Célian Ramis

Cendrillon l'Universelle, au-delà du genre

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Le Triangle, Rennes
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Les 28 et 29 janvier, le Triangle accueille Cendrillon, un ballet pour 20 danseurs créés par le célèbre Malandain Ballet Biarritz. L’occasion de s’intéresser au genre dans la danse contemporaine, un art qui souvent transcende la question du sexe.
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Les 29 et 30 janvier, le Triangle accueille Cendrillon, un ballet pour 20 danseurs créé par le célèbre Malandain Ballet Biarritz. L’occasion de s’intéresser au genre dans la danse contemporaine, un art qui souvent transcende la question du sexe.

Le corps a-t-il un sexe quand il s’agit d’un outil d’expression ? Une question qui sonne comme une ritournelle quand on assiste à certains spectacles de danse contemporaine. En novembre dernier, le TNB, le Triangle et la Cité de la danse présentaient dans le cadre du festival Mettre en scène le désopilant Antigone Sr., véritable bombe culturelle qui nous assommait par surprise de par la singularité de la représentation destinée à mettre le voguing à l’honneur.

« Le voguing, porté par une communauté noire, homosexuelle, drag ou transgenre, emprunte ses mouvements à ceux des défilés de mode et travaille sur un enchaînement de figures, d’une étonnante rapidité et souplesse. », indique la plaquette du Triangle en guise de résumé. Sur scène, 5 danseurs réalisent une performance croisant danse post-moderne et clubbing. Leurs corps semblent instinctivement se mettre au service de l’art et s’affranchir de toute catégorisation genrée.

CENDRILLON, PERSONNAGE UNIVERSEL

Dans son conte chorégraphié, Thierry Malandain, chorégraphe et directeur de production, se veut fidèle à la dramaturgie de Cendrillon et à la partition du compositeur russe Prokofiev. Et à cela, il ajoute une scénographie épurée, un simple mur teinté d’escarpins, et magnifie la mise en scène de ruses empruntes au système D.

« Pour le bal, nous avons pris des mannequins pour doubler le nombre de couples. C’est vraiment de la débrouille et il ne faut y voir aucun symbole autour de l’image de la femme. J’aurais été gêné de le faire sciemment… Par contre, le fait que l’objet soit inanimé justifie que le prince n’y voit aucun intérêt ! »
Thierry Maladain, chorégraphe du Malandain Ballet Biarritz.

Quand il a conçu le ballet, l’artiste n’a pas réfléchi en terme de genre. Ni dans les autres créations d’ailleurs. Il avoue aisément se détourner de ce sujet. « J’aime bien jouer avec les traditions. Avec mon langage. Du classique de maintenant », explique-t-il. Et dans sa manière d’envisager la danse et la création de tableaux chorégraphiques, se concentrer sur la question du sexe serait certainement une contrainte réductrice de créativité.

Ainsi, la difficulté de la distribution des rôles est amoindrie lorsqu’il s’agit d’attribuer un personnage féminin à un danseur masculin. C’est par exemple le cas de l’acariâtre belle-mère et ses deux pestes de filles.

« Elles sont maléfiques et méchantes. Je n’ai pas choisi expressément de mettre des hommes dans ces rôles féminins mais je trouve que finalement ça grossit les traits », précise le chorégraphe.

Quand il s’empare de la féérie « cendrillonesque », c’est pour sublimer cette étoile qui danse. Il créé une pièce originale et captivante, au message symbolique : « C’est le symbole de celle qui cherche à être aimée et reconnue. C’est l’attente de chaque être humain. » Au-delà du sexe et du genre, Thierry Malandain perçoit alors, à travers ce ballet, l’individu dans son universalité.

SOUS L’ANGLE DU GENRE

Même son de cloches quasiment du côté du Triangle. Quand on interroge Odile Baudoux, chargée de la danse et de la coordination secteur artistique, sur le genre dans la danse, elle nous répond en souriant : « Certains s’interrogent sur le genre et pour d’autres cette question est tout sauf la préoccupation principale. »

« Ce qui nous intéresse quand on conçoit la saison culturelle, c’est la création, le cheminement des artistes. Il y a donc des femmes, naturellement. Mais ce n’est pas notre critère principal », précise-t-elle.

Ce jour-là, dans son bureau, elle se saisit de la plaquette et nous propose une lecture nouvelle de la programmation 2014/2015, sous l’angle du genre.

Au fil des pages et des spectacles, on croise le thème de la séduction et de l’hyperféminisation des corps avec Our pop song will never be popular (octobre), on gomme parfois la féminité des danseuses de hip hop avec Bliss (décembre), on se travestit avec Antigone Sr. (novembre) et Cendrillon (janvier), on invente un langage avec Fighting Spirit (février), on se réapproprie son corps avec Les Créatives (mars à mai), on s’engage pour la condition féminine avec Plus femme que femme (mai) et on en passe.

UN GRAND POTENTIEL D’IMAGINATION

Le champ de la danse contemporaine est vaste, multiple. L’absence de codes, le choix de l’abstrait, ou non, le mouvement… Pour la programmatrice :

« La danse contemporaine ne nous donne pas toutes les clés. Elle requiert une interprétation personnelle, chacun peut s’approprier la proposition artistique du chorégraphe qui crée, invente… Il y a un grand potentiel d’imagination pour le spectateur. »

Au delà de la représentation très féminine qui subsiste, la danse transcende les questions de genre pour se libérer des contraintes, des codes et des cadres. Pour se centrer sur l’individu propre, l’individu mis à nu. « La danse n’est pas faite pour gommer les différences mais pour les réunir. Sans distinction. », résume Odile Baudoux qui insiste sur la nécessité pour chacun de s’approprier cet art et sa manière de le recevoir dans son individualité.  

Elle conclut :

« C’est tout l’enjeu de l’éducation artistique que nous pratiquons avec les jeunes. C’est de casser les a priori pour les amener vers une meilleure appréciation de la danse. Par exemple, dans Jours étranges de Dominique Bagouet que nous avions présenté en 2013. La thématique du genre était présente mais pas principale. Nous les avons vu progresser dans le danser ensemble alors que ce n’était pas simple au début. Ils ont fini par dépasser et transcender la question filles/garçons. »

Célian Ramis

Audrey Chenu, son combat de femme vers l'émancipation

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Rennes
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Ex-dealeuse de shit, ex-taularde, féministe, lesbienne, instit’, boxeuse, slameuse… Audrey Chenu signe en 2013 le livre Girlfight. Portrait.
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Ex-dealeuse de shit, ex-taularde, féministe, lesbienne, instit’, boxeuse, slameuse… Audrey Chenu peut être qualifiée de bien des choses que l’on pourrait s’amuser à lister ou à classer par ordre de pseudo importance. Mais finalement, ce n’est pas ce qui compte. L’important, c’est ce qu’elle véhicule, à travers son histoire, couchée sur papier dans son livre Girlfight – accompagnée de la journaliste et scénariste Catherine Monroy -  dont elle nous confie la trame lors de notre rencontre, mi-novembre. À l’occasion d’un après-midi slam et d’un apéro-discussion autour de son bouquin, les membres de La Bibliothèque Féministe de Rennes l’ont invitée à partager son expérience de vie à travers les arts de la parole.

L’éditeur, Presses de la Cité, le résume joliment : « C’est la belle histoire d’une fleur poussée au milieu du béton, celle d’une rédemption… »

Née à Caen, Audrey Chenu évolue dans un contexte familial « étouffant et mortifère ». Un père atteint de maladie mentale, donc « absent de mon éducation », une mère dépassée, 4 enfants. Elle est la deuxième de la fratrie, la première fille. « C’est sûr que ça apprend la force et l’indépendance. Je suis devenue la seconde maman, à 7 ans, il fallait savoir tenir la maison », explique-t-elle. L’ambiance n’est pas au partage des sentiments, elle se réfugie dans la lecture, « son échappatoire, son plaisir dans la solitude ».

Elle cherche sa place, elle se débat contre l’idée d’être enfermée dans la case « fille », se vénère et boude. « J’avais pas les armes pour répondre. Pour exister, j’étais insolente », précise la jeune trentenaire. Elle explique alors que c’est à l’adolescence que sa révolte va prendre de l’ampleur. Au lycée, elle fume du shit, pratique pour « aller vers les autres, ça anesthésie les émotions ». Le manque d’argent, l’envie de s’émanciper de sa famille et de s’en sortir seule. Elle a alors 16 ans, bonne élève, quitte le foyer parental et deale du shit, d’abord pour en fumer, puis pour le business. « Les fournisseurs étaient à Paris, mes potes avaient des contacts en banlieue parisienne, car à Caen il n’y en avait plus assez », se souvient-elle.

PRISON ET CAUSE FÉMININE/ISTE

Mais son réseau tombe et la jeune fille se fait balancer et arrêter. Direction la prison de Versailles.

« Le mythe des mecs durs s’est effondré à ce moment-là. Les couilles et le courage, c’est pas que du côté des mecs ! »
 lâche Audrey, d’un ton sec.

Elle découvre le milieu carcéral féminin: « Il y a, entre autre, un partage des oppressions masculines. La plupart des femmes étaient là à cause des hommes. On se rend compte là-bas que l’on est aussi fortes qu’eux. Le mythe de la complémentarité peut être dangereux ! » Autonomie, solidarité, combats menés entre prisonnières, tout cela la mène à percevoir les femmes d’une manière différente « et mène au féminisme ! »

Durant son incarcération, elle trouve également du soutien auprès de François Chouquet, un enseignant donnant des conférences au sein de la prison. « Les cours en prison concernent souvent l’alphabétisation des personnes incarcérées. Avec l’Université Paris 7, il y avait un dispositif pour prendre des cours. J’ai étudié la sociologie, mais il fallait acheter une vingtaine de bouquins. C’est François Chouquet qui me faisait passer les livres lorsqu’il venait, pour que je puisse faire mes fiches de lecture. Cela m’a permis de mettre des mots sur ce que je ne comprenais pas. Il ne s’agissait pas de juste subir et purger ma peine », explique Audrey.

La jeune femme noue des amitiés fortes avec des détenues, « beaucoup de complicité ». À sa sortie, l’une d’elles la recontacte. Elles tombent amoureuses :

« J’ai d’abord été bi, puis lesbienne mais jamais d’histoire en prison ! »

 Audrey travaille à McDo, ne s’investit pas trop et « continue le business » jusqu’à retourner une seconde fois en prison. À Fresnes, cette fois pour 12 mois. « J’ai jamais fait autant de mitard que cette fois là ! », se remémore-t-elle.

SLAM ET ÉDUCATION

Une fois à l’extérieur, deux gros sacs Tati dans les mains, elle ne sait où aller, elle va alors partager les galères et les plans boulots avec des amies ex-détenues. Elle commence l’animation et les scènes slam, elle a déjà touché à l’écriture en prison. Elle rencontre Nina, « une femme incroyable qui anime des ateliers dans une maison de quartier. J’ai fait ça 2 ans, le milieu socio-culturel, c’est précaire mais j’aimais ça ! Être avec les jeunes, avec les enfants ! » Audrey se lance dans un nouveau combat, celui de faire effacer ses peines figurant sur l’extrait de son casier judiciaire.

Elle a choisi d’être institutrice. Il lui faudra un an pour obtenir gain de cause, non sans mal :

« Je me rappelle qu’un des juges m’a dit : « La loi du casier existe pour que les gens comme vous n’accédiez pas à l’Éducation Nationale. » »

 Et c’est en Seine Saint-Denis que l’auteure de Girlfight exerce sa profession d’instit’, depuis 8 ans. Elle n’a pas dit dès le départ, à ses collègues, qu’elle trainait la valise d’ex-taularde dans ses affaires, mais tous le savaient avant publication du bouquin :

« J’ai toujours reçu de la compréhension. Quand les élèves l’ont su, ils étaient étonnés car ils ont l’image de la maitresse douce et gentille. (Rires) Quand le livre est sorti et qu’il a été médiatisé, je ne pensais pas faire l’unanimité par contre ».

Pour elle, il est important de libérer la parole autour de ce type de parcours, briser la honte de la prison, se battre contre les préjugés, et ça avec les enfants : « Je travaille dans un quartier populaire. Certains élèves ont quelqu’un de leur famille ou quelqu’un qu’ils connaissent en prison. C’est important par exemple de travailler ensemble sur l’écriture d’une lettre à quelqu’un qui est en prison. »

BOXE ET ÉMANCIPATION

Si pour l’éditeur, il s’agit d’une histoire de rédemption, Audrey, elle, parle d’émancipation. Les femmes ne sont pas libres. Un constat qu’elle a pu tirer en prison mais également en dehors, lors de sa réinsertion.

« On demande toujours « t’es mariée ? t’as des enfants ? », les femmes sont enfermées dans des rôles ! Mais ça peut tuer et voler des vies. Le sexisme dans l’éducation, l’homophobie, tout ça me révolte ! »
scande celle qui s’est mise à la boxe il y a 5 ans et l’enseigne aux petites filles.

Pour elle, la société ne bouge pas, elle régresse, et la jeunesse le vit mal. Elle voit ce mutisme des femmes comme si ces dernières étaient amputées : « Il faut prendre l’espace, il y a plein de choses à déconstruire ! » Et la boxe se révèle alors comme un des sports les plus complets et exigeants, qui permet de prendre confiance en soi et de se forger un mental d’acier. « On nous fait croire qu’on n’est pas capables. Qu’on est faibles. Quand on regarde dans le métro, les femmes sont recroquevillées. La boxe libère l’agressivité, dresse le corps des femmes et développe la force musculaire. Ça aide à s’affirmer et c’est un sport qui a plein de choses à apporter ! », déclare-t-elle, passionnée et engagée.

L’L’égalité des sexes, acquise ?

« C’est des conneries ! Et quand on voit les réac’ de la Manif pour tous, les réac’ au féminisme… Pour moi, le féminisme, c’est le progrès, c’est une avancée que l’on veut renvoyer dans l’obscurantisme fanatique. Mais l’histoire se répète et nous devons continuer de lutter »

L’écriture, son travail, la boxe et le slam sont donc autant de sources d’inspiration pour Audrey que de moyens pour éduquer à l’égalité et espérer faire passer le message. Le cinéma pourrait bien être un autre biais. Un chemin envisagé par l’institutrice qui pourrait voir son histoire adaptée sur grand écran. Pas dans l’immédiat, faute de temps – elle demande un mi-temps qu’elle n’obtient pour le moment pas – mais elle déjà été approchée dans cette optique précise.

Côté livre, « j’ai dit ce que j’avais à dire. Je ne veux pas écrire un livre pour écrire un livre. Et je me consacre aussi au slam et à l’écriture des autres, pour se libérer ». Se libérer, s’émanciper, le parcours et le combat d’Audrey marchent dans ce sens. Souhaitons que le message soit entendu et se diffuse.

Célian Ramis

Sport : Carton rouge pour l'égalité

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Rennes
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Femmes et sportives, c'est possible. Ce qui compte pour elles : les valeurs véhiculées dans les sports pratiqués.
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Dans le manuel de bonnes pratiques N°2 sur l’égalité homme-femme dans le sport, son auteure Clotilde Talleu choisit de citer, pour commencer son introduction, la résolution du Parlement européen « Femmes et sports », adoptée le 5 juin 2003 : « Le sport féminin est l’expression du droit à l’égalité et à la liberté de toutes les femmes de disposer de leur corps et de s’inscrire dans l’espace public, indépendamment de la nationalité, de l’âge, du handicap, de l’orientation sexuelle, de la religion ». Voilà qui est dit mais pas acquis.

Si le sport féminin gagne du terrain dans les mentalités, à travers la diffusion restreinte des matchs – que ce soit à Roland Garros, aux Jeux Olympiques ou lors des Mondiaux de foot ou de rugby – et récemment de divers documentaires sur les sportives (ou de campagne publicitaire telle que la dernière d’Always qui a créé un véritable buzz sur la toile), les stéréotypes et idées reçues subsistent. L’égalité des sexes a donc la vie dure, le sport n’étant pas une exception à Rennes et en France comme ailleurs, et les femmes pâtissent d’un manque de reconnaissance et de visibilité dans les médias.

Pourtant, elles véhiculent fièrement des valeurs identiques à celles des hommes, que ce soit en loisirs ou à haut niveau. Les valeurs de respect, d’entraide et d’esprit collectif. Reportages croisés dans le milieu féminin rennais du handball, du rugby, du tennis et du volley.

« Allez les roses », crie le speaker du club Saint-Grégoire Rennes Métropole Handball. Ce dimanche 21 septembre, l’équipe de Nationale 1 rencontre Bergerac, à domicile, salle de la Ricoquais. À l’appel de leur nom, elles entrent sur le terrain, se tapent dans les mains et saluent leur public. D’une capacité de 600 places assises, la structure est quasiment remplie, les handballeuses disputant leur premier match de la saison.

« On a repris la préparation sur le terrain, cet été, dès le 4 août. Depuis on s’entraine 4 fois par semaine et dès maintenant on joue les matchs de Coupe de France tous les week-ends »,
explique Morgane Loirat, lors d’un entrainement quelques jours plus tôt.

Les enceintes crachent les notes hérissées de « The final countdown », célèbre chanson d’Europe, et la pression monte pour les spectateurs, invités à fortement soutenir son équipe. Doucement mais assurément, les bretonnes avancent au rythme des tambours qui secouent les gradins et vibrent dans la salle. Les échanges se font de plus en plus rapides et les tentatives pour percer la défense s’enchainent. Bergerac ouvre le score. Cartons jaunes, penaltys, temps morts, minutes de pénalité, score serré… le match est cadencé par un jeu stratégique et combattif.

L’intensité du suspens explose les dix dernières minutes. Le public s’emballe, encourage les bretonnes, tape des pieds et des mains, maintient sa respiration jusqu’au coup de sifflet final. Le SGRMH s’impose 24 à 22, et ouvre ainsi la saison sur une victoire méritée. « On est super contentes ! Il y avait un bel état d’esprit au sein de l’équipe, beaucoup de rigueur et de dialogue. », commente Mélina Rolland, capitaine, après avoir félicité son homologue bergeracoise.

Les sportives se congratulent, s’enlacent, s’allongent et s’étirent pour certaines. Pour d’autres, c’est l’heure des autographes. À l’entrée de la salle, des cartes postales de chaque joueuse sont à disposition des spectateurs. Ainsi, filles et garçons, d’un très jeune âge pour la plupart, descendent des tribunes pour approcher les handballeuses.

RESPECT & FAIR-PLAY

Cartes des joueuses, affiches placardées dans les abribus, calendriers, soirée de présentation de l’équipe le 10 septembre dernier, les filles de Nationale 1 sont volontairement érigées au premier plan puisqu’elles évoluent à niveau élevé, fruit d’une réelle volonté du club. En 2006, Rennes Métropole Handball fusionne avec l’US Acigné Handball pour renforcer équipes et compétences. Six ans plus tard, le RMH rejoint Saint-Grégoire et prend ses quartiers à la Ricoquais, un équipement sportif de qualité.

« C’est la première fois que je me sens aussi « starisée ». Le club investit beaucoup pour nous mettre en avant »,
ressent Morgane Loirat, 24 ans et handballeuse depuis 17 ans.

À ses côtés, Elise Delorme, 18 ans, joue depuis 6 ans. Ensemble, elles partagent leur passion pour ce sport qui enseigne « le respect des coéquipières, des adversaires, des arbitres, et le fair-play ». Collectivité et combattivité en sont les maitres mots.

Des notions que l’on retrouve également sur le terrain de la salle Courtemanche à Rennes. C’est ici qu’est implanté le REC Volley, dont une équipe féminine évolue en Nationale 2. Le premier week-end de septembre est réservé au tournoi amical de rentrée, pour une reprise en douceur. Rennes face à Nantes.

Ici, le public est en nombre restreint et les gradins, qui ont à peine un tiers de la capacité de la Ricoquais, sont désertés. Mais les sportives n’y prêtent pas attention. Les échanges se prolongent, les effluves de joie se font entendre à chaque point marqué, les accolades et les encouragements au sein de l’équipe sont systématiques, symboliques d’un esprit fort bâti à raison de 3 entrainements par semaine et d’un match par week-end. Floriane Prévert a goûté au volley à l’âge de 17 ans et n’en a pas démordu depuis :

« Je suis arrivée au REC depuis 8 ans, à l’époque nous étions en N3. Ce qui me plait, c’est l’esprit d’équipe et la stratégie de défense ».

La communication intense est exigée. « On discute pour savoir qui réceptionne, puis on se replace. Tout de suite les filles, tout de suite. Go go go go ! », scande l’entraineur de l’équipe nantaise, qui trépigne sur le banc en voyant Rennes creuser l’écart lors de la seconde période.  

À l’autre bout de la ville, le stade Alain Crubillé accueille l’entrainement des sportives du Stade Rennais Rugby. Un jeudi soir de septembre, 3 équipes se partagent le même terrain. Parmi elles, les joueuses du Top 8, plus haut niveau national du rugby féminin. « Sport co », « respect » et « fair-play » sortent de toutes les bouches des interviewées.

Qu’il s’agisse de la capitaine, la doyenne du club ou de la fraichement arrivée, elles évoquent toute une aventure humaine. Un épanouissement qu’elles puisent dans l’ambiance conviviale offerte par les sports d’équipe.

« Quand je suis arrivée à Rennes, j’ai commencé à faire du foot. Je ne m’y retrouvais pas. Avec le SRR, j’ai compris qu’il y avait de vraies relations humaines à construire et à découvrir. Je voulais absolument monter dans le bateau ! »,
s’émerveille Anne-Sophie Demoulin, arrivée en 2000, soit un an après la naissance du club, actuellement présidente du bureau.

Mêmes propos, à quelques mots près, de la part d’Anne Berville, nouvelle capitaine. Pour cette ingénieure-animatrice de formations en élevage, le rugby permet d’exprimer son dynamisme. « Je suis assez calme dans ma vie. Quand je suis sur le terrain, on me dit que je transforme », rigole-t-elle. 

MUTATION SUR LE TERRAIN 

Et ce n’est pas la seule à évoquer ce phénomène. Blanka Szeberenyi, nouvelle recrue du SGRMH en contrat pro, est une des meilleures buteuses de sa catégorie : « Le hand, c’est du combat, c’est physique, c’est la défense du territoire. Quand on est sur le terrain, on change complètement. ». Pour elle, la comparaison avec ses homologues masculins n’a pas lieu d’être et semble n’avoir aucun mal à passer outre les commentaires sexistes.

Toutes évoquent la différence de potentiel physique. Les hommes sont reconnus pour leur force de frappes. Sans faire abstraction des caractéristiques de chaque sport, le hand féminin serait « plus subtil » pour Elise Delorme, « plus dans la créativité » pour Morgane Loirat. Le volley, « plus dans l’échange », selon Floriane Prévert. Maryse Scarfo joue au tennis depuis 20 ans, « pour le plaisir de faire des beaux coups ». Elle a rejoint en tant que licenciée le pôle tennis du Cercle Paul Bert il y a 2 ans.

De l’autre côté du filet, Amélie Murie, présidente de la section tennis féminin, lui renvoie la balle. L’objectif de l’exercice étant de forcer l’adversaire à attaquer. Si ce sport de raquette paraît moins piqué par les réflexions misogynes, les sportives ne sont néanmoins pas exemptes de certaines maladresses et lourdeurs.

« Ce n’est pas propre au tennis, et tous les hommes ne sont pas comme ça, mais on entend souvent des compliments sur le physique des joueuses. Les commentateurs et médias parlent de la belle Sharapova par exemple. On ne dit pas des hommes qu’ils sont beaux, mais qu’ils sont forts… »,
souligne Amélie Murie.

Pour leur entraineur, Nicolas Civadier, la qualité du jeu ne réside pas dans la force et il est important de ne créer aucune distinction sexuée : « Ce que l’on demande aux joueuses, on le demande aussi aux joueurs : assiduité, respect, écoute, rigueur et envie ! Et le dimanche quand il faut jouer – championnat départemental - on joue ! »

L’état d’esprit semble identique sur la pelouse du stade Alain Crubillé. Les premières minutes de l’entrainement sont houleuses. « Je dis des choses précises. Tu as le droit de te tromper une fois mais pas deux fois », crie l’entraineur, très méticuleux sur les indications et consignes à suivre. « Super, tu l’as », lance-t-il l’instant suivant.

Toutefois, les filles sont envoyées aux exercices physiques, le temps de se mettre en condition. Sans pression palpable, les joueuses du Top 8 s’exécutent dans les rires et la sueur. « Il y a une bonne ambiance dans l’équipe, c’est un peu une famille sportive. Le rugby apprend ça aussi : on n’est rien les unes sans les autres », explique la présidente du SRR. Et elles gardent le sourire quand on aborde les clichés vicieusement ancrés dans les mentalités sur les représentations viriles des femmes sportives.

« Les monstrozaures… On entend dire qu’on est des bonhommes. Le sport modifie nos gabarits mais notre demande est de rester féminine. Et dans la société, en dehors du terrain, on montre que l’on est femmes. L’essentiel, c’est d’être bien dans notre corps »,
s’esclaffe Anne Berville.

Un discours en parfait accord avec celui des handballeuses, qui expliquent de moins en moins pâtir des stéréotypes autour de leur condition. « C’est surtout quand on est jeune qu’on a des commentaires. Il y a moins de jugement je trouve », conclut Morgane Loirat. À force d’entrainement, de séances de musculation et de critiques essuyées, elles apprennent à accepter que leur corps ne s’aligne pas tous sur la norme imposée par l’actuel dictat de la minceur.

Venue d’Italie pour ses études, Marta Ferrari arrive à toute allure sur le terrain. Elle était avec le kiné du club pour une tension à l’épaule. « Vous avez toutes les épaules en avant, comme les mecs », lui dit-il, en la caricaturant, avant de préconiser des rotations latérales et des exercices de stretching. La mine empreinte de bonne humeur, la joueuse enfile son tee-shirt « Peroni, la birra del rugby » :

« En Italie, le cliché de la fille qui ne peut pas faire de sport de combat est encore plus fort. Il faut être réaliste, on fait des mêlées, on plaque, on court sur la même superficie de terrain. On doit accepter de travailler nos corps et modifier nos gabarits pour les besoins du sport ».

À 23 ans, Marta Ferrari se moque des critiques adressées aux sportives : « On travaille pour nous, parce qu’on aime ça – et heureusement parce qu’on est pas payées - pour la reconnaissance de l’effort ».

LES MANQUES PERSISTENT

Et au SRR, la valeur du travail et de l’effort est capitale. Dans cette équipe de haut niveau, seule la motivation compte. La rémunération n’étant pas au rendez-vous, tout comme la médiatisation, malgré la présence de plusieurs joueuses recrutées par le XV de France féminin, qui a disputé la Coupe du monde de rugby cet été. « Cet événement a fait du bien à notre discipline. Les gens s’y sont intéressés », se réjouit la capitaine.

Et pourtant des zones d’ombre les tracassent comme la baisse de leurs subventions « à cause d’une réévaluation des critères d’attribution de subventions », précise Anne-Sophie Demoulin dont la mission va être prochainement de se plonger dans les dossiers. Ou encore l’absence de structure, de club house.

« Nous sommes des SDF de terrains et de structures d’accueil », plaisante Anne Berville, sur fond de vérité puisque le stade du Vélodrôme connaît actuellement quelques travaux. Le SRR doit alors composer avec les disponibilités des terrains et des salles de muscu, à partager avec plusieurs associations et clubs de la ville de Rennes.

Le REC Volley regrette aussi de son côté le manque de visibilité accordée à la pratique féminine.

« Déjà que le volley masculin n’attire pas les foules… Alors les filles ! C’est très difficile de trouver des partenaires pour elles dans des villes telles que Rennes. Le gros tissu économique est favorable aux hommes mais les femmes, ce n’est pas vendeur. Quel dommage ! »,
commente l’entraineur, Gildas Thanguy.

Le club, conscient de la réalité du milieu, souhaite développer sa communication à destination des publics et des potentiels financeurs. « Nous essayons de faire des affiches, des calendriers », précise Floriane Prévert à la fin du tournoi. Idem pour le SRR qui pratique la parution des calendriers depuis plusieurs années maintenant ! « Nous nous rapprochons également du SGRMH qui ont une forte communication », dévoile la présidente du SRR.

Côté handball, l’ambition a été affichée clairement avec la fusion des équipes et le recrutement de 3 nouvelles joueuses, réputées « gros calibres », comme Blanka Szeberenyi, citées précédemment. Flirter avec le haut du tableau ne devrait donc bientôt plus être un idéal mais une réalité afin de progresser en 2e division et accéder au haut-niveau dans un futur proche.

Les volleyeuses, elles, ont l’ambition de figurer en N1 d’ici 3 ans. « Nos résultats doivent devenir plus attractifs et pour cela nous devons réaliser une saison plus régulière.», confie Gildas Thanguy. Concernant les rouges et noires du SRR, déjà à haut niveau, l’exigence est à la stabilisation des performances.

« Ces dernières années ont été difficiles. L’objectif de l’an dernier était le maintien dans le Top 8. Pareil cette année, match par match », explique la capitaine de l’équipe qui va devoir redoubler d’effort, la saison ayant commencé sur des défaites. Heureusement, Anne-Sophie Demoulin se rattache à sa philosophie :

« L’important, c’est les amitiés qu’on garde, les choses qu’on vit avec ces personnes là. Je préfère être championne de France avec des amies qu’avec des connasses ».

Si l’ouverture des esprits progresse sur le terrain de l’égalité, des disparités subsistent. Une fois crampons et tenues rangés, les sportives ne semblent pas compter les points d’un match qui n’est pas prêt de prendre fin tant les stéréotypes sexistes sont imprégnés dans les mentalités.

Passionnées, elles le sont tout autant que les hommes, parfois plus. Drapées dans des écharpes rouges et noires, elles encouragent le Stade Rennais Football Club depuis les tribunes. Les supportrices du club des Socios ont chacune leur caractère, leur histoire, leur avis. Mais toutes ont la passion du football chevillée au corps et vibrent avec leur équipe favorite. YEGG les a suivi lors du match Rennes – Toulouse, le 23 septembre dernier.

Femmes de supporters elles le sont parfois, mais leur dénominateur commun c'est d'être des supportrices avant tout. Les membres du club des Socios arrivent bien avant le match dans le bungalow qui leur est attribué sur le parking du stade. Un petit préfabriqué qui côtoie ceux des autres clubs de supporters. Face au stade qui se dresse tel une proue d'un immense paquebot dans la lumière descendante du début de soirée, il paraît minuscule.

L'intérieur est chaleureux : un bar, quelques bancs et surtout des hommes et des femmes venus partager une passion. Le coup d'envoi est prévu à 21h. Dès 19h les supporters affluent par petits groupes. Parmi la majorité d'hommes, quelques femmes sont là. La volubile Marie-Hélène Delfosse fait partie du bureau de l'association depuis deux ans. Elle est derrière le bar à servir les arrivants. Coca ou jus d'orange, bière ou mousseux, les bouteilles s'ouvrent, les bulles pétillent et les yeux aussi. Toulouse est moins bien classée que Rennes qui joue à domicile.

L'espoir d'une victoire gonfle les cœurs. L'ambiance est joyeuse, détendue. Certaines évoquent la défaite, 3 à 0 contre Marseille du week-end précédent à demi-voix :

« On a pris une sacrée raclée quand même... »

Le club des Socios fait partie des 3 principaux clubs de supporters du SRFC. Créé en 1992, ses valeurs sont axées autour d'une ambiance conviviale et familiale. Il peine un peu à attirer des jeunes, mais dénombre un public nettement plus féminin que celui du Roahzon Celtic Kop, par exemple. Elles ont chacune leur histoire. Les plus âgées sont souvent arrivées au foot par leur conjoint ou leur fils. C'est le cas de Ginette Porée qui vient de Saint Lo, en Normandie. Elle explique :

« Quand j'ai rencontré mon mari, à 18 ans, il était supporter du Stade Rennais. La première sortie que nous avons faite ensemble c'était pour aller voir un match au stade. »

Betty Pitnain, elle, a récupéré l'abonnement de son fils lorsqu'il a eu des jumeaux et qu'il ne pouvait plus se déplacer. Les plus jeunes, ont souvent un parcours un peu différent. Audrey Desisles a entrainé sa mère dans les tribunes ce soir là. Elle explique: « Je voulais découvrir l'ambiance d'un stade. Ma tante avait une place et je me suis prise au jeu. Dans ma famille il y avait déjà des supporters, mon cousin, ma cousine, mon oncle et ma tante. Maintenant, c'est moi qui amène ma mère. »

D'autres ont remporté des places à la radio et ont attrapé le virus du football.

DE PLUS EN PLUS DE FEMMES

Un constat émerge quant au nombre de femmes parmi les supporters : minoritaires mais de plus en plus nombreuses. Dans le bungalow elles sont présentes, boivent un verre et parlent de tout, foot ou pas. Plus tard, dans les tribunes, des femmes de tout âge et de toute condition sociale assistent au match. Elles râlent contre l'état du terrain et au fur et à mesure que le temps file, contre l'équipe de Rennes : « Mais ils ne jouent pas là ! », s'énervent-elles.

Elles ne connaissent pas encore tous les joueurs de la nouvelle équipe, onze changements ont eu lieu à la rentrée de la saison 2014. Elles s'insurgent tout de même : « C'est qui celui là ? Il ne peut pas faire ça ! » Score final : 3-0 pour Toulouse, Marie-Thérèse Lahaye nous glisse mi-triste, mi-amusée : « Faudra pas leur annoncer le score dans votre article... »

Après le match, un détour par le bungalow s'impose pour tous les sympathisants du club, inscrits ou non. « Ils ne vont pas rester longtemps ce soir », analyse Marie-Hélène Delfosse. Les soirs de défaite, les gens repartent plus rapidement. Accoudée au bar avec son mari, Yaelle Pertuisel boit un café avant de reprendre la route.

Avant le match elle était toute sourire; maintenant, elle tourne de grands yeux tristes vers nous : « Ah on est déçus quand même, mais on reviendra pour le prochain match à domicile. »

FOOTBALL FÉMININ

Le Stade Rennais n'a pas d'équipe féminine, contrairement à l'Olympique Lyonnais ou au Paris- Saint-Germain. Les femmes sont donc reléguées au rang de supportrices de l'équipe masculine à défaut de pouvoir exercer leurs talents sur le terrain. Une situation que déplore Sylvie Joly, supportrice depuis dix ans :

« Ce serait bien que Rennes aille puiser dans les talents féminins. »

Elle apprécie le foot féminin qu'elle trouve « plus fin, plus technique ». Toutes ne partagent pas ce constat. Marie-Hélène Delfosse s'en veut un peu de son discours : « Oh la la ça ne va pas vous plaire si je dis ça ! » Mais elle renchérit : « Je pense que les femmes devraient laisser le foot aux hommes. Au basket et au hand, d'accord, elles ont leur place, mais le foot, non, c'est plus viril. »

DElle a déjà regardé des matchs de foot féminin et critique leur lourdeur sur le terrain. Betty Pitnain, retraitée, a été pendant 18 ans responsable du bar des Socios. Elle regarde beaucoup le foot féminin à la télévision et supporte l'équipe de France féminine notamment « parce qu'il y a deux bretonnes ».

Toutes font néanmoins le même constat : l'absence de barrières entre les supporters masculins et féminins. Une bonne nouvelle pour un sport régulièrement entaché de scandales sexistes.

 

Arrivée dans le tennis sur le tard, après en avoir longtemps rêvé, Danielle Autin est vice-présidente de la ligue de tennis de Bretagne et présidente de la commission au tennis féminin. Elle livre bataille depuis quelques années afin d'attirer plus de filles et de femmes dans les clubs. Rencontre.

Pourquoi avoir eu besoin de créer une commission au tennis féminin ?

En tennis, on compte 1 femme pour 2 hommes et seulement 1 fille pour 4 garçons. Pourtant le tennis a énormément d'atouts pour séduire les femmes. Avant elles n'avaient pas beaucoup de place. Les règles du jeu étaient faites en fonction des pratiquants masculins.

Aujourd'hui les choses sont en train de changer.La création d'une commission répond à une demande de représentation de la part des femmes. La ligue de Bretagne est assez réactive sur cette question. C'est d'ailleurs l'une des seules ligues avec une présidente et une vice-présidente.

Quelles sont les actions de la commission ?

Premièrement, il y a des actions fédérales qui sont déclinées sur un plan régional. Par exemple les « raquettes FFT » sont une compétition qui s'adresse à des femmes avec des petits niveaux. Elles jouent par équipe de 4. Deuxièmement, j'ai mis en place des actions spécifiques à la Bretagne afin d'amener des petites-filles ou des ados vers ce sport. « J'amène ma copine » est une action sur une journée.

C'est un moment festif où des jeunes pratiquantes peuvent amener une proche afin de leur faire découvrir le tennis. J'ai aussi travaillé avec des éducateurs afin d'aller vers des gens qui n'ont pas accès au sport. J'ai vu des femmes qui n'avaient jamais pratiqué prendre rapidement plaisir au tennis. J'essaye d'ouvrir à d'autres sports : on a fait des animations de tennis-zumba ou de tennis-fitness. Il ne faut pas attendre qu'elles viennent au club mais il faut organiser des actions pour les faire venir.

Le tennis est-il paritaire ?

L'équitation est loin devant tous les sports, mais le tennis est très féminin aussi. Pourtant les femmes ne cessent de devoir se bagarrer. À ce titre, les médias jouent un rôle : au moment de Roland Garros, il est rare de voir un match féminin retransmis. Mais ça bouge. Le fait qu'Amélie Mauresmo soit l'entraineur des meilleures joueuses françaises a montré qu'il n'y avait pas que les hommes qui pouvaient entrainer.

Il faut aller voir les femmes et montrer ce que le tennis peut leur apporter en bien-être et en plaisir. Ce que j'aime dans ce sport c'est qu'il est transgénérationnel et que c'est une bonne école de la vie, où l'on apprend à se respecter.

 

 

 

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Les sportives, pas sur la touche !
Le match sans fin ?
Rouge et noir au féminin
Danielle Autin, le tennis par passion

Célian Ramis

Éducation à l'égalité : L'enjeu de la transmission

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Rennes
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L'éducation à l'égalité, un enjeu majeur dans la question du rapport féminin/masculin.
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Rumeurs, journées de retrait de l’école, récupération politique, enterrement de l’ABCD de l’égalité fin juin – qui renaitra de ses cendres, début juillet, sous le nom de Plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école – et on en passe… Côté éducation, le thème de l’égalité a été secoué au fil des différentes actualités qui ont bouleversé le 1er semestre 2014. La question du genre fait frémir quelques partisans de la Manif pour tous, emportés par Farida Belghoul et le sms terrifiant – qui ferait un bon titre de bouquin pour la littérature jeunesse – prédisant des cours de masturbation enseignés directement par les professeurs de l’Éducation nationale.

On aurait pu penser que le léger réaménagement des rythmes scolaires mis en place dès cette rentrée prendrait la relève, niveau polémique. Mais c’était sans compter les nouvelles péripéties de la fin août qui bousculent le gouvernement, qui nomme Najat Vallaud-Belkacem, jusqu’alors ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, au ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Au royaume de l’Éducation, la nouvelle reine imposera-t-elle l’égalité comme priorité ? Une chose est sûre, les professionnels de la question n’ont pas attendu pour potasser leurs leçons et tenter de les appliquer concrètement au quotidien. Mais la prise de conscience, elle, est loin d’être généralisée. 

Finies les représentations de la petite fille en princesse esseulée et du petit garçon en sauveur de ces demoiselles en détresse. La cloche a sonné et avec elle, le temps de la prise de conscience concernant l’impérative éducation à l’égalité des sexes dès le plus jeune âge.

Les filles seraient plus littéraires et les garçons plus scientifiques. Les filles seraient guidées par leur intuition, les garçons par leur sens de l’orientation. Les filles seraient plus douées pour la gestion du foyer et des tâches ménagères, les garçons pour la vie professionnelle et les postes à responsabilité. C’est du moins ce que nous dictent l’Histoire et la Science. Foutaises ! Le cerveau n’a pas de sexe. C’est ce que démontre et défend la neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, dans sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? ».

« Le bébé nait avec 100 milliards de neurones qui ne vont pas cesser de se multiplier. Mais il faut savoir qu’à la naissance, seulement 10% des neurones sont connectés entre eux », nous expliquait la neurobiologiste le 16 mai dernier, lors de la Biennale de l’égalité femmes-hommes organisée à Lorient. Ainsi, les 90% restants se fabriqueraient durant la petite enfance et tout au long de notre existence. Elle est catégorique :

« Hormis l’hypothalamus qui active chaque mois des neurones afin de déclencher l’ovulation chez la femme, il n’y a pas de différence entre les sexes pour les fonctions cognitives. »

Les connexions s’effectuent alors intrinsèquement en fonction de l’environnement, social et culturel, fréquenté. « Jusqu’à 2 ans et demi, l’enfant n’est pas capable de s’identifier au masculin ou au féminin. Il n’a pas conscience de son sexe », affirme Catherine Vidal. Dans ces années-là, l’enfant est donc inconsciemment formaté par les éléments qui l’entourent, que ce soit la décoration de sa chambre, les couleurs de ses habits ou encore les jouets qu’il manipule.

La neurobiologiste conclut alors sur l’importance de l’éducation et de l’apprentissage, ainsi que sur la nécessité pour les biologistes de s’engager auprès des sciences sociales « pour diffuser la culture de l’égalité entre les femmes et les hommes ».

NOURRIS AUX INÉGALITÉS

Les stéréotypes et les idées reçues sont donc ingérés par les tout-petits, avant même qu’ils n’aient conscience de leur sexe. « Entre 5 et 7 ans, on comprend la norme, et cela devient invariable », met en garde Rozenn Moro, co-formatrice, spécialiste techniques d’animation et éducation populaire auprès de l’association féministe Questions d’égalité, à Rennes.

La structure entre dans le vif du sujet et propose une formation « Mettre en place l’égalité filles-garçons dans le secteur de la petite enfance : pourquoi ? Comment ? », dont la première sera organisée les 8 et 9 décembre. La session de juin ayant été reportée faute de participants suffisamment nombreux : « Les professionnel-le-s de la petite enfance n’ont pas forcément connaissance de cette possibilité, n’ont pas conscience de véhiculer des inégalités ou encore sont formé-e-s par leurs employeur-e-s (lire notre encadré La ville forme ses agents) – et là c’est une bonne chose ».

Pourtant, nombreux sont les discours établissant la corrélation entre les adultes travaillant au contact des petits et la transmission de certaines idées reçues à l’enfant. L’objectif de l’association est alors de dresser un état des lieux des inégalités distinguées, de comprendre la reconstruction des rôles « traditionnellement masculins et féminins » dans les interactions adultes-enfants et d’établir des actions éducatives concrètes à mettre en place.

« On recueille les représentations que les un-e-s et les autres ont, on travaille sur les stéréotypes qui sont véhiculés dans l’univers de la petite enfance et on pointe du doigt les différences qui se révèlent très tôt et qui se nichent dans l’inconscient »,
Rozenn Moro, membre de l'association rennaise Questions d'égalité.

Sans chercher à culpabiliser les pros ou les familles, des phases d’observations, d’échanges et de travail sur divers supports vont s’alterner afin de comprendre la nature de ce qui nous conditionne en tant que femmes et hommes. La représentation de la figure maternelle, allouée aux tâches domestiques et quotidiennes, et de la figure paternelle, orientée vers le jeu et l’autorité, la construction de l’environnement avant la naissance du nourrisson, la manière de s’adresser aux petites filles et aux petits garçons… Les comportements diffèrent selon le sexe de l’individu.

Mi-mai, Questions d’égalité invitait Elsa Arvanitis et Sophie Collard, sociologues de formation qui ont fondé Artémisia à Toulouse dans l’optique d’analyser ces problématiques auprès des structures dédiées à la petite enfance et de sensibiliser les professionnel-le-s. « Elles sont parties d’un constat très parlant : Les petites filles sont souvent encouragées sur leur apparence, tandis que les petits garçons sont encouragés sur leurs performances, sachant qu’on leur accorde plus d’importance, on les réprimande davantage », résume Rozenn.

Lors de la Biennale, Nicole Abar, ancienne footballeuse internationale, chargée de l’animation de l’expérimentation ABCD de l’égalité en 2013/2014, orientait son discours dans la même direction :

« En me rendant dans les écoles, j’affichais une grande feuille blanche contre le mur et je demandais aux enfants d’aller dessiner ce qu’ils voulaient. Ce que je voyais était effarant. Les garçons se jetaient sur la feuille et prenaient un grand espace pour leurs dessins tandis que les filles attendaient qu’on les pousse à aller griffonner une toute petite fleur. C’est très révélateur. »

L’heure n’est donc plus au bilan mais bel et bien à la prise de conscience et à l’action.

LUTTER CONTRE LE SEXISME

Chez Questions d’égalité, on regrette qu’aucune crèche pilote en terme d’égalité des sexes n’existe. Une structure comme celle qui se développe à Saint-Ouen (93) depuis 2009, la crèche Bourdarias - établit sur le modèle suédois - qui lutte contre les stéréotypes de genre en adoptant une méthode éducative non-différenciée. Les enfants sont amenés à participer à des jeux, ateliers, lectures, etc. sans attribuer de sexe à l’objet ou à l’animation.

Pour remédier au manque de lieux expérimentaux et progressistes - qui sont pourtant recommandés par l’Inspection Générale des Affaires Sociales - l’association rennaise, qui serait alors formatrice et accompagnatrice, lance un appel à projets pour lancer une crèche pilote, la fiche informative étant à leur soumettre avant le 15 novembre.

De son côté, l’association féministe rennaise Mix-Cité dénonce le sexisme des jouets, dans un mini-catalogue intitulé « Pas de cadeaux pour le sexisme », et y décrypte les comportements forgés par les objets de loisirs. D’une part, des outils de bricolage, armes, jeux de guerre ou expériences scientifiques ; les garçons sont influencés par la virilité, la violence et la réflexion. De l’autre, des Barbies, des déguisements de princesse, des dinettes, des poupons et des tables de repassage ; les filles sont alors formées à la passivité et au rôle de femmes au foyer.

« Les jouets en eux-mêmes ne sont pas sexistes, ce sont leur utilisation et les représentations auxquelles nous les faisons correspondre qui sont sexistes », informe le dépliant, qui invite à être attentif à nos propres préjugés que l’on véhicule à nos petites têtes blondes. Des alternatives sont alors proposées sur les choix de jeux collectifs, de construction, de découverte et d’éveil ou encore de lectures. Ces dernières étant particulièrement décriées à l’heure actuelle par les spécialistes de la littérature jeunesse (lire notre interview).

Dans le même esprit, le 25 juin, à l’occasion de la conférence de l’auteure Jessie Magana à la MJC Bréquigny, la bibli Clôteaux-Bréquigny proposait une sélection d’albums, documentaires, romans et BD – empruntables dans toutes les bibliothèques de Rennes – recommandée en terme d’égalité filles-garçons. Un fascicule permettant ainsi de s’orienter vers des ouvrages ou supports qui bousculent les représentations de genre dans un domaine très impacté par le sexisme.

Un élément fondamental selon les spécialistes qui établissent indéniablement un lien entre ses fameuses représentations de genre – maman aux fourneaux, papa aux activités ludiques et pédagogiques, ou encore maman au foyer, papa médecin, pompier, directeur, etc. – et les orientations scolaires choisies selon le sexe, les filles osant moins se destiner à des carrières « prestigieuses », les laissant inconsciemment aux hommes.

OBJECTIF FORMATION ET APPRENTISSAGE

Nombreux sont celles et ceux qui prônent l’éducation à l’égalité. À tort ou à raison, le rôle de l’école et de l’apprentissage serait donc fondamental. Que ce soit au cours du premier ou du second degré, les alertes se sont multipliées pour sonner l’alarme et l’urgence de la mission, et le gouvernement s’est emparé du dossier. Tout d’abord, avec Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes de mai 2012 à août 2014, qui avait alors fait de ce sujet un cheval de bataille en instaurant l’ABCD de l’égalité en expérimentation dans 10 académies françaises, soit 247 écoles, à la rentrée 2013.

Début 2014, les événements s’enchainent et se bousculent, le sms de Farida Belghoul embrasent les esprits échauffés et terrifiés à l’idée de soi-disants cours de masturbation dès 4 ans et autres rumeurs qui poussent certains parents à retirer leurs enfants des établissements scolaires à l’occasion des Journées de retrait de l’école. La machine est en route et la ministre, en lien avec Benoit Hamon, alors ministre de l’Éducation nationale, décident d’enterrer cet outil.

Ce dernier ne disparaît pas tout à fait et revient sous le nom de Plan d’action pour l’égalité entre les filles et les garçons à l’école. 4 axes se sont dégagés de l’ABCD de l’égalité, salué par l’inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN), à la suite de son évaluation. Dans les mesures principales du Plan figurent la formation du personnel éducatif inscrite dorénavant dans les écoles supérieures du professorat - et du personnel déjà en activité - la mise en place d’une mallette pédagogique à destination des enseignants, l’information aux parents ou encore l’intégration de séquences pédagogiques dans les programmes (EPS, éducation morale et civique, français, géographie et histoire).

Un point qui ne devrait pas déplaire à Nicole Lucas, agrégée et docteure en histoire, licenciée en histoire de l’art, membre associée du laboratoire CERHIO/CNRS/UMR 6258 – Université Rennes 2, qui a orienté ses études, depuis plusieurs années, sur les manuels scolaires, l’enseignement de l’histoire et la place des femmes dans l’Histoire.

« Elles ne sont pas totalement absentes mais leur place est minime. En 2008, les manuels scolaires ont intégré les femmes médiévales, Emilie de Chatelet et les femmes dans la Première guerre mondiale. Sinon rien n’a bougé », scande-t-elle.

Mentionner Olympe de Gouges ou Simone Weil en quelques lignes dans les textes est bien loin d’être satisfaisant. Selon la spécialiste, l’espace accordé à la gente féminine dans les livres scolaires est dramatique. Quatre ou cinq textes de femmes sur une centaine, « c’est pire que de ne pas les voir apparaître ! » Indignée, elle nous montre les chiffres publiés, sous forme d’un tableau, dans son ouvrage Éducation des femmes – Héritages, expériences, identités, co-écrit avec Danielle Ohana : pour exemples, dans un manuel édité chez Magnard en 2010, pour une classe de 2nde, sur 20 auteurs, seulement 3 femmes ! Ou encore dans un manuel édité chez Hachette, la même année pour le même public, aucune bio de femmes sur 48.

« Pour que ce soit vendeur, les femmes se trouvent en couverture de livres. Mais pas trop dans les textes… Ou alors on fait un dossier sur elles. Ce n’est pas bon, il faut les intégrer dans le continuum de l’Histoire. Il y a plein de femmes dans l’Histoire ! », précise-t-elle. Le sujet est terrifiant, la conversation passionnante. Car c’est une passionnée Nicole Lucas, qui nous liste les femmes oubliées – volontairement ?! - des manuels : celles l’Antiquité, du Moyen-âge, les aristos, les abbesses (« qui avaient autant de pouvoir que les hommes »), les paysannes…

« Toutes avaient un rôle dans la société. On fait comme si elles n’apparaissaient qu’au XXe siècle ! Les manuels nous enseignent une histoire d’hommes… Ma formule, c’est : Une histoire mixte et équilibrée », rigole-t-elle.

L’auteure de Dire l’histoire des femmes à l’école reconnaît alors les défaillances des manuels scolaires, soumis à des programmes, les problèmes de formation des enseignant-e-s et la frilosité des professeur-e-s et des familles à s’attaquer à ce sujet. Toutefois, elle se ravit de voir que la question interroge et attise la curiosité des professionnel-le-s – Magali Hardouin, de l’Université Rennes 2 également, loin d’être la seule,  a publié, en 2012, un rapport sur la représentation des femmes dans les manuels de géographie – mais aussi des élèves.

La preuve avec la pétition d’Ariane Baillon, 17 ans, envoyée à Benoit Hamon – aujourd’hui sur le bureau de Najat Vallaud-Belkacem, par conséquent – s’indignant de constater qu’une seule femme figurait au programme de philosophie en terminale : Hannah Arendt. Mi-août, elle avait déjà récolté plus de 12 000 signatures.

Elle précise également, dans un article écrit pour Rue89 Bordeaux, son indignation face à la présentation des femmes, en lettres par exemple : à travers leurs liaisons avec les « grands hommes », et prend pour exemple George Sand, abordé dans sa relation avec Alfred de Musset seulement. La prise de conscience est initiée. Espérons qu’elle ne se perde pas en chemin. Une certitude pour Nicole Lucas :

« Il faut des outils multipolaires à l’école, pour les professeur-e-s et les élèves. Les manuels restent un support pour l’enseignant comme pour l’enfant. Des femmes, il faut en parler à tous les âges ! »

Parce que l’égalité des sexes n’est pas que dans les livres…

Quelle est la politique de la ville en matière d’égalité filles-garçons, femmes-hommes ? Quels sont les outils mis à disposition des fonctionnaires municipaux ? Quels sont les programmes établis par la ville ? Des interrogations que la rédaction de YEGG est allée soumettre aux élues de la ville de Rennes, en charge de ces questions, Lénaïc Briéro, adjointe déléguée à l’éducation et aux politiques mémorielles, et Geneviève Letourneux, chargée des droits des femmes et de l’égalité.

Récemment élues (début avril), elles n’avaient pas encore eu le temps, mi-juillet, de prendre pleinement connaissance de leurs nouveaux dossiers. De surcroît, leurs agendas ne leur laissent que peu de temps pour répondre aux journalistes. Néanmoins, elles ont rapidement rappelé que cette préoccupation n’est pas récente à Rennes, que l’égalité s’inscrit « dans l’ADN de la ville » et que la nouvelle municipalité « poursuit la dynamique impulsée il y a plusieurs années ».

Concrètement ? Côté éducation, Lénaïc Briéro annonce que :

« Nous commencerons par une sensibilisation de notre personnel dans les écoles aux luttes contre les discriminations filles-garçons. Cela devrait se poursuivre par des formations ».

Quand ? Bientôt sans doute… Côté droits des femmes, Geneviève Letourneux signale que « Pour ainsi dire, il y a la dimension de la formation du personnel d’accueil, qui est importante ». Elle ajoute « Nous avons entrepris un gros travail institutionnel, qui est fondamental pour faire la preuve par l’exemple, de sensibilisation des employés municipaux ». Un bon début. La promesse la plus notable concerne le personnel municipal de la Petite Enfance.

Ainsi, en mars dernier, lors de la journée pédagogique qui lui est consacrée, a été mise en place une formation continue sur l’égalité filles-garçons. « Cela devrait permettre de donner des habitudes de travail qui irriguent le quotidien », se félicite Geneviève Letourneux. Encourageant, certes. Reste à savoir si cela sera pérennisé et suivi d’effets.

 

 

En février dernier, la rédaction de YEGG contactait l’Inspection Académique dans le cadre d’un Décryptage sur l’ABCD de l’Égalité. À l’époque, de vilaines rumeurs se diffusaient via sms, prétendant que cet ABCD n’était rien d’autre qu’une théorie du genre, que les enseignants allaient dispenser des cours de masturbation aux enfants et faire d’eux des homosexuels… etc, et incitant les parents à des journées de retrait de l’école.

La droite extrême et la droite dure se sont empressées d’envenimer les choses. Face à cela, l’Inspection Académique a choisi de pratiquer la politique de l’autruche, pensant que moins on parlerait de l’ABCD de l’Egalité, plus les parents d’élèves oublieraient la rumeur. Elle a donc refusé de répondre à nos questions. Or, on sait que la communication sur des sujets aussi sensibles est toujours meilleure que le silence.

En outre, ce programme n’avait rien de révolutionnaire (cf. Décryptage – N°23) et il aurait été intelligent de mettre les points sur les « i » une bonne foi pour toutes. L’ABCD de l’Egalité abandonné par le ministre de l’Education Benoît Hamon en juin dernier, la rédaction a fait une nouvelle demande d’entretien à l’Académie, pour évoquer plus largement l’éducation à l’égalité à Rennes, connaître les dispositifs déjà mis en place dans la ville. Nouveau refus. Sans explication. Une attitude navrante dont les esprits malveillants à l’origine des rumeurs sur les conséquences potentielles de la théorie du genre se délectent et se réjouissent.

« Nous n’avons que très peu de temps pour faire de nos élèves des citoyens intelligents humainement », explique Ronan Chérel, professeur d’histoire-géographie au collège Rosa Parks, à Rennes. L’an dernier, il a participé avec un groupe 8 élèves – 6 filles et 2 garçons - de 3e, aux Olympes de la parole, un concours annuel organisé par l’Association françaises des femmes diplômées des universités, sur le thème suivant : « De nos jours, le sport est-il un facteur d'émancipation des filles et des femmes dans la société ? Tous les sports individuels ou collectifs sont-ils ouverts aux filles et aux femmes ? »

Pour le professeur rennais, le programme scolaire permet de canaliser les énergies vers du positif. C’est ensuite la sensibilité de l’enseignant qui mène à traiter le thème de l’égalité, dont l’égalité des sexes. Se saisir des opportunités offertes par l’Institution, comme le concours d’éloquence, est alors capital pour leur donner matière à « plaider des choses civiquement, démontrer une réflexion, une implication, un militantisme naissant, peu importe. Pour construire leur humanisme. »

Il reviendra plus tard dans la discussion sur les programmes scolaires :

« La présence des femmes y est encore sous évaluée. Personnellement, je suis pour saisir les situations exemplaires dans l’Histoire, à travers les hommes ou les femmes. Celui ou celle qui illustre le mieux notre propos. »

Il conclut alors sur la situation actuelle, celle d’une démarche personnelle de la part des enseignants qui souhaitent en apprendre davantage sur les sujets. « Nous n’avons pas une connaissance universelle des choses, les manuels n’enseignent pas tout. C’est donc à nous de nous renseigner. Mais notre enseignement mériterait que l’on nous y aide », précise-t-il.  

Rennaise d’adoption, éditrice et auteure, Jessie Magana a fait de l’égalité filles-garçons son cheval de bataille. Dans ses ouvrages – Comment parler de l’égalité filles/garçons aux enfants, Editions du Baron Perché et Les mots indispensables pour parler du sexisme aux Editions Syros, co-écrit avec Alexandre Messager - elle livre des pistes éducatives pour y parvenir. Rencontre.

YEGG : Pourquoi l’éducation à l’égalité vous tient-elle tant à cœur ?

Jessie Magana: Tout le monde pense que l’égalité des sexes est réalisée, mais non ! Elle n’existe pas dans les esprits. Et les chiffres le prouvent - 80 % des tâches ménagères exécutées par les femmes, 16 à 20 % d’écart de salaires, 14% de femmes maires en France…etc.

Depuis Olympe de Gouges et les suffragettes, les choses ont bougé. Il y a eu de gros jalons historiques, 1945, les années 1970, et ce qui en a découlé est fort. Juridiquement, il y a eu des leviers puissants, comme la loi sur la parité, mais ça n’a pas été suffisant pour que les mentalités évoluent. Les femmes elles-mêmes sont conditionnées.

Comment peut-on faire évoluer les mentalités ?

La société projette des rôles avant même la naissance, il faut donc commencer à travailler avec les parents et les professionnels de la petite enfance sur les représentations, en s’affranchissant des stéréotypes notamment, sans pour autant tomber dans la neutralité.

Mon travail consiste à clarifier les choses de façon raisonnée, expliquer que le sexe biologique, le sexe culturel et l’orientation sexuelle sont trois choses bien différentes. Et toutes les combinaisons sont possibles ! On peut être très féminine et chef de chantier. On peut être très féminin et hétéro !

Le débat dépassionné est donc essentiel ?

Oui ! La confusion totale liée à l’ignorance et la crainte pose problème aujourd’hui. Nous sommes là pour discuter, mettre en perspective les choses, mais c’est très dur dans ce monde de l’immédiateté où les médias jouent sur les effets d’annonce. Il faut donc faire un travail pédagogique, malheureusement contré par les groupuscules anti-genre (Alliance Vita…etc.) qui jouent sur l’affect et la passion, eux.

Le but ?

Aboutir à une société plus juste où chacun se respecte, s’épanouit indépendamment de son orientation sexuée, accepte l’autre, est ouvert. Cela permettrait aussi de faire baisser les violences faites aux femmes. Si on continue de voir la sexualité de l’homme comme un besoin que la femme doit assouvir, alors il y aura toujours autant de viols et d’agressions.

Quel est le meilleur âge pour cela ?

Tous ! C’est mieux si on intervient tôt. Jusqu’à 2 ans, l’enfant ne sait pas s’il est fille ou garçon. C’est son entourage qui agit en fonction de son sexe. Il faut alors déconditionner les adultes. De 2 à 5 ans, les enfants construisent leur identité sexuée, en imitant l’adulte. On doit les laisser faire, les laisser jouer ensemble, favoriser la mixité. À 6-7 ans, ils restent entre sexes, et entrent dans la représentation. Là, il faut travailler sur les images, répondre à leurs interrogations.

C’est l’âge où l’on prend conscience du jugement des autres. Les adultes ont alors peur du regard de la société sur l’enfant, il ne faut pas, il faut laisser ouvert le champ des possibles. C’est plus facile pour les filles, car elles sont déjà dévalorisées. Les revaloriser est primordial afin que les garçons acceptent et accèdent à leurs jeux, sans se sentir pour autant rabaissés, voire humiliés. Ils n’ont pas le droit de jouer à la poupée, de pleurer, d’être faible… Quelle ânerie !

Enfin, chez les adolescents, le sexe est la question centrale. Or l’éducation sexuelle n’est pas faite. À l’école, on n’évoque que la prévention et la reproduction, et les parents ont du mal à discuter sur le sujet. Jamais on ne parle aux ados du sexe sous son aspect plaisir, relation avec l’autre. Résultat, ils filent vers le porno. L’âge moyen du visionnage du premier film porno est 13 ans !

Quel est l’âge le plus critique ?

L’adolescence. S’il n’y a pas d’ouverture maximale, les ados restent sur le modèle ancestral qui prétend que le sexe est un besoin physique de l’homme comblé par la femme. On a noté que dès la classe de 3e les filles s’imposent elles-mêmes des limites. Elles choisissent, spontanément, des domaines d’études en sciences humaines, psycho… Se disant, à tort, que les matières scientifiques ne sont pas pour elles.

Comment détruit-on les stéréotypes ?

Je fais des parallèles avec le racisme ou je demande « tu n’as jamais été confronté à une injustice dans ta vie ? » Il faut aussi inverser les rôles, parler aux gens de leur enfance, faire émerger des choses de cette période, qu’ils se souviennent de ce qu’ils ont vécu, ressenti alors. Il faut questionner leurs représentations. Mais aborder l’identité sexuée c’est toucher au très intime, c’est donc très complexe.

Que pensez-vous de l’abandon de l’ABCD de l’Egalité ?

Quel dommage ! Car il y a là du boulot, les enseignants sont inconsciemment conditionnés, comme nous tous. ABCD ou pas, ce qui m’importe c’est la prise de conscience de l’égalité à tous les niveaux, de la crèche à la fac, qu’elle soit au cœur de l’éducation, de la société, des mentalités. Que tous les intervenants soient formés, que l’on travaille sur les stéréotypes, à des jeux sur les métiers avec les enfants, des jouets mixtes.

On doit former les enseignants et leur fournir des outils afin que cela fasse partie de leur quotidien, soit au centre de leur enseignement. Les manuels scolaires doivent être revus, mais aussi la littérature jeunesse, et toute la culture. L’effort doit être fait pour mettre en valeur des figures féminines en littérature, en histoire. Cette année, au brevet des collèges, les élèves ont eu un texte de Charlotte Delbo ! Ce sont les enseignants qui l’ont choisi, ce qui prouve qu’ils sont des têtes de pont. L’égalité des sexes est une fragile révolution, balbutiante et remise en cause. Il faut y travailler à tous les niveaux de la société, à tout instant.

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L'égalité, sur les bancs de l'éducation
Zéro pointé : la copie est à revoir
La ville forme ses agents
L'inspection académique fait l'autruche
L'égalité, pas que dans les livres
Jessie Magana, l'égalité à tout prix

Célian Ramis

Lesbiennes, les invisibles ?

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Si les femmes représentent le sexe inférieur, le deuxième sexe comme l’a défini Simone de Beauvoir en 1949 dans son essai philosophique et féministe Le deuxième sexe, « les lesbiennes et les bisexuelles cumulent, elles, le fait d’être homos ET femmes ».
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Quand on pense à la Marche des fiertés, on imagine les rues de Rennes se tapisser des cou­leurs du drapeau arc-en-ciel, on voit une marée humaine prendre quartiers place de la mairie et sur l’esplanade Charles de Gaulle et on sent un vent de liberté s’élever dans les airs de la capitale bretonne. Et si la manifestation prend des allures colorées et festives, elle n’en est pas moins militante et porte à plusieurs voix les re­vendications des personnes LGBTI – lesbienne, gay, bi, trans et intersexe. Le 7 juin, le Centre GLBT de Rennes, les associations adhérentes, les militantes et militants ainsi que chaque per­sonne souhaitant prendre part à l’événement, marcheront fièrement dans le centre-ville ren­nais afin de lancer leur message affilié aux prin­cipes de liberté et d’égalité pour toutes et tous. Un peu plus d’un an après la promulgation de loi Taubira – publiée au Journal Officiel le 18 mai 2013 - sur le Mariage pour tous et quelques se­maines après le retrait officiel d’une promesse de campagne, de François Hollande, autour de la PMA – qui ne figurera pas dans la loi sur la famille et qui ne devrait finalement pas être portée devant le Parlement lors de ce mandat socialiste – dans quel état d’esprit se dérou­lera cette Marche des Fiertés 2014 ? YEGG a voulu connaître l’avis des femmes lesbiennes à Rennes, qui semblent souffrir de plusieurs types de discriminations.

Si les femmes représentent le sexe inférieur, le deuxième sexe comme l’a défini Simone de Beauvoir en 1949 dans son essai philosophique et féministe Le deuxième sexe, « les lesbiennes et les bisexuelles cumulent, elles, le fait d’être homos ET femmes  », expliquent Aurore Malinet et Audrey Moullec, membres du CA du Centre GLBT de Rennes, à l’initiative – avec Orianne Siret – des Ladies Meeting organisés les 1ers et 3èmes dimanches de chaque mois au local de l’association. Alors l’union de deux personnes de « catégorie deuxième sexe » constituerait-elle le quatrième sexe ?

« Dans un groupe hétéro, j’ai déjà entendu dire  : « Toi, tu n’es pas une vraie fille » », nous précise Aurore, qui milite pour la déconstruction des idées reçues. Elle a les cheveux longs, assume sa féminité et son homosexualité. De quoi semer la zizanie dans certains esprits étroits pour qui une lesbienne porte son orientation sexuelle sur le visage. Un visage aux traits masculins assorti d’une attitude à la garçonne. « Les gens ont du mal à comprendre que l’on puisse avoir envie de mettre des mini-jupes et des doigts à une fille », lance Océanerosemarie, auteure, chanteuse et comédienne qui a co-signé, avec Sandrine Revel, la bande-dessinée La lesbienne invisible, dont elle a également tiré un one-woman-show. Dans ce spectacle, elle brise les tabous et les stéréotypes, parle sans langue de bois de sexualité féminine et dénonce les comportements hétérocentrés (qui considèrent que l’hétérosexualité représente la norme).

Ce dimanche après-midi, une dizaine de femmes est réunie dans le local du CGLBT, à quelques mètres du métro Villejean. Autour d’un thé, d’un café, de gourmandises salées et sucrées, elles échangent autour de la préparation des sushis, des makis, de la féminisation des termes et des différentes catégories désignant l’orientation sexuelle. Elles s’interrogent également sur la différence entre les associations homos et les associations féministes. « Je suis venue ici car je suis homo, ça m’a suffit pour venir mais je pense que les féministes ont plus de mal à faire venir les gens  », explique l’une des femmes. « C’est comme partout, tu viens mais si l’ambiance ne te plait pas, tu vas t’en aller  », lui répond une autre. La discussion se poursuit pendant plusieurs minutes, se prolonge et prend parfois des chemins de traverse, passant d’un sujet à un autre aux grés des envies des participantes.

« Nous avons lancé les Ladies Meeting il y a environ un an car nous voulions que les femmes – qui aiment les femmes ou qui se posent des questions – puissent avoir un moment entre elles. Pour partager, échanger, en toute convivialité ! »
Audrey Moullec, membre du CA du CGLBT, à l'initiative des Ladies meeting.

« Et en toute sécurité  », ajoute Aurore. Pouvoir parler librement, de son orientation sexuelle, de ses doutes, ses appréhensions, son cheminement personnel. « On lance parfois des débats, en fonction de l’actualité ou non. Sinon, ce sont les personnes présentes qui amènent des sujets sur le tapis. On joue parfois à des jeux de société et on va souvent au cinéma après, mais pas qu’entre femmes », précise la jeune femme, qui a fait son coming-out il y a 3 ans environ. « J’ai mis quasiment un an à le dire. J’étais épuisée, j’avais peur des réactions et puis j’ai fini par l’annoncer. Ma mère a un peu plus de mal à l’accepter mais en règle générale ça s’est bien passé  », nous dit-elle.

RECRUDESCENCE D'ACTES HOMOPHOBES

Si on se figure que l’homosexualité féminine est plus facile à assumer et à accepter, il n’en est pas moins difficile de l’annoncer à sa famille, ses proches et son entourage qui peuvent adopter des réactions surprenantes, insoupçonnées et blessantes. Chaque année, SOS Homophobie publie un rapport détaillé sur l’homophobie en France, à télécharger gratuitement sur leur site Internet. Basé principalement sur les témoignages reçus par l’association au cours de l’année 2013, le rapport sur l’homophobie 2014 révèle une recrudescence d’actes homophobes, biphobes et transphobes. L’an dernier, 3 517 témoignages ont été recueillis par la structure qui note à la fois une « libération de la parole homophobe mais également une libération de la parole des victimes  », nous a-t-on expliqué par téléphone. Un mal pour un bien ? Pas tout à fait. Jamais l’association n’avait comptabilisé autant de récits oraux – malgré l’augmentation des faits dénoncés : de 365 en 1997 à 1 977 en 2012 – ce qui souligne un élément déclencheur fort et marquant dans l’année en question. « Forcément, il y a un lien avec la forte opposition au Mariage pour tout-e-s  », dévoile SOS Homophobie qui consacre d’ailleurs un chapitre du rapport à la loi promulguée le 17 mai 2013.

« La Manif pour tous a été quelque chose de très douloureux pour nous. Douloureux de découvrir que des gens de notre entourage étaient homophobes. Et aujourd’hui le retrait de la PMA est particulièrement blessant : on ne nous considère pas capables d’élever des enfants ».
Aurore Malinet, membre du CA du CGLBT, également à l'initiative des Ladies Meeting.

Pour Audrey, les forces opposantes ont décomplexé les haines en tout genre et ont signifié un recul sexiste ineffable laissant sous-entendre que les femmes devaient retrouver leur place… de femmes.

En Ille-et-Vilaine, peu de témoignages ont été recueillis par SOS Homophobie. Avec 38 cas recensés, le département n’est pas classé parmi les zones qui comptabilisent le plus de récits (il en est de même pour le reste de la région Bretagne) « mais il faut bien penser que pour certains, on ne peut pas identifier le lieu dans lequel ils se trouvent  ». Sans oublier de mentionner qu’il s’agit là de témoignages volontaires puisque tous les actes homophobes ne sont pas déclarés et dénoncés. Pourtant, il est indéniable qu’ils ont augmenté. « Cette année, nous avons vu de nombreuses personnes venir au Centre à la suite d’une agression, de menaces ou d’insultes  », déclarent celles qui sont à l’initiative des Ladies Meeting. Les cas les plus fréquents pour les actes de lesphobie prenant la forme d’insultes (57% au niveau national).

Pour Orianne Siret, le problème réside dans la peur suscitée par les mouvements contestataires de 2013 : « La parole décomplexée crée maintenant une pression supplémentaire au moment de faire notre coming-out. On a l’impression que l’on va relancer le débat alors qu’à ce moment-là, on veut simplement parler de nous, pas d’un problème de société  ». Le mot est lâché. Problème de société.

« Je ne veux plus parler de tolérance. On tolère, ça veut dire qu’on ne veut pas voir ! »
Orianne Siret, membre du CA du CGLBT, à l'initiative des Ladies Meeting.

L’adoption du Mariage pour tous constitue alors une victoire quelque peu amère « car le mariage a été accepté, après 6 mois de débats houleux, mais pas l’adoption. Enfin très peu. Sans parler de la PMA…  » Cette loi, il la fallait. On parle alors d’évolution logique après l’adoption (houleuse) du Pacs « mais il ne faut pas s’arrêter là, il faut continuer d’agir  ». Un point sur lequel la rejoint Geneviève Letourneux, conseillère municipale déléguée aux droits des femmes et à l’égalité, mais qui ne souhaite pas parler de discrimination lorsque l’on aborde l’argument de la PMA quand on la croise au Forum de l’égalité des droits et de lutte contre les discriminations, le 23 mai dernier.

UNE MARCHE POUR LA DIGNITÉ

Agir pour la reconnaissance des droits des homosexuels en tant qu’individus, en tant que couples, en tant que familles. C’est dans cet état d’esprit que le centre GLBT entend manifester lors de la Marche des Fiertés. Depuis le début de l’année, les militants s’investissent chaque lundi soir pour organiser ce que l’on appelait auparavant la Gay Pride. La Marche, qui englobe toute la communauté LGBTI, se veut festive mais pas seulement. Avant tout militante et citoyenne, elle réunit environ 2 500 personnes chaque année, dont certaines qui peuvent, ce jour-là uniquement, assumer leur différence. « Cela fait 20 ans que ça existe à Rennes. Et chaque année, nous portons les mêmes revendications. On a juste enlevé le point sur le mariage et actualisé le mot d’ordre qui est Nos vies, nos corps : nos droits  », expliquent Antonin Le Mée, président du CGLBT et Julien Fleurence, vice-président.

En ligne de mire : le gouvernement. Pour Julien, il est certain que la parole décomplexée et impunie des politiques a sa part de responsabilité également. « À droite, il y a un intérêt électoral à être contre le mariage et la PMA et à gauche, il s’agit de lâcheté  », précise-t-il. Dans les revendications, on note alors l’abandon de la PMA, le changement d’état civil des trans, la mutilation des enfants intersexes, entre autres. Pour le président du CGLBT, « tout comme il y a une montée de l’homophobie, il y a une montée du sexisme. C’était déjà là avant mais le verrou a sauté l’an dernier ».

LES FEMMES, TOUJOURS SOUS REPRÉSENTÉES

Ils regrettent l’absence de prévention en terme de sexualité pour les lesbiennes et les bisexuelles. Même s’ils soulignent des avancées puisqu’un partenariat se construit avec le Planning Familial 35. Dans le local de l’association, on remarque rapidement les prospectus, la documentation, à destination des gays principalement, malgré quelques brochures sur le préservatif féminin, sur les infections sexuellement transmissibles, sur la sexualité en toute sécurité ou quelques ouvrages littéraires dont les trop peu (re)connues oeuvres de Violette Leduc. « Peu de documents s’adressent aux femmes, aux lesbiennes et aux bis, souligne Orianne. Même à la télévision et au cinéma, on voit bien que les lesbiennes sont moins représentées que les gays. Dans une série comme Girls par exemple qui est très moderne, pas un seul couple de lesbiennes ! Et au ciné, on a un peu l’impression que maintenant qu’il y a eu La vie d’Adèle, il va falloir attendre 10 ans pour revoir un film sur l’homosexualité féminine.  »

Les homosexuelles souffriraient alors d’un manque de représentativité et de visibilité. Et même au CGLBT, on reconnaît qu’elles sont moins nombreuses à venir lors des permanences du mercredi – de 19h à 22h. « Les lesbiennes rencontrent les mêmes problèmes que ceux des femmes dans la société soit en parallèle de leur condition, soit de manière amplifiée  », rationalise Antonin. Les femmes, lesbiennes ou bisexuelles, souffrent donc tout autant de la difficulté de s’imposer dans un groupe mixte. Les hommes prenant plus facilement la parole pour s’exprimer en public. Dans la lesbophobie, plusieurs facteurs apparaissent de manière plus ou moins pernicieuse :

« Une femme qui aime une femme. L’être inférieur qui aime l’être inférieur. On comprend qu’elle adopte une attitude masculine pour se rapprocher du sexe supérieur. Mais en même temps, on lui dit de ne pas quitter sa place de femme soumise.  »

Impossible pour certains de ne pas catégoriser selon la norme imposée par le couple hétérosexuel : une femme qui aime une femme est par conséquent un homme. Défiant toute logique, certaines lesbiennes figurent dans la catégorie des invisibles comme le défini Océanerosemarie, une notion trop bien comprise par Orianne Siret. Les stéréotypes s’accumulent, se transmettent au fil du temps et se banalisent. Les gouines, goudous, colleuses de timbres, brouteuses de minous, et on en passe, seraient dans l’imagerie populaire des bombes sexuelles ayant des rapports intimes entre elles, tout en fantasmant sur la venue salvatrice du pénis. « Et dans ce fantasme, on pense toujours que ce sont deux hétérosexuelles finalement. Et pour les bis, c’est pire, on pense toujours que le plan à trois est assuré !  », confie Audrey, qui ne dévoile sa bisexualité qu’à son entourage proche à cause des conséquences que son orientation sexuelle entraine. « On est vu(e)s comme des traitres car on ne choisit pas…  », souligne-t-elle.

Lesbiennes et bis sont confrontées à des idées reçues communes : battues pendant l’enfance, mal baisées par les amants qu’elles ont connus, pas vraiment femmes dans le fond, frustrées ou encore pas définitivement « perdues  »… « Ça, c’est pour les hommes. Pour les femmes, elles pensent souvent qu’on va les draguer ou être automatiquement attirées par elles ». Aurore, de son côté, ne se laisse pas envahir par la crainte et n’hésite pas à s’afficher en couple dans la rue et en public, sauf la nuit « car les voitures ralentissent, on nous regarde avec insistance. Ça fait parti du fantasme…  »

Maïwenn, 19 ans, étudiante à Rennes, elle, le vit différemment. Si elle a été profondément choquée par le retrait de la PMA de la loi sur la famille « car au delà de l’homosexualité, tout le monde a le droit de fonder une famille  », elle ne ressent pas d’insécurité dans l’espace urbain. « Je n’ai jamais vécu de violences, à part le regard de certaines personnes. Ma mère m’a dit de faire attention en public par exemple mais je ne me sens pas en insécurité  », explique-t-elle. Mais le fait de devoir se méfier ne sonnerait-il pas comme un premier degré de violences ? Il note toutefois une inégalité profonde entre les hétéros et les homos.

FAIRE ÉVOLUER LES MENTALITÉS

Au CGLBT de Rennes, les membres du bureau réfléchissent à des moyens de faire évoluer les mentalités avec des moyens financiers réduits. « Depuis quelques années, nous avons un contrat d’objectif avec la Ville de Rennes. C’est-à-dire qu’elle nous délègue la fonction de diagnostic », explique Antonin. Et si dans les rangs de l’asso, on reconnaît les bienfaits d’une relation en bonne intelligence avec les élus locaux, on note tout de même que cela n’est pas encore suffisant pour avancer davantage. Surtout que certains militants sont fatigués, épuisés.

« L’an dernier, il y a eu des burn-out, des hospitalisations, de l’épuisement. Surtout qu’on luttait avec des moyens beaucoup plus faibles que ceux de la Manif pour tous  »
Antonin Le Mée, président du CGLBT.

Aujourd’hui, les adhérents pensent à une campagne basée sur la dérision, qui serait selon eux bien plus impactante : « Comme les gens en ont marre des manifestations, on pense que ça ferait du bien à tout le monde d’y mettre un peu d’humour ». Autre alternative, la reprise de l’association étudiante rennaise Commune Vision, située dans le bâtiment Erève de Rennes 2. En janvier 2014, une poignée de militantes ont pris en charge cette asso quelque peu endormie depuis plusieurs années (comme l’a été récemment le CGLBT ou encore l’association lesbienne rennaise Femmes entre elles).

« C’est une structure étudiante, LGBTQI – Queer et Intersexe – ouverte à tous dans laquelle on trouvera un accueil, de la prévention et du militantisme  »
explique Falone, présidente, qui fréquente également le CGLBT avec sa compagne, Faustine.

« Nous sommes une association adhérente du Centre mais indépendante. Nous serons à la Marche des Fiertés d’ailleurs  », précise-t-elle. Et féministe aussi dans les statuts, un point qui pour l’instant reste discret. Des permanences seront ouvertes dès septembre pour « des relations individualisées, de proximité, ça c’est important  », souligne Faustine. L’avantage selon les deux militantes : « Nos subventions ne viendront pas de la Ville de Rennes. Nous aurons plus de possibilités dans nos actions  ».

Pour l’heure, les associations agiront main dans la main le 7 juin sans distinction de statuts, de rôles ou d’orientations sexuelles. « C’est un moment pour être nous-mêmes, tous ensemble, dans une bonne ambiance. Si nous n’avons plus trop d’espoir concernant la PMA – à part en allant en Belgique – nous allons quand même faire la fête, ce jour-là est fait pour malgré tout !  », conclut Aurore. Car c’est quand le soleil brille pendant la pluie qu’on perçoit alors les arcs-en-ciel.

À ce jour, le projet de loi sur la famille ne prévoit pas l’élargissement de l’AMP (assistance médicale à la procréation, nommée aussi PMA) aux femmes célibataires et aux couples lesbiens. Mais qu’est ce que l’AMP ? Le docteur Célia Ravel, responsable du centre CECOS du CHU de Rennes, nous explique.

L’Assistance médicale à la procréation rassemble différentes techniques de procréation dont les plus courantes sont :

- l’insémination artificielle intra utérine : la technique la plus simple, nécessitant au préalable un traitement de stimulation. Elle consiste à injecter à l’intérieur de l’utérus les spermatozoïdes recueillis par masturbation au laboratoire, à l’aide d’un cathéter. 4 à 6 cycles sont possibles, avec un taux de réussite évalué entre 15 et 20% pour chaque cycle.

- La fécondation in vitro : une méthode plus complexe (divisée en plusieurs phases nécessitant une stimulation hormonale), qui consiste à prélever un ovule pour le féconder en culture et l’introduire dans l’utérus. Le taux de succès varie de 25 à 35%.

« C’est un engagement au parcours long et compliqué », souligne  Célia Ravel du Centre d'Etude et de Conservation des Œufs et du Sperme humains (CECOS) du CHU de Rennes. Actuellement, peuvent y prétendre les couples hétérosexuels rencontrant des difficultés à concevoir un enfant depuis deux ans (avec des rapports sexuels réguliers). Pour cela, ils devront au préalable passer les examens du bilan d’infertilité. De manière générale, les femmes devront ainsi évaluer leur réserve ovarienne avec une prise de sang, une échographie et une hystérosalpingographie, soit une radiographie de l’utérus et des trompes.

Les hommes feront eux un spermogramme pour analyser le nombre,  la mobilité et la forme de leurs spermatozoïdes. Toutes les démarches seront remboursées intégralement par la sécurité sociale jusqu’aux 43 ans de la patiente. Bien sûr, chaque AMP proposée par le médecin est adaptée en fonction de chaque situation. « Tout dépend si c’est un facteur masculin ou féminin car il existe différents cas d’infertilité », précise-t-elle. Infertilité inexpliquée, infertilité génétique, infertilité infectieuse, traumatismes, antécédents chirurgicaux ou due aux traitements anticancéreux. Dans ce dernier cas, il s’agira d’ailleurs d’une préservation de fertilité. Les femmes en couple ayant une insuffisance ovarienne ou une endométriose sont également concernées.

Selon la spécialiste, l’AMP reste évidemment un sujet sensible car « on touche au début de la vie ». Et si elle était un jour ouverte aux couples de femmes ? Les médecins pourraient-ils s’y opposer ? « Il y aura forcément une clause de conscience », répond Célia Ravel, avant de préciser que les cliniques belges qui accueillent ces femmes sont actuellement florissantes…

Infographie : © Sophie Barel

Engagée au CGLBT de Rennes, Orianne Siret, 26 ans, étudiante en psycho, répond à nos questions sur l’homosexualité féminine.

Avant d’officialiser votre homosexualité, avez-vous eu des expériences hétérosexuelles ?

Oui, j’ai eu un copain vers 20 ans, nous sommes restés ensemble 4 ans, nous sommes séparés depuis 2 ans. Avant lui, je me posais déjà des questions, j’éprouvais de l’attirance pour des filles après le lycée. Au collège déjà, j’avais ressenti quelque chose pour une fille que j’avais vu à la télé mais j’avais refoulé. Ensuite, j’avais dans mon entourage des gens qui disaient « Les homos, faut les soigner ». Politiquement et socialement, je n’étais jamais d’accord, je les défendais beaucoup. On en prend plein la gueule parce qu’on aime « différemment ».

C’est à cette période que vous avez commencé à vous poser des questions ?

En fait, j’avais des problèmes familiaux et mon orientation sexuelle n’était pas ma priorité. Je me disais que j’étais bi. On imagine toujours que c’est avant l’homosexualité. Là je suis attirée par les femmes mais peut-être que je serais plus tard attirée par les hommes. Qui sait pourquoi ? Et même si on savait la réponse, à quoi ça servirait ? En fait, j’ai eu besoin de me trouver, moi. Je suis allée au CGLBT de Rennes et Antonin m’a dit « On ne va pas te demander de preuves » et ça, c’était très important pour moi. C’est stressant, on a toujours l’impression qu’il faut se définir. Qu’il faut sans cesse se justifier, être cohérent, stable. Surtout que je n’ai pas encore eu d’expérience homosexuelle. Beaucoup se demandent comment on peut être lesbienne sans avoir « testé » mais on ne se demande pas si on est hétéro… J’ai parfois l’impression qu’on me demande mon CV sexuel (rires) !

Quelles ont été les réactions lors de votre coming-out ?

J’étais ingénieure en informatique, un milieu très masculin mais plusieurs de mes collègues étaient des potes. L’homosexualité féminine passe mieux avec les hommes en général. C’est déjà pas facile d’être une femme dans le domaine de l’informatique, on vous dit « Tu n’es pas vraiment une fille ». Même si c’est une blague, ça me touche. Au même titre que « tu es homo car tu as été battue dans ton enfance ». Et dans les milieux féminins, je sais que l’on a plutôt peur des réactions de type « Pas de soucis, tant que tu ne me dragues pas ». On s’interroge souvent sur le moment de l’annoncer. Mais quand je ne le dis pas, j’ai le sentiment de cacher quelque chose, de ne pas être moi-même. On est alors dans le rôle de pré-supposée hétéro.

Et pour votre famille ?

Aucun souci avec mes tantes, cousins et cousines. Je ne l’ai pas encore dit à mes parents car il faut avant tout que je rétablisse la communication auparavant. On ne sait jamais comment vont le prendre les parents, j’ai entendu déjà tant d’histoires ! Ça se passe rarement réellement bien.

Est-ce facile de faire des rencontres à Rennes ?

Pas tellement. Finalement, on souffre aussi du manque de représentativité (au cinéma par exemple, on voit plus souvent des films qui traitent de l’homosexualité masculine…). Dans les bars, il y a plus souvent des hommes et aucun établissement n’est spécifiquement lesbien, à part L’Extaz mais peu s’y retrouve. L’Insolite est plus accueillant mais c’est majoritairement masculin je trouve, comme pour le Batchi. Ce sont plus des lieux pour sortir que pour faire des rencontres. Et ensuite, on éprouve aussi des difficultés en tant qu’« invisibles », quand ce n’est pas écrit sur notre tête que nous sommes lesbiennes. Un avantage qui peut aussi être un inconvénient !

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Homosexualité féminine : la double discrimination
Lesbiennes, le quatrième sexe ?
La PMA, c'est quoi ?
Entretien avec Orianne Siret

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Dans l'intimité du hammam (5/5)

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Lorient
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Un spectacle intense et émouvant « À mon âge je me cache encore pour fumer », présenté par la compagnie finistérienne Les Cormorans.
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La 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, organisée au Palais des congrès de Lorient, s’est achevée samedi 17 mai par le spectacle intense et émouvant « À mon âge je me cache encore pour fumer », présenté par la compagnie finistérienne Les Cormorans.

Une histoire de femmes, d’Algérie, d’Islam, de condition féminine dans les pays arabes mais aussi une histoire de solidarité, de force et de beauté. Un magnifique tableau présenté par la compagnie de théâtre Les Cormorans, originaire de Carantec dans la baie de Morlaix, et adapté de la pièce de l’auteure et comédienne féministe Rayhana, À mon âge je me cache encore pour fumer. Cette femme algérienne avait été violemment agressée en janvier 2010 à Paris, au moment des représentations de cette pièce, en raison du sujet traité.

En 2014, Gilles Kermarrec choisit de mettre en scène la première œuvre écrite en français de Rayhana, avec sa troupe de théâtre – constituée de femmes de 14 à 62 ans - avec qui il travaille depuis de nombreuses années. C’est devant une salle comble que la compagnie finistérienne a joué ce nouveau spectacle de qualité et assurément émouvant.

La pièce se déroule dans un hammam à Alger et présente le destin de neuf femmes oscillant entre rébellion, aspiration et soumission. Elles sont d’âge et de conditions diverses mais sont toute réunies dans cet espace protégé et intimiste initialement dédié à la toilette des femmes. Au cours du spectacle, elles échangent, toujours avec passion et ferveur, autour de leurs vies, de leur condition de femmes.

D’une situation banale au départ, la pièce de Rayhana nous emmène au cœur de l’intimité de ces neufs personnages profondément engagées et enlisées dans leur propre existence. Elles discutent, débattent, s’engueulent, se contredisent et se déchirent tandis que Fatima, la masseuse en chef, tente de les calmer et de les rappeler à l’ordre : « Vous êtes dans un hammam, vous êtes ici pour vous laver, on ne parle pas politique ici, apprenez à rester à votre place ».

Elles ont des parcours et des idéologies différents et éprouvent des difficultés à se comprendre et à cohabiter dans un espace fermé alors qu’elles aspirent toutes à une certaine liberté. L’une a subi une agression à l’acide et vient de divorcer, l’autre est mineure et enceinte – sans être mariée – une autre ne jure que par Dieu et a perdu son mari, assassiné parce que considéré terroriste, une autre encore attend de pouvoir épouser un homme pour fuir le hammam…

Briser les stéréotypes manichéens

Quand soudain arrive une occidentale, « une brunasse habillée comme une blondasse ». Elle vient rencontrer la patronne qui doit lui présenter une fille pour son fils quadra, célibataire, qui veut une vierge portant le voile « car les filles de France ont tout perdu, la religion, la tradition… »

Elle apporte une autre vision contrastée de la condition féminine qui vient se heurter à la différence des cultures. La pièce interroge, interpelle et intéresse car elle ne délivre aucune réponse brute et brise les stéréotypes en présentant et confrontant plusieurs points de vue. Ici, l’auteure, le metteur en scène et les comédiennes ne prennent aucun parti pris sinon celui de présenter un instant de vie durant lequel se croisent plusieurs destins et diverses facettes de la problématique énoncée. Ils dépeignent une condition féminine complexe et difficile à vivre à travers des portraits beaux et forts. Les dialogues sont poignants et renvoient à un quotidien cabossé dans lequel se mêlent espoirs, rêves, blessures, failles, rancunes, peurs et plaisirs. 

Pendant une heure, les spectatrices – peu d’hommes assistent à la représentation – sont suspendues aux lèvres des comédiennes qui envoient une haute dose d’électricité dans l’audience. La compagnie théâtrale use d’humour, de douceur mais aussi de sévérité, et de brutalité. Aucun sujet ni individu n’est épargné que ce soit dans les discussions ou dans l’émotion partagée. Sur scène, la tension est palpable.

Toutefois, elles diffusent et transmettent le message avec beaucoup de justesse et finesse, relevant le pari de peindre un tableau d’une grande beauté sur lequel figurent ces femmes liées par leur force et leurs valeurs aussi différentes soient-elles. La pièce passe de la comédie au drame avec beaucoup de subtilité à laquelle s’ajoute la force de la mise en scène de Gilles Kermarrec qui fait danser et chanter les comédiennes, accompagnées par un accordéoniste et une violoncelliste. Un instant d’une grande beauté qui nous pousse à la réflexion et à l’ouverture d’esprit.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : "Parler pour libérer les consciences" (4/5)

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Lors de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem a répondu à nos questions, samedi 17 mai.
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À l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, la ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Najat Vallaud Belkacem était de passage à Lorient, samedi 17 mai. Elle a répondu à nos questions lors d’un point presse, à l’issue du débat auquel elle participait – en compagnie de Pierrick Massiot, président du Conseil régional de Bretagne – autour des politiques publiques d’égalité.

YEGG : La 4e Biennale de l’égalité se termine aujourd’hui en Bretagne, seule région à proposer ce type de manifestation (la ville de Reims organise également une Biennale de l’égalité). Pourrait-on imaginer que la Biennale de l’égalité soit imposée dans chaque région française, et chapotée par le ministère des Droits des femmes ?

Najat Vallaud Belkacem : C’est une très bonne idée ! Il faudrait en parler aux collègues des autres régions pour organiser tout ça. Ce que je peux dire de la Biennale de l’égalité en Bretagne, c’est que je trouve que c’est une initiative formidable. Deux jours pour mettre en lumière les inégalités et pour rassembler les acteurs autour d’un débat commun. C’est aussi l’occasion de découvrir des combats menés par d’autres structures.

J’aime aussi l’idée qu’elle tourne, qu’elle ne soit pas définie dans une ville en particulier (la Biennale a été organisée à Brest, Morlaix et Saint-Malo, ndlr). Aussi, la Biennale soulève des points cruciaux dont il est important de parler pour libérer les consciences. Car souvent les victimes n’ont même pas conscience d’en être ! Il faut leur faire prendre conscience de tout ça, c’est tout l’enjeu ici. Et ça passe par la communication…

YEGG : … et par la transversalité. On le sait, vous aimez jouer et agir avec tous vos domaines de compétence (droits des femmes, ville, jeunesse et sports). La preuve avec la récente nomination d’une ancienne athlète pour lutter contre l’homophobie dans le sport…

Najat Vallaud-Belkacem : Tout à fait ! J’ai le plaisir d’être en charge des Sports et de pouvoir agir pour sa féminisation. Je pense qu’il faut lutter contre toutes les discriminations. Et surtout lorsqu’elles sont subies en raison de son orientation sexuelle. J’ai nommé Maguy Nestoret-Ontanon pour être en charge de la lutte contre l’homophobie dans tous les sports. Je pense que quand on ne nomme pas le mal, on a du mal à le combattre. Pour l’homophobie, c’est la même chose. D’où la nomination de cette ancienne athlète pour lutter contre ça.

Média : La Biennale s’intéresse à l’égalité au quotidien. Alors qu’est-ce que l’égalité change au quotidien ?

Najat Vallaud-Belkacem : Aujourd’hui, nous n’avons pas l’égalité. Il faudrait donc se demander ce qu’elle changera quand on l’aura réalisée. L’égalité donne la liberté d’être soi. D’être une femme et être chef d’entreprise dans le BTP. D’être un homme et être assistant maternel. C’est génial comme projet de société et l’égalité est un élément essentiel dans tous les pays, nous l’avons encore dit lors du débat.

Média : Il y avait vendredi matin un débat intitulé « Éducation : faut-il avoir peur ? ». Qu’est-ce que vous en pensez ?

Najat Vallaud-Belkacem : Je suis ravie que la Biennale ait osée cet intitulé. Le droit des femmes ne doit pas se contenter de parler qu’aux initiés. Sinon, on avance très vite mais finalement on se rend compte que l’on est seul et que la société ne nous suit pas. Il faut acquérir le réflexe de l’égalité. Dans les médias, la télé, les pubs… tout dans la société nous pousse à exclure de notre champ d’horizon des rôles ou des métiers parce qu’ils sont attribués aux filles ou aux garçons.

L’éducation à l’égalité explique les différences qui existent mais explique aussi et surtout que nous aspirons aux mêmes choses. Il faut changer les mentalités, s’autoriser à ambitionner des choses. Et ça, ça se construit très jeune. Avoir accès à l’éducation à l’égalité, c’est ce que défendent les valeurs de la République.

Célian Ramis

YEGG fait sa Biennale de l'égalité : Girl power contemporain (3/5)

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Le girl power s'impose sur la scène de la Biennale de l'égalité avec deux groupes féminins : The Boxettes et Les soeurs Bervas.
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Conférences, tables-rondes, ateliers, spectacles composaient la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, au Palais des congrès de Lorient, vendredi 16 mai. Le soir venu, à quelques mètres de là, c’est dans le parc que les femmes ont continué de s’exprimer. Par la chanson et la musique cette fois, avec deux groupes féminins : The Boxettes et Les Sœurs Bervas.

Vendredi, à 20h30, le parc Jules Ferry respire le calme et la tranquillité. Pourtant, les voix puissantes des membres de The Boxettes percent cette fausse quiétude. Celles qui se sont produit le 20 mars dernier, à Rennes, sur la scène de l’Antipode sont de retour en terre bretonne pour environ une heure de beatbox détonnant, 100% féminin, pour notre plus grand plaisir.

Ces cinq londoniennes, alignées en toute simplicité et sobriété, font résonner leurs voix a cappella devant un public restreint, contre toute attente. Le groupe est composé de quatre vocalistes et beatboxeuses, Alyusha Chagrin, Kate Brown, Neo Joshua et Yvette Ribby-Williams, réunies autour de Bellatrix, première championne du monde de l’histoire du human beatbox.

Leurs chansons mêlent puissance, pureté vocale, harmonies mélodieuses et techniques impressionnantes de beatbox en mélangeant les genres musicaux qui oscillent entre r’n b, soul, hip hop et jazz. Engagé, le quintet expriment à travers leurs textes le girl power contemporain en chantant la force détenue par les femmes. Et la démontrent également en formant un groupe uni au style percutant et original.

Leur concert soulève un vent d’énergie et apporte un souffle nouveau à la scène beatbox. La performance de Bellatrix ne peut passer inaperçue et ne cesse d’étonner et d’impressionner la gente masculine tant elle dévoile des capacités hors-normes. Vêtue d’une robe noire et d’une paire de baskets streetwear, la championne anglaise ne se contente pas de flirter avec les graves, elle produit avec sa voix – et semble le faire avec une aisance déstabilisante – des fréquences que la basse ne pourrait délivrer.

Elle se mesure alors à des techniques de dubstep et de drum and bass, délivrant ici une énergie enivrante qui incite le public à se rassembler devant la scène pour danser. The Boxettes alternent chansons originales et reprises – de Rudimental et Lorde – et même impro, en demandant aux spectateurs de leur donner 3 mots – freedom, peace et aller (to go) – pour en faire une chanson. Elles entrainent le public dans leur univers, grâce à leur présence scénique et leur générosité. Un groupe qui illustre à merveille le thème de la Biennale de l’égalité femmes-hommes.

Dans le clan Bervas

Il est 22h et des poussières – et des bières pour certains échauffés - lorsque le deuxième groupe monte sur scène. Une scène plus chargée que lors du tableau précédent puisque Les Sœurs Bervas sont accompagnées, elles, de plusieurs instruments. Trois musiciens soutiennent le duo féminin constitué d’Ann et de Gaëlle. Le changement d’ambiance est radical.

Du human beatbox diabolique, on passe à la chanson française teintée de musiques venues d’ailleurs. Une affiche séduisante également. Les deux complices proposent un univers « réalistico-féérique » aux allures de cabaret familial dans lequel on croise des personnages cabossés, des souvenirs douloureux et dans lequel on soulève des cailloux hantés par des secrets de famille. Logique quand on partage depuis toujours le même environnement familial. Au fil des chansons, Les Sœurs Bervas nous embarquent dans leurs vies réelles, imagées et imaginées, avec ferveur mais aussi avec douceur puisqu’elles chantent derrière chaque ligne des textes un thème central et universel, celui de l’amour.

Et si on avoue ne pas adhérer entièrement au style proposé - qui souligne quelques faiblesses en matière d’originalité dans le genre musical – il est à noter qu’elles ont l’art de faire danser les spectateurs et de les emmener dans leur monde déjanté et festif. Ces deux lorientaises s’arment de belles paroles pour naviguer contre vents et marées avec humour, émotion et gaieté contagieuse. Les Sœurs Bervas apportent une touche humaine de par leur sens de la théâtralité et de la scène.

Parfois cruelles, parfois fantasques et parfois à fleur de peau, elles mettent leur imagination et leur vision de la vie à nu avec élégance et même sensualité.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Marche ou C-rêve (2/5)

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Vendredi 16 mai, Laëtitia Mazoyer présentait sa conférence gesticulée « Marche ou C-rêve ! : L’échappée belle ou la longue traversée des violences conjugales ».
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Vendredi 16 mai, Laëtitia Mazoyer présentait sa conférence gesticulée « Marche ou C-rêve ! : L’échappée belle ou la longue traversée des violences conjugales », à l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité, organisée à Lorient. Un parcours de combattante et de militante.

Deux groupes sont constitués au fond de la salle. Laëtitia Mazoyer, au milieu, observe, écoute, attend. Les femmes, et les rares hommes présents, accordent leurs arguments avant de les confronter entre eux. La conférence commence ainsi. Par un débat mouvant. D’un côté, celles qui sont pour l’affirmation « C’est le premier pas qui coûte ».

De l’autre, celles qui sont pour l’affirmation « Ce n’est pas le premier pas qui coûte ». Ce premier pas coûte et compte pour certaines et pour d’autres, il est l’élément déclencheur mais pas nécessairement le plus important. Après un échange convivial qui se conclut par une dernière affirmation d’une participante - « Cela dépend des situations et des personnalités… » - Laëtitia Mazoyer invite les spectatrices à s’asseoir pour parler de son premier pas.

Celui qu’elle a fait pour quitter le foyer familial mais surtout celui qu’elle a fait pour sa marche de Nancy à Strasbourg. « Quitter le foyer où je vivais des violences, enceinte de 8 mois… J’avais besoin de partir, besoin de protéger mon enfant », lance-t-elle devant une audience ébahie et pendue à ses lèvres. C’est en octobre 2010 que la jeune femme a franchi le pas. Déjà séparée de son compagnon, elle est encore noyée dans les démarches administratives.

Cette année-là, elle s’engage pour la grande cause : la lutte contre les violences faites aux femmes (année nationale). Sur scène, elle prend alors sur son dos, le sac de voyage qu’elle avait d’abord placée devant son ventre pour illustrer la grossesse. Elle sort des cartes et surtout un drap sur lequel elle a dessiné son trajet qu’elle étend sur un fil à linge. « Avoir un trajet, une première étape, ça me donnait déjà une perspective. J’avais défini des étapes, pris des gites. Un sac à dos, un duvet, des draps. Quand une femme part, il faut penser à prendre les papiers, la trousse de secours… Souvent le départ ne s’improvise pas, sauf pour les cas de danger imminent. Allez, on décolle ! »

Marche ou C-rêve n’est pas une invitation au voyage mais une manière pédagogique et vivante de retransmettre le parcours vécu par cette femme. Et qui pour la 7e fois joue sa conférence gesticulée. « J’ai choisi de parler de l’après car il est difficile de témoigner quand on est encore dedans. Mais c’est vital de témoigner, pour informer, pour donner une vision large aux potentielles femmes qui peuvent le vivre », nous confie Laëtitia.

Un discours commun à celui de Rachel Jouvet, victime de violences conjugales à 18 ans, qui a choisi de raconter son histoire dans la pièce « Je te veux impeccable, le cri d’une femme », mise en scène et jouée par la compagnie rennaise Quidam théâtre (lire notre Focus n°19 – novembre 2013). Pour Laëtitia, la marche est une manière d’apprendre à vivre avec la solitude qui l’habite depuis qu’elle est partie du domicile conjugal. Elle établit un lien entre la peur ressentie lors du départ et celle des premiers jours de randonnée.

« La peur vous colle à la peau. J’ai passé du temps à la dompter », explique-t-elle. Chaque étape fait écho à ce qu’elle a subi au cours de l’après. Les émotions, le changement d’humeur, les difficultés, le découragement, l’épuisement, l’envie d’aller plus loin, d’avancer, de se reconstruire… Elle a déjà connu tout ça. Mais lors de sa marche, elle se libère, éprouve le plaisir de marcher, fait des rencontres. Et au fil de la conférence gesticulée, elle crée des parallèles entre son cheminement personnel et le chemin parcouru dans l’histoire des luttes féminines. « J’ai commencé à sortir de mon idée que l’égalité femmes-hommes, c’était acquis », dit-elle en posant sur son nez des lunettes avec un seul carreau teinté. Et pour sortir davantage du brouillard, elle sort deux autres linges qu’elle attache au fil, derrière elle.

« J’ai découvert deux triangles qui ont complètement bouleversé ma façon de penser. L’un qui explique la situation : il y a le persécuteur, la victime et le sauveur dans une relation triangulaire. L’autre montre comment s’en sortir : la protection, la permission et la thérapie », décrit-elle.

Néanmoins, la jeune femme ne se contente pas de ces schémas et fouille dans les écrits jusqu’à tomber sur une enquête concernant les violences faites aux femmes et un numéro de téléphone : « On m’a répondu : « Vous avez le bon numéro », c’était formidable ». C’est avec un humour fin et léger que Laëtitia fait passer son message et conte son expérience. Un parcours de combattante mis en parallèle avec une marche de militante.

Un problème social

« Au bout d’un moment, en cours de route, j’ai commencé à marcher avec joie et j’ai tué le prince charmant ». Silence dans la salle, les spectatrices étant piquées par la curiosité. Dans une démonstration théâtrale, Laëtitia illustre la relation de couple.

Elle tient son sac à dos, bras tendus, en position de supériorité face à elle. Elle se baisse, se baisse et se baisse encore, jusqu’à plaquer d’un coup sec le sac à dos à terre et se relève fièrement en scandant « J’ai tué le prince charmant, pas l’amour ». Et la conférence reprend son rythme de marche, tantôt saccadé, tantôt rapide, et tantôt ralenti. Une cadence irrégulière que chacun et chacune peuvent comprendre et imaginer en se remémorant des instants de vie.

« Je me suis rendue compte que j’étais un problème social. J’étais vachement rassurée », précise-t-elle. Rires étouffés dans la salle. Un problème social. Comme toutes ses femmes qui à un moment ont choisi de résister, de bousculer l’ordre établi et de refuser l’autorité :

« C’est un angle nouveau dans le témoignage contre les violences faites aux femmes. J’ai découvert ça en lisant le livre de Patricia Romito, Un silence de mortes – La violence masculine occultée, et je trouve ça très important que les femmes ne soient pas soumises. Si elles mettaient la même énergie ailleurs que dans le combat contre les violences, elles pourraient déplacer des montagnes ! »

Laëtitia Mazoyer termine par le discours qu’elle a prononcé lors du colloque sur les violences faites aux femmes, une fois arrivée à Strasbourg : « Je voulais vous parler de l’après… Une fois qu’on est parti… Dont on ne parle pas beaucoup ». La conférence gesticulée s’achève sur le cri de guerre qu’elle a inventé lors de sa marche. Un moment intense et émouvant qui restera gravé dans les mémoires des spectatrices et spectateurs qui prennent ici la mesure des drames subis par plus d’une femme sur dix en France, sans compter celles qui ne dénoncent pas ou ne réalisent pas les violences dont elles sont victimes.

Célian Ramis

YEGG fait sa BIennale de l'égalité : Le cerveau a-t-il un sexe ? (1/5)

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La neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, présentait vendredi 16 mai sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? »
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À l’occasion de la 4e Biennale de l’égalité femmes-hommes, organisée par la région Bretagne au Palais des congrès de Lorient, la neurobiologiste et directrice de recherche de l’Institut Pasteur, Catherine Vidal, présentait vendredi 16 mai sa conférence « Le cerveau a-t-il un sexe ? »

Elle mène une double vie, Catherine Vidal, comme elle aime le dire au début de sa conférence. Dans sa première vie, elle est dans son labo et travaille sur la vie et la mort des neurones dans les maladies neuro-dégénératives. Et dans la seconde, elle s’intéresse aux stéréotypes et aux idées reçues qui concernent les femmes et les hommes.

Pas n’importe lesquels : ceux qui émanent de l’idéologie du déterminisme biologique. À savoir que les femmes et les hommes auraient un cerveau différent, d’où les inégalités entre les sexes. Pendant près d’une heure, la neurobiologiste va balayer les grandes idées reçues profondément gravées dans l’imagerie populaire. Le médecin, anatomiste et anthropologue Paul Broca défend, au XIXe siècle, l’idée d’une infériorité féminine due à la taille et au poids de leur cerveau, pesant environ 1,200 kg contre 1,350 kg en moyenne pour les hommes.

« Mais déjà à cette époque, on savait qu’il n’y avait pas de relation entre la taille et le poids du cerveau et l’intelligence. Par exemple, le cerveau d’Anatole France pesait 1 kg et celui d’Einstein 1,250 kg. On ne serait jamais allé dire qu’Einstein aurait pu être une femme… », démontre Catherine Vidal. Pour déconstruire les stéréotypes les plus ancrées dans l’opinion, elle se base alors sur plusieurs études et sondages menés d’abord dans les années 80 – le cerveau est découpé et placé dans le formol – puis dans les années 90 jusqu’à aujourd’hui – les études sont réalisées par IRM : « Ces dernières montrent que statistiquement, il n’y a pas de différences entre le cerveau d’une femme et le cerveau d’un homme. Avant, avec le formol, on tirait des conclusions à partir de probabilités. On disait alors que les femmes étaient plus douées en matière de communication car leur hémisphère gauche était plus développé et que les hommes étaient plus doués pour se repérer dans l’espace car leur hémisphère droit était plus développé. »

Plasticité cérébrale et théorie du genre

Mais le cerveau, et c’est là que réside toute la difficulté, est bien plus complexe. Catherine Vidal, elle, choisit de présenter et d’expliquer, simplement, le fonctionnement de la plasticité cérébrale, qui rejoint la théorie du genre « qui n’est pas une théorie mais un concept ».

C’est lors de la vie intra-utérine que se forment les organes et que se construit le cerveau : « Le bébé nait avec 100 milliards de neurones qui ne vont pas cesser de se multiplier. Mais il faut savoir qu’à la naissance, seulement 10% des neurones sont connectés entre eux ». 90% de nos milliards de synapses se fabriquent lors de la petite enfance et tout au long de notre existence. Si notre vision est très sommaire jusqu’à nos 5 ans – le temps que le nerf optique se développe intégralement jusqu’à la connexion au système nerveux – il en résulte que l’exposition de l’œil à la lumière est une condition obligatoire pour la connexion des neurones aux voies visuelles. Il en est alors de même pour toutes les connexions.

Pour la scientifique, pas de doute : « L’interaction avec l’environnement est indispensable à la construction du cerveau, sinon il ne peut pas se câbler. L’environnement et l’apprentissage jouent donc un rôle très important ». En effet, des études réalisées sur des pianistes, mathématiciens ou encore des jongleurs montrent que l’entrainement régulier, dès le plus jeune âge, amène l’épaississement de certaines zones nécessaires à la pratique choisie, et inversement, l’arrêt des exercices entraine un rétrécissement de ces zones.

D’autres cas école sont montrés ce vendredi à l’assemblée réunie dans l’Auditorium pour appuyer l’argument de la neurobiologiste : le cerveau est malléable – il est en effet plissé dans la boite crânienne – et peut s’adapter à certaines anomalies physiques sans les répercuter sur le mental – certaines personnes subissent des ablations d’un hémisphère du cerveau et récupèrent leurs capacités après rééducation de l’hémisphère restant. Seule compte la stimulation, l’interaction, avec son environnement social et culturel.

Interférence entre idéologie et pratique scientifique

« Hormis l’hypothalamus (dont une des fonctions est de réaliser la liaison entre le système nerveux et le système endocrinien, ndlr) qui active chaque mois des neurones afin de déclencher l’ovulation chez la femme et qui marque donc une différence associée à la reproduction, il n’y a pas de différence entre les sexes pour les fonctions cognitives », explique la conférencière.

Elle poursuit : « Jusqu’à 2 ans et demi, l’enfant n’est pas capable de s’identifier au masculin ou au féminin. Il n’a pas conscience de son sexe ». Par conséquent, ses goûts et sa personnalité sont forgés par son environnement, son éducation et sa culture – décor de la chambre, jouets, vêtements, etc. – « en fonction des normes de sexe ».

La plasticité cérébrale conforte donc la notion de sexe et de genre, conduisant inéluctablement à la théorie du genre, qui selon Catherine Vidal est une « réalité conceptuelle qui ne nie pas la réalité biologique, bien au contraire, elle l’intègre ». L’homme ne serait donc pas biologiquement programmé à mieux se repérer dans l’espace et la femme ne serait pas naturellement intuitive : « Les instincts sont ancrés dans la biologie mais leur expression est contrôlée par la culture ». Et donc par tous les stéréotypes véhiculés et transmis de génération en génération.

Pour Catherine Vidal, rien ne prouve que les cerveaux masculins et féminins sont diamétralement opposés, ni même légèrement différents mais tout converge vers la conclusion de la plasticité cérébrale : « Il n’y a pas de corrélation entre humeurs et fluctuations d’hormones. Chaque femme vit à sa façon son cycle mensuel, sa grossesse, sa ménopause… » En d’autres termes, chaque cerveau, féminin ou masculin, diffère en fonction de l’histoire de l’individu qui le porte, de son environnement et de ses interactions à l’extérieur au cours de son existence.

« Il y a une interférence entre l’idéologie et la pratique scientifique et l’idée d’un déterminisme biologique persiste toujours. Les biologistes doivent s’engager auprès des sciences sociales pour diffuser la culture de l’égalité entre les femmes et les hommes », conclut Catherine Vidal, fortement applaudie au terme de sa conférence.

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