Célian Ramis

Queen Kong, la liberté de l'imagination

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Le Triangle, Rennes
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Les 18 et 19 octobre, la compagnie La BaZooka présentait Queen Kong au Triangle. Un conte philosophique destiné au jeune public interprété par trois danseuses pleines d’énergie et d’humour.
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Les 18 et 19 octobre, la compagnie La BaZooka présentait son spectacle Queen Kong au Triangle, à l’occasion du festival Marmaille. Un conte philosophique destiné au jeune public interprété par trois danseuses pleines d’énergie et d’humour.

Le Prince n’est plus là et dans la forêt, les trois reines Kong dansent, jouent, courent, crient et chantent. C’est un univers fantasque et fantasmagorique que recrée ici la compagnie La BaZooka, dans un jeu de sons et de lumières. Car sur scène, c’est un décor épuré qui se présente à nous. Trois danseuses et un tas de bûches trônent face à la salle.

Elles pourraient être des nymphes. Des divinités de la Nature. Autour d’une bûche qui pleure sa souffrance ou son angoisse, elles tentent d’apaiser la source de ses cris. Leur langage est animal, primitif. Leur danse est légère et virevoltante.

S’engage alors un air d’opéra et résonne la voix de la célèbre cantatrice italienne, Cecilia Bartoli, qui soudainement habite la danseuse Taya Skorokhodova, déclenchant instantanément les rires des enfants. Un instant lyrique et poétique qui ne s’installe que pour quelques minutes avant que les créatures à l’enveloppe charnelle humaine ne se dissipent dans l’environnement qui les entoure.

L’apaisement ressenti au préalable se transforme alors en virée nocturne cauchemardesque. On s’imagine pris-es au piège d’un mauvais rêve. Peut-être encerclé-e-s par des bois malveillants, nous poursuivant avec une hache avant que les rôles ne s’inversent et qu’apparaisse une femme coussins et que les riffs rock ne transfigurent cette énergie négative en force puissante.

Dans Queen Kong, le trio joue à se faire peur, fuit à vive allure, saute, danse, s’amuse, trébuche, s’étale au sol et ressuscite. Les danseuses écoutent, observent, entrent dans un état proche d’une transe chamanique, sont menacées par une bête sauvage dont elles viennent à bout, en prenant les armes.

« Qu’est-ce que c’est le sauvage au féminin ? », s’interroge il y a 3 ans Sarah Crépin, chorégraphe et interprète pour La BaZooka. À cette époque, elle est intriguée par la relation entre le féminin et le sauvage, notion machinalement – et injustement - imaginée au masculin.

« J’avais besoin de la forêt, de me plonger dans cet univers. La forêt c’est le lieu de tous les possibles, de la quiétude, de la métamorphose, du danger. Un lieu où on est abrité-e, où il y a du passage et où on peut être au cœur de soi-même. Je voulais aller vers une féminité qui n’est pas lisse et qui est puissante et enfantine, dans le sens où dans l’enfance nous ne sommes pas encore modélé-e-s aux codes du citoyen. », explique Sarah Crépin.

Sur chaque spectacle, elle travaille avec Etienne Cuppens, metteur en scène de la compagnie. Ensemble, ils ont confronté leurs idées et envies. Ils procèdent par propositions et oppositions, en essayant toujours de ne pas s’encombrer des préconçus.

« C’est très sauvage comme manière de travailler. On a fonctionné à 4 sur la danse (avec Léa Scher et Taya Skorokhodova, les deux autres danseuses de Queen Kong, ndlr), en laissant une chance à la maturité des idées. Ne pas les balayer quand on pense que ça ne marche pas, mais prendre le temps de voir comment elles évoluent et comment elles peuvent exister dans le corps de chacune. », précise la chorégraphe.

Le metteur en scène la rejoint : « On ne veut pas figer les choses. On essaye d’agir de manière très libre. Par association d’idées, avec beaucoup d’improvisation et de l’évolution au fil des répétitions. C’est aussi un travail de transmission. On voit ce qui s’adapte aux corps des interprètes, ce qui se passe à travers la puissance du groupe et comment cela résiste au temps et à l’accueil des enfants selon les représentations. »

Un discours qui symbolise bien l’esprit de la compagnie, qui défend la volonté de réfléchir autour de la notion de libertés. Liberté individuelle mais aussi liberté au sein d’un groupe. Parce que l’idée du maitre et de l’élève, voir de l’esclave, figure dans l’ADN d’un-e danseur-euse, selon Sarah Crépin, qui ajoute :

« En grandissant, on a envie de ne plus se laisser dominer et c’est une lutte de tous les jours pour arriver à s’émanciper, de décider de sa vie, d’investir le monde, d’affirmer sa position. Dans Queen Kong, il y a beaucoup d’élans, des danses enfantines, des poursuites, des corps au sol, des bagarres… Ce sont des figures très riches, très intéressantes et libres ! »

Et ce ne sont pas Léa Scher et Taya Skorokhodova qui iront à l’encontre de cet esprit, après avoir éprouvé l’expérience « du sauvage et du noble, de l’animal que l’on met debout », selon Taya. Pour Léa, « le plateau est devenu un terrain de jeu, permettant énormément de libertés. »

Ce conte philosophique, et cubiste comme le définit justement Etienne Cuppens, convoque l’imaginaire de celles et ceux qui le découvre. « C’est ça la liberté individuelle, conclut Sarah Crépin. Pouvoir s’inventer des histoires avec son imaginaire, voyager, avoir son libre arbitre… C’est très précieux et il faut le préserver. »

 

Célian Ramis

Elles qui disent la campagne et une époque

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Elles ont grandi en Ille-et-Vilaine et avaient environ 20 ans dans les années 50. Leur quotidien, leurs parcours et leur condition, elles les racontent dans l’ouvrage Elles qui disent.
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Elles ont grandi en Ille-et-Vilaine, dans le pays de Montfort, et avaient environ 20 ans dans les années 50. Leur quotidien, leurs parcours et leur condition, elles les ont raconté à Anne Lecourt - Le Breton dans l’ouvrage Elles qui disent, publié en mars 2016. Une ode aux femmes, à la campagne et à une époque.

Elles sont huit. Yvonne, Monique, Clémentine, Marie, Madeleine, Yvette, Marcelle et Elisa. Elles ont grandi, vécu ou vivent encore du côté, entre autre, de Bédée, Bréteil, Talensac ou encore Montfort-sur-Meu et Iffendic. Souvent issues d’une famille nombreuse et paysanne, elles participent aux tâches ménagères, à la traite des animaux, vont à l’école, quittée pour la plupart après le Certificat d’études, quand elles l’ont obtenu.

Ces femmes sont devenues patronnes de bistro, marchande de cochons, agricultrices, ouvrière, commerçante… Parfois par obligation ou par convenance, parfois par choix. Dès le plus jeune âge, elles ont appris à devenir des femmes. C’est-à-dire des épouses et des mères principalement. Elles s’en sont accommodées, contentées, satisfaites. Mais au fil des années, elles ont conservé leur soif d’apprendre, leur volonté de réfléchir et de s’investir dans leurs boulots ou leurs passions.

Aujourd’hui, ce sont des femmes âgées qui revisitent les souvenirs de leurs vies vécues et ainsi livrent un subtil portrait d’une époque et d’un territoire. Mais pas seulement. C’est aussi un voyage à travers la condition des femmes d’hier, en évolution certes, mais peut-être pas entièrement révolue.

UNE LONGUE INITIATIVE

Rennaise d’origine, installée à Pleumeleuc depuis environ 10 ans, Anne Lecourt – Le Breton est traductrice depuis 25 ans. Dans le domaine scientifique principalement. Un métier « chahuté, à la concurrence très importante, (…) humainement parlant un peu frustrant. » Autant de raisons qui la motivent à penser à une reconversion et à se lancer dans l’écriture qui semble être son moteur.

« J’avais un projet d’accompagnement dans l’écriture auprès d’un public en difficulté et je suis allée voir Montfort Communauté. C’était déjà fait mais on m’a alors parlé d’un projet qui avait capoté, un état des lieux autour des campagnes de Montfort. », explique Anne Lecourt – Le Breton.

Deux ans plus tard, l’idée d’un ouvrage autour de la condition des femmes du pays de Montfort germe dans son esprit. Elle affine le propos autour de celles qui ont vécu leur jeunesse dans les années 50, part à la recherche de femmes alors âgées entre 80 et 95 ans et active tous les réseaux dans lesquels elle peut puiser des personnes ressources, à savoir des voisin-e-s, des professeur-e-s du coin, des grandes familles, des formateurs-trices en milieu rural, etc.

Des femmes à contacter, elle n’en a pas manqué. Mais des refus, elle en a essuyé. « Il fallait que je sois crédible, convaincante et en même temps que je ne parte pas trop dans l’intellect. Sinon elles me filaient entre les doigts. », précise l’auteure. Certaines déclineront la proposition, d’autres lâcheront en cours de route. Et dans les huit restantes, il lui faudra parfois « renoncer à des choses et changer des noms, des dates ou des lieux. »

Toutefois, elle s’enthousiasme du propos qu’elle a à cœur de partager et les rencontres qu’elle va multiplier auprès des protagonistes concernées qui envisagent leurs vies comme simplement ordinaires :

« Je ne suis pas sociologue, ni journaliste, ni historienne. Je souhaitais juste les cerner au plus près de la réalité, raconter une histoire vraie qui parle aux gens. Car ce sont des histoires de famille, de géographie, de modes de vie de l’époque. Et elles ont eu plaisir à parler, elles sont fières du travail qu’elles ont fait, c’est ça l’important. »

PORTRAIT D'UNE CONDITION

Le livre, auto-édité par l’auteure, aidée pour la mise en page par Montfort Communauté, a été publié en mars 2016. Anne Lecourt – Le Breton a couché les portraits sur le papier mais ne se lasse pas de nous les décrire telles qu’elle se les remémore. Des femmes qui ont renoncé à toute vie personnelle pour s’établir au service de leur famille ou de leur terre.

« Elles ont quitté l’école très vite et pourtant toutes étaient brillantes. Mais à l’époque, les femmes n’avaient pas de vie propre, elles devaient obéissance au père, aux frères ou au mari. C’était une société complètement patriarcale. »
développe-t-elle.

C’est aussi une société pudique, en pleine mutation. La citoyenneté, à travers le droit de vote, vient tout juste d’être accordée aux femmes, les lois balbutiantes sur les conditions de travail n’en sont qu’aux prémices d’un long combat pour un changement des mentalités, la condition féminine est toujours réduite à la maternité, l’éducation et l’entretien du foyer. Mais si les femmes sont encore soumises aux désirs des autres, la pratique d’un métier et le début d’instruction qu’elles ont reçu les emmènent à progresser plus rapidement que leur époque. Et à rêver d’une autre vie pour leurs filles.

« Ce sont des femmes de devoir. Elles se marient. On s’aime par devoir. On a le souci du regard extérieur, du bourg, de la famille. Il y a aussi les mariages économiques, les communes sont étroites et on tient à ce que les terres restent dans la famille. Généralement, l’amour est inexistant ou douloureux, il y a le devoir conjugal mais ça ce sont des secrets de femmes. Elles font des enfants et là il y a de l’amour. On ne le montre pas dans les mots, on le montre dans des gestes du quotidien. », commente celle qui s’émeut de ces héroïnes non reconnues du quotidien.

Et ce qu’elle en retient, c’est comment sans s’opposer à la tradition, sans créer de rupture franche, en louvoyant en permanence, elles ont toutes avancé d’un pas et se sont distinguées de leurs mères à elles « en passant le permis de conduire, en conduisant un camion, portant des pantalons, faisant du vélo, s’impliquant dans les Jeunesses Agricoles Catholiques, entamant des démarches pour obtenir la majorité par anticipation, en plantant tout pour partir au Maroc, en côtoyant des intellos… »

UN PONT ENTRE LES GÉNÉRATIONS

On la sent exaltée par cette expérience enrichissante. Une expérience qui pose la question non seulement de l’évolution de la condition féminine dans les campagnes mais aussi du travail de mémoire permettant ainsi d’établir un pont entre les générations d’hier et d’aujourd’hui. Et de s’interroger sur nos rapports à nos racines autant que sur la transmission entreprise entre femmes du présent et jeunes filles de demain.

Un sujet qui a inspiré Anne Lecourt – Le Breton qui a le sentiment d’être passée à côté de sa grand-mère brétillienne : « Quand on est ado, on est auto-centré-e-s. Alors les vieux, le passé, on y consacre pas tellement de temps. » Elle se lance alors sur les traces d’un héritage quelque peu oublié. Ou trop souvent considéré comme désuet. Et à la restitution des textes, elle est frappée par les réactions des enfants qui tiennent à relire, modifier, supprimer même des passages.

« Beaucoup de choses n’ont pas pu être livrées dans le bouquin. C’était trop intime. Je me suis confrontée aux enfants, ça a été difficile de tenir le choc, j’ai été mal jugée et certain-e-s me traitaient de moins que rien. Ils-elles n’ont vu que des vies de mères et n’ont pas considéré que les mères pouvaient avoir eu des vies de femmes. », déclare l’auteure, visiblement attristée par ce manque. Les tabous sont encore nombreux, les clichés également.

Archaïques et profondément ancrés dans les mentalités, ils sont un fléau dont il est difficile de se détacher :

« On reproduit beaucoup de choses héritées de loin. Par exemple, avec mon fils de 15 ans, je suis obligée de lui faire tout un discours en lui apprenant à faire la lessive, le repassage, etc. Ce discours, je m’en passe auprès de ma fille. Comme si de femme à femme, les choses allaient de soi, étaient évidentes. »

À 49 ans, Anne Lecourt – Le Breton réalise un ouvrage constructif et pédagogique, dont elle est fière, « fière de prendre la parole pour valoriser leurs parcours à elles », tout en mêlant sa propre plume et une partie de son histoire personnelle qu’elle partage en héritage d’une époque et d’un territoire.

Dès septembre, elle partira à la rencontre de lycéen-ne-s, d’étudiant-e-s en BTS, de résident-e-s en EHPAD ou encore du Planning Familial 35 et devrait poursuivre sur sa lancée, bien décidée à mettre sa plume au service des paroles marginalisées.

Célian Ramis

Victoria, loin des assignations genrées

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Cinéma Gaumont Rennes
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Avec son film Victoria, Justine Triet réalise un portrait humain d'une femme - incarnée par Virginie Efira - ancrée dans son époque, loin des clichés de sexe et de genre.
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Virginie Efira incarne Victoria dans le film éponyme de Justine Triet (La bataille de Solférino), à découvrir sur les écrans dès le 14 septembre. L’actrice et la réalisatrice étaient de passage à Rennes, le 5 septembre dernier, pour présenter en avant-première au cinéma Gaumont ce long-métrage fortement courtisé lors du festival de Cannes.

Victoria, c’est une nébuleuse bien bordélique. Avocate pénaliste qui peine à se payer, mère de deux petites filles, célibataire en plein néant sentimental, elle enchaine les journées à courir partout, sans désirs palpables ni désaveux.

Son quotidien est bousculé par une succession de désagréments, entre son ex qui lance un blog littéraire (trop) largement inspiré de sa vie et sa personnalité à elle (et des dossiers de ses client-e-s), son ami accusé de tentative de meurtre sur sa compagne et sa rencontre impromptue avec un ancien client désireux de se lancer dans une carrière d’avocat qu’elle embauche comme jeune homme au pair.

Elle doit alors composer avec tous ces éléments, tiraillée entre son obsession de comprendre qui elle est – que ce soit à travers une thérapie ou une visite chez une voyante - et sa tendance à passer à côté de sa vie :

« J’aime beaucoup le fait que le propos ne soit pas enfermé, que le film ne fasse pas les contours du personnage. Ce n’est pas juste une femme avec des enfants qui bosse beaucoup. Tout rejaillit sur elle, il y a une sorte de chaos, d’absurdité, de vérité qui n’est pas facile à trouver. L’intime contamine son travail, elle passe son temps à s’analyser et avec son sens de la rhétorique à anéantir la parole spontanée et finalement, elle manque vraiment de lucidité sur elle-même. Moi, j’en connais plein des gens comme ça. », explique Virginie Efira.

UNE FIGURE CONTEMPORAINE

L’actrice belge campe ici une femme que l’on pourrait voir au bord de la crise de nerfs ou de la dépression. Mais le portrait va au-delà d’une simple réduction d’une personne à l’état second. Ce que filme Justine Triet, c’est une femme happée par le quotidien, ses aléas et les difficultés rencontrées au cours d’une vie. Une personne qui reçoit des émotions et doit traiter avec. Et qui intellectualise ce qu’elle ressent pour tenter de dominer l’impalpable et l’ingérable.

Pour la réalisatrice, Victoria n’incarne pas celle que l’on qualifie de « femme moderne » souvent poussée à son paroxysme, dans le sens WonderWoman, sorte de super-héroïne qui répondrait à toutes les assignations genrées de son sexe en y ajoutant celles de l’autre sexe. Dans le long-métrage, elle choisit une réalité plus raisonnable. Plus appréciable dans sa justesse et son regard.

Car la protagoniste sort du cadre figé de la norme dans laquelle on enferme les individus, féminins comme masculins. Elle ose affirmer un écœurement momentané pour le sexe, se laisse dépasser par les événements sans pour autant baisser les bras et chute en faisant transparaitre sa vulnérabilité.

Et de cette femme, on en garde uniquement l’essence et ce qu’elle renvoie de son existence. Une mise à nu véritable qui casse la recherche de toute catégorisation de cette femme ancrée dans les réflexions de son époque.

« En écrivant, je n’ai pas pensé à la femme moderne et à comment éviter les clichés sur les femmes. J’ai mis des choses en elle qui me plaisait, je me suis inspirée de figures cinématographiques, de mes ami-e-s, de Virginie dans ce qu’elle dégage, de moi également. Je ne pense pas trop à la femme moderne mais je pense en revanche à la figure trop vue. », précise Justine Triet.

COMPLEXITÉ HUMAINE

La figure trop vue tout autant que la figure trop peu vue. Les hommes étant souvent au centre des scénarios. « Du coup, je m’identifie plus facilement aux personnages masculins que féminins qui sont satellites et qui sont soit les épouses, soit les maitresses… Je préfère les personnages complexes qui ne sont pas réduits à femme / mère / qui travaille ou pas. », poursuit la cinéaste.

Virginie Efira acquiesce. « On ne dit pas d’un film sur un personnage central masculin que c’est un portrait d’homme. », souligne l’actrice.

Les hommes ne sont pas laissés pour compte dans le récit de Victoria. Semeurs de trouble à l’origine des ennuis de la protagoniste, ils sont aussi des éveilleurs de conscience. Ex amant, ami et amoureux transit, tous les trois culminent autour de Victoria et l’aident, directement ou non, dans son cheminement tout aussi bien vers ses échecs que ses victoires. Sans pour autant être réduits à une représentation manichéenne de la figure masculine.

Ils sont complexes. À même niveau que le personnage féminin. Mais à moindre échelle puisque c’est elle le cœur du film. « Avec le personnage de Vincent Lacoste, on voit bien les velléités de l’être humain. Car je suis convaincue que la comédie peut aussi montrer la cruauté des êtres humains. Ce n’est pas juste un personnage angélique, il y a aussi le rapport trivial à l’argent, son côté intéressé que l’on découvre. », commente Justine Triet.

Elle aime dépeindre ici des personnalités doucement borderline et jouer avec. Montrer la fragilité humaine avec simplicité. Et on apprécie de se faire embarquer dans l’aventure, même si les intrigues satellites au portrait sont loin d’être réalistes et réussies.

Le film croise les genres de la comédie, qu’elle soit dramatique, romantique ou humoristique, et on se laisse guider par cet instant de vie livré avec talent par une Virginie Efira qui s’efface de plus en plus de ce que l’on connaît de sa carrière pour habiter des personnages plus significatifs et intéressants.

Célian Ramis

Divines, les femmes du XXIe siècle ont du clitoris !

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Cinéma Gaumont Rennes
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À partir du 31 août, le grand public peut découvrir Divines, l'oeuvre résolument explosive de la réalisatrice Houda Benyamina, révélée lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.
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À partir du 31 août, le grand public peut découvrir l'oeuvre résolument explosive de la réalisatrice Houda Benyamina, révélée lors de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Présente au cinéma Gaumont de Rennes le 18 juillet dernier, pour l’avant-première de Divines, son premier long-métrage, elle était accompagnée des trois actrices principales du film, Oulaya Amamra, Déborah Lukumuena et Jisca Kalvanda.

Elle a frappé fort, Houda Benyamina, au moment du festival de Cannes. Repérée lors de la Quinzaine, elle s’est vue décerner pour son premier long-métrage la Caméra d’Or. Et a été révélée au grand public grâce à son discours viscéral et sans langue de bois marquant ainsi les esprits de par sa manière d’inciter à avoir du clito.

« Bientôt, j’en suis sûre, cette phrase (« T’as du clito », citation du film, ndlr) sera connue à l’international ! », glisse-t-elle, de passage à Rennes. Elle croit au pouvoir des petites choses qui font bouger les grandes. Si les petites filles ont conscience dès le plus jeune âge que le monde n’est pas qu’une affaire de couilles mais aussi de clitoris, la société évoluera différemment.

LA REVENDICATION D’UN FILM HUMANISTE

Elle croit en la responsabilité collective et la responsabilité individuelle, la prise de conscience. Éprise de liberté, elle joue des codes aussi bien cinématographiques que sexués. Elle ne croit pas qu’en le féminisme, mais globalement en l’humanisme.

Et c’est un film humaniste qu’elle revendique aujourd’hui. Ni un film de femmes, ni un film de banlieue, elle le présente comme un constat. « Ce n’est pas énième film de banlieue. Et même si ça l’était… Ça ne dérange personne quand un réalisateur fait un énième film parisien ! Divines est nouveau dans son ADN. Je suis une femme et je parle de ce que je connais. Et de là où je viens, les femmes sont comme ça. », lâche-t-elle d’entrée de jeu.

Houda Benyamina présente sa réalité et ses fascinations. « Française de confession musulmane, d’origine marocaine, virée du bahut qui s’est orientée vers un CAP coiffure avant de reprendre des études en arts du spectacle, d’intégrer l’ERAC (école de formation au métiers d’acteurs, ndlr) à Cannes », elle est multiple et marche loin des sentiers battus et des images stéréotypées que l’on voudrait lui coller.  

Elle parsème des bouts d’elle-même, et de son co-scénariste, dans l’ensemble de son film, bâti sur plusieurs années de galère, et ses traits de caractère dans tous les personnages. Entrecroise du Vivaldi à des chants coraniques, de la danse à du trafic de drogues. Un mélange loin d’être antinomique.

Pour la réalisatrice, « l’art incarne une forme de sacré. Vivaldi souligne la confiance et le Coran nous guide vers le chemin de la rectitude. Ce n’est pas un film sur la religion mais il y a le côté spiritualité dans le sens de la recherche de l’intime. Dans la danse, on voit aussi une sorte de prière, il répète tout le temps le même mouvement comme s’il cherchait à se dépasser jusqu’à la perfection. Alors que Dounia, elle, est en combat contre elle-même, elle est déchirée entre toutes ces aspirations, son besoin de reconnaissance. Je m’intéresse beaucoup à la dignité. »

La dignité, la reconnaissance, Dounia (Oulaya Amamra) court après. Sans relâche. Surnommée « la bâtarde », elle vit avec sa mère dans un camp roms bordant l’autoroute. Avec son acolyte Maimouna (Déborah Lukumuena), qui elle réside dans une cité voisine, elles rêvent d’argent, elles rêvent de la grande vie. Et Dounia ne va pas hésiter à se lancer dans un trafic de drogues en rencontrant Rebecca (Jisca Kalvanda), dealeuse charismatique et respectée. En parallèle, la jeune femme s’émerveille secrètement devant Djigui, danseur passionné et perfectionniste.

Pour le rôle de Dounia, Oulaya Amamra va se battre pour convaincre Houda Benyamina, sa grande sœur. « Sur le plateau, elle était très dure avec nous mais encore plus avec elle-même. », souligne la jeune actrice, rejointe par Déborah Lukumuena :

« Elle nous a aidé à nous surpasser et nous a appris l’ambition pour nous-mêmes. »

COLLER À LA RÉALITÉ

Les interprètes, la réalisatrice les a choisies pour les émotions qu’elles dégagent et pour ce dont elles sont capables humainement : « Ce sont de vraies comédiennes, je n’ai pas pris des filles de cité transformées en actrices. Il n’y a que Djigui qui est danseur professionnel et qui a dû apprendre à jouer en même temps. » Les personnages doivent être représentatifs d’eux-mêmes et gommer les frontières des assignations genrées attribuées à chaque sexe.

« Dounia est une ado plutôt dure, renfermée, qui a besoin de reconnaissance et de dignité. Rebecca recherche la reconnaissance et l’argent. Maimouna incarne l’amour absolu, c’est un personnage sacré. Rien là-dedans n’est l’apanage de l’homme. Djigui est gracieux et la grâce n’est pas un attribut féminin. Mes personnages sont des guerrières. Il n’y a pas de masculinité, je ne sais pas ce que ça veut dire. Et je pense qu’il faut redéfinir la femme du XXIe siècle. Redéfinir la féminité. », explique Houda Benyamina.

Redéfinir la féminité. Ouvrir les yeux. Pour voir que les femmes fortes sont partout. Et pouvoir ainsi proposer de justes représentations des êtres humains. Ne plus être obligée de justifier les caractères de ses personnages parce qu’ils sont hommes ou femmes.

« Pour jouer Dounia, j’ai dû opérer une transformation physique. J’étais plutôt délicate à la base…, rigole Oulaya Amamra. Je viens d’un lycée privé, je viens de la banlieue mais mes parents ont toujours évité que je traine dans la rue. C’était donc nouveau pour moi, c’était un vrai travail de composition, entre les films que Houda nous a conseillé de regarder –films de samouraïs, de gangster, Scarface ou Aliens même – et le terrain car je suis allée dormir dans un camp de roms avec Houda. Et tout ça a nourri les personnages, tout ça a fait qu’on est dans une vérité. Mais nous sommes des personnages de cinéma, même s’ils peuvent être proches de la vraie vie. »

Proches de la vraie vie car Rebecca existe réellement et la réalisatrice a souhaité la représenter à sa manière dans son long-métrage. Proches de la vraie vie car Oulaya Amamra et Déborah Lukumuena ont dû passer beaucoup de temps ensemble pour faire naitre la complicité entre les deux amies qui se portent un amour amical inconditionnel. Proches de la vraie vie car les thèmes traités sont ceux d’un quotidien universel. De ceux qui percent l’abcès sans tabous ni complexes. Pour une recherche de réelle liberté.

LE PRIX DE LA LIBERTÉ

Divines, c’est une histoire de quête. Dounia cherche à s’extirper de sa condition sociale, à travers la reconnaissance et l’argent. Poussée par cette vie vécue dans la pauvreté, elle refuse de se résoudre à rester dans cette strate.

« Elle ne peut pas ne pas s’en sortir. Mais elle doit perdre quelque chose pour comprendre, pour sa quête intérieure. Je suis convaincue que la souffrance et les erreurs permettent d’avancer. Personnellement, faut que je tombe pour comprendre. »
précise Houda Benyamina.

Ici, elle pose des questions car « le cinéma est un poseur de questions, tout en étant dans l’émotion, car le verbe, seul, peut mentir. ». Ici, elle interroge les valeurs de la jeunesse d’aujourd’hui, mise face à la dictature du capitalisme, sans en faire une critique acerbe. Simplement un constat, sans juger que l’argent est un problème en soi. Ici, elle aborde le fait d’aimer et d’être aimé-e. Ce que n’a jamais appris Dounia et qu’elle découvre.

Et aborde également la question du libre arbitre, de la responsabilité de nos actes, de la colère. La colère profonde, néfaste, dangereuse. Qui vient des entrailles et bouffe tout le reste autour.

La réalisatrice l’affirme, la colère est un sentiment mauvais et convoque Pythagore pour le confirmer : « ‘’Aucun Homme n’est libre s’il ne sait pas se contrôler’’. Dounia ne sait pas maitriser ses émotions. Comme tout le monde, elle a besoin d’apprendre de ses erreurs. On perd et on gagne. Pour moi, ça doit passer dans le corps, dans l’action. Moi, ma colère est dans mon art.»

L’heure de la révolte devrait sonner dans son prochain opus, qu’elle évoque à demi-mots lors de son passage dans la capitale bretonne.

« Lors de la Révolution française, les armes ont été prises par les pauvres. Je suis fière d’être française car on ne supporte pas l’état d’humiliation. Comment on transforme la colère en révolte ? Ce sera certainement le sujet du prochain film. Comme Pasolini, je n’invente rien, je suis simplement témoin de mon époque. Dounia est en colère, pas encore en révolte, elle n’a pas encore le verbe. La colère et l’humiliation vont nous mener à notre perte. Je n’ai pas l’impression que l’on avance à notre époque. Au contraire, on régresse. La misère est grandissante. C’est une question de responsabilité collective et individuelle. »

Son action à elle, au-delà du constat réaliste délivré dans son premier long-métrage aussi puissant que lyrique, passe par la création et la pérennité de l’association 1000 visages, fondée en 2006 avec son ami Eiji Ieno à Paris. Une structure qui permet l’accessibilité à la culture et à l’éducation à l’image pour un public qui en est éloigné.

Pénétrant dans les quartiers défavorisés, 1000 visages souhaite insuffler une nouvelle dynamique dans le secteur culturel et audiovisuel et ainsi témoigner de la réelle diversité qui nourrit la richesse de la France, pour une plus juste représentation de la société devant ou derrière la caméra.

« Pour construire une estime de moi-même, j’ai eu quelqu’un sur mon chemin pour ça. C’est pour ça que l’association 1000 visages est importante pour moi. », précise Houda Benyamina. Pas étonnant que les 3 actrices principales en soient membres et manifestent la volonté de s’investir pleinement dans cette dynamique. C’est de là qu’elles puisent leurs réseaux, formations et agents.

Un tremplin pour la suite puisque Oulaya Amamra est admise au Conservatoire. De leur côté, Jisca Kalvanda (que l’on pourra découvrir et apprécier dans le court-métrage de la réalisatrice rennaise Lauriane Lagarde, A l’horizon, lire YEGG#49 – Juillet/Août 2016, rubrique Culture) et Déborah Lukumuena intègrent des formations au Théâtre de la Colline à Paris ainsi qu’au Théâtre National de Strasbourg.

Célian Ramis

Football gaélique : Un sport en plein essor

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Rennes
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Méconnu en France, le football gaélique se développe aux quatre coins de l'Hexagone et s'affiche comme un sport complet, accessible à tou-te-s. Rencontre avec l'équipe féminine de Rennes, première du classement national.
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Sport collectif à part entière, emprunt de foot, hand, rugby ou encore volley, le football gaélique est une véritable institution en Irlande. Pourtant, dans l’Hexagone, cette discipline est quasiment inconnue. En tout cas, bien trop méconnue. En France, 23 clubs, principalement dans l’Ouest mais pas seulement, développent activement ce sport et 12 clubs sont en création, majoritairement dans le Sud Est.

Parmi toutes les associations sportives de la Fédération de Football Gaélique, toutes n’ont pas encore d’équipe féminine. La capitale bretonne peut se vanter de son côté d’en avoir une. Et pas des moindres ! Championnes de Bretagne et doubles championnes de France, les joueuses rennaises sont en passe d’être sacrées triples championnes, la finale se déroulant le 11 juin à Clermont-Ferrand.

Ce jour-là, certaines d’entre elles seront sélectionnées pour les championnats du monde, le stage de pré-selection ayant eu lieu le 28 mai à Rennes. Rencontre avec l’équipe et découverte d’un sport aussi varié que les profils des joueuses.

C’est en 1994 que des expatriés irlandais fondent le premier club de football gaélique, dans la capitale française. Quatre ans plus tard, les Celtes du nord ont l’idée d’en faire de même à Rennes, créant ainsi Ar Gwazi Guez. Les Oies Sauvages ont depuis fait des émules, dans la Bretagne historique qui compte une Ligue spécifique à la région, mais aussi dans le reste de la France, pays à la particularité de fonctionner pour certains clubs avec des équipes mixtes pour cause de manque de joueuses. Pourtant, la capitale bretonne détient une équipe féminine, au top du classement. Comment s’est développé le football gaélique et qu’est-ce en fait la force ?

Au mois de mai, les averses et les ciels menaçants n’auront pas raison de leur envie d’en découdre avec le ballon rond.

Un mercredi soir, alors que la fraicheur et l’humidité se font sentir, elles arrivent un peu avant 20h au compte goutte sur le terrain de rugby de Beauregard, qu’elles partagent chaque semaine avec leurs homologues masculins.

Au nombre de 7, elles démarrent l’entrainement avec des exercices de répétition : le ballon dans les mains, elles s’élancent tour à tour, vers un premier plot, y effectuent une reprise au pied (le solo, le fait de lâcher le ballon tenu dans les mains sur le pied avant de le reprendre dans les mains pour pouvoir poursuivre sa progression, ndlr), tournent autour de ce plot avant de shooter au pied. D’autres plots sont disposés à distance plus éloignée, permettant ainsi de multiplier les solos.

En deux équipes opposées, elles s’encouragent les unes et les autres, se motivent conjointement, jurent sans vergogne lorsque la trajectoire du ballon n’atteint pas l’espace entre les deux poteaux de l’en but (but en H) et rigolent beaucoup. Tout en maintenant sérieux et rigueur, imposés par leur détermination à progresser et leur coach, Yves Le Priol.

Découvrir ce sport est souvent le fruit d’un heureux hasard. Parce qu’on connaît un-e ami-e ou un-e collègue qui le pratique. Ou parce qu’on connaît ou qu’on est un-e Irlandais-e. Il y a quatre ans, Fanny Jaffres, alors âgée de 20 ans, effectuait sa 3e année de Sciences Po à Pékin.

C’est son maitre de stage qui lui a alors conseillé le football gaélique : « Il y a pas mal d’expat’ irlandais dans les villes asiatiques. Quand je suis rentrée à Rennes, après un an en Chine, j’ai voulu reprendre le basket que j’avais laissé en partant, mais je ne m’y suis pas retrouvée. J’ai donc poursuivi le football gaélique. » Depuis, elle n’a jamais arrêté, et très rapidement est devenue la capitaine de l’équipe féminine du club Ar Gwazi Guez, qui compte 17 joueuses dont Jessica Chapel, 26 ans, la présidente intégrée depuis 2 ans.

« Je suis cheffe de projet dans une banque et je travaille avec le coach, c’est comme ça que j’en ai entendu parler. », explique-t-elle, précisant en plaisantant qu’aujourd’hui elle recrute des joueuses dans les bars. Boutade qui n’en est pas une puisque les soirées dans les pubs installés en France à parler football gaélique entre expatriés sont à l’origine des premiers clubs hexagonaux. Cependant, aujourd’hui, ils ne sont plus en majorité dans les équipes, preuve d’un développement et d’une appropriation du jeu qui tend vers un brassage des cultures, celtes ou non.

RACINES CELTES ET BONNE AMBIANCE

Anna Marie O’Rourke, elle, fait partie de celles qui n’ont pas découvert le football gaélique au détour d’un bistrot. Elle a véritablement baigné dedans depuis sa naissance et a commencé à taper dans le ballon dès l’âge de 7 ans, à Coolkenno, au sud de Dublin. En Irlande, c’est le sport national, une institution incontournable.

« On joue pour le club de la commune puis celui du ‘comté’. On n’a pas le droit de jouer ailleurs, sauf avec une dérogation. On nait dans un club, on meurt dans ce club. C’est très familial, centralisé autour des pubs, et continuer ici en France, c’est conserver mes racines. »
s’enthousiasme la doyenne qu’elle est du haut de ses 42 ans.

Plus jeune, elle a joué dans la même équipe que ses 3 sœurs et a intégré avec l’une d’elles l’équipe du comté. Elle se souvient des heures quotidiennes passées sur le terrain mais aussi en dehors. Une passion qu’elle ne met pas de côté en arrivant en France il y a 13 ans et dont elle puise les ressources pour trouver l’énergie d’être responsable bien-être des joueurs en Europe, formatrice d’entraineurs-euses, arbitre et joueuse.

Infirmière en parallèle, elle a à cœur « d’être autant impliquée ici qu’en Irlande. » Elle est affirmative : « Plus qu’un sport, c’est ma vie. Je fais des études en soins palliatifs, je travaille au quotidien avec la mort et quand je viens sur le terrain, je trouve la vie. C’est ça mon équilibre ! »

Ses coéquipières ne sont pas aussi catégoriques mais leur motivation vibre à l’unisson. Elles apprécient toutes, sans exception, l’ambiance qui règne dans et autour de ce sport, bordé de convivialité et d’esprit d’équipe, généralement très prégnant dans les sports collectifs. Même son de cloches du côté des autres équipes, présentes à Rennes le 30 avril dernier pour la troisième manche de la coupe de France (lire encadré).

En raison du faible nombre de joueuses ce jour-là pour certaines villes, comme ce fut le cas par exemple pour Angers et Niort, des ententes se forment afin que toutes puissent jouer et ne pas rester sur le banc en spectatrices. « On reste toujours solidaires, il n’y a pas vraiment de compétition. », déclare alors Kaleigh O’Suilivam, qui après avoir joué à Rennes, puis à Niort, a fondé le club d’Angers dont elle est devenue l’entraineuse, avec Sinead Riordan.

« Clermont-Ferrand n’a pas encore assez de monde, l’équipe vient de se lancer cette saison, du coup, on prête parfois des joueuses comme nous on est 17 et que sur le terrain, il faut être 7 ou 9, ça dépend des compétitions, ça permet à tout le monde de participer. », complète fièrement Jessica.

Pour Emilie Pasquet, ingénieure qualité dans l’industrie automobile à Vitré, licenciés et licenciées de football gaélique forment une grande famille. Il y a les entrainements, les réunions, les week-ends de match, les soirées, comme celle du 3 juin qui à Liffré accueille les sportifs venus disputer un tournoi jeunes.

À 25 ans, Emilie partage sa première année de football gaélique entre deux équipes. Liffré donc et Rennes. La première n’ayant pas d’équipe féminine comme tel est le cas dans la majorité des clubs, dont le nombre tend à se réduire de par la féminisation grandissante de ce sport en France. « L’ambiance est super dans les deux villes », se réjouit-elle, rejointe par Laura Andrieu, capitaine de l’équipe de Clermont-Ferrand :

« On est une jeune équipe. On a connu ce sport par le biais des copains qui en jouaient, on a donc suivi le mouvement. Et on a créé une équipe en septembre. On était venu pour essayer, par curiosité et on s’est rendu compte qu’on pouvait faire plein de choses, qu’il y avait une grande liberté de jeu grâce à toutes les techniques. On est avec les copains, l’ambiance est bonne, et il y a aussi une grande solidarité. Les entraînements ont lieu deux fois par semaine. Mais ce sont surtout les tournois qui demandent de l’énergie au final, car il y a des déplacements, ce qui est assez prenant. »

Et Fanny Jaffres ne peut qu’approuver, elle, qui en tant que capitaine, se doit de porter le moral de son équipe au sommet. Calmer les esprits qui s’échauffent parfois par perfectionnisme, motiver les troupes, rappeler qu’elles sont les meilleures et qu’elles vont gagner, tout en donnant le bon exemple, tel est le rôle qu’elle assume sans pression. « C’est plaisant ! Et puis l’équipe est super, sans prise de tête, on n’est pas là pour la compétition mais pour se faire plaisir. »

Et se défouler rajouteront certaines joueuses lors du tournoi, le 30 avril, ou de faire des rencontres intéressantes. À l’instar des Lorientaises qui témoignent de la diversité générationnelle de leur équipe, permettant des échanges riches entre elles et la constitution, en entrainements, « d’équipes rigolotes ».

UN SPORT COMPLET ET COMPLET

Au-delà de cette ambiance chaleureuse et conviviale, argument majeur des sports collectifs, le football gaélique a un avantage non négligeable pour les joueuses de l’Ar Gwazi Guez.

Elles sont unanimes, c’est un sport complet. Qui allie aussi bien du football, du handball, du volley, du basket ou encore du rugby. En résumé, il se joue à la main comme aux pieds, avec des manchettes, des buts en H (valant 1 point) et des buts avec filet sous la transversale (valant 3 points).

Les pratiquant-e-s peuvent traverser le terrain en se faisant des passes, en avant comme en arrière, ou en utilisant des techniques – le rebond au sol (dribble) ou le solo - tous les quatre pas. Si les règles peuvent paraître complexes, il suffit de quelques dizaines de minutes sur le terrain pour les intégrer.

« Ça peut paraître étrange mais c’est très libre comme sport. En jouant, on comprend facilement. Il n’y a pas de hors jeu ni d’en-avant. On n’a pas le droit non plus aux tacles du foot ou aux plaquages du rugby. On doit jouer de notre corps mais il n’est pas question d’impact. », précise Fanny.

Un point qui séduit de nombreuses joueuses, comme Claire Bonnal dans l’équipe féminine depuis 2 ans. Après 10 ans au Stade Rennais Rugby, en équipe 1, elle a envie de changer d’air : « Les années se suivaient et se ressembler. Et avec l’âge (35 ans, ndlr), j’étais de moins en moins chaude pour plaquer et pour les contacts. Sans compter qu’il y a également beaucoup moins de matchs, c’est plus souple et il y a un très bon état d’esprit. » Le compliment revient souvent. La souplesse et l’accessibilité, également.

DES DIFFÉRENCES : UNE QUESTION DE SEXE ?

« On mélange plusieurs sports et des techniques différentes. Suffit d’être dégourdie avec les mains et/ou les pieds. Ce n’est pas comme au hand ou au foot où là si on est moyenne, c’est difficile d’être intégrée. Le foot gaélique est un sport accessible à tou-te-s et surtout pas excluant. Au contraire, je trouve qu’il y a de la place pour tout le monde au sein du collectif. », livre Estelle Roche, 23 ans, employée chez Suez, dans le recyclage des déchets.

Toutefois, si les plaquages et les tacles ne sont pas autorisés sur un terrain de football gaélique, les contacts sont possibles, limités à un duel d’épaule contre épaule. Pour les hommes seulement. Les femmes répondant à des règles spécifiques à leur sexe, établies par une fédération féminine distincte de celle masculine en Irlande. Comme le poids du ballon rond, semblable en apparence à celui utilisé en volley, ou le fait de pouvoir récupérer un ballon au sol avec les mains tandis que les hommes doivent, pour se faire, se lever avec le pied (le pick-up).

« On n’a pas le droit non plus de jurer sur le terrain, on peut avoir un avertissement ! », se plaint Fanny, en rigolant. Yves Le Priol, coach des rouges et noires, nuance la remarque. « Les hommes non plus n’ont pas le droit aux injures !, souligne-t-il. Il y a des contacts pour les équipes masculines, mais encadrés, on ne fait pas n’importe quoi. Ce n’est ni un sport de combat, ni un sport violent. Il y a une image de sport barbare à cause de la méconnaissance qu’il y a autour. »

Clichés mis à part, certaines sportives évoquent un léger regret au fait de ne pouvoir aller au contact, qui semble parfois dépendre de l’arbitrage qui sifflera la faute plus ou moins rapidement. Mais en règle générale, elles avouent un soulagement à exercer une discipline limitant les risques de coups et de blessures.

Autre différence notable : la taille du terrain, réduit pour les femmes. Ce qui s’explique par le nombre de joueurs et de joueuses. Les hommes jouant à 11 contre 11 en Europe – en dehors de l’Irlande où ils sont 15 contre 15 – et les femmes à 7 contre 7, voire 9 contre 9 dans certains cas. Ce qui ne choque pas les filles, qui parlent également de différences physiques naturelles pour expliquer l’écart technique existant entre un football gaélique masculin et un football gaélique féminin.

Même si Kaleigh O’Suilivam ne veut y voir « ni un sport pour les filles, ni un sport pour les garçons, mais un sport irlandais avant tout. » Un point qui met tout le monde d’accord. Néanmoins, une spécificité française subsiste : la mixité. Là aussi, due au faible nombre, pour le moment, des joueuses.

PROGRESSER EN MIXITÉ ET EN NON-MIXITÉ

Certaines préfèrent s’entrainer avec les hommes, d’autres aspirent à la non-mixité pour une meilleure progression. Si les discours sont discordants, ils se rejoignent sur les avantages et les inconvénients qu’il y a des deux côtés. À Liffré par exemple, Emilie s’entraine avec les hommes et regrette qu’il n’y ait pas d’équipe féminine, d’où sa présence à l’entrainement des Rennaises. Jouer entre filles est plus confortable niveau physique. Jouer avec les hommes permet le dépassement de soi.

« Les règles françaises prévoient la mixité en compétition. Quand je joue un tournoi avec les gars, on adapte à moi le règlement féminin. C’est un équilibrage pour ne pas que les filles soient « un handicap », j’aime pas ce terme, parce que ce n’est pas ça précisément… »
justifie Emilie Pasquet.

Si une équipe non-mixte conçoit un espace confiné dans lequel chaque sportive peut développer sereinement ses capacités physiques et stratégiques, sans la pression d’être « un poids », et prouve son efficacité par des constats de progression fulgurante, la complémentarité des entrainements est appréciée par un grand nombre, dont Lisa Hamon, 25 ans, service civique pour l’association rennaise Electroni-k, fait partie.

Aux côtés des Oies Sauvages depuis janvier 2016, elle aime se mesurer aux sportifs. Depuis petite, elle pratique des sports de ballon, du handball pendant très longtemps auprès d’une équipe du Saint-Grégoire Rennes Métropole Handball, ainsi que du football avec des ami-e-s. Elle est plutôt du genre douée qui impressionne les garçons.

« C’est comme ça que je me faisais respecter d’eux. J’aime bien foutre des raclées aux mecs, c’est mon côté féministe ! Quand on s’entraine avec eux – quand on n’est pas suffisamment nombreuses pour faire un entrainement entre filles – je trouve que ça casse la fracture filles/garçons, c’est bien aussi. Ça permet de se confronter à meilleur que soi et c’est toujours mieux de jouer contre plus fort, aussi bien des gars que des filles d’ailleurs. Mais les mecs, c’est certain, courent plus vite, et moi je reste dans le même état d’esprit que quand j’étais petite, alors je fonce ! », lance-t-elle, d’une voix enjouée.

Pour Claire Bonnal, un point est à soulever impérativement dans ce débat autour des dissensions – qui ont l’air de rester minimes et ne pas créer la polémique - : le fait que l’équipe, dans sa globalité, au-delà des sexes donc, se soutient et s’encourage.

« Je me souviens d’une journée de tournoi, où les gars ont été éliminés, et nous on avait encore des matchs. Ils sont venus sur le bord du terrain pour nous soutenir. Ils étaient très fiers de nous, et on sait qu’ils sont pour le développement des équipes féminines. C’était très fort et intense. », dit-elle, la gorge nouée : « Oui, j’en suis encore émue en en parlant. »

DE LA DIVERSITÉ ET DE LA MOTIVATION AVANT TOUT

Dans l’ensemble, les joueuses démontrent des « caractères ». À la fois souples et rigoureuses, elles affichent des profils divers mais un enthousiasme commun. Elles sont toutes assez sportives, mais pas forcément issues des mêmes disciplines. Fanny a fait beaucoup de basket, Jessica de la boxe, du tennis et du judo, Estelle de l’athlétisme, de la course à pied, du futsal – qui peut se rapprocher du soccer – et du hand, Claire du rugby, tout comme Emilie, Lisa du hand et du foot, et Anna Marie du football gaélique. Sans oublier l’entraineur, Yves, qui a pratiqué pas mal de foot et de rugby avant de découvrir le football gaélique en 2000.

Pour de multiples raisons, les joueuses ont cessé leurs activités respectives et trouvent aujourd’hui un véritable plaisir à contribuer à la réussite de leur équipe. La force qui fait leur palmarès ? C’est à n’en pas douter. Individuellement, elles ont toutes des qualités techniques. Débutantes ou non, elles ont encore toutes des points à travailler et toutes ont fait des progrès, certaines démontrant immédiatement des capacités et une aisance, que ce soit avec les pieds ou les mains, ou même les deux.

Mais ce qui prime pour Yves Le Priol, c’est leur motivation. Elles sont championnes de Bretagne cette année et doubles championnes de France. Le 11 juin, elles confirmeront ce titre, à Clermont-Ferrand, pour la troisième année. De quoi être fières et s’en vanter. Mais l’équipe est modeste et lucide.

L’entraineur précise cela dans le contexte : c’est parce que les autres équipes féminines ne sont pas très développées que Rennes est première. La capitaine l’affirme quand on évoque l’écart de point entre son équipe et les autres du classement : « On n’a pas de concurrence. Franchement, on est bien meilleures que les autres équipes. » Et si ça fait réagir Lisa au moment où elle exprime ce positionnement, Fanny a raison.

Et poursuit : « Mais faut pas croire que c’est plaisant, parce que finalement les meilleures victoires sont celles que l’on va chercher ! On a été malmenées lors du championnat de Bretagne, on a eu peur et finalement on a mis pile les points qu’il fallait. Ça, c’était chouette ! » Yves ne peut qu’approuver, convaincu du potentiel des joueuses qu’il entraine. S’il ne souhaite pas établir de comparaison entre le palmarès des féminines et celui des masculins, il voit toutefois des différences à l’entrainement :

« Je ne veux pas tomber dans les clichés mais les filles sont plus à l’écoute, plus en demande conseils. Alors oui, parfois faut les recadrer lors des exercices, mais elles sont quand même assez concentrées. Je pense que la grande différence est là : les filles sont plus intéressées à progresser. »

DES AMBITIONS POUR DE NOUVEAUX DÉFIS

Pour lui, leur niveau se mesurera fin septembre en Irlande lors d’une semaine de rencontre inter clubs européens. Mais avant cela, plusieurs rennaises devraient s’envoler pour la terre mère du football gaélique lors des World Games qui se dérouleront à Dublin du 7 au 14 août. La pré-sélection a eu lieu à Rennes, le 28 mai dernier.

Dix joueuses de l’Ar Gwazi Guez étaient pressenties pour l’équipe de France qui sera constituée le 11 juin. C’est à Clermont-Ferrand, à l’occasion de la finale de la coupe de France, qu’elles seront fixées et qu’elles sauront si elles participent au stage de formation début juillet. Jessica Chapel ne cache pas sa joie :

« On est une équipe soudée qui compte de vraies machines de guerre ! Moi, je viens plutôt de sports individuels mais elles sont nombreuses à être issues des sports collectifs et ça se voit. Elles ont vraiment quelque chose que je n’ai pas, elles ont une vision générale du jeu et repèrent très vite les stratégies à adopter, là où moi je mets plus de temps à comprendre ce que je dois faire. »

Les « machines de guerre », Claire Bonnal les qualifie, elle, d’intouchables. Et a conscience d’en faire partie. « J’ai vécu avec le Stade Rennais Rugby des moments sportifs avec beaucoup de tensions, beaucoup de matchs durant la saison. Là, on en a moins, et je ne me suis pas mise la pression le 28 mai. », explique-t-elle. Estelle Roche, de son côté, n’était pas aussi sereine : « J’aimerais vraiment y participer, vivre cette expérience. Je sais que ma place n’est pas acquise, je suis nouvelle dans l’équipe, mais je fais tout pour me mettre à niveau. »

Ce qui les anime par dessus tout, c’est de partir en Irlande, disputer des matchs face à d’autres joueuses partageant la même passion. Si toutes ne partageront pas l’expérience au mois d’août, elles se rattraperont en septembre. Pour Claire, c’est ce qui compte :

« Il y a le côté sportif mais aussi découverte. Aller en Irlande entre copines, on s’entend tellement bien, c’est vraiment bien. Ce qui sera plus difficile au niveau d’une équipe de France, ce sera de réussir à s’ouvrir aux autres, créer de l’interaction avec les autres joueuses. »

Sans aucun doute, l’équipe féminine a à cœur de défendre les couleurs rouges et noires, tout comme les couleurs bleues, blanches et rouges, et de participer aux entrainements, à hauteur de l’investissement qu’elles peuvent y mettre. Lisa Hamon le dit elle-même :

« Quand je jouais au hand, c’était plus intense en terme d’engagement. Et j’ai sacrifié pas mal de ma vie perso. Je veux maintenant faire la part des choses et si je ne peux aller à un entrainement, ce n’est pas grave même si plus je fais de sport, mieux je me porte. Je ne peux pas aller en Irlande en août parce que je travaille mais j’espère vraiment être présente en septembre. On m’a dit il n’y a pas longtemps que choisir, c’est renoncer. J’essaye de l’appliquer. »

UN DÉVELOPPEMENT À VENIR ET À TRAVAILLER

Si la pratique est amateure et résulte d’un loisirs, les sportives ne lâchent rien et s’engagent pour le développement de cette discipline trop méconnue encore en France, même si Yves relativise quant à sa faible portée : « En 2000, il y avait 2 ou 3 clubs seulement. Aujourd’hui, on en compte plus d’une vingtaine. »

Si le football gaélique est sous-médiatisé, l’espoir persiste grâce à cette rapide évolution. L’aspect atypique attise de plus en plus la curiosité et séduit. L’attention du club de Rennes, ainsi que dans les autres villes bretonnes ou non, le Sud Est de la France tendant également à composer de nouvelles équipes, est au développement du sport importé d’Irlande. Anna Marie est intarissable sur le sujet, le jeu est beau et il en vaut la chandelle :

« C’est un vrai bonheur de voir son évolution en France. Nous sommes très impliqué-e-s pour le faire grandir davantage, aller dans les écoles, les collèges et les lycées pour en parler, pour faire découvrir le foot gaélique. Et nous organisons aussi des initiations à Rennes, ça fonctionne bien, et on aime bien faire ça. »

Claire, professeure des écoles à Orgères, n’a pas pu faire de cycle football gaélique avec sa classe de CE2-CM1 cette année, mais projette néanmoins de faire découvrir aux élèves une après-midi durant les bases de ce sport qu’elle chérit.

Les jeunes ne sont pas, actuellement, assez nombreux à se signaler intéressé-e-s pour constituer une équipe pour les moins de 16 ans. A contrario du club de Liffré qui comptabilise trois groupes jeunesse parmi les 80 adhérent-e-s. Les objectifs sont clairs : amener les filles et les garçons de tout âge au football gaélique.

Et sans se décourager, à force d’enthousiasme, d’initiations, de sensibilisation, de communication et de victoires vitrines d’une qualité d’entrainements, joueurs et joueuses en prennent le chemin.

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Football gaélique : Unies dans un sport en développement
La diversité, force de l'équipe rennaise
Une bonne entente en Coupe de France

Célian Ramis

Lucy Mazel, l'histoire des femmes dans l'Histoire

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Librairie Critic, Rennes
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Illustratrice et auteure de BD, elle est la dessinatrice du 1er tome de Communardes !. L'histoire des femmes qui se sont battues pour la défense de Paris et l'amélioration de leurs conditions.
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Illustratrice et auteure de bande-dessinée freelance, elle est la dessinatrice du premier tome de Communardes !, triptyque imaginé et scénarisé par Wilfried Lupano, paru en septembre 2015 et février 2016 aux éditions Vents d’Ouest (Glénat). Le 24 juin, Lucy Mazel était de passage à Rennes, à la librairie Critic, pour une séance de dédicaces.

Vendredi dernier, les trois dessinateurs de Communardes ! – Lucy Mazel, Anthony Jean et Xavier Fourquemin – étaient réunis à la librairie Critic pour dédicacer les albums Les éléphants rouges (septembre 2015), L’aristocrate fantôme (septembre 2015) et Nous ne dirons rien de leurs femelles (février 2016).

Dans le dossier de presse, l’auteur explique : « Chaque album forme une histoire indépendante et autonome dans laquelle on suit une femme qui a participé à la Commune de Paris. Chacune incarne un moment très spécifique des événements mais aussi un type de femme qui y a participé. Car ce qui fait la particularité de ces communardes, c’est qu’elles venaient de toute origine sociale : il y avait aussi bien des bourgeoises que des ouvrières ou des prostituées… C’était vraiment un mouvement « vertical ». »

Le premier album plante le décor. À l’hiver 1870, Paris est assiégée par l’armée prussienne de Bismarck et subit le froid et la famine. Victorine a 11 ans. Fille d’une couturière engagée dans le mouvement des femmes qui veulent s’impliquer dans la défense de la ville, elle passe une partie de son temps à s’occuper de Castor et Pollux, les deux éléphants du Jardin des plantes. Et va imaginer un plan pour libérer Paris, grâce aux deux pachydermes.

Lucy Mazel ne connaissait que très peu cette période, méconnue et ignorée de l’enseignement scolaire. Mais elle a été séduite instantanément par le projet. « Cette histoire me plaisait, c’est une belle histoire. Dure mais belle. C’était super intéressant en tant que dessinatrice, je ne connaissais pas bien cette période, elle n’est pas enseignée et pourtant elle est charnière pour Paris. Parler du contemporain, ça ne m’intéresse pas trop, je connais, je le vis au quotidien. Mais le passé, ça me plait ! », explique-t-elle.

Et ce qui l’intéresse par dessus tout, c’est d’aborder les histoires humaines liées à la grande Histoire. Dans Les éléphants rouges, si Victorine est le personnage central, lectrices et lecteurs sont invité-e-s à suivre le quotidien des femmes issues de milieux populaires qui cherchent du travail, veulent aller au front, et celles qui se divisent prises par les conditions de leur époque et de leur statut.

Pour le contexte historique, la dessinatrice se nourrit de la documentation que lui transmet Wilfried Lupano, entre peintures et livres. Et regarde également des documentaires sur la période de 1870 à 1900 (même si la Commune ne durera que 3 mois) pour s’imprégner de l’univers global.

« On se demande à quoi ressemblait Paris de l’extérieur et de l’intérieur ! Ce qui est bien avec la BD, c’est que ce n’est pas un cours d’histoire. On respecte l’époque mais on peut la fantasmer et prendre quelques libertés. Comme on a fait avec les éléphants. On a dessiné des éléphants d’Afrique à la place des éléphants d’Inde. C’était plus imposant. Vous imaginez la couverture de l’album avec un éléphant aux petites oreilles ?! Ça aurait été moins impressionnant. », s’enthousiasme Lucy Mazel.

Elle n’hésite pas à parler d’un engagement militant en tant que dessinatrice et auteur de se lancer dans une bande-dessinée réhabilitant une époque oubliée - aussi courte soit-elle, elle marquera l’histoire des révolutions socialistes – à travers les points de vue de femmes. Des personnages peu mis en lumière en général, encore moins dans l’Histoire. Et là dessus, la série se base et insiste, prenant un surtitre fort : « La révolution n’est pas qu’une affaire d’hommes ».

Communardes ! aborde avec réalisme les conditions de vie des femmes à l’époque, la question de l’égalité salariale, « qui n’a pas beaucoup bougé en 2016 », mais aussi le poids de la religion, le rôle des femmes au sein de la famille, et soutient des faits et personnages réels.

Dans L’aristocrate fantôme, c’est Elisabeth Dmitrieff que l’on suit. Une jeune aristocrate russe envoyée à Paris par Karl Marx et bien décidée à prendre les armes, au grand désarroi de Louise Michel. Elisabeth deviendra rapidement la présidente du premier mouvement officiellement féministe d’Europe : l’Union des femmes pour la défense de Paris et l’aide aux blessés.

Le troisième opus, Nous ne dirons rien de leurs femelles, vient clôturer cet épisode sanglant par une histoire quasiment banale : celle des classes sociales avec Marie, une servante, et Eugénie, une bourgeoise enceinte d’un libraire et envoyée dans un couvent pour masquer le déshonneur d’un tel événement.

« Ça nous amène à nous poser des questions. On pense que les femmes ne sont intervenues qu’à partir de la Seconde guerre mondiale mais non, lors de la Commune, elles étaient au front alors qu’on ne les considère même pas comme des êtres humains. Je trouve que ça éveille la conscience sur ce qui s’est passé. (…) Ça ouvre forcément des horizons. », souligne la dessinatrice du premier album.

Tous les quatre ont su saisir la tension d’une époque et d’une société. Et parce que l’Histoire ne doit pas s’écrire uniquement au masculin, comme tel est souvent le cas dans les manuels scolaires et les livres d’histoire mais aussi la littérature, la série s’attache à faire vivre les femmes en tant qu’actrices de leur existence et non spectatrices passives, tout en imaginant, fantasmant et romançant des personnages.

C’est ça qui plait à Lucy Mazel qui se défend de mettre un sexe sur la bande-dessinée dans son ensemble. Pouvoir raconter des histoires humaines avant tout. Elle aime se saisir d’une époque historique pour parler des gens : « Ce n’est pas parce qu’on est une femme que l’on veut faire des albums pour enfants ou faire des albums sur des bottes. Moi ça ne m’intéresse pas du tout. Dans la BD, il y a de tout et je ne veux pas faire partie de cases. »

Actuellement, elle travaille à sa prochaine bande-dessinée, Edelweiss, en collaboration avec le scénariste Cédric Mayen (à paraître en 2017). L’histoire d’un couple hétérosexuel qui évolue à l’époque des Trente Glorieuses (1946 – 1975). Olympe travaille, est indépendante, rencontre Simone de Beauvoir et « vit sa vie comme un humain quoi… mais bon imaginez on est dans les années 50/60 ! »

Elle rêve de gravir le mont Blanc, à l’instar de son aïeule Henriette d’Angeville, deuxième femme à avoir gravi le mont Blanc en 1838 (surnommée « Mademoiselle d’Angeville, la fiancée du mont Blanc »). Mais un accident survient et Olympe est devient tétraplégique. Son mari, Edmond, la portera sur son dos afin de réaliser son rêve.

Pour Lucy Mazel, le féminisme et le handicap, deux thèmes encore confidentiels, s’inscrivent en filigrane de l’histoire de ce couple. Mais n’en sont pas les thèmes principaux. Néanmoins, leur présence a une importance particulière. Dans le réalisme du scénario, l’écho à une période en pleine mutation sociale et la résonnance à des sujets encore actuels.

Consciente du chemin qu’il reste à parcourir pour acquérir l’égalité entre les femmes et les hommes, elle n’hésite pas à prendre sa place, dans un milieu encore très masculin, et à se montrer vigilante quant à l’évolution des mentalités.

« On a des mains, des jambes, un cerveau comme les hommes… Et je ne crois qu’on soit forcément plus sensibles qu’eux. De toute manière, homme ou femme, si l’histoire de la BD n’est pas bonne, elle n’est pas bonne. (…) Après il y a toujours des réflexions, comme dans tous les milieux, mais ce n’est pas tout le monde. En tout cas, je ne me suis jamais sentie à part. Néanmoins, c’est un chemin très long. Je ne suis pas naïve, j’essaie simplement de ne pas voir que le négatif. », conclut l’illustratrice.

Célian Ramis

E-sport : Mixité aux manettes ?

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Les jeux vidéo seraient-ils réservés aux hommes ou à une certaine catégorie de personnes ? Assurément, non. Et pourtant, les femmes sont encore une minorité. L'e-sport serait une ouverture vers une mixité plus égalitaire.
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A l'occasion de la 12e édition du Stunfest, festival vidéo-ludique qui se tient du 20 au 22 mai prochain à Rennes, YEGG s'est intéressé à la partie la plus médiatisée du jeu vidéo, l'e-sport. Petit à petit, cette jeune discipline, hybride de domaines majoritairement masculins, les jeux vidéo et le sport, évolue. Les femmes s'y intéressent de plus en plus, grâce à l'aspect ludique.

Dans la capitale bretonne, le Stunfest et l'unique bar e-sport, le WarpZone, tiennent ce rôle de lien social. Quelques freins subsistent néanmoins : l'éducation genrée et le manque de représentation. Selene Tonon, vice-présidente du Centre gay lesbien bi et trans (CGLBT) de la ville, est pourtant confiante. Dans les décennies à venir, l'univers du gaming se diversifiera. Être homme, femme, cisgenre, transgenre, hétérosexuel ou homosexuel ne seront plus des données à prendre en compte, à terme.

Les joueuses se sont faites une place dans le domaine de l’e-sport, appelé en français « sport électronique ». Mais dans ces compétitions de jeux vidéo multi-joueurs où les codes restent largement masculins, elles sont souvent mises sur le devant de la scène pour l'unique raison d'être femmes. Lassées, toutes celles que nous avons rencontrées sont claires : l'e-sport est un milieu convivial, qui les ont accueillies à bras ouverts.

Comme tous les mardis, Elodie Cagnat et Elsa Delanoue se retrouvent au bar rennais le WarpZone, situé 92 mail François Mitterrand, à l'angle de la rue Louis Guilloux. Ce 15 mars, vers 20 heures, les jeunes femmes de 23 et 28 ans discutent au comptoir avec Nicos, l'un des serveurs. Après avoir bu un premier verre, elles commandent à manger. Elodie a invité deux de ses amies pour leur faire découvrir l'endroit.

Car le WarpZone a la particularité d'être le premier bar rennais « e-sport », ouvert depuis janvier 2015. L'intérieur a été conçu uniquement pour les jeux vidéo, seul ou à plusieurs : sept ordinateurs et deux bornes d'arcade dans la salle principale, vingt consoles dans la pièce au sous-sol.

Ce soir-là, tous les postes d'ordinateur sont occupés par des joueurs. Un tournoi d'Hearthstone, un jeu de cartes en ligne issu de l'univers médiéval-fantastique de Warcraft, a commencé une heure auparavant. Elsa et Elodie, elles, descendent dans l'endroit consacré au « retrogaming ». Tout ce qui y est proposé date d'au moins 20 ans. Elles s'installent au fond et allument la console pour une partie de Mario Kart. Depuis l'ouverture du lieu, ces deux amies, qui se sont rencontrées dans la même entreprise, font partie des habituées de la clientèle du bar.

« La première fois que nous sommes venues il y a un an, tout le monde était installé sur les PCs et il n'y avait que des hommes », se souvient Elsa. Pas de quoi les dissuader pour autant. Elles se lancent à l'époque dans une partie de Just Dance et un membre de l'équipe WarpZone les rejoint. « On s'est directement senties à l'aise, normales », rajoute Elodie, presque pour se justifier. Avant de franchir le pas de la porte, les deux jeunes femmes avaient des préjugés sur les personnes qu'elles allaient y croiser.

Des hommes, forcément, les yeux rivés sur leur écran, qui n'allaient pas leur adresser un mot. La réalité est bien différente. Grâce à ces évènements organisés tous les soirs, comme des tournois de jeux vidéo ou des soirées à thème, le WarpZone s'adresse à un large public.

« De plus en plus de filles viennent au bar, l'ambiance fait changer la donne. Le WarpZone veut casser cette image de gros geeks, se félicite Nicos, l'un des quatre co-fondateurs. On démocratise le jeu vidéo. »

Et ce n'est ni Elsa ni Elodie qui diront le contraire. Ces dernières qui assumaient mal le fait d'être des gameuses, ont trouvé un endroit où elles pouvaient à la fois se retrouver, s'amuser et en discuter. « Je n'ai jamais été dans un groupe qui jouait, alors être deux, ça change tout », confirme Elodie.

CONQUIS PAR LES HOMMES

C'est un fait : l'e-sport, traduit par « sport électronique » en français, a d'abord été conquis par les hommes. Ces compétitions de jeux vidéo multijoueurs ont à peine une vingtaine d’années. Le tout premier tournoi, considéré comme celui qui a lancé la discipline, date de 1997. S'y jouait Quake, un jeu de tir, à l'Electronics Entertainment Expo (E3) aux Etats-Unis.

À ses origines, seul les férus d'informatique s'y intéressaient, c'est-à-dire une poignée de personnes qui maîtrisaient les compétences techniques et avaient les moyens de se payer une connexion Internet. À l'aide de câbles, leurs ordinateurs étaient connectés entre eux et une Lan, « local area network », était créée.

En France, la dynamique se situait principalement dans le vivier estudiantin parisien et en Bretagne, région dans laquelle les télécommunications ont toujours été fortement implantées. Sorte d'hybride, l'univers rassemble désormais à la fois les milieux du jeu vidéo et de l'informatique. Le profil de celles et ceux qui pratiquent l'e-sport ressemble à celui d'autres sportifs. Puisque l'e-sport s'est très fortement inspiré des autres pratiques compétitives : chaque équipe comprend cinq membres, un coach et parfois des sponsors.

La combinaison de ces deux univers principalement masculins, le sport et l'informatique, n'a pas encouragé les femmes à se sentir concernées. Pourtant, Philippe Mora, sociologue de l'e-sport au laboratoire d'anthropologie et de sociologie (LAS) de l'université Rennes 2, tient à le préciser : « Il y en avait peu mais elles étaient déjà présentes. » Difficile cependant de dire précisément combien. Lors de ses recherches sociologiques commencées en 2002, il a estimé le pourcentage à 2,2% : « Cela correspondait à ce que je voyais sur le terrain. » Et l'évolution depuis n'a pas été flagrante.

En parallèle, les ligues d'e-sport, notamment féminines, sont de plus en plus visibles. L'année dernière, fin octobre, un tournoi féminin League of Legends, le jeu e-sport le plus mondialement joué, a été organisé pour la première fois dans le pays, à la Paris Games Week, par l'Esports World Convention, la compétition mondiale du sport électronique.

Acte symbolique pour un événement d'envergure internationale qui donne un coup de projecteur aux femmes derrière les manettes. Puisque, dans ce jeu, elles sont loin d'atteindre la majorité. En 2012, selon son développeur Riot Games, sur 100 joueurs, moins de 10 personnes étaient des femmes.

Aurore, dite « Vaelstraz », âgée de 23 ans, est allée à Paris pour l'évènement. Et déception lorsqu'elle a voulu regarder le tournoi. « C'était dans un petit coin du salon. Il n'y avait pas d'écrans géants comme pour les hommes et nulle part où s'asseoir », regrette l'étudiante en agro-alimentaire, membre de l'équipe « We are victorious ! » sur League of Legends, auquel elle s'entraîne deux fois par semaine avec ses coéquipiers masculins.

Fortement médiatisées et peu considérées ? Les femmes restent l'appât des organisateurs dans le but de se faire de la « visibilité gratuite », considère Arnaud Rogerie, tête pensante du site In e-sport we trust, qui écrit actuellement un ouvrage avec Philippe Mora sur l'e-sport en France depuis ses débuts.

« C'est un peu de l'opportunisme. Malheureusement, c'est ce qui se passe depuis longtemps avec le marketing. Les filles, c'est plus vendeur », estime-t-il. Les médias s'y intéressent plus facilement. Les sponsors également.

ÉDUCATION STÉRÉOTYPÉE

À cause de cette mise en avant, pour certain-e-s, être une fille leur semble être clairement un avantage dans l'e-sport. Cette remarque revient souvent dans les critiques adressées aux joueuses. Marion, alias « Michi », 27 ans, l'a vécu lorsqu'elle a joué pendant un an et demi dans une team féminine League of Legends sponsorisée par la structure Imaginary Gaming. D'après elle, c'est l'insulte facile, celle qui ne nécessite aucune réflexion argumentée :

« Ils peuvent dire quoi sinon ? Il y a énormément de jalousie autant de la part de garçons que de filles puisque tu as des aides financières pour les évènements, le matériel. Et on était une équipe qui tenait la route ! »

Être sponsorisée est une chance, d'après elle, et qu'importe si c'est lié au genre : « Il faut profiter de son aventure. Je me débrouille comme je peux. » Le sociologue Philippe Mora y voit également une opportunité à saisir pour les gameuses d'enfin pouvoir sortir de l'ombre : « Il y a plein de joueuses qu'on ne verra jamais, elles vont se fondre dans la masse et ne pas chercher à se montrer alors qu'il y a tellement de potentialité et de sponsoring pour elles ».

Or faut-il faire des femmes une exception ? A priori, les joueuses devraient être des joueurs comme les autres. S'il existe un domaine où les femmes n'ont pas à se préoccuper de leurs capacités physiques, c'est bel et bien dans les jeux vidéo. Rien ne nécessite une force particulière pour appuyer sur des manettes ou des claviers. L'association parisienne Pink Ward, qui promeut la mixité dans les jeux vidéo depuis 2012, défend cette idée semblant aller de soi.

Et pourtant, certaines réactions sont loin d'être bienveillantes. « Quand tu es une fille dans une équipe de mecs, tu dois démontrer que tu sais mieux faire. Psychologiquement, je sais personnellement que c'est difficile », atteste Julie Gaascht, dont le pseudo est « Nama », gameuse et nouvelle présidente de l'association depuis six mois.

À bien y regarder, une seule différence sépare les hommes des femmes. Elle se joue au niveau de l'éducation. Aucune ne semble autant investie que leurs homologues masculins. Et ce problème remonte à l'enfance où les stéréotypes de genre sont déterminants.

Dans l'inconscient, la fille doit être calme et jolie. Si elle s'intéresse aux jeux vidéo, c'est aux Sims, pour s'occuper du foyer, dans l'optique de créer une famille. Les garçons, eux, seront orientés vers les jeux de combat. Les conséquences se retrouvent à l'adolescence où elles auront moins l'esprit de compétition et seront moins persévérantes.

PROMOUVOIR OU EFFACER SON GENRE

Les gameuses partent avec un double handicap puisqu'elles découvrent ce loisir sur le tard. « Je me suis mise à League of Legends en 2013, trois ans après sa sortie. C'est mon ex qui m'a fait connaître ce jeu », explique Floriane, 21 ans, qui a commencé à s'y intéresser car son copain se passionnait pour World of Warcraft et cela « l'agaçait ».

À force d'y jouer, l’étudiante en sociologie et en administration économique et sociale (AES) à l’université Rennes 2 est rapidement devenue « accro » à son tour.

Ces nombreuses années d'entraînement à rattraper peuvent expliquer le moins bon niveau des joueuses par rapport aux hommes. Pour cette raison, elles ne finissent pas dans les championnats de haut niveau. Or, les compétitions sont de base ouvertes à tou-te-s. Mais dans les faits, le nombre de femmes se compte sur les doigts d'une main. Julie de Pink Ward réplique que pour « 100 garçons très bons, il y a seulement 10 filles et les garçons vont forcément être meilleurs ».

Les joueuses vont passer à la trappe et donc rester aux niveaux intermédiaires. Alors, comment faire ? L'association Pink Ward se montre favorable aux tournois féminins afin de briser ce cercle vicieux :

« Cela permet aux filles de sortir de leur coquille, de se montrer et d'évoluer ensemble. »

Un coup de pouce pour atteindre un niveau égal aux hommes et les rejoindre ensuite sur les tournois.

Cependant, toutes les joueuses rencontrées ne souhaitent surtout pas faire de leur genre une carte de visite. Elles préfèrent se fondre dans la masse, ou même refusent de se définir comme une femme qui joue. Contactée par YEGG, Julie Sérisé, présidente de l'InsaLan, événement d'e-sport qui a accueilli sur le campus de Beaulieu plus de 400 joueurs lors de sa 11e édition en février dernier, a refusé de nous rencontrer pour cette raison.

Dans un mail, elle nous explique pourquoi. « J'aimerais que l'on me voie au-delà de mon sexe, et plus comme une exception ou une minorité. Qu'on me demande d'aller représenter mon école auprès de lycéens et plus de lycéennes  parce que j'ai un parcours intéressant ou parce que j'ai un parcours associatif et pas à cause de mon sexe », écrit-elle.

Le sujet est sensible. Dans cet univers où tous les codes sont masculins par défaut, le rejet du féminin est courant. « Je n'ai pas un avis représentatif puisque je suis un garçon manqué », fait remarquer Aurore, avant le début de l'entretien. Floriane explique, elle, qu'elle n'est « pas très fille de base ».

Comprendre : dans son cercle d'amis gameurs, il n'y a aucune personne de la gent féminine. Ce processus d'intériorisation est normal, analyse la présidente de Pink Ward : « Quand on ne traîne qu'avec des garçons, on essaie de s'intégrer au groupe en ayant la même façon de se comporter qu'eux, en rabaissant tout ce qui touche aux femmes. »

Aucune ne considère avoir été mal accueillie à cause de son genre dans ces évènements. Les remarques – comme, par exemple, « Tu joues bien pour une fille ! » - et les comportements déplacés qu'elles ont parfois subis ne seraient pas du tout représentatifs des communautés dans lesquelles elles évoluent, d'après les joueuses rencontrées.

NOUVEL ENJEU, LE CÔTÉ FESTIF

Le jeu, même dans un contexte de compétition, reste une sphère conviviale où l’on retrouve des amis et on s’amuse. Marianne ne conçoit pas le jeu vidéo comme une activité solitaire, chez elle :

« On croit souvent que quand on joue, on est tout seul chez soi mais moi, c'est tout l'inverse : j'ai rencontré plein de gens grâce à cela ! »

Et son intérêt pour les jeux vidéo s’est intensifié grâce à une rencontre, lors du festival vidéo-ludique Stunfest en 2009. Elle découvre Pop'n music, un jeu d'arcade rythmique qui se joue avec des boutons. Nicolas, un bénévole de l'association rennaise organisatrice, 3 Hit Combo, lui montre pendant une heure comment y jouer.

L'atmosphère décontractée lui plaît. La jeune femme de 24 ans décide alors de devenir bénévole. Depuis, elle fait partie du conseil d'administration et passe souvent « voir les copains » aux évènements, même lorsqu'elle n'a pas forcément le temps de jouer.

Consacrée uniquement aux jeux d'arcades et aux consoles, l'association créée à Rennes en 2005 représente le virage que prend l'e-sport depuis quelques années. « La discipline a vraiment un enjeu à s'orienter vers le côté festif et culturel comme le fait 3 Hit Combo », affirme Philippe Mora.

Une fois par mois, des rencontres de sport électronique, les « Rankings battles », sont organisées à la maison de quartier La Touche. Les inscrits s'affrontent tout un après-midi dans plusieurs jeux comme Street Fighter, Soulcalibur, Tekken ou Mario Kart 8.

En soi, tout jeu qui nécessite un dépassement de soi ou classe la performance des joueurs, fait partie de l'e-sport. Un argument difficile à entendre pour les personnes qui ne voient que par les jeux sur ordinateur MOBA et FPS, dominant largement la scène e-sportive actuelle. Ce phénomène se voit pourtant à l'échelle internationale.

Super Smash Bros Melee, qui réunit tout l'univers de Nintendo de Mario Kart à Pokémon dans un seul jeu sur la console GameCube, a été rajouté en 2013 aux compétitions e-sport Evolution Championship Series (EVO). Ces jeux sont facilement accessibles et s'adressent à un public plus large, notamment les femmes. Et l'industrie de l'e-sport se développera encore plus si les jeux créés ne privilégient pas uniquement les combats à l'intrigue.

Marie Moreau, étudiante à la France Business School, l'a remarqué en réalisant une étude en 2013 pour son mémoire, « Gameuses et jeux on line, un nouveau marché ? ». Sur les 293 réponses à son questionnaire, elle a calculé que 53% des femmes interrogées aimaient la compétition mais y jouaient, pour la plupart, occasionnellement. Elles recherchent autre chose, un scénario, un univers particulier.

Dans ses recommandations finales, la jeune femme insiste sur un point auprès des développeurs de jeu : la représentation féminine des personnages. « (…) les femmes ne veulent pas leur propre jeu vidéo réservé que pour elles. Elles désirent être complètement intégrées dans l'univers du jeu vidéo existant. Pour cela il suffit d'adapter certaines règles des jeux comme des scénarios variés et bien construits ou encore la possibilité de choisir un personnage féminin qui représentera la joueuse », développe l'étudiante en commerce.

Cet aspect est essentiel. Petite, l'une des seules joueuses semi-professionnelles féminines d'e-sport en France, Kayane, s'identifiait très fortement aux personnages qu'elle choisissait lors des compétitions. Son pseudo vient d'ailleurs de la contraction de Kasumi et Ayane, ses deux figures préférées de l'époque.

Celle qui est devenue à 9 ans vice-championne du jeu de combat Dead or Alive le raconte dans son livre Kayane : parcours d'une e-combattante, paru le 7 avril dernier. L'ambassadrice d'Acer et première « athlète électronique » de Redbull retrace tout son parcours semé d'embûches dans un milieu qui a bien changé depuis 15 ans. Et pour celles qui souhaitent se lancer dans l'aventure, l'e-joueuse de 24 ans ne leur donne qu'un seul conseil : « Ne te laisse pas arrêter par les idées reçues. Fonce ! »

(1) Cette structure n'existe plus depuis juillet 2015.

(2) « MOBA » désigne les arènes de bataille en ligne multi-joueurs et « First Play Shooter », les jeux de tir à la première personne.

(3) En 2015, les jeux sur ordinateur dominaient largement la scène e-sportive : Dota 2, League of Legends, Counter-Strike, SMITE et Call Of Duty : Advanced Warfare. (Source : SuperData : Playable media & games market research, 2015-2016)

 

Joueuse et femme trans, Selene Tonon sait de quoi elle parle lorsqu'il s'agit des problématiques d'identité de genre dans les jeux vidéos. Le 21 mai, la vice-présidente du Centre gay lesbien bi et trans (CGLBT) de Rennes participera à la table-ronde « Les visages du patriarcat : les jeux font-ils mieux que les autres arts et médias ? », lors du festival vidéo-ludique Stunfest, organisé par l'association 3 Hit Combo.

YEGG : Les jeux vidéos mettent en général en avant uniquement deux genres, l'homme et la femme ainsi qu'une seule sexualité, l'hétérosexualité. Comment se positionner en tant que joueur-se LGBT face à cela ?

Selene Tonon : Il n'existe pas de recette miracle, chaque personne a sa stratégie de survie. Quand on allume un jeu vidéo, il est demandé à chaque fois le genre ou le sexe. De base, nous ne sommes ni respecté-e-s ni considéré-e-s. Une des solutions est d'en choisir un par défaut.

Si la question n'est pas posée, nous pouvons inventer une histoire qui nous arrange pour coller à son ressenti. C'est ce que j'ai fait petite quand je jouais à Final Fantasy VII, avec le personnage principal Cloud. Il se travestissait en tant que femme pour tromper l'ennemi. Je me suis raccrochée à ça. D'autres se rabattent sur Mass Effect ou Dragon Age, où l'orientation sexuelle et l'identité de genre ne sont pas un problème.

Le jeu vidéo a-t-il été un refuge pour vous ?

Oui clairement, avec les jeux de rôles. Ils ont été un palliatif pendant de nombreuses années. Je me suis créée une vie virtuelle où je pouvais être qui j'étais alors qu'au quotidien, ce n'était pas envisageable. Je me suis convaincue que puisque j'étais née avec un tel corps, cela voulait dire que j'étais un petit garçon. Au final, je me suis rendue compte que je pouvais me définir comme je voulais et l'imposer aux autres.

Dans quel sens ont évolué les problématiques LGBT ?

Le jeu vidéo gagne en maturité et donc s'empare de questions politiques. Le genre et les sexualités en font partie. Avant les années 90, personne ne se préoccupait de la transidentité ou de l'orientation sexuelle. Quand c'était le cas, ces dernières étaient tournées en dérision dans les scénarios.

Pendant une période, être trans ou homosexuel était une caractéristique supplémentaire pour montrer la méchanceté. Depuis les années 2000, soit toutes les intolérances qui existent sont montrées : les personnages souffrent et la quête du héros cis* et hétérosexuel est de les aider. Soit tout le monde vit dans un monde dans lequel les discriminations n'existent pas. Beaucoup de travail reste à faire sur les personnages trans.

Est-ce qu'en dehors d'un milieu d'initiés, cela touche le grand public ?

Une cristallisation se forme très rapidement dès que ces problématiques sont abordées de la part d'une certaine catégorie de joueurs, issus des milieux réactionnaires et anti-féministes. Dernier exemple en date : l'extension d’un jeu médiéval fantastique Baldur's Gate, sortie en mars dernier, dans lequel un nouveau personnage se révèle être trans.

Juste à cause de cela, les créateurs du jeu, les studios Beamdog, ont été harcelés en ligne. Les menaces se sont en particulier adressées à la développeuse Amber Scott qui a conçu Mizhena.

Accusé de tous les maux, le jeu vidéo rend-il vraiment sexiste, homophobe ou transphobe ?

Individuellement non. Ce n'est pas possible puisque tout le monde l'est déjà par défaut. Nous baignons dans un environnement sexiste, que ce soit à travers les films, les livres, les bande-dessinées et donc les jeux vidéos. Or ceux qui remettent en cause cet ordre établi, ces normes, ça, c'est un signe de progrès ! Et les réactionnaires ont peur de remettre en question les idées reçues.

Les concepteurs et développeurs de jeux vidéos sont en général des hommes. Est-ce qu'inclure plus de personnes LGBT permettrait une meilleure représentation des personnages ?

C'est une évidence. Pour en connaître personnellement, ils admettent être incapables de se mettre à la place de personnes qui ont une identité de genre ou une sexualité différentes de la leur. Et là je parle de ceux qui sont intéressés par le sujet, une minorité. Je ne dis pas qu'il faut que tous les développeurs hommes arrêtent de créer. Ce qui est souhaitable par contre, c'est de permettre à d'autres de le faire à leur tour. Un enjeu énorme se joue en terme de créativité.

Les critiques réactionnaires reprochent aux féministes de brider l'imagination et d'imposer une pensée unique. Mais tous les jeux se ressemblent déjà et sont adressés au même public, avec les mêmes esthétiques et les mêmes normes ! Dans la plupart des jeux vidéos, les personnages masculins sont bruns, la trentaine, assez musclés et mal rasés. Ce « soi » sublimé s'adresse spécifiquement aux hommes.

Et les femmes ?

Les femmes, très souvent, sont présentées pour attirer leur attention. Alors qu'on gagnerait à avoir plus que deux types de modèles. De bonnes représentations commencent à apparaître et pas uniquement dans les jeux. Cela va créer un cercle vertueux. Les personnes s'acceptent de plus en plus tôt comme elles sont, que ce soit pour leur identité de genre ou orientation sexuelle. Les séries télé, par exemple, commencent à s'y mettre.

Sense 8 met en scène des personnes trans, ce qui peut sûrement donner envie de commencer une transition car la représentation permet de se sentir valides et légitimes d'exister. Et non de voir comme seule solution le suicide. Notre génération est plus sensibilisée à ces questions-là et dans dix, vingt ans, elle va à son tour se mettre à créer. Bientôt, nous serons dans une société qui acceptera plus facilement les autres et leurs différences. Et cela se ressentira dans notre culture toute entière.

 

* Cisgenre : personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance, à la différence d'une personne transgenre.

 

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E-sport : le jeu avant le genre
Les femmes, des joueurs comme les autres
Encadrement juridique de l'E-sport
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Changer les mentalités grâce aux jeux vidéo

Célian Ramis

Sous tes doigts : "On n'aborde rarement les guerres du point de vue des femmes"

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De passage à Rennes, la réalisatrice Marie-Christine Courtès aborde la condition des femmes ayant fui le Vietnam, en 1956, et la question de l’héritage transmis aux générations futures.
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Une semaine avant la journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » en Indochine, célébrée le 8 juin dernier, Marie-Christine Courtès, scénariste et réalisatrice, était de passage à Rennes pour présenter Sous tes doigts, son premier court métrage d’animation au festival Courts en Betton. L’occasion d’aborder la condition des femmes ayant fui le Vietnam, en 1956, et la question de l’héritage transmis aux générations futures.

Ce premier court métrage était dans les tuyaux depuis plusieurs années. Quand Marie-Christine Courtès rencontre Jean-François Le Corre, producteur pour la société rennaise Vivement lundi !, ce dernier lui demande d’écrire un scénario destiné à l’animation, domaine qu’elle n’a encore jamais expérimenté. Et qui la mènera aux César, Sous tes doigts ayant été nominé cette année dans la catégorie Meilleur film d’animation (court métrage).

En une dizaine de minutes, la réalisatrice nous propose un docu-fiction animé onirique et poétique, dans lequel les non-dits se brisent sans un mot. L’histoire de trois femmes héritières d’une transmission douloureuse.

Ainsi, Sophie, à la mort de sa grand-mère, découvre-t-elle ce que celle-ci a vécu en Indochine, délaissée, enceinte, par un colon français, puis rapatriée en France en 1956 et placée dans le camp de Saint-Livrade dans le Lot-et-Garonne.

Pour comprendre ce qui a motivé Marie-Christine Courtès à aborder ce sujet, il convient de présenter rapidement son parcours. En sortant diplômée du Centre de Formation des Journalistes, elle devient JRI (journaliste reporter d’images) et travaille notamment dans différentes villes bretonnes, entre Brest, Rennes, Saint-Brieuc ou encore Lorient. Avant d’exercer son métier en Asie du sud-est, où elle sera entre autre correspondante pour une agence américaine.

Toutefois, elle quitte la profession : « Pour moi, c’était uniquement du magazine, ce n’était pas du journalisme que je faisais ! » C’est une amie vietnamienne qui lui parle pour la première fois du camp de Saint-Livrade, un des camps d’accueil des français d’Indochine, ouvert aux 1 160 réfugié-e-s arrivés dans l’Hexagone.

En effet, en 1954, après la défaite de Diên Biên Phu, les accords de Genève et le retrait des troupes françaises du nord du Vietnam marquent l’engagement de l’État français de prendre en charge les couples mixtes et les veuves de Français qui fuient la guerre et le communisme.

Leur hébergement se veut provisoire. Mais 50 ans plus tard, ils et elles sont toujours là, dans ce camp, oublié-e-s de tou-te-s. D’où le titre du premier documentaire de Marie-Christine Courtès, co-réalisée avec son amie My-Linh Nguyen, Le camp des oubliés, qui sera diffusé en 2004 sur France 3. « C’est incroyable, j’ai grandi à côté et je n’en avais jamais entendu parler. », explique-t-elle.

POINTER L'INDICIBLE

Cette réflexion va nourrir l’ensemble des contenus qu’elle va produire par la suite puisqu’en 2012, quelques années après avoir intégré une formation de scénariste à la Fémis, elle réalise Mille jours à Saigon (produit par Vivement lundi !). En cherchant un dessinateur pour les personnages et décors de Sous tes doigts - qu’elle commence à écrire en 2009 - elle pense à Marcelino Truong qui évoque son roman graphique qu’il bâti sur son père, traducteur du président vietnamien Ngo Dinh Diem, et la guerre civile qui opposa le Nord et le Sud du pays après le départ des français.

Son court-métrage sonne alors comme une continuité de son voyage à travers l’Histoire contemporaine qui lie le Vietnam à la France. Parler des femmes apparaît comme une évidence pour elle, qui constate qu’au camp de Saint-Livrade, ce sont surtout des femmes et des enfants qui ont résidé dans ces bâtisses :

« Le dessin de ces femmes s’est imposé, il permettait d’appuyer là où ça fait mal. Car on n’évoquait pas le fait que les hommes français les ont oubliées, puis que les pouvoirs publics les ont abandonnées. »

BRISER LES TABOUS

Tout comme elle a côtoyé les trois générations installées dans le camp, la réalisatrice les illustre dans un scénario et une mise en scène léchée et poignante, accompagnée de la dessinatrice Ludivine Berthouloux (Marcelino Truong ayant réalisé également quelques dessins). L’occasion de dire et de questionner tout ce qu’elle n’aurait osé demandé frontalement à celles qui peuplent ou ont peuplé Saint-Livrade.

Sophie est une adolescente, repliée sur elle-même, en prise à la colère identitaire qui se fait sentir depuis plusieurs décennies dans les banlieues françaises. « Il y a aujourd’hui des jeunes issu-e-s de la 4e génération qui se disent vietnamiens, pas français, alors qu’ils ne connaissent rien du Vietnam. C’est révélateur ! », souligne Marie-Christine.

La communication avec sa mère semble rompue et le rejet de la tradition, une manière d’exprimer une personnalité perdue, brisée par le tabou. Comme si elle endossait, sans le savoir, le poids de son passé. Un thème qui fascine l’ex-journaliste : « On a tous un héritage plus ou moins douloureux. Comment le reçoit-on et qu’en fait-on ? » En découvrant l’histoire de sa mère et de sa grand-mère, Sophie va faire corps avec son aïeule et renouer avec la danse traditionnelle qu’elle influence de son vécu personnel.

Les silhouettes s’entremêlent dans une chorégraphie émouvante et virevoltante. L’esthétique rencontre le propos au service d’un message qui transparait avec une grande beauté et une intensité telle qu’elle nous reste en mémoire et nous enveloppe de sa violente douceur.

HISTOIRE D’UN TROU DE MÉMOIRE

Sous tes doigts brise bien des tabous. Avec ce court-métrage, Marie-Christine Courtès ne met pas seulement l’histoire de ces femmes sur le tapis. Elle met en relief le silence qui perdure aujourd’hui en France autour de la guerre d’Indochine et des années qui ont suivi. Et quand on rapproche ce tabou de celui des harkis, elle nous répond subitement : « Un camp de harkis se trouvait à 2 kms du camp de Saint-Livrade ! Tout comme pour les harkis, la France n’a pas assuré l’accompagnement et l’intégration des rapatrié-e-s. »

Et le cinéma n’a pas saisi la thématique pour la mettre sur le devant de la scène. Ce que souligne Delphine Robic-Diaz, auteure de La guerre d’Indochine dans le cinéma français. Images d’un trou de mémoire publié en 2015 aux Presses Universitaires Rennaises, dans la jaquette du DVD qui réunit Sous tes doigts et Son Indochine de Bruno Collet (deux productions Vivement lundi !) :

« La guerre d’Indochine hante le cinéma français depuis plus d’un demi-siècle. Jamais complètement abordée, elle ne bénéficie pour autant que très rarement d’un réel traitement à l’écran. »

Tout comme « on n’aborde rarement les guerres du point de vue des femmes », selon Marie-Christine Courtès. Et l’histoire de la grand-mère, séduite par un colon français, résonne dans l’Histoire et l’actualité, les femmes étant trop souvent des victimes de l’occupation militaire, peu importe les territoires en guerre.

Multi-primé depuis sa diffusion en festivals en 2015, le court-métrage poursuit son chemin cette année, en route pour le Cartoon d’or, prix visant à récompenser le meilleur court d’animation européen. En parallèle, la réalisatrice travaille à un futur projet qui pourrait la faire renouer avec son passé de journaliste, sans la ramener à son premier métier. « Je ne veux plus faire ça, mais les journalistes en tant que personnages me fascinent. », conclut-elle, avant de retrouver son producteur pour une journée de travail.

Célian Ramis

Planning Familial, un rôle essentiel en péril

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Réunissant hommes et femmes depuis 60 ans, bien décidés à faire changer les lois et les mentalités pour l'avortement et l'émancipation sexuelle, l'actualité du Planning Familial reste aujourd'hui, empreinte de doutes.
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L'année 2016 marque l'anniversaire de la création du Planning Familial en France, fondé en 1960 sous le nom complet de « Mouvement Français pour le Planning Familial ». Cinq ans plus tard, le Planning Familial 35 verra à son tour le jour. Réunissant hommes et femmes, bien décidés à faire changer les lois et les mentalités pour l'avortement et l'émancipation sexuelle, l'actualité du Planning Familial reste aujourd'hui, empreinte de doutes.

Sont mises à l'honneur pour cet anniversaire, trois grandes figures féminines, combattantes et militantes du siècle dernier, en faveur des droits des femmes : Simone Veil, Simone de Beauvoir et Simone Iff (1). Désormais, à l'heure où Internet et les réseaux sociaux remplacent les outils de communication et de diffusion de l'information, l'avenir du Planning Familial (PF) laisse amèrement à désirer.

En effet, ces 60 ans qui sonnent comme l'heure du bilan, mettent en lumière non seulement les victoires de cette association, mais également les menaces à venir. Menaces qui se renforcent en raison d'un contexte social, politique mais aussi économique qui favorise le repli identitaire sur des valeurs traditionnelles, qui ont représenté dans les années 70 notamment, des obstacles majeurs aux luttes menées par le Planning Familial.

Lieu d'écoute et de prévention, féministe et protagoniste de l'éducation sexuelle auprès de toutes les populations, le Planning Familial défend depuis ses débuts mouvementés, le droit à la contraception, à l'Interruption Volontaire de Grossesse (IVG), ainsi que l'égalité des sexes. Cependant, ses valeurs ne sont guère partagées par les politiques en pleine ascension, tel que le Front National qui, à la suite de son programme de suppressions de subventions versées à des associations comme le PF, a bien failli réussir à remporter les élections régionales en décembre 2015.

Ces versements financiers, précieux pour la bonne continuation de l'association, restent toutefois précaires au fil des années, certaines étant obligés de mettre la clé sous la porte, à l’instar de celle de Toulon, qui a fermé ses portes en septembre 2015 (sachant que l'avenir de celui de Toulouse et de Bayonne sont depuis janvier 2016 encore en suspens).

Et ce, en toute discrétion, sans que les médias n'en touchent un mot. Cette discrétion caractérise aussi la suppression du Pass Contraception (2) en avril 2016, au conseil régional d'Ile de France présidé par Valérie Pécresse, et montre bien que le combat pour la survie du PF est loin d'être terminé.

Pour le PF 35, créé le 12 octobre 1965, de nombreuses questions se posent. En particulier, sur les combats à initier et à protéger, mais aussi comment faire face à ces menaces à venir, notamment à un an des élections présidentielles de 2017.

Accueillant en grande majorité des personnes âgées de moins de 30 ans (95% du public selon Élisa Quémeneur, directrice du Planning Familial, à Rennes), la place du PF dans le langage courant est toutefois malgré les apparences, relativement importante : « ce qui représente un point positif malgré le fait que beaucoup confondent Planning Familial et Centre de Planification », selon la directrice.

«Le fait qu'on soit une association indépendante, nous permet d'être plus libres malgré notre budget, et nous pouvons monter des projets. Le tout est d'être innovant en permanence, de remettre en cause nos pratiques et de s'améliorer. Mais cela demande beaucoup d'énergie, de temps et aussi d'argent » constate cette dernière. Des innovations qui passent par le principe de l'égalité des sexes, credo de l'association.

Contraception masculine en avant

Pour citer un exemple concret : Aborder une question encore relativement taboue en France, celle de la contraception masculine. Cette démarche, que l'on pense trop souvent réservée aux femmes, peut aussi être accessible aux hommes, et ce depuis quelques années déjà (3). Trois moyens de contraceptions existent à ce jour, la méthode hormonale, thermique et la plus radicale, la vasectomie.

Peu abordée dans les médias, la contraception masculine est prescrite seulement par deux médecins en France (Toulouse et Paris), et ne représente que très peu d'adhérents à ces pratiques, faute de communication, et pour des raisons de notoriété sociale, sur la virilité de l'homme remise en question.

L'association ARDECOM, Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine, fondée dans la mouvance des années 70, prône l'accès à la contraception des hommes depuis ses débuts, réfutant le rôle de l'homme imposé par une société patriarcale, qui affirme encore subtilement de nos jours, sa mission de « mâle reproducteur ».

Cette question qui pourrait être perçue comme futuriste, s'inscrit dans l'air du temps. En effet, le PF 35 débute depuis l'année dernière, une collaboration avec ARDECOM pour rendre visible cette contraception masculine. Et comme le confirme par la suite Élisa Quémeneur, « ce projet répondrait à une véritable demande, car il y a aussi des hommes qui viennent se renseigner auprès du Planning Familial, et qui souhaitent  s'investir pleinement dans leur relation ».

Une conférence, intitulée "Contraception : où (en) sont les hommes ?", a d'ailleurs été organisée dans le cadre de la journée internationale pour les droits des femmes à Rennes, le 11 mars dernier sur le thème de la contraception masculine (4).

L'IVG, un droit encore tabou en France

Autre combat qui nourrit les débats depuis son apparition dans les textes de lois à partir de  1975, le droit à l'IVG divise toujours la société française. Mais aussi l'Europe, comme en Espagne ou en Pologne, où ce droit est remis en question et connaît de nombreuses restrictions morales et éthiques.

En France, bien que défendu par la ministre de la Santé de l’époque, Simone Veil, le but de la manœuvre était de limiter le nombre croissant d'avortements clandestins, source patente de mortalité chez les femmes, et de permettre à certaines d'entre elles, en situation précaire et dites « désespérées », d'interrompre volontairement une grossesse par le biais du corps médical.

Aujourd'hui ce droit, s'étant démocratisé et étant perçu comme une liberté à disposer librement de son corps et de son choix de devenir oui ou non mère, n'évolue guère au niveau des débats. En effet, les arguments aussi bien du côté pro-vie que pro-IVG, ne changent pas de position et stagnent le débat dans un perpétuel dialogue de sourds, comme l'a prouvé le débat de l’émission Droit de suite, IVG: un combat sans fin ? diffusé sur LCP le 8 mars 2016.

La violence de certaines réactions du bastion catholique se manifeste par ailleurs par une infiltration perverse et manipulatrice via les réseaux sociaux, nourrissant un discours où se mêlent culpabilité et mépris, visant les femmes de tout âge et de toute catégorie sociale souhaitant avorter. Les moyens financiers et l'excellente maîtrise informatique dont disposent certains groupuscules religieux pour éviter les IVG, remettent en cause les propres moyens financiers et de communication du Planning Familial.

Ce dernier doit alors se frotter à un ennemi de longue date, le département d'Ille-et-Vilaine étant principalement dans les années 70-80, la poudrière catholique par excellence, comme le raconte le livre Les femmes s'en vont en lutte ! Histoire et mémoire du féminisme à Rennes (1965-1985) de Patricia Godard et Lydie Porée (présidente du Planning Familial 35), initiatrices de l'association Histoire du féminisme à Rennes en 2012.  Malgré tout, le Planning Familial reçoit chaque jour de nombreuses femmes venant pratiquer une interruption de grossesse, loin de tout jugement.

Ce recours à l'IVG étant stable depuis plusieurs années (environ 200 000 IVG par an sont pratiqués en France selon l'INED – Institut National d'Études Démographiques), il n'est toutefois pas encore totalement intégré dans les mentalités comme une intervention chirurgicale classique et demande encore, du temps et de l'argent pour faire déculpabiliser les femmes ayant eu recours à ce type d'opération.

«  L'IVG est un droit où l'on défend le choix de continuer ou non une grossesse qui démarre, rappelle Élisa Quémeneur, mais certains médecins militants des années 70 prennent leur retraite. L'avenir de cette pratique est donc mise en veille car on ne sait pas comment elle va être reprise par la nouvelle génération ».

Continuer le combat

Un droit encore menacé par ces débats d'éthique, où un film est d'ailleurs mis à l'honneur dans ce combat, Quand je veux, si je veux, réalisé par Susana Arbizu, Henri Belin, Nicolas Drouet et Mickaël Foucault, militants-es engagés pour l'avortement. Une soirée de soutien et de présentation du film, actuellement encore en tournage, s'est déroulée à l'Institut Pasteur le jeudi 26 mai 2016 à Rennes, avec la présence du Planning Familial 35 et de l'Histoire du Féminisme à Rennes.

Un film basé sur des témoignages de femmes aux parcours et aux âges différents, qui assument leur liberté et le fait de ne pas avoir été traumatisées par leur acte, le considérant comme naturel, basé uniquement sur leur propre choix et non, par l'image traumatique souvent présente dans l'esprit des gens et dictée par la société. Le but du film et de ses témoignages étant de démocratiser ce droit par la parole et de préconiser une campagne de déculpabilisation.

L'année 2016 se révèle donc riche en défis pour faire survivre ce mouvement. Mais les changements passent aussi par les populations, notamment les professionnels et leurs formations, qui méritent d'être revisitées.

Comme le dit si bien Élisa Quémeneur, le but n'est pas « d'inverser la balance. On parle beaucoup d'égalité mais on ne travaille pas sur les origines du mal qui régissent la société. Le rapport social est inégalitaire, et ça fait 2000 ans que le rapport de domination de l'Homme existe. On est encore loin d'être dans une parfaite égalité. Pour moi, on y est pas du tout ».

Malgré le pessimisme de ce discours, Élisa Quémeneur tient toutefois à souligner les réelles avancées qui sont relatées en ce moment dans les médias, sur le harcèlement de rue et les dénonciations faites dans le milieu politique sur le harcèlement sexuel. « On dénonce, donc on avance », comme le dit si bien la jeune femme.

Un bilan lourd en conséquences, lorsque l'on sait que pour l'heure, le constat sur les violences faites aux femmes, qu'elles soient d'ordre physiques, sexuelles ou psychologiques, reste encore à travailler. Le chemin pour le respect et l'égalité est encore long.

 

(1) Militante féministe, elle a défendu le droit à l'avortement, instigatrice du Manifeste Les 343 salopes, ainsi que première présidente du Mouvement Français du Planning Familial de 1973 à 1981.

(2) Imaginé par Ségolène Royal en 2010, le Pass Contraception est présenté sous la forme d'un chéquier, accessible pour les 14-25 ans, filles et garçons permettant grâce à un système de coupons, d'avoir un accès gratuit et anonyme à des consultations médicales, des dépistages IST et à des moyens de contraception pour une durée moyenne d'un an. Le Pass Contraception est géré par les conseils généraux et n'est pas présent dans toutes les régions, dont la Bretagne.

(3) Lire l'article La contraception ne se conjugue pas qu'au féminin !, publié le 26 avril 2016 sur le site d'Alter1fo.

(4) Lire l'article Contraception masculine, ça existe !, publié le 26 mars 2016 sur le site de Breizh Femmes.

Célian Ramis

Mythos 2016 : Tendre vers le sublime avec Mansfield.TYA

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Festival Mythos, Rennes
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Des contrastes francs, un sentiment d’ulcération, une musique électro baroque… Le 19 avril, les artistes nantaises de Mansfield.TYA ont dévoilé un concert poignant et viscéral, dans le parc du Thabor.
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Des contrastes francs, un sentiment d’ulcération, une musique électro baroque… Mardi 19 avril, à l’occasion du festival Mythos, les artistes nantaises de Mansfield.TYA ont dévoilé un concert poignant et viscéral, dans le parc du Thabor, à Rennes.

Duo basé sur la voix et le violon, Mansfield.TYA conte la rage au ventre les humeurs profondes et les tourments de l’existence. Avec franchise et poésie. A cappella, toutes les deux, elles chantent : « Seulement voilà je me fais chier / La vie est triste sans bourreaux / (…) Dans le monde du silence, je m’emmerde. » Et nous, on est ravi-e-s qu’elles brisent le silence et qu’elles l’ouvrent.

Dès la première chanson, introduite par une partie instrumentale qui unit le violon à une puissante électro anxiogène, les deux artistes donnent le ton. Ce qui se traduit par une grosse claque dans la gueule.

Les notes aigues de l’instrument à cordes, joué par Carla Pallone, mêlées à la voix singulière de Julia Lanoë, parfois amplifiée, et juxtaposées aux boucles musicales, traduisent un sentiment d’urgence, d’ulcération. Un besoin de sublimer l’indicible, d’exprimer l’ineffable et de le transposer dans un langage qui leur est propre.

Le grain de folie qui les nourrit a poussé en une dizaine d’années et continue d’être cultivé. Par une forme de désillusions, de désespoir, de mélancolie, de blessures. Mais aussi de joie, de désir de fuir, de craintes, de constats, d’espoir, etc. Et tout cela a été cristallisé sur des disques et notamment leur dernier album, Corpo inferno.

Sur scène, elles voguent entre les émotions brutes, les balades hypnotiques et les atmosphères apocalyptiques, passant des unes aux autres de manière totalement assumée, un brin facétieuse et jouissive, sans toutefois malmener le public qui se laisse bringuebaler les yeux fermés, démontrant une complète confiance en le talent des deux musiciennes emprises de liberté et poussées par une fraicheur rock à couper le souffle.

Adeptes des musiques minimalistes, elles ouvrent leur art à ce qui existe de plus noir, de plus beau comme de plus fragile. L’être humain dans toutes ses complexités, ses paradoxes et ses failles, le rapport à l’autre, à l’espace et au temps.

Et au-delà de l’écriture onirique et franche d’écorchée vive de Julia Lanoë mise en perspective et valorisée par les compositions musicales et les arrangements live, elles laissent transparaitre entre elles des regards profonds qui dénotent une complicité véritablement émouvante et puissante. Et imposent une présence scénique magnifique.

De cette synergie jaillit une déferlante d’énergie rebelle et transcendante. On pourrait craindre un arrière-goût de morosité et de dégoût d’un quotidien trop fade. Mais non, c’est tout le contraire. Mansfield.TYA dégaine sa musique acide, sans nuance et sans fausseté. Dans la retenue, néanmoins.

Ça donne envie de se lâcher, de se libérer, d’exploser. De se saisir de l’esprit clubbing instauré par la chanson « Jamais jamais », suivie de l’impétueuse et insaisissable « Bleu lagon », pour retourner à l’état sauvage avant l’apothéose du final qui monte en crescendo vers un univers post apocalyptique sur « La nuit tombe ».

Elles livrent bataille avec férocité, envie et plaisir, et partage avec le public leur victoire. Celle de sublimer l’horreur sans jamais transmettre une fausse émotion. Tout est dans les tripes et la poésie. La pureté.

 

Mansfield.TYA : « Les femmes sont sous-représentées »

YEGG : Être femme dans le secteur de la musique est difficile. Est-ce que vous avez déjà pâtit d’être un duo de femme ?

Julia Lanoë : On pâtit d’être qualifiées de duo féminin alors qu’on ne le préciserait pas pour des hommes.

Carla Pallone : C’est tellement rare qu’il faut le préciser…

J.L. : C’est très important que les petites jeunes se décident à arriver dans le secteur et osent. Car les femmes ont leur place. Faut les aider, les encourager.

C.P. : Pour notre premier concert, on nous a proposé un concert non mixte. Je ne suis pas à l’aise avec ça.

J.L. : La non mixité, ça fait un peu ghetto. Après, on comprend par exemple le festival Les femmes s’en mêlent. Les femmes sont sous-représentées. Si on prend les festivals de l’été et que l’on gomme les hommes, ils restent quoi ? Même pas 4 groupes… C’est vrai !

C.P. : Y en a marre des groupes de mecs qu’avec des mecs. Mais je n’ai pas envie de tomber dans des trucs très radicaux. On adore Les femmes s’en mêlent et en fait ce qu’il y a c’est que c’est triste que ce soit nécessaire encore aujourd’hui. C’est vrai que la création féminine n’est pas bien représentée. C’est très long de faire changer les mentalités. Par exemple, les femmes ne sont jamais productrices. Les hommes sont les super producteurs. Nous, on fait notre album toutes les deux, on dira jamais de nous qu’on est productrices. Un autre exemple : on a fait un album remix en faisant attention à mettre aussi bien des hommes que des femmes. Résultat : seuls les hommes sont cités, on ne nous parle que d’eux, aucune femme... (Elle s’adresse à Julia) Tu te souviens de l’Italie ? (Elle se tourne vers nous) On faisait une tournée en Italie. Julia parle bien anglais, moi italien. On était avec des potes qui eux ne parlaient que français. Et bien pour la technique, ils allaient voir nos potes. Ils ne nous parlaient pas !

YEGG : Est-ce que c’est un sujet qui vous inspire pour vos chansons ?

J.L. : Faut exister, faut qu’on existe. Mais on a envie de parler d’autres choses que de ça dans nos chansons.

YEGG : Entre deux albums, vous dites prendre le temps. Prendre le temps de vivre, de faire de la musique avec d’autres projets, de ne pas vivre au rythme de l’industrie musicale. Vous tenez à votre indépendance, vous êtes d’ailleurs dans un label indépendant, Vicious cercle. C’est encore possible aujourd’hui de prendre le temps et de ne pas correspondre au rythme de l’industrie de la musique ?

J.L. : C’est une autre forme de combat de prendre le temps. Pour le bien-être, c’est essentiel.

C.P. : Je dirais que c’est là une question d’honnêteté.

J.L. : On ne court pas derrière la célébrité ou l’argent. Y a plein d’autres choses dans la vie.

C.P. : On se donne le luxe du temps.

YEGG : Pour aborder votre nouvel album, Corpo Inferno, la pochette montre le visage de la déesse Hygie. L’album précédent, Nyx, faisait référence à la déesse de la nuit. Pourquoi cet attachement à des figures mystiques ?

J.L. : Parce que Dieu est une femme. Et en même temps, à mort Dieu. (Rires) Et vous avez vu, la femme est encore déesse du ménage et déesse de la nuit. La nuit, c’est moins bien vu que le jour. Faudrait regarder les fonctions des dieux et les fonctions des déesses. Nous on a encore une fois les fonctions nulles. Le ménage !

C.P. : C’est pas le ménage, c’est l’hygiène ! (Rires) Ça montre une certaine intemporalité dans nos albums et nos visuels en réalité.

YEGG : Concernant cet album, vous dites assumer de passer d’une chanson plus calme à une chanson plus violente, sans forcément fil conducteur. Pourquoi ce choix ?

C.P. : Pourquoi faudrait toujours se priver et se restreindre ? On est libres !

J.L. : On a fait ce qu’on aimait en fait.

YEGG : Qu’est-ce qui a évolué dans votre manière de travailler depuis le début de votre formation ?

J.L. : Les méthodes d’enregistrement ont changé. On peut maintenant tout faire soi-même. On a aimé pouvoir composer et enregistrer en même temps. C’est agréable, c’est un luxe.

C.P. : On a notre studio, c’est pratique. Je nage mieux maintenant, c’est ça qui a évolué. (Rires)

YEGG : C’est votre fameuse manière de fonctionner : travail matin et soir et entre-temps, vous nagez…

J.L. : Oui, c’est ça. Ça nettoie l’esprit de nager. Quand on a trop le nez dans le guidon, c’est pas bon pour la création.

C.P. : Ça nous épargne de certaines nervosités.

YEGG : Comment définiriez-vous votre formation ?

J.L. : Un duo basé sur le violon et la voix. On a mis du temps à s’en rendre compte mais c’est vraiment ça.

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