Célian Ramis

8 mars : La littérature, pour exprimer l'intime

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Antipode MJC
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Le 29 mars, à l'Antipode, la romancière Fawzia Zouari revenait sur son parcours, ses origines, sa passion de l’écriture et sa quête de l’intime, à travers son ouvrage Le corps de ma mère.
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Le 29 mars, au café de l’Antipode MJC à Rennes, la romancière Fawzia Zouari revenait sur son parcours, ses origines, sa passion de l’écriture et sa quête de l’intime, notamment à travers celui de sa mère qu’elle dévoile dans son ouvrage Le corps de ma mère.

Elle est née en Tunisie dans une famille de quatre frères et cinq sœurs et vit en France depuis 30 ans. Et elle est la première des filles de la famille à avoir poursuivi son cursus scolaire. Parce qu’elle est « fille de Bourguiba ». Façon de parler, évidemment. Ses sœurs n’ont pas eu cette chance, celle de vivre leur adolescence après l’indépendance.

« Vous voyez le film Mustang ? C’était exactement ça. A un certain âge, on enlève les filles de l’école, on les enferme entre quatre murs et on lève les grilles en attendant qu’elles se marient. Moi, c’est d’abord mon père qui m’a sauvée, j’allais au lycée à 30 km de mon village. Après mon bac, ma mère a voulu que je rentre. Là, c’est encore un homme qui m’a sauvée. Mon frère. Je suis allée à l’université de Tunis puis j’ai poursuivi mes études de littérature comparée en France. J’ai un mari français et des enfants français. », dit-elle.

Arrivée dans l’Hexagone, elle fait une thèse avant de travailler à l’Institut du monde arabe et de se rendre compte que ce n’est pas pour elle. Elle, elle veut écrire. Ce qu’elle entreprend alors auprès du média Jeune Afrique. Là encore, ce n’est pas pour elle. « Je pige encore de temps en temps mais ça a été une violence de découvrir que l’écriture journalistique n’a rien à voir avec l’écriture. », précise Fawzia Zouari.

LE RAPPORT À L’ÉCRITURE

L’écriture est pour elle pour manière d’explorer l’intime. Celui de son enfance en particulier. Il constitue sa matière privilégiée. Dès le début de sa carrière, elle a souhaité en finir « avec Shéhérazade ». Cette figure exotique qui fait fantasmer. « On peut écrire le jour, pas uniquement la nuit, pas uniquement pour les hommes. », souligne-t-elle, croisant des récits en lien avec la famille, la relation entre la France et la Tunisie, la relation entre l’Occident et l’Orient.

Dans Le corps de ma mère, elle inscrit les femmes de sa famille dans la tradition écrite de la littérature. Comme pour réparer une injustice. Car entre femmes, tout est oral. On taira les confidences d’une mère enceinte à sa future fille et on gardera en mémoire les silences et les mythes racontés. Et dans l’arbre généalogique, elles ne seront que les absentes.

« J’ai regardé l’arbre généalogique de ma famille. Il va jusqu’à Eve et Adam, en passant par Noé et le Prophète. Il n’y a que les hommes dessus. Comme il n’y a pas assez de places, on ne met pas les femmes. »
raconte Fawzia Zouari.

Après mure réflexion et une révolution tunisienne, elle décide de transgresser la tradition maghrébine. Celle qui dépeint des femmes mères manifestement sacralisées. Comme elle le dit, elle taille dans la légende : « Nous avons une phrase qui dit « Le paradis est sous le pied de vos mères » mais les mères sont humaines et elles ne correspondent pas toujours au modèle. »

Sacrilège donc. L’auteure outrepasse cet interdit officieux, privant quiconque de coucher sur papier l’intime de sa famille. Pire celui d’une mère. Défunte qui plus est. Et dans la langue des « Infidèles ». Il s’agit là d’un tour de passe-passe. Pour que les sœurs de Fawzia ne puissent comprendre le texte. Comprendre qu’elle a rompu à ce niveau-là avec la tradition.

LE RAPPORT À SES RACINES

À la fin de sa vie, sa mère tombe amoureuse du concierge de son immeuble. Et entretient avec cet homme des relations sexuelles. « Elle tient un discours obscène, ça a choqué mon lectorat tunisien. Alors pour la version arabe et pour mes sœurs, on a mis sur le livre qu’il s’agissait d’un roman et non d’un récit comme on l’indique en France. Pour qu’on puisse leur dire qu’il ne s’agissait pas réellement de ma mère mais d’un personnage de fiction. », justifie-t-elle.

Pour le reste, elle se défend de ne pas avoir renié ses origines. Elle garde en elle les valeurs inculquées, les souvenirs, les contes racontés par sa mère qui craignait les démons et les djinns et insiste sur le fait qu’elle n’a « pas rompu avec le socle fondamental de (ses) racines ». Au contraire, pour elle, l’exil a renforcé son ancrage dans ses terres et son ouverture d’esprit.

Mais elle se souvient aussi du jour où ses sœurs n’ont plus pu aller à l’école. Du choix de certaines de se voiler. De ce que les femmes subissaient avant l’indépendance (polygamie, répudiation, interdiction d’avorter, de s’instruire,…). De ce qu’elles ont cru acquérir lors de la Révolution tunisienne et de ce qu’elles doivent continuer à combattre, aujourd’hui encore.

Elle semble fatiguée de se justifier. De prouver sa légitimité à s’exprimer. A refuser le voile et à prendre position contre le port du voile. Sa nationalité tunisienne ne constitue pas un rempart à l’esprit critique. A la réflexion autour de l’éducation, la religion, la culture et la langue. Elle qui a étudié la littérature et s’intéresse de près au langage. Elle s’interroge sur ce que sa mère appelait « la langue des Infidèles », autrement dit, le français :

« La langue maternelle est pour moi celle dans laquelle on arrive à raconter nos mères sans les trahir. L’arabe est pour la langue paternelle puisqu’elle est celle des hommes qui enferment les femmes et els rendent absentes. »

LE RAPPORT À LA MÈRE

Et ce qu’elle essaye de transmettre ici, dans sa propre langue maternelle – qu’elle envisage avec des mots français sur fond de chants coraniques et de psalmodies – c’est le monde maternel. Celui qui a vu sa fin lors de la révolution de Jasmin : « La Tunisie basculait, son monde se terminait. J’ai eu envie d’écrire sur elle à ce moment. Pendant longtemps je me suis demandée si j’avais bien fait. J’ai plusieurs fois culpabilisé et au cimetière de mon village, j’ai plusieurs fois demandé pardon. »

Plusieurs réalités s’entrecroisent dans Le corps de ma mère. Celle que Fawzia retient de sa mère, dont elle verra les cheveux pour la première fois lorsque celle-ci sera dans le coma, les jours derniers jours durant de sa vie, celle que sa mère leur a léguée avec les rituels et les légendes et celle que sa mère a vécu.

Elle est une femme secrète et discrète. Recluse dans sa maison, le voile tunisien sur la tête. Dans le ventre de sa mère, elle a été sa confidente. Celle à qui le combat contre la polygamie revient. Jusqu’à la hanter et l’obséder. Derrière les murs de la demeure, elle sait pourtant tout ce qu’il se passe à l’extérieur. Et semble même contrôler le cours des choses dans le village. Tout le monde le sait, tout le monde la craint.

Lorsqu’elle tombe malade, ses enfants l’emmènent à Tunis, loin de son village qu’elle veut à tout prix retrouver. « C’est là que j’appelle ça l’exil de ma mère. A ce moment-là, elle devient aveugle. Tous les jours, elle s’imagine dans son village. Pour punir ses enfants, elle va simuler un Alzheimer, ne se souvenant plus de nous. Et elle ne racontera jamais ses histoires à elle, à part à ses aides à domicile. », précise Fawzia.

Néanmoins, l’intimité de cette mère loyale à ses valeurs est dévoilée. On y découvre une figure de force et de courage, en proie à des peurs transmises par son héritage familial, fidèle à ses croyances, amoureuse de son époux et assurément apathique envers ses enfants. On se demande alors si son silence relève de la punition ou de la protection. Ou simplement de l’indifférence pour sa progéniture qu’elle ne considère pas digne de recevoir le patrimoine familial en transmission.

Et à travers ce récit, l’auteure nous invite à nous plonger dans notre propre histoire. Notre rapport à la famille, à nos origines profondes. Et à ce que l’on dit, et ce que l’on ne dit pas. Ce que l’on transmet en tant que femme et entre femmes. Dommage que parce que l’auteure est tunisienne, la discussion dévie forcément en polémique sur le port du voile. Un glissement que Fawzia Zouari craint à chaque rencontre et regrette.

Tout autant qu’elle regrette l’islamophobie de gauche ambiante, prétendant secourir les musulmans. « On considère qu’un musulman est forcément une victime. Je n’aime pas ce mépris, cette façon de pleurer sur les musulmans. C’est une nouvelle forme de colonisation. », conclut-elle, parlant d’omerta et de protectionnisme envers les musulmans.

Célian Ramis

8 mars : Les Créatures dansent la condition féminine

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Maison des associations, Rennes
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Vendredi 17 mars, elles dansaient la condition féminine sur la scène de l’auditorium de la Maison des Associations de Rennes, sur invitation du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles.
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Qui sont les Créatures de la compagnie Hors Mots, que font-elles et que nous racontent-elles de l’Histoire des femmes ? Vendredi 17 mars, elles dansaient la condition féminine sur la scène de l’auditorium de la Maison des Associations de Rennes, sur invitation du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles.

Dix danseuses sont allongées au sol. Vêtues de collants et de hauts de couleur chair, elles se mettent en mouvement. « Elle dansera la liberté de la femme », déclare l’une des Créatures, spectacle créé l’an dernier par la compagnie Hors Mots, sous la direction artistique et chorégraphique de Nadine Brulat.

Dès le début, on s’interroge sur leur nature. Elles pourraient représenter l’origine des êtres humains, des femmes en particulier. Comme une naissance, comme un apprentissage de la mouvance de son corps et de sa place dans l’espace. Désynchronisées, elles exécutent par alternance des enchainements personnels et des enchainements similaires.

Avec grâce, élégance, sensualité, dans un souffle haletant qui souligne l’urgence quasi permanente dans laquelle elles se trouvent. Dans leurs robes blanches, elles apparaissent à la fois nymphes libres et à la fois zombies prisonnières de la consommation, se parant de manteaux en fourrure et de foulards ligotés autour de leurs poignets.

Leur manière de se mouvoir lentement, à la chaine, rappelle celle des forçats ou des détenu-e-s de camps de travail, et leurs regards absents et lointains, celle de patient-e-s lobotomisé-e-s. Semblables à des esclaves, elles marchent en chantonnant doucement, avant de détaler de la scène en courant, tour à tour, et de venir reformer la ligne qui tourne en boucle.

Une boucle rompue par des éléments marginaux comme une sortie furtive du rang ou une réelle fuite, tandis que certaines trébuchent et d’autres s’effondrent. Les danseuses encore debout tirent celles qui ont chuté par le pied, par la main, les aident à se relever, les soulèvent et les épaulent. La souffrance se confond avec la pénibilité de l’action et renvoie alors une sensation d’oppression.

Créatures, dans son fond et dans sa forme, interpelle le spectateur sur la condition féminine, sa construction et son importance dans l’Histoire. Et plusieurs passages agissent comme un électrochoc percutant jusqu’à en devenir par moment gênant. La pièce questionne au travers de nos ressentis individuels et personnels, liés aux divers vécus des un-e-s et des autres, mais met également face à des vérités lourdes de conséquence, comme le montre ici le poids de leur condition.

Les tensions y sont vives et palpables. Et les symboles, forts. Entre chasteté, pureté, tentation, désirs ou encore rapports de force, les assignations, injonctions et interdits se révèlent. Et les danseuses s’en saisissent avec appréhension, vivacité, résistance ou encore amour du jeu.

Et si des respirations sont offertes le temps pour elles de citer des textes d’Isadora Duncan, Max Jacob, Elsa Lasker-Schüler, Stéphane Mallarmé ou encore Federico Tavan, les créatures jamais ne cèdent à l’apaisement. Sans cesse en lutte, elles évoluent dans le temps, l’espace et les couleurs, passant de la nudité (couleur chair) au blanc pour finalement se terminer sur des couleurs noires.

Entre temps, le questionnement s’est poursuivi et a exploré la place des femmes dans la religion. Que les corps soient recouverts des foulards ou que ces derniers trônent sur leurs têtes, elles affirment leurs appartenances à des croyances différentes synonymes d’emprisonnement, d’enfermement, de suffocation pour certaines, mais aussi d’ouverture et d’évolution.

Et finalement peu importe, chacune va lever le poing, signe fort de ralliement à la cause, que l’on devinera féministe. Jusqu’à se mouvoir au sol et osciller entre le quatre pattes et l’allongement au sol. Comme un retour à l’origine, un recul dans l’apprentissage et l’évolution, qui pourrait être vu comme un parallèle avec l’actualité concernant les droits des femmes.

« J’ai envie de vivre, envie de mourir, envie de produire beaucoup, envie de produire peu et beau, envie de baiser, envie d’être chaste, envie de pleurer, envie de rire, et ça, tout le temps, tout le temps, et je me porte bien pourtant et quand je lis des choses aux gens, ils trouvent cela invraisemblable. Pourtant, j’ai dit la vérité, ce que j’ai vu. », conclut l’une des danseuses.

Ensemble, elles se relèvent, toutes lèvent la main droite, et les derniers foulards s’en vont flirter avec les planches. Debout face au public, elles s’affichent fortes, combattantes, solidaires et unies. Dans leurs différences qui résonnent jusqu’au bout de leurs mouvements et dans toutes les formes de leurs corps dont les morphologies se montrent plurielles, au contraire de leur couleur de peau qui elle s’apparente à un camaïeu de blanc.

Célian Ramis

8 mars : Le féminisme de la frontière contre le maternalisme politique

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Maison Internationale de Rennes
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Soumaya Mestiri, philosophe à l’université de Tunis, présentait son ouvrage "Décoloniser le féminisme, une approche transculturelle", aux côtés de l’anthropologue et historienne Jocelyne Dakhlia, le 8 mars à la MIR.
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Elle appelle à en finir avec l’hégémonie du féminisme majoritaire, blanc et occidental, et à questionner les traditions orientales pour tendre vers un féminisme de la frontière, plus solidaire et horizontal.

Soumaya Mestiri, philosophe et professeure de philosophie à l’université de Tunis, était l’invitée de la librairie Planète Io pour présenter son ouvrage Décoloniser le féminisme, une approche transculturelle, aux côtés de l’anthropologue et historienne franco-tunisienne Jocelyne Dakhlia, le 8 mars dernier à la Maison internationale de Rennes.

« Ne me libère pas, je m’en charge ». Elle ne le dira pas durant ce temps d’échanges mais l’esprit de ce slogan, emprunt d’émancipation, résonnera dans les esprits au fil de son discours. Pour Soumaya Mestiri, exit le féminisme universaliste d’Elisabeth Badinter ou Caroline Fourest.

Elle pose le diagnostic qu’il existe un féminisme majoritaire, blanc, occidentalo-centré, « qui défend un certain mode de vie et qui tente de l’imposer à toutes les femmes en dépit de leur diversité. C’est une vision bien particulière de la liberté. Celles et ceux qui établissent ce diagnostic sont souvent stigmatisé-e-s. »

DÉCOLONISER LE FÉMINISME 

Décoloniser – terme qu’elle estime galvaudé, souvent vidé de sa substance et de son potentiel subversif et qui attise la rancœur – revient pour la philosophe à déconstruire, soit repérer les non dits, les hiatus, exhiber les préjugés inhérents au féminisme majoritaire blanc.

« Il faut déconstruire les discours et approches féministes appréhendés comme voulant être inclusifs alors qu’ils ne le sont pas. Il s’agit là de critiquer aussi bien le caractère colonial de ce féminisme mais aussi de critiquer sa propre tradition orientale. »
souligne-t-elle.

La pensée décoloniale, qui se distingue des études postcoloniales, ne nie ni ne rejette l’Occident. Mais il s’agit de lutter contre la verticalité des relations, qui revient souvent à engendrer un nouveau rapport de domination. Et dans les féminismes, qu’il provienne de l’Occident ou non, on reprochera souvent le « maternalisme politique, souvent vertical et élitiste, qui se donne pour mission de prendre en charge les femmes et leur faire comprendre ce qu’elles n’ont soi-disant pas compris. »

Pour Jocelyne Dakhlia, « nous sommes à un tournant. Durant le XXe siècle, on a fonctionné de manière convergente. Tous les Suds étaient dans la catégorie Tiers monde et devaient agir comme l’Occident pour avancer, en suivant la logique émancipatrice (par le haut, par les lois, par les interdits). En Occident, on continue de penser qu’on est le modèle tandis que les autres réfléchissent à d’autres moyens. »

La sociologue Zahra Ali, auteure de l’essai Féminismes islamiques, défend également l’idée d’un féminisme décolonial pour tendre vers un féminisme international et pluriel. Lors d’un entretien à la revue Ballast, elle définit ce concept :

« Décoloniser le féminisme veut dire reconnaître les dimensions de classe et de race dans la pensée féministe hégémonique, et mettre à l’égalité les différentes expressions de la lutte contre le patriarcat, sans supposer une forme linéaire d’évolution des formes de luttes sociales et politiques. »

ACCEPTER LA PLURALITÉ

Elle prône, dans cette même interview, l’intersectionnnalité des luttes, la reconnaissance de la pluralité des expressions de l’émancipation des femmes et des hommes, la prise en compte des différentes dimensions de l’oppression et des inégalités.

« J’aime cette idée de Chandra Talpade Mohanty qui dit qu’être féministe, c’est reste « au plus près » des réalités – et donc les analyser telles qu’elles émergent, et non à partir d’un schéma idéologique ou politique préétabli. Il faut écouter et être attentif à la souffrance pour ce qu’elle est, et non pas uniquement à partir de notre manière personnelle et située de la vivre et de la définir. Commencer par se situer soi-même est essentiel. Situer sa parole, situer d’où l’on parle, plutôt que d’universaliser ses énoncés, est une première étape. Tout le monde est situé socialement, économiquement, politiquement, etc. », explique Zahra Ali.

Et comme dans les féminismes occidentaux laïcs, les féminismes religieux sont pluriels. En Tunisie, Soumaya Mestiri distingue le féminisme islamique du féminisme musulman. Le premier serait issu de la diaspora islamique : « C’est un parti de femmes islamiques. Elles n’essayent pas de faire avancer les choses ou à promouvoir la cause des femmes musulmanes à la manière du féminisme musulman qui essaye lui de déconstruire les lectures et interprétations du Coran et à en comprendre le patriarcat. »

Si le second lui apparaît comme plus propice à l’émancipation, elle ne lui voit pas un avenir prospère. Au contraire de Jocelyne Dakhlia qui, elle, voit en ce féminisme un mouvement positif.

« Le problème, c’est que l’on envisage le féminisme comme le dernier refuge anti-colonial. Tout le blocage n’est pas dans la religion musulmane. Si on regarde la France, voyez la Manif pour tous, si on regarde la Pologne et sa tentative de recul sur l’IVG… Moi, je pense qu’il y a aussi des bonnes choses, le féminisme religieux compte aussi, on peut prendre l’exemple du travail anglican, des femmes ordonnées rabbins, évêques, etc. En Tunisie, le féminisme musulman est un mouvement embryonnaire. Mais il est important de mettre en lumière le dynamisme de ce mouvement qui montre que l’on peut interpréter les textes et qui montre qu’il y a des générations pour qui on peut être homosexuel-le-s et musulman-e-s, prier ensemble et que les femmes peuvent diriger la prière devant les hommes. Cela aide à faire bouger les lignes. Il existe des mosquées inclusives LGBT mais on n’en parle pas. L’Islam peut être new age, écolo… On se dit que ce n’est pas l’Islam mais si. », souligne-t-elle.

Sans oublier que le danger réside dans la récupération politique que certains partis effectuent sans vergogne. En ligne de mire, le Front National, qui instrumentalise actuellement le féminisme, un point que le réalisateur Lucas Belvaux ne manque pas de mettre en perspective dans son dernier film, Chez nous (lire Chez nous, les rouages néfastes d’un parti extrémiste – 20/02/2017 – yeggmag.fr).

« Lorsque les politiques disent dans leurs discours « Nous, nos femmes sont libres », ils insinuent clairement les autres, les orientales en autre, ne le sont pas. »
précise l’anthropologue.

L’OCCIDENT CONTRE L’ISLAM

Deux exemples illustrent leurs propos. Tout d’abord, la manière dont les banlieues ont été pensées en France. Non pas en tant que monde en soi mais comme marge avec un dysfonctionnement structurel. « D’emblée, on a pensé que les femmes des banlieues étaient les bons éléments à extraire. Une étude sur « la beurrette » l’a montrée comme une fille docile qi ne demande qu’à s’intégrer. Mais la réalité est que les mêmes problèmes se posent pour les filles et les garçons. Cela a provoqué un rejet massif des banlieues et des filles qui ont eu le culot de se voiler. », analyse Jocelyne Dakhlia.

Et la création de Ni putes, ni soumises n’y changera rien. Loin de là, souligne-t-elle en précisant que l’association a été « parachutée par le politique, dans une logique de stigmatisation des gens qu’ils ont prétendus aider. »

Autre exemple plus récent, celui des agressions survenues la nuit de la Saint Sylvestre, en 2015, à Cologne en Allemagne. Ou plutôt celui des réactions à cette affaire. Bon nombre de polémiques divisant sur le sexisme ou le racisme qu’il en ressortait. Et ce qui a particulièrement choqué Jocelyne : l’article de Kamel Daoud, écrivain algérien, publié dans le journal Le Monde, qui se plaçait selon elle dans une perspective coloniale :

« Il disait clairement aux Occidentaux que s’ils accueillaient des orientaux, il fallait les rééduquer. Cela a créé un malaise profond. »

Elle remet les choses dans leur contexte. La France est choquée des attentats du 13 novembre et se défoule, après que la population se soit vue interdite de manifestation, à cause de l’état d’urgence. Au même moment, un million de réfugiés étaient en train d’être accueillis en Allemagne « alors que personne en Europe n’en voulait. » L’affaire devient alors l’occasion de brandir la haine contre les musulmans.

« La femme blanche contre l’homme de couleur. On ne parle que des femmes allemandes. Où étaient les hommes allemands ? Qu’en est-il des femmes réfugiées ? À cette période, un foyer de femmes réfugiées a porté plainte contre les gardiens qui les ont filmées sous la douche ou en train d’allaiter. Et a aussi porté plainte pour harcèlement. Ça, on n’en a pas parlé. On aborde le sujet quand les victimes sont des femmes blanches et les bourreaux des réfugiés. Mais quand les victimes sont des réfugiées contre des bourreaux blancs, non. On instrumentalise le corps des femmes blanches et la cause féministe contre l’accueil des réfugiés et contre le politique d’accueil d’Angela Merkel. », commente-t-elle.

L’ALTERNATIVE : LE FÉMINISME DE LA FRONTIÈRE

Les deux expertes se rejoignent : la morale du Nord en direction du Sud doit cesser. Soumaya Mestiri insiste, le féminisme de la frontière peut permettre une cohabitation harmonieuse entre les Nords et les Suds. Elle établit une distinction entre « à la frontière » et « de la frontière ».

La première notion prétend hypocritement prendre en compte la différence et la diversité. Mais, à l’instar du féminisme majoritaire occidentalo-centré et du féminisme islamique, elle « reproduit généralement la dichotomie qu’elle dit vouloir dépasser. Si c’était le cas, chacun opérerait une double critique comme on le fait ici mais chacun ne fait au moins qu’une seule critique. »

La seconde notion, celle qu’elle prône, propose d’habiter la frontière.

« Comme on dit « je suis de Rennes », on dirait « je suis de la frontière », sans gommer les frontières et sans les reconstruire de manière figée et manichéenne.»
souligne-t-elle.

Pour Soumaya, les vécus, expériences et narrations sont incommensurables.

Le féminisme de la frontière ne revendique pas la compréhension mais l’acceptation, pour vivre ensemble. « On n’a pas besoin de nous retrouver les unes dans les autres mais de nous trouver dans notre diversité. Pour moi, il est important d’essayer de remplacer l’égalité par la réciprocité, qui est une manière de penser la solidarité au plus juste et de penser horizontal. Il faut casser la verticalité : les élites qui s’adressent à des peuples qui ne connaitraient soi-disant pas leurs droits. En finir avec le maternalisme politique visant à sauver les femmes d’elles-mêmes et de leurs males basanés. », conclut Soumaya Mestiri.

Elle le sait, son constat peut s’avérer violent et paraître agressif. En tout cas, il suscite interrogations et débats. Voire vives contestations. Pourtant, il est essentiel de l’entendre. Pour interroger ses propres pratiques et tendre vers une remise en question essentielle pour envisager les féminismes avec une approche plus inclusive et davantage orientée vers l’intersectionnalité des luttes.

Célian Ramis

8 mars : Aux USA, même ambivalence dans le sport et la culture

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Maison Internationale de Rennes
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Le 7 mars, l'Institut franco-américain de Rennes mettait sur la table la question de la promotion des femmes américaines à travers le sport et la culture, avec la venue d'Hélène Quanquin, spécialiste des mouvements féministes aux USA, à la Sorbonne.
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Elle n’est pas spécialiste du sport, a-t-elle précisé d’emblée, lors de la conférence qu’elle tenait le 7 mars, à l’Institut franco-américain. En revanche, la question des mouvements féministes aux Etats-Unis est le domaine de prédilection d’Hélène Quanquin, de Paris 3 – Sorbonne nouvelle.

La conférence ne pouvait pas mieux tomber. Le soir même, ou plutôt la nuit, la finale du championnat She Believes Cup (2e édition de la compétition visant à inciter les jeunes filles et les femmes à jouer au foot, réunissant les USA, la France, l’Allemagne et l’Angleterre) se déroulait à Washington et opposait l’équipe féminine de football des USA à celle de la France. Diffusée en direct sur C8, on pouvait assister à la victoire écrasante des Françaises, qui se sont imposées 3 à 0, face aux tenantes du titre.

Pour Hélène Quanquin, l’ascension des femmes dans le sport et la culture est due aux mouvements féministes. Parce que les femmes se sont battues pour se faire entendre et pour faire avancer leurs droits, vers l’égalité des sexes. Elles n’ont pas attendu la présidence de Donald Trump pour se mobiliser.

MOBILISATIONS FÉMINISTES

La marche du 21 janvier 2017, qui a réuni au lendemain de l’investiture plus de 4,5 millions de personnes aux USA – « la manifestation qui a réuni le plus de participant-e-s de toute l’histoire » - est en effet issue d’une tradition féministe basée sur le rassemblement.

Elles organisaient déjà des marches de femmes au début du XXe siècle, notamment en 1911 à New-York marquant leur volonté d’occuper l’espace ou encore en 1913 à Washington pour le droit de vote.

« Le mouvement féministe et suffragiste incorporait beaucoup d’éléments de la culture populaire, comme le théâtre, la chanson, les cartoons, la caricature… Toutefois, on voit que l’incorporation des revendications féminismes est graduelle. À cette époque, quand des femmes noires voulaient participer, certaines femmes blanches menaçaient de ne pas y participer. C’est l’époque de la ségrégation aux USA et le racisme est présent dans le féminisme. On parle alors pour ces marches de White women’s march. Pareil pour les revendications des femmes lesbiennes ! », développe la spécialiste des mouvements féministes américains.  

Elle poursuit :

« C’est là que l’on voit la différence avec janvier 2017. Dès novembre, dès l’élection, le comité d’organisation de la marche a voulu que l’événement réunisse tout le monde. Des blanches, des noires, des arabes, des latinas, des femmes voilées, des femmes trans, des hommes… ».

À quelques détails et années près, le féminisme américain connaît les mêmes vagues qu’en France et les années 60 et 70 représenteront également deux décennies importantes pour les droits des femmes, militant contre les discriminations liées au sexe, à la race et à l’ethnicité.

ÉGAL ACCÈS AUX SPORTS ET ACTIVITÉS

C’est dans ce contexte que sera adopté l’amendement Title IX qui protège les individus des discriminations basées sur le sexe dans les programmes éducatifs et activités recevant des fonds fédéraux (No person in the United States shall, on the basis of sex, be excluded from participation in, be denied the benefits of, or be subjected to discrimination under any education program or activity receiving Federal financial assistance.).

Un amendement qui enclenchera également une réflexion autour de la lutte contre le harcèlement sexuel dans les universités. Et qui empêchera, dans les écoles et facultés américaines, de restreindre la participation aux activités en raison de son sexe et de son genre. Et fera naitre également une loi imposant une réglementation de ce type dans les sports amateurs.

« Le sport fait partie intégrante de la vie des écoles et des universités américaines qui organisent beaucoup de compétitions. En 2002, 160 000 femmes y avaient participé. Maintenant, elles sont plus de 200 000. Il y a presque la parité. Et beaucoup de sportifs olympiques ont participé à ce type de compétition. Cela prouve l’incidence de certaines lois sur l’évolution du nombre de sportives de haut niveau », souligne Hélène Quanquin.

Et la dernière édition des JO, qui s’est déroulée à Rio en 2016, a mis en lumière plusieurs femmes athlètes, parmi lesquelles figurent l’équipe féminine de gymnastique – dont Simone Biles sera la plus médiatisée et mise en avant grâce à ses 4 médailles d’or -, Simone Manuel, première femme noire à remporter un titre olympique en natation ou encore Ibtihaj Muhammad, la première escrimeuse médaille à porter un voile lors de la compétition.

Pour les Etats-Unis, l’ensemble des performances les place au premier rang des JO de Rio avec 121 médailles. Dont 61 ont été gagnées par des femmes.

« Ce sont les deuxièmes Jeux olympiques qui marquent la supériorité des femmes aux USA, même si là c’est très léger. Elles ont remporté 27 médailles d’or, soit le même nombre que toute l’équipe britannique. »
indique la spécialiste.

POURTANT, LES HOMMES L’EMPORTENT…

Néanmoins, la promotion des femmes dans le sport interroge. Les performances prouvent leurs compétences et pourtant dans les médias quand Michael Phelps remporte l’argent, il remporte également le titre principal de Une, tandis que sur la même couverture, en plus petit, on inscrira la victoire de Katie Ledecky. Après tout, championne olympique à cinq reprises et championne du monde en grand bassin neuf fois, elle n’est que la détentrice des records du monde sur 400m, 800m et 1500m nage libre…

C’est ainsi que l’on constate l’ambivalence du domaine. D’un côté, le sport est un moyen pour promouvoir les droits des femmes. D’un autre, il est aussi un lieu d’inégalités subsistant entre les femmes et les hommes. Ces derniers gagnent plus d’argent, se réclamant d’un plus grand intérêt de la part des spectateurs/trices et par conséquent, des publicitaires et des sponsors.

Outre les mouvements féministes et les lois, les sportives doivent également se battre contre les préjugés, les idées reçues et les sportifs. À l’instar de Billie Jean King, grande joueuse de tennis, qui en 1973 a menacé de boycotter l’Open des Etats-Unis, revendiquant le droit des femmes à gagner le même salaire que les hommes en tournoi. La même année, elle crée une association de tennis féminin et bat Bobby Ricks – joueur réputé pour son machisme - en trois sets lors d’un match que ce dernier envisageait comme un moment voué à démontrer la supériorité masculine.

Pour Hélène Quanquin, « Billie Jean King a marqué l’histoire du tennis et l’évolution des droits des femmes dans ce sport. D’autant que c’est la première femme athlète à faire son coming-out. Ce qui lui coûtera plusieurs spots publicitaires, donc de l’argent. »

DANS LE CINÉMA, MÊME COMBAT

Les réflexions sexistes (des sportifs, des médias, des commentateurs sportifs…), la supériorité masculine très prégnante et les inégalités, notamment de salaires, se retrouvent également dans le domaine de la culture. En 2015 – 2016, cette problématique occupera une part importante du débat hollywoodien. Pour cause, l’affaire des piratages des mails de Sony qui fera découvrir à Jennifer Lawrence qu’elle était moins bien payée sur les pourcentages et les ventes du film.

Lors des cérémonies américaines, aux Oscars notamment, les voix féministes commencent à s’élever. Dans les discours de Patricia Arquette ou de Meryl Streep par exemple, l’égalité salariale est en première ligne des revendications. Suit ensuite le faible nombre de rôles principaux ou secondaires, mais importants, attribués aux femmes. Des messages que l’on entend également dans la bouche des anglaises Kate Winslet ou Emma Watson, et de plus en plus de la part des réalisatrices et actrices du cinéma français.

On notera alors que seules 28% environ des actrices obtiennent des rôles significatifs au cinéma et qu’aux Oscars seules 4 femmes ont été nominées dans la catégories des meilleur-e-s réalisateurs/trices dans l’histoire des récompenses. « Et les chiffres sont pires pour les femmes issues des minorités. On constate bien souvent que quand des femmes réalisent, il y a plus de rôles pour les femmes. », conclut Hélène Quanquin.

DANS LA MUSIQUE, PAREIL

Les chiffres sont révélateurs. Dans le secteur de la musique également. Moins de 5% des producteurs et ingénieurs sont des femmes, révèle la conférencière, qui enchaine immédiatement avec l’affaire Kesha. La chanteuse accuse son producteur, Dr Luke, de viol et demande alors à être libérée de son contrat, ce que le tribunal refusera, lui accordant seulement le droit de changer de producteur mais la sommant de rester chez Sony pour honorer l’acte signé.

La question tourne alors autour du pouvoir et de l’influence de l’industrie musicale, qui aurait tendance ces dernières années à instrumentaliser le féminisme. « Le pop féminisme serait-il la 4e vague ? », interpelle Hélène Quanquin. Le pop féminisme rassemble les chanteuses populaires actuelles, prônant leurs engagements féministes dans leurs discours et leurs chansons, comme Beyonce, en tête de cortège, Katy Perry, qui jusqu’à récemment hésitait tout de même à se revendiquer féministe, ou encore Miley Cirus, jugée plus trash.

UNE AMBIVALENCE PREGNANTE

Ce mouvement semble plus inclusif, à l’image de la marche de janvier 2017. Mais l’ambivalence persiste dans le secteur de la musique, du cinéma comme dans celui du sport. Là où on note des progrès, à ne pas négliger puisqu’ils influencent bon nombre de jeunes femmes, on ne peut nier également l’instrumentalisation marketing de ces milieux, régis par l’industrie, dans lesquels les inégalités persistent fortement.

« Les progrès sont liés aux mouvements féministes et à l’avancée de la législation. Mais on voit des limites à ce progrès. Les femmes n’ont toujours pas d’égal accès aux positions de pouvoir, sont toujours représentées de manière différente dans les médias et font face à un fonctionnement de l’industrie extrêmement inégalitaire. Pas seulement pour les femmes mais aussi pour les personnes issues des minorités. », conclut Hélène Quanquin.

À noter qu’en France, les mentalités stagnent aussi. La preuve avec les remarques sexistes – et racistes – des commentateurs sportifs. « Elles sont là nos petites françaises », pouvait-on entendre dans la nuit du 7 au 8 mars lors de la finale de la She Believes Cup. Aurait-on dit la même chose de l’équipe de France masculine ?

 

Célian Ramis

Héroïnes de A à Z

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De tous les pays, de toutes les origines sociales, de toutes les époques, les femmes ont marqué et continuent de marquer la grande Histoire. Marilyn Degrenne et Florette Benoit ont dressé et illustré leurs portraits dans L’ABC…Z des héroïnes.
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De tous les pays, de toutes les origines sociales, de toutes les époques, les femmes ont marqué et continuent de marquer la grande Histoire. Marilyn Degrenne et Florette Benoit ont dressé et illustré leurs portraits dans L’ABC…Z des héroïnes.

A comme aventurière, B comme boulangère, C comme coureure automobile, D comme dompteuse de puces, E comme espionne… À chaque lettre correspond un métier. Et une femme, au parcours rédigé par Marilyn Degrenne, et à l’univers illustré par Florette Benoit dans un ouvrage édité par l’association rennaise La balade des livres.

On y découvre la kényane Wangari Muta Maathai, biologiste, professeure d’anatomie en médecine vétérinaire et militante pour l’écologie, de l’américaine Maria Beasley, inventrice et femme d’affaires du XIXe siècle, de la marocaine Fatima Al Ifriki, journaliste et productrice TV, menacée de mort, de la russe Vera Ignatievna Giedroyc, princesse devenue la première chirurgienne de son pays, ou encore de la turque Sabiha Gökçen, première femme à devenir pilote de chasse.

« Lorsque l’on cherche des infos en bibliothèque sur des personnages illustres, il y a plus de références masculines. Comme dans les livres d’histoire ou de français. Et quand il y a des femmes citées, on retombe toujours sur les mêmes. »
explique Marilyn.

Les deux femmes se sont lancées à la recherche de toute une galerie de femmes audacieuses, combattives et militantes des libertés individuelles. Des héroïnes internationales, représentatives de la diversité, dont les noms n’ont pas été retenus, l’Histoire étant écrite majoritairement par les hommes.

« Les portraits sont denses, riches et constituent des abreuvoirs de connaissance. L’idée de cet album (à partir de 8 ans, ndlr) est que les gens se l’approprient. Et ils accrochent très vite au principe, comme s’il y avait besoin de ça, de la découverte de ses références féminines, pour prendre son élan, pour justifier sa propre audace. », souligne Florette.

Une manière d’aborder la place des femmes à travers les pays et les époques ainsi que l’évolution des droits, dont les acquis sont constamment menacés. « L’Histoire peut se répéter très vite, il faut être vigilant-e-s. Il est donc important de parler des luttes et des droits fondamentaux. Le livre permet de libérer des choses. », précise Marilyn.

L’ABC…Z des héroïnes constitue un support de réflexion pour tou-te-s, servant d’outil pour les établissements scolaires et les bibliothèques mais aussi au sein d’ateliers enfants et adultes menés par La balade des livres. Ces derniers donneront lieu à une exposition composée de nouveaux portraits de femmes, à découvrir dès du 7 au 31 mars à la Bibliothèque Cleunay. Le vernissage a lieu le 8 mars à 18h.

Célian Ramis

8 mars : Sur le terrain de l'égalité

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Maison Internationale de Rennes
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Ancienne footballeuse, championne de France multi sélectionnée dans l'équipe nationale, Nicole Abar s'engage depuis plusieurs années pour lutter contre les discriminations sexistes et éduquer filles et garçons à l'égalité, à travers le sport.
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En moins de dix ans, elle a remporté 8 titres en Championnat de France de football féminin, est devenue meilleure buteuse et a été sélectionnée en équipe de France. Depuis, elle défend le sport comme outils d’égalité entre les filles et les garçons, a monté le projet d’éducation « Passe la balle » et s’est vue confier la mission au sein du ministère de l’Education Nationale de mettre en place l’ABCD de l’égalité. Entre autre. Nicole Abar était l’invitée de Questions d’égalité, le 3 mars dernier, à la Maison Internationale de Rennes. Une conférence orale et en langue des signes.

Depuis qu’elle a chaussé les crampons dans sa jeunesse, elle n’a cessé de lutter contre les stéréotypes sur les terrains mais aussi en dehors. Un père algérien, une mère italienne, et elle, de sexe féminin, osant jouer au football, un sport que l’on pense (trop) souvent au masculin.

« Quand on est différent-e, on est mis à l’écart et on intériorise. Je me suis tue toute ma vie avec le racisme. Le sexisme, c’est la même chose, ce sont les mêmes mécanismes. C’est un regard que l’on pose sur vous, tout petit, quand on ne peut pas décrypter, que l’on n’est pas armé-e. Et enfant, on considère que c’est la norme. Et c’est stigmatisant ! », déclare-t-elle.

Elle se tient debout dans l’auditorium de la MIR et ne peut s’empêcher de bouger. Elle prend l’espace et nous tient à son discours. Elle connaît le milieu du sport, connaît les rouages du sexisme et du racisme et s’engage avec force et optimisme dans l’égal accès aux terrains, salles de sports, équipements, etc. des filles et des garçons.

SE METTRE EN COLÈRE

En 1998, le club dans lequel elle entraine refuse de faire évoluer les filles, qu’ils excluent, au profit des garçons. Pour Nicole Abar, il est temps de se révolter et de se mettre en colère : « Moi, j’avais déjà fait mon parcours mais les petites filles du club, qu’est-ce qu’elles allaient penser ? Elles allaient intérioriser, se dire que c’est normal qu’elles ne puissent pas jouer. Et là, pour la première fois, je me suis mise en colère. Les parents ont dit « Ok, on se bat ! » et on a fait en sorte que le club soit sanctionné au niveau des droits. »

Il faudra engager cinq années de procédures pour aboutira une jurisprudence condamnant le club, non pas au motif de la discrimination mais d’un refus de prestation au sein d’une association.

« Ce n’est pas si facile de se mettre en colère et de faire gagner un procès ! Les unes sont éduquées pour subir et les autres pour être des dominateurs. Les deux doivent progresser ensemble. », commente-t-elle.

Un discours qui rejoint celui de Chimamanda Ngozi Adichie prononcé en décembre 2012 et retranscrit dans l’ouvrage Nous sommes tous des féministes : « De nos jours, le déterminisme de genre est d’une injustice criante. Je suis en colère. Nous devons tous être en colère. L’histoire de la colère comme matrice d’un changement positif est longue. Outre la colère je ressens de l’espoir parce que je crois profondément en la perfectibilité de l’être humain. »

AGIR DÈS LA PETITE ENFANCE

Pareil pour Nicole Abar. C’est alors qu’elle réalise que pour changer les mentalités et déjouer la construction des stéréotypes de genre, il est fondamental de se tourner vers les petits, « quand ils sont encore tendres et que l’on peut faire passer des messages dans le jeu, le plaisir et le sourire. » Elle bâti à partir de là un projet basé sur la motricité, l’espace, les jeux, la verbalisation et le dessin afin « de les faire parler et leur faire prendre conscience de leurs propres représentations. »

Un programme qui existe toujours à Toulouse, et qui deviendra quelques années plus tard, le socle de la construction de l’ABCD de l’égalité, malheureusement renvoyé au tapis, sous la menace de certains parents – affiliés à la Manif pour tous – dénonçant « l’enseignement de la théorie du genre ».

Dans la salle, elle se place dans un coin, statique, et fixe ses pieds, illustrant ainsi le comportement d’une petite fille de 3 ans dans la cour de récréation. « Là, je ne vous vois plus, dit-elle, avant de traverser la pièce jusqu’en haut des escaliers de l’auditorium. Les petits garçons ont tout le reste ! Voyez comme j’embrasse le monde là ?! Comment je suis stimulée ?! Forcément, ma capacité cérébrale est stimulée d’une autre manière… » L’expérience est parlante et concluante.

SEXISME, RACISME… EN DÉJOUER LES ROUAGES

À l’instar de la vidéo qu’elle diffusera quelques minutes plus tard sur une classe de CE2, aux Etats-Unis qui expérimente la discrimination, en séparant les yeux bleus et les yeux marrons. Les uns bénéficiant de tous les droits, les autres d’aucun.

En terme de sexisme, elle l’illustre par un exercice de dessin avec les maternelles. Avec une fresque délibérément trop petite. Elle constate que les petits garçons font des grands dessins et les petites filles, des petits. « À 4 ans, elle a déjà compris que sa place était petite. », martèle-t-elle, face à une salle qui semble assommée. Et si son discours prend aux tripes, c’est parce qu’il est parlant et criant de vérités effarantes. Elle poursuit :

« Depuis 2003, j’en ai vu une seule prendre une chaise, monter dessus et faire un grand trait en disant : « ça, c’est ma place ! » ! Une seule ! »

Les stéréotypes, intégrés depuis le plus jeune âge et ponctués de « c’est pas si grave, on n’en meurt pas », nous handicapent et gâchent « des millions de talents », selon Nicole Abar, qui ajoute que les enfants ne sont pas ce qu’ils devraient être dans la mesure où nos idées reçues étant tellement prégnantes qu’ils font nos choix et non les leurs.

Un exemple révélateur de l’influence de notre regard est pour elle celui de la poupée : « Un petit garçon se dit que jouer à la poupée c’est nul. Les poupées, elles sont nulles. Lui, il préfère jouer avec son Action Man, vous savez, le soldat ?! Mais Action Man, c’est quoi ? C’est une poupée aussi. »

Ainsi, avec le programme Passe la balle, elle agit pour qu’aucun enfant, qu’il/elle se sente garçon ou fille, n’intègre les stéréotypes de genre. Une petite fille peut jouer au ballon et un petit garçon peut pleurer. Tou-te-s doivent être encouragé-e-s de la même manière et comprendre que l’échec fait parti de l’apprentissage.

« Quand on nait, on apprend à parler et à marcher. Quand on tombe, personne n’a l’idée de nous engueuler. Mais pour le reste, on a tendance à accabler. Ne pas réussir, ça fait parti de la réussite, c’est comme ça qu’on grandit. »
souligne l’ancienne championne de France.

Elle insiste dans son projet pour que jeux s’effectuent sur des grands espaces, pour qu’il y ait des courses, dans le but de développer la motricité des participant-e-s et leur faire prendre conscience de leurs corps dans l’espace.

Son objectif, elle le répète, persiste et signe : « Qu’ils courent tous, qu’ils tombent tous, qu’ils aient des boss tous, qu’ils pleurent tous, qu’ils se relèvent tous ! » Filles et garçons ensemble doivent combattre les discriminations. Exactement comme le font les footballeuses rennaises qui ont fondé l’association Le ballon aux filles.

LE BALLON À TOUTES LES FILLES !

Chaque année, elles organisent un tournoi de foot féminin, dans un quartier prioritaire de la ville, pour les licenciées et non licenciées. Les matchs étaient jusqu’alors arbitrés par des hommes, afin de les impliquer dans le projet. L’objectif est double : amener les filles et les femmes à chausser les crampons et prendre du plaisir à jouer ensemble et d’avoir osé. Et faire prendre conscience aux garçons et aux hommes que le sexe féminin n’est en rien un obstacle à la pratique sportive.

Au fil des années, les joueuses de l’association ont développé des actions en amont du tournoi. Des actions qui favorisent la découverte du football, la création du lien social et la lutte contre les préjugés sexistes. Et étant conscientes que dans les quartiers prioritaires comme en zone rurale, les filles sont peu nombreuses à pratiquer un sport à l’instar de la répartition filles/garçons dans l’espace public, elles ont la volonté forte d’amener le sport jusqu’à elles.

Une initiative qui affiche un bilan positif avec l’inscription de 80 à 150 filles par an en club, le versement des recettes reversées au projet Amahoro – projet humanitaire et solidaire en direction de Madagascar – ainsi que l’engagement participatif d’une vingtaine de bénévoles sur chaque tournoi et l’investissement des garçons au coude-à-coude avec les filles qui foulent le terrain.

Ainsi, elles investissent les pelouses mais aussi les espaces de débat et les établissements scolaires à Rennes, avec l’aide et le soutien de l’association Liberté couleurs. Le prochain tournoi aura lieu à Cleunay, le 27 mai prochain.

Célian Ramis

Girls, une exposition déculottée

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Hôtel Pasteur, Rennes
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L'exposition Girls qui a dévoilé les dessous d'une autre image des femmes, grâce à de jeunes artistes en devenir, aussi cru-e-s qu'intimistes, se termine à l'Hôtel Pasteur de Rennes, le 10 février.
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Jusqu'au 10 février prochain, l'exposition Girls mise en scène par le collectif Runbyfeu, dévoile, à l'Hôtel Pasteur de Rennes, les dessous de la véritable image des femmes de notre société contemporaine, grâce à de jeunes artistes en devenir, aussi cru-e-s qu'intimistes.

Alors que l'Hôtel Pasteur est en pleine rénovation intérieure, l'exposition Girls s'est invitée dans la cage d'escaliers du bâtiment. Suspendues aux rampes, des jupes se soulèvent sous les yeux des visiteur-e-s, dévoilant une intimité souvent mystifiée par la société actuelle. Sous l'effet artistique, le sexe féminin se désigne entre autre par une pilosité abondante, une lingerie en dentelle ensanglantée, ou encore par un miroir brisé, chaque buste racontant une histoire, un tabou.

Les interprétations concernant chaque buste peuvent ainsi diverger selon les vécus, les ressentis des visiteur-e-s, placé-e-s malgré eux/elles en position du voyeur. « Tout le monde regarde sous les jupes des filles », sourit Morgane Curt, co-fondatrice du collectif Runbyfeu face à certains regards surpris des spectateurs/trices.

Créé en janvier 2016 avec Alice Delauney, présidente de l'association, le collectif vise à promouvoir de jeunes artistes en devenir et à dynamiser la création artistique. « On cherche surtout à promouvoir des artistes sans critères particuliers, en étant ouvert à tous les styles, aussi bien l'écriture, la sculpture, ou encore la musique», explique Charlotte Velter, également co-fondatrice.

Girls est leur quatrième exposition, « cette dernière étant beaucoup plus officielle grâce au cadre dans lequel on l'expose, rajoute Charlotte en parlant de l'Hôtel Pasteur, car on avait l'habitude d'exposer dans des bars à Rennes au départ». « C'est notre plus grosse exposition, termine Morgane, et comme à chaque exposition, on choisit un thème selon les envies et inspirations de chacun. Et celui de la féminité s'est imposé naturellement ».

Un choix que partage Charlotte, qui expose actuellement ses photographies, représentant différents portraits de jeunes femmes :

« Ce que j'ai envie de capter dans mon travail, c'est un moment dans la vie de quelqu'un, qui appartient à son quotidien. Et avec cette exposition, l'idée était de rencontrer d'autres points de vues que les miens sur la féminité et les femmes en général ».

Un thème dont de nombreux jeunes artistes réuni-e-s pour l'occasion, se sont inspiré-e-s pour leurs œuvres, mêlant différents médiums artistiques, comme la peinture, la photographie ou encore le moulage. Face à cette première performance artistique dans la cage d'escaliers par le collectif Sans Titre, la suite de l'exposition s'annonce cependant plus classique, l'image de la nudité féminine devenant le fil conducteur, attirant le regard et quelques froncements de sourcils.

UN ENGAGEMENT FÉMINISTE IMPLICITE

C'est dans une ambiance baignée d'une certaine quiétude que l'artiste Charlotte V. nous montre à travers son objectif, des jeunes femmes modernes, fumeuses, pensives, portant des lunettes, des piercings, et fixant l'objectif avec détermination ou au contraire, le fuyant. Les couleurs sont à la fois vives et douces, les protagonistes en mouvement ou dans l'attente de quelque chose, observatrices d'une société en pleine stagnation tout en prônant le changement.

Loin de ces photographies intimistes, le corps féminin est revisité par certains artistes, à travers des poèmes à l'érotisme explicite mais aussi, par des tableaux, comme l’œuvre pop et décalée de l'artiste Misst1guett, qui donne sa vision tout en forme des femmes, comme maîtresses de la Vie et de la Mort.

Maîtresses aussi d'un corps leur appartenant de droit, et dont l'usage ne peut être monopolisé par la société, l'interprétation du tableau laissant envisager une possible vision autour de l'avortement et du choix de la fécondité.

Cette volonté de montrer les femmes sous un autre angle est affirmé également dans les œuvres de l'artiste suivante, Émilie Aunay, qui expose près de ses peintures, une œuvre particulière, celle d'un corps de femme moulée dans le plâtre. À partir de différentes parties du corps de plusieurs femmes, toutes générations confondues, l'artiste a reconstitué un corps féminin à l'apparence harmonieuse et bien proportionnée.

Une silhouette qui laisse perplexe quelques visiteur-e-s, dont Rémi, étudiant infirmier, qui ressent une certaine incompréhension concernant l'interprétation de certaines œuvres. « Je ne vois pas en quoi cette création est féministe, dit-il en désignant le mannequin de plâtre, pour moi elle représente juste l'image de la femme conforme aux canons habituels ». Laissé indifférent par l'exposition, ce visiteur souligne inconsciemment le manque d'engagement de l'exposition Girls.

Se désignant comme une exposition féministe mais sans parti pris, les jeunes femmes tenaient avant tout à se démarquer dans le milieu associatif, où le sexisme ordinaire est un réel problème au quotidien.

« Il n'est pas rare que l'on nous fasse la réflexion du genre, mais vous y arrivez toutes seules ?, explique Morgane. Du coup, on avait envie de surprendre en créant cette exposition, de prouver qu’on était capable de monter ce genre de projet, et ça marche », sourit la jeune femme.

PRÊTER ATTENTION AUX RECOINS DU FÉMININ

Pourtant, Girls cherche à montrer à travers ces œuvres les moindres recoins du corps féminin, allant jusqu'à effacer les limites du genre et développer l'imaginaire des spectateurs/trices, comme le démontre les œuvres de Jlacastagne. Ses peintures donnent l'impression d'être une fois de plus dans une situation de voyeurisme, véritable phénomène sociétale dans la réalité du quotidien.

Un effet accentué face à cette œuvre, poussant le visiteur à l'étudier de plus près pour tenter de comprendre ce qu'il voit. En peignant les moindres replis et recoins du corps des femmes, le peintre marque à l'état brut la beauté d'un corps nu, avec ses plis et les défauts que peuvent lui prêter la société, tout en démontrant  par exemple, que le sexe féminin imaginé est en réalité une paupière close.

Et prouver par la même occasion qu'un corps plissé par endroit ne peut être laid, contrairement aux normes de beauté habituelles. Frontière entre l'imaginaire et la réalité du sexe des femmes se dessine enfin à travers l’œuvre.

Une scène érotique très explicite est d'ailleurs mise en exposition, du même auteur, faisant disparaître les idées reçues sur le genre et la domination dans l'acte sexuel. La scène en devient par la suite, presque ordinaire et sans étiquette quant à savoir qui domine qui, l'acte devenant un plaisir partagé et non une consommation rapide et une soumission.

L'érotisme est aussi mis en évidence avec l'exposition d'un fanzine, Galante, mis en consultation libre avec sa consœur de papier, Citad'elles. Le premier, connu « pour aborder l'image des femmes à travers la notion de l'érotisme de manière très crue » se détache de Citad'elles, écrit par et pour les femmes incarcérées à la prison de Rennes. L'exposition permet ainsi de présenter un véritable panel de portraits et de situations de femmes, « où chacune d'entre elles sont représentées », rajoute Morgane.

UNE EXPOSITION POUR TOUS LES PUBLICS

La sexualité des femmes est donc abordée en toute légèreté, avec sa pilosité, sa lingerie, son sexe et ses règles, des sujets encore relativement tabous. Ces dernières sont croquées dans tous leurs états, par exemple sous forme de dessins aux traits simples sur un ton humoristique comme pour expliquer aux enfants qu'une femme boit du vin, fait la fête, crie, danse, saigne, s'arrondit et parfois, rugit.

Rugit contre une société qui impose beaucoup trop souvent une image encore biaisée, de l'image d'une femme conventionnée à des normes absurdes concernant son attitude en société mais aussi, sur son apparence.

« On espère qu'il y aura des enfants parmi les visiteur-e-s, nous confie Charlotte, c'est important pour eux de se retrouver face à ces images, dans le sens où il ne faut pas les éduquer dans le mysticisme du corps féminin comme on a l'habitude de faire encore aujourd'hui. Parce que nous sommes tou-te-s confronté-e-s à la question de la féminité dans sa vie ».

« C’est pour cela que l’exposition doit forcément passer par le nu », rajoute Camille Pommier, bénévole au sein de l’association. Ce qui amène à entraîner d'autres visiteur-e-s un peu perdus par cette audace assumée, à venir se rendre compte de cette nudité.

« Il y a des réfugié-e-s qui viennent prendre des cours de français à l'Hôtel Pasteur, alors quand ils/elles commencent à monter la cage d'escaliers, on va dire qu'ils/elles sont quelque peu surpris-es et on assiste à un sacré choc des cultures », raconte Morgane, amusée.

Une nudité plurielle qui ne devrait plus être aujourd'hui un tabou. Pourtant, la diffusion d'un modèle unique perdure encore. L’œuvre étrange de Polygon dénonce l’image d'une femme fantasmée et ultra sexualisée par les médias.

En utilisant des outils datant des années 80-90, l'artiste met en scène une version burlesque et visuellement agressive sur l'industrie musicale, montrant une image corrompue par le fantasme de corps démesurément maigres, épilés et maquillés à l'extrême. Une énième dénonciation qui ne manque pas de piquer l’œil désormais averti du visiteur.

Girls laissera sûrement indifférent-es certain-e-s mais en fera sourire d'autres, par le culot de quelques œuvres, par la douceur de ces regards volés, et donnera peut être l'envie de poser son épilateur et d'aller se promener en petite robe sans avoir honte des recoins d'un corps qu'il faut apprendre à aimer, contre une société qui nous empêche de le faire correctement. 

Célian Ramis

Crèche parentale : Une alternative propice à l'éveil

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Rennes
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Alors que les places en crèches municipales ne suffisent plus à satisfaire toutes les demandes, des solutions alternatives existent. Parmi elles, la crèche parentale, un modèle associatif décrypté à travers l'exemple de Ty Bugale.
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Pallier le manque de places en crèche est un enjeu de l’actuel mandat présidentiel. Mais si le gouvernement œuvre depuis 2013 à la mise en place d’une nouvelle réforme de politique familiale, prévoyant entre autre l’augmentation du nombre de places, la pénurie reste avérée et problématique.

Des modes de garde alternatifs existent et se développent. Parmi lesquels les établissement à gestion parentale, communément nommées crèches parentales. Un type de structure qui a particulièrement interpelé la rédaction de YEGG à travers l’exemple de la crèche Ty Bugale, qui a fêté cette année ces 30 ans.

En 2015, 2 296 demandes d’inscription en crèches municipales ont été soumises à la Ville de Rennes qui dispose de 17 structures (accueil collectif et accueil familial). Près de 42% environ, soit 962 demandes, ont été satisfaites. Quelles solutions s’offrent à celles et ceux qui n’obtiennent pas de réponse favorable ? Plusieurs alternatives leur sont proposées par le centre d’information petite enfance L’Étoile, chargée d’orienter les parents vers d’autres modes de garde. Parmi eux, on trouve les crèches parentales, établissement associatif géré par les génitrices et géniteurs, alors employeuses-eurs des professionnel-le-s de la petite enfance.

Obtenir une place en crèche est une problématique loin d’être nouvelle. Si le plan gouvernemental prévoit l’augmentation du nombre de places au cours du mandat présidentiel actuel, l’objectif de 100 000 places supplémentaires semble compromis pour ce quinquennat qui semble seulement avoir réalisé un tiers de cette mission, selon les chiffres indiqués en 2015. Rennes ne fait pas exception, malgré la création de nouvelles crèches prévues jusqu’en 2017.

Pour les futurs parents, l’inscription de l’enfant qui va arriver peut s’avérer angoissante, la pénurie de places étant avérée. Les solutions alternatives sont de plus en plus mises en lumière. Parmi les plus connues, on cite les assistantes maternelles, les crèches d’entreprise ou encore les haltes garderies qui offrent une aide d’urgence temporaire.

Plus confidentielles dans leur notoriété auprès du grand public, les crèches parentales se développent, trouvant un équilibre dans l’esprit « comme à la maison » puisque le parent fait partie intégrante de la vie quotidienne de la crèche, bénéficiant ainsi d’un accès privilégié à l’équipe éducative et au projet pédagogique. C’est ce que souligne l’exemple de la structure Ty Bugale, fondée en 1986 à Rennes.

ASSOCIATION PARENTALE

La particularité de ce type d’établissement réside principalement dans la gestion parentale. En effet, créé sous la forme associative, ce sont les parents qui en investissent le bureau et le conseil d’administration. Par conséquent, ils sont les employeurs directs des professionnel-le-s de la petite enfance et participent activement à la vie de la crèche.

« Nous sommes très investi-e-s au sein de l’association puisque chacun-e a un poste dans la structure. Et que nous devons remplir 4h30 de permanence par semaine. », explique Yohanna Millet, présidente de Ty Bugale depuis septembre 2015. Concrètement, le parent intervient durant les heures d’accueil, souvent à la demi journée, comme tel est le cas dans la majorité des crèches parentales, au nombre de 6 à Rennes (selon les structures, la durée de la permanence varie).

Et aide au bon fonctionnement de la journée en gérant plus spécifiquement les tâches domestiques comme mettre la table, débarrasser, aider au lever de la sieste, au goûter, ranger, etc.

« Il faut avoir le temps et l’envie de s’investir sinon ça ne peut pas fonctionner. Faut être conscient-e de ça car on ne peut pas entrer dans l’association si on ne peut pas assurer les 4h30 de permanence. »
précise la présidente, infirmière de métier.

Un point sur lequel insiste également Emilie Paillot, qui exerce la fonction de secrétaire au sein de l’établissement. « Je suis enseignante à temps partiel donc ça ne me posait pas de problème de donner une demi journée par semaine. Et ça ne me dérangeait pas d’entrer dans le bureau. Avant cela, j’étais au poste « Approvisionnement », ça tourne. Ma fille a terminé la crèche mais je suis enceinte de mon 3e enfant et je demanderais une place ici pour la rentrée 2017. Ça m’embêterait d’être moins investie en revenant. », s’enthousiasme-t-elle.

À la crèche parentale, elle a pris goût. Arrivée de Paris en 2012, elle pose ses valises à Rennes avec son compagnon et son fils. En cherchant un mode de garde, sans préférence particulière, ils apprennent qu’une place s’est libérée à Ty Bugale, alors implantée rue de l’Alma, avant de déménager dans les locaux temporaires du boulevard Albert 1er de Belgique (en octobre, la crèche déménagera à nouveau dans des locaux plus grands, rue Mauconseil). Rapidement, ils adhèrent à l’état d’esprit de l’établissement, qui accueillera par la suite leur fille.

Agréée par la Direction des Affaires Sociales du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, la crèche est une association de loi 1901 accueillant jusqu’en octobre prochain 16 enfants, les nouveaux locaux permettant de demander un agrément pour 4 enfants supplémentaires.

Les critères sont semblables aux autres crèches : accueil de 8h à 18h30 d’enfants rennais âgés de 2 mois ½ à 4 ans, d’1 à 5 journées par semaine, dispositif d’accueil d’urgence (à partir de 18 mois et en fonction des places disponibles), tarif établi selon les revenus du foyer.

Entre le bureau et les différents rôles (gestion des salaires, inscriptions, bricolage/jardinage, moyens généraux, informatique, archivage, planning, hygiène et sécurité, formation, remplacement, etc.), les parents des enfants inscrits se répartissent les rôles et tournent d’une année sur l’autre.

« On essaie de ne pas être toujours au même poste. On voit par rapport aux intérêts des un-e-s et des autres. Et puis on fait en sorte de ne pas mettre à la trésorerie par exemple quelqu’un qui arrive car ce n’est pas forcément évident au départ. Et puis rien n’est figé car il y a des gens qui sont là pour 6 mois, d’autres pour plusieurs années. On participe également au projet pédagogique puisqu’il faut instaurer un règlement intérieur à faire valider par le conseil général. Avec le déménagement, il devra être revu, signé et voté par le CA. Le projet éducatif, lui, évolue et est construit par les salariés, à qui on fait confiance. », indique Yohanna Millet.

UNE GRANDE FAMILLE

Ce qui lui plait : la possibilité pour les parents d’être acteurs de la crèche sans empiéter sur le territoire des professionnel-le-s. Ici, ils sont au nombre de 2 éducateurs de jeunes enfants à mi-temps, une femme et un homme, et de deux aides EJE. Si ils et elles se côtoient durant les permanences hebdomadaires, des temps plus formels sont organisés pour échanger à travers une réunion mensuelle dont une partie seulement se déroule en compagnie de l’équipe éducative.

« Ce qui est bien dans la formule, c’est qu’on peut avoir le côté parental en s’investissant dans la vie de la structure et en faisant les permanences. Mais c’est aussi que de cette manière, en aidant aux tâches ménagères, les salarié-e-s s’occupent exclusivement des enfants. »
poursuit la présidente.

Et avec un taux d’encadrement plus important que dans une crèche municipale - la législation prévoyant pour cette dernière 1 adulte pour 5 enfants « non marcheurs » et 1 adulte pour 8 enfants « marcheurs » et pour la crèche parentale 1 adulte pour 4 enfants « non marcheurs » - « les enfants ne sont pas du tout délaissés », signale Emilie Paillot.

Avec Yohanna, elles parlent de grande famille. Passer du temps au sein de la crèche, auprès des enfants, de l’équipe éducative, effectuer des réunions entre parents, organiser des événements avec tout le monde (à l’instar d’un moment convivial en juin dernier pour fêter les 30 ans de la structure) ou encore participer à des sorties avec les petit-e-s, tout cela représente « un chouette moyen de s’intégrer et de développer une grande solidarité entre les parents. »

Et Emilie d’ajouter : « J’apprécie cette opportunité de connaître tout le monde et que les enfants nous connaissent bien, qu’ils nous appellent par nos prénoms. »

TROUVER L’ÉQUILIBRE

Néanmoins une difficulté subsiste et les deux femmes ne s’en cachent pas. L’enfant doit apprendre à « partager » son parent présent lors de la permanence.

Ce à quoi les petit-es établi-e-s dans les autres modes de garde ne sont pas confronté-e-s, la distinction entre le cadre familial et le collectif « pédagogique » s’opérant de manière évidente.

Ici, ils/elles apprennent à voir leurs parents interagir avec le reste du groupe, faire des va-et-vient, déplacer leur centre d’attention sur l’ensemble de la crèche et non pas uniquement sur eux/elles comme cela pourrait être le cas à la maison. Emilie Paillot confie :

« Ce n’est pas toujours facile. Tilda était bébé en arrivant et très vite ça a été naturel mais il y a toujours des moments ou des phases où ils peuvent être pénibles car ils ne comprennent pas trop pourquoi on est là à s’occuper d’autres enfants ou la plupart du temps à faire les tâches ménagères au lieu d’être avec eux. »

Mais c’est aussi un challenge pour celles et ceux qui tiennent la permanence. Sans interférer avec les professionnel-le-s, il leur faut trouver un équilibre dans cette formule intégrant le parent à une garde extérieure au foyer. L’attention ne peut pas uniquement se porter sur son enfant mais doit être portée sur la globalité du groupe. Même si Yohanna et Emilie le confirment : chacun-e garde sa personnalité.

Pour Loïc Bernier, éducateur de jeunes enfants à Ty Bugale, « on accueille l’enfant et sa famille. Ce n’est pas évident de se confronter aux regards des parents, on n’est pas toujours très très à l’aise d’agir devant eux. Mais c’est une réelle richesse de travailler avec eux. En les voyant lors des permanences, on apprend à les connaître et donc à les comprendre plus facilement. Et ce qui est avantageux, c’est aussi qu’ils peuvent s’inspirer des pratiques des professionnel-le-s. »

Après avoir effectué sa formation à l’école Askoria de Rennes, il a toujours travaillé en crèche parentale. Pas forcément un choix mais son parcours, entre stages et remplacements, l’a mené à ce type de structure. L’expérience lui permet de ne plus appréhender de la même manière la présence du parent et la réaction de l’enfant.

Car lui, ainsi que l’ensemble de l’équipe éducative, est présent pour appliquer le projet pédagogique et éducatif, à savoir transmettre les valeurs et règles de vie définies avec le CA et selon les capacités et objectifs d’éveil cohérents à la petite enfance.

VALEURS PARTAGÉES

Et ce qu’il pointe en priorité – les parents également – c’est le respect. Respect des règles, respect des autres au sein de la collectivité et respect de son environnement.

À travers la socialisation de l’enfant, la vie en société, la politesse, etc. Ainsi que son éveil sur l’extérieur.

« On essaye de profiter de ce qui nous entoure, de faire des sorties. Au parc, au marché, à la gare, chez les pompiers, à l’aéroport… Et de ce que le quartier de l’Alma propose en terme de spectacles, etc. Par exemple, juste à côté de la crèche, il y a la structure Terre des arts qui les accueille pour des activités, pour l’éveil musical. Et puis si les parents ont des compétences particulières, ils peuvent aussi proposer des ateliers, s’ils en ont envie évidemment… », liste rapidement Yohanna Millet, sourire aux lèvres. Toujours en gardant la volonté de mélanger le groupe, sans le ciseler en petits comités établis par les catégories d’âge.

« Que les petit-e-s soient avec les grand-e-s et inversement provoquent une émulation entre eux/elles et plein de choses intéressantes se passent dans ces moments-là. Dans un climat serein et sécurisant. »
ajoute l’éducateur qui rappelle aussi l’importance du suivi personnel.

Au cours de la journée, l’équipe se veut donc attentive au développement de l’enfant en tant qu’individu en fonction de son propre rythme et ses besoins. En terme de sommeil, par exemple. Mais pas seulement.

ÉVEIL À L'ÉGALITÉ DES SEXES

Et c’est ce qui va éveiller le/la tout-e petit-e. La confrontation entre soi et les autres. L’équipe professionnelle couplée au turn over parental permet alors de conjuguer diversité des profils, des cultures et des approches.

Et c’est à ce moment-là que va se jouer, dans la petite enfance, l’intégration des assignations genrées. En observant et imitant les adultes référents, l’enfant développe inconsciemment les codes de la société selon son sexe.

Pas de raison a priori que la crèche parentale échappe à ce processus d’identification, tant le marketing genré est force d’accroissement et que les formations des professionnel-le-s résistent encore à inscrire de manière obligatoire des modules sur l’égalité des sexes. Du côté de Ty Bugale, rien à ce sujet n’est mentionné dans les projets pédagogique et éducatif, si ce n’est le principe global d’égalité. Néanmoins, Yohanna Millet et Emilie Paillot s’en défendent.

« Ici, nous avons tous les cas de figure mais en règle générale la parité est plutôt bien respectée. Que ce soit au niveau des enfants filles et enfants garçons. Ou que ce soit au niveau de la répartition des tâches entre les parents. Il n’y a pas a priori plus de femmes qui s’investissent que d’hommes. Après, évidemment, tout dépend du travail. Le papa de mes enfants est beaucoup en déplacement donc là c’est plus moi qui interviens mais pour notre fils il faisait les CA. », justifie la secrétaire.

Même son de cloche pour la présidente qui confirme qu’en prenant la liste des rôles et des personnes missionnées à chaque poste, on ne trouvera pas de différence significative entre l’implication des femmes et celle des hommes. Idem pour les permanences. Un argument important puisqu’il permet aux enfants de ne pas cataloguer la mère comme la préposée à l’éducation et aux tâches ménagères et ne pas associer le père au travail et au divertissement. Concrètement la femme gérant le foyer et l’homme le reste du monde.

Toutefois, Emilie aurait souhaité aller plus loin dans la réflexion en faisant intervenir une personne de l’association Questions d’égalité lors d’une réunion mensuelle.

« J’ai une amie qui était là-bas mais nous n’avons pas réussi à trouver de disponibilités communes et depuis elle a quitté son boulot. Mais je pense que c’est intéressant de pouvoir développer ces questions « philosophiques » et d’être aidé-e-s par des référents. Nous ne sommes pas des professionnel-le-s de la petite enfance, ni de l’égalité des sexes. Nous sommes des bénévoles, des parents, mais nous avons nos limites. Les temps de CA servent aussi à ça. On a déjà fait venir par exemple un médecin pour parler du sommeil des petit-e-s. Aborder l’égalité entre les filles et les garçons, ça me botte vraiment ! », explique Emilie Paillot qui avoue malgré tout qu’avec le déménagement prochain, il fallait bien établir des priorités.

LA DIVERSITÉ AVANT TOUT

Loïc Bernier, qui assurera dès octobre le poste de référent technique à mi-temps, en plus de son travail d’éducateur, apporte de son point de vue une autre approche.

Déjà, en tant qu’homme dans un secteur destiné très longtemps aux femmes de par la supposée fibre maternelle innée qu’elles possèderaient, il est conscient du regard que l’on peut porter sur ce type de stéréotype.

« Dans ma promo, sur 20 personnes, on était 2 garçons. Mais j’ai toujours été super bien accueilli, que ce soit à l’école ou sur le terrain. Aujourd’hui, la mixité est de plus en plus recherchée dans les équipes. », souligne-t-il.

Une avancée positive qui permet aux enfants d’être confrontés aux deux sexes. Loïc poursuit :

« C’est bien de sortir des grands clichés, des rôles attribués. Un homme peut être maternant aussi. Et je crois qu’il y a plein de façons d’être un homme et plein de façons d’être une femme. Et c’est bon pour le développement de l’enfant d’être face à des relations différentes, des imitations différentes, des références différentes. »

Il prône avant tout la diversité et l’humain dans son ensemble, dans ses complexités et nuances. Mais toujours en proposant les mêmes activités aux enfants sans le critère du sexe et surtout sans les orienter. « On ne joue pas qu’à un seul jeu, il n’y a pas qu’une seule lecture. C’est le mélange qui compte. Que les petits puissent jouer aux voitures tout comme aux poupées avec des présences masculines et des présences féminines. », conclut-il.

Sans revendiquer un modèle exemplaire, la crèche parentale offre une formule conviviale qui ne dissimule pas un côté contraignant pour celles et ceux qui ne pourraient adapter, selon leur travail et envies (sans jugement ou culpabilisation), leurs emplois du temps. Mais qui propose une alternative et peut-être une autre réflexion autour de la parentalité associée à l’éducation promue par les professionnel-le-s de la petite enfance et inversement.

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Crèche parentale, mode de garde alternatif
Une alternative familiale et participative
Faire autrement

Célian Ramis

LGBTI : La lutte pour la liberté

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Rennes
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Face à une homophobie décomplexée et des vies en état d'urgence, la communauté LGBTI poursuit le combat et entend bien ne rien lâcher. Pour une évolution des mentalités.
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Juin 2016. Deux hommes qui s’aiment, c’est dégueux. Deux femmes qui s’aiment, c’est deux hétéros mal baisées. Un-e bisexuel-le, c’est un pd ou une gouine qui ne s’assume pas. Une personne transgenre, c’est un-e malade mental-e. Un-e enfant intersexe, c’est inconnu au bataillon quasiment.

Juin 2016, la parole LGBTIphobe est décomplexée, ordinaire, virulente. Juin 2016. Il y a encore des lesbiennes, homosexuels, bisexuels, trans, intersexe, qui souffrent de rejet, de violences physiques et/ou verbales, se suicident ou meurent sous les balles d’Omar Mateen dans la nuit du 11 au 12 juin, aux Etats-Unis, dans une boite gay d’Orlando.

Juin 2016. La Marche des Fiertés défile dans plusieurs villes françaises, dont la capitale bretonne, et l’affirme haut et fort : des vies sont en état d’urgence, le combat continue.  

Drapeaux arc-en-ciel, trans et bretons se sont côtoyés le 4 juin dernier dans un centre ville rennais pas librement accessible, à l’occasion de la Marche des fiertés, inaugurée dans la capitale bretonne en 1994. Manifestation festive et colorée, elle permet de mettre en lumière la communauté LGBTI (lesbienne, gay, bi, trans, intersexe) qui porte, à l’année, des revendications fortes et essentielles à l’avancée d’une société encore trop inégalitaire, aux libertés individuelles et à la survie des un-e-s et des autres.

Parti de l’esplanade Charles de Gaulle, le cortège fait masse boulevard de la Liberté, samedi 4 juin. Plus de 2000 personnes marchent, chantent et dansent pour ce que l’on appelait communément la gay pride, qui rapidement à Rennes – une des premières villes à arborer cet intitulé avec Marseille - se nommera la Gay & Lesbian pride avant de devenir la Marche des fiertés.

Les slogans scandés - « Qu’est-ce qu’on veut ? L’égalité des sexes. Pour qui ? Pour tous ! », « Hollande, Hollande, t’as perdu les pédales ! », « Y en a assez de cette société qui ne respecte pas les trans, les gouines et les pédés ! » - se mêlent aux pancartes brandies – « Retirez votre sexe de mon état civil », « La bite ne fait pas le genre », « Je veux des papiers sans être mutilé-e », « On veut des droits, pas ton avis » - et à l’ambiance joyeuse qui émane des manifestant-e-s qui bougent au rythme de La Yegros et sa chanson entrainante « Viene de mi ».

En tête de manif’, Selene Tonon, vice-présidente du CGLBT de Rennes, et Roxane Gervais, membre de l’association également, se relaient au mégaphone à s’en casser la voix. Mais tant pis, elles ne lâchent rien. « Au début de la Marche, un mec m’a traitée de travelo. Je lui ai lancé : « On vous fait des bisous » ! Il est devenu tout rouge… », rigole Roxane dont la réplique bien sentie sera reprise par la foule.

« Je me suis permise aujourd’hui parce qu’aujourd’hui je peux lui répondre sans avoir peur ! », poursuit-elle, aux bras de sa compagne. Parce qu’aujourd’hui, Julien Fleurence, président du CGLBT de Rennes, le réaffirme du haut du bus stationné à République pour les discours : « Nous sommes fièr-e-s de qui nous sommes et de ce que l’on a acquis ! » Mais précise qu’à présent le goût de l’amertume et de la désillusion prend le pas sur la satisfaction des avancées sociales, dont aucune en revanche n’est à noter cette année.

Que l’espace public est toujours le « théâtre des discriminations et des violences ». Que la société stagne concernant les revendications LGBTI et que la haine perdure. Et pour de conclure, que des « vies sont en état d’urgence ». Le thème de cette édition étant : « Debout face aux discriminations. Nos vies sont en état d’urgence ».

REVENDICATIONS PRIORITAIRES

Dans les grandes lignes, le combat s’oriente vers la lutte globale contre les LGBTIphobies, la sérophobie et toutes les formes de discriminations. Ainsi que la lutte pour le droit à disposer de son corps et le droit de vivre sa vie sociale, sentimentale et sexuelle. Mais est-ce seulement envisageable quand la mutilation génitale est l’unique réponse à la naissance d’un enfant intersexe ? Quand le changement d’état civil ne tient qu’à la seule appréciation d’un juge et non de la personne concernée ?

À cette question, le député PS Erwann Binet répond clairement : « On n’est pas propriétaire de son état civil en France », ce principe d’indisponibilité provenant droit de l’époque napoléonienne. Pas propriétaire de son corps non plus, visiblement. Avec la socialiste Pascale Crozon, ils ont proposé un amendement – au projet de loi « justice pour le XXIe siècle » - visant à faciliter le changement d’état civil pour les personnes trans.

Un engagement que le président Hollande avait pris lors de sa campagne électorale en 2011/2012. Pourtant, début 2016, une femme trans – suivant un traitement hormonal depuis plusieurs années et ayant eu recours à plusieurs reprises à des opérations chirurgicales - se voit refuser sa demande car elle ne peut prouver son « impossibilité définitive de procréer dans son sexe d’origine », le tribunal de grande instance de Montpellier ayant jugé qu’il en allait là de la seule condition capable « d’entrainer le caractère irréversible de la transformation exigé par la jurisprudence ».

Résultant d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Hommes (CEDH), la jurisprudence évoquée fait état de l’arrêt de la Cour de Cassation du 11 décembre 1992 indiquant :

« Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique le rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. »

Une avancée certes, mais qui suppose la transidentité comme une maladie mentale et impose des expertises médicales et psychiatriques douloureuses et humiliantes. Selene Tonon, femme trans, le confirme : « Beaucoup pensent que c’est une maladie mentale (jusqu’en 2010, la transidentité figurait sur la liste des maladies mentales, ndlr). Nous ne sommes pas reconnu-e-s comme légitimes par notre cadre culturel. Ce n’est pas envisageable de socialement passer d’un sexe à l’autre. »

Ainsi en mai 2010, une circulaire émise par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, préconise que les magistrats « pourront donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage…) ont entrainé un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux. » Et par changement de sexe irréversible, il faut comprendre stérilisation.

L’amendement proposé par les députés socialistes est adopté le 19 mai par l’Assemblée Nationale après avoir subi la modification du texte à travers 3 sous-amendements. Pour obtenir le changement de sexe de son état civil, une personne transgenre devra apporter, devant le tribunal de grande instance, tous les éléments dont elle dispose pour prouver qu’elle vit et est reconnue dans une identité de genre qui ne correspond pas à son sexe biologique.

Révolutionnaire selon Erwann Binet, ce dernier se félicite d’abaisser la procédure de 3 ans à 3 mois, d’avoir démédicaliser le processus (pourtant, certificats et attestations médicaux restent dans la liste des pièces pouvant être présentés) et d’avoir légèrement déjudiciarisé la démarche.

Pour les associations LGBTI, « c’est un pas en arrière, très hypocrite en plus puisque cela a été mis en place avant l’été afin d’éviter une nouvelle condamnation de la CEDH », selon Chloé M., co-présidente de l’association nantaise TRANS INTER action, rejointe par Antonin Le Mée, porte-parole de la Fédération nationale LGBT qui considère cet amendement « pourri par rapport aux autres pays européens » comme « un couteau dans le dos, un retour en arrière », motivé par l’agenda politique.

Ce qui le conforte dans l’idée que les thématiques LGBT ont été abandonnées par les politiques publiques, même s’il admet que niveau santé, certaines avancées – dues au « travail acharné des associations et à une vraie volonté de la ministre de la Santé, qui tranche avec le reste du gouvernement » - sont à souligner, malgré la lenteur des petits progrès (comme par exemple l’ouverture du don de sang aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, à condition qu’ils n’aient eu aucun rapport au cours des 12 derniers mois…).

Ce que les structures, militant-e-s et individu-e-s demandent : le changement d’état civil libre et gratuit sur simple déclaration de la personne concernée à un officier d’état civil, comme l’a obtenu la Norvège en juin dernier.

ÉLOIGNEMENT À LA CITOYENNETÉ

Pourquoi ? Parce que leurs vies sont en état d’urgence.

« La manifestation Existrans existe depuis plus de 20 ans à Paris et les revendications n’ont quasiment pas bougé. On ne lâche pas le morceau. C’est une question de vie ou de mort. Il faut une prise de conscience politique mais aussi une prise de courage. Le manque de courage, on l’a vu lors du mariage pour tous. Le gouvernement n’a pas eu le courage de dire aux défenseurs de la Manif pour tous qu’ils/elles étaient homophobes, clairement. »
explique Selene Tonon.

En France, les personnes transgenres représenteraient entre 10 000 et 15 000 habitant-e-s. Le chiffre est vague. Au moins, il existe. Et donne une idée de ce que l’on sait des femmes et hommes trans. Soit pas grand chose. Si ce n’est qu’ils/elles s’opposent à la norme cisgenre (personne dont le genre vécu correspond au genre assigné à la naissance).

Concernant le quotidien ? L’imagerie populaire voudrait y voir un public fragilisé, instable psychologiquement. Et concrètement ? La difficulté à vivre sa transidentité est indéniable. Pas dans la difficulté à assumer sa différence vis-à-vis de la norme mais dans l’éloignement à la citoyenneté, aux droits fondamentaux et à la liberté d’être soi sans se justifier. Chloé M. le rappelle : « Ce n’est pas un choix, ce n’est pas une orientation sexuelle et ce n’est pas une pathologie. »

Toutefois, les humiliations et les discriminations quasi permanentes laissent à penser qu’ils et elles sont considéré-e-s comme une population de seconde zone. « On peut souffrir de discrimination à l’emploi, à la Caf, face à l’administration, ou quand on va retirer un recommandé à La Poste, quand on subit un contrôle policier. », précise-t-elle.

Cela parce que leur apparence physique ne sera pas cohérente à la mention du sexe sur les papiers d’identité ou au chiffre sur la carte vitale (1 pour les hommes, 2 pour les femmes). Parce que le prénom ne sera pas en adéquation avec ce qui est écrit sur les documents d’état civil.

« Sur ma boite aux lettres, je ne mets que mon nom de famille. Mais très concrètement, on est obligé-e-s de se dévoiler tous les jours. C’est vraiment du quotidien. », souligne le porte parole de la Fédération LGBT. À partir de là, certaines démarches et certains lieux provoquent l’insécurité. À des endroits, il faudra se justifier et, dans la plupart des cas, observer en face des regards critiques et jugeants, quand ils ne sont pas dubitatifs et soupçonneux.

À d’autres, la transidentité sera révélée de force. Sans que cela vienne de la personne concernée. « Quand on se rend au bureau de vote, les accesseurs peuvent être des voisin-e-s. Au quotidien, ils ne savent pas. Leur donner sa carte, c’est un outing forcé auprès de potentiel-le-s voisin-e-s ou ami-e-s qui ne savent pas. Et au moment de voter, le règlement veut que l’accesseur donne l’identité civile à voix haute. », explique Selene Tonon.

LIMITES DU GENRE

Méconnaissance, ignorance, clichés et représentations fausses s’accumulent autour de ce sujet. Les médias se focalisent sur la transition et la diversité des exemples, la pluralité des personnes transgenres, n’est que trop rare. La vice-présidente du CGLBT se base par exemple sur le film The danish girl, réalisé par Tom Hooper, sorti en 2015, racontant l’histoire de Lili Elbe, artiste danoise, connue pour être la première personne avoir eu recours à une opération chirurgicale :

« L’histoire est mal racontée. Le film la montre moins épanouie après sa transition. C’est un contresens ! La transition est instrumentalisée. »

Elle décrit alors une préférence pour la série Sense8, réalisée par Lana et Lily Wachowski et J. Michael Straczynski, qui suit 8 personnages, dont une femme transgenre, interprétée par une actrice transgenre. Sa seule présence ne suffit pas à séduire Selene Tonon, c’est aussi parce que « la transidentité fait partie des qualificatifs de cette personne mais ne la définit pas. Elle est aussi hackeuse, activiste, bloggeuse, informaticienne. Elle est dépeinte de manière réaliste et dans une dimension intéressante puisqu’on la voit évoluer socialement et qu’on ne parle pas d’elle qu’à travers sa transition et du fait qu’elle soit une femme trans. Dans Orange is the new black, j’adore Sophia Burset mais elle n’est montrée qu’à travers la problématique trans. On ne la voit jamais pour autre chose, tout tourne autour de ça, c’est dommage. »

Pour Antonin Le Mée, les représentations et possibilités de visibilité représentent des moyens de lutte contre les mentalités conservatrices. Mais il ne peut que constater que rare sont les personnes trans à être connues.

« On en voit, elles sont bien intégrées dans les milieux dans lesquels elles évoluent mais en effet, il n’y a pas beaucoup de représentation. La difficulté réside dans la situation précaire qui entoure souvent les personnes transgenres. Moi, je sais que j’ai mon employeur derrière moi, sinon je ne prendrais pas le risque de dire que je suis un homme transgenre. »
affirme-t-il.

Et les hommes, justement, sont encore moins présents dans les images, articles, témoignages, postes à responsabilité, etc. Dans l’opinion publique, « la transidentité égratigne la virilité. Et un homme trans, c’est quelqu’un qui s’élève au dessus de sa condition de femme, analyse Selene Tonon. Tout ce qui dévie des normes de genre provoque des hostilités. »

À la naissance, deux possibilités. Posséder un sexe féminin ou un sexe masculin. En fonction de cela, l’injonction sera de correspondre au plus près des assignations de genre attribuées à chaque sexe. Des assignations qui conditionneront des comportements, des tempéraments, des orientations scolaires et professionnelles et même des orientations sexuelles, la norme étant l’hétérosexualité, supposée ou avérée (si tant est que l’on puisse avérer un type de sexualité).

Et ces sexes de naissance définiront également une hiérarchisation : le masculin prévalant automatiquement sur le féminin. D’où le problème pour l’évolution des mentalités. Le conditionnement et le cadre culturel et éducatif actuel, inconsciemment, ne permettant pas aisément de comprendre le mal-être d’une personne non cisgenre.

Et ne permettant pas de comprendre la motivation d’un homme, supérieur par définition, à devenir une femme, inférieure par définition. Et ne permettant pas, surtout, d’admettre l’inverse. C’est par là penser qu’il s’agit d’un choix et non d’un besoin vital. C’est nier la violence véritable à naitre dans un corps biologique qui ne correspond pas à ce que l’on ressent.

L’IMPACT DE LA BINARITÉ

C’est nier également la possibilité de naitre avec les deux sexes, comme tel est le cas d’un enfant intersexe. Quand on parle de représentation, les personnes intersexuées figurent certainement parmi les plus invisibilisées.

« Les médecins estiment avoir le savoir. Le savoir c’est qu’on ne peut pas bien vivre avec les deux sexes. À la naissance, on choisit donc un sexe, pour l’enfant, sans son consentement, évidemment. On mutile un enfant. »
explique la co-présidente de TRANS INTER action.

Un acte barbare que l’on pense dans l’intérêt de l’individu-e, sans jamais tenir compte de la manière dont ils/elles vont grandir et ressentir ce vécu. « Ce serait plus sain de les laisser grandir puis choisir eux-mêmes. Surtout que la différence entre les filles et les garçons n’existe que sur les organes génitaux avant l’adolescence. Hormonalement, à 8 ans, il n’y a pas de différence. On voit une différence à la coupe de cheveux seulement (puisque dans l’idée stéréotypée, une fille a les cheveux longs et un garçon les cheveux courts, ndlr). C’est donc possible de le faire évoluer comme n’importe quel gosse. », signale Selene Tonon qui précise que l’acte de mutilation génitale sur un enfant intersexe est conforme à l’idée que l’on a de la binarité : « Et à cause de ça, on leur crée du dommage. »

Le mot est lâché, la binarité est problématique. Être homme ou être femme. Être hétéro ou être homo. La rigidité du système se reflète dans tous les aspects de la société. Et est flagrante au niveau administratif. Les formulaires ne donnent pas le choix : homme ou femme. 1 ou 2. Pas de place pour la nuance. Pas de place pour la complexité. Pas de place pour la liberté.

La liberté de ne pas vouloir se définir dans un langage binaire. La liberté de ne pas vouloir des cases et de leurs assignations sexuées. Antonin Le Mée l’explique parfaitement : « Il y a un blocage sur le genre, une dichotomie genre et sexe dont découle la répartition des rôles. Les formulaires ne donnent pas des droits mais ils participent à la construction de la société. Tout le monde est confronté à des problèmes de binarité. Mais on s’habitue car on évolue dans ce système et on finit par ne plus le voir. »

SEXISME ORDINAIRE ET DÉCOMPLEXÉ

La binarité découle d’un fait biologique, récupéré ensuite par une société rigide, préférant simplifier les données et les catégories, plutôt que d’être moralement attentive aux besoins des un-e-s et des autres. « Trop compliqué », dira la majorité de la population (blanche, hétéro, cis) qui se dira pourtant ouverte et favorable à la liberté sexuelle et à l’égalité des sexes.

Le sexisme, ordinaire et intégré, se greffe à la norme. Conservé et conforté sans remise en question, il peut en résulter alors les LGBTIphobies. En 2012/2013, le mariage pour tous verra naitre un mouvement d’opposition important, la Manif pour tous. Et verra les langues se délier. Le cadre politique laxiste entrainera les relents homophobes à exploser, sans complexe.

On tolérait les couples de même sexe mais on ne pourra accepter qu’ils obtiennent les mêmes droits que les couples de sexe opposé, ayant accès au mariage, à l’adoption et à la PMA. Voilà le discours que diffuse librement les opposant-e-s à l’union des couples homosexuels, hommes ou femmes. Un discours violent, agressif, insultant et humiliant qui amènera également une recrudescence d’agressions physiques ou verbales, comme le souligne chaque année le rapport de SOS Homophobie.

L’actualité récente est encore marquée de barbarie. Le massacre, à Orlando, d’une cinquantaine de personnes fréquentant dans la nuit du 11 au 12 juin la boite LGBT « Pulse » a fait trembler une partie de la population mondiale. La tuerie a ému, c’est certain. Mais finalement a beaucoup moins intéressé la presse que d’autres attentats survenus en 2015 et en 2016. Le 13 juin, place de la Mairie à Rennes, un rassemblement est organisé en hommage aux victimes et en soutien aux proches.

La vice-présidente du CLGBT prononce un discours et l’affirme : ce n’est pas une surprise. « Dans le sens où vu les tensions à l’échelle mondiale, on savait depuis un moment que ça nous pendait au nez un massacre LGBT. On a rapproché ça d’un acte terroriste, pour moi, c’est plus un problème de LGBTphobies. Et le fait que le tueur fréquentait la boite ne veut pas dire que ce n’est pas de l’homophobie. L’homophobie intériorisée existe et c’est tout aussi homophobe. », explique-t-elle.

Et si le mois de juin a vu un retour de la Manif pour tous à Rennes, autour de la famille et de la GPA, elle ne s’inquiète pas, le mouvement est mort dans l’œuf : « Il ne faut pas baisser nos gardes, les réac’ ne lâchent pas, et on ne peut pas les laisser parler comme ça dans le centre ville mais ils sont hyper minoritaires. À République, ils étaient quelques dizaines. En s’organisant la veille, les militant-e-s LGBT étaient 3 fois plus nombreux/euses. »

FAIRE BOUGER LES LIGNES

La Manif pour tous ne serait plus une menace a priori. Mais les LGBTIphobies décomplexées font toujours rage. La vice-présidente du CGLBT, le porte parole de la Fédération LGBT et la co-présidente de TRANS INTER action sont convaincu-e-s et unanimes : pour désarmorcer les phobies, cela doit passer par l’éducation. Pas n’importe laquelle. L’éducation populaire.

C’est à ce titre-là que l’association Aroeven Bretagne (Association Régionale des Œuvres Éducatives et des Vacances de l’Éducation Nationale) a créé le projet « X,Y,Z… », à la suite d’un constat porté par un groupe de militant-e-s souhaitant réfléchir aux nouvelles problématiques auxquelles ils/elles étaient confronté-e-s sur le terrain ou dans leur posture de formateurs/trices et intervenant-e-s en milieu éducatif et scolaire.

Les questions de genre apparaissent très rapidement, avec l’envie de prendre le temps d’explorer ce qui se fait sur le terrain, ce qui se fait ailleurs, avec en parallèle des recherches individuelles visant à l’apport de connaissances et la mise en perspective des problématiques. L’objectif : sensibiliser et éduquer aux discriminations sexistes.

Développé à Rennes, ce projet, visant un public de 13 à 18 ans mais aussi les acteurs éducatifs, prendra une dimension européenne, réunissant en octobre prochain 7 pays ayant répondu à l’appel à candidatures (l’Italie, Malte, la Turquie, l’Espagne, la Bulgarie, la Croatie et la Pologne). « L’idée pendant la formation européenne est d’échanger autour des bonnes pratiques, des réalités de chacun, des politiques nationales, locales, de partager des ateliers et des outils. », explique Geoffrey Vigour, coordinateur de projets et formateur à l’Aroeven.

Parmi les sujets proposés et retenus pour octobre : Les difficultés rencontrées par la communauté LGBTI, l’impact des images et de la presse, les rôles et les genres, l’impact de la culture et de l’Histoire sur les représentations ou encore la construction de la virilité et de la féminité. Conscient des discriminations liées au sexe, le groupe souhaite :

« ne pas s’enfermer dans l’égalité filles/garçons mais vraiment orienter le projet sur les discriminations liées à l’identité sexuelle, au genre. Ne pas s’arrêter à ce que la biologie définit, tout en étant prudents sur les questions que l’on ne connaît pas, que l’on ne maitrise pas. »

C’est pourquoi l’association d’éducation populaire ne compte pas œuvrer seule mais avec un tissu de partenaires spécialisés sur ces questions comme Liberté Couleurs, Questions d’égalité, le Planning Familial 35, l’académie de Rennes, la délégation Droits des femmes et égalité des sexes de la Ville de Rennes, pour n’en citer que quelques uns.

À la suite de la formation européenne, un plan d’actions devrait être mis en place. Viendront alors les temps d’échange avec les jeunes rencontrés lors de séjours éducatifs, d’interventions scolaires ou de BAFA. La volonté de l’Aroeven étant de discuter et donner la parole aux différents publics afin de réfléchir et s’organiser ensemble autour des solutions à apporter, à envisager.

« On pourra aussi à notre échelle sensibiliser et former les militant-e-s de l’Aroeven, qui peuvent être formateurs/trices BAFA, ou directeurs/trices, et ainsi faire des passerelles. », explique Geoffrey Vigour.

Antonin Le Mée en est convaincu également, la formation des professionnel-le-s, la sensibilisation d’un public, etc. participent à la déconstruction des petits mécanismes. « Au TEDex, j’ai fait une intervention sur la binarité. Les gens comprennent quand on leur explique. Ensuite, il y a l’effet ricochet : en changeant les choses autour de soi, la culture de l’égalité infuse. À petite échelle, je sensibilise les clients de ma boite, les gens de ma boite, les gens de la French tech qui me connaissent, les stagiaires, etc. ça touche du monde et c’est en éduquant que l’on fait bouger les choses. », dit-il.

Le message est clair : le combat est long, la confusion forte, la haine néfaste. Mais la lutte continue et ne s’essouffle pas. « Il ne faut rien lâcher. C’est l’opiniâtreté de certain-e-s qui fait que ça évolue. Les règles s’assouplissent car les plaintes s’accumulent, que la sensibilisation agit et que ça se diffuse dans les cercles de l’entourage de chacun. C’est long mais ça fonctionne. », conclut-il.

 

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Célian Ramis

BAC + que dalle, un projet pour une jeunesse oubliée

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CRIJ
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Du 24 octobre au 7 novembre prochain, se tiendra au CRIJ de Bretagne une exposition autour du projet Bac + que dalle, mettant en lumière les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés pour trouver un premier travail.
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Du 24 octobre au 7 novembre prochain, se tiendra au CRIJ de Bretagne une exposition autour du projet Bac + que dalle, créée par l'association Tandem, un parrain pour un emploi, mettant en lumière les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés pour trouver un premier travail. Parmi ces portraits, trois jeunes femmes témoignent de cet enjeu sociétal encore mal reconnu.

Cette association, créée en février 2014 à Rennes à l'initiative de deux jeunes diplômés, Antoine Yon et Benoît Connan, lance un véritable mouvement de solidarité auprès des jeunes dans leur recherche d'emplois. Basé sur le concept de parrainage/marrainage par des professionnel-le-s issu-e-s de différents secteurs d'activités, et sur la base du bénévolat, ces jeunes sont ainsi accompagné-e-s dans leurs démarches afin d’optimiser leurs recherches et reprendre confiance en eux/elles.

C'est par cette volonté d'aider les jeunes diplômé-e-s, que naît l'idée de créer le projet Bac + que dalle, un web-documentaire réalisé par Antoine Yon, Jérémie Lusseau, photographe et Pierrick Colas, graphiste. Se présentant sous la forme de diaporamas sonores, alliant la photographie et l'illustration, ce dernier est disponible sur internet depuis le 30 septembre dernier.

Centré sur la thématique du chômage chez les jeunes diplômé-e-s, ce web-documentaire est conçu comme un outil pour illustrer et ouvrir le débat, autour des différentes problématiques  rencontrées par les jeunes.

C'est par le biais d'une réunion visant à présenter le projet à tou-te-s les filleul-e-s de l’association, que les portraits furent ciblés, avec une volonté de diversité offrant ainsi une vue d'ensemble du problème. Mettre en valeur trois témoignages de femmes, sur cinq au total, marque aussi l’idée d’illustrer ce phénomène, qui touche plus de filles que de garçons dans l’association, « sachant que 62 % des filleules sont des femmes », d'après Carolane Boudesocque, chargée du développement associatif au sein de Tandem.

Ce sont donc Émilie, 24 ans, éducatrice spécialisée, Lilit, 26 ans, traductrice-interprète à son propre compte et maman d'un petit garçon et Pauline, 29 ans, diplômée d'un master en histoire de l'art, qui prêtent leurs voix au projet Bac + que dalle.

UNE APPROCHE HUMANISTE

Leur intérêt pour le projet est dû essentiellement à sa dimension humaine. Avec cette urgence à témoigner pour marquer de leur lassitude de n’être que des anonymes parmi les chiffres régulièrement relayés par les médias. Un moyen aussi de poser des mots sur sa propre situation, qui se différencie de celles des autres malgré le tronc commun, donnant au projet une valeur à la fois thérapeutique et vitale.

Durant les quelques mois de tournage, les jeunes femmes se souviennent de la volonté du photographe Jérémie Lusseau, du collectif nantais IRIS PICTURES, de s'insérer dans leur quotidien, afin de capter chaque moments vécus, représentatifs de leurs situations. Vue comme un réel suivi, cette façon de faire n'est pas sans rappeler la ligne de conduite menée par l'association Tandem, qui s'inscrit véritablement dans une logique d'accompagnement sur le long terme à travers ce projet.

« C'est quelque chose que l'on fait pour soi mais aussi pour sa famille, afin de poser des mots sur ce que l’on vit, qui est loin des généralités véhiculées », explique Émilie. Une image qui doit changer aujourd’hui, car cette généralisation semble créer une réelle incompréhension autour du problème. Lilit a d'ailleurs un avis bien tranché sur la question et sur la manière d'utiliser les mots.

« Il faudrait arrêter de dire « la jeunesse », car c'est un terme vraiment réducteur et qui en fait toute une généralité alors que c'est loin d'être le cas. Lorsqu'en tant que jeune, on va faire une recherche d'emploi, qu'on passe un entretien, on le fait pour soi. Il faut parler des jeunes au pluriel car les situations vécues sont toutes très différentes », commente-t-elle.

« Il y a aussi cette volonté de témoigner pour le grand public, de faire le point sur cette réalité actuelle qui reste encore tabou », rajoute Pauline. L'expérience de ce projet permet ainsi à ces jeunes femmes de porter un autre regard sur elles-mêmes, plus indulgents et confiants.

Dans ce documentaire, « on prouve que l’on est des battantes, confirme Pauline, on en retire une certaine forceOn développe aussi une autre philosophie de vie, plus simple. On porte un autre regard sur les choses. »

UN VERITABLE ENJEU DE SOCIÉTÉ

Mais Bac + que dalle dépose un constat. Celui de l'utilité de ces diplômes, du temps investit dans ces études longues. « J'ai tendance à voir mes études un peu comme une perte de temps, car quand je calcule tout l’argent que j'aurais pu accumuler si j'avais travaillé à la place, ça fait beaucoup, surtout quand je regarde ma situation actuelle », nous explique Lilit, qui commence à regretter ses choix d'études.

Bien que cet avis reste partagé, certaines restent sur leurs convictions que si elles avaient été mieux accompagnées, mieux écoutées, leurs parcours universitaire et leurs choix d'études auraient été nettement plus différents. « J'aurais privilégié le bénévolat, le travail en association, sans forcément passer par les écoles. Même si le métier que l'on choisit est une réelle vocation, avec le temps, une fois le diplôme obtenu, les ambitions perdent du terrain avec l'argent », explique Émilie.

« On doit travailler autrement, il faut qu’on ait envie de croire à un projet qui nous est propre sans forcément chercher à se conformer à ce qu'attend de nous la société », rajoute Pauline, qui explique aussi l'importance de ne pas pour autant mettre de côté les études liées aux sciences humaines, qui représentent un savoir et un accès à la culture très important, et qui se raréfie de nos jours.

PRÉCARITÉ DÉGUISÉE

Ces questions d’argent, d’accès aux loisirs et à une vie sociale remplie sont aussi au cœur de ces témoignages. En effet, la tranche des 18-30 ans est d’après les sondages, catégorisée désormais comme vivant sous le seuil de pauvreté. Une précarité qui se redéfinit à l’heure actuelle et qui s’évalue à différents degrés, dépassant même l’aspect financier dans lequel on la place.

Car les chiffres une fois de plus, donnés par des sondages qui prônent la généralité, « doivent représenter bien au-delà des besoins primaires, explique Pauline, la pauvreté peut aussi être intellectuelle. Lorsque l’on est pris dans le cercle vicieux de la recherche d’emploi, il y a une forme d’isolement social qui ne nous donne plus accès à nos loisirs, à la culture, on en a plus les moyens. »

Une forme de « précarité déguisée » d‘après Émilie, qui témoigne de la situation précaire dans laquelle vit une grande majorité des étudiants à l’heure actuelle, et qui se poursuit jusqu’après l’obtention du diplôme.

Le manque d'expérience et leur motivation sont aussi souvent remis en cause par les employeurs, qui témoignent d’un manque d'écoute et de conscience des réalités dans notre société. Ces portraits mettent ainsi en lumière ces nombreuses difficultés et soulèvent les débats, concernant notamment le rôle et l'influence du service civique et des stages, à la fois être atout et  stratégie de la dernière chance pour acquérir l'expérience nécessaire, afin de décrocher un emploi selon les jeunes femmes.

Outre la difficulté de s'imposer dans la société et sur le marché du travail en tant que jeune femme, les échecs et les doutes permettent aussi de rebondir, comme en témoigne Lilit qui vient de créer sa propre association,  l’ASSA (Action Sociale et Solidaire en Arménie) le 1er janvier 2016, après son service civique au Cridev.

« Les jeunes sont motivés pour faire bouger les choses, pour s’en sortir mais on n'est pas assez écoutés, ils ne sont pas assez représentés dans leur réalité. Ce projet nous donne ainsi l'occasion de montrer une autre dimension qu’est la nôtre, qui nous appartient »
souligne Émilie avec le sourire, cette dernière préparant actuellement les concours pénitenciers pour devenir conseillère en insertion sociale.

« Même si on déchante vite au départ, ces situations ne sont pas définitives, elles peuvent évoluer », termine Pauline. Un projet donc en pleine expansion, avec l'idée d'un livre qui sortira pour la fin de l'année 2016. Une citation du réalisateur Ken Loach, connu pour son engagement humain et social dans ses films, fera d'ailleurs office de préface. Un clin d’œil pertinent, qui montre que le débat sur cette thématique semble avoir encore de beaux jours devant lui.

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