 21ème siècle, Catherine a décidé de relever le défi et de se lancer dans un gros travail d'écriture". En fer de lance, la question : "En quoi le monde d'aujourd'hui est-il différent ?"

Ensemble, ils/elles façonnent le texte de Voltaire pour le rendre accessible au public d'aujourd'hui sans le dénaturer : "J'ai déterminé le contexte tout de suite. Un grand espace collectif comme la métairie est un peu un rêve qu'on a dans la compagnie. Ça s'est imposé à moi de façon assez simple" confie l'auteure.

Les quatre ami-e-s de 3ème Acte prouvent ici que leurs convictions d'adolescent-e-s ne se sont pas essoufflées. Ce désir d'un chez soi, où règnent partage et créativité, agrémenté d'un besoin de retour à la nature, est une proposition de changement que déjà bien des générations ont adopté.

Dans les années 70, par exemple, avec le mouvement hippie, ou encore le grunge des années 90 pour ne citer que les plus récents. Pleins d'espoirs, des milliers de femmes et d'hommes proposent des alternatives. Et la génération Y de les entretenir malgré l'âge de la rébellion déjà loin derrière elle. Qu'en sera-t-il des suivantes ? Que feront-elles du monde de demain ?

MISE EN ABYME

Intergénérationnel, le script repose sur un jeu de mise en abyme, mis en scène avec brio par Isabelle Bouvrain. La pièce s'articule autour de quatre grands thèmes : l'enrôlement, l'argent, le pouvoir et la condition des femmes. Des leitmotivs qui, malgré les progrès techniques et sociaux, restent profondément modernes.

Les quatre protagonistes de Notre Candide exposent, dans leurs quêtes d'idéaux, ces schémas que nous répétons sans fin. Hier, Candide était enrôlé malgré lui dans une guerre entre Allemands et Bulgares dont il ne savait rien – et que Voltaire n’explicite pas volontairement.

Aujourd’hui, des jeunes partent en Syrie alimenter une menace terroriste grandissante. La richesse et le pouvoir nourrissent encore de nombreux fantasmes, déjà sur les bancs de l'école où l'élève apprend à définir sa réussite sociale par la taille de son diplôme puis de son portemonnaie.

Et que dire de la place des femmes ? A coup de répliques cinglantes, le sujet est abordé sans demi-mesure : "Une femme qui assume ses désirs c'est forcément choquant" réparti Margaux à son frère, pour lui glisser plus tard : "Quand la femme sera enfin l'égale de l'homme alors oui, le monde aura gagné en humanité".

C'est on ne peut plus clair. Ni les comédien-ne-s, ni Voltaire ne laissent la part belle au machisme. A travers les personnages de Cunégonde - amante de Candide - et de la Vieille - dame de chambre - le philosophe des Lumières dénonce l'asservissement des femmes. Toutes deux ont été violées et obligées à des tâches domestiques. Sans avoir leur mot à dire, elles subissent les vices d'une société où les corps féminins sont sexualisés et leur intelligence négligée.

La compagnie 3ème Acte, en plaçant cette problématique comme pilier, rappelle douloureusement que même après 300 ans, le monde a peu gagné en humanité. Aujourd'hui, le viol est encore une arme contre les femmes, en témoignent les mouvements #MeToo et Time's Up. Créés en 2017 et début 2018 pour lutter contre le harcèlement sexuel envers les actrices, ils ont secoué le monde du cinéma – et pas que - ces dernières semaines. Un cas médiatisé parmi des milliers d'autres qui sévissent malheureusement encore aujourd'hui.

"J'ai choisi de parler de la femme car j'ai l'impression que dans l'histoire du monde, c'est fondamental" précise l'auteure. Fondamental, comme une question de fond qui a toujours été posée sans jamais trouver de réponse convaincante. "C'est une thématique que l'on aborde beaucoup entre nous et dans les activités théâtre parce que l'on se rend compte que les clichés garçon/ fille sont encore beaucoup ancrés dans les mentalités" poursuit-elle dans un sourire, signe que l'espoir existe toujours.

L'amitié, vieille déjà de 16 ans, et le professionnalisme des comédien-ne-s transpirent à travers leur jeu, sans jamais oublier la parité. Avec Notre Candide, la compagnie 3ème Acte offre un spectacle intemporel où sont mis en lumière nos questionnements individuels et de société. À chacun-e de méditer sur ces sujets…

 

D’autres représentations à venir :

  • Février 2018 :
  • 04 fevrier - 17h00, Le Triptik, Acigné (35)
  • Mars 2018 :
  • 16 mars - Représentation scolaire en journée, Saint-Brice-en-Coglès (35)
  • 16 mars - 20h30, Espace Adonis, Saint-Brice-en-Coglès (35)
  • 23mars - Représentation scolaire en journée, Saint-Aubin-du-Cormier (35)
  • 23 mars - 20h30, Espace Bel Air, Saint-Aubin-du-Cormier (35)

Célian Ramis

"La meilleure contraception, c'est celle que l'on choisit !"

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Planning Familial 35
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Summary: 
Cinquante ans après la promulgation de la loi Neuwirth (19 décembre 1967), le Planning Familial 35 a souhaité faire le point sur les avancées à saluer mais aussi sur les combats encore à mener.
Text: 

Il n’existe pas de bonne ou de mauvaise contraception. C’est à la personne concernée – qu’elle soit femme ou homme - de faire son choix. Celui-ci doit être éclairé par une information complète et accessible à tou-te-s. Cinquante ans après la promulgation de la loi Neuwirth (19 décembre 1967), le Planning Familial 35 a souhaité faire le point sur les avancées à saluer mais aussi sur les combats encore à mener. Tout cela dans une optique claire : l’égal accès à la liberté de choisir. Des mots importants, qui résonnent dans toutes les luttes (et les bouches) féministes !

« L’histoire que je raconte ici se déroule en 1971. Année charnière pour les femmes. Trois ans après mai 68, l’année du Manifeste des 343 femmes – ayant une certaine notoriété – qui proclament, en défiant la loi, qu’elles avaient avorté. Un an avant le procès de Bobigny où une jeune fille de 16 ans que je défendais devant le tribunal avait choisi l’avortement après avoir été violée et engrossée par un voyou de son quartier. Procès qui devait ouvrir la voie à la loi de 1975 (dite loi Veil). »

Ce sont les mots que Gisèle Halimi, présidente de Choisir la cause des femmes – fondée notamment avec Simone de Beauvoir en 1971 – couche dans la préface de la bande-dessinée de Pierre Wachs et Philippe Richelle, Libre de choisir. Avant de poursuivre : 

« Les Anne, les Isa aujourd’hui doivent savoir que les droits obtenus par leurs aînées demeurent fragiles et peuvent toujours être remis en question. Notamment le plus important d’entre eux, celui de choisir de donner – ou non – la vie. Car la précarité marque toujours les acquis des femmes. »

Avant les années auxquelles l’avocate se réfère, l’Histoire de la lutte des droits des femmes est marquée en 1967, le 19 décembre exactement, par la promulgation de la loi Neuwirth. La contraception - et la pilule oestro-progestative notamment - est dès lors autorisée. Dans le texte seulement, puisqu’il faudra attendre 1972 pour voir publiés les décrets d’application.

« LULU LA PILULE »

Entre temps, la loi de 1920, interdisant l’avortement et la contraception, est encore en vigueur, rendant impossible la publicité autour de la contraception. Lucien Neuwirth, député de la Loire et gaulliste, va devoir se battre contre ses collègues élus et l’opinion publique. Et va devoir convaincre le général de Gaulle, très réticent à cette idée, comme la plupart des hommes politiques, excepté François Mitterrand qui se déclarera favorable.

On connaît peu l’histoire de celui que l’on a surnommé « Lulu la pilule ». Pour les 50 ans de la loi, le magazine Causette, dans son numéro de décembre, revient sur l’acharnement de cet homme qui a mené bataille, 20 ans durant, pour qu’ait lieu cette révolution sociale. Une histoire – et une société - sur laquelle est également revenue l’émission « Qui sommes-nous ? » en diffusant le 19 décembre, sur France 3, le documentaire La bataille de la pilule.

« La première des choses pour une femme, c’est de maitriser son corps. Mon corps m’appartient ! », peut-on entendre dans les premières minutes du film, coproduit par Causette et France Télévisions. Si aujourd’hui, les femmes ne peuvent pas encore se dire pleinement libres de disposer de leurs propres corps, elles peuvent en revanche célébrer les luttes qui ont mené à des avancées significatives en ce sens.

LE COMBAT CONTINUE

« On ne se verrait pas revenir en arrière ! », souligne Katell Merdignac, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du Planning Familial 35. En effet, l’association féministe et d’éducation populaire milite, comme le rappelle sa directrice Anne-Claire Bouscal, « pour créer les conditions d’une sexualité vécue sans répression ni dépendance dans le respect des différences, de la responsabilité et de la liberté des personnes (…). Contraception, avortement, éducation à la sexualité sont les conditions essentielles de l’autonomie, de l’émancipation des femmes, et de la libre disposition de leur corps. »

Et n’oublie pas de faire remarquer qu’en 2017, le combat est toujours d’actualité. L’accès à la contraception de son choix restant encore fragile. Parce que la population manque encore d’informations.

Pour plusieurs raisons : la loi de 2001 sur l’éducation à la sexualité (prévoyant des interventions en milieu scolaire chaque année, de l’élémentaire au lycée) est très peu appliquée, les professionnel-le-s de la santé sont trop peu formé-e-s à ces questions durant leur cursus universitaire, les structures ressources manquant de moyens financiers et humains sont inégalement réparties sur le territoire…

« Nous avons des partenariats avant certains établissements scolaires mais pas beaucoup. Ils demandent souvent une intervention pour les classes de 4ème. Et de 3ème. On va très peu dans les lycées, il y a beaucoup de résistance. Je remarque que ça se fait souvent à l’initiative d’une personne, ça tient sur une infirmière scolaire, un prof de SVT… Mais si un prof de SVT souhaite l’intervention et pas son collègue, ça complique les choses… Il faut convaincre les non convaincu-e-s. », déplore Laure Stalder, conseillère conjugale et familiale au PF 35.

La directrice note également que la demande d’intervention est souvent motivée par un événement survenu dans l’établissement, « alors que ça devrait être mis en place avant, dans un cadre d’information et de prévention. » Pas seulement en réponse à un incident.

La faible application de la loi de 2001 révèle un inquiétant manque de financements - les interventions étant à la charge des établissements – et, par conséquent, de volontés politiques. Pourtant, l’information est primordiale pour le maintien des acquis sociaux, menacés par la montée, et la médiatisation, des réactions conservatrices et les idées reçues, dont la déconstruction reste un enjeu majeur du Planning Familial.

DÉCONSTRUIRE LES IDÉES REÇUES

Le scandale des pilules de 3ème et 4ème générations, les études sur le potentiel lien entre pilule et cancer du sein, l’idée que la pose d’un stérilet est possible uniquement après une grossesse, le retrait de l’implant Essure du marché (pour « raison commerciale »)… Les polémiques s’accumulent, suscitant doutes et inquiétudes, constamment autour de la contraception, le tri dans les informations devient difficile et un ras-le-bol se fait sentir.

Le 26 septembre, à l’occasion de la journée mondiale de la contraception, nombreux étaient les articles titrant autour de la désaffection de la pilule et du retour aux méthodes naturelles. L’emballement médiatique est lancé et encore une fois, ce sont les femmes qui trinquent.

Depuis 1978, la progression de l’usage de la pilule a été constante, souligne le PF 35 dans un communiqué, passant de 27% (cette année-là) des utilisatrices de contraception à 45% en 2000. On constate alors que les méthodes dites traditionnelles (retrait et abstinence périodique), utilisées à 23%, sont largement délaissées, chutant à 3%.

Dans les années 2000 pourtant, les études de l’INED (Institut national d’études démographiques) mettent en avant une inversion des tendances. L’usage de la pilule passe de 41% en 2010 à 33% en 2016. D’un autre côté, d’autres méthodes contraceptives prennent du gallon. Comme le stérilet (DIU, dispositif intra-utérin) qui voit son utilisation passer de 19% à 26% (sur la même période) et le préservatif qui passe de 11% à 16%.

Les méthodes naturelles reviennent en flèche en 2010, doublant son pourcentage avant de se stabiliser autour des 5% de 2014 à 2016. Un chiffre assez proche de celui de la stérilisation féminine (ligature des trompes), qui serait d’ailleurs en régression.

La pilule reste en France la méthode privilégiée par les concernées, particulièrement chez les jeunes de 15 à 19 ans (60,4%). Le Baromètre santé 2016 indique que son utilisation baisse avec l’âge (35,4% des 30-34 ans). En Bretagne, l’ARS (Agence régionale de santé) révèle même qu’en 2016, plus d’une femme sur deux utilise la pilule entre 18 et 29 ans.

ÉCOUTE ET DIALOGUE

« En consultation, on part des idées reçues des patientes, de ce qu’elles ont entendu, de ce dont elles ont peur. Les études sur les risques de la pilule sont très controversées. On dit aux femmes que la pilule provoque le cancer du sein mais on ne leur dit pas qu’elle les protège du cancer de l’utérus et du colon. Je ne peux pas assurer à une patiente qu’il n’y a aucun risque avec la pilule mais déjà le risque est extrêmement faible et ensuite c’est le cas avec tous les médicaments. »
déclare Cloé Guicheteau, médecin du PF 35.

Elle poursuit : « Quand elles sont jeunes, en majorité, elles ne connaissent que la pilule, qu’elles aient commencé une sexualité ou non. Elles veulent donc ce qu’elles connaissent. Notre rôle est de leur expliquer tout ce qui existe. Je leur parle du stérilet, de l’implant, etc. De comment vont se passer leurs règles, selon les méthodes de contraception. Je leur dis de ne surtout pas hésiter à revenir nous poser des questions, à revenir nous voir si jamais après la pose de l’implant elles ont des saignements trop fréquents. Pour voir comment on peut faire, comment ça peut passer. Il faut leur expliquer et dire que ça peut ne pas convenir. Ensuite entre 20 et 29 ans, on voit une diminution de l’utilisation de la pilule au profit du stérilet, souvent. Parce que ça peut être vécu comme une contrainte pour certaines de prendre la pilule tous les jours, ou parce qu’elles veulent prendre moins d’hormones, etc. »

Une baisse qui peut s’expliquer par une plus grande connaissance du sujet et peut-être une plus grande écoute de son corps et de son environnement. À l’heure où la société tend à se tourner vers des comportements plus écologiques et où l’on s’interroge sur la composition des cosmétiques, du textile, de l’alimentation, etc., les femmes prennent évidemment part au mouvement et questionne aussi leur quotidien.

Cloé Guicheteau et Laure Stalder se rejoignent sur la complémentarité de leurs fonctions. Les femmes peuvent parler différemment de leur rapport à la sexualité, à leurs corps, à leurs vécus, face à un-e médecin ou face à une conseillère conjugale et familiale. D’où l’importance de l’écoute et de l’information. Savoir aussi que selon les âges, les parcours, les expériences, les étapes de vie, les personnes évoluent et la méthode contraceptive peut être modifiée.

DES CONNAISSANCES POUR UN CHOIX RÉEL

Le mot d’ordre de la structure, d’autant plus valorisé à l’occasion des 50 ans de la loi Neuwirth : il n’y a pas de bonne ou de mauvaise contraception. Bénévoles et salariées insistent, il s’agit là d’un choix individuel, qui doit être éclairé par une information complète et accessible à tou-te-s.

« Nous ne sommes pas là pour décider à la place des patientes mais nous devons les informer sur tout ce qui existe, que ce soit sur les méthodes réversibles, comme sur les méthodes définitives. »
explique Marie Lintanf, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du PF 35.

La contraception ne doit pas être une fatalité mais un choix. Aujourd’hui encore, néanmoins, on regrette le manque d’écoute de certain-e-s professionnel-le-s de la santé et le manque, voire l’absence, d’informations dispensées par ces dernier-e-s. Sans compter certaines idées reçues encore véhiculées en 2017 (même si elles tendent à disparaître pour certaines).

D’un côté, on aborde la contrainte de la prise quotidienne d’un comprimé hormonal. D’un autre, on appréhende la douleur lors de la pose d’un stérilet (ou que notre corps le rejette). On réfléchit à la solution préservatif mais « Monsieur » préfère sans. Le retrait ? On n’y pense pas toujours dans le feu de l’action… Choisir sa contraception peut ressembler à un casse-tête chinois et être source d’angoisse et de souffrance, comme en témoigne Le chœur des femmes, de Martin Winckler.

Mais l’ouvrage montre surtout l’importance de l’écoute et de l’information. Du travail collectif entre patientes et professionnel-le-s. Sans oublier la relation de confiance. « C’est très important de prendre le temps de discuter. De ne pas forcément faire l’examen gynécologique dès le premier rendez-vous par exemple. », insiste Cloé Guicheteau.

SE FORMER À L’ÉCOUTE ET À L’ADAPTATION

Pour elle, il est essentiel de s’adapter à chaque patiente. Et de bien expliquer étape par étape les gestes qui vont être réalisés lors d’un examen :

« Je montre le spéculum, j’explique à quoi il sert, l’endroit où je vais le mettre et ce que je vais faire. Il faut bien faire attention à expliquer ce que l’on va faire sur leur corps. Ce n’est pas seulement imaginaire, il est important qu’elles visualisent. Pour le stérilet, on passe plus de temps à préparer le matériel qu’à le poser. Alors pendant la préparation, on échange avec la patiente. Plus elle est décontractée et détendue, moins elle ressentira de gêne. On discute, on parle d’autres choses. On voit comment elle se sent, on peut lui montrer avec un miroir si elle le souhaite, c’est vraiment selon la personne !

On prévient de tout ce qu’on va faire pour qu’elles ne soient pas surprises. Elles vont avoir des petites douleurs, comme une petite douleur de règles, pendant la pose parce que l’utérus est un muscle, il se contracte. On travaille alors la respiration pour bien oxygéner le muscle utérin. On peut utiliser l’hypnose aussi si on sent qu’il y a trop d’angoisse. Et surtout, il ne faut pas insister si on voit que c’est difficile. On va alors essayer de discuter, voir s’il n’y a pas d’antécédent de traumas, et malheureusement, souvent dans ces cas-là, on s’aperçoit qu’il y en a. A partir de là, on prend le temps avant de réenvisager la pose ou pas. »

Pour Anne-Claire Bouscal, la question des violences faites aux femmes, de l’écoute, de l’information, de l’adaptation à la personne, etc. doivent être obligatoirement prises en compte dans toutes les formations des professionnel-le-s de la santé, tout secteur confondu. Et pour cela, une vraie volonté politique doit être, pas seulement affichée, mais entreprise réellement sur le terrain.

L’INFORMATION POUR TOU-TE-S

Les associations manquent de moyens financiers mais aussi humains. Et ne peuvent, à elles seules, faire tomber les barrières sociétales et pallier toutes les inégalités territoriales. Le gouvernement doit également prendre sa part, au travers de financements plus importants, via des campagnes d’information visibles et accessibles à tou-te-s.

Chloé Bertin, bénévole et membre de la commission Contraception-IVG du PF 35, soulève un point essentiel : les événements autour de ces questions, et notamment autour de la contraception masculine, sont quasiment exclusivement organisées à l’initiative d’associations et ne touchent ainsi pas tous les publics :

« Chaque année à Rennes, en 2016 et en 2017, il y a une soirée sur la contraception masculine. Il y a Ardecom qui en parle, ou encore Thomas Bouloù, mais ça reste des initiatives associatives. Pas institutionnelles. Le Planning parle aussi bien des méthodes de contraception féminine que des méthodes de contraception masculine. Ces dernières sont très peu choisies et c’est le parcours du combattant pour la vasectomie. »

LES HOMMES AUSSI SONT CONCERNÉS

Le parcours du combattant, c’est ce que relate le rennais Franck Bréal dans Causette (numéro de novembre 2017 – à lire absolument, hommes et femmes, on précise). Il fait parti des 0,8% (en France, parce que dans des pays voisins, le chiffre se rapproche des 20%) d’hommes à s’être orienté vers une méthode définitive. Son témoignage met le doigt sur un tabou profond, criant de vérités : la contraception peut, et doit, se conjuguer au féminin et au masculin.

Depuis la légalisation de la contraception, seules les femmes sont visées. Elles sont les seules responsables d’une éventuelle grossesse. À elles de penser au petit comprimé à prendre tous les jours à heure fixe. À elles de réfléchir à leurs moyens de contraception. À elles d’aller chercher la contraception d’urgence à la pharmacie (et de s’entendre dire qu’elles ont été irresponsables) si besoin. À elles de dire « On va mettre un préservatif (féminin ou masculin) parce que je prends pas la pilule / j’ai pas de stérilet / j’ai pas d’implant » ou « Il faudra se retirer avant la fin (pour les mêmes raisons) ».

À elles de calculer les dates d’ovulation et jours de menstruations, sans qu’aucune question ne lui soit posée. Oui, elles gèrent. Et elles gèrent toutes seules. Pourquoi ? Parce que c’est une affaire de gonzesses. C’est faux. Franck Bréal le dit d’ailleurs au début de son article :

« Véro (sa compagne, ndlr) a raison : la contraception est aujourd’hui considérée comme une prérogative féminine. Cette charge (mentale) normée et imposée est pourtant loin d’être un acte banal et n’est pas sans risque. »

Et la vasectomie est également considérée comme loin d’un acte banal et sans risque. Parce que cet acte atteint à la virilité (idées reçues : la vasectomie rend impuissant / c’est certainement sa compagne qui le force parce qu’elle en peut plus d’être enceinte / il va le regretter plus tard – selon l’âge de l’individu, évidemment), dans l’opinion publique.

AVANCER ENSEMBLE

Encore une fois l’absence d’information et de connaissance joue en défaveur de la méthode et surtout en défaveur de la liberté de choisir (un délai de réflexion de 4 mois est obligatoire avant la réalisation de la vasectomie). À cela viennent s’ajouter les assignations de genre, parfait cocktail mortel qui n’oublie pas de polluer les esprits.

Cinquante ans ont passé depuis que la victoire de Neuwirth sur les conservateurs-trices. Celui qui était traité de « fossoyeur de la France » et « d’assassin d’enfants » - contraint de retirer sa fille de l’école catholique  en 1967 « à cause du harcèlement dont elle est victime » (Causette), est aujourd’hui salué par la grande majorité de la population.

Depuis la promulgation de la loi et l’application des décrets, les avancées se sont multipliées, notamment le remboursement du stérilet et de la pilule, la vente libre de la contraception d’urgence en pharmacie, l’autorisation de la stérilisation à visée contraceptive, la prescription de la contraception et la pose du stérilet par les sages-femmes, la gratuité de certains contraceptifs pour les mineures de plus de 15 ans, le lancement d’un numéro vert gratuit (0 800 08 11 11 de 9h à 20h du lundi au samedi) ou encore la gratuité et la confidentialité de tout le parcours de soin relatif à la contraception pour les mineures de plus de 15 ans.

Mais le combat reste d’actualité. Pour ne pas revenir en arrière. Et pour progresser encore dans l’évolution des mentalités et dans l’accès à la contraception pour tou-te-s. Désormais, la contraception doit se conjuguer au féminin comme au masculin et l’information doit être complète, tout autant que l’écoute et la formation des professionnel-le-s.

Le Planning Familial 35 insiste sur le non jugement : « C’est la personne concernée qui sait le mieux ce qui est bon pour elle. Le panel contraceptif a beaucoup évolué en 50 ans et va continuer à évoluer. Maintenant, la contraception est quasi exclusivement féminine parce qu’on tient les femmes dans un rôle de procréation ou de responsable unique de sa contraception. L’égalité doit passer par le fait d’en parler et d’en discuter ensemble. »

 

 

POUR INFOS :

Le Planning Familial 35, c’est :

  • 180 adhérent-e-s

  • Une cinquantaine de bénévoles qui se mobilisent pour faire connaître le Planning et diffuser ses valeurs

  • 27 professionnel-le-s salarié-e-s qui forment et informent, qui écoutent et accompagnent les personnes au quotidien

  • 2 sites : Rennes et Saint-Malo

Célian Ramis

Femmes entrepreneures : Capables d'oser et de réussir

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Les femmes ne représentent que 30% des entrepreneur-e-s. Non moins compétentes que les hommes, elles se sentent en majorité moins légitimes. Le programme Caravelle propose de renforcer le leadership des porteuses de projet.
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Parce qu’il faut des couilles pour diriger une boite, l’entrepreneuriat est clairement associé à une image masculine. Une représentation fausse mais très imprégnée dans les mentalités, tant des hommes que des femmes. Ces dernières ne représentent encore que 30% des entrepreneur-e-s en France.

En dépit de la progression de ce chiffre au cours de ces dernières années et des incitations gouvernementales – plan pour l’entrepreneuriat féminin lancé en 2013 – les difficultés persistent. Des réseaux de femmes entrepreneures se tissent alors pour y répondre, privilégiant l’entraide et le partage.

C’est sur ces valeurs que se lance le programme Caravelle, en octobre 2017, en Ile-de-France, en Aquitaine et en Bretagne, destinée aux femmes entreprenant dans le domaine de l’Économie Sociale et Solidaire.

Depuis l’enfance, les petites filles entendent dire qu’elles doivent être douces, gentilles, maternantes, au service des autres et discrètes. En grandissant, elles intègrent que certains postes, comme ceux d’ingénieurs, de scientifiques ou encore de chefs d’entreprise, incombent aux hommes. Rares sont les modèles féminins à qui elles peuvent s’identifier.

Et quand on dresse le portrait de la femme d’affaires, l’image ne fait pas rêver : elle est stricte, froide, blanche, bourgeoise, peut-être fille de, centrée uniquement sur sa vie professionnelle, incapable de nouer des relations amicales avec les autres femmes. Pourquoi ? Parce qu’elle doit adopter les codes de la masculinité et redoubler d’effort pour prouver ses capacités et être acceptée.

Un tas de conneries parfaitement contre-productif qui part d’une base réelle, celle d’une société sexiste dans laquelle les femmes n’ont pas vraiment leur place. Pourtant, aujourd’hui, les choses bougent et une nouvelle génération émerge : celle qui choisit son émancipation.

« Toute femme peut devenir une femme extraordinaire. Pour avoir votre part de chance, saisissez-là ! Il faut prendre la liberté d’entreprendre ! À vous d’organiser votre temps. La clé, c’est l’audace et la confiance en soi. Se sentir légitime, c’est important. On apprend en marchant. »

Ce sont les mots que la présidente d’Entreprendre ensemble, Daisy Dourdet, a adressé à l’assemblée présente lors du colloque « Réinventer le développement grâce à la diversité », qui se déroulait le 19 mai dernier, à l’École nationale supérieure de chimie de Rennes. Pour la table ronde « Entreprendre au féminin », elle était accompagnée de Céline Domino, créatrice du fait-main et membre du réseau Femmes de Bretagne, et de Michaela Langer, présidente de Triskem International.

Ensemble, elles ont pointé les difficultés auxquelles la majorité des femmes font face lorsque l’envie d’entreprendre les traverse et les ont aussitôt balayé du revers de la main. « Les réseaux féminins s’adressent particulièrement à celles qui se sentent menacées par les assignations de genre. Là, elles parlent entre elles de leurs vies personnelles et de leurs vies professionnelles qui s’entremêlent. », souligne Céline Domino, qui note également que « les femmes sont souvent sur l’idée de créer leur emploi. Beaucoup restent des porteuses de projet pendant très longtemps. Il y a parfois l’idée que quand on gère plusieurs salarié-e-s, on a moins de temps qualitatif avec ses enfants, sa famille. »

Pour Michaela Langer, c’est une question de choix et d’organisation : « J’ai un emploi du temps qui déborde. J’adore ce que je fais et je passe beaucoup de temps avec mes enfants. Ils sont heureux parce que je suis heureuse et ça se voit quand on est ensemble. Mais j’ai aussi envie d’aller plus loin avec mon entreprise, de grandir avec et que mes collaborateurs-trices soient également épanoui-e-s. Il faut vraiment croire en ce que l’on fait, c’est vraiment essentiel, et oser. »

Un discours que cautionne totalement Daisy Dourdet qui soulève alors la problématique du rapport à l’argent : « Les femmes se sous-estiment. Encore une fois, il y a cette question du manque de confiance. On n’ose pas gagner d’argent. Pourquoi une femme aurait une petite entreprise ? Pourquoi n’aurait-elle pas d’ambition ? En entreprenant, on crée de la richesse, on fait vivre des salarié-e-s, il y a une redistribution des profits. Il ne faut pas avoir honte de gagner de l’argent, de vouloir gagner de l’argent et de créer de la richesse. »

Les trois entrepreneuses en viennent alors au fond du problème. Au-delà de l’éducation genrée que l’on reçoit dès la petite enfance – ne poussant pas les petites filles à oser – le manque de représentation féminine dans le monde des costards-cravates influe sur les individus, notamment les femmes qui ne se sentent alors pas légitimes à se lancer.

Pour la fondatrice d’Entreprendre ensemble, « il faut montrer des femmes qui ont commencé de zéro, qui sont parties de rien et qui ont tout construit. Et il faut arrêter de prendre en exemple le peu d’entreprises dirigées par des femmes au CAC 40 ». Ou faire les deux, puisque c’est dans la multiplicité des exemples et des parcours que les femmes pourront s’identifier.

Les problématiques relatées lors de la table ronde ne concernant pas uniquement le secteur de l’entrepreneuriat mais bel et bien l’ensemble des domaines encore principalement occupés par les hommes.

LA PARITÉ, ÇA RAPPORTE

Nathalie Mousselon est présidente du Comité Diversité de l’association Ingénieurs et scientifiques de France – à l’initiative du colloque organisé à Rennes – et le dit avec conviction : « L’étude MC KINSEY The power of parity estime la perte de richesse mondiale due aux inégalités entre les sexes à 28 milliards de dollars. Les femmes peuvent être la clé du redressement économique ! » (lire 3 questions à Nathalie Mousselon – YEGG#59 – Juin 2017).

Sans surprise, les femmes ont leur place à prendre dans l’économie mondiale, tous secteurs confondus et tous postes confondus. Dans un article daté du 1er octobre 2017, publié sur le site du Monde Afrique, Elisabeth Medou Badang, première femme Africaine à prendre la tête d’une multinationale au Cameroun (Orange), prône la parité femmes-hommes, dans le secteur privé.

« Les femmes représentent 50% de la population et nous avons autant de capacités intellectuelles que les hommes. Pourquoi le monde, et l’Afrique, se priverait de la moitié de ses cerveaux ? (…) Des études ont démontré que si on donnait aux femmes autant d’opportunités qu’aux hommes, le monde pourrait accroitre ses richesses de plus de 20% ! », déclare celle qui s’est rendu au premier sommet « Women in Africa » du 25 au 27 septembre, organisé au Maroc.

Pour partager son expérience aux côtés de plus de 300 entrepreneures venues échanger à Marrakech autour de la thématique « Investir pour une meilleure gouvernance avec les femmes africaines ». Un peu sur le même principe que le « Women’s forum », qui s’est déroulé l’an dernier en France, à Deauville (ce que montre la réalisatrice Tonie Marshall dans son nouveau film Numéro Une, au cinéma le 11 octobre – lire « Tonie Marshall contre le sexisme des hautes sphères du CAC 40, yeggmag.fr, 27 septembre 2017), et qui réunit chaque année depuis 12 ans des scientifiques, décideurs-euses et chef-fe-s d’entreprise, dans l’optique de renforcer la représentativité des femmes et inciter à la mixité femmes-hommes.

ÉDUCATION À LA PARITÉ ET NON À LA PRÉCARITÉ

Pour Elisabeth Medou Badang, il est primordial de casser les stéréotypes entre les filles et les garçons, dès l’enfance, à travers la cellule familiale et l’éducation, en laquelle elle croit profondément. Parce que les inégalités font partie intégrante de la culture mondiale. Isabelle Guegeun, cofondatrice de la SCOP bretonne Perfegal, constate qu’aujourd’hui encore la résistance des mentalités se confronte au cadre législatif.

« Des lois pour la parité dans les organisations, l’égalité salariale, les quotas en politique, etc. on en a. Mais il est compliqué de passer de la loi à la culture. Il est important de parler et de cultiver l’égalité hommes-femmes. »
souligne-t-elle.

L’Éducation Nationale ne fait pas exception : « Les enseignant-e-s sont assez réfractaires en général à se former. Alors les former à cette thématique… L’écriture inclusive va changer leurs habitudes donc ils ne trouvent pas ça bien. Mais attention, il y a des gens convaincus dans ce secteur et il ne faut pas tout leur mettre sur le dos. Dans notre travail, on essaye de démontrer par des chiffres et des exemples concrets plutôt que de culpabiliser. Mais je le redis, ce n’est pas que dans l’Education Nationale. On explique la même chose aux élu-e-s, il faut être pédagogique. C’est un ensemble qu’il faut faire évoluer ! » L’ensemble d’un système sexiste que l’on intègre dès la petite enfance.

La société bouge lentement et l’État peine à forcer l’évolution des mentalités, même s’il reconnaît aujourd’hui, à force de batailles féministes espérons-le, l’importance de l’intégration des femmes dans le monde économique. Pourtant, ces dernières, toujours les principales victimes des crises, sont les plus visées par la précarité, tandis qu’elles sont majoritairement plus diplômées que les hommes (72%  des femmes sont de niveau Bac+5 à doctorat contre 62% des hommes, en moyenne).

En 2013, le ministère en charge des Droits des femmes, le ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et le ministère délégué chargé des PME, de l’Innovation et de l’Économie numérique lancent le plan « Entreprendre au féminin », afin d’augmenter le nombre d’entreprises créées par les femmes. Trois ans plus tard, l’indice entrepreneurial – la part de Français-es étant ou ayant été dans une démarche entrepreneuriale – survole seulement les 27% pour les femmes.

L’ESS, TOUCHÉE PAR LES MÊMES DIFFICULTÉS ?

Et dans le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire, le rapport est proche. Un tiers des femmes sont entrepreneures et deux tiers sont salariées.  « Il y a un vrai intérêt pour ce secteur mais les freins sont importants. Nous avons voulu comprendre ces freins avec l’étude Women’Act, pour pouvoir ensuite agir pour les résoudre. », explique Joséphine Py, chargée du programme Caravelle pour l’association Empow’her.

La structure, créée en 2011 par un groupe de jeunes constatant le contraste entre la précarité des activités entrepreneuriales des femmes rencontrées dans plusieurs pays du monde et le potentiel économique qu’elles représentent, se base sur des chiffres révélateurs de la problématique : 66% des employés du secteur sont des femmes, 45% sont à temps partiel et l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes s’élève à 20%.

Environ 30% seulement de femmes entrepreneures. Souvent dans des domaines plutôt genrés, comme les services sociaux et la santé. Ainsi, entre octobre 2016 et janvier 2017, Empow’her décide d’enquêter auprès de 100 entrepreneur-e-s sociaux intervenant sur le territoire français.

Et le résultat n’a rien de surprenant : plus de la moitié des femmes interrogées considèrent qu’il est plus difficile d’entreprendre en étant une femme.

Et si les hommes font également face à des difficultés liées au financement des structures naissantes, les porteuses de projet mettent cependant plus de temps à se rémunérer (53% des hommes disent avoir mis moins d’un an contre 38% seulement de femmes).

Mais ce qui ressort fortement du côté de la gent féminine reste la difficulté à assumer une posture entrepreneuriale. Là encore, les chiffres sont criants de vérité : 58% des femmes indiquent manquer de confiance en elles, particulièrement lors de la phase de lancement, 53% indiquent que le manque de légitimité a un impact sur leur capacité à se projeter et 72% considèrent que des attitudes stéréotypées et dévalorisantes, de la part de leurs interlocuteurs comme de leurs entourages, participent à la difficulté à être une femme entrepreneure.

« Women’Act » révèle alors l’importance de l’accompagnement de ces femmes et de leur intérêt à se regrouper dans des réseaux.

CARAVELLE : ASSUMER SON LEADERSHIP

C’est bien ce qui sera donc proposé via le programme Caravelle, lancé en ce mois d’octobre avec la première promotion, composé de 25 créatrices – soit en cours de lancement, soit en activité depuis moins de deux ans - réparties sur trois régions : l’Ile de France, l’Aquitaine et la Bretagne.

« Ce sont trois zones dans lesquelles l’ESS est bien implantée. Il y a des besoins sociaux et environnementaux importants. Nous travaillons pour ce programme avec le Mouves qui était déjà bien intégré en Ile de France et en Aquitaine. Et pour la Bretagne, nous collaborons avec Entreprendre au féminin. Mais l’idée est de s’étendre et que Caravelle devienne un programme national en 2018. », explique Joséphine Py.

Sur 6 mois, dans un premier temps pour la première session, puis sur 10 mois pour les suivantes, les participantes bénéficieront de 3 séminaires de trois jours, où elles seront réunies et coachées par des expert-e-s en leadership, ainsi que d’un mentorat, grâce à un principe de marrainage.

« On voit bien que beaucoup de femmes ont des projets. Alors oui, elles sont de plus en plus nombreuses à s’installer, ça avance, heureusement, mais doucement. Et même quand elles ont réussi, le problème de la légitimité reste récurrent. L’idée est donc de leur proposer un accompagnement collectif afin de créer des synergies entre les femmes et de constituer une communauté qui s’entraide. Mais c’est aussi de leur proposer des rencontres inspirantes avec des femmes qui ont plusieurs années d’expérience et qui pourront témoigner de leurs parcours. Les marraines seront formées également au mentorat. », développe la chargée du programme.

Au-delà de l’empowerment de ces créatrices, l’objectif est aussi de constituer une « équipe » de figures modèles. La réflexion est logique : moins on voit des exemples féminins de réussite, moins le processus d’identification s’opère.

« Avec Caravelle, on veut mettre en place des outils de sensibilisation, comme une newsletter portée par les entrepreneures sociales ou des vidéos inspirantes. »
conclut Joséphine.

DES PARCOURS DIFFÉRENTS

Parce que l’image unique du modèle de réussite fait froid dans le dos. Froide, dure, carriériste aux dents longues, souvent issue d’un milieu bourgeois, peut-être même fille de ou femme de et dans tous les cas mauvaise mère… Cette représentation va à l’encontre d’une démarche encourageante.

La multiplicité des profils et des parcours a une importance capitale. Parce que toutes les femmes ne sont pas éduquées de la même manière, ne sont pas issues des mêmes milieux sociaux, n’ont pas les mêmes origines, les mêmes âges et les mêmes vécus et expériences.

« J’ai toujours voulu lancer mon entreprise, le monde du salariat ne me convenant pas totalement. Mais je ne viens pas d’une famille d’entrepreneurs et forcément, c’est compliqué de vouloir plus grand. Tu te heurtes aux peurs des autres finalement. », confie Nathalie Le Merour, une des trois participantes brétilliennes du programme.

Après des études de langues en LEA, elle part en Erasmus pour 6 mois en Angleterre et reste en fin de compte 8 ans au sein d’une entreprise de formation. Elle revient en 2012 à Rennes et intègre une start-up, en qualité de cheffe de projet en communication digitale. À 35 ans, elle quitte son emploi et se lance dans la création de sa société, Bynath.

« À la base, je voulais faire des études de stylisme, et cette envie est restée. Mais être styliste sans cause derrière, je n’en trouve pas le sens. », souligne-t-elle. Ainsi, après avoir dessiné les croquis à la main, elle a réalisé sur logiciels une collection végane et éthique de tee-shirts et sweat-shirts.

Une partie des fonds récoltés permettront de financer des associations de protection des animaux et des minorités en général. La première campagne, qui devrait débuter très prochainement, passera par un financement participatif, dont une partie de l’argent sera reversée à La Ferme des Rescapés, située à Cassagnes dans le Lot (46).

Lorsqu’elle tombe sur le questionnaire de candidature de Caravelle, Nathalie n’hésite pas. Mais se dit qu’elle ne sera pas sélectionnée. Pourtant, elle est invitée à se présenter devant le jury : « J’ai été un peu secouée pendant l’entretien. Le jury me parlait de philanthropie, ça m’a fait réfléchir. Pourtant, je sais qu’un autre modèle économique est possible, ça marche en Belgique, en Suède ou aux USA où certaines structures reversent leurs bénéfices à autrui. »

De son côté, Emmanuelle Dubois engage à elle aussi une reconversion professionnelle, en lançant à 37 ans sa structure, Débrouillarts, après avoir étudié les arts plastiques à l’université, puis aux Beaux-Arts de Rennes, et travaillé comme assistante marketing et chargée de communication auprès de la Maison de la Consommation et de l’Environnement (lire focus « La seconde vie des déchets » - YEGG#60 – Juillet/Août 2017). « Aujourd’hui, je fais une activité qui me plait donc ce n’est pas très compliqué pour moi de m’y sentir à l’aise, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé. », explique-t-elle.

ÊTRE PLUS À L’AISE

Ce qui l’intéresse principalement dans le programme, ce sont les rencontres et échanges avec les autres professionnelles. Le partage d’expériences, ça lui parle, même sur les sujets qui ne sont pas problématiques pour elle :

« Par exemple, c’est intéressant d’entendre les conseils sur la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Je ne veux pas dénigrer les hommes, loin de là, mais beaucoup de femmes doivent gérer les deux. Moi, j’ai la chance d’être dans un couple assez paritaire sur la répartition des tâches ménagères, sur l’éducation des enfants, qui en plus commencent à être grands, donc sont autonomes. Mais je trouve ça quand même important de voir comment ça se passe pour les autres et de pouvoir échanger des astuces pour gérer les choses sans se prendre la tête. »

Sans se fixer d’objectifs précis au sein de Caravelle, Emmanuelle tend quand même à obtenir quelques clés vis-à-vis de la posture. La confiance en elle ne lui fait pas défaut mais elle constate encore quelques blocages.

Face à celles et ceux qui ont un statut « plus élevé ». Les élu-e-s, par exemple. Même si elle n’a pas eu encore d’occasion de travailler avec elles/eux, elle a noté sa timidité à entrer en contact, simplement pour se présenter, se faire connaître.

« Lors de l’inauguration de La Belle Déchette, certains étaient présents. Mais je n’ose pas aller vers eux. Je débute dans l’entrepreneuriat et donc je n’ai pas assez d’expérience pour être suffisamment à l’aise. », précise-t-elle. Pourtant, lorsqu’elle travaillait dans le marketing, elle devait régulièrement faire des présentations devant un parterre de commerciaux. Elle se souvient d’un exercice stressant mais motivant :

« Les dirigeants étaient surpris parce que je n’étais pas obligée. Il faut reconnaître que les femmes sont moins écoutées et qu’elles sont plus souvent cantonnées au rôle d’assistantes que envisagées comme forces de proposition. Ça m’a donné envie de leur montrer que non, on n’est pas que des assistantes. »

Ce qu’elle attend, en quelques mots, c’est d’apprendre à montrer que l’on est sûre de soi. Parler clairement sans bégayer, ne pas chercher ses mots et avoir un discours clair. En gros, ne pas se laisser envahir, et ne pas laisser transparaitre, le stress et les sources de ce stress.

« C’est vrai que les hommes ont tendance à en imposer davantage. Je ne sais pas à quoi c’est dû… Une prestance naturelle, une voix qui impose. En tout cas, ils ont peut-être moins de freins. Là où nous, on a tendance à réfléchir 15 fois trop avant de se lancer. Les femmes, quand elles présentent leurs projets, on sent qu’elles dévoilent quelque chose d’important pour elles. Personnellement, dans ma carrière, je n’ai pas souffert de sexisme mais quand on voit qu’à Rennes, il y a beaucoup d’initiatives pour les femmes entrepreneures, on se dit que c’est parce qu’il existe réellement une inégalité quelque part. », ajoute Nathalie Le Merour, enthousiaste à l’idée de pouvoir se nourrir des conseils des unes et des autres.

TORDRE LE COU AUX CLICHÉS

Anne-Carole Tanguy, avocate d’affaires à Rennes, membre d’Entreprendre au féminin et dès à présent marraine dans le programme d’Empowher, le confirme : les inégalités entre les femmes et les hommes subsistent, même si une lente progression positive est à noter. Pour elle, Caravelle est symptomatique de l’évolution de la société.

« Aux commandes là haut, ils sont paumés et ils freinent des quatre fers alors que la génération suivante arrive. Les deux doivent être ensemble. Personnellement, je suis ravie d’avoir l’occasion de pouvoir rencontrer des jeunes femmes avec des profils différents, enrichissants, qui sont l’avenir et qui m’ouvrent sur le monde d’aujourd’hui et de demain, celui dans lequel ma fille grandit. », déclare-t-elle.

Et dans ce monde, c’est la diversité et la complémentarité qui doivent être brandies en priorité. Sur le papier, ça fonctionne mais dans la réalité, les mentalités n’avancent pas à vive allure, se butant aux éternels préjugés sexistes. Pour l’avocate, pas de secret :

« La posture ne se travaille pas consciemment, elle vient avec l’expérience. On remarque justement qu’au fil de l’expérience, on nous prend moins pour des petites secrétaires. Pour moi, la question est de se sentir vraiment légitime, c’est là dessus qu’il faut travailler. »

Si les clichés constituent des freins au lancement du projet, Isabelle Gueguen, marraine également dans le programme, identifie aussi les difficultés liées à des tabous qu’il est urgent de briser. Les femmes sont discriminées dans le monde du travail et l’image, aussi inconsciente soit-elle, de celles qui réussissent sont souvent connotées de manière négative.

« Il y a encore des témoignages choquants ! Je discutais avec une femme de 35 ans l’autre jour, cadre supérieur, avec un enfant. En entretien, on lui a demandé si elle comptait avoir un deuxième enfant. On est en 2017 ! Dans mon parcours, lorsque je me suis installée, cela a entrainé mon modification de mon environnement, qui a réagi à mon nouveau statut. Et ça s’est soldé par une séparation alors qu’il était lui aussi entrepreneur. Mais il aurait voulu me voir avec un statut plus pépère. », confie la cofondatrice de Perfegal.

Si, heureusement, tous les hommes ne réagissent pas de cette manière, il est certain que la question de l’équilibre, que l’on voudrait nous vendre comme naturel, se pose, parce qu’il touche à l’émancipation des femmes : « C’est un sujet qui ébranle la société parce qu’on parle là du partage du pouvoir ! Mais ce qui est bien, c’est que le sujet est investi par la politique, même si le monde politique reste encore bien machiste. Mais au moins, on en parle. »

En attendant l’évolution de la société en matière d’égalité femmes-hommes, Isabelle Gueguen préconise la libération de la parole et l’accompagnement de celles qui font le choix d’entreprendre. « Souvent, les personnes qui se lancent n’osent pas parler de leur projet parce qu’on répand l’idée qu’on pourrait se faire piquer ce projet. Mais je pense qu’au contraire, il ne faut pas avoir peur d’être dans le relationnel, de discuter de ses idées et de créer des réseaux. Il y a suffisamment de maillage sur le territoire et nous avons la chance en Bretagne d’avoir un réseau qui accompagne l’émergence des projets avec Entreprendre au féminin. Il faut savoir s’en saisir, se faire accompagner, ne pas avoir peur de gagner de l’argent, oser et assumer. », s’exclame-t-elle, en conclusion.

L’émancipation des femmes passe donc par la capacité à croire en elles, la notion d’empowerment est capitale et ne peut se faire qu’à travers une juste représentation des profils et des parcours. Montrer qu’ils sont pluriels, variés, teintés d’échecs peut-être avant de parvenir à des réussites et qu’il n’y a pas une voie unique.

Que chacune est libre de composer en fonction de ses codes, convictions, envies et besoins aussi bien sa vie personnelle que sa vie professionnelle. Comme elle l’entend, quand elle l’entend. Libre de faire ses choix. D’entreprendre ou pas.

 

 

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L'entraide comme levier d'émancipation
Favoriser l'empowerment des femmes
Être qui on a envie d'être

Célian Ramis

TransMusicales 2017 : Un jeudi bien groovy

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Parc Expo, Rennes
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Premier soir des Transmusicales au Parc Expo, ce jeudi 7 décembre. Retour sur les concerts de Tanika Charles et de Lakuta.
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Premier soir des Transmusicales au Parc Expo, ce jeudi 7 décembre. Si peu de femmes figurent dans la programmation, celles qui étaient sur scène ont assuré des performances soul et groovy. Retour sur les concerts de Tanika Charles et de Lakuta.

TANIKA CHARLES – HALL 3 – 22H05

La puissante voix soul de Tanika Charles met une première claque. Puis vient la deuxième avec la dynamique portée par l’ensemble des musiciens et la choriste. Le groupe, venu tout droit du Canada, compte bien transmettre son énergie communicative, aux accents rétro mais dans un langage résolument moderne.

Les musiciens entament les chœurs en mode pop des années 60 et la chanteuse dévoile une soul classique née dans ces années-là. Elle raconte sa relation passée. Une relation toxique durant laquelle elle ne cessera de faire des va-et-vient entre la rupture et le retour vers une situation confortable aux côtés de l’être aimé. Jusqu’à ce que ce soit lui qui coupe le contact. Et qu’elle lui court après, désespérément.

Pourquoi ce comportement ? C’est ce qu’elle analyse dans un des titres de son album, Soul run. Son thème de prédilection : chanter l’amour. Les rapports de couple, complexes et compliqués. Imparfaits. Sur des rythmes lents, du fond de sa voix grave.

Si on laisse aisément bercer par la pureté du style, le rythme s’essouffle cependant rapidement et on trépigne d’impatience à l’idée de passer la seconde.

Mais l’énergie, elle, ne faiblit pas. La batterie tient en éveil et en haleine, soutenant implacablement les propos de la chanteuse, qui se voit offrir un « joyeux anniversaire » de la part du public. Et comme si tout cela avait été orchestré, le concert prend un tournant plus jazzy, avec la mise en avant du clavier et des sonorités plus tropicales.

La machine est lancée et avec, un regain de modernité. Celle-là même qui avait embarqué le hall 3 au début du set. Des décennies de soul s’entrecroisent, Lauryn Hill rencontre Tina Turner dans le corps de Tanika Charles et le mélange avec le r’n’b, s’il n’est pas surprenant, est tout du moins détonant.

Les récits se corsent aussi, on sent plus d’affirmation de la protagoniste dans ses histoires d’amour, plus de force dans le discours. Une évolution crescendo qui nous fait presque rougir d’avoir pensé quelques instants à un début mal engagé et qui nous ravit. D’autant plus lorsque le groupe entame le titre phare de l’album, au nom éponyme, le fameux « Soul run ».

« Vous savez la personne de tout à l’heure que j’ai quittée… puis je suis revenue, puis je suis partie, puis je suis revenue, puis je suis partie, puis je suis revenue. Et ben, un jour, j’ai vraiment décidé de partir. Et maintenant, vous savez quoi ? Je suis heureuse ! Here we go ! », scande l’artiste.

Sa voix déploie alors encore plus de puissance et son corps suit le mouvement. C’est une explosion de groove qui assaille la scène des Transmusicales. Une explosion que l’on doit également aux guitaristes, qui prennent désormais le pas sur la batterie et le clavier. La bonne humeur et le second degré envahissent la salle et entrainent la foule sans difficulté.

L’ensemble se veut plus rock, plus électrique et plus électronique. Comme s’il suivait le fil de l’évolution du registre de la soul, tout comme celle des mentalités.Tanika Charles « et les Wonderful » terminent le concert avec la grosse patate et nous aussi.

 

LAKUTA – HALL 3 – 1H05

S’il nous faut garder qu’un seul nom de cette première soirée au Parc Expo, ce sera sans hésiter Lakuta. En swahili – langue maternelle de la chanteuse Kenyanne-Tanzanienne Siggi Mwasote – il signifie « trouver, rencontrer, partager ou être comblé ».

Et il ne faut pas très longtemps pour s’apercevoir que c’est une évidence pour ce collectif composé de neuf artistes, basés au Royaume-Uni mais provenant d’origines diverses (Kenya, Tanzanie, Ghana, Malaisie, Espagne, Royaume-Uni).

On voyage et on danse en permanence. On parcourt le monde du jazz, du funk, de la soul, du zouk ou encore de l’afrobeat et pour ce faire, on effectue quelques escales en Afrique, dans les Caraïbes ou en Amérique du Sud. Et ça balance du groove, sans relâche.

Lakuta dynamite la scène et envoie une énergie totalement dingue. On est suspendu-e-s à chaque sonorité, à chaque registre, à chaque rythmique et à chaque phrase.

La moindre paillette – qui se loge jusque sur les chaussures de la chanteuse – nous éblouit et nous embarque dans cette aventure ensoleillée et diversifiée.

Pourtant, les thèmes abordés dans les chansons ne sont pas des plus positifs et réjouissants. « Nos mots sont importants et nos musiques sont belles, j’espère que vous pouvez percevoir les deux. », lance Siggi Mwasote qui entame « Afromama », un titre sur la condition des filles et des femmes en Afrique.

Elle y réclame la liberté des femmes et proclame que ces dernières ne sont pas des propriétés à posséder. Et au fil des chansons suivantes, elle poursuit son action en diffusant le message auquel tient le collectif : l’unité dans la diversité et l’humanité. Dire non à la brutalité, non aux enfanticides, non aux féminicides. Et non au Brexit.

Parce qu’il est synonyme de fermeture. Tout ce que refuse Lakuta qui prône le vivre-ensemble – l’album s’intitule Brothers & sisters – et qui démontre la beauté et la richesse des références et influences différentes.

La world music prend le contrôle de la scène, mêlant à la fois du reggae et du jazz, du zouk et de la soul, de l’afrobeat et du funk, grâce aux talents des cuivres (saxophone, trombone, trompette), des percussions (congas, bongos, shékérés,…), des cordes (guitare, basse, cora) et de la batterie. Sans oublier le coffre et la puissance de la chanteuse, à l’énergie débordante et au sourire communicatif.

Passant d’un flow impressionnant de par sa rapidité à des envolées plus soul, le phrasé de Siggi, soutenu et accompagné par l’ensemble des musicien-ne-s, renforce le sentiment d’urgence et d’exigence qui émane des textes, toujours en lien avec l’actualité (une chanson aborde également les violences sexuelles et la communauté LGBTI).

Une force incroyable se dégage de sa voix, de son corps mouvant, de sa manière de bouger, de croiser ou de lever les poings en l’air mais aussi de chaque rythmique, de chaque mélodie et de chaque sonorité. Le collectif envoie la sauce sans vaciller un seul instant et sans jamais perdre le fil de cette énergie débordante et explosive, qui monte en puissance tout au long du set. Eblouissant, dans le fond et dans la forme.

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